V I E P R O F E S S I O N N E L L E De l’influence de la condition féminine sur la pratique médicale en général et pneumologique en particulier Being a woman has it an influence in general and pneumologic practice ? ! P. Villanueva* ans tous les pays à mode de vie occidental, on assiste à une féminisation de la profession médicale. On peut citer l’exemple de la Grande-Bretagne, où les femmes représentent 30 % de l’ensemble des généralistes, mais 60 % des nouveaux installés (1), ou celui du Canada, où les diplômes de fin d’études médicales étaient attribués à 6 % de femmes en 1959 et à 44 % en 1989. Elles exercent davantage en groupe ou à des postes salariés, et plutôt en zone urbaine (2). Même dans les pays à PIB moins élevé, les chiffres évoluent : au Mexique, la proportion de femmes s’inscrivant pour la première fois à l’université de médecine est passée de 11 % en 1970 à 50 % en 1998, et on compte jusqu’à 30 % de femmes en fin d’études (3). Cette féminisation concerne la médecine générale et toutes les spécialités, mais il faut probablement nuancer le propos selon les spécialités : en Norvège, par exemple, la population médicale a été étudiée en comparant deux cohortes des années 1970-1973 et 1980-1983. La sous-spécialisation féminine qui existait dans les années 1970 disparaît, les femmes accédant à un champ beaucoup plus large de spécialités et à un plus haut degré de spécialisation, mais, alors qu’elles sont majoritaires dans certains domaines comme la pédiatrie ou la gynécologie et l’obstétrique, elles restent encore minoritaires dans d’autres domaines, en chirurgie par exemple (4). Les auteurs qui publient sur ce sujet, et on peut raisonnablement supposer qu’ils sont majoritairement de sexe masculin, s’inquiètent à propos des répercussions de cette évolution : ce n’est pas le cas dans toutes les spécialités, mais, le plus souvent, les femmes, en raison de leur vie de famille, assurent un nombre moins important d’heures de travail hebdomadaires. Une étude américaine réalisée entre 1982 et 1986 chez 667 médecins indique un taux de travail à plein temps chez 99,4 % des hommes et 84 % des femmes, ce plein temps comprenant en moyenne 63 heures hebdomadaires pour les hommes contre 57 pour les femmes (5). Il est probable que ces données sont effectivement à prendre en compte dans le calcul prévisionnel de la démographie médicale, ce qui amène à réfléchir sur la nécessité d’augmenter le nombre D * Cabinet médico-chirurgical Saint-Augustin, Bordeaux. La Lettre du Pneumologue - Volume VI - no 1 - janv.-févr. 2003 de praticiens à former dans les années à venir (6). On peut cependant, sur ce thème, noter une tendance à l’homogénéisation au cours des vingt dernières années (7). Surtout, il semble que la pratique médicale, dans nombre de ses aspects, soit différente selon que le praticien est un homme ou un femme, et cette féminisation croissante peut donc induire, à l’avenir, des différences dans la pratique des soins. Illustrons ce propos par quelques exemples : les femmes affirment ellesmêmes subjectivement, lorsqu’elles sont interrogées globalement sur leur exercice, par exemple en rhumatologie, que leur sexe influence le choix de leur spécialité mais aussi leur pratique (8). Plus précisément, en obstétrique, pour une même parturiente, un praticien de sexe masculin réalisera plus souvent une césarienne que ses collègues femmes, le sexe étant le seul facteur montrant une influence sur les différences d’indication de césarienne dans une analyse multivariée (9), et sa conduite n’est pas la même pour gérer la crise psychologique familiale créée par l’arrivée d’un enfant mort-né : il est le seul à avoir la notion d’un âge minimal à partir duquel on peut montrer cet enfant aux frères et aux sœurs, et prescrit plus souvent des anxiolytiques aux parents (10). Les femmes prescrivent en général davantage d’examens complémentaires, par exemple 40 % de plus d’imageries à des patients ambulatoires, les autres facteurs d’influence étant l’âge du patient, la fréquence des consultations et le fait que celles-ci se font en urgence (11). Quelles