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Surliquidité mondiale et crises financières : quel impact ?
Sophie Brana
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, Université de Bordeaux
Marie-Louise Djigbenou
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, Université de Bordeaux
Stéphanie Prat
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, Natixis, service de la Recherche et Université de Bordeaux
Version très préliminaire
La crise financière qui a débuté en août 2007 a été une crise globale, affectant
simultanément plusieurs marchés et pays. Cette crise a d’abord été localisée aux Etats-Unis
avec la baisse du prix de l’immobilier et la hausse associée des défaillances sur les subprimes.
Alors que les subprimes ne représentaient qu’une faible part du marché du crédit, l’ensemble
des formes de crédit ont été affectées. Compte tenu de la nature complexe de ces instruments
et de l’opacité de leurs marchés, l’incertitude a grandi sur l’ampleur et la localisation des
risques sous-jacents. Les institutions financières sont devenues de plus en plus averses au
risque et ont commencé à stopper leurs échanges ou à demander des primes de risques de
plus en plus élevées. Un nombre croissant de marchés d’actifs ont été touchés. Les
institutions financières dépendantes de ces marchés ont subi des pertes en capital et ont
réduit leurs financements. La baisse des prix d’actifs a durci les conditions de bilan
conduisant les établissements à des ventes de détresses provoquant de nouvelles baisses de
prix. La crise s’est accentuée en septembre 2008 avec la faillite ou quasi faillite d’importantes
institutions financières. La perte de confiance a atteint son paroxysme, la liquidité sur les
marchés financiers s’est tarie. En réponse à cette crise, les autorités monétaires ont réagi de
façon agressive en utilisant les outils traditionnels de la politique monétaire, mais également
des moyens non conventionnels afin de fournir de la liquidité. L’excès de liquidité mondiale
parallèlement à la disparition de la liquidité sur les marchés a nourri un « paradoxe de la
liquidité » (Chandrasekhar et Ghosh, 2009).
Différents facteurs ont contribué à la crise actuelle (Wellink, 2009) : une politique
monétaire trop accommodante, créant un excès de liquidité et des bulles sur les marchés
d’actifs, un levier d’endettement trop élevé en partie provoqué par les faibles incitations du
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brana@u-bordeaux4.fr
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Marie-louise.Djigbenou@banque-france.fr
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Stephanie.prat@natixis.com
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modèle originate to distribute, l’insuffisante gestion des risques au sein des établissements
financiers, les lacunes de la régulation de certains segments importants du système financier.
Ces faiblesses ont été amplifiées par la dynamique procyclique des dispositifs
réglementaires, comptables et de gestion des risques.
L’excès de liquidité mondiale est souvent mis en avant comme facteur d’accélération
et d’amplification des crises financières depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, sans
avoir jusqu’à présent été réellement appréhendée et empiriquement testée.
La liquidité mondiale pourrait se définir comme la somme agrégée des liquidités
nationales exportables. Comme l’indiquent P. Artus et M-P Virard (2010), elle renvoie à
l’ensemble des bases monétaires mondiales. A cette définition doit cependant s’ajouter un
critère : celui de la capacité de la monnaie à s’exporter. En effet, la liquidité nationale ne peut
influencer la liquidité d’un autre pays que si elle peut être utilisée au delà de son territoire
d’origine. Certains pays dont la Chine établissent des contrôles empêchant l’exportation de
leur monnaie. La monnaie dans de telles conditions ne peut influencer significativement la
liquidité mondiale. Par conséquent, il semble judicieux de retenir le caractère « exportable »
dans la définition de la liquidité mondiale.
A l’instar de la liquidité nationale, la liquidité mondiale peut prendre plusieurs
formes dérivant des bases monétaires nationales ou de leurs contreparties. Il peut s’agir
d’agrégats monétaires, du crédit via la fixation du taux d’intérêt par la banque centrale ou
encore de réserves de change à travers l’achat de titres étrangers contre devises accumulées.
