D O S S I E R Place de la chirurgie diagnostique dans les images infracliniques du sein en 2006 Surgical biopsies for non palpable breast lesions: practice in 2006? ● S. Giard * C omme vous le montrent les autres articles de ce dossier, la nouvelle présentation des cancers du sein liée à la pratique du dépistage de masse ainsi que le développement, depuis une dizaine d’années, des techniques biopsiques percutanées ont modifié la prise en charge de la pathologie mammaire. Le chirurgien n’est plus qu’un des acteurs de la démarche diagnostique et sa place doit se recentrer sur sa fonction thérapeutique. La chirurgie diagnostique doit donc reculer sans pour autant disparaître. Nous envisagerons successivement ces deux aspects : prélèvements diagnostiques percutanés et biopsies chirurgicales. L’INTÉRET DES TECHNIQUES BIOPSIQUES PERCUTANÉES (1) La très grande majorité des images anormales issues du dépistage correspondent à des lésions bénignes : 98 % des images classées ACR 3, 30 à 80 % des ACR 4, 5 % des ACR 5 sont bénignes, et les ACR 4 et 5 ne représentent qu’un faible pourcentage des mammographies de dépistage. Ne plus opérer toutes ces images, c’est dégager du temps chirurgical pour la prise en charge thérapeutique (et en diminuer les délais) à l’heure où l’incidence de la maladie augmente tandis que les moyens chirurgicaux se raréfient. Liberman (2) estimait qu’un million de biopsies était réalisé en 2000 aux États-Unis pour faire le diagnostic de 200 000 cancers. Les techniques percutanées permettaient d’éviter un geste chirurgical dans 75 % des cas (avec une réduction des coûts de 20 %). Dans notre expérience, l’installation du mammotome au centre OscarLambret a permis d’éviter 67 % de gestes chirurgicaux diagnostiques (sans diminuer pour autant l’activité globale de chirurgie sénologique). Pour ces patientes, c’est aussi limiter les risques de la chirurgie, les risques anesthésiques et la morbidité. Rappelons que le risque de décès par anesthésie générale est estimé à 0,19 %, ce qui, pour une pathologie aussi fréquente que le cancer du sein, n’est pas négligeable. La biopsie chirurgicale sous anesthésie locale est certes possible mais difficile à réaliser pour les lésions infra cliniques en respectant le principe d’une cicatrice esthétique souvent à distance. La morbidité de cette chirurgie * Département de sénologie, centre Oscar-Lambret, 3, rue F.-Combemale, 59020 Lille Cedex. 16 (abcès, hématome) est estimée entre 2 et 5 %. Le retentissement de cette chirurgie est aussi esthétique (cicatrice cutanée, rupture de galbe), encore augmenté en cas d’interventions multiples même si les principes d’une “bonne” chirurgie sénologique doivent le minimiser (cicatrice indirecte péri-aréolaire, comblement de la perte de substance par lambeaux glandulaires). De plus, la chirurgie entraîne une cicatrice glandulaire, source de nouvelles images mammographiques et/ou échographiques, rendant la surveillance parfois difficile avec multiplications des bilans. Enfin, la chirurgie a un coût économique et social : il est rare qu’une intervention sous anesthésie générale, même en hospitalisation ambulatoire, ne soit pas suivie d’un arrêt de travail. Une étude américaine (3) évaluait de 30 à 50 % la réduction du coût de prise en charge des lésions infracliniques par les techniques percutanées par rapport au “tout chirurgie”. Connaître le diagnostic avant la prise en charge thérapeutique a de nombreux avantages : • Personnaliser les différentes étapes de la prise en charge : planifier l’information, dire le diagnostic, l’expliquer et proposer une stratégie thérapeutique, voire, dans certains cas, discuter des différentes options possibles ou encourager à un deuxième avis avant toute démarche thérapeutique. • Permettre à la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) de jouer pleinement son rôle. • Et enfin, améliorer la logistique chirurgicale : – programmer une exploration ganglionnaire (notamment l’injection isotopique pour un ganglion sentinelle) dans le même temps opératoire pour un cancer invasif ; – réaliser un geste chirurgical plus large pour obtenir des berges d’exérèse suffisantes dans les lésions cancéreuses ; – proposer d’emblée une mastectomie pour des lésions multiples, un CIC étendu ou une récidive ; – programmer une reconstruction immédiate pour un “in situ” extensif ; – éviter une cicatrice de biopsie chirurgicale parfois génante dans les mastectomies avec préservation de l’étui cutané. Cette liste n’est pas exhaustive, elle souligne l’intérêt des biopsies percutanées dans la diminution du nombre de gestes chirurgicaux, souvent rappelé dans la littérature. À l’extrême, dans une étude américaine (4) multicentrique, menée entre La Lettre du Sénologue - n° 32 - avril/mai/juin 2006 1997 et 2002 sur plus de 6 000 patientes, le taux de reprise chirurgicale pour berges non saines passait de 92 % en cas de biopsie chirurgicale à 23 % après biopsie percutanée initiale. contraire très