T L-ES le HISTOIRE Regards historiques sur le monde actuel Sous la direction de Guillaume BOUREL Professeur en classes préparatoires au lycée Auguste Blanqui à Saint-Ouen (93) Marielle CHEVALLIER Centre national de documentation pédagogique (75) Pascal BURESI Directeur de recherche au CNRS Anne DESCAMPS Professeur en CPGE, lycée Jean Jaurès à Reims (51) Ivan DUFRESNOY Professeur au lycée Jean Monet à Franconville (95) Marie-Reine HAILLANT Professeur au lycée Auguste Blanqui à Saint-Ouen (93) Jean HUBAC Académie de Rouen Sandrine LEMAIRE Professeur en CPGE au lycée Jean Jaurès à Reims (51) François-Xavier NÉRARD Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Xavier PAULÈS Maître de conférences à l’EHESS Sandrine SAULE Professeur au collège Jean-Jacques Rousseau au Pré-Saint-Gervais (93) Marie-Bénédicte VINCENT Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université d’Angers Édition : Martine Schmitt et Aurélie Joubert-Mérandat Mise en pages : Sabine Beauvallet © Hatier, 2012 ISBN : 978-2-218-96115-1 Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tous procédés, en tous pays, faite sans autorisation préalable est illicite et exposerait le contrevenant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957, alinéas 2 et 3 de l’article 41. Une représentation ou reproduction sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre Français d’Exploitation du droit de copie (20 rue des Grands-Augustins, 75 006 Paris) constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Sommaire 1 Le rapport des sociétés à leur passé .................................................. 5 CHAPITRE 1 CHAPITRE 2 Le patrimoine : lecture historique ............................................................ 9 Les mémoires en France : une lecture historique ................................... 31 THÈME 2 Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis de la fin du XIXe siècle à nos jours .................................................... 45 CHAPITRE 3 CHAPITRE 4 CHAPITRE 5 Socialisme et mouvement ouvrier en Allemagne depuis 1875 ............... 47 Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France .................................................................................................. 71 Religion et société aux États-Unis depuis les années 1890................... 91 THÈME 3 Puissances et tensions dans le monde de la fin de la Première Guerre mondiale à nos jours .................. 113 CHAPITRE 6 CHAPITRE 7 CHAPITRE 8 Les États-Unis et le monde depuis 1918............................................... 117 La Chine et le monde depuis le mouvement du 4 mai 1919 ................ 145 Le Proche et le Moyen-Orient : un foyer de conflits ............................ 167 THÈME THÈME CHAPITRE 4 Les échelles de gouvernement dans le monde de la fin de la Seconde Guerre mondiale à nos jours ................... 193 9 Gouverner la France depuis 1946 .......................................................... 195 Le projet d’une Europe politique depuis le congrès de La Haye (1948) .. 215 Le gouvernance économique mondiale depuis 1944 ............................ 235 CHAPITR E 10 CHAPITR E 11 3 THÈME 1 Le rapport des sociétés à leur passé (9-10 heures) point du programme La fascination des sociétés contemporaines pour leur passé, lisible dans l’extension de la patrimonialisation de ses vestiges, est sans doute liée à l’accélération des mutations qu’elles connaissent. Elle s’exprime dans la place que le patrimoine et les mémoires prennent dans l’espace public. Cette place témoigne du « présentisme » que François Hartog pense lire dans l’abandon de la conception que le passé éclaire l’avenir au profit d’une instrumentalisation souvent au service des émotions du présent. Pour des élèves de terminale qui sont destinés à l’enseignement supérieur et qui suivent parallèlement un enseignement de philosophie, l’étude du regard de l’historien sur le patrimoine et les mémoires est l’occasion d’une fructueuse réflexion sur l’apport de la démarche historique à la construction de l’esprit critique. Les processus de patrimonialisation et de mémorialisation sont parents. Ils consistent en l’attribution d’une valeur à une sélection de traces matérielles ou immatérielles du passé : monuments, objets, pratiques culturelles, souvenirs… Cette valeur est attribuée dans le cadre d’un jeu d’échelles qui part de l’individu (la mémoire personnelle et familiale, les objets et rites du passé de chacun) pour atteindre l’humanité entière (patrimoine mondial ; mémoire des grands faits, notamment criminels), en passant par toutes les échelles des groupes constitués autour d’une identité ou d’un projet (groupes des héritiers d’un passé, groupes ethniques, groupes politiques, groupes nationaux…). Cette attribution a ceci de commun avec l’histoire qu’elle construit des récits. Lorsque l’un de ces récits est porté par un groupe suffisamment puissant et légitime aux yeux de l’opinion publique, il devient interpellateur sous la forme du « devoir de conservation » et du « devoir de mémoire ». Il peut alors devenir institutionnel (inscription au patrimoine, entrée d’une mémoire à l’école, inscription au grand livre des célébrations nationales…). Cette double nature de témoin et de récit du passé entretient la confusion avec l’histoire, elle-même récit du passé, mais récit élaboré sur d’autres fondements que les mémoires et avec d’autres finalités que la conservation patrimoniale. Pour reprendre et étendre une distinction de Pierre Nora, mémoires et patrimoine relèvent fondamentalement de la subjectivité, c’est-à-dire de leur détermination par les sujets qui les conçoivent. La démarche de l’historien, quant à elle, est déterminée par une volonté d’objectivité et elle relève d’un processus de vérité, même si celle-ci est contingente et provisoire, relative aux sources, aux temps et à la position de l’historien. Comme telle, elle contient la possibilité de son évolution, voire de sa réfutation. C’est à cette condition qu’elle est scientifique. Une mémoire sert les intérêts (matériels ou symboliques) du groupe qui l’élabore et elle les porte, étant entendu que ces intérêts peuvent être tout à fait légitimes (comme le sont ceux des victimes des grands crimes du passé). L’historien ne doit viser que la production du savoir scientifique qui est compréhension du passé. Le patrimoine, sujet moins polémique que celui des mémoires, n’a pas eu l’honneur de la même réflexion épistémologique. Comme pour les mémoires, un patrimoine est toujours celui de quelqu’un, individu ou groupe social qui le pourvoit d’une valeur. Paris, Rome et Jérusalem ont certes « un » patrimoine si l’on prend ces trois villes pour des êtres historiques. Cependant ce sont plutôt des patrimoines que ces trois villes majeures présentent à l’analyse de l’historien. Une société démocratique ne peut pas en rester à un rapport simplement patrimonial et mémoriel à son passé. Elle se doit de le regarder en face. Et pour cela, le travail de l’historien lui est indispensable. Question 1 : Le patrimoine : lecture historique Mise en œuvre Une étude au choix parmi les trois suivantes : – le centre historique de Rome, – la Vieille Ville de Jérusalem, – le centre historique de Paris. 5 Question 2 : Les mémoires : lecture historique Mise en œuvre Une étude au choix parmi les deux suivantes : – les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France, – les mémoires de la guerre d’Algérie. Jean-Pierre Rioux, La France perd la mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, Perrin, 2006 Enzo Traverso, Le Passé, modes d’emploi. Histoire, mémoire, politique, La Fabrique, 2005 bibliographie • Sur le patrimoine André Chastel, « La notion de patrimoine », dans Les Lieux de mémoire. Tome 2, la Nation, p. 405-450, 1986 Françoise Choay, Le Patrimoine en question, Le Seuil, 2009 Dominique Poulot, Une Histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe-XXIe siècle, PUF, 2006 Marie-Anne Sire, La France du Patrimoine. Les Choix de la mémoire, Gallimard, 1996 • Sur la Seconde Guerre mondiale Serge Barcellini et Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les Lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France, Plon, 1995 Laurent Douzou, La Résistance française, une histoire périlleuse, Le Seuil, 2005 Mechild Gilzmer, Mémoires de pierre. Les Monuments commémoratifs en France après 1944, Éditions Autrement, 2009 Jean-Marie Guillon et Pierre Laborie (dir.), Mémoire et histoire : la Résistance, Privat, 1995 Sylvie Lindeperg, Les Écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français (1944-1969), CNRS Éditions, 1998 Henry Rousso, Vichy, l’événement, la mémoire, l’histoire, Gallimard, 1992 Olivier Wieviorka, La Mémoire désunie. Le Souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, Le Seuil, 2010 • Sur les trois centres historiques Outre les guides touristiques, très utiles, citons : Sur Rome Catherine Brice, Claudia Moatti, Mario Sanfilippo, Matteo Sanfilippo, Rome, Citadelles & Mazenod, 1999 Collectif, « Rome, capitale du monde », magazine L’Histoire n° 234, juillet-août 1999 Filippo Coarelli, Guide archéologique de Rome, Hachette, 1994 Sur Jérusalem Dominique Clévenot et Gérard Degeorge, Décors d’Islam, Citadelles & Mazenod, 2000 Frédéric Encel et Yves Lacoste, Géopolitique de Jérusalem, Flammarion, 2008 Sur Paris Danielle Chadych et Dominique Leborgne, Atlas de Paris, Parigramme, 2001 Youri Carbonnier, Paris, une géohistoire, La Documentation française, 2009 Philippe Lorentz et Dany Sandron, Atlas de Paris au Moyen Âge, Parigramme, 2006 • Sur la guerre d’Algérie Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?, Le Seuil, 2005 Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Agone, 2009 Laurent Gervereau, Jean-Pierre Rioux, Benjamin Stora (dir.), La France en guerre d’Algérie, novembre 1954-juillet 1962, BDIC, 1992 Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004 Joëlle Hureau, La Mémoire des Pieds-Noirs, Perrin, 2010 Benjamin Stora, La Guerre des mémoires. La France face à son passé colonial, L’aube, 2007 • Sur les questions d’histoire et de mémoire Suzanne Citron, Le Mythe national. L’Histoire de France en question, Les Éditions ouvrières, 1989 Sonia Combe, Archives interdites. Les Peurs françaises face à l’Histoire contemporaine, Albin Michel, 1994 6 filmographie sitographie • Sur le patrimoine Fellini Roma, Federico Fellini, 1972 Vacances romaines, Billy Wilder, 1953 Minuit à Paris, Woody Allen, 2011 « Jérusalem, une ville trois fois sainte », Le Dessous des cartes. Géopolitique et religion, Arte vidéo • Sur le patrimoine Site du patrimoine mondial de l’Unesco : whc.unesco.org Site du parc archéologique de Jérusalem : www.archpark.org.il Site du musée Carnavalet : www. carnavalet.paris.fr Site du musée du Louvre : www. louvre.fr Site de Notre-Dame de Paris : www. notredamedeparis.fr Site du musée de l’Ara pacis : fr.arapacis.it • Sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale Site du Mémorial de la Shoah : www.memorialdelashoah.org Site du Mémorial de Caen : www.memorial-caen.fr Site du Centre d’Histoire de la résistance et de la déportation de Lyon : www.chrd.lyon.fr 7 CHAPITRE 1 Le patrimoine : lecture historique Le patrimoine urbain permet une approche sensible de l’histoire d’une ville. Les ruines, édifices et quartiers anciens ne permettent cependant pas une compréhension immédiate de ce passé, du