C A S C L I N I Q U E Une cuisse douloureuse chez une patiente lupique ! P. Claudepierre*, J. Allain** L a pyomyosite (PyM) est une infection rare limitée aux muscles squelettiques qui a été initialement rapportée sous la forme d’une maladie endémique dans les régions tropicales (1, 2). Dans les régions tempérées, la pyomyosite a été essentiellement observée chez les patients immunodéprimés, en particulier chez ceux atteints du sida, mais aussi chez des patients traités de façon prolongée par des corticoïdes ou atteints d’un diabète, beaucoup plus rarement chez des patients immunocompétents (2, 3, 4). men bactériologique direct montrait des cocci à Gram positif en amas évoquant un staphylocoque, ce qui fut confirmé par les cultures. Vingt-quatre heures après sa deuxième admission, l’état général de la patiente s’était aggravé rapidement, avec une fièvre dépassant 39 °C. Une évacuation chirurgicale de la masse était alors réalisée, libérant 1,5 litre de liquide purulent. Une antibiothérapie adaptée fut ensuite introduite et maintenue pendant trois semaines, permettant une guérison complète de cette pyomyosite. OBSERVATION DISCUSSION Une femme de 32 ans a consulté pour une douleur croissante de la cuisse droite. Elle avait alors une maladie lupique évoluant depuis seize ans avec des épisodes préalables d’atteinte rénale. Sa maladie était bien contrôlée depuis au moins un an sous deux comprimés par jour de Plaquenil® et 7,5 mg par jour de Cortancyl®. Lors de la consultation, la patiente signalait un léger traumatisme direct de la cuisse s’étant produit quelques jours auparavant. L’examen clinique était sans particularité en dehors d’une légère sensibilité à la palpation de la face antérieure de la cuisse droite. L’échographie de la région montrait une discrète collection liquidienne qui était interprétée comme étant un hématome. Huit jours plus tard, la patiente était hospitalisée car la douleur s’était aggravée, rendant la palpation presque impossible ; la cuisse était gonflée, sans adénopathie satellite et sans érythème. La patiente restait apyrétique. On notait une hyperleucocytose à 12 400/mm3, une VS à 124 mm à la première heure et une CRP à 120 mg/l. Les radiographies du bassin et de la cuisse étaient normales. L’IRM révélait alors une masse polylobée dans le muscle quadriceps occupant les deux tiers de la cuisse droite. Le signal de cette masse était discrètement augmenté sur les séquences pondérées en T1, alors qu’il était très augmenté sur les séquences pondérées en T2, de même que la peau, les fascias et le tissu sous-cutané adjacent. L’injection de gadolinium en T1 montrait des zones de bas signal, entourées par des zones de signal rehaussé. L’os fémoral était normal. Le diagnostic de pyomyosite était alors retenu et une aspiration à l’aiguille de la masse sous scanner ramenait du pus, dont l’exa- La pyomyosite (PyM) atteint habituellement les muscles larges tels que l’ilio-psoas, le grand pectoral et le deltoïde (2). Des localisations multiples ont été rarement rapportées (2). Le Staphylococcus aureus représente 90 % des germes impliqués dans ces infections (2). Le diagnostic précoce d’une PyM, comme chez notre patiente, peut être particulièrement difficile. En effet, au début, la douleur est modérée, la peau sus -jacente peut être normale, la fièvre peut être modeste ou absente et l’hyperleucocytose est inconstante. La vitesse de sédimentation est souvent élevée, mais les hémocultures sont stériles et les radiographies restent normales. Lorsque, secondairement, la phase suppurative apparaît, la présentation clinique reste trompeuse car il s’agit d’abcès profonds, sans fluctuation palpable. Des examens complémentaires fiables sont rapidement nécessaires quand le diagnostic est suspecté. L’échographie peut être utile, car permettant de suspecter des abcès (5) qui apparaissent sous la forme de zones hypoéchogènes, mais elle manque de sensibilité dans les formes précoces. Le scanner, voire la scintigraphie au gallium, peuvent également rendre service en orientant vers une infection profonde (4, 5). Néanmoins, le meilleur examen diagnostique de la PyM est l’IRM (6, 7). Gordon et coll. ont récemment conduit à une revue des aspects IRM des PyM bactériennes (6). Il s’agit habituellement de lésions uniques ou multiples, limitées aux muscles, caractérisées par une discrète augmentation de signal sur les images pondérées en T1, un anneau d’hypersignal sur les séquences T1-gadolinium, et une augmentation diffuse de l’intensité du signal avec un anneau hypo-intense sur les séquences pondérées en T2 (figures 1, 2, 3). Comme chez notre patiente, la cellulite associée est marquée (8). Elle est considérée par Gordon et coll. comme l’aspect le plus utile pour dis- * Service de rhumatologie hôpital Henri-Mondor, Créteil. 