Mais quelle que soit la forme retenue, la liquidité mondiale a connu et connaît encore une
véritable expansion. Le crédit aux Etats-Unis a augmenté chaque année de 12 à 13% entre
1995 et 2000 puis entre 2003 et 2005. Le taux d’intérêt quasi-nul au Japon depuis 1995 a
conduit à une explosion de l’agrégat monétaire M1 et est une condition d’emprunt favorable
à l’échelle mondiale. Par ailleurs, les pays émergents et exportateurs de pétrole accumulent
de plus en plus de réserves de change qu’ils recyclent sur les marchés d’actifs étrangers en
vue de limiter le coût d’opportunité de détention des réserves de change ainsi que le coût de
stérilisation. Ainsi, tant les pays développés que les pays émergents sont impliqués dans
l’accroissement de la liquidité mondiale. Selon la théorie quantitative de Fisher, cette hausse
devrait entraîner une hausse du niveau général des prix. Or l’inflation reste globalement
stable dans la plupart des pays développés et un grand nombre de pays émergents. Le
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supplément de monnaie n’a donc pas été affecté au marché des biens et services. L’évolution
des marchés d’actifs en revanche pourrait laisser croire à une éventuelle influence de la
liquidité mondiale sur ces marchés. Tant les actions que les prix immobiliers ou des matières
premières ont connu d’importantes variations à la hausse qui correspondent souvent à des
phases de liquidité mondiale abondante voire même surabondante.
Les fluctuations des indices boursiers dans les pays veloppés et émergents sont
également parfois en phase avec celle de la liquidité mondiale. Entre septembre et octobre
2008, l’indice boursier des marchés émergents MSCI perd près de 50% de sa valeur, dans un
contexte de retrait de capitaux par les investisseurs étrangers qui doivent faire face à des
appels de marge sur les marchés des pays développés. Or c’est essentiellement ce canal
financier qui a servi à propager la crise aux pays émergents. Quelle influence la liquidité
mondiale a-t-elle sur les économies receveuses de capitaux ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous organiserons notre travail autour de
deux parties. La première partie de cette étude visera à définir ce qu’est la liquidité mondiale
et à apprécier une éventuelle surliquidité. La seconde partie de ces travaux portera sur
l’impact de la liquidité mondiale sur la stabilité financière des pays émergents, à travers
différents indicateurs. Nous apprécierons l’effet que peut avoir la liquidité mondiale sur les
prix des actifs
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et sur des indicateurs de crise (Ahluwalia (2000), Corsetti, Pesenti and
Roubini (1998)).
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Belke (2010)
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I. Les indicateurs de sur-liquidité mondiale
La liquidité mondiale pourrait être définie comme la somme des liquidités nationales
susceptibles d’être utilisées dans les échanges internationaux. Le caractère « exportable » de
la monnaie dans cette définition est loin d’être négligeable, dans la mesure où il permet à une
monnaie d’influencer la liquidité d’un autre pays ou d’une autre zone monétaire. La
littérature économique fournit plusieurs indicateurs permettant d’évaluer la liquidité
mondiale. Deux catégories d’indicateurs peuvent être identifiées : les mesures quantitatives
et les mesures de prix.