fait de leur imbrication et des destructions – accidentelles ou volontaires – qui ont eu lieu au fil des siècles. Une approche historique est donc nécessaire pour comprendre ces traces matérielles (de quoi témoignent-elles ? pourquoi sont-elles parvenues jusqu’à nous ?) et l’importance accordée au patrimoine dans les sociétés contemporaines. Le programme laisse le choix entre trois centres-villes. Une leçon et une ou deux études sont consacrées à chacun, sachant que ce premier thème doit pouvoir être mis en œuvre sans dépasser 4 heures en tout début d’année et que la présentation, la contextualisation de chacun de ces cas prend du temps. Les élèves ne peuvent être interrogés au baccalauréat sur ce premier chapitre que sous la forme d’une composition. pages 14-15 OUVERTURE DE CHAPITRE une église, ou cumule les deux fonctions. En 1885, il est définitivement transformé en temple républicain, et abrite la dépouille des « grands hommes » auxquels la « patrie est reconnaissante ». Les deux images permettent d’engager la réflexion sur l’attachement des sociétés contemporaines à leur passé et sur la notion de patrimoine : pourquoi reconstituer une ville antique ? Qu’est-ce qu’un monument historique ? En quoi est-il le support d’une mémoire nationale ? pages 16-17 INTRODUCTION Le mot « patrimoine » est connu des élèves. La notion est cependant complexe et mérite donc d’être éclairée avant d’aborder l’étude du patrimoine de l’un des trois centres historiques au programme. Cette introduction propose des éléments de réflexion sur la genèse de la notion en Europe et les enjeux qu’elle recouvre. Elle permet également de s’interroger sur la spécificité du patrimoine urbain, et son intérêt pour comprendre les liens entre patrimoine et histoire, qui sont à double sens : le patrimoine d’une ville est le produit d’une histoire, sa compréhension exige une approche historique (décrypter l’enchevêtrement des passés, comprendre pourquoi tel monument a été conservé, tel autre détruit, en fonction du rapport au passé de chaque époque). Document 1 Une représentation de Rome au IVe siècle Grand Prix de Rome d’architecture, Paul Bigot (1870-1942) effectue au début du XXe siècle un séjour à la Villa Médicis qui héberge l’Académie de France. Il s’intéresse alors à la Rome antique et s’engage dans un projet de reconstitution en plâtre de la ville du IVe siècle ap. J.-C. De 1908 à la fin de sa vie, il réalise plusieurs plans-reliefs, actualisant sa reconstitution au fil des découvertes archéologiques. Ce projet témoigne de la volonté de Paul Bigot d’enrichir ses réflexions et créations architecturales par la connaissance approfondie d’une grande métropole antique. Document 2 Le Panthéon à Paris, dans le 5e arrondissement pages 18-19 CARTE Rome, Jérusalem, Paris aujourd’hui En 1755, Soufflot (1713-1780) est chargé d’édifier une église sur l’emplacement de l’abbaye SainteGeneviève en ruines. Il conçoit un bâtiment néoclassique, inspiré du Panthéon de Rome (voir doc. 3 p. 21). L’église est achevée en 1790, mais devient en 1791 le Panthéon, un temple consacré à la mémoire des grands hommes de la nation. Au cours du XIXe siècle, au gré des changements de régime politique, le bâtiment redevient pour quelque temps Cette double-page vise à mettre en perspective les trois centres historiques aux étendues très différentes. Les cartes permettent de décrire leur situation (fleuve, position dans l’agglomération, contexte géopolitique pour Jérusalem). La confrontation des trois cartes invite à insister sur une première caractéristique du centre urbain choisi : son étendue – très réduite pour Jérusa9 lem, beaucoup plus vaste pour Paris et surtout Rome, ce qui a bien entendu une incidence sur la manière d’aborder l’étude de chaque cas. Pour Paris, la délimitation du centre historique doit être justifiée : on ne peut le réduire à l’hyper-centre qui correspondrait aux limites du Paris médiéval (l’enceinte de Philippe-Auguste), ce qui exclurait par exemple la place de la Bastille, les Invalides… on peut donc considérer que le centre historique correspond au Paris des 12 arrondissements, dans ses limites administratives d’avant 1860. Toutefois on doit admettre que les anciens entrepôts de Bercy ou la butte Montmartre sont des lieux importants du patrimoine parisien ; aussi estimer que le centre historique correspond à la totalité de Paris intramuros peut se justifier. pages 20-21 Réponse à la question Pie II, pape humaniste, prend une mesure en faveur de la protection des monuments anciens, qu’il s’agisse d’édifices religieux ou de l’Antiquité. Il interdit leur destruction, à une époque où il était fréquent d’utiliser les vestiges archéologiques comme des carrières. Les contrevenants sont passibles d’une amende et d’une excommunication. Document 2 Les artistes à l’école de l’Antiquité Raphaël (1483-1520) se forme à Urbino, sa ville natale, puis à Pérouse, avant de passer quatre années à Florence. Appelé par le pape Jules II (1503-1513), il arrive à Rome en 1508. Fasciné par l’importance des traces laissées par l’Antiquité, il consacre beaucoup de temps à dessiner les différents vestiges (édifices, statues, restes de peintures…) et complète sa connaissance de l’histoire romaine en fréquentant les humanistes de la cour pontificale. En 1514, il est chargé par Léon X (1513-1521) de procéder au relevé de tous les monuments de la Ville. La lettre dédiée à Léon X, qui est ici proposée, était destinée à accompagner ce relevé (Raphaël n’eut pas le temps de l’achever). Elle constitue un plaidoyer en faveur de la protection des monuments anciens, dont la destruction se poursuit malgré l’émergence de la notion de patrimoine au siècle précédent. LEÇON 1 Le centre historique de Rome Les traces de l’Antiquité sont particulièrement importantes dans le centre historique de Rome. Analyser le patrimoine urbain romain, c’est donc mesurer le poids de cet héritage, et montrer qu’il n’est pas exclusif : l’apport de la Renaissance et du Baroque est essentiel. C’est aussi comprendre comment la présence des vestiges antiques a permis, dès la Renaissance, l’émergence de la notion de patrimoine en Italie. Il convient enfin de souligner que la richesse archéologique et architecturale du centre historique pose de façon particulièrement aiguë la question de la protection du patrimoine – une question à laquelle différentes réponses ont été apportées selon les époques : on peut ainsi opposer la politique patrimoniale du fascisme à celle de l’après-guerre. Réponse à la question Pour Pie II comme pour Raphaël, les vestiges de l’Antiquité sont source de réflexion et d’émotion esthétique. Ils ont une valeur historique (pour Raphaël, ces vestiges sont une source de connaissance du passé, au même titre que les textes anciens, les deux devant être confrontés), esthétique (Pie II comme Raphaël affirment que les monuments antiques embellissent la ville de Rome) et morale (les vestiges invitent le spectateur à réfléchir sur le temps qui passe, la fragilité de la condition humaine et les revers de fortune). Document 1 Le pape protège les vestiges antiques Pie II (1458-1464), pape humaniste, considérait que les vestiges de l’Antiquité romaine avaient une valeur historique. Sa bulle de 1462, Cum almam nostram urbem, vise à protéger les monuments anciens de Rome, alors gouvernée par les papes. Pie II justifie sa décision en invoquant la valeur historique, esthétique et morale (motif humaniste de « l’inconstance de la fortune ») de ces monuments. Il précise que l’édit s’applique à tous les vestiges, y compris ceux qui relèvent de la propriété privée. Le texte montre donc bien que le Quattrocento italien est aux sources de la notion de patrimoine. Document 3 Le Panthéon Un premier Panthéon avait été élevé au 1er siècle avant J.-C. Il fut endommagé par plusieurs incendies, ce qui explique la volonté de l’empereur Hadrien (117-138) de le reconstruire entièrement en 125. Le portique (33 m de large sur 15,5 m de profondeur) est soutenu par 16 colonnes de gra10 nit, surmontées de chapitres corinthiens. Le fronton était à l’origine orné de motifs en bronze. Le portique permet d’accéder à la rotonde, au-dessus de laquelle s’élève une vaste coupole (43 m de diamètre). Un oculus (de plus de 8 m de diamètre) permet de l’éclairer. Le Panthéon est l’un des rares monuments de Rome à ne s’être jamais effondré. Il est devenu, à partir de la Renaissance, un modèle. La longévité du bâtiment – outre la solidité du bâti – est liée aux différentes fonctions qui lui ont été assignées au fil du temps. Au début du VIIe siècle, il est transformé en église (Sainte-Marie-des-Martyrs). Raphaël demande à y être inhumé ; par la suite d’autres personnages illustres y seront enterrés (artistes, rois d’Italie). La photographie permet de voir comment le Panthéon s’intègre dans le paysage urbain : fontaine du XVIe siècle de Giacomo della Porta, à laquelle un obélisque égyptien a été ajouté en 1711, édifices du XVIIIe siècle. titulée « les traces de l’Antiquité dans le paysage urbain », invite à s’interroger sur l’importance de cet héritage. Certaines traces sont évidentes, d’autres plus difficiles à percevoir. Cette première réflexion conduit l’élève à prendre conscience de l’enchevêtrement des traces du passé et de la nécessité de l’approche historique pour comprendre le patrimoine du centre de Rome. La deuxième partie de l’étude insiste sur l’importance des apports de la Renaissance et de l’Âge baroque en soumettant à l’analyse certains des monuments les plus connus de Rome (villa Médicis, place Navone, fontaine de Trevi). A. LES TRACES DE L’ANTIQUITÉ DANS LE PAYSAGE URBAIN Document 1 L’Arc de Septime Sévère vu par Stendhal Stendhal (1783-1842) a effectué de nombreux séjours en Italie. Il est particulièrement fasciné par Rome. Ses Promenades dans Rome, publiées en 1829, ressemblent à la fois à un journal et à un guide de voyage. Il consigne, sur près d’un an, les impressions et analyses que lui inspirent ses visites. Dans ces extraits datés du 10 janvier 1828, il relate sa promenade dans le Forum romain depuis la colline du Capitole et évoque l’arc triomphe érigé en l’honneur de Septime Sévère (en 203, pour le dixième anniversaire de son règne). L’inscription à laquelle Stendhal fait allusion célèbre les victoires de Septime Sévère aux frontières de l’empire. Le texte peut être confronté à la peinture du XVIIe siècle reproduite en Introduction (p. 16) pour mieux saisir la description des lieux faite par Stendhal. Document 4 La place du Capitole La place du Capitole est l’œuvre de l’artiste MichelAnge (1475-1564). Les travaux répondirent à une demande du pape Paul III en 1536 : il s’agissait de restaurer et embellir la colline, laissée à l’abandon depuis le sac de la ville en 1527 pendant les guerres d’Italie. La place était alors bordée de deux palais (dont le palais du Sénat, visible de face sur l’image). Il en ajouta un troisième (le palais Neuf, situé à gauche), créant un effet de symétrie, et dessina le pavement géométrique qui, par un effet d’optique, agrandit l’espace. L’escalier (appelé la Cordonata) qui mène à la place fut également conçu par Michel-Ange. À son sommet ont été placées deux sculptures du IVe siècle (les Dioscures Castor et Pollux, accompagnés de chevaux). Document 2 Le Forum vu du Palatin pages 22-25 DOC La photographie est prise depuis le Palatin et montre une partie du Forum romain, dont les origines remontent au VIIe siècle av. J.