lait de deux mois et dix jours pour le
plus jeune à cinq mois et une semaine
pour le plus âgé. A chaque fois, la durée
de l’expérimentation par le bébé s’est si-
tuée entre sept et quinze jours, et elle a
produit par la suite une évolution no-
table de l’habileté visuomotrice et oculo -
manuelle de ces bébés, qui leur a permis
de se calmer plus facilement grâce à un
accès autonome à un moyen auto cal-
mant (leur poing ou leur pouce).
Pourquoi se concentrer sur cette pério-
de et sur ce comportement ? Qu’est-ce
qui permet de dire que ce sont les pré-
curseurs de l’organisation des praxies
visuospatiales ?
Il faut ici rappeler que l’on appelle
praxie visuospatiale la capacité à pro-
grammer des gestes (aussi bien oculo-
moteurs que moteurs) répondant à un
projet volontaire interne et tenant
compte de données visuospatiales. Les
praxies s’apprennent et ne s’oublient
pas. Le regard est donc la première ex-
pression des praxies visuelles, et l’on
comprend que, pour qu’il soit efficace, il
faut préalablement une bonne repré-
sentation interne du but à atteindre et
des moyens à mettre en œuvre.
A la naissance, tous les éléments de la
boucle neurovisuelle sont en place mais
ils sont immatures. Ils atteindront leur
niveau optimal de fonctionnement par
maturation et apprentissage. Il est évi-
dent que les capacités visuelles du nou-
veau-né nécessitent que soit en place et
efficient tout un équipement sensoriel,
oculomoteur gnosique. Il est non moins
évident que ses capacités visuelles sont
entravées par le fait, par exemple, que
la fovéa n’est pas différenciée, que le
champ visuel attentionnel et que les
mouvements oculomoteurs sont res-
treints à cet âge. Il est également bien
clair que ses progrès ne sont pas liés
qu’à la maturation, mais le sont aussi
aux expériences qu’il fait ; on pourrait
dire qu’ils sont liés globalement à la ma-
turation et à l’interaction dans laquelle
il s’implique lors de cette stimulation.
On dit de manière générale que les
troubles praxiques ne peuvent être dé-
pistés qu’à un âge relativement avancé,
quand l’enfant est appelé à produire un
certain nombre de performances que
l’on va comparer à celles d’un autre en-
fant de son âge. Ces troubles praxiques
sont des conduites relativement élabo-
rées, comme des chutes, de mauvais re-
pères spatiaux, la peur de nouveaux
lieux, un manque d’intérêt pour les
livres, les jeux de construction, la télévi-
sion, une différence entre les perfor-
mances langagières et visuelles. Malgré
tout, chez les nourrissons, certains élé-
ments oculaires sont assez facilement
repérés (strabisme, stabilité de la fixa-
tion, contact visuel difficile, attitude
anormale de la tête, etc.), et la période
d’apprentissage évoquée ci-dessus est
elle aussi facilement repérable pour qui
sait l’observer. Mais cela nécessite à la
fois que la famille soit attentive et que
le pédiatre soit averti de l’importance
de cette courte période chez le bébé.
Si l’on adopte le postulat que le bébé ap-
prend à travers ses expériences et que
cet apprentissage lui permet de passer à
chaque fois à un stade ultérieur de son
développement, on peut admettre l’idée
que cette période du développement de
la coordination visuomotrice est très im-
portante pour l’organisation du regard
et des praxies visuomotrices. Et de la
même façon que l’on observe la réponse
du sourire au sourire, l’angoisse devant
un étranger ou l’émergence du « non »,
cette période pourrait être intéressante
à repérer, à étudier ou à stimuler.
La question est de savoir si l’on repère
toujours cette période. Dans la plupart
des cas, il n’en est rien, et la question
laisse perplexes beaucoup de parents
interrogés. Au mieux notent-ils que leur
bébé a, à un moment donné, « joué avec
ses poings ».
Pourquoi, dans ce cas, accorder autant
d’importance à une période qui passe
généralement inaperçue ? Parce que
justement cette période est aussi impor-
tante dans le domaine cognitif que les
organisateurs de Spitz le sont dans le
domaine psychoaffectif et qu’elle déter-
mine peut-être le devenir des apprentis-
sages futurs de l'enfant.
Vignette clinique 왘Maximilien, sept
ans, est au milieu du CP. Non seulement
il ne parvient pas à lire mais aussi il ne
concernant l’oculomotricité et la non-
automatisation des gestes (le regard
étant un geste) et créant des dyspraxies
puis des dyslexies, puissent trouver leur
origine dans les premières construc-
tions de l’espace et de la coordination
oculomotrice du bébé.
Vignette clinique 왘Hannah est un bébé
très éveillé et qui fait peu de colères. Sa
mère lui parle beaucoup, et à ces mo-
ments-là Hannah entre avec elle dans
des dialogues de vocalises interactives
avec une attention très soutenue. A
deux mois et dix jours, elle commence
de manière assez brutale à serrer les
poings et à écarter les bras, à ramener
vivement, puis plus progressivement les
deux bras au centre, et à amener alter-
nativement son poing droit ou gauche
vers son œil ; son poing se cogne dans
sa tête au début puis, au fil des jours,
progressivement, elle améliore son ges-
te pour mettre son poing dans sa
bouche, parfois après des essais infruc-
tueux. Cinq jours plus tard, le poing
n’est plus fermé, un index en émerge,
que l’enfant parvient à mettre sur sa
pommette, puis dans sa bouche. Au
bout de sept jours, cet exercice, qui pen-
dant la semaine écoulée a mobilisé l’en-
fant durant des heures, est quasiment
abandonné. Il continue cependant épi-
sodiquement pendant encore quinze
jours, puis il disparaît complètement
(après l’âge de six-sept mois). S’il avait
persisté au-delà d’un an, il aurait été in-
terprété comme un signe appartenant à
la série autistique. 왗
Si l’on s’en tient à la théorie de Piaget, le
bébé qui répond déjà au sourire par un
sourire se met à faire des expériences
dans son espace et dans son corps. Il
prend conscience que ses mains lui ap-
partiennent, qu’il peut les bouger sous le
contrôle de ses yeux et qu’il peut en ame-
ner des éléments jusqu’à sa bouche pour
satisfaire son plaisir oral. Il y a donc un
moteur affectif à ce comportement, qui
est de satisfaire le plaisir oral, mais il
existe aussi une théorie cognitive, motri-
ce et sensorielle qui amène le bébé à
construire une praxie visuo motrice.
On a observé ce même comportement
chez une dizaine de bébés, dont l’âge al-
Médecine
& enfance
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