Médecine Tropicale • 2006 • 66 • 2 109
Article original
I N É V I TABILI ET HASARD :
UN CONCEPT APPLICABLE AUX ÉPIDÉMIES PAR LES VIRUS À ARN ?
G. C
HARMOT
, C. C
HASTEL
Travail de G.C., Professeur du Service de Santé des Armées (ER), Marseille et de C.C. Laboratoire de Virologie, Faculté de Médecine, Brest, France
Correspondance : G. CHARMOT, 9 Parc Jean Mermoz, 13008 Marseille
Courriel : guy[email protected]
L’ i r r é p r e s s i b le augmentation de la population mon-
diale : 6,5 milliards dindividus actuellement dont
7 0 % en Asie et 9 milliards prévus pour 2025, d ’ a près le
« Wo r ld Po p u l ation Data Sheet » (1), o ff r e de plus en plus
d ’ o p p o r tunis aux viru s , notamment aux virus à A R N ,
pour émerger et réémerger sous fo rme d’épidémies meur-
t r i è r e s .
A i n s i , l ’ a c c rois sement des populations en Asie tro-
picale a pour coro l l a i r e économique une expansion de la
ri z i c u l t u r e et le développement des élevages de porc s ,
avec comme conquences la pullulation des moustiques
ve c t e u r s , p r incipalement C u l ex tri t a e n i o r h y n ch u s , et la
mu l t i p l i c a tion des hôtes amplifi c at e u r s du virus de l’en-
phalite jap o n a i s e .
Ces modifi c a tions env i r onnementales re n d a i e n t
i n é v i t a ble la réap p a rition en Inde d’épimies, a m o r c é e s
par l’arrivée d’oiseaux migrat e u r s port e u r s de ce virus et
exacerbées par des moussons abondantes. De fa i t , e n
juillet 2005, lenphalite japonaise a t 764 enfa n t s
dans le nord de lUttar Pra d e s h , l ’ E t a t le plus peuplé de
l ’ I n d e, et 259 au Népal, aucune va c c i n a tion de la popu-
l ati on infantile n’étant assurée par les autoris sanitaire s
locales (2).
Cette épidémie illustre parfaitement la re l a t i o n
existant entre inévitabilité et hasard dans lémerge n c e
des épidémies provoqes par les virus à A R N ,c o m m e
par exemple celles de la grippe av i a i r e H5N1 ou celles
des virus Nipah en Asie du sud-est, M a r b u r g en A n g o l a
ou Chikungunya dans l’Océan Indien. Ce concep t , i n é v i -
t a bilité et pro b a bilités quantitat ive s , a ainsi été pro p o -
e par de Duve (3) dans son ex p l i c a tion de l’ap p a r i t i o n ,
d é t e r minée par la chimie du cosmos, de la Vie sur la
Te r re.
En A f riqu e tro p i c a l e , les fa c t e u r s anthropiques tels
que la chasse en fo r ê t , le bra c o n n age , la défo r e s t a t i o n , l e s
g u e rre s civiles avec leur cort è ge de famines et de réfugi é s
( 4 ) , créent des conditions extrêmement favo rables à l’ap-
p a r ition d’épidémies. Ils assure n t , en effe t , le contact
e n t r e les agents pat h o g è n e s , s u r tout vira u x , i n f ectant la
faune sauvage, et les populations humaines récep t ive s ,
i l l u s t r ant les notions d’inévitabili des épidémies et de
h a s a r d des contaminat i o n s .
LES VIRUS À ARN SONT PA RTICULIÈREMENT
BIEN ADAPTÉS POUR S’INSCRIRE
DANS CETTE DUALITÉ ÉVOLUTIVE
Les virus à A R N , beaucoup plus que les virus à
ADN (5), présentent une très fo r te instabilité de leur
g é n o m e , laquelle constitue le principal moteur de leur
é volution. Au cours de l’infection cellulaire par deux
v i r us vo i s i n s , leur génome peut être le sge de re c o m -
binaison ou de réassortiments génétiques et, plus gé-
ra l e m e n t , du fait des modalités de leur réplicat i o n , i l s
subissent de nombreuses mu t a tions. Ce phénone
résulte du manque de fi a bilité de leurs poly m é r ases qui
commettent de nombreuses erre u r s de copie du message
g é n é t i q u e . Or, il n’ex i s t e , à ce niveau aucun mécanisme
de correction de ces erre u r s , c o n t r a i r ement à ce qui se
passe pour nos cellules. De plus, dans certaines viro s e s
à ARN comme le sida ou lpatite C, la production de
v i r ions par l’organisme infec est « m o n s t r u e u s e » : d e
l ’ o r d r e de 109à 101 0 chaque jour, ce qui augmente les
chances derre u r s de copie et, d o n c , de mu t a t i o n s .