-C., du temps de la monarchie. Il resta le centre politique, religieux et économique de la ville sous la République et l’Empire. L’ensemble fut complété, du Ier siècle av. J.-C. au IIe siècle ap. J.-C., par les Forums impériaux (à l’arrière plan de l’image, de chaque côté de la Via dei Fori imperiali). Le Forum romain présente aujourd’hui un paysage complexe. Les monuments visibles sur la photographie datent pour la plupart de l’époque impériale, mais certains sont plus anciens (basilique émilienne commencée au IIe siècle ÉTUDE Rome, un musée de l’art occidental à ciel ouvert Cette étude souligne la richesse du patrimoine de Rome, liée au rôle éminent joué par les artistes et les mécènes présents dans la ville lors des différentes révolutions artistiques qui ont marqué l’Europe. Vestiges antiques, palais, églises, places et fontaines de la Renaissance et de l’Âge baroque sont si nombreux que le centre historique se présente comme un véritable musée à ciel ouvert de l’art occidental. La première partie de l’étude, in11 av. J.-C.), ou plus tardifs : la colonne de Phocas est le monument le plus récent du Forum (érigée au début du VIIe siècle en l’honneur de l’empereur byzantin en visite à Rome). Notons que des remaniements ont pu ensuite intervenir, comme le montre le temple d’Antonin et Faustine. (briques et fenêtres Renaissance), ce qui explique le caractère mixte de l’édifice actuel. Les gradins du théâtre furent transformés en jardins. Ce palais est toujours habité aujourd’hui. Réponses aux questions 1. Les limites du centre historique de Rome correspondent à la muraille construite sous le règne de l’empereur Aurélien (270-275). 2. Le site est occupé de façon continue depuis l’Antiquité. Les premières traces d’occupation remontent au VIIIe siècle avant J.-C. : des vestiges de cabanes ont été mis au jour par les archéologues sur la colline du Palatin, confirmant ainsi la tradition qui place la fondation de la ville en 753 av. J.-C. La ville atteint son extension maximale au IIIe siècle ap. J.-C., comme le montre la muraille d’Aurélien. L’ensemble du périmètre qu’elle définit est alors densément occupé. La carte, qui présente les principaux vestiges archéologiques, en donne une idée : palais impériaux, forums, thermes, cirques… sont nombreux. Il faut aussi imaginer, entre ces édifices, tous les immeubles d’habitation (voir la reconstitution de Rome au IVe siècle par Paul Bigot, doc. 1 p. 14). Seul le tiers nord-ouest, dans la boucle du Tibre, est occupé du milieu du XVIe siècle à 1870. Rome devenue capitale du Royaume d’Italie, l’extension reprend. L’occupation du site a donc varié au fil des siècles, mais dans un cadre très particulier, car les vestiges de la civilisation romaine y sont nombreux. 3. Les monuments antiques gardent une place importante dans le centre historique actuel, par leur nombre et leur étendue. Les documents 2 et 3 permettent de mesurer leur emprise. L’ensemble formé par les différents Forums (romain et impériaux) et les palais impériaux du Palatin occupent un quadrilatère qui s’étend sur près de 500 m d’est en ouest, et plus de 600 m du nord au sud. Les thermes de Caracalla ont été entièrement mis au jour et constituent un vaste complexe archéologique (330 m sur 330 m). Le théâtre de Marcellus (doc. 4), transformé en palais au XVIe siècle et toujours habité depuis, montre que certains vestiges sont complètement intégrés dans la ville actuelle. 4. Le témoignage de Stendhal, extrait des Promenades dans Rome de 1829, est une descrip- Document 3 Rome de l’Antiquité au XIXe siècle Cette carte permet de localiser les principaux monuments du centre historique de Rome, caractérisé par la présence des sept collines et du Tibre, et délimité par la muraille d’Aurélien (270-275). Elle a également l’intérêt de montrer la permanence de l’occupation du site depuis le milieu du VIIIe siècle av. J.-C. (Rome a été fondée selon la tradition en 753 av. J.-C.), ainsi que ses fluctuations dans un cadre hérité de l’Antiquité. Rome compte un million d’habitants au début de la période impériale, mais connaît un affaiblissement démographique spectaculaire au Moyen Âge (la population est estimée à quelques milliers d’habitants au Xe siècle), ce qui se traduit par l’abandon de nombreux quartiers. Seuls quelques îlots sont habités. Le reste est en friche ou transformé en espace agricole (le Forum devient un lieu de pâturage, d’où le nom de Campo Vaccino, le « champ des vaches »). Ce n’est qu’à partir du XVe siècle que Rome renoue avec une phase de croissance décisive, sous l’impulsion des papes. Les limites de la Rome de 1870 sont proches de celles du XVIe siècle, toujours bien plus restreintes que celles du IIIe siècle. Elle compte alors 200 000 habitants. Il faut attendre l’Entre-deux-guerres pour retrouver une population équivalente à celle du Ier siècle av. J.-C. Document 4 Le théâtre de Marcellus Le théâtre, édifié au Ier siècle av. J.-C., fut dédié à Marcellus par Auguste en 13 av. J.-C. Il pouvait accueillir 15 000 spectateurs et s’élevait sur trois niveaux. Les deux premiers sont toujours visibles, rythmés par l’alternance entre les arcades et les pilastres. Il était recouvert de travertin. Il a sans doute servi de modèle pour la construction du Colisée. Il fut abandonné au Ve siècle et servit de carrière. Par la suite, l’édifice, endommagé, est transformé en forteresse pour la famille des Savelli. Au XVIe siècle, l’architecte Baldassare Peruzzi (1481-1536) fait de l’ensemble un palais pour la famille des Orsini, en reconstruisant un 3e niveau 12 tion du Forum romain au début du XIXe siècle. Il était encore utilisé comme pâturage et en grande partie enseveli. Pour en découvrir les monuments, il était donc nécessaire, dans le cadre de fouilles archéologiques, de retirer d’importants volumes de terre pour retrouver le niveau ancien du sol. C’est ce qui permet à Stendhal de pouvoir admirer l’Arc de Septime Sévère dans sa totalité. Mais à la date du texte, de nombreux monuments n’ont pas encore été dégagés. 5. Le Forum romain a fait l’objet de fouilles archéologiques. Les vestiges appartiennent à des époques différentes. Ce qui fait la particularité du lieu aujourd’hui, c’est donc que des strates historiques distinctes sont visibles simultanément, dans un état qui n’a jamais existé. figures allégoriques représentent le Gange, le Nil, le Rio de la Plata et le Danube, qui symbolisent les quatre continents (Asie, Afrique, Amérique et Europe). Elles sont surmontées d’un obélisque provenant du cirque de Maxence. Deux autres fontaines ornent la place : au nord, la fontaine de Neptune, et au sud la fontaine du Maure (au premier plan sur la photographie). Le personnage du Maure, tout en torsion dans son combat contre un dauphin, a été dessiné par Le Bernin, et la sculpture réalisée en 1654 par Giovanni Antonio Mari. L’église baroque Sant’Agnese in agone, située sur le côté ouest de la place, est l’œuvre de l’architecte Francesco Borromini (1599-1667), grand rival du Bernin. Le caractère dynamique de la façade, lié à sa forme concave et aux deux campaniles symétriques qui encadrent la coupole, porte la marque de Borromini. À gauche de l’église s’étire la façade, plus rigide, du palais Pamphili construit par Girolamo Rainaldi en 16441650 pour des membres de la famille du pape Innocent X. VERS LE BAC Étude critique Document 7 Plan possible I. Une histoire longue, un patrimoine riche II. Des réemplois successifs à différentes époques que seule l’archéologie permet de décrypter Le palais Massimo alle colonne Le palais Massimo alle colonne, situé au sud de la place Navone, est un palais Renaissance de l’architecte Baldassare Peruzzi (1481-1536), dont ce fut la dernière création. Il fut chargé en 1532 de reconstruire le palais de la famille Massimo, édifié au XVe siècle et qui avait été incendié lors du sac de la ville en 1527. La photographie donne à voir la façade secondaire du bâtiment, décorée d’une fresque monochrome, qui donne sur la petite place dei Massimi, au centre de laquelle est dressée une colonne antique. B. ROME, UNE VILLE DE LA RENAISSANCE ET DU BAROQUE Document 5 L’inscription du centre historique de Rome au patrimoine mondial de l’humanité En 1972, l’Unesco a décidé d’établir une liste du patrimoine mondial de l’humanité, c’est-à-dire de monuments et de sites dont l’intérêt dépasse le cadre national et qu’il faut protéger pour l’ensemble des générations futures. Le centre historique de Rome a été classé en 1980. Document 8 La villa Médicis La villa Médicis a été construite sur la colline du Pincio pour le compte du cardinal Ricci en 1564. C’est cependant le nom du propriétaire suivant qui lui est resté : Ferdinand de Médicis (1549-1609). Il demanda au sculpteur et architecte florentin Bartolomeo Ammaniti (1511-1592) de remodeler le palais. La façade intérieure, que l’on voit sur la photographie, est alors modifiée : un étage supplémentaire est ajouté au corps central. Des statues et des bas-reliefs antiques, qui proviennent de la collection personnelle de Ferdinand de Médicis, sont intégrés à la façade. Les statues, qui étaient disposées dans les niches, ont été retirées au mo- Document 6 La place Navone et la fontaine des Quatre-Fleuves du Bernin (XVIIe siècle) La place Navone, avec ses fontaines et palais, constitue un très bel ensemble baroque. C’est l’architecte et sculpteur Le Bernin (1598-1680) qui a aménagé cette place au milieu du XVIIe siècle. Elle doit sa forme et ses dimensions au stade de Domitien dont elle occupe l’emplacement. Construit en 86 ap. J.-C. il pouvait accueillir 30 000 spectateurs. Au centre de la place se trouve la fontaine des Quatre-Fleuves, dessinée par Le Bernin. Quatre 13 ment de la vente du bâtiment à la France en 1803 (il accueille depuis l’Académie de France), mais les bas-reliefs sont restés. On peut donc toujours en admirer l’ordonnancement symétrique. Les grandes plaques de marbre décorées de guirlandes ont été prélevées sur l’Ara Pacis (Ier siècle av. J.-C.). Les scènes mythologiques, de processions et de sacrifices proviennent de sarcophages. Depuis la restauration de 2000, la façade a retrouvé sa couleur ivoire originelle, que l’on doit au marmorino, un enduit composé de poudre de marbre et de chaux. 7. L’architecture de la Renaissance se caractérise par son inspiration antique, sans que cela ne signifie une simple imitation des édifices gréco-romains. Cette exigence se traduit par la recherche de proportions harmonieuses. La villa Médicis en donne un exemple par sa symétrie verticale, organisée autour de la loggia à laquelle un perron circulaire mène, et la régularité des ouvertures. L’utilisation de corniches, de frontons triangulaires, d’arcs en plein cintre, de colonnes sont aussi caractéristiques. Le goût pour l’Antiquité apparaît également par le réemploi d’éléments prélevés sur des monuments anciens : colonne érigée sur la petite piazza (Palais Massimo alle colonne), bas-reliefs venant de l’Ara Pacis ou de sarcophages antiques intégrés à la façade (Villa Médicis). Enfin, on peut souligner que les personnages de la fresque monochrome du Palais Massimo alle colonne sont traités selon les principes esthétiques de la Renaissance (créer une impression de naturel et de mouvement en s’appuyant sur une connaissance précise de l’anatomie du corps humain). 