Surliquidité mondiale et crises financières : quel impact ?

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Surliquidité mondiale et crises financières : quel impact ?
Sophie Brana1, Université de Bordeaux
Marie-Louise Djigbenou2, Université de Bordeaux
Stéphanie Prat3, Natixis, service de la Recherche et Université de Bordeaux
Version très préliminaire
La crise financière qui a débuté en août 2007 a été une crise globale, affectant
simultanément plusieurs marchés et pays. Cette crise a d’abord été localisée aux Etats-Unis
avec la baisse du prix de l’immobilier et la hausse associée des défaillances sur les subprimes.
Alors que les subprimes ne représentaient qu’une faible part du marché du crédit, l’ensemble
des formes de crédit ont été affectées. Compte tenu de la nature complexe de ces instruments
et de l’opacité de leurs marchés, l’incertitude a grandi sur l’ampleur et la localisation des
risques sous-jacents. Les institutions financières sont devenues de plus en plus averses au
risque et ont commencé à stopper leurs échanges ou à demander des primes de risques de
plus en plus élevées. Un nombre croissant de marchés d’actifs ont été touchés. Les
institutions financières dépendantes de ces marchés ont subi des pertes en capital et ont
réduit leurs financements. La baisse des prix d’actifs a durci les conditions de bilan
conduisant les établissements à des ventes de détresses provoquant de nouvelles baisses de
prix. La crise s’est accentuée en septembre 2008 avec la faillite ou quasi faillite d’importantes
institutions financières. La perte de confiance a atteint son paroxysme, la liquidité sur les
marchés financiers s’est tarie. En réponse à cette crise, les autorités monétaires ont réagi de
façon agressive en utilisant les outils traditionnels de la politique monétaire, mais également
des moyens non conventionnels afin de fournir de la liquidité. L’excès de liquidité mondiale
parallèlement à la disparition de la liquidité sur les marchés a nourri un « paradoxe de la
liquidité » (Chandrasekhar et Ghosh, 2009).
Différents facteurs ont contribué à la crise actuelle (Wellink, 2009) : une politique
monétaire trop accommodante, créant un excès de liquidité et des bulles sur les marchés
d’actifs, un levier d’endettement trop élevé en partie provoqué par les faibles incitations du
[email protected]
[email protected]
3 [email protected]
1
2
1
modèle originate to distribute, l’insuffisante gestion des risques au sein des établissements
financiers, les lacunes de la régulation de certains segments importants du système financier.
Ces faiblesses ont été amplifiées par la dynamique procyclique des dispositifs
réglementaires, comptables et de gestion des risques.
L’excès de liquidité mondiale est souvent mis en avant comme facteur d’accélération
et d’amplification des crises financières depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, sans
avoir jusqu’à présent été réellement appréhendée et empiriquement testée.
La liquidité mondiale pourrait se définir comme la somme agrégée des liquidités
nationales exportables. Comme l’indiquent P. Artus et M-P Virard (2010), elle renvoie à
l’ensemble des bases monétaires mondiales. A cette définition doit cependant s’ajouter un
critère : celui de la capacité de la monnaie à s’exporter. En effet, la liquidité nationale ne peut
influencer la liquidité d’un autre pays que si elle peut être utilisée au delà de son territoire
d’origine. Certains pays dont la Chine établissent des contrôles empêchant l’exportation de
leur monnaie. La monnaie dans de telles conditions ne peut influencer significativement la
liquidité mondiale. Par conséquent, il semble judicieux de retenir le caractère « exportable »
dans la définition de la liquidité mondiale.
A l’instar de la liquidité nationale, la liquidité mondiale peut prendre plusieurs
formes dérivant des bases monétaires nationales ou de leurs contreparties. Il peut s’agir
d’agrégats monétaires, du crédit via la fixation du taux d’intérêt par la banque centrale ou
encore de réserves de change à travers l’achat de titres étrangers contre devises accumulées.
