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Chimiothérapie du cancer du sein pendant la grossesse
Chemotherapy for breast cancer during pregnancy
● Caroline Cuvier*, Hamid Hocini*, Marc Espié*
haque année, en France, 250 à 300 cas de cancers du
sein sont diagnostiqués pendant une grossesse, ce
qui représente 0,2 à 3,8 % des cancers du sein ou un
cancer du sein pour 3 000 à 10 000 grossesses. L’âge moyen au
diagnostic est compris entre 32 et 38 ans (1, 2). L’objectif de la
prise en charge est de traiter de façon optimale la patiente tout
en préservant au maximum le fœtus.
La littérature est dans l’ensemble assez pauvre, reposant
essentiellement sur de très petites séries rétrospectives voire
quelques revues.
Il est maintenant globalement admis que le pronostic de l’adénocarcinome mammaire, diagnostiqué en cours de grossesse, est
grossièrement identique à celui des cancers du sein diagnostiqué
hors grossesse, le mauvais pronostic apparent tenant essentiellement à l’âge jeune, au retard à ce diagnostic (3).
La chirurgie est toujours possible pendant la grossesse sous
réserve d’une surveillance fœtale pendant l’anesthésie ; en
revanche, l’irradiation, toxique pour le fœtus, doit être repoussée au post-partum. Il peut être donc nécessaire de préférer la
mastectomie à la tumorectomie lors de diagnostic en début de
grossesse pour ne pas compromettre le résultat loco-régional
par une irradiation trop tardive.
L’hormonothérapie ne doit pas être préconisée pendant la
grossesse : l’interruption thérapeutique de grossesse ne semble
pas apporter de bénéfice thérapeutique et le tamoxifène présente une tératogénicité potentielle. Par ailleurs, la plupart des
cancers du sein, diagnostiqués en cours de grossesse, n’expriment pas les récepteurs aux hormones.
La chimiothérapie, quant à elle, quelques restrictions mises à
part, est réalisable pendant la grossesse. L’indication concerne
essentiellement les traitements adjuvants, les patientes choisissant elles-mêmes, le plus souvent, l’interruption de grossesse
lorsque le diagnostic est réalisé à un stade métastatique.
La toxicité de la chimiothérapie dépend :
– du terme de la grossesse ;
– de la nature de la molécule.
En l’absence de données suffisantes, il faut en permanence mettre
en balance le bénéfice escompté pour la mère et les risques pour
le fœtus, et prendre en compte les données de la grossesse.
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* Centre des maladies du sein, hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude-Vellefaux, 75175, Paris Cedex 10.
La Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
PROBLÈMES LIÉS À LA MÈRE
Les données pharmacologiques sont modifiées par l’état gravidique :
– augmentation du volume plasmatique avec augmentation de
l’espace de dilution pour les médicaments hydrosolubles ;
– diminution du taux d’albumine plasmatique et augmentation
du taux des autres protéines plasmatiques essentiellement du fait
d’une augmentation des estrogènes circulants. Ces phénomènes
peuvent expliquer les modifications de paramètres telle que
l’aire sous la courbe. Par ailleurs, le liquide amniotique constitue un troisième secteur retardant l’élimination des médicaments
(méthotrexate). Enfin, les perturbations du métabolisme hépatique, l’augmentation du flux plasmatique rénal, de la filtration
glomérulaire et de la clairance de la créatinine modifient la clairance des médicaments. Cependant, les conséquences pratiques
de ces altérations ne sont pas connues. Il importe néanmoins de
se méfier des toxicités potentielles ou d’une sous-efficacité des
traitements.
PROBLÈMES LIÉS AU FŒTUS
Les données sont fragmentaires, issues de petites séries. On
dispose, en particulier, de très peu d’informations sur le passage transplacentaire des médicaments. La toxicité fœtale est
très liée au terme de la grossesse lors de l’administration des
médicaments.
Premier trimestre
L’administration de la chimiothérapie au cours du premier trimestre se solde souvent par une toxicité immédiate de type
avortement, décès in utero, dysmorphie, malformations, anomalies viscérales. Outre la date d’administration, le type de
médicament administré intervient dans la toxicité. À la première semaine de la grossesse, les effets fœtaux de la chimiothérapie répondent globalement à la loi du tout ou rien : avortement ou fœtus sain.
Entre la première semaine et la fin du premier trimestre,
l’administration d’un traitement par chimiothérapie se solde
par un avortement ou un syndrome malformatif dans 7,5 à
17 % des cas selon les séries (4, 5). Ces événements toxiques
dépendent beaucoup du type de médicaments administrés.