8. La place Navone est aujourd’hui considérée comme l’un des fleurons de l’art baroque car elle concentre, sur un espace restreint, plusieurs chefs-d’œuvre réalisés au milieu du XVIIe siècle (trois fontaines, dont la célèbre fontaine des Quatre-Fleuves au centre de la place, l’église Sant’Agnese in Agone, le palais Pamphili) qui se caractérisent par la recherche exacerbée du mouvement, la volonté de transformer façades et places en décors qui frappent l’imagination. D’autre part, ses principaux monuments ont été conçus par deux des plus grands artistes baroques de l’époque. C’est au Bernin (1598-1680) que l’on doit l’aménagement de la place, la fontaine des Quatre-Fleuves et celle du Maure (qui se bat, dans une ample torsion du buste, contre un dauphin). Francesco Borromini (1599-1667) est l’architecte qui a créé la façade de l’église, dont la concavité est typique du baroque. 9. La place Navone a été aménagée sur le site de l’antique stade de Domitien (fin du Ier siècle), dont elle a gardé la forme d’ellipse très étirée. 10. La fontaine de Trevi témoigne de la permanence de l’esthétique baroque à Rome au milieu du XVIIIe siècle. Elle se rattache à ce style par son effet spectaculaire (la fontaine se déploie sur l’ensemble de la façade du palais Document 9 La fontaine de Trevi La fontaine de Trevi est l’œuvre de Nicola Salvi. Commencée en 1732 et achevée en 1762, elle est adossée à un palais dont elle épouse les dimensions (20 m de large sur 26 m de haut). La fusion entre architecture et sculpture explique ainsi ses vastes proportions. Elle est structurée autour d’un arc de triomphe supporté par quatre colonnes corinthiennes. À centre, une niche abrite une statue de Neptune, dont le char en forme de coquillage est tiré par des chevaux marins. Il est encadré par deux figures allégoriques (à gauche l’abondance, à droite la salubrité). Au premier plan, la rocaille fait transition avec le bassin de la fontaine. Immortalisée par Fellini en 1960 dans La Dolce Vita (Anita Ekberg s’y baigne sous les yeux de Marcello Mastroianni), la fontaine de Trevi est l’un des monuments les plus célèbres de Rome. Réponses aux questions 6. Les quartiers de Rome classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco sont ceux qui se situent à l’intérieur des murailles d’Aurélien (IIIe siècle) et de celles d’Urbain VIII (XVIIe siècle). Ils sont plus étendus sur la rive droite du Tibre que sur la rive gauche. L’Unesco justifie sa décision par plusieurs arguments. Elle invoque d’abord l’importance des monuments et sites que ce périmètre intègre, pour leur valeur historique (Rome a joué depuis l’Antiquité un rôle majeur dans l’histoire de la Méditerranée et de l’Europe) et esthétique (chef-d’œuvre de l’Antiquité, mais aussi des périodes « postérieures », c’està-dire en particulier de la Renaissance et du Baroque). L’Unesco met également en avant la forte concentration de ces biens culturels dans un espace restreint (52 km2), qui fait de Rome un musée de l’art occidental en plein air. 14 ditionnellement utilisé à Rome). Sa construction a nécessité de détruire un vaste quartier médiéval. Entre le Cirque Maximus (en haut à droite) et le Forum romain, se situe la colline du Palatin, avec les vestiges des palais impériaux. L’axe qui relie le Vittoriano au Colisée et traverse les Forums impériaux est la Via dei Fori imperiali, ouverte sous le fascisme. Sa construction a signifié la destruction ou l’ensevelissement, sous la chaussée, de nombreux vestiges archéologiques. Le Colisée a été édifié à la demande de l’empereur Vespasien en 72 ap. J.-C. Cet amphithéâtre, qui pouvait accueillir 50 000 spectateurs, est aujourd’hui le monument le plus visité de Rome (5 millions de visiteurs en 2011). auquel elle s’adosse, le vaste bassin occupe une grande partie de l’étroite place où elle a été construite, les eaux chutent avec force sur la rocaille), le mouvement des personnages et des chevaux (cheval marin de gauche qui se cabre, étoffes plissées et soulevées par le vent, posture accentuée de Neptune – au centre – et de l’allégorie de l’abondance – à gauche) et l’articulation entre sculpture et architecture, au service d’une scénographie urbaine. VERS LE BAC Composition Plan possible I. La richesse du patrimoine antique II. Rome, un des centres de la révolution artistique des XVI et XVIIe siècles, porté par le mécénat des papes pages 26-27 Document 2 Mussolini et Rome Benito Mussolini (1883-1945) expose, dans ce discours du 31 décembre 1925, ses projets pour Rome. Ils reposent sur la sélection d’un petit nombre de monuments considérés comme les plus importants – essentiellement des édifices de l’Antiquité (le Panthéon, le Colisée, le théâtre de Marcellus, le Capitole), les créations du Moyen Âge et de la Renaissance étant décadentes à ses yeux. Ils doivent être mis en valeur par la suppression de ce qui les entoure et la création de perspectives. Ainsi, deux millions de mètres cubes sont démolis entre 1921 et 1937, et des dizaines de milliers de logements disparaissent. C’est donc un ample remaniement de la ville qui se produit sous le fascisme. ÉTUDE Rome : un patrimoine entre valorisation et destruction Quels monuments faut-il protéger ? Selon quels critères arbitrer entre conservation et aménagements ? Comment mettre le patrimoine en valeur ? L’étude permet de montrer que les réponses à ces interrogations ont varié au fil du temps, chaque époque définissant à sa manière ce qui est digne d’être transmis aux générations suivantes. La double-page souligne également le fait que la question de la protection du patrimoine se pose aujourd’hui à Rome de façon particulièrement aiguë. Plusieurs raisons se conjuguent pour l’expliquer : la valeur et la forte concentration de ce patrimoine, une sensibilité au problème exacerbée par les destructions de la période fasciste, et enfin l’enjeu économique (le patrimoine est au fondement de l’activité touristique urbaine). Document 3 Place Augusto Imperatore Au centre de la place se trouve le mausolée d’Auguste (26 av. J.-C). Au Moyen Âge, il fut transformé en forteresse. Très endommagé aujourd’hui, il forme un relief arboré, qui laisse cependant deviner la forme circulaire de ce monument funéraire (87 m de diamètre). Entre 1937 et 1940, l’architecte Ballio Morpurgo supprima les bâtiments et les rues qui entouraient l’édifice, et créa une place quadrangulaire, délimitée par d’imposants immeubles, caractéristiques de l’architecture fasciste. Celle-ci reprend, mais dans une forme plus stricte, certains éléments de l’architecture classique (portique, colonnade, utilisation du travertin). Document 1 Le Vittoriano Au premier plan apparaît le Vittoriano (ou Autel de la patrie), entre la place de Venise et le Capitole. Il symbolise l’unification italienne et célèbre le premier roi d’Italie, Victor-Emmanuel II (1861-1878). Commencé en 1885, il a été inauguré en 1911, à l’occasion du 50e anniversaire de la naissance du royaume d’Italie. Par sa couleur blanche, il tranche sur l’ensemble du paysage urbain (le calcaire de Lombardie fut préféré au travertin du Latium tra- Document 4 L’autel de la Paix (Ara Pacis Augustae) L’Ara Pacis Augustae (Autel de la Paix d’Auguste) a été érigé sur ordre du Sénat entre 13 et 9 av. J.-C 15 au retour d’Auguste de Gaule, afin de commémorer les victoires de l’empereur. L’action d’Auguste avait surtout consisté en la pacification de la Gaule, de l’Espagne et la conquête de la Germanie. Durant les années 21-19, il avait fait le tour de l’Orient, réorganisant les provinces, étouffant les révoltes et stoppant l’avancée des Parthes. Le monument symbolisait donc un empire pacifié. Il fait la synthèse de toute l’idéologie augustéenne. C’est un savant mélange d’exaltation des traditions romaines et de la famille du prince (princeps est le titre officiel d’Auguste) puisque les reliefs représentent la famille impériale, mais aussi Romulus et Remus, ainsi qu’une divinité qui peut être soit Tellus (divinité de la terre nourricière) soit Venus (divinité associée depuis César aux Julii). Ainsi le principat est assimilé au retour de la paix après un siècle de guerre sociale puis civile, d’apogée de l’expansion et de retour aux traditions romaines (celles exaltées par Virgile ou Ovide) dont Rome se serait détournée. L’Autel se situait sur le Champ de Mars. Fortement endommagé, les différentes parties du monument mises au jour à partir du XVIe siècle furent dispersées. Les archéologues le reconstituèrent en 19371938 et l’installèrent à proximité du mausolée d’Auguste, et non sur son site originel. Le monument, en marbre, est constitué de deux parties. Au centre se trouve l’autel proprement dit, sur lequel s’effectuaient les sacrifices. Celui-ci est entouré d’une enceinte carrée ornée de bas-reliefs, qui représentent, sur la paroi extérieure, les origines mythologiques de Rome ainsi qu’une scène de procession conduite par Auguste et Livie, et, sur la paroi intérieure, des guirlandes de fleurs et de fruits. en coupant en deux l’ensemble des Forums impériaux, et la place Augusto Imperatore, aménagée autour du mausolée d’Auguste. 3. Mussolini n’entend conserver de l’Antiquité que les monuments les plus imposants, comme le Colisée, le théâtre de Marcellus ou le Panthéon, parce qu’ils témoignent de la grandeur passée de Rome. Ils doivent être magnifiés par le vide : les bâtiments qui les entourent doivent être détruits. Cette réinterprétation du patrimoine doit permettre, pour Mussolini, de faire de Rome la nouvelle capitale du XXe siècle. 4. L’Ara Pacis est un monument en marbre du Ier siècle av. J.-C., construit sur le Champ de Mars pour célébrer les victoires militaires de l’empereur Auguste. Une enceinte de 10,6 sur 11,6 m, sculptée en bas-relief, abrite l’autel sur lequel les sacrifices étaient célébrés. Aujourd’hui, l’Ara Pacis pacis se dresse près du mausolée d’Auguste où il a été reconstitué en 1938. 5. Le musée de l’Ara Pacis a été inauguré en 2006. Il a pour première fonction de garantir la conservation du monument. L’écrin de 1938 ne le protégeait en effet pas des variations de température et l’Autel de la paix subissait des dégradations. Il doit par ailleurs assurer la mise en valeur du monument. Le bâtiment est donc un musée, ouvert au public. Doté de baies vitrées, il permet d’admirer l’Autel depuis l’extérieur. 6. Les interventions du fascisme dans le patrimoine urbain ont été radicales. Elles ont profondément transformé le paysage, fait disparaître des monuments et ensembles bâtis jugés sans valeur. Par réaction, cette politique a suscité une volonté marquée de préserver le patrimoine de la ville et d’en maintenir l’harmonie. 7. Le musée de Richard Meier se présente comme un parallélépipède aux angles vifs. Trois matériaux dominent : enduit blanc, verre et travertin. Plusieurs éléments ont suscité la polémique : son architecture contemporaine que certains jugent trop audacieuse, en particulier parce qu’elle contraste fortement avec l’église du XVIe siècle voisine ; sa couleur (le blanc éclatant de l’enduit l’emporte sur l’ivoire rosé du travertin) ; une sensibilité exacerbée à toute intervention sur le patrimoine depuis le fascisme. Réponses aux questions 1. Le monument s’appelle le Vittoriano parce qu’il célèbre le premier roi d’Italie, VictorEmmanuel II (1861-1878). Il symbolise en même temps l’unification italienne et abrite l’Autel de la patrie. Le monument s’inscrit de façon assez brutale dans le paysage urbain par sa masse imposante (il cache complètement la colline du Capitole lorsqu’on le regarde depuis la place de Venise) et sa couleur blanche qui tranche avec les matériaux traditionnellement utilisés à Rome (enduits ocres, brique, travertin ivoire). 