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La Lettre du Rhumatologue - n° 255 - octobre 1999
a pyomyosite (PyM) est une infection rare limitée aux
muscles squelettiques qui a été initialement rapportée sous
la forme d’une maladie endémique dans les régions tro-
picales (1, 2). Dans les régions tempérées, la pyomyosite a été
essentiellement observée chez les patients immunodéprimés,
en particulier chez ceux atteints du sida, mais aussi chez des
patients traités de façon prolongée par des corticoïdes ou atteints
d’un diabète, beaucoup plus rarement chez des patients immu-
nocompétents (2, 3, 4).
OBSERVATION
Une femme de 32 ans a consulté pour une douleur croissante
de la cuisse droite. Elle avait alors une maladie lupique évo-
luant depuis seize ans avec des épisodes préalables d’atteinte
rénale. Sa maladie était bien contrôlée depuis au moins un an
sous deux comprimés par jour de Plaquenil
®
et 7,5 mg par jour
de Cortancyl
®
.
Lors de la consultation, la patiente signalait un léger trauma-
tisme direct de la cuisse s’étant produit quelques jours aupara-
vant. L’examen clinique était sans particularité en dehors d’une
légère sensibilité à la palpation de la face antérieure de la cuisse
droite. L’échographie de la région montrait une discrète col-
lection liquidienne qui était interprétée comme étant un héma-
tome. Huit jours plus tard, la patiente était hospitalisée car la
douleur s’était aggravée, rendant la palpation presque impos-
sible ; la cuisse était gonflée, sans adénopathie satellite et sans
érythème. La patiente restait apyrétique. On notait une hyper-
leucocytose à 12 400/mm
3
,une VS à 124 mm à la première
heure et une CRP à 120 mg/l. Les radiographies du bassin et de
la cuisse étaient normales. L’IRM révélait alors une masse poly-
lobée dans le muscle quadriceps occupant les deux tiers de la
cuisse droite. Le signal de cette masse était discrètement aug-
menté sur les séquences pondérées en T1, alors qu’il était très
augmenté sur les séquences pondérées en T2, de même que la
peau, les fascias et le tissu sous-cutané adjacent. L’injection de
gadolinium en T1 montrait des zones de bas signal, entourées
par des zones de signal rehaussé. L’os fémoral était normal.
Le diagnostic de pyomyosite était alors retenu et une aspiration
à l’aiguille de la masse sous scanner ramenait du pus, dont l’exa-
men bactériologique direct montrait des cocci à Gram positif
en amas évoquant un staphylocoque, ce qui fut confirmé par
les cultures. Vingt-quatre heures après sa deuxième admission,
l’état général de la patiente s’était aggravé rapidement, avec une
fièvre dépassant 39 °C. Une évacuation chirurgicale de la masse
était alors réalisée, libérant 1,5 litre de liquide purulent. Une
antibiothérapie adaptée fut ensuite introduite et maintenue pen-
dant trois semaines, permettant une guérison complète de cette
pyomyosite.
DISCUSSION
La pyomyosite (PyM) atteint habituellement les muscles larges
tels que l’ilio-psoas, le grand pectoral et le deltoïde (2). Des
localisations multiples ont été rarement rapportées (2). Le Sta-
phylococcus aureus représente 90 % des germes impliqués dans
ces infections (2).
Le diagnostic précoce d’une PyM, comme chez notre patiente,
peut être particulièrement difficile. En effet, au début, la dou-
leur est modérée, la peau sus -jacente peut être normale, la fièvre
peut être modeste ou absente et l’hyperleucocytose est incons-
tante. La vitesse de sédimentation est souvent élevée, mais les
hémocultures sont stériles et les radiographies restent normales.
Lorsque, secondairement, la phase suppurative apparaît, la pré-
sentation clinique reste trompeuse car il s’agit d’abcès profonds,
sans fluctuation palpable. Des examens complémentaires fiables
sont rapidement nécessaires quand le diagnostic est suspecté.