Les antimétabolites, en particulier le méthotrexate qui en
monothérapie entraîne 17 % des malformations, et les alkylants
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(Endoxan®) semblent particulièrement toxiques. Néanmoins, la
naissance d’enfants sains a été observée au premier trimestre
même après l’administration de ce type d’agent (6). Les alcaloïdes de la pervenche et les anthracyclines semblent moins
tératogènes. Il n’a pas été décrit de cas de malformation avec
ces molécules. Globalement, les associations de chimiothérapie entraînent 25 % de malformations et la mono-chimiothérapie 6 % (sauf le méthotrexate) (4).
Deuxième et troisième trimestres
L’administration de chimiothérapie pendant cette période ne
semble pas augmenter le risque de malformation (7). En
revanche, peuvent être observés des retards de croissance, des
retards du développement neuropsychique, des avortements,
une prématurité et des anomalies organiques fonctionnelles
(hypoplasie médullaire, toxicité cardiaque).
Globalement, une hypotrophie est observée chez 40 % des
enfants exposés à la chimiothérapie pendant la grossesse, tous
les trimestres confondus avec un poids médian de 2,227 kg
versus 3,519 kg (8). Il a été décrit un cas d’infarctus du myocarde après exposition à la doxorubicine (9) et un cas de toxicité cardiaque fœtale avec une diminution de la fraction
d’éjection ventriculaire gauche après également administration de doxorubicine. Quelques cas de myélosuppression néonatale ont également été observés.
Berry et al. ont rapporté une série de 24 patientes enceintes,
âgées de 26 à 45 ans (médiane 33 ans) traitées par chimiothérapie pour un adénocarcinome mammaire (dans deux cas il
s’agissait d’une récidive). Toutes ont reçu la chimiothérapie
après le premier trimestre ; il s’agissait d’une association de
type FAC : 5 fluorouracile 500 mg/m2 entre J1 et J4 + doxorubicine 50 mg/m2 en perfusion continue pendant 72 heures +
cyclophosphamide 500 mg/m à J1. Une à six cures ont été
administrées (médiane = 4). La date médiane de délivrance a
été de 38 semaines. Trois accouchements ont eu lieu avant
terme. L’indice d’Apgar, calculé à 5 min, était * 9 chez tous
les nouveau-nés. Aucune malformation congénitale ou hypotrophie n’a été décrite. Une seul enfant avec un poids inférieur
au 10e percentile a été rapporté et un autre enfant a présenté
une leucopénie transitoire. Deux autres enfants ont présenté
une alopécie qui a été imputée à la chimiothérapie. Avec un
suivi médian de 4 ans et demi (6 mois à 8 ans), il n’a pas été
observé d’anomalie du développement (10).
Dans la série française de Giacolone, 20 patientes enceintes
ont reçu en médiane deux cycles de chimiothérapie pour un
adénocarcinome mammaire. Dans 50 % des cas il s’agissait
d’un protocole de type FEC. Deux patientes ont été traitées
durant le premier trimestre, et la grossesse s’est soldée par un
avortement spontané. Un décès in utero a été décrit chez une
patiente traitée au deuxième trimestre et quatre accouchements prématurés ont été observés. Un enfant a présenté une
anémie et une leucopénie néonatales. Deux détresses respiratoires néonatales ont été observées ainsi qu’une hypotrophie et
un décès à 8 jours de cause non explicitée. Il n’y a pas eu
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d’anomalie congénitale et à 3,4 ans de recul, le développement
de tous les enfants est normal (11).
Nous avons, à Saint-Louis, traité 3 patientes par une association
de type FUN (5FU continue sur 5 jours et Navelbine® à J1 et J5),
nous n’avons observé aucune neutro-leucopénie néonatale, pas
d’alopécie, pas de syndrome dysmorphique (12).
Des cas isolés de patientes traitées par chimiothérapie au cours
de la grossesse ont également été rapportés en particulier avec
des associations de type AC (adriamycine-cyclophosphamide)
ou FAC ou encore un traitement par épirubicine et paclitaxel
administré entre la 14e et la 32e semaine de grossesse dans un
contexte adjuvant : l’enfant n’a présenté aucune toxicité. Le
recul est actuellement de trois ans (13).
À noter que la toxicité de la chimiothérapie est majorée si une
irradiation est associée ce qui, en principe, doit être évité. Il
convient de prévoir certains risques chez le nouveau-né, type
leuco-neutropénie, détresse respiratoire, gastro-entérite, septicémie, surtout si la dernière cure de chimiothérapie a été administrée moins de trois semaines avant la naissance.
COMPLICATIONS À DISTANCE
Elles sont mal connues, le suivi des enfants traités par chimiothérapie in utero étant souvent court (moins de quatre ans) et
les publications sur ce sujet très peu nombreuses. Des retards
de croissance transitoire ont été observés, mais les capacités
intellectuelles semblent généralement normales. Un cas de
malformations multiples et de retard mental après exposition
depuis la conception à une association de type daunorubicinecytarabine-tioguanine chez une patiente présentant une leucémie aiguë a été décrit (14). Dans une étude portant sur 43 enfants
de mères traitées pendant la grossesse pour une leucémie aiguë
dont 19 pendant le premier trimestre, aucune malformation,
dysfonction immunitaire ou anomalie congénitale n’a été rapportée. Un de ces enfants traités in utero, une fille, a eu ellemême un enfant tout à fait normal (15).