2. Deux des principales réalisations de l’ère fasciste sont présentées : d’une part la Via dei Fori imperiali, l’axe qui relie le Vittoriano et le Colisée, 16 pages 28-29 LEÇON 2 lysant le signifié. Par son histoire, Jérusalem occupe une place-clé dans l’imaginaire occidental (« centre du monde » : pensons aux mappemondes médiévales en forme de « T dans l’O »). Mais Dumas s’intéresse aussi à la sonorité du mot : le prononcer suffit à faire naître l’émotion, ce qui lui donne un caractère universel. 2. Alexandre Dumas laisse de côté les hypothèses qui font de Jérusalem la ville « protégée par Shalem » ou « fondée par Shalem » et retient celle selon laquelle est la « ville de la paix ». Cette explication est en effet plus conforme au portrait de Jérusalem que l’auteur entend faire dans son roman historique : une ville qui traverse les siècles et unit les peuples. La Vieille Ville de Jérusalem Le patrimoine de la Vieille Ville de Jérusalem présente plusieurs particularités. La Vieille Ville, délimitée par l’enceinte ottomane du XVIe siècle, s’étend sur moins d’1 km2. À la différence de Rome et de Paris, ce centre historique peut donc être abordé dans son ensemble. Il n’en est pas moins complexe, car fruit de différentes religions et civilisations, et, aujourd’hui encore, âprement disputé, comme en témoigne la toponymie multiple de la ville : mont du Temple ou Haram al-Sharif ; Mur occidental ou mur des Lamentations. Les tensions s’inscrivent aussi au sein d’une même religion : le Saint-Sépulcre est difficilement partagé entre les différentes communautés chrétiennes. Ce fut d’ailleurs le prétexte au déclenchement de la guerre de Crimée (1853-1856). Pour comprendre le patrimoine de la Vieille Ville de Jérusalem, il est donc nécessaire d’en connaître l’histoire. Le contexte géopolitique est aussi une clef de lecture décisive. Les fouilles archéologiques ou la protection des monuments et vestiges ne se limitent jamais à de simples questions techniques ou scientifiques. Le lien pourra donc être fait avec le chapitre 8 sur le Proche et le Moyen-Orient. Document 2 Bassin du Patriarche ou d’Ezéchias, dans le quartier chrétien Les recherches des archéologues chrétiens du XIXe siècle ont été guidées par les textes bibliques, qu’il s’agissait de valider par les fouilles. Ils se sont notamment attachés à retrouver les traces des aménagements hydrauliques du roi Ezéchias (il régna sur le royaume de Juda de - 716 à - 687) évoqués dans l’Ancien testament. Selon les érudits, le bassin d’Ezéchias a été identifié au bassin de Siloé, situé en dehors de la Vieille Ville, ou au bassin du Patriarche, situé dans le quartier chrétien, à proximité du Saint-Sépulcre (le dôme est visible au second plan de l’image). Document 1 Jérusalem, centre du monde Isaac Laquedem est un roman inachevé d’Alexandre Dumas (1802-1870), écrit en 1853. Le projet du romancier était de retracer l’histoire du monde en partant d’un mystérieux pèlerin du XVe siècle, qui se révèle être le Juif errant. Il y peint notamment une vaste fresque de l’histoire de Jérusalem depuis sa fondation. C’est dans ce contexte que l’écrivain propose une réflexion à la fois historique et littéraire sur le nom « Jérusalem ». Son étymologie fait en effet débat. Selon une première hypothèse, la première partie du nom pourrait provenir du sumérien « uru » (ville) ou de l’hébreux « yry » (fondation), et la deuxième partie renvoyer au Dieu des Cananéens Shalem. Jérusalem signifierait alors « ville sous la protection de Shalem » ou « ville fondée par Shalem ». Pour d’autres, l’origine serait chaldéenne : « YeRu » (ville) et « ShLM » (paix), ce qui fait de Jérusalem la « ville de la paix ». Document 3 Mur du palais du roi Hérode (Ier siècle av. J.-C.) À la suite de la guerre de 1948, la ville de Jérusalem a été divisée en deux : Jérusalem-Ouest, située dans l’État d’Israël, et Jérusalem-Est (dont fait partie la Vieille Ville), en Jordanie. La situation change après la guerre des Six Jours de 1967 : la totalité de la ville est désormais contrôlée par les Israéliens. Des travaux de rénovation et des chantiers archéologiques sont alors lancés dans la Vieille Ville. C’est dans ce contexte que des vestiges du palais d’Hérode ont été mis au jour en 1970. Document 4 Sabil de Qaitbay : fontaine publique sur le Haram al-Sharif Réponses aux questions 1. Alexandre Dumas explique la puissance surnaturelle du nom « Jérusalem » en en ana- La fontaine publique et la madrasa Ashrafiyya ont été construites en 1482 à la demande du sultan Qaitbay (1468-1498). Les deux édifices constituent des 17 témoignages de la période mamelouke (milieu XIIIe siècle-début XVIe siècles) et contribuent à faire du Haram al-Sharif un musée de l’art islamique en plein air. La madrasa Ashrafiyya est considérée comme la troisième merveille de l’esplanade après le Dôme du Rocher et la mosquée al-Aqsa. Le sabil se compose de trois niveaux. La base, carrée et ornée d’une frise calligraphiée, forme la partie la plus haute. Le tambour est constitué de triangles convexes (pendentifs) alternés. Le dôme est entièrement couvert d’arabesques sculptées en bas-relief. C’est l’unique exemple de ce type qui existe en dehors du Caire. pages 30-33 première grande réalisation architecturale islamique. En effet, c’est avec la dynastie ommeyade que naît la volonté d’élever, dans les territoires conquis, des monuments qui exaltent la nouvelle religion et le nouveau pouvoir. C’est aussi le plus ancien édifice islamique parvenu jusqu’à nous dans son intégrité architecturale. Le Dôme du Rocher est composé de volumes géométriques simples. De la base octogonale (54 m de diamètre, 12 m de haut) émerge, portée par un tambour cylindrique, une coupole qui culmine à 34 m. Le Dôme présente le même profil quel que soit l’angle à partir duquel on le regarde. Son architecture porte la marque de l’influence byzantine : rigueur géométrique (octogone, cercle), principe de hiérarchisation des volumes. Mais le traitement des surfaces extérieures est un trait spécifique de l’art islamique. La partie inférieure des façades est recouverte de placage de marbre blanc. Dans leur partie supérieure, elles sont recouvertes de carreaux de faïence à dominante bleue (voir doc. 9 p. 32). La coupole est couleur or (à l’origine recouverte de cuivre, elle l’est aujourd’hui d’or). Les trois registres chromatiques (blanc, bleu, or) ne coïncident pas avec la structure architecturale et renforcent l’effet d’élévation. D’autres monuments s’élèvent sur l’esplanade et font de celle-ci un véritable musée d’architecture islamique. Outre la mosquée al-Aqsa (voir doc. 10 p. 32), citons le Dôme de la Chaîne (VIIe siècle, remanié au XIIIe siècle par les mamelouks), situé à l’est du Dôme du Rocher ; les arcades (qanatir) (voir doc. 10 p. 32) qui dominent chacun des huit escaliers menant au terre-plein surélevé sur lequel a été édifié le Dôme du Rocher. La madrasa Ashrafiyya et le sabil de Qaitbay (doc. 4 p. 29), situés à l’ouest de l’esplanade, ne sont pas visibles sur cette prise de vue. ÉTUDE Le patrimoine de la Vieille Ville Cette étude se propose d’aborder le patrimoine de la Vieille Ville autour de deux problématiques. La première porte sur les lieux saints des trois monothéismes. Plusieurs documents sont consacrés à l’esplanade du Temple/des Mosquées, qui soulève des enjeux patrimoniaux spécifiques. La deuxième partie vise à cerner l’originalité du patrimoine de la Vieille Ville, abordé dans sa globalité, à travers l’analyse de monuments, mais aussi du paysage urbain. Cette approche permet de repérer les apports des différentes civilisations méditerranéennes. A. JÉRUSALEM, VILLE SAINTE Document 1 Les quatre quartiers de la Vieille Ville Document 2 L’esplanade du Temple ou Haram al-Sharif Ce document illustre la réappropriation d’un lieu au long de l’histoire, mais aussi comment une approche historique du patrimoine révèle les empreintes d’une civilisation à l’autre. L’esplanade du Temple ou Haram al-Sharif (« noble sanctuaire ») se présente comme une vaste terrasse quadrangulaire de 140 000 m2, aménagée sur le mont Moriah. Cette vue aérienne de l’esplanade montre que de nombreux édifices y ont été construits. Le principal est le Dôme du Rocher, qui domine la Vieille Ville depuis le VIIe siècle. C’est un lieu de pèlerinage : il abrite le rocher à partir duquel, selon la tradition musulmane, Mahomet aurait quitté la terre. Selon la tradition juive, cet affleurement du mont Moriah serait le lieu où Adam aurait été créé et où Abraham se serait apprêté à sacrifier son fils. Construit entre 688 et 691 à la demande du calife ommeyade Abd al-Malik, le Dôme du Rocher est la Document 3 Le Mur occidental et le Dôme du Rocher Le Mur occidental, vestige de l’enceinte extérieure du Second Temple d’Hérode est le lieu le plus saint du judaïsme. Il est appelé Ha-Kotel ha-Maaravi en hébreux. Pour les chrétiens, c’est le « mur des Lamentations », un nom qui date du Moyen Âge et évoque les psalmodies des fidèles qui venaient pleurer la destruction du Temple en 70 ap. J.-C. par les Romains. Selon la Bible, le roi Salomon (Xe siècle av. J.-C.) aurait fait construire sur le mont Moriah (à l’emplacement de l’actuelle esplanade) le Premier Temple, qui abritait l’Arche d’Alliance contenant les Tables de la Loi. Ce Temple fut 18 prennent la structure de la double porte d’entrée. L’édifice est surmonté de deux coupoles. La plus grande date de l’époque byzantine, la seconde a été ajoutée par les croisés. Très endommagées (incendie de 1808, tremblement de terre de 1927), elles ont été très largement restaurées. détruit en 587 av. J.-C. par les Babyloniens. À la fin du VIe siècle av. J.-C., le temple est reconstruit. Ce Second Temple fut agrandi par le roi Hérode en 20 av. J.-C. L’esplanade qui se situe au pied du Mur occidental est un lieu de culte. Document 4 Réponses aux questions 1. La Vieille Ville de Jérusalem est délimitée par l’enceinte de Soliman le Magnifique qui date du XVIe siècle. Au sud-est se situe l’esplanade du Temple/des mosquées, sur laquelle se dresse le Dôme du Rocher, 3e lieu saint de l’islam. À l’angle sud-ouest de cette esplanade se trouve le Mur occidental, qui jouxte le quartier juif. Le quartier arménien se situe au sud-ouest, le chrétien au nord-ouest, et le musulman au nord. 2. L’esplanade est une terrasse artificielle aménagée sur le mont Moriah. Elle porte plusieurs noms du fait de son histoire. L’appellation esplanade du temple renvoie au fait que c’est là que furent construits le Premier puis le Second Temple. Mais le mont Moriah est aussi, selon la tradition musulmane, le lieu d’où le Prophète Mahomet s’est envolé vers le ciel. Aussi, le passage de Jérusalem sous domination ommeyade au VIIe siècle se traduisit par la construction d’édifices musulmans sur le même emplacement : Dôme du Rocher, mosquée al-Aqsa par exemple. C’est ce qui explique que l’esplanade soit aussi appelée esplanade des mosquées ou Haram al-Sharif (« noble sanctuaire »). 3. Le Mur occidental désigne les principaux vestiges du Second Temple. Ce temple fut agrandi par Hérode au Ier siècle av. J.