Cas clinique M Une bien étrange hyperthyroïdie ! A very strange hyperthyroidism!

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Cas clinique
Cas clinique
Une bien étrange hyperthyroïdie !
A very strange hyperthyroidism!
J.M. Kuhn*
M
ademoiselle SD a pour seul antécédent médical
une myopie nécessitant le port de verres correcteurs depuis l’enfance. Depuis l’âge de 11 ans,
elle se plaint d’une faiblesse musculaire qui l’a amenée
à consulter. Il n’y a à cette date qu’une ébauche de
développement mammaire (S2). Elle mesure 1,40 m et
pèse 34 kg, ce qui situe cette jeune fille tout à fait dans
la norme pour son âge. La pression artérielle est à
105/60 mmHg et le rythme cardiaque est régulier, à
100 pulsations/mn. La thyroïde est discrètement augmentée de volume, de façon diffuse, et l’examen ophtalmologique retrouve une exophtalmie bilatérale qui sera
confirmée par le scanner (figure 1). Les résultats des
mesures hormonales thyroïdiennes confortent tout à fait
l’hypothèse d’une hyperthyroïdie. La T4 libre est à
53 pmol/l pour une norme comprise entre 10 et 23, et la
T3 libre à 18 pmol/l pour une norme comprise entre 4 et
10. La thyroglobuline mesurée dans le même temps est à
550 µg/l pour une norme inférieure à 60. La scintigraphie
thyroïdienne au technétium, prescrite dans le cadre du
bilan initial, objective une fixation homogène et bilatérale de l’isotope (figure 2).
L’inflation du taux d’hormone thyroïdienne associée à une
tachycardie et à une exophtalmie a conduit au diagnostic de
maladie de Basedow, et un traitement par Néo-Mercazole®
a été initié. Au demeurant, cette “hyperthyroïdie” est
étrange par plus d’un point. Cette jeune patiente ne manifeste aucun signe de nervosité, le poids est parfaitement
normal et en rapport avec la taille, l’exophtalmie ne s’accompagne d’aucun autre stigmate d’ophtalmopathie basedowienne. L’étrangeté ne se résume pas au tableau clinique.
En effet, la TSH plasmatique est à 4 mU/ml et s’inscrit dans
la norme, comprise entre 0,1 et 4,5. La recherche de la présence d’anticorps stimulant la thyroïde est négative et le
traitement par antithyroïdien de synthèse a permis de normaliser transitoirement le taux des hormones thyroïdiennes,
mais toujours au prix d’une inflation de la TSH (figure 3).
Après plusieurs années de traitement par antithyroïdien de
synthèse, la réalisation d’une thyroïdectomie a été envisagée et la patiente, étant hésitante, a souhaité disposer d’un
regard neuf sur son problème thyroïdien.
À 16 ans, elle mesure 1,64 m et pèse 52 kg. L’examen clinique retrouve à la fois l’exophtalmie isolée, dont l’intensité est inchangée, et une hypertrophie modérée de la
* Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHRU hôpital
Bois-Guillaume.
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 3, mai/juin 2005
Figure 1. Coupe horizontale du scanner objectivant l’exophtalmie isolée, sans autre signe radiologique d’ophtalmopathie basedowienne.
L’examen révélera également la macrophtalmie et l’intégrité de la
selle turcique.
Figure 2. Image de la fixation thyroïdienne du 99Tc.
ATS
20
10
TSH
0
20
TSH
T4
TSH
T4
T4
0
10
4
Cas clinique
Cas clinique
2
0
0
1
2
3
4
5 ans
Zones d'insensibilité
Figure 3. De haut en bas, évolution des taux plasmatiques de TSH,
T4 et T3 libres au cours du traitement par antithyroïdiens de synthèse
(ATS). Les lignes pointillées représentent les seuils de normalité
supérieur pour la TSH, supérieur et inférieur pour T4 et T3 libres.
Figure 4. Les trois variétés de trouble de la réceptivité tissulaire aux
hormones thyroïdiennes se manifestant par une hyperthyroïdie (à
gauche), une hypothyroïdie (au centre) ou une euthyroïdie (à droite).
thyroïde. Plusieurs semaines après l’interruption du traitement par antithyroïdien de synthèse, le bilan hormonal
retrouve une élévation du taux des hormones thyroïdiennes qui contraste avec la normalité du taux de TSH.
