Quanta et photons Imager dans la profondeur des tissus : lorsque l’acoustique se marie avec l’optique L’étude de la propagation de la lumière à travers les tissus biologiques constitue depuis quelques années un domaine de recherche en expansion rapide. L’attrait des méthodes optiques par rapport aux techniques existantes (IRM, radiographie, ultrasons, traceurs radioactifs) vient du fait qu’elles sont non ionisantes, non invasives, qu’elles permettent dans certains cas d’atteindre de hautes résolutions et qu’elles sont en général peu onéreuses. Nous détaillerons la méthode acousto-optique qui a pour but de révéler, malgré le fort niveau de diffusion de la lumière, des contrastes optiques dans la profondeur des tissus biologiques avec une résolution spatiale qui est celle de l’acoustique. u’elle soit morphologique ou fonctionnelle l’imagerie médicale offre aujourd’hui une très large panoplie d’approches capables de révéler des structures dans la profondeur des tissus biologiques. Nous avons tous vu dans les media les visages des enfants in utero grâce à l’échographie ultrasonore 3-D ou l’activation d’une zone du cerveau associée à un stimulus particulier par Imagerie de Résonance Magnétique (IRM). Ces deux méthodes sont largement complétées par l’imagerie X qui avec le scanner atteint des résolutions remarquables, l’imagerie nucléaire, l’imagerie par émission de positrons ou encore l’imagerie par magnétoencéphalographie ou par électroencéphalographie. Chacune de ces méthodes d’imagerie possède en outre un contraste qui lui est propre : par exemple les propriétés élastiques pour l’échographie ultrasonore ou la distribution spatiale des temps de relaxation pour l’IRM. Devant cette abondance de méthodes d’observation ou de diagnostic, que peut apporter une méthode qui utilise les longueurs d’onde optiques ? Le médecin utilise déjà l’observation visuelle pour examiner directement ou avec un endoscope toutes les zones accessibles du corps humain ; le chirurgien et surtout l’anatomopathologiste sont capables d’un diagnostic quasi définitif par la simple observation de Q Article proposé par : Juliette Selb, [email protected] Benoit Forget, [email protected] François Ramaz, [email protected] Claude Boccara, [email protected] Laboratoire d'optique physique, CNRS/ESPCI. 152 la couleur ou de la texture d’une tumeur. L’enjeu est donc aujourd’hui de réaliser, sans prélèvement ni secours de la chirurgie, une « biopsie optique » non invasive capable de révéler la distribution des propriétés optiques dans la profondeur des tissus : par exemple, pour une tumeur, la micro vascularisation qui sert à l’alimenter en oxygène va changer, par la présence de sang oxygéné, les propriété optiques à certaines longueurs d’onde spécifiques. La plupart des tissus biologiques possèdent une fenêtre spectrale de transparence (dite fenêtre thérapeutique) située entre le rouge et le proche infrarouge et utilisée pour faire pénétrer de la lumière dans ces milieux. La difficulté pour l’imagerie optique vient du fait que les tissus sont des milieux fortement diffusants pour les photons, et que l’organisation des structures responsables de cette diffusion est complexe (voir encadré 1). On peut imaginer sans difficulté quelques uns des chemins que peuvent suivre les photons émis par une source impulsionnelle et se propageant vers un détecteur en analysant l’intensité recueillie au cours du temps. Plusieurs classes de trajectoires sont alors présentes comme on peut le voir sur la figure 1 : les photons non diffusés ou « balistiques » se propagent en ligne droite dans le milieu supposé Quanta et photons Figure 1 - Les photons d’une impulsion (à gauche) qui traversent un milieu diffusant (au centre) peuvent, à leur sortie (à droite) se diviser en 3 classes : les photons non diffusés ou « balistiques », les photons « serpentiles » et les photons « diffusés ». homogène et atteignent le détecteur après un temps t0 = d/v où d est la distance source-détecteur et v la vitesse de l’onde dans le milieu. Leur nombre décroît de façon exponentielle avec l’épaisseur de tissu traversée. Les photons détectés ayant subi peu d’événements de diffusion ont une trajectoire qui s’écartera peu de la trajectoire balistique ; ils atteignent le détecteur après un temps un peu supérieur à t0. On parle ainsi de photons « serpentiles ». Enfin les photons « diffusés » constituent une partie d’autant plus importante de l’énergie propagée que le milieu traversé est