-C. Pour soutenir la nouvelle enceinte, des murs furent construits. Les plus gros blocs de pierre du Mur occidental sont des vestiges de celui qui s’élevait à l’ouest, entre les deux rampes d’accès. 4. Le Dôme du Rocher est le troisième lieu saint de l’islam car il renferme un affleurement du mont Moriah, qui, selon la tradition, serait le rocher à partir duquel Mahomet s’est élevé vers le ciel. 5. Le Saint-Sépulcre est une église édifiée sur le site présumé de la crucifixion, de l’ensevelissement et de la résurrection de Jésus. La première basilique a été construite au IVe siècle par l’empereur Constantin. L’église actuelle doit son architecture aux reconstructions des XIe et XIIe siècles par les Byzantins puis les croisés. Reconstitution du Second Temple Les fouilles archéologiques menées dans la zone depuis une quarantaine d’années ont permis de proposer une reconstitution du Second Temple réaménagé par Hérode : vaste esplanade soutenue par quatre murs (dont le Mur occidental est un vestige). Au centre se trouve le Saint des Saints. Document 5 La construction du Dôme du Rocher La campagne de Napoléon en Egypte puis en Palestine, en 1798, provoqua une véritable redécouverte de la Terre Sainte en Europe. Tout au long du XIXe siècle, érudits, archéologues et écrivains se rendirent en Orient. Les images qui en furent rapportées éveillèrent l’intérêt de François-René de Chateaubriand (1768-1848) qui parcourut la Grèce, l’Asie mineure, la Palestine et l’Égypte en 1806. Il fit le récit de ce voyage dans Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811). Document 6 L’église du Saint-Sépulcre Selon la tradition, l’église a été construite sur le lieu présumé de la crucifixion, de l’ensevelissement et de la résurrection de Jésus. Autour des années 30 de l’ère chrétienne, le site se trouvait en dehors de l’enceinte de la ville. La première basilique a été érigée entre 326 et 335 sous le règne de l’empereur romain Constantin, qui s’était converti au christianisme. Ce premier sanctuaire fut détruit au début du XIe siècle par le calife fatimide Al-Hakim. Il fut reconstruit par l’empereur Constantin Monomaque en 1048 ; les croisés l’agrandirent en 1144 et lui donnèrent son style roman. La photographie nous montre la façade sud du bâtiment. On remarque sur la gauche un beffroi avec clocher, qui jouxte la rotonde. Les deux portes d’entrée sont encadrées de colonnes et couronnées d’arches dentelées. Les bas-reliefs qui ornaient les linteaux (scènes de la vie de Jésus, motifs végétaux et animaux imaginaires) ont été retirés dans les années 1930 pour éviter leur dégradation. Au deuxième niveau, les fenêtres re19 de plomb, ce qui lui donne sa couleur grise. Fondée au début du VIIIe siècle par le calife al-Walid, elle a été détruite par plusieurs tremblements de terre (VIIIe siècle, XIe siècle), reconstruite, et remaniée au fil des occupations successives. La photographie donne à voir le porche de la façade nord. Le porche fut ajouté par les croisés, qui transformèrent la mosquée en palais puis en siège de l’ordre du Temple. Après la prise de Jérusalem par Saladin, ce sont les Ayyoubides qui firent les dernières modifications au début du XIIIe siècle : quatre arches sont ajoutées, dans le même style. Les Ayyoubides furent influencés par l’architecture des croisés et réutilisèrent des éléments de décoration repris sur des façades franques. Sur l’image, le porche est vu à travers le portique (qanatir) sud de l’esplanade (voir doc. 2 p. 30). Les colonnes à chapiteau corinthien ne sont pas de la même hauteur (celle de droite comporte une base surélevée), ce qui montre qu’elles ont été prélevées sur un autre monument et réutilisées. 6. Lors des changements de domination, le patrimoine religieux de la ville a été modifié de plusieurs manières. Le nouvel occupant peut investir un lieu existant. Ainsi, lorsque les croisés s’emparent de Jérusalem, le Dôme du Rocher est transformé en église. Il peut également décider de construire un nouvel édifice, à la gloire de sa foi : c’est le cas du calife Abd al-Malik qui décide de la construction du Dôme du Rocher à la fin du VIIe siècle. Cette nouvelle construction ne signifie cependant pas effacement de la sacralité antérieure, que l’on peut au contraire chercher à capter. 7. Les tensions entre communautés religieuses et le conflit israélo-palestinien rejaillissent sur les problèmes de restauration et de mise en valeur de l’esplanade. Les dégradations qui touchent les murs de soutènement de l’esplanade et leurs conséquences possibles sur les lieux de culte juif et musulman sont évaluées de façon divergente par les différentes parties. Document 12 B. UN PATRIMOINE À LA CROISÉE DES CIVILISATIONS MÉDITERRANÉENNES La Porte de Damas La Porte de Damas, située au nord, est l’une des huit entrées que comporte aujourd’hui la Vieille Ville. Les remparts furent construits à la demande de Soliman le Magnifique, entre 1535 et 1541, par des architectes locaux. De nombreuses sections furent bâties à l’aide de pierres récupérées sur des ruines ou par-dessus les vestiges d’une muraille plus ancienne, ce qui explique que les blocs soient de tailles et de couleurs variées. Document 8 Une Vieille Ville composite DOC Document 9 Fenêtre du Dôme du Rocher Ce détail de la façade du Dôme témoigne du soin porté à l’embellissement des surfaces qui caractérise l’architecture musulmane. À l’origine, les façades de l’octogone, dans leur partie supérieure, étaient recouvertes de parements de mosaïques, reprenant ainsi une tradition byzantine (cette technique a aussi été utilisée pour embellir l’intérieur du Dôme et les mosaïques y sont toujours en place). En 1561, sous le sultanat de Soliman le Magnifique, les mosaïques des façades furent remplacées par des céramiques à motifs floraux et épigraphiques. Le bleu et le blanc dominent. Les carreaux de faïence actuels datent de la restauration de 1963, mais reproduisent fidèlement ceux qui avaient été posés au XVIe siècle au début de la domination ottomane. Document 13 Une ruelle du quartier juif Le quartier juif, très dégradé après la guerre de 1948, a été largement reconstruit au cours des dernières décennies. Mais l’usage de la pierre locale (obligatoire depuis le mandat britannique), les rues étroites et pavées, les bâtiments asymétriques, les terrasses, les arcs brisés s’inscrivent dans la tradition architecturale de la ville. Document 14 Le cardo Document 10 Le cardo était la rue principale de Jérusalem à l’époque romano-byzantine (IVe-VIe siècle). Large de 12,5 m, elle était bordée de trottoirs à portique le long desquels se succédaient les boutiques. Ses vestiges ont été mis au jour dans le quartier juif dans les années 1970. La mosquée al-Aqsa La mosquée al-Aqsa, située au sud de l’esplanade, est le principal lieu de culte musulman de Jérusalem (chaque vendredi des milliers de fidèles viennent y prier). L’extérieur de la coupole est recouvert 20 Réponses aux questions 8. Le quartier juif se situe au sud, à proximité du Mur occidental ; le quartier arménien au sud-ouest ; le quartier musulman au nord de l’esplanade et de la via Dolorosa ; le quartier chrétien au nord-ouest. Cette division ne se traduit pas dans le paysage urbain. 9. Les fouilles menées dans les années 1970 ont permis de mettre au jour des vestiges de l’Antiquité tardive dans le quartier juif. Le cardo constituait la principale rue de la ville à l’époque romano-byzantine. Le site a été restauré ; sont visibles : la chaussée, le trottoir et les colonnes à chapiteau corinthien qui soutenaient le portique. 10. Plusieurs éléments confèrent une harmonie au paysage urbain au-delà de l’existence de différents quartiers : l’utilisation de la pierre locale (obligatoire dans la Vieille Ville pour toute construction ou restauration, depuis le mandat britannique) ; l’étroitesse des rues ; les toits en coupole et les terrasses. 11. Le Dôme du Rocher est formé de trois niveaux : une base octogonale, un tambour cylindrique, une coupole. Les façades extérieures sont richement décorées : marbre blanc dans la partie inférieure de l’octogone ; carreaux de faïence à dominante bleue et blanche pour la partie supérieure de l’octogone et le tambour ; or de la coupole. La rigueur géométrique de l’édifice et la hiérarchisation des niveaux révèlent une influence byzantine, elle-même héritière de l’architecture gréco-romaine. On peut rappeler que les céramiques ont remplacé au XVIe siècle les mosaïques originales du VIIIe siècle, ce qui souligne l’influence byzantine dans le premier art islamique. 12. Les colonnes du qanatir sud sont toutes deux ornées de chapiteaux corinthiens. Elles ne sont pas de même hauteur : celle de droite a été mise à niveau par un rehaussement de sa base. Il s’agit donc de deux colonnes antiques, prélevées sur un monument pour être intégrées au portique. 13. Le Saint-Sépulcre et le porche de la façade de la mosquée al-Aqsa présentent des similitudes architecturales : portes encadrées de colonnes et surmontées d’un arc dentelé ; fenêtres du niveau supérieur reprenant en écho la forme de la porte ; coupole ; usage de la pierre. Ces similitudes témoignent d’influences entre styles architecturaux successifs. La coupole est héritée des Byzantins ; l’architecture des Ayyoubides, à qui l’on doit la façade nord de la mosquée al-Aqsa, s’inspire de celle des croisés. 14. Le patrimoine de Jérusalem présente plusieurs particularités. Par les lieux saints qu’il comporte, il revêt une dimension sacrée aux yeux de nombreux fidèles. Les conquêtes successives lui confèrent une grande richesse : les monuments témoignent de styles architecturaux très variés (architecture romano-byzantine, ommeyade, mamelouke, ottomane, croisée). Chaque style ne s’est cependant pas développé en rupture avec le précédent ; l’influence d’un courant sur l’autre, la pratique du réemploi donnent une unité au patrimoine de Jérusalem. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Jérusalem, ville trois fois sainte II. Des occupations successives qui ont modifié le patrimoine architectural pages 34-35 LEÇON 3 Le centre historique de Paris En 2011, Paris a accueilli près de 30 millions de touristes, un succès lié à la richesse du patrimoine de la ville, et particulièrement dense dans le périmètre de l’ancien mur des fermiers généraux. Plusieurs éléments doivent être pris en compte pour comprendre le patrimoine parisien : le site le long de la Seine, l’absence de destructions majeures au long de son histoire de plus de 2000 ans, le rôle du pouvoir politique qui en a tôt fait sa capitale. La leçon propose également une réflexion sur la notion de patrimoine en France, nécessaire pour comprendre pourquoi certains monuments ou quartiers ont été ou non protégés selon les époques. Document 1 Les rives de la Seine DOC Document 2 Les vestiges de Lutèce Après leur victoire sur les Parisii en 52 av. J.