profondes, au ras du pectoral, lésions très périphériques. • Présence d’une prothèse d’augmentation. LES AVANTAGES DE LA CHIRURGIE DIAGNOSTIQUE Limites liées au type d’images • Microcalcifications diffuses sans foyer-cible. • Images de faible densité. • Images de distorsion sans centre dense (“cicatrice radiaire”). En alternative à la surveillance, elle permet d’enlever l’image et de rassurer ainsi les patientes, mais aussi leurs médecins en évitant la multiplication et la répétition à brève échéance des examens d’imagerie. Il est parfois plus facile de céder à la facilité et à la rapidité d’un geste coté Kc50 que d’expliquer longuement l’attitude d’abstention : “Mais docteur, on ne sait jamais comment ça peut tourner, mon docteur m’a dit que ce serait mieux de l’enlever comme ça on n’en parlerait plus.” Pour justifier l’abstention chirurgicale, il faut donc informer, expliquer que le cancer ne passe pas par une phase intermédiaire de tumeur bénigne, dire aussi que l’image laissée en place ne relève pas d’une surveillance particulière (nous parlons des images ACR2 ou pour les ACR supérieurs, de celles dont le bilan diagnostique est terminé). Il est certain qu’une partie de ces patientes particulièrement anxieuses (ou ayant un entourage médical particulièrement anxieux) reviendra à la charge ou changera de consultant… L’exérèse chirurgicale permet en théorie de redresser le risque de faux négatifs des biopsies percutanées. Ce risque, dans les équipes très entraînées, est évalué à 2 % (5). Rappelons cependant que, là aussi dans les équipes entraînées, le risque “d’échec” lors d’une chirurgie pour lésion infraclinique est également de 2 %... (6). QUELLE PLACE RESTE-T-IL À LA CHIRURGIE DIAGNOSTIQUE EN 2006 ? Elle ne doit maintenant plus vivre que des limites des techniques percutanées. Limites liées à la patiente (surtout pour les macrobiopsies stéréotaxiques avec aspiration) • Troubles physiques : difficultés à tenir le décubitus ventral du fait de problèmes rhumatologiques ou respiratoires, troubles de la coagulation. Mais cela pose aussi le problème de la pertinence du dépistage chez certaines de ces patientes à l’état général précaire (insuffisance respiratoire)… • Troubles psychiques ou de compréhension rendant difficile l’explication puis la réalisation de l’examen. Limites techniques • Seins très petits, de peu d’épaisseur (moins de 20 mm comprimé). • Certaines localisations : lésions très superficielles ou au Limites liées au type histologie Lésions bénignes mais avec atypies (canalaire ou lobulaire) : lorsque ce diagnostic est porté sur des biopsies percutanées, le risque de sous-estimation de lésions malignes (essentiellement carcinome intracanalaire) varie suivant les équipes et le type histologique de 15 à 20 %, ce qui justifie, pour la majorité, une reprise chirurgicale systématique (7, 8). Enfin discordance imagerie-histologique Une image ACR5 avec un diagnostic de dystrophie fibrokystique doit bien sûr faire remettre en cause la représentativité des fragments prélevés et indiquer un nouveau geste biopsique dont les modalités sont à discuter entre radiologue et chirurgien. CONCLUSION La chirurgie diagnostique a reculé au bénéfice des biopsies percutanées. La chirurgie ne doit plus répondre qu’aux limites et “insuffisances” de ces techniques, ce qui passe par la discussion radiochirurgicale des dossiers d’image infraclinique. Cette pluridisciplinarité doit permettre de limiter les erreurs (remettre en cause une discordance radio-histologique par exemple) et de poser ■ les bonnes indications de biopsies percutanées. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Chirurgie des lésions mammaires: prise en charge de première intention. ANAES. EPP dans les établissements de santé. Octobre 2002. 2. Liberman L, Salma MP. Cost-effectiveness of stereotactic 11-gauge directional vacuum-assisted breast biopsy. AJR 2000;175(1):53-8. 3. Burkhardt JH, Sunshine JH. Core-needle and surgical breast biopsy comparison of three methods of assessing cost. Radiology 1999;212(1):181-8. 4. Edge SB et al. 28th San Antonio Breast Cancer Conference 2005. Abstract 12 S9. 5. Liberman L, Derschaw DD, Glassman JR. Analysis of cancers not diagnosed at stereotactic core breast biopsy. Radiology 1997;203(1):151-7. 6. Chadwick DR. Shorthouse AJ. Wire-directed localization biopsy of the breast: an audit of results and analysis of factors influencing therapeutic value in the treatment of breast cancer. Eur J Surg Oncol 1997;23(2):128-33. 7. Liberman L, Kaplan JB, Morris EA et al. To excise or to sample the mammographic target: what is the goal of stereotactic 11-gauge vacuum-assisted breast biopsy. AJR 2002;179(3):679-83. 8. Jacobs TW. Conndly JL. Schnitt SJ. Non malignant lesions in core needle biopsies: to excise or not to excise? Am J Surg Pathol 2002; 26(9):1095-110. La Lettre du Sénologue vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement La Lettre du Sénologue - n° 23 - janvier/février/mars 2004 17