fortement diffusant et faiblement absorbant : les trajectoires s’étendent par exemple sur quelques dizaines de cm pour les tissus du sein. Les approches expérimentales développées récemment par les physiciens tirent partie de ces différentes catégories de photons selon l’épaisseur traversée ou les méthodes utilisées. Après un bref rappel sur les techniques purement optiques, nous décrirons une nouvelle technique qui permet d’allier à la fois observation optique en profondeur et bonne résolution spatiale. L’approche la plus directe pour l’imagerie consiste bien sûr à ne sélectionner que les photons balistiques qui, en outre, permettent une résolution de l’ordre de la longueur d’onde utilisée. Pour obtenir cette sélection on peut faire appel à l’interférométrie à faible longueur de cohérence (OCT) décrite dans un précédent numéro des Images de la Encadré 1 Diffusion de la lumière dans les tissus : des échelles très différentes Dans un tissu biologique les structures que rencontre la lumière correspondent à des échelles spatiales variées comme on peut le voir sur la figure 1. La distance ls entre deux événements de diffusion est appelé libre parcours moyen de diffusion (figure 1). Sa valeur typique dans un tissus biologique est d’environ ls = 50 µm. Le flux de photons balistiques est amorti comme exp(−z/ls ) pour un parcours de longueur z. Les petites structures diffusent de façon quasi isotrope (régime de Rayleigh) alors que celles qui ont des tailles supérieures à quelques microns relèvent du régime de Mie, dans lequel la diffusion est dirigée vers l’avant, selon la direction du faisceau Figure 1 - A gauche : nature et dimension des principales structures diffusantes dans les tissus. A droite : le libre parcours moyen ls . incident. La section efficace de diffusion, dans le régime de Rayleigh, est proportionnelle au carré du volume du diffuseur : le poids des petites structures est donc faible et ce sont les cellules et leur noyau qui dominent dans les processus de diffusion. On observe donc que la diffusion par les tissus biologiques est très anisotrope avec une intensité lumineuse pointant fortement vers l’avant (figure 2). La longueur de diffusions l ∗ est la distance parcourue par le photon avant de perdre la mémoire de sa direction initiale (figure 2). Elle vaut l ∗ = ls /(1 − g). Pour un tissu biologique, on a typiquement ls = 50 µm, g = 0, 9 et l ∗ = 500 µm. Figure - A gauche : le coefficient d’anisotropie g est le cosinus moyen de l’angle de diffusion. La diffusion Rayleigh est isotrope, g = 0 . Dans le cas d’un tissu biologique, la diffusion est fortement vers l’avant : g = 0, 9 . A droite : visualisation de la longueur de diffusion l ∗ . 153 Physique (1999) ou aux microscopies confocale et multiphotonique (décrites dans ce volume). Cependant la profondeur de pénétration de ces méthodes est limitée à quelques centaines de microns par l’amortissement exponentiel des photons balistiques : avec un libre parcours moyen de l’ordre de 50 µm (voir encadré 1), le nombre de ces photons balistiques est réduit de exp(−20) après 1 mm de tissu traversé. L’utilisation de photons diffusés pour faire de l’imagerie permet en principe de tirer des informations de régions profondes des tissus, mais au détriment de la résolution spatiale. En éclairant les tissus avec une source continue, même si celle-ci est localisée, la taille de la « tache de diffusion » pour les photons diffusés émergents est voisine de la profondeur traversée ce qui est prohibitif. La difficulté pour obtenir une bonne résolution avec une source continue peut cependant être partiellement contournée en utilisant une source émettant des impulsions brèves. Dans ce cas l’utilisation d’une porte temporelle permet de sélectionner les premiers photons à émerger du milieu, c’est-à-dire ceux qui ont suivi une trajectoire quasi-balistique (photons « serpentiles »). Ces photons correspondent à des diffusions multiples préférentiellement orientées vers l’avant telles que celles dominant la diffusion dans les tissus biologiques (voir encadré 1). Chercher à faire de l’imagerie en régime de diffusion conduit à une résolution dans les images qui est voisine du tiers de la profondeur. Les résolutions obtenues jusqu’ici sont ainsi de l’ordre du centimètre à des profondeurs de l’ordre de 3 cm, ce qui correspond par exemple à la moitié de l’épaisseur d’un sein lors de la caractérisation des tumeurs. La difficulté vient du fait que la structure traversée est