Ces mu t ation s qui sont des phénomènes aléat o i r e s ,
p o u r ro n t , dans certains cas, ê t r e mieux adapes à une
m o d i fi c a tion de l’env i ro n n e m e n t , comme par exemple la
re n c o n t r e avec un nouvel hôte, mais dans d’autres cas
elles seront neutres ou même défavo r ables au virus et
donc rapidement éliminées. En d’autres term e s , l ’ e nv i -
ronnement choisit parmi les mutants ceux qui possèdent
les capacités de transmissibilité et de viru l e n c e, les mieux
a d a pes à leur émergence sous fo r me épimique
( o p t i m i s a tion lective (3).)
LE CLINICIEN ET LE VIROLOGISTE
FACE AU MONDE DES VIRUS À A R N
Le premier est frappé par le grand nombre de
v i ros es à ARN qui sont d’ori gin e animale, au moins 75 %
pour les zoonoses qui ont atteint l’homme durant la
deuxième moit du XXes i è c le (6). Un autre sujet de
r é f l e xion est l’extrême dive rsité :
- de leur ex p r ession cl i n i q u e , d’une simple rhino-
p h a r y n g ite saisonnière à un carcinome du col utérin ;
Med Trop 2006 ; 66 : 109-110
Editorial
Médecine Tropicale • 2006 • 66 • 2110
G. Charmot, C. Chastel
- de leur durée d’évo l u t i o n , de quelques jours pour
un rhume à la totalité de la vie, pour les maladies lentes
à viru s .
Le second est confronté à un ensemble ts dive r -
s i f sur le plan des stru c t u r es virales et des strat é g ies de
r é p l i c a t i o n , disséminé dans l’ensemble du monde viva n t ,
végétal et animal, des a rch æ o b a c t e r i a à l’éléphant.
Ce pro d i g ieux sucs temporo - s p a tial des A R N
non cellulaire s , s u g g è r e une re l a tion très ancienne de ces
molécules avec les buts de la vie (~ 3 milliards d’an-
nées) et toute une rie de ra d i a tions évo l u t ives de ces
acides nu c iques. Les uns, d é f i n i t ive ment at t a c hés à la
m a c h i n e r ie cellulaire, comme les ARN message r s , d e
t r a n s f e r t ou de contrôle épigénétique de l’ex p r ession des
gènes (ARNi), sont inaptes à la réplication autonome et
à la tra n s m i s s i b i l i t é , tandis que d’autres sont deve nus des
paquets de gènes mobiles. En effe t , la seule possibilité
pour un ARN de pouvoir se multiplier et de tra n s m e t t r e
le message génétique dont il est porteur est d’être un viru s
: un assembl a ge macro m o l é c u l a i r e inerte par lui-même
mais cap a ble d’ex p r imer toutes ses potentialités fo n c -
tionnelles lorsquil infecte une cellule perm i s s ive .
Il est possible que lorsque lADN a re m p l a c é
l’ARN comme support de l’info r m a tion génétique, d e s
f r agments résiduels d’ARN, autonomisés en viru s , a i e n t
c o n t i n à co-évoluer avec les organismes qu’ils para s i -
t a i e n t , en équilibre biologique avec ceux-ci et leur env i -
ro n n e m e n t , jusqu’à ce que l’inévitabilité et le hasard, l e s
p r opulsent au rang d’agents infectieux pat h ogènes « n o u-
ve a u x » , é m e r gents
Les auteurs re m e rcient D. Bensimon, M C U ,U n i ve r sité de la
M é d i t e r ra n é e , pour ses commentaire s .
POUR EN SAVOIR PLUS
1 - PISON G - Tous les pays du monde. Po p u l a tion et Sociétés, 2 0 0 5 , N° 414, 1 .
2 - PADMA TV - Encephalitis outbreak finds Indian officials unprep a re d. N a t u re Medicine 2 0 0 5 ; 11 :1 0 1 6 .
3 - de DUVE C - « S i n g u l a r ités. Jalons sur les chemins de la vie ». Odile Jacob ed, 2 0 0 5 , 296 p.
4 - CHASTEL C, C H A R M OT G - Epidémies bactériennes et virales d’ori gine zo o n o t i q u e . Rôle de la chasse et du dépeçage d’animaux sauvages. B u l l
Soc Pathol Exot 2 0 0 4 ; 97 :2 0 7 - 1 2 .
5 - WOOLHOUSE MEJ, TAYLOR LH, H AYDON DT - Po p u l a tion biology of multihost pat h ogens. Science 2 0 0 1 ; 292 :1 1 0 9 - 1 2 .
6 - TAYLOR LH, L ATHAM SM, WOOLHOUSE MEJ - Risk fa c t o rs for human disease emerge n c e. Phil Trans R Soc Lond B 2 0 0 1 ; 356 : 983-9.
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