Il persiste donc une sécrétion inappropriée de TSH, ce qui,
en dépit de l’existence d’une exophtalmie, est incompatible avec le diagnostic de maladie de Basedow. Profitant
de l’arrêt de tout traitement, un certain nombre d’investigations étiologiques sont réalisées. La TSH, à 2,8 mU/ml
à l’état de base, subit une ascension à 38 après administration de TRH. Un traitement par T3 (Cynomel® 75 µg
par jour pendant 3 jours) permet d’abaisser le taux de
TSH basal à 1 mU/ml et de réduire la réponse à la TRH,
qui n’atteint plus que 8 mU/ml. La sous-unité , des hormones glycoprotéïques, à taux normal à l’état de base,
suit une évolution parallèle à celle de la TSH. Le cholestérol total est à 5,2 mmol/l et le taux de TeBG à 42 nmol/l,
pour une norme féminine comprise entre 37 et 74. En
dépit de l’absence d’autre cas similaire dans la famille,
l’affinité de l’albumine pour la T4 a été évaluée et s’est
révélée normale. Enfin, la recherche de la présence d’anticorps anti-T4 s’avère négative.
Cette jeune patiente est-elle réellement hyperthyroïdienne ? Beaucoup d’arguments s’inscrivent contre cette
hypothèse : la pauvreté du tableau clinique et la normalité
de paramètres biologiques comme le cholestérol ou le taux
de TeBG. Au demeurant, la seule hypothèse plausible où
s’associent sécrétion inappropriée de TSH et hyperthyroïdie serait celle d’un adénome thyréotrope. Les profils de
réponses aux tests dynamiques (TRH, frénation par la T3)
sont tout à fait en défaveur de ce diagnostic, puisque les
adénomes thyréotropes sont parfaitement insensibles à ces
modulations pharmacologiques. La normalité du taux de
sous-unité libre des hormones glycoprotéiques va dans
le même sens. Enfin, l’IRM de la région pituitaire, réalisée dans le cadre du bilan étiologique, retrouve une hypophyse de morphologie et de volume normaux. Cette
étrange hyperthyroïdie n’en est donc pas une. Comment
alors expliquer le tableau biologique, d’une part, et
l’exophtalmie, d’autre part ?
L’hypothèse d’une hyperthyroxinémie dysalbuminémique
familiale n’est pas plausible. Il n’y a pas d’antécédent
familial, le taux de T3 est élevé (ce qui n’est pas un stigmate d’hyperthyroxinémie dysalbuminémique) et l’affinité de l’albumine pour la T4 est tout à fait normale. De
la même manière, l’hypothèse de la présence d’un anticorps anti-T4 venant interférer dans la mesure de T4 libre
a été écartée par l’inflation associée de la T3 et de l’absence
d’anticorps anti-T4 décelable. La seule hypothèse diagnostique compatible avec l’ensemble des données cliniques, biologiques et d’imagerie est donc celle d’une
résistance aux hormones thyroïdiennes. L’euthyroïdie clinique et la normalité du taux de TSH plasmatique sont en
faveur d’une forme généralisée de résistance, la résistance exclusivement pituitaire donnant un tableau
d’hyperthyroïdie, alors que les résistances périphériques
sont responsables d’une symptomatologie inverse (figure 4).
La preuve définitive de la résistance aux hormones thyroïdiennes repose sur l’identification d’une mutation inactivatrice du gène codant le récepteur des hormones thyroïdiennes. Dans le cas de cette jeune fille, cette recherche a
été pratiquée, mais n’a pas permis de retrouver de mutation. Elle s’inscrit donc dans les 10 % de résistance aux
hormones thyroïdiennes pour lesquelles aucune anomalie
du gène codant le récepteur des hormones thyroïdiennes
n’a été identifiée. Compte tenu du diagnostic final, l’attitude pratique adoptée a été celle d’une simple surveillance,
sans reprise d’aucun traitement. Enfin, l’exophtalmie, qui
ne fait pas partie du tableau des résistances aux hormones
thyroïdiennes, s’explique tout simplement, dans ce cas précis, par l’existence d’une macrophtalmie myopique.
Depuis l’arrêt de tout traitement, cette jeune fille va bien
et mène une vie tout à fait normale. Elle est désormais
avertie du caractère inopportun de la relance d’investigations sur le constat d’un taux élevé de T4 et d’une sécrétion inappropriée de TSH.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 3, mai/juin 2005
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