hétérogène, composée de couches d’épaisseurs non constantes et a priori inconnues ; il est difficile d’obtenir des images morphologiques précises des tissus de cette façon. Pour remédier à la résolution spatiale limitée des méthodes purement optiques, il est possible de marier des méthodes optiques et acoustiques. Couplage lumière-ultrasons Les principes physiques de ces méthodes font intervenir différentes formes de couplage entre un champ électromagnétique et un champ acoustique : leur but reste bien de révéler des contrastes optiques mais avec désormais une résolution qui est celle des ondes acoustiques (inférieure au mm). On peut par exemple utiliser l’effet photo-acoustique de la façon suivante : des impulsions infrarouges (quelques nanosecondes) sont envoyées dans l’échantillon, induisant un échauffement aux sites qui présentent de l’absorption. Cet échauffement engendre des déformations locales des zones absorbantes, qui deviennent alors sources d’ondes acoustiques. Cette approche révèle bien la distribution de l’absorption optique dans le milieu exploré. La difficulté vient ici de la mauvaise propagation des ultrasons de haute 154 fréquence dans les tissus et de la multitude des zones sources qui complique parfois l’inversion des mesures. Cependant, la possibilité d’observer avec cette technique l’activation cérébrale chez le rat anesthésié a été démontrée en 2003. La résolution atteinte, sous la boite crânienne, est inférieure au mm. Les méthodes acousto-optiques utilisent une idée plus indirecte : un faisceau laser traverse le tissu et l’on enregistre la distribution complexe d’intensité à la sortie de l’échantillon. Un transducteur ultrasonore est focalisé sur une petite région de tissu parcourue par la lumière et « agite » les diffuseurs présents à cet endroit produisant une modulation de la distribution de lumière émergente. Selon les propriétés d’absorption optique la modulation résultante est, comme nous le verrons, plus ou moins importante. Cette technique prometteuse a été mise au point dans notre laboratoire. Elle possède actuellement une résolution spatiale de l’ordre du mm dans les trois dimensions de l’espace à travers plusieurs cm de tissu. Origine physique du signal acousto-optique L’effet acousto-optique dans un milieu homogène, utilisé par exemple pour réaliser des modulateurs de lumière, est lié à la diffraction de la lumière par les ondes ultrasonores. Dans le cas de tissus diffusants, cet effet est un peu plus complexe : la lumière est injectée dans l’échantillon dans la « fenêtre thérapeutique » du proche infrarouge (longueur d’onde ∼ 750 à 1 000 nm, puissance de l’ordre de la centaine de mW). Du fait de la forte diffusion multiple, cette lumière remplit assez largement le volume de l’échantillon. La lumière utilisée est très monochromatique (diode laser monofréquence), de sorte qu’après toutes les diffusions sur les nombreux centres diffuseurs présents dans l’échantillon, les différentes ondelettes interfèrent lorsqu’elles finissent par s’échapper du tissu. L’interférence de ces ondelettes multiples, sortant « en désordre » de l’échantillon, donne naissance à une figure bien connue des utilisateurs de lasers et appelée « granularité laser », ou « speckle » (encadré 2). Outre le faisceau laser, un faisceau convergent d’ultrasons (fréquence 2,5 à 3,5 MHz , durée d’impulsion ∼1 µs ; longueur d’onde ∼ 0,5 mm), est focalisé dans l’échantillon (figure 2). Les ultrasons à cette longueur d’onde ne sont que très faiblement diffusés par les tissus biologiques et, contrairement à la lumière du laser, le faisceau d’ultrasons s’y propage donc sans perturbation appréciable. Par suite, dans tout le volume (∼ 1 mm3) de l’échantillon occupé à un instant donné par la brève impulsion ultrasonore, les centres qui diffusent la lumière laser oscillent à la fréquence des ultrasons : les ultrasons se propageant beaucoup moins vite que la lumière, nous pouvons légitimement utiliser cette image quasi statique. La longueur de chaque « chemin de diffusion » suivi par la lumière laser est donc modifiée à la fréquence de l’ultrason. De même la pression périodique associée au champ ultrasonore modifie périodiquement l’indice de Quanta et photons Encadré 2 Le Speckle Le terme anglais de speckle, plus fréquemment employé que le français tavelures, désigne une figure d’interférences aléatoires qui est observée lorsqu’un laser illumine un objet diffusant, en réflexion ou en transmission. Le mot