sont les spécificités de la pneumologie dans ce domaine ? On peut tout d’abord souligner l’importance majeure, dans cette spécialité, de la nécessité de continuité du soin, du fait de la fréquence élevée d’affections aiguës mettant potentiellement en jeu le pronostic vital, comme la crise d’asthme sévère, l’embolie pulmonaire, le pneumothorax... Il n’est donc pas évident que les femmes pneumologues travaillent un nombre d’heures hebdomadaires inférieur à celui de leurs collègues masculins, et ce fait constituera peut-être un des obstacles majeurs à une féminisation aussi flagrante que dans d’autres spécialités. J.P. L’Huillier cite d’ailleurs, dans son étude de la démographie pneumologique française (12), une féminisation de 27,8 %, contre 35,4 % en moyenne pour l’ensemble des spécialités. 5 V I E P R O F E S S Ce taux n’est plus que de 18,1 % en pneumologie libérale. Il faut souligner que la disponibilité requise est également augmentée par l’angoisse que crée en général la perspective de la découverte d’une pathologie respiratoire chez le patient (souvent aussi chez son généraliste), ce qui amène fréquemment à prendre en charge, dans des délais très brefs, des cas qui ne sont pas véritablement urgents médicalement, pour des raisons purement psychologiques. Pendant l’acte médical, les femmes accordent souvent un temps d’écoute supérieur au patient, ont une meilleure connaissance des recommandations de médecine préventive et les appliquent davantage (13). Le temps de consultation pour une même pathologie en pédiatrie est plus long de 29 % ; les femmes communiquent davantage pendant l’examen physique, partagent plus l’information avec l’enfant, l’encouragent et le rassurent davantage, abordent davantage les problèmes sociaux. Les enfants sont plus satisfaits quand le médecin a le même sexe qu’eux, et les parents quand le médecin est une femme (14). Quelques généralistes femmes voient jusqu’à 85 % de femmes. Leurs patientes déclarent, dans des interviews, que leurs médecins femmes réunissent des qualités masculines et féminines dans l’exercice médical, telles que l’assurance et le sens de l’initiative, mais aussi l’aptitude à leur manifester de l’affection (15). En pneumologie, ces constatations semblent particulièrement importantes pour des pathologies telles que l’asthme, qui nécessite écoute et prévention, la consultation initiale pouvant être la première approche d’un acte d’éducation, ou telles que le cancer bronchique ou les BPCO, pathologies pour lesquelles il faut dispenser le soin au patient dans un climat d’empathie, avec un conseil de prévention quant à la pratique tabagique, mais sans culpabilisation excessive. Notre propos n’est, bien entendu, pas de prétendre à une revendication féminine exclusive de ces qualités ! En fait, certaines autres enquêtes voient disparaître la différence en fonction du sexe pour des critères comme la qualité de l’accessibilité du praticien, de la performance technique, de la relation médecin-malade, de l’information reçue, de l’organisation générale du soin, au profit d’une différence qui n’apparaît plus qu’en fonction de l’ancienneté de la pratique : le patient est plus satisfait quand le praticien exerce depuis moins de 10 ans (16). Il semble également que le sexe du patient soit un facteur d’influence peut-être aussi important que celui du praticien dans la décision médicale, et l’influence d’un sexe plutôt masculin chez les malades de pneumologie est mal évaluée. Les médecins qui s’occupent de femmes s’occupent davantage de leur patientes, leur accordent plus d’attention et de chaleur, plus d’information médicale et de conseils (17). Pour des patients présentant des pathologies équivalentes, le médecin prescrit 3,6 fois plus souvent une restriction d’activité à une patiente qu’à un patient et jusqu’à 4 fois plus si le médecin est un homme, même après avoir ajusté le facteur comportement, plus expressif chez la femme dans la présentation de ses symptômes (18). Certaines études font état de séjours hospitaliers plus prolongés chez les femmes, même en tenant compte du fait qu’elles