-C., les Romains fondent une ville sur la rive gauche de la Seine. Comme dans toute cité romaine, des monuments publics furent construits. Il existe encore aujourd’hui des vestiges de l’amphithéâtre (les actuelles arènes de Lutèce) et des thermes du nord, 21 dits de Cluny. Les thermes, achetés en 1330 par les abbés de Cluny, furent intégrés à l’hôtel abbatial construit entre 1485 et 1510. Très bien conservés car réutilisés à diverses fins depuis le Moyen Âge, ces vestiges font partie des plus spectaculaires témoignages de l’architecture gallo-romaine. Le frigidarium (salle froide) est surmonté d’une voûte de 15 m de haut. Des traces de mosaïque, de peinture et de marbre, utilisés pour décorer la salle, ont été retrouvées. Ces différentes maisons ont été restaurées dans les années 1970-1980. la ville. La première partie de l’étude s’intéresse aux marques laissées dans le paysage par la croissance en cercles concentriques. Cette structure reste visible malgré les remaniements haussmanniens (vestiges des enceintes, axes de circulation aménagés sur leur emplacement après destruction, spécificités architecturales des quartiers centraux). La deuxième partie insiste sur la diversité du patrimoine à différentes échelles. Elle permet de souligner l’évolution de la sensibilité patrimoniale et le rôle du pouvoir politique dans l’organisation de la ville. Document 3 A. LES MARQUES DE LA CROISSANCE EN AURÉOLES CONCENTRIQUES DANS LE PAYSAGE PARISIEN La destruction des Halles Dans le cadre des transformations haussmanniennes, les Halles centrales furent transformées. Sur proposition de Baltard, dix pavillons métalliques furent construits entre 1854 et 1874. En 1969, il fut décidé de transférer les Halles à Rungis. Les pavillons Baltard furent détruits en 1971 pour laisser place à un centre commercial (le « Forum des Halles ») et à un jardin (aujourd’hui en complet réaménagement). Des voix s’élevèrent pour dénoncer la destruction de ces pavillons, témoins de l’architecture industrielle. Un pavillon fut donc conservé, et remonté à Nogent-sur-Marne. L’architecture métallique du XIXe siècle et les aménagements utilitaires (marchés, gares) font leur entrée dans le patrimoine. Documents 1 et 2 La croissance concentrique de Paris depuis l’Antiquité Paris au début du XVIe siècle Le plan (48 x 34 cm) a été publié en 1572 dans le Civitates orbis terrarum de Georg Braun, qui est une collection de plans de villes européennes. La gravure est de Franz Hogenberg, à partir d’un dessin de Simon van der Novel. Il présente une vue à vol d’oiseau de Paris en 1530. L’ouest est situé en bas de la carte. La ville est contenue dans les enceintes de Philippe Auguste sur la rive gauche et de Charles V sur la rive droite. Malgré son manque de précision (la voirie est par exemple limitée aux rues principales), ce plan permet de comprendre comment s’effectue l’extension de la ville. Sur la rive droite, la construction de l’enceinte de Charles V traduit un ajustement aux nouvelles dimensions de la ville. Le périmètre, taillé large, n’est pas encore entièrement bâti. De nouveaux faubourgs sont cependant visibles à l’est, au-delà de la forteresse de la Bastille, et au sud. La confrontation avec le doc. 1 montre que les enceintes, une fois détruites, ont laissé place à des axes de circulation (les Grands boulevards, de la Bastille à la Madeleine, se sont substitués à la fin du XVIIe siècle à l’enceinte de Charles V prolongée par le mur des fossés jaunes). Document 4 L’invention du patrimoine L’invention du patrimoine date de la Révolution française. En 1790, l’archéologue Aubin-Louis Millin attire l’attention de l’Assemblée constituante sur la question des « monuments historiques ». Suite à la nationalisation des biens du clergé en novembre 1789, il revenait à la nation de prendre en charge les bâtiments et œuvres devenus propriété publique et de les protéger contre les dégradations. L’Assemblée constituante, présidée par Charles de Talleyrand, ordonna donc que ces biens soient recensés. En décembre 1790 est créée la commission des Monuments, composée d’artistes et de savants, chargée d’organiser l’inventaire et de décider quels œuvres et édifices devront être conservés. pages 36-39 Document 3 L’enceinte de Philippe Auguste Philippe Auguste fit édifier une muraille sur la rive droite (1190-1209) puis sur la rive gauche (12001215). Le rempart, haut de 6 à 8 mètres, mesure 3 mètres de large à la base et 1,9 mètre à son sommet. Le vestige de l’enceinte visible rue Clovis révèle la technique de construction du mur : entre ÉTUDE La variété des monuments et des paysages parisiens L’étude du patrimoine parisien, dans sa géographie et sa diversité, permet de comprendre l’histoire de 22 avait dès 1850 annoncé ses intentions lors d’un discours prononcé à l’Hôtel de Ville : « Paris est au cœur de la France. Mettons tous nos efforts pour embellir cette grande cité. Ouvrons de nouvelles rues, assainissons les quartiers populeux qui manquent d’air et de jour et que la lumière bienfaisante pénètre partout dans nos murs ». Les travaux conduits par le baron Haussmann (préfet de la Seine de 1853 à 1870) se traduisirent notamment par la création de nouveaux axes rectilignes, qui devaient assurer la circulation entre le centre et la périphérie, entre les gares, entre la rive gauche et la rive droite, et, suivant la tradition monarchique, ouvrir des perspectives. Cela impliqua de trancher la trame existante et d’en recréer une nouvelle. Près de 20 000 maisons furent détruites. Les nouveaux immeubles furent construits selon un ensemble de règles destinées à créer un paysage régulier (proportions entre la largeur de la voie et la hauteur des immeubles ; alignement des façades ; pierre de taille ; balcons filants aux 2e et 5e étages ; hauteur décroissante des étages). L’avenue de l’Opéra, percée entre 1864 et 1876, constitue un bel exemple de l’urbanisme haussmannien. L’avenue est dépourvue d’arbres, de façon à préserver la vue sur l’Opéra de l’architecte Charles Garnier (1825-1898). Achevé en 1875, le monument est emblématique du style Napoléon III par sa décoration éclectique et fastueuse. L’Opéra Garnier a été classé monument historique dans sa totalité en 1923. les deux parements, des pierres et des briques sont noyées dans un mortier très dur. Sur la rive droite, le long de la rue des Jardins Saint-Paul (4e arrondissement), c’est une portion de 120 m de long, avec deux tours, qui a été conservée et restaurée. Document 4 Maison médiévale (XVe siècle) Il s’agit de l’Hôtel de l’abbaye de Maubuisson, situé à l’angle de la rue du Grenier sur l’eau et de la rue des Barres. La façade à pans de bois est soutenue par une console en pierre semi-circulaire placée à l’angle. D’autres maisons de la fin du Moyen Âge ont été conservées sur la rive droite, à proximité de la Seine : deux maisons à colombages dans la rue François Miron (4e arrondissement), la maison de Nicolas Flamel, rue de Montmorency (3e arrondissement). Document 5 Façade de l’Hôtel d’Albret (XVIIIe siècle) Au XVIIe siècle, le Marais est investi par la noblesse qui y fait construire de somptueux hôtels particuliers. Derrière chaque façade, se succèdent cour, corps de logis, puis jardin. Le quartier, abandonné par les élites après la Révolution, s’est progressivement dégradé. La prise de conscience de sa valeur patrimoniale date des années 1950-1960. Deux événements en témoignent : la restauration de l’Hôtel de Sully (rue Saint-Antoine) et la création d’un secteur sauvegardé de plus de 120 ha en 1965 (la loi Malraux de 1962 prend acte d’une évolution de la conscience patrimoniale : dans les villes, le patrimoine n’est pas seulement constitué de monuments isolés, mais aussi d’ensembles urbains remarquables, dont il faut protéger l’homogénéité). Depuis, les restaurations se sont multipliées et le Marais constitue l’un des fleurons du patrimoine parisien. L’Hôtel d’Albret illustre cette évolution. Racheté par la ville de Paris en 1975, il a été restauré dans les années 1980. Son édification remonte au XVIe siècle, mais il connut de nombreuses modifications au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, chaque propriétaire ayant cherché à l’agrandir et à l’embellir. La façade sur rue est remaniée entre 1740 et 1744. Elle constitue un des rares exemples du style Louis XV dans le Marais (balcon galbé, ferronnerie aux formes souples, mascarons, porche avec une grande arcade). Réponses aux questions 1. Les différentes enceintes montrent que, si Lutèce a été fondée par les Romains sur la rive gauche, c’est sur l’île de la Cité que Paris s’est développé. L’extension s’est ensuite faite sur la rive droite, puis sur la rive gauche. Sur le doc. 2 p. 36, une forte concentration de bateaux est visible sur la rive droite, ce qui permet de montrer que Paris est une ville née du fleuve. 2. La première enceinte date de l’Antiquité tardive (IVe siècle), elle protège l’île de la Cité. Il faut attendre l’essor urbain du Moyen Âge central pour que de nouvelles murailles soient construites par Philippe Auguste (1180-1223). Sur la rive droite de nouveaux remparts, près de deux fois plus longs que ceux de Philippe Auguste, sont construits sous Charles V (13641380). Ce sont ces deux enceintes médiévales qui sont visibles sur le plan de 1572. Dans les années 1630, sous le règne de Louis XIII, les Document 6 L’avenue de l’Opéra Sous le Second Empire, Paris connut d’importantes transformations, impulsées par Napoléon III, qui 23 et rectiligne pour faciliter la circulation (à la fois celle des marchandises, des hommes et des miasmes considérés comme responsables de maladies infectieuses). Elle est longée de trottoirs et bordée d’immeubles aux façades alignées et recouvertes de pierre de taille, avec boutiques et cafés au rez-de-chaussée. Les façades suivent un ensemble de règles (proportions entre la largeur de la voie et la hauteur des immeubles ; alignement des façades ; façades en pierre de taille ; balcons filants aux 2e et 3e étages ; hauteur décroissante des étages), qui créent une harmonie : chaque immeuble n’existe pas isolément, mais s’inscrit dans la perspective de la rue. L’avenue de l’Opéra, comme d’autres grandes percées haussmannienne a pour but de mettre en valeur un monument, d’où le choix fait ici dès Haussmann de ne pas la border d’arbres comme la plupart des autres avenues de Paris. murs de Charles V sont prolongés vers l’ouest (mur des fossés jaunes). Deux autres murailles ont été édifiées, englobant cette fois-ci rives droite et gauche : le mur des fermiers généraux (1785) (dont la fonction n’était pas défensive, mais fiscale), puis l’enceinte de Thiers (1846). 3. Il reste quelques vestiges des différentes enceintes, comme ceux des remparts de Philippe Auguste rue Clovis. Cependant, les marques laissées par les enceintes sont surtout visibles en creux : une fois détruites, elles ont été remplacées par des axes de circulation. Ainsi, la destruction ordonnée par Louis XIV en 1670 de l’enceinte de Charles V et du mur des Fossés jaunes, a permis la création du « Nouveau Cours », une chaussée large d’environ 20 mètres, flanquée de contre-allées plantées. Il correspond aux actuels « Grands boulevards » (boulevards de la Bastille, Beaumarchais, des Filles-du-Calvaire, du Temple, Saint-Martin Poissonnière, des Italiens, de la Madeleine, et rue Royale). Sur la rive gauche, le Cours ne fut aménagé que sur certaines portions des anciennes fortifications. Enfin, l’enceinte Thiers a guidé le tracé des boulevards des maréchaux. 4. Les trois monuments se situent dans le centre. Comme la ville s’est développée en auréoles concentriques, guidées par les enceintes, et qu’elle a subi peu de destructions, c’est dans les arrondissements centraux que le patrimoine est le plus riche et le plus concentré. Dans les arrondissements périphériques qui correspondent aux communes annexées en 1860, les monuments sont moins nombreux, plus récents et le bâti est moins dense (pensons à la butte Montmartre). 