Mais quelle que soit la forme retenue, la liquidité mondiale a connu et connaît encore une
véritable expansion. Le crédit aux Etats-Unis a augmenté chaque année de 12 à 13% entre
1995 et 2000 puis entre 2003 et 2005. Le taux d’intérêt quasi-nul au Japon depuis 1995 a
conduit à une explosion de l’agrégat monétaire M1 et est une condition d’emprunt favorable
à l’échelle mondiale. Par ailleurs, les pays émergents et exportateurs de pétrole accumulent
de plus en plus de réserves de change qu’ils recyclent sur les marchés d’actifs étrangers en
vue de limiter le coût d’opportunité de détention des réserves de change ainsi que le coût de
stérilisation. Ainsi, tant les pays développés que les pays émergents sont impliqués dans
l’accroissement de la liquidité mondiale. Selon la théorie quantitative de Fisher, cette hausse
devrait entraîner une hausse du niveau général des prix. Or l’inflation reste globalement
stable dans la plupart des pays développés et un grand nombre de pays émergents. Le
2
supplément de monnaie n’a donc pas été affecté au marché des biens et services. L’évolution
des marchés d’actifs en revanche pourrait laisser croire à une éventuelle influence de la
liquidité mondiale sur ces marchés. Tant les actions que les prix immobiliers ou des matières
premières ont connu d’importantes variations à la hausse qui correspondent souvent à des
phases de liquidité mondiale abondante voire même surabondante.
Les fluctuations des indices boursiers dans les pays développés et émergents sont
également parfois en phase avec celle de la liquidité mondiale. Entre septembre et octobre
2008, l’indice boursier des marchés émergents MSCI perd près de 50% de sa valeur, dans un
contexte de retrait de capitaux par les investisseurs étrangers qui doivent faire face à des
appels de marge sur les marchés des pays développés. Or c’est essentiellement ce canal
financier qui a servi à propager la crise aux pays émergents. Quelle influence la liquidité
mondiale a-t-elle sur les économies receveuses de capitaux ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous organiserons notre travail autour de
deux parties. La première partie de cette étude visera à définir ce qu’est la liquidité mondiale
et à apprécier une éventuelle surliquidité. La seconde partie de ces travaux portera sur
l’impact de la liquidité mondiale sur la stabilité financière des pays émergents, à travers
différents indicateurs. Nous apprécierons l’effet que peut avoir la liquidité mondiale sur les
prix des actifs4 et sur des indicateurs de crise (Ahluwalia (2000), Corsetti, Pesenti and
Roubini (1998)).
4
Belke (2010)
3
I. Les indicateurs de sur-liquidité mondiale
La liquidité mondiale pourrait être définie comme la somme des liquidités nationales
susceptibles d’être utilisées dans les échanges internationaux. Le caractère « exportable » de
la monnaie dans cette définition est loin d’être négligeable, dans la mesure où il permet à une
monnaie d’influencer la liquidité d’un autre pays ou d’une autre zone monétaire. La
littérature économique fournit plusieurs indicateurs permettant d’évaluer la liquidité
mondiale. Deux catégories d’indicateurs peuvent être identifiées : les mesures quantitatives
et les mesures de prix.
Parmi les principales mesures quantitatives figurent les agrégats monétaires et de
crédit. Le choix des agrégats monétaires pondérés est une idée qui s’inscrit dans le
prolongement de la logique nationale. En effet les agrégats monétaires servent
principalement à mesurer la liquidité dans une zone monétaire. Il s’agit donc d’un
prolongement à l’échelle internationale de l’indicateur national. Baks & Kramer (1999)
proposent plusieurs indicateurs basés sur le taux de croissance d’agrégats monétaires large
et étroit suivant plusieurs modes de calcul. Le crédit est utilisé par plusieurs économistes à
l’instar de Gouteron & Szpiro (2005). Le recours à cette variable est dû essentiellement au fait
que le crédit peut être considéré comme la principale contrepartie de la création monétaire. A
ces deux indicateurs, s’ajoutent des indicateurs basés sur les bases monétaires et / ou sur les
réserves de change. Artus & Virard (2010) définissent la liquidité mondiale comme « la
monnaie créée par l’ensemble des banques centrales de la planète », c'est-à-dire l’ensemble
des bases monétaires. L’importance des réserves des banques centrales notamment des
banques centrales émergentes conduisent plusieurs économistes dont Darius & Radde (2010)
et De Nicolo & Wiegand (2007) à intégrer les réserves de change dans les indicateurs de
liquidité mondiale. Les réserves de change sont considérées soit isolément, soit associées aux
bases monétaires des pays avancés. Au delà de ces indicateurs quantitatifs, des indicateurs
de prix peuvent être envisagés. En effet, la relation entre les prix et les quantités est assez
étroite. Et l’indicateur de prix en référence est le taux d’intérêt.