L’échographie peut être utile, car permettant de suspecter des
abcès (5) qui apparaissent sous la forme de zones hypoécho-
gènes, mais elle manque de sensibilité dans les formes précoces.
Le scanner, voire la scintigraphie au gallium, peuvent égale-
ment rendre service en orientant vers une infection profonde (4,
5). Néanmoins, le meilleur examen diagnostique de la PyM est
l’IRM (6, 7). Gordon et coll. ont récemment conduit à une
revue des aspects IRM des PyM bactériennes (6). Il s’agit habi-
tuellement de lésions uniques ou multiples, limitées aux
muscles, caractérisées par une discrète augmentation de signal
sur les images pondérées en T1, un anneau d’hypersignal sur
les séquences T1-gadolinium, et une augmentation diffuse de
l’intensité du signal avec un anneau hypo-intense sur les
séquences pondérées en T2 (figures 1, 2, 3). Comme chez notre
patiente, la cellulite associée est marquée (8). Elle est considé-
rée par Gordon et coll. comme l’aspect le plus utile pour dis-
CAS CLINIQUE
Une cuisse douloureuse
chez une patiente lupique
L
!
P. Claudepierre*, J. Allain**
*Service de rhumatologie ** Service de chirurgie orthopédique,
hôpital Henri-Mondor, Créteil.
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tinguer une PyM des autres lésions bénignes ou malignes des
tissus mous (6). Cependant, il n’a pas été retrouvé de cellulite
dans une précédente observation de PyM chez un patient atteint
du sida (9),et il faut aussi noter que des anomalies du tissu sous-
cutané peuvent également être observées dans les lymphomes
à localisation musculaire (10). L’IRM s’avère également très
utile plus tardivement, comme chez notre patiente, pour aider
le chirurgien à faire le bilan loco-régional de la lésion, avant de
décider de l’incision et du drainage. Elle permet en outre de
déceler d’éventuelles zones de tissus mous nécrosés dont l’exé-
rèse serait nécessaire (8).
Le muscle squelettique est habituellement “résistant” à la greffe
bactérienne par voie générale et c’est pourquoi la physiopa-
thogénie de la PyM reste partiellement inexpliquée. Différents
degrés d’immunodépression peuvent rendre le muscle plus sus-
ceptible à l’infection par des bactéries, lors d’une bactériémie
transitoire (11). Un traumatisme local touchant le muscle consti-
tue un autre facteur de risque de PyM. Chez notre patiente, c’est
à la fois l’immunosuppression (corticoïdes et lupus) et un trau-
matisme local qui peuvent avoir favorisé la PyM.
Le diagnostic de PyM doit être envisagé devant toute douleur
inexpliquée des parties molles, en particulier proximales, sur-
tout chez un patient immunodéficient. L’IRM est alors l’exa-
men diagnostique de choix. Le traitement, habituellement
médico-chirurgical (antibiothérapie et drainage chirurgical),
doit être le plus précoce possible, car en cas de retard théra-
peutique, l’évolution peut être fatale, en particulier chez les
immuno-déprimés.
"
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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La Lettre du Rhumatologue - n° 255 - octobre 1999
CAS CLINIQUE
Figure 1. IRM des cuisses, coupe transversale, pondérée en T2. La masse
musculaire multiloculaire est clairement visible sous la forme de zones en
hypersignal entourées de zones de plus bas signal.
Figure 2. IRM des cuisses, coupe transversale, pondérée en T1 après injec-
tion de gadolinium. La masse quadricipitale infectée apparaît sous la forme
de zones de bas signal entourées de zones d’hypersignal (rehaussement).
Figure 3. IRM des cuisses, coupe sagittale, pondération en T1 après injec-
tion de gadolinium. Présence d’une masse occupant les deux tiers de la
cuisse consistant en une zone d’hyposignal comprenant des zones de signal
plus hétérogène et entourées d’un anneau d’hypersignal.
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