speckle (littéralement « tachetures », « mouchetures ») provient de l’aspect granuleux de la figure d’intensité (voir figure). En réflexion par une surface rugueuse, une figure de speckle provient des interférences entre les ondelettes réfléchies par les multiples petites facettes qui constituent la surface de l’objet (voir figure). Le même phénomène apparaît en transmission à travers un milieu diffusant, comme c’est le cas dans nos expériences. Dans ce cas, le speckle provient des interférences entre toutes les ondelettes diffusées par les différents centres diffuseurs rencontrés. En un point d’interférences constructives (respectivement destructives), l’intensité est maximale (respectivement minimale). La distribution exacte d’intensité d’une figure de speckle est impossible à écrire, car il faudrait connaître parfaitement la géométrie de l’objet diffusant à l’échelle de la longueur d’onde. Mais il est possible de décrire ses propriétés statistiques, qui sont liées aux dimensions macroscopiques de l’objet. La taille moyenne d’un grain de speckle, appelée parfois aire de cohérence, est de 1, 22 λL/D , où D est le diamètre du faisceau émergent, et L la distance de l’objet diffusant au plan d’observation et λ la longueur d’onde du laser (voir figure). Dans un modèle d’optique scalaire, l’amplitude complexe A = aeiφ du champ en un point de coordonnées (x, y, z) est égale à la somme des amplitudes complexes de toutes les ondeN Ak (x, y, z). Les lettes interférant en ce point : A(x, y, z) = k=1 champs complexes Ak s’expriment également en fonction de leur amplitude réelle ak et de leur phase φk : Ak (x, y, z) = ak (x, y, z)eiφk (x,y,z) Cette somme peut se représenter comme une marche aléatoire dans le plan complexe, c’est-à-dire : (i) Pour chaque contribution Ak , les amplitudes réelles ak et les phases φk sont indépendantes. (ii) Les phases φk sont uniformément distribuées entre −π et π. On montre alors, en appliquant le théorème de la limite centrale, que les parties réelles et imaginaire du champ (respectivement a R = a cos φ et a I = a sin φ) obéissent à une même distribution gaussienne, de moyenne nulle : a 2R,I 1 P(a R,I ) = √ exp − 2σ 2 2πσ 2 Pour exprimer ensuite la distribution de probabilité de l’intensité, on cherche d’abord à exprimer celle de l’amplitude réelle. On peut raisonner dans le plan complexe : la probabilité d’avoir une amplitude a, c’est-à-dire la probabilité de se trouver dans la couronne située entre les rayons a et a+da, s’obtient à partir d’une intégrale sur la surface la couronne : P(a R )P(a I )d s P(a)d a = couronne a 2R 1 = exp − √ 2σ 2 couronne 2πσ 2 a 2I 1 d s ×√ exp − 2σ 2 2πσ 2 2 a a d a = 2 exp − σ 2σ 2 On en déduit la probabilité de l’intensité I, sachant que √ √ da I Pa ( I ) 1 exp − = = PI (I ) = Pa (a = I ) dI 2a 2σ 2 2σ 2 La distribution d’intensité d’une figure de speckle suit donc une loi exponentielle décroissante. Cela implique en particulier que la moyenne I¯ de l’intensité est égale à son écart-type σ I ( I¯ = σ I = 2σ 2 ) . Le contraste C d’une figure de speckle est donc unitaire : C= σI =1 I¯ Figure - A gauche : image caractéristique de speckle d’une surface rugueuse. A droite : géométrie d’observation d’une figure de speckle. Le diamètre du faisceau émergent est D et la distance de l’objet diffusant au plan d’observation de la figure de speckle est L. 155 Figure 2 - La modulation du speckle par les ultrasons peut être induite par le déplacement des diffuseurs ou par la variation locale d’indice induite par la pression acoustique. La zone cerclée de bleu foncé correspond au volume occupé par l’impulsion ultrasonore à un instant donné. réfraction. Il en résulte qu’en chaque point du speckle (c’està-dire de la figure d’interférences), l’intensité lumineuse est modulée à la fréquence de l’ultrason. Nous avons ainsi réussi à marquer les photons qui passent par la zone insonifiée à un instant donné par l’impulsion ultra-sonore. Lien avec les propriétés optiques locales L’origine physique du signal acousto-optique étant décrite, nous allons montrer à présent comment ce signal peut être utilisé pour révéler des propriétés optiques locales. Imaginons que les tissus perturbés par l’impulsion ultrasonore soient peu absorbants (il s’agit ici d’absorption optique) pour la lumière du laser. Alors la lumière dont le trajet de diffusion passe par cette zone insonifiée pourra poursuivre son chemin. La partie de cette lumière « marquée par les ultrasons » va émerger de