Sur la base de ces différents indicateurs de liquidité mondiale, des normes sont
établies en vue d’identifier l’existence d’excès ou d’insuffisance de liquidité. Les premiers
4
travaux en la matière reposent essentiellement sur ceux de Baks & Kramer (1999). Ils
considèrent comme norme à la liquidité mondiale le taux de croissance de l’économie. Ce
seuil repose sur la théorie quantitative de la monnaie. Comme le soulignent Gouteron &
Szpiro (2005), cette norme représente la liquidité nécessaire au bon développement de
l’économie sans créer de surchauffe. En d’autres termes, il s’agit de la liquidité compatible
avec l’objectif de stabilité des prix. Il existe d’autres mesures d’excès de liquidité à l’instar du
money overhang. Le money overhang représente la déviation du niveau observé du stock de
monnaie en termes nominal d’une valeur d’équilibre issue d’une fonction de demande de
monnaie de long terme. Une combinaison de cet indicateur et de celui de Baks & Kramer
(1999) est le real money gap. Il s’agit de la déviation de la quantité de monnaie effective en
termes réels. Il repose sur la théorie quantitative de la monnaie et intègre une spécification de
la vitesse de circulation de la monnaie (Berger et Harjes, 2009).
Il existe également d’autres indicateurs basés sur le crédit. Il s’agit notamment du
différentiel de taux de croissance entre le crédit et le PIB. Une autre mesure, le credit gap est
proposée par Borio & Lowe (2002). Il y a credit gap si « le ratio crédit sur PIB dévie de sa
tendance d’une valeur spécifique ». Selon ces auteurs, il faut une déviation supérieure à quatre
points de pourcentage pour que l’on qualifie cet écart du ratio à sa tendance comme un excès.
La méthode de détermination du seuil s’inspire des travaux de Kaminsky & Reinhart (1999).
Comme indicateur d’excès de liquidité sur les prix, Gouteron & Szpiro (2005) optent pour le
différentiel entre le taux d’intérêt à court terme et un taux d’intérêt naturel obtenu par la
croissance de long terme. De Nicolo & Wiegand (2007) considèrent le taux d’intérêt issu de la
règle de Taylor comme norme au taux d’intérêt de court terme.
Comme le montrent ces travaux, les questions de liquidité mondiale ont fait l’objet
d’une attention particulière depuis la fin des années 1990. Ceci pourrait s’expliquer par
l’accroissement de la liquidité depuis 1995. En considérant un agrégat de base monétaire
mondiale (M0), deux agrégats monétaires large (M3) et étroit (M1), le crédit au secteur privé
et les réserves de change en pourcentage du PIB, les graphiques ci-dessous mettent en
évidence cette abondance de liquidité, quelle que soit la forme retenue5. Les agrégats
M1 et M3 sont construits à partir des masses monétaires des seuls pays industrialisés. L’indicateur de
crédit ne prend en compte que les Etats-Unis et l’Union européenne. Les réserves de change sont celles
5
5
monétaires, assez stables jusqu’en 1995, augmentent fortement à partir de cette date. Il est de
même pour les réserves de change. Le crédit s’accroît davantage.
M0
(en % du PIB)
28
26
24
22
20
18
16
14
12
ma
rs se 95
pt
m -95
ar
sse 96
pt
m a -96
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pt
m -97
ar
sse 98
pt
m a -98
rs se 99
pt
m a -99
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pt
m -00
ar
sse 01
pt
m a -01
rs se 02
pt
m a -02
rs se 03
pt
m a -03
rs se 04
pt
m a -04
rs
se 05
pt
m a -05
rs se 06
pt
m a -06
rs se 07
pt
m a -07
rs se 08
pt
m a -08
rs se 09
pt
-0
9
10
M1
(en % du PIB)
90%
80%
70%
60%
50%
40%
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
des pays de l’OPEP, de la Chine, de l’Inde et du Japon. L’agrégat M0 est quant à lui la base monétaire
mondiale construite à partir des données du FMI converties au taux de change courant. Il comprend
les Etats-Unis, la zone euro, le Japon, le Grande Bretagne, l’Australie, le Canada, 8 pays émergents
d’Asie, le Chine, les pays de l’OPEP, les PECO, la Russie et 7 pays émergents d’Amérique latine.