sont plus souvent veuves, l’absence de conjoint retardant classiquement la sortie de l’hospitalisation. Ces séjours sont aussi, en moyenne, “moins technologiques”, nécessitant moins de soins 6 I O N N E L L E infirmiers et moins de séjours en réanimation (19). Les femmes sont plus consommatrices de soins : en moyenne 3,8 consultations par an, contre 3 pour les hommes, et un médicament au moins prescrit dans l’année en 1974 chez 66 % des femmes, contre 54 % des hommes (15). On ne dispose pas d’enquête d’opinion faisant état de la satisfaction des pneumologues femmes à propos de l’exercice de leur spécialité. D’une façon générale, dans d’autres spécialités, les femmes obtiennent, à résultats équivalents au cours de leurs études, des postes de moindre responsabilité, et une moins forte rémunération, même pour des postes équivalents et hautement qualifiés comme ceux de chirurgien plasticien (20) ou de chirurgien cardiothoracique (21). Elles se plaignent beaucoup plus souvent que les hommes d’une discrimination ou d’un harcèlement importants à tous les stades de leur carrière. Le sexe reste le meilleur indicateur de revenus, bien avant la spécialité ou le nombre d’heures de travail (22). En dépit de tout cela, elles déclarent pourtant souvent un même niveau de satisfaction que leurs collègues masculins à propos de leur cursus médical (21), même si elles estiment que leur progression est beaucoup plus aléatoire, et sans rapport avec la qualité de leurs résultats. Dans certaines enquêtes, elles peuvent, par exemple en radiologie, exprimer une satisfaction moins importante, une impression d’exercer un moins bon contrôle sur leur travail et le sentiment d’être plus débordées (23). Elles se plaignent davantage du stress généré par l’exercice professionnel (24), ou, souvent, plutôt d’un stress différent : responsabilité inhérente à leur rôle de médecin, et pression supplémentaire des obligations familiales, alors que leurs collègues masculins se disent plus stressés par leurs relations avec les patients, leur incapacité à les guérir, le risque d’une mauvaise pratique (25). Elles expriment plus d’insatisfaction quant au temps qu’elles peuvent consacrer à leur patient, et aux possibilités d’actualiser leurs connaissances médicales (26). De plus, elles peuvent se référer à moins de modèles/mentors dans une vieille institution encore très masculine (24). Les hommes disent parvenir plus souvent à mettre en application leurs préférences. Ce n’est pas le cas des femmes généralistes, surtout si elles travaillent à plein temps, déclarant alors souvent vouloir changer de mode d’exercice (27). D’une façon générale, les souhaits personnels quant au mode d’exercice sont très variés ; il faut probablement abandonner les profils traditionnels et proposer des carrières flexibles en fonction de l’âge, des préférences professionnelles et des impératifs domestiques, dans une approche où l’élément “travail” n’est plus aussi central qu’autrefois. En pneumologie, les femmes restent sous-représentées, comme elles peuvent l’être en chirurgie par exemple. Cette tendance persistera peut-être à l’avenir en raison de certaines caractéristiques propres à cette spécialité, pourtant abordée de façon très adaptée par les femmes, mais qui les sou" met à des contraintes difficiles à assumer. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Brooks F. Women in general practice : responding to the sexual division of labour ? Soc Sci Med 1998 ; 47 (2) : 181-93. 2. Williams AP, Pierre KD, Vayda E. Women in medicine : toward a conceptual understanding of the potential for change. J Am Med Women’s Assoc 1993 ; 48 (4) : 115-21. La Lettre du Pneumologue - Volume VI - no 1 - janv.-févr. 2003 3. Knaul F, Frenk J, Aguilar AM. The gender composition of the medical profession in Mexico : implications for employment patterns and physician labor supply. J Am Med Women’s Assoc 2000 ; 55 (1) : 32-5. 4. Gjerberg E. Medical women – towards full integration ? An analysis of the specialty choices made by two cohorts of Norwegian doctors. 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