l’échantillon et contribuer au speckle ainsi qu’à sa modulation. Imaginons au contraire que les tissus perturbés par l’impulsion soient absorbants pour la lumière du laser. Alors la lumière dont le trajet de diffusion passe par cette zone y est totalement absorbée et ne contribue donc pas au speckle et, a fortiori, à sa modulation. Quant à la lumière dont les trajets de diffusion ne passent pas par la zone occupée par l’impulsion ultrasonore (photons non marqués par les ultrasons) elle n’est pratiquement pas modulée. Dans ce cas, la modulation du speckle sera donc très faible. On voit sur cet exemple que plus l’absorption optique dans la zone insonifiée est forte, plus la modulation du speckle est faible. Par conséquent l’amplitude de la modulation du speckle dépend des propriétés optiques des tissus dans la zone où se propage le faisceau ultrasonore. 156 Comment obtient on des images à trois dimensions ? En premier lieu, la propagation spatiale de l’impulsion ultrasonore permet d’effectuer un balayage de l’échantillon suivant une ligne. En agissant ensuite sur la position de l’émetteur d’ultrasons nous déplaçons dans l’échantillon cette ligne définie par la propagation des ultrasons : en mesurant pour chaque position la grandeur correspondante de l’amplitude du speckle, nous dressons une carte tridimensionnelle liée aux propriétés optiques de l’échantillon (combinaison de l’absorption et de la diffusion) qui conditionne la grandeur de la modulation du speckle. Nous obtenons ainsi une image tridimensionnelle de contrastes optiques localisés à l’intérieur de l’échantillon. Détection parallèle du signal Le speckle est une figure d’interférences. Son intensité lumineuse en chaque point correspond donc à un certain « état d’interférence » : constructif aux points brillants, destructif aux points sombres, intermédiaire ailleurs. Aux points d’intensité maximale ou minimale, au premier ordre, l’intensité lumineuse est insensible à une petite variation de l’état d’interférence. Au contraire, aux points d’intensité égale à la moyenne du maximum et du minimum, la sensibilité à une petite variation de l’état d’interférence est maximale, mais le signe de cette sensibilité dépend de l’état d’interférence. Comment, dans ces conditions, mesurer l’amplitude de la modulation du speckle ? Si l’on collecte sur un photodétecteur un grain de speckle on détecte une modulation, et on peut en mesurer facilement l’amplitude. Mais ce signal est très petit et la portion de speckle ainsi favorisée n’est pas représentative des signaux Quanta et photons de modulation de l’ensemble du speckle : comme cela est expliqué dans l’encadré 2, dans un speckle, la distribution d’intensité lumineuse présente un écart-type égal à sa valeur moyenne ! Si au contraire on collecte sur le photodétecteur une région « appréciable » du speckle, alors cette région contient des points de sensibilité nulle, ainsi que des points de sensibilité maximale mais de signes opposés, si bien que le signal global de modulation sortant du photodétecteur est de nouveau très petit. Le moyen physique de surmonter cette difficulté réside dans un fait dont nous donnons maintenant une formulation très approximative mais clairement compréhensible (la formulation correcte, trop abstraite pour être utile ici, constitue le « théorème de Van Cittert-Zernicke ») : la figure de speckle est une mosaïque de zones d’égale superficie (l’« aire de cohérence ») qui, en moyenne, contiennent toutes la même information physique. Dans le principe, la méthode à adopter pour mesurer le mieux possible l’amplitude de la modulation du speckle consiste à collecter un nombre N aussi grand que possible d’aires de cohérence, c’est-à-dire N grains de speckle, sur N photodétecteurs différents : une aire de cohérence par photodétecteur. L’amplitude de modulation représentative de l’ensemble du speckle est alors donnée par la moyenne des N amplitudes de modulation vues par les N détecteurs. En pratique, nous prenons pour ces N photodétecteurs les pixels d’une caméra CCD. Cependant une caméra est un détecteur trop lent pour échantillonner des signaux à la fréquence des ultrasons. Pour mesurer simultanément et rapidement les N amplitudes, nous utilisons un procédé de « détection synchrone parallèle » basé sur un éclairage stroboscopique mis au point et breveté par notre laboratoire. Plusieurs ensembles de modulation et détection ont été utilisés depuis le début de ce travail : par exemple nous