6
Agrégat large
(en % du PIB)
210%
200%
190%
180%
170%
160%
150%
140%
130%
120%
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
2000
2005
2010
2005
2010
Crédit
(en % du PIB)
260%
240%
220%
200%
180%
160%
140%
120%
1980
1985
1990
1995
Réserv es de change
(e n % du PIB)
40%
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0%
1980
1985
1990
1995
RC_OPEP
RC_JP
7
2000
RC_CH
RC_IN
La liquidité mondiale a connu une évolution assez différente avant et après 1995. Les
indicateurs d’excès de liquidité confirment globalement cette différence de tendance. Pour
évaluer s’il y a surabondance de liquidité, les indicateurs ELIM0, ELIM1 et ELIM3
(différentiel de taux de croissance respectivement de M0, M1 et M3 par rapport au PIB),
ELICRED (différentiel de taux de croissance du crédit domestique par rapport au PIB) et le
taux de croissance des réserves de change (TCRC) sont retenus.
Sur la période précédant 1995, les excès de liquidité étaient relativement peu
importants et sur des intervalles de temps assez brefs. Ces excès s’accompagnaient assez
cycliquement de baisses voire de déficits de liquidité. Pour ce qui concerne l’indicateur basé
sur M1 ou son équivalent en M3, l’excès de liquidité a une trajectoire sinusoïdale autour de 0
et les fluctuations autour de cet axe sont relativement plus faibles que ce qui est observé
quelques années plus tard. L’indicateur ELICRED reflète une succession de hausses et de
baisses entre 1980 et 1990, puis une baisse considérable entre 1990 et 1995 dans un contexte
de politique monétaire américaine restrictive. La même dynamique est observée au niveau
des réserves de changes. Avant 1995, le taux de croissance des réserves de change augmente
faiblement et décroît même pour les pays exportateurs de pétrole. La baisse du prix du baril
dès 1980 suite au second choc pétrolier ralentit la croissance des réserves de change.
C’est donc à partir de 1995 que la problématique de l’excès de liquidité mondiale
prend tout son sens. En effet, tous les indicateurs présentent une croissance de la liquidité
mondiale au delà même des besoins effectifs de l’économie. Les phases d’excès de liquidité
deviennent de plus en plus importantes en valeur que dans le temps. L’indicateur de crédit,
bien que freiné par la crise de 2000, repart à nouveau avec les politiques expansionnistes des
banques centrales (FED, BCE, …). L’excès de liquidité basé sur M1 et dans de moindres
proportions l’indicateur ELIM3, indique une liquidité surabondante. Celle-ci est
essentiellement impulsée par la baisse des taux des autorités japonaises dès 1995, du fait de
la crise que connaît son système bancaire et financier et du maintien de ces taux bas. Cette
phase expansive pourrait également être justifiée par l’introduction de l’euro en 1999. En
effet, celle-ci s’est traduite par une croissance monétaire supérieure à la norme des 4,5 %
définie par la BCE. Mais cet argument devrait être nuancé par des facteurs exogènes liés aux
changements institutionnels et statistiques. L’excès de liquidité traduit par ELIM1 n’est
8
freiné qu’en 2000 puis en 2006, dates qui suivent des phases de politiques monétaires
restrictives. Sur la période allant de 2004 à 2006 par exemple la FED, la BCE, la BOE et même
la BOJ ont procédé à une remontée de leur taux directeur. Ceci freine la croissance des
agrégats monétaires M1 et M3. Mais la crise actuelle et les mesures adoptées par les autorités
monétaires vont à nouveau accroître la liquidité. Le caractère plus nuancé en général de
l’excès de liquidité issu d’ELIM3 par rapport à ELIM1 pourrait se justifier par la prise en
compte de la substituabilité entre les différentes formes de la monnaie au niveau de l’agrégat
M3.
Les réserves de change à partir de 1995 augmentent de manière exponentielle avec le
développement des BIC (Brésil, Inde, Chine) et la manne pétrolière engrangée par les pays
de l’OPEP. Ces pays à excédents courants ainsi que le Japon disposent donc de ressources
disponibles considérables qui peuvent être rentabilisés sur les marchés de capitaux.