Dans la série de Giacolone, 16 enfants suivis après un traitement pendant les 2e ou 3e trimestres de la grossesse ont présenté un développement normal avec un recul moyen de 42,3
mois (11). Les répercussions des traitements in utero sur la
fonction gonadique sont méconnues ; les effets mutagènes de
la chimiothérapie sont susceptibles d’augmenter le risque de
cancer pour l’enfant ou pour sa descendance. Là encore, les
données sont tout à fait insuffisantes. Mulvihill et al. (16) rapportent un taux de 0,3 % de cancers chez 2 308 descendants de
sujets traités pour cancer dans l’enfance ; le taux est identique
chez les descendants des frères et sœurs non traités : 0,23 %.
Mais cela n’a pas été montré pour les enfants traités in utero.
EN PRATIQUE
Il convient de traiter la mère le plus classiquement possible, en
respectant la grossesse. Deux situations relativement simples
peuvent se présenter :
La Lettre du Sénologue - n° 24 - avril/mai/juin 2004
1. La grossesse est près du terme : quel que soit le stade de
la maladie, le traitement habituel est possible : chirurgie
immédiate, chimiothérapie, radiothérapie après un éventuel
déclenchement dès que la viabilité de l’enfant est certaine.
2. La maladie est limitée avec un très bon pronostic : quel
que soit le terme de la grossesse, un traitement chirurgical est
toujours possible et il peut suffir s’il est radical (la radiothérapie devant, quoiqu’il en soit, être repoussée après la délivrance).
La situation est beaucoup plus compliquée si la maladie est
inopérable et survient au début de la grossesse, en particulier
lorsqu’il s’agit d’un cancer du sein inflammatoire ou métastatique ou avec un important envahissement ganglionnaire. Un
traitement optimal ne peut être administré sans risque pour le
fœtus. Une interruption de grossesse avec une institution de la
chimiothérapie sans délai doit être proposée. La décision
finale en revient toujours à la mère. Quoiqu’il en soit,
lorsqu’un traitement par chimiothérapie est envisagé pendant
le premier trimestre de la grossesse, il convient d’éviter les
antimétaboliques et les alkylants, en particulier le méthotrexate, les anthracyclines et les vinca-alcaloïdes semblant
moins toxiques.
Pendant le 2e et le 3e trimestre, si la chirurgie seule est inadéquate et si la patiente souhaite garder l’enfant, il est possible
de débuter une chimiothérapie avec une anthracycline, le
cyclophosphamide, la vinorelbine, quelques cycles pouvant
être administrés en attendant la maturation fœtale et la possibilité de déclenchement de l’accouchement.
Au total, un traitement standard de l’adénocarcinome mammaire est généralement possible aux 2e et 3e trimestres de la
grossesse, seule la radiothérapie étant contre-indiquée. Au premier trimestre, une interruption de grossesse doit être discutée
avec la mère en sachant que cette interruption n’a pas de
valeur thérapeutique pour l’adénocarcinome mammaire, mais
qu’à cette période la chimiothérapie, en particulier les alky-
lants et les antimétabolites, peut se révéler toxique pour le
fœtus. Dans tous les cas, une prise en charge multidisciplinaire
incluant gynécologue obstétricien, oncologue, psychologue est
nécessaire. Une surveillance fœtale et obstétricale stricte et
régulière est impérative.
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DIPLÔME UNIVERSITAIRE DE PATHOLOGIE MAMMAIRE
La session 2004-2005 du Diplôme d’université de pathologie mammaire est organisée par le centre René-Huguenin de lutte contre
le cancer de Saint-Cloud, sous l’égide de l’université Versailles-Saint-Quentin et de l’UFR médicale Île-de-France Ouest. Cet
enseignement est destiné aux docteurs en médecine et spécialistes en anatomie et cytologie pathologiques, chirurgie, endocrinologie, gynécologie, médecine interne, oncologie médicale, radiodiagnostic et imagerie médicale, radiothérapie et aux étudiants en
médecine (DES, DIS-DESC, DISC) dans ces mêmes spécialités. Il est dispensé en quatre modules de quatre jours, de janvier à
avril. Il est sanctionné par un examen de contrôle des connaissances de 3 heures. Une session annuelle.
Pré-inscriptions à partir du 1er juillet 2004. Le nombre de place est limité. Renseignements et inscriptions : service de communication, secrétariat Alexia Sitbon, centre René-Huguenin, 35, rue Dailly, 92210 Saint-Cloud.
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