Parmi les principales mesures quantitatives figurent les agrégats monétaires et de
crédit. Le choix des agrégats monétaires pondérés est une idée qui s’inscrit dans le
prolongement de la logique nationale. En effet les agrégats monétaires servent
principalement à mesurer la liquidité dans une zone monétaire. Il s’agit donc d’un
prolongement à l’échelle internationale de l’indicateur national. Baks & Kramer (1999)
proposent plusieurs indicateurs basés sur le taux de croissance d’agrégats monétaires large
et étroit suivant plusieurs modes de calcul. Le crédit est utilisé par plusieurs économistes à
l’instar de Gouteron & Szpiro (2005). Le recours à cette variable est dû essentiellement au fait
que le crédit peut être considéré comme la principale contrepartie de la création monétaire. A
ces deux indicateurs, s’ajoutent des indicateurs basés sur les bases monétaires et / ou sur les
réserves de change. Artus & Virard (2010) définissent la liquidité mondiale comme « la
monnaie créée par l’ensemble des banques centrales de la planète », c'est-à-dire l’ensemble
des bases monétaires. L’importance des réserves des banques centrales notamment des
banques centrales émergentes conduisent plusieurs économistes dont Darius & Radde (2010)
et De Nicolo & Wiegand (2007) à intégrer les réserves de change dans les indicateurs de
liquidité mondiale. Les réserves de change sont considérées soit isolément, soit associées aux
bases monétaires des pays avancés. Au delà de ces indicateurs quantitatifs, des indicateurs
de prix peuvent être envisagés. En effet, la relation entre les prix et les quantités est assez
étroite. Et l’indicateur de prix en référence est le taux d’intérêt.
Sur la base de ces différents indicateurs de liquidité mondiale, des normes sont
établies en vue d’identifier l’existence d’excès ou d’insuffisance de liquidité. Les premiers
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travaux en la matière reposent essentiellement sur ceux de Baks & Kramer (1999). Ils
considèrent comme norme à la liquidité mondiale le taux de croissance de l’économie. Ce
seuil repose sur la théorie quantitative de la monnaie. Comme le soulignent Gouteron &
Szpiro (2005), cette norme représente la liquidité nécessaire au bon développement de
l’économie sans créer de surchauffe. En d’autres termes, il s’agit de la liquidité compatible
avec l’objectif de stabilité des prix. Il existe d’autres mesures d’excès de liquidité à l’instar du
money overhang. Le money overhang représente la déviation du niveau observé du stock de
monnaie en termes nominal d’une valeur d’équilibre issue d’une fonction de demande de
monnaie de long terme. Une combinaison de cet indicateur et de celui de Baks & Kramer
(1999) est le real money gap. Il s’agit de la déviation de la quantité de monnaie effective en
termes réels. Il repose sur la théorie quantitative de la monnaie et intègre une spécification de
la vitesse de circulation de la monnaie (Berger et Harjes, 2009).
Il existe également d’autres indicateurs basés sur le crédit. Il s’agit notamment du
différentiel de taux de croissance entre le crédit et le PIB. Une autre mesure, le credit gap est
proposée par Borio & Lowe (2002). Il y a credit gap si « le ratio crédit sur PIB dévie de sa
tendance d’une valeur spécifique ». Selon ces auteurs, il faut une déviation supérieure à quatre
points de pourcentage pour que l’on qualifie cet écart du ratio à sa tendance comme un excès.
La méthode de détermination du seuil s’inspire des travaux de Kaminsky & Reinhart (1999).
Comme indicateur d’excès de liquidité sur les prix, Gouteron & Szpiro (2005) optent pour le
différentiel entre le taux d’intérêt à court terme et un taux d’intérêt naturel obtenu par la
croissance de long terme. De Nicolo & Wiegand (2007) considèrent le taux d’intérêt issu de la
règle de Taylor comme norme au taux d’intérêt de court terme.
Comme le montrent ces travaux, les questions de liquidité mondiale ont fait l’objet
d’une attention particulière depuis la fin des années 1990. Ceci pourrait s’expliquer par
l’accroissement de la liquidité depuis 1995. En considérant un agrégat de base monétaire
mondiale (M0), deux agrégats monétaires large (M3) et étroit (M1), le crédit au secteur privé
et les réserves de change en pourcentage du PIB, les graphiques ci-dessous mettent en
évidence cette abondance de liquidité, quelle que soit la forme retenue
5
. Les agrégats
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M1 et M3 sont construits à partir des masses monétaires des seuls pays industrialisés. L’indicateur de
crédit ne prend en compte que les Etats-Unis et l’Union européenne. Les réserves de change sont celles
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