ELIM1
ELIM3
8
4
6
3
4
2
2
1
0
0
-2
-1
-4
1980
1985
1990
1995
2000
2005
-2
1980
2010
1985
1990
ELICRED
1995
2000
2005
2010
2000
2005
2010
TCRC
3
30
2
20
1
10
0
0
-1
-10
-2
-3
1980
1985
1990
1995
2000
2005
-20
1980
2010
9
1985
1990
1995
ELIM0
25
20
15
10
5
m
ar
s9
se 5
pt
-9
5
m
ar
s96
se
pt
m 96
ar
s9
se 7
pt
-9
7
m
ar
s98
se
pt
m 98
ar
s9
se 9
pt
-9
9
m
ar
s00
se
pt
m 00
ar
s0
se 1
pt
-0
1
m
ar
s02
se
pt
m 02
ar
s0
se 3
pt
m 03
ar
s0
se 4
pt
-0
4
m
ar
s05
se
pt
m 05
ar
s0
se 6
pt
-0
6
m
ar
s07
se
pt
m 07
ar
s0
se 8
pt
-0
8
m
ar
s09
se
pt
-0
9
0
-5
-10
-15
-20
Enfin, en ce qui concerne l’excès de création de monnaie Banque centrale (dont les
données ne sont disponibles qu’à partir de 1995), là encore le graphique indique d’une part
que les phases d’excès de liquidité sont plus fréquentes et plus amples que les phases de
déficit de liquidité, et d’autre part que les déséquilibres prennent de l’ampleur au cours du
temps.
II. L’impact de la surliquidité mondiale sur les économies émergentes
La surliquidité mondiale, en partie provoquée par la politique monétaire dans les
pays industrialisés, fournit des liquidités peu couteuses aux investisseurs internationaux.
Ces derniers cherchent à augmenter le rendement de leur portefeuille, en se tournant vers
des actifs mieux rémunérés (immobilier, actions, matières premières). Cela peut se traduire
par des flux de capitaux vers les pays émergents et par l’appréciation, parfois excessive, du
prix des actifs dans ces pays. Dans quelle mesure la liquidité mondiale est-elle responsable
de la prise de risque de la part des investisseurs internationaux et des pressions à la hausse
sur les prix d’actifs, notamment dans les pays émergents ? Peu d’études se sont intéressées à
la question. La plupart d’entre elles portent sur les pays industrialisés et sur l’impact de la
croissance monétaire sur les taux d’intérêt, le PIB ou le taux d’inflation. Sousa et Zaghini
10
(2008) montrent ainsi qu’un choc sur la liquidité étrangère a un impact sur la croissance de la
masse monétaire de la zone euro et sur les fluctuations des prix et de la production. Back et
Kramer (1999) trouvent, dans les pays du G7, que l’excès de croissance monétaire globale a
un impact négatif sur les taux d’intérêt mais positif sur les prix d’actions. Ils montrent par
ailleurs qu’il existe des effets de report entre pays. Rüffer et Stracca (2006) s’intéressent
également aux effets de transmissions transfrontières de l’excès de liquidité, qu’ils trouvent
significatifs sur la production, le niveau des prix et les prix de l’immobilier en Europe. Belke
et al. (2010) étudient les interactions entre la liquidité globale et le niveau des prix des biens
et des prix d’actifs dans onze pays de l’OCDE. Alors que les agrégats monétaires donnent
des informations avancées sur les prix de l’immobilier, de l’or, des biens et sur le déflateur
du PIB au niveau global, les prix des actions ne réagissent pas aux chocs de liquidité. En cela
ils rejoignent Giese et Tuxen (2007) qui montrent un impact de la liquidité globale sur
l’immobilier mais pas sur la bourse. Darius et Radde (2010), dans le cadre des pays du G7
trouvent également que la liquidité globale a un impact sur les prix de l’immobilier – bien
que les variables domestiques jouent un rôle plus significatif que les variables globales –
mais pas sur les actions (sur la base de l’indice MSCI mondial). Tous ces auteurs utilisent des
modèles VAR et des fonctions d’impulsion.
Les études concernant l’impact de la liquidité sur les pays émergents sont plus
récentes et plus rares. Chudik et Fratzscher (2011) comparent le rôle du durcissement des
conditions monétaires (estimé par la variation du taux d’intérêt du marché monétaire à 3
mois) et de l’effondrement de l’appétit pour le risque (appréhendé par un choc sur l’indice
VIX ou le TED spread) dans la transmission globale des crises financières mesurées par la
variation de l’indice boursier. Ils montrent que les chocs de liquidité touchent plutôt les pays
avancés, tandis que les économies émergentes sont davantage affectées par les modifications
de l’appétit pour le risque. Enfin, le FMI (2010) étudie le lien entre croissance de la liquidité
mondiale et prix d’actifs (equity returns) dans les pays émergents « receveurs ». La
régression (en panel) indique que la liquidité globale est positivement associée avec les
investissements en action entre 2003 et 2009, ce qui peut expliquer la hausse des rendements.
