d'admettre, en effet, que des êtres vivants, et plus encore des gènes, soient portés à
se sacrifier au bénéfice d'autres individus ou d'autres gènes. Pour autant, l'altruisme
n'est pas un comportement si rare qu'il puisse être considéré comme aberrant. Il
s'observe chez les Insectes sociaux : Fourmis, Abeilles, Guêpes et Termites, et chez
bon nombre de Mammifères : Lions, Lycaons, Loups, Singes. H. SPENCER et E.
HAECKEL ont tenté de résoudre ce paradoxe, en définissant l'altruisme par rapport à
l'égoïsme : l'un concerne la conservation de l'espèce, et l'autre celle de l'individu. Pour
expliquer l'attitude altruiste, J. HALDANE postule l'existence des gènes de l'altruisme
dont la fréquence, dans un groupe social, doit être d'autant plus élevée que les
individus sont étroitement apparentés. La valeur sélective d'un individu ne se mesure
plus au nombre de ses descendants directs, mais à la faculté qu'il a de favoriser la
multiplication de ses propres gènes et ceux de sa parentèle.
Dans ses articles de 1964 et 1967, W. HAMILTON conclut que le comportement
social des Hyménoptères est d'autant plus intense que les individus sont proches
parents et, par conséquent, qu'ils ont un plus grand nombre de gènes communs. Le
dévouement des ouvrières chez les Abeilles ou les Fourmis est un exemple extrême
de comportement altruiste, qui trouverait là son explication évolutive. Des
entomologistes se sont demandé si leur comportement était aussi altruiste qu'on le
croyait. Les ouvrières partagent entre elles, en moyenne, un peu plus de la moitié de
leurs gènes (1/2 à 3/4), mais seulement 1/4 avec les mâles et 1/2 avec la reine : les
mâles sont parthénogénétiques et les ouvrières sont issues de la fécondation. Selon
Robert TRIVERS et Hope HARE (1976), elles devraient, par conséquent, éliminer plutôt
les mâles, et pour mieux soigner leurs consœurs, elles entreraient alors en conflit
avec la reine, qui partage la moitié de ses gènes avec elles et avec les mâles. Ils ont
montré que les Abeilles ouvrières contrôlent effectivement le sex-ratio en éliminant
des larves mâles. Serge ARON et Luc PASSERA (1995) retrouvent le même
phénomène chez les Fourmis de feu (Solenopsis invicta). Même si l'altruisme n'est
pas également réparti chez tous les individus de ces sociétés d'Insectes, ce
comportement existe et son origine génétique semble se confirmer.
Les Lycaons, Chiens sauvages africains, vivent en groupes familiaux comprenant une
seule femelle reproductrice qui migre régulièrement.
L'élevage collectif des jeunes suscite des difficultés d'interprétation, car l'altruisme
des reproducteurs s'explique mal sur le plan individuel. La clé du problème se trouve
dans la consanguinité des groupes animaux familiaux qui possèdent entre eux un
certain nombre de gènes en commun. Sans permettre la propagation des gènes de
l'animal concerné, l'altruisme assure, cependant, celle des gènes qu'il partage avec
sa parentèle. Si le raisonnement est exact, les animaux, capables de connaître leur
degré de consanguinité, assurent l'expansion globale d'une partie de leurs gènes