34 ** Service de chirurgie orthopédique, La Lettre du Rhumatologue - n° 255 - octobre 1999 C A S C L I N I Q U E tinguer une PyM des autres lésions bénignes ou malignes des tissus mous (6). Cependant, il n’a pas été retrouvé de cellulite dans une précédente observation de PyM chez un patient atteint du sida (9), et il faut aussi noter que des anomalies du tissu souscutané peuvent également être observées dans les lymphomes à localisation musculaire (10). L’IRM s’avère également très utile plus tardivement, comme chez notre patiente, pour aider le chirurgien à faire le bilan loco-régional de la lésion, avant de décider de l’incision et du drainage. Elle permet en outre de déceler d’éventuelles zones de tissus mous nécrosés dont l’exérèse serait nécessaire (8). Figure 3. IRM des cuisses, coupe sagittale, pondération en T1 après injection de gadolinium. Présence d’une masse occupant les deux tiers de la cuisse consistant en une zone d’hyposignal comprenant des zones de signal plus hétérogène et entourées d’un anneau d’hypersignal. Figure 1. IRM des cuisses, coupe transversale, pondérée en T2. La masse musculaire multiloculaire est clairement visible sous la forme de zones en hypersignal entourées de zones de plus bas signal. tout chez un patient immunodéficient. L’IRM est alors l’examen diagnostique de choix. Le traitement, habituellement médico-chirurgical (antibiothérapie et drainage chirurgical), doit être le plus précoce possible, car en cas de retard thérapeutique, l’évolution peut être fatale, en particulier chez les immuno-déprimés. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Levin M., Gardner P., Waldvogel F. Tropical pyomyositis : an unusual infection due to Staphylococcus aureus. N Engl J Med 1971 ; 284 : 196-8. 2. Chiedozi L.C. Pyomyositis : review of 205 cases in 112 patients. Am J Surg 1979 ; 137 : 255-9. 3. Widrow C.A., Kellie S.M., Saltzam B.R., Mathur-Wagh U. Pyomyositis in patients with the human immunodeficiency virus : an unusual form of disseminated bacterial infection. Am J Med 1991 ; 91 : 129-36. Figure 2. IRM des cuisses, coupe transversale, pondérée en T1 après injection de gadolinium. La masse quadricipitale infectée apparaît sous la forme de zones de bas signal entourées de zones d’hypersignal (rehaussement). Le muscle squelettique est habituellement “résistant” à la greffe bactérienne par voie générale et c’est pourquoi la physiopathogénie de la PyM reste partiellement inexpliquée. Différents degrés d’immunodépression peuvent rendre le muscle plus susceptible à l’infection par des bactéries, lors d’une bactériémie transitoire (11). Un traumatisme local touchant le muscle constitue un autre facteur de risque de PyM. Chez notre patiente, c’est à la fois l’immunosuppression (corticoïdes et lupus) et un traumatisme local qui peuvent avoir favorisé la PyM. Le diagnostic de PyM doit être envisagé devant toute douleur inexpliquée des parties molles, en particulier proximales, surLa Lettre du Rhumatologue - n° 255 - octobre 1999 4. Falasca G.F., Reginato A.J. The spectrum of myositis and rhabdomyolysis associated with bacterial infection. J Rheumatol 1994 ; 21 : 1932-7. 5. Youzefzadeh D.K., Schumann E.M., Mulligan G.M. et coll. The role of imaging modalities in diagnosis and management of pyomyositis. Skeletal Radiology 1989 ; 8 : 285-9. 6. Gordon B.A., Martinez S., Collins A.J. Pyomyositis : characteristics at CT and MR imaging. Radiology 1995 ; 197 : 279-86. 7. Applegate G.R., Cohen A.J. Pyomyositis : early detection utilizing multiple imaging modalities. Magnetic Resonance Imaging 1991 ; 9 : 187-93. 8. Rahmouni A., Chosidow O., Mathieu D. et coll. MR imaging in acute infectious cellulitis. Radiology 1994 ; 192 : 493-6. 9. Fleckenstein J., Burns D., Murphy F., Bonte F. Differential diagnosis of bacterial myositis in AIDS : evaluation with MR imaging. Radiology 1991 ; 179 : 653-8. 10. Chevalier X., Amoura Z., Viard J.P. et coll. Skeletal muscle lymphoma in patients with AIDS : a diagnosis challenge. Arthritis Rheum 1993 ; 36 : 426-7. 35