Nous étudions l’impact de la surliquidité mondiale sur les prix d’actifs sur un
échantillon de seize économies émergentes d’Amérique latine et d’Asie (Argentine, Brésil,
11
Chili, Colombie, Mexique, Pérou, Venezuela, Inde, Indonésie, Malaisie, Philippines, Taiwan,
Corée, Thaïlande, Hong-Kong et Singapour) sur une période allant de 1990 à 2010. Nous
estimons, dans un premier temps, un modèle VAR, à l’instar des études portant sur les pays
industrialisés. Nous agrégeons pour cela les séries des différents pays afin d’obtenir des
séries globales en suivant la méthode de Giese et Tuxen (2007) et Belke et al. (2010). Nous
utilisons, pour comparer les données, les taux de change nominaux de la monnaie
domestique par rapport au dollar US. Les variables agrégées sont obtenues en choisissant
une base 100 initiale.
L’indice boursier est le return index calculé par Datastream. Nous introduisons les
variables macroéconomiques traditionnelles, en données mensuelles : niveau du crédit
domestique, de la production industrielle, ainsi que le rating pays (mesuré par les notations
de l’agence S&P transformées en échelle numérique de 0 à 20). Nous appréhendons l’appétit
pour le risque des investisseurs en introduisant l’indice de volatilité implicite du Standard &
Poors 500 (VIX) ainsi que deux indices de risque de défaut, les variables TED spread et Swap
spread. Le TED est mesuré comme la différence entre le taux des bons du Trésor américains
à 3 mois et le taux de l’eurodollar (taux Libor), tandis que le Swap spread représente la
différence entre le taux swap et le taux des obligations d’Etat US à 10 ans. Le risque de
liquidité, nommé ci-après prime de liquidité, est enfin évalué par l’écart de rendement entre
les bons du Trésor américain à long terme et ceux à court terme, deux titres sans risque.
Quand le sentiment du marché se modifie, se traduisant par une plus grande aversion pour
le risque, et par une fuite vers la liquidité, ces variables augmentent (Gonzalez-Hermosillo,
2008).
Nous avons enfin introduit des indicateurs de surliquidité mondiale. Nous avons
retenu le rapport M0 sur PIB mondial (variable m0y), ainsi que le différentiel de croissance
entre ces deux variables (variable elim0).
Les tests de stationnarité (Dickey-Fuller augmenté, Phillips-Perron) donnent les
résultats suivants. Les variables domestiques (indice de production industrielle, niveau du
crédit domestique, rating), ainsi que la prime de liquidité et la variable elim0 sont I(0). Les
autres variables d’appétit pour le risque ainsi que le rapport liquidité mondiale sur PIB
mondial sont I(1). Afin que le modèle VAR n’inclut que des variables intégrées de même
ordre, nous ne pouvons retenir, parmi les indicateurs d’aversion pour le risque que la
12
variable « prime de liquidité » et pour les indicateurs de surliquidité mondiale, l’indicateur
elim0.
Nous obtenons le vecteur suivant de variables endogènes :
Zt = (Bourse, Production, Crédit, Rating, Prime liquidité, elim0)
L’ensemble des critères de sélection de l’ordre du VAR (p) donne un retard optimal
de 2 (critères d’Akaike (1974), de Hannan et Quinn (1979) et de Schwarz (1978)). Le VAR
satisfait par ailleurs aux conditions standard de stabilité6. Nous utilisons un modèle vectoriel
à correction d’erreur (modèle VECM) pour prendre en compte la relation dynamique entre
liquidité et prix d’actifs.
La recherche d’éventuelles relations de cointégration entre les variables du modèle se
fonde sur la procédure de Johansen qui repose sur l’estimation du modèle VAR :
(1.1) Z t =
r
∑ Ai .Z t −i + ε t
i =1
où Zt est le vecteur des variables étudiées (Z = [Bourse, Production, Crédit, Rating, Prime
liquidité, elim0]') et εt un vecteur aléatoire centré de perturbations indépendantes et
identiquement distribuées. Ce VAR peut être réécrit sous la forme:
(1.2) ∆Z t =
r
∑ Bi .∆Z t −i + P0 .Z t −r + ε t
i =1
Lorsque toutes les composantes de Z sont I(1), les composantes de ∆Z sont I(0).
