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Cancer
les cellules normales, de contrôler la prolifé-
ration et d’induire, en temps voulu, la mort pro-
grammée de la cellule (encore appelée apoptose).
Dans un nombre important de tumeurs, ce gène
est anormal, et les cellules tumorales ne sont plus
capables de contrôler leur prolifération anar-
chique. La réintroduction du gène peut donc per-
mettre un arrêt de ce phénomène et la mort des
cellules tumorales. Des premiers résultats encou-
rageants chez l’homme ont récemment été rap-
portés par le Dr Roth (M.D. Anderson, Houston)
dans le cancer du poumon. A l’inverse, il est pos-
sible d’introduire dans les cellules un gène qui va
contrecarrer les effets néfastes d’un gène anormal :
c’est l’utilisation de gènes “antisens”. Ces gènes
vont donc venir annuler les effets délétères du
gène anormal. Comme on le voit, les approches
théoriques sont nombreuses. Cependant, la théo-
rie se heurte à un problème pratique : comment
amener le gène exclusivement aux cellules visées
(ou cellules cibles) ?
Quels vecteurs utiliser ?
Le problème de la thérapie génique consiste à dé-
livrer aux cellules cibles le gène thérapeutique en-
visagé. En pratique, cela nécessite l’utilisation de
vecteurs, capables de transporter le gène dans la
cellule et de lui permettre de s’intégrer dans le ca-
pital génétique de la cellule. Actuellement, deux
types d’approches sont développées : les vecteurs
viraux et les vecteurs chimiques non viraux. Les
vecteurs viraux comprennent deux types de virus
qui peuvent être utilisés : des virus à ARN et des
virus à ADN.
•Les rétrovirus ont été les premiers utilisés. D’uti-
lisation simple, ces virus sont composés d’un brin
d’ARN entouré de deux “boîtiers de commande”
permettant d’en contrôler la prolifération. Ils ne
peuvent s’incorporer que dans des cellules se mul-
tipliant rapidement, ce qui est le cas des cellules
tumorales. Par contre, ces virus nécessitent une
“copie ADN” pour pouvoir s’insérer dans le gé-
nome de la cellule, ce qui rend cette insertion plus
aléatoire. Utilisés les premiers en thérapie génique,
ils sont actuellement en partie abandonnés au pro-
fit des virus à ADN.
•Les adénovirus sont actuellement les vecteurs de
choix pour la thérapie génique en cancérologie. En
effet, ces virus à ADN infectent facilement un
grand nombre de cellules humaines. Des adénovi-
rus défectifs, ayant perdu une partie de leur gé-
nome, et notamment leur capacité à se multiplier
et à être pathogènes, peuvent être fabriqués. En
remplaçant les régions du génome ainsi délétées
par le gène que l’on souhaite transférer, on obtient
des adénovirus recombinants très efficaces. Par
contre, les adénovirus étant des hôtes fréquents
chez l’homme, notamment au cours des infections
respiratoires, le risque théorique d’une rencontre
entre un adénovirus “sauvage” et un adénovirus
recombinant, c’est-à-dire porteur d’un gène théra-
peutique, existe. Bien que cette hypothèse n’ait ja-
mais été prouvée, leur utilisation nécessite des
précautions très importantes pour isoler le malade
traité et son environnement (personnel médical,
famille...). Ces contraintes limitent encore leur uti-
lisation à des centres équipés d’unités spécialisées,
capables d’assurer un isolement sans faille. Il est
néanmoins probable que, l’expérience et les résul-
tats des premiers essais cliniques aidant, ces condi-
tions d’isolement très sévères pourront être allé-
gées. D’autres virus sont actuellement en cours
d’évaluation, mais leur capacité de transfert de
gène est inférieure à celle des adénovirus.
En ce qui concerne les vecteurs non viraux, beau-
coup d’équipes essaient de les utiliser pour s’af-
franchir des risques liés à l’utilisation des vecteurs
viraux. Ces vecteurs chimiques non viraux sont des
lipides, des protéines, etc. Cependant, le pourcen-
tage de cellules “infectées” par ces vecteurs reste
très faible, et leur développement en thérapeutique
passe par une amélioration de ce transfert de gène.
Florence Sebaoun
D’après une communication du Dr Bernard Escudier, chef de l’unité
d’immunothérapie de l’Institut Gustave-Roussy (Villejuif, 94).
Problèmes éthiques et risques théoriques
Sur le plan éthique, le développement du génie génétique néces-
site un contrôle rigoureux par les comités d’éthique afin d’éviter
des déviations dangereuses. Les risques théoriques de la thérapie
génique sont actuellement très limités par l’utilisation de précau-
tions draconiennes, d’une part au niveau de l’acceptation des nou-
velles études de thérapie génique (ce qui constitue actuellement un
véritable parcours du combattant), d’autre part au niveau du risque
de contamination de l’environnement (pour les adénovirus). Un
autre risque est immunologique. En effet, l’introduction de gènes
étrangers dans l’organisme, notamment à l’aide de virus, peut en-
traîner une réaction de rejet de l’organisme. Ce risque est particu-
lièrement vrai dans le cadre des maladies génétiques où il est né-
cessaire que le gène transféré puisse s’exprimer de manière
durable. En matière de thérapie anticancéreuse, au contraire, ce
risque peut se transformer en bénéfice. Si la tumeur a pu être éra-
diquée avant le développement du rejet, le risque le plus important
est celui de l’inefficacité thérapeutique liée à un transfert insuffi-
sant du matériel génétique transféré aux cellules cibles. En effet, les
résultats précliniques très encourageants sont encore difficiles à re-
produire chez l’homme, compte tenu de la difficulté à “infecter”
un nombre suffisant de cellules. De ce fait, un risque serait de tirer
des conséquences trop hâtives de résultats cliniques négatifs, uni-
quement dus à un transfert insuffisant de matériel génétique.
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