éclairons le milieux diffusant pendant un temps un peu inférieur à la durée de l’impulsion ultrasonore, ce qui fige le train d’onde acoustique à une profondeur donnée. Parallèlement nous modulons en amplitude le faisceau laser (c’est la stroboscopie) et prenons quatre images successives du speckle décalées d’une à quatre quadrature de phase par rapport à l’onde ultrasonore. De ces quatre images on déduit l’amplitude de modulation de chaque pixel, puis la sommation sur les N pixels de la caméra (N ∼ 105 à 106). Ce traitement conduit à la valeur moyenne, avec une incertitude typique égale à l’écart type pour un détecteur unique, divisé par √ N. Images acousto-optiques : vers un outil de diagnostic ? Depuis quelques années nous avons obtenu des images acousto-optiques de tissus biologiques ex-vivo. Il s’agissait d’organes stabilisés ou de pièces de boucherie que nous colorions artificiellement. Nous cherchons à explorer des tissus dont les propriétés optiques sont voisines de celles des tissus humains. La figure 3 est l’image d’une zone de poitrine de dinde injectée par un colorant. Figure 3 - Image acousto-optique d’une inclusion absorbante obtenue par injection de colorant dans du blanc de dinde : le signal est proportionnel au niveau de modulation du speckle. Les échelles sont en cm. Figure 4 - Image acousto-optique (à droite) d’un milieu diffusant contenant des inclusions absorbantes de 3 mm de diamètre. Le champ exploré est de 2,6 cm× 1,2 cm. Nous obtenons actuellement une résolution de l’ordre du mm3 comme on peut le voir sur le « fantôme » de gélatine diffusante qui a été coupé pour que l’on voit les inclusions absorbantes et le signal correspondant acousto-optique (figure 4). Conclusion Nous avons vu comment le couplage de l’optique et de l’acoustique nous a permis de contourner certaines des difficultés liées à l’imagerie optique des tissus en particulier en ce qui concerne la résolution spatiale. Le contraste optique, lié à l’absorption et à la diffusion de la lumière est différent du contraste ultrasonore. Il peut ainsi révéler une morphologie particulière mais aussi, à la différence des ultrasons, diverses fonctionnalités à travers les propriétés spectroscopiques des tissus comme l’oygènation de l’hémoglobine. En ce sens ce contraste rejoint celui de l’IRM, mais sans agents de contraste, avec une instrumentation beaucoup moins coûteuse et moins contraignante pour le patient. Que manque-il à cette méthode pour être utilisée in vivo. Il semble aujourd’hui que nous ayons atteint une résolution et une sensibilité aux variations de propriétés optiques suffisantes pour tenter de réaliser un instrument pour des essais cliniques. Un problème délicat reste cependant à résoudre : 157 le sang est lui-même un milieu diffusant et la circulation sanguine induit une rapide décorrélation (< 1 ms) du speckle ce qui brouillera le champ que recueille la caméra. Nous étudions plusieurs approches nous permettant de préserver sensibilité et résolution tout en allant suffisamment rapidement pour éviter les effets néfastes de la décorrélation de la figure de speckle. Ces approches consistent à acquérir les signaux à une échelle de temps inférieure au temps de décorrélation tout en utilisant un grand nombre de grains de speckle pour avoir un rapport signal sur bruit convenable : la première utilise l’holographie hétérodyne couplée à une camera rapide, la seconde tire partie de l’holographie à conjugaison de phase avec des matériaux photo réfractifs rapides capables de traiter en parallèle les signaux de milliards de grains de speckle. Ces études s’inscrivent dans le cadre du plan Cancer que nous menons en collaboration avec Michel Gross du Laboratoire Kastler Brossel, des chercheurs de l’Institut Curie et de l’Institut Gustave Roussy. Pour en savoir plus Sur la physique de l’interaction acousto-optique : LEUTZ (W.), MARET (G.) Physica B 204, 14 (1995). KEMPE (M.), LARIONOV (M.), ZASLAVSKI (D.), GENACK (A.Z.), J. Opt. Soc. Am. A 14, 1151 (1997). WANG (L.H.), Phys. Rev. Lett. 87, 043903-1 (2001) Sur l’imagerie optique des tissus et les approches expérimentales : LÉVÊQUE (S.), BOCCARA (A.C.), LEBEC (M.), ST-JALMES (H.), Opt. Lett. 24, 181 (1999). YAO (G.), JIAO (S.-L.), WANG (L.H.), Opt. Lett. 25, 734 (2000). FORGET (B.C.), RAMAZ (F.), ATLAN (M.), SELB (J.), BOCCARA (A.C.), Appl. Opt. 42, 1379 (2003). LEV (A.), SFEZ (B.G.), J. Opt. Soc. Am. 20, 2347 (2003). LEV (A.), SFEZ (B.G.), Opt. Lett. 28, 1549 (2003). 158