L’expression (2) montre alors que la matrice P0 ne peut être de plein rang. Soit p son rang
effectif (0 ≤ p < 6). Celui-ci indique le nombre (éventuellement nul) de vecteurs cointégrants
indépendants intervenant dans le modèle. Il existe alors deux matrices α et β telles que :
P0 = α.β’
avec
dim α = dim β = 6 x p
Les vecteurs colonnes de β sont les vecteurs cointégrants cherchés, tandis que la
matrice α traduit l’impact des écarts aux relations de long terme sur la dynamique des
variables étudiées. Le VAR (1.2) est estimé par la méthode du maximum de vraisemblance
sous l’hypothèse de normalité des perturbations. La statistique (λtrace) fondée sur la trace de P0
permet de tester des hypothèses de la forme :
H0 : p ≤ m
6
contre
H1 : p > m
Les valeurs propres de la matrice se situent dans le cercle unité.
13
(0 ≤ m < 6)
La procédure fournit par ailleurs une estimation des matrices α et β, dont on déduit la
relation de long terme cherchée. Nous complétons par la suite l’analyse en examinant les
mécanismes à correction d’erreur, qui permettent de confirmer la présence de relations de
cointégration entre les variables considérées.
Tableau 1. Test de cointégration de Johansen
Rang de la matrice P0
λtrace
Rang maximum*
seuil à 95%
138.60
56.03
28.44
0
1
2
94.15
68.52
47.21
Estimation de la matrice β
Bourse
β 1'
z
Prob
1
Crédit
Production
Rating
Prime
liquidité
11.32
Elim0
-0.098
-2.89
-24.09
-38.47
(- 0,44)
(- 2.41)
(- 1.83)
(1.58)
(-9.14)
0.659
0.016
0.067
0.115
0.000
* Seuls les premiers rangs sont représentés ici.
Le test de la trace indique qu’il existe une unique relation de cointégration entre les
variables (Tableau 1).
Toutes les variables de la relation de long terme ont un coefficient dont le signe est
conforme à celui prévu par l’analyse théorique. Les rendements boursiers dépendent
positivement du niveau de la production domestique ainsi que du rating pays, mais ne
semblent pas dépendre du volume du crédit domestique ni de la prime de liquidité du
marché. A long terme, l’excès de liquidité semble avoir un impact positif significatif sur les
rendements boursiers dans les économies émergentes.
En revanche, si la relation de court terme (Tableau 2) confirme l’existence d’une
relation de cointégration entre les variables, (le terme à correction d’erreur est significatif et
négatif) elle n’indique pas de relation significative entre les prix d’actifs et surliquidité
mondiale. Les autres variables, à l’exception de l’endogène retardée, ne sont pas non plus
significatives.
14
Tableau 2. Modèle vectoriel à correction d’erreur [1995(6) – 2009(12)]
Variables
Coefficient
Constante
∆(bourse)-1
∆(crédit)-1
∆(production)-1
∆(rating)-1
∆(prime)-1
∆(elim0) -1
ut-1
0.7585
0.2435
0.0283
0.1619
-1.2018
1.0097
-0.6204
-0.1769
Ecart-type
P>z
Statistique z
0.8099
0.8215
0.1092
0.1809
7.9334
2.1833
0.4227
0.0093
0.94
2.96
0.26
0.89
-0.15
0.46
-1.47
-1.89
0.349
0.003
0.795
0.371
0.880
0.644
0.142
0.059
Nb d’observations : 175.
Les résultats semblent donc indiquer une relation de long terme positive entre l’excès
de croissance de la base monétaire mondiale par rapport à la croissance du PIB et le
rendement des indices boursiers dans les pays émergents. Il ne semble pas en revanche y
avoir de relation de court terme, ce qui pourrait confirmer les résultats des études
précédentes dans les pays émergents.
L’étape suivante va consister à tester l’impact de la liquidité mondiale sur les
indicateurs de crises tels que proposés par Ahluwalia (2000).
Annexe : Fonction d’impulsion : impact d’un choc sur la base monétaire mondiale sur
le rendement boursier.
varbasic, elim0, boursemoy
4
2
0
-2
-4
0
2
4
6
step
95% CI for irf
impulse response function (irf)
Graphs by irfname, impulse variable, and response variable
15
95% CI for oirf
orthogonalized irf
8
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17
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