V P Prélèvement o c a b u l a i r e

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V ocabulaire
Prélèvement
armi les composés du verbe latin
levare, où l’idée centrale n’est pas
P
“mettre plus haut”, mais “rendre plus léger”,
puisqu’il vient de l’adjectif levis “léger”,
la langue française a retenu elevare, d’où
élever, sublevare, soulever, relevare, relever,
et enfin praelevare, prélever.
Quant à enlever, il est formé en ancien français : en lever.
Nuances et différences de sens sont dues aux
préfixes, mais il arrive que lever, élever et
soulever s’entrecroisent, tandis qu’enlever et
prélever se “détachent”, puisqu’ils correspondent à une suppression. Quand, dans le
vocabulaire des cuisiniers, on parle de lever
une cuisse de volaille, il n’y a là rien
d’égrillard : il s’agit de détacher délicatement cette partie hautement comestible pour
la mettre dans l’assiette, où elle sera mangée. Lever devient alors plus proche de
découper, qui est une façon de couper, mais
selon les règles.
Le chirurgien ne coupe ni ne découpe ; le
boucher, si. C’est que les choses sur lesquelles agissent ces professions sont toutes
différentes : les parties d’un organisme
vivant, surtout de l’espèce humaine, ont une
autre nature, une autre signification que
celles d’un animal mort destiné à la consommation humaine.
La spécificité de prélever, par rapport à lever et soulever, est très claire : il ne s’agit
pas d’alléger et de faire monter, mais de détacher d’un ensemble, comme dans enlever, avec, en supplément, l’idée que transmet l’élément prae, “en avant, dans le
temps ou dans l’espace”. En effet, le prélèvement ne se contente pas de prendre en
détachant, il le fait de manière à “pré-céder”, à “pré-parer” une autre opération et
transforme la prise en une contribution pour l’avenir. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle,
afin d’exprimer qu’on “levait” pour l’impôt une partie d’un revenu ou d’un bien, on
est allé chercher un composé inexistant en latin classique, mais employé par les
juristes du Moyen Âge, praelevare, pour en faire un néologisme français.
Du droit civil et financier, ce verbe utile et son dérivé prélèvement sont passés, sans
doute dans les années 1920, à la médecine et à la chirurgie. On a d’abord parlé de
prélèvement d’un élément physiologique à des fins d’analyse ; puis, avec les progrès de la greffe, on a pu prélever non plus un organe lorsqu’il était détruit par une
pathologie, mais un organe sain, aux fins de “transplantation” ultérieure. La transplantation se dénomme par une métaphore botanique, le prélèvement par une métaphore juridique et financière ; le miracle de la sémantique est qu’elle peut harmoniser des niveaux et des domaines divers pour exprimer une réalité nouvelle et
homogène.
Le vocabulaire, cependant, garde des traces de ses origines. Ainsi, les prélèvements
d’organes enlèvent, détachent, mais c’est pour un destin inverse.
Le linguiste, pour peu qu’il aime plaisanter sur un sujet si grave, pourrait dire par
un horrible calembour que, dans prélèvement, “le bonheur est dans le pré-” !
Alain Rey,
directeur de rédaction du Robert, Paris
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Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 1 - janvier-février-mars 2003
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