5. Les travaux haussmanniens touchent les arrondissements centraux et périphériques, puisqu’ils visent à améliorer la circulation. Cependant, leur impact est beaucoup plus fort dans le centre. Ponctuellement, le paysage hérité du Moyen Âge et/ou de l’époque moderne (bâti dense avec ruelles étroites et tortueuses) est supprimé pour être remplacé par une nouvelle trame et de nouveaux immeubles aux façades régulières. Le quartier autour de Notre-Dame est ainsi complètement redessiné. 6. La rue haussmannienne, qui est devenue un élément d’identité de Paris, concilie fonctionnalité et monumentalité. Elle est large B. LA DIVERSITÉ DU PAYSAGE PARISIEN Document 7 La place des Vosges La place des Vosges, située dans le Marais, est la première place royale de Paris. Née de la volonté d’Henri IV, qui fut le premier roi urbaniste de Paris (on lui doit également le pont neuf et la place Dauphine, visibles sur le doc. 1 p. 35), la place fut inaugurée en 1612 sous le règne de Louis XIII. Avec la Révolution française, elle prend le nom de place des Fédérés, puis en 1800 celui de place des Vosges. La place est de forme carrée (127 sur 140 m). Sur chaque côté, neuf pavillons identiques alignent leur façade de briques et pierre (style Louis XIII). Composés d’un rez-de-chaussée à arcades et de deux étages, ils sont coiffés de toits d’ardoise. Sur le côté nord et le côté sud deux pavillons plus élevés se détachent : il s’agit des pavillons de la Reine et du Roi. Document 8 La rue de Rivoli : un nouvel axe est-ouest La rue de Rivoli est un axe est-ouest qui s’étend sur près de 3 km. La portion occidentale, entre la Concorde et le Louvre, a été percée sous le Premier Empire. Sur son côté sud, elle est décorée d’une grille pour que l’on puisse jouir de la vue sur le jardin des Tuileries. Côté nord, elle est bordée d’immeubles qui présentent des façades en pierre de taille, hautes de trois étages, avec au rez-de24 chaussée une galerie à arcades, et revêt un caractère monumental. Sous le Second Empire, la percée fut prolongée jusqu’à la rue Saint-Antoine. C’est le premier grand aménagement de Paris qui ait encore un souci d’embellissement et de monumentalité (une avenue bordée de trottoirs couverts à l’italienne qui permet de déboucher sur la place de la Concorde, mise en valeur du palais des Tuileries, maintenant disparu), mais qui présente également un premier souci urbanistique (de circulation). Ces documents 7 et 8 seraient l’occasion de revenir sur la façon dont les rois depuis Henri IV ont marqué Paris de leur empreinte, notamment par la création de places royales, et de souligner que cette politique est reprise par Napoléon Ier, et même Napoléon III (voir document 6 page 37). On pourra compléter avec des documents sur les différentes statues équestres parisiennes (celle d’Henri IV sur le pont Neuf, celle de Louis XIII place des Vosges, celle de Louis XIV place des Victoires). Document 11 Le quartier Beaubourg (4e arrondissement) L’église Saint-Merri date du XVIe siècle. Elle témoigne de la longévité du gothique flamboyant à Paris. Elle côtoie un édifice à l’architecture contemporaine : le Centre Georges Pompidou. Il occupe l’emplacement d’un îlot détruit en 1932 pour cause d’insalubrité. Le terrain, resté vide, était utilisé comme parking dans les années 1960. Dans le cadre du réaménagement du quartier des Halles (destruction des pavillons Baltard), le terrain fut choisi pour y édifier le centre culturel dédié à l’art contemporain voulu par le président de la République Georges Pompidou. Le projet de l’architecte italien Renzo Piano et du Britannique Richard Rogers remporta le concours lancé en 1971. Le bâtiment se caractérise par une structure de verre et de métal. Les gaines techniques (tuyaux bleus côté rue du renard, tuyaux bleus et blancs sur le toit) et les rampes d’accès (escalators côté plaza) n’ont pas été masquées, mais au contraire repoussées à l’extérieur et soulignées par un jeu de couleurs. Si l’édifice a suscité des réactions contrastées lors de son inauguration en 1977, il constitue aujourd’hui une référence en matière d’architecture contemporaine. Le Centre Pompidou possède la plus grande collection d’art moderne et contemporain d’Europe. Il a accueilli 3,6 millions de visiteurs en 2011. Document 9 Entrée du métropolitain par Hector Guimard (1900) La marquise de la station des Abbesses est un des derniers exemples des verrières créées pour le métro parisien par Hector Guimard, à qui fut confiée la réalisation des bouches d’entrée du métropolitain de 1899 à 1913. Les lignes courbes et fluides, l’inspiration végétale, l’usage du verre et de la fonte sont caractéristiques du style art nouveau. Aujourd’hui, 86 stations de métro conservent des éléments de ce mobilier urbain (balustrade en fonte, enseigne qui se termine par un globe orangé), inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1978. Réponses aux questions 7. La place des Vosges est une place royale aménagée au début du XVIIe siècle. 36 pavillons identiques, de style Louis XIII (sauf ceux de la Reine et du Roi, plus hauts) bordent un jardin. Son aménagement, décidé par Henri IV, avait pour fonction d’embellir la ville et de magnifier le pouvoir royal. Le percement de la rue de Rivoli en 1802 répond à la nécessité de doubler la rue Saint-Honoré pour faciliter la circulation est-ouest. Son caractère monumental (arcades et façades régulières au nord, ouverture sur le jardin des Tuileries au sud) et le nom qui lui a été donné (en souvenir de la victoire de Bonaparte) montrent que les objectifs ne sont pas que fonctionnels. L’édifice des architectes Piano et Rogers répond au projet du président Pompidou de créer un centre d’art contemporain. Il a été inauguré en 1977. 8. Avec la Révolution française, les noms de place et de rue se rapportant à la monarchie ont été supprimés. La place royale est devenue Document 10 Le musée d’Orsay La gare d’Orsay a été inaugurée en 1900. Le bâtiment est doté d’une immense structure métallique, dissimulée derrière une façade en pierre, mais visible depuis l’intérieur. Après l’arrêt du trafic en 1939 et quelques utilisations ponctuelles, sa destruction est envisagée. Mais dans le sillage des protestations provoquées par la destruction des Halles Baltard qui marquent un intérêt nouveau pour l’architecture industrielle, le bâtiment est classé Monument historique en 1973. En 1977, il est décidé qu’un musée consacré à l’art du XIXe siècle y serait aménagé. Il a ouvert ses portes en 1986. 25 de hautes toitures ornées de girouettes, de nombreuses fenêtres ont été percées. Ce Louvre médiéval a été détruit au XVIe siècle (le donjon est rasé, les fossés comblés). Les fouilles archéologiques menées dans les années 1980 sous la cour carrée ont permis de mettre au jour les fondations de la tour de la librairie de Charles V et celles de la forteresse de Philippe Auguste. On rappellera que c’est le 24 septembre 1981, que François Mitterrand décida de restituer au musée l’ensemble du palais, avant l’Exposition universelle de 1989. Le déménagement du ministère des Finances et la réorganisation de tout le musée du Louvre furent l’occasion de restaurer la cour carrée qui servait jusque-là de parking. Les fouilles menées à l’occasion sont visibles au premier plan du doc. 3 p. 40. Au dernier plan, apparaît l’aile Renaissance du nouveau palais édifié au XVIe siècle. En effet, c’est François Ier (1515-1547) qui décida de raser le Louvre pour y faire construire une résidence de style novateur, inspiré de la Renaissance italienne. Le projet, confié à Pierre Lescot (architecte) et Jean Goujon (sculpteur), fut poursuivi par son successeur Henri II (1547-1559). La façade de l’aile Lescot constitue l’un des chefsd’œuvre de la Renaissance française. Elle est animée d’avant-corps à colonnes jumelées engagées que couronnent des frontons semi-circulaires. Les arcades du rez-de-chaussée simulent une galerie. d’abord la place des Fédérés, puis en 1800 la place des Vosges. 9. Les rois, empereurs et présidents de la Ve République ont joué un rôle important dans l’aménagement de Paris. Grands bâtisseurs, la capitale a concentré toute leur attention, qu’il s’agisse de construire une résidence royale, d’embellir la ville, d’en rationaliser l’organisation ou de glorifier le pouvoir en place. 10. Cette entrée du métropolitain d’Hector Guimard se rattache au style art nouveau, par les matériaux utilisés (fonte, verre) et les formes choisies (courbes, motifs végétaux stylisés). 11. La sensibilité patrimoniale évolue avec le temps. Le regard posé sur les gares, marchés et autres éléments du décor parisien édifiés pendant l’ère industrielle a changé au cours des années 1970. Jusqu’à cette date, leur caractère fonctionnel, les matériaux utilisés (verre, métal), leur âge peu avancé, les avaient placés à l’écart du patrimoine, c’est-à-dire des monuments dignes d’être transmis. pages 40-41 ÉTUDE Détruire, conserver, remanier : le Louvre L’histoire du Louvre, longue de 8 siècles, est très riche. L’étude permet de découvrir la complexité du bâtiment, liée aux nombreux remaniements d’une forteresse devenue résidence royale puis musée, ainsi que de s’interroger, avec l’analyse du projet « Grand Louvre » de François Mitterrand, sur le rapport de la France contemporaine à son passé. Document 2 La construction de la colonnade Les transformations et ajouts se poursuivent aux XVIe et XVIIe siècles, donnant naissance à une cité royale. Le château construit aux Tuileries sur ordre de Catherine de Médicis en 1564, est relié au Louvre sur décision d’Henri IV par une Grande Galerie qui longe la Seine (500 mètres les séparaient). L’aile Lescot (à l’ouest de la cour carrée) est prolongée sous Louis XIII. Louis XIV engage de nouveaux travaux : il fait fermer la cour carrée par la construction d’une colonnade longue de 170 mètres. Louis Le Vau et Claude Perrault en sont chargés. Face à la ville, une façade monumentale dominée par un péristyle à colonnes doubles occupe tout l’étage. Mais en 1678, Louis XIV et la cour quittent le Louvre pour Versailles. Deux phases de transformations importantes ont lieu par la suite, sous le Premier Empire (arc de triomphe du Carrousel, une partie de l’aile nord le long de la rue de Rivoli), puis sous le Second Empire et la IIIe République (achèvement de l’aile nord entre 1853 et 1880). Documents 1 et 3 Le Louvre médiéval Le Louvre : la cour carrée Les origines du Louvre remontent à Philippe Auguste. Les remparts (fin XIIe-XIIIe siècle) furent renforcés, près de la Seine, à l’ouest, par la « Grosse Tour du Louvre ». Cette forteresse carrée abritait en son centre un donjon. Avec la nouvelle enceinte de Charles V (1364-1380), le Louvre perd son rôle stratégique. Le roi confie à l’architecte Raymond du Temple la transformation de l’édifice en un lieu de séjour somptueux. Les peintures des Frères Limbourg dans les Très Riches Heures du duc de Berry (vers 1412-1416) donnent à voir la nouvelle physionomie du château : les tours sont couvertes 26 Philippe Auguste pour la renforcer à l’ouest. Il perd sa fonction défensive lorsque de nouveaux remparts sont édifiés sur la rive droite au XIVe siècle, puisqu’il se trouve désormais à l’intérieur du périmètre fortifié. Charles V (1364-1380) le transforme en résidence royale. Il garde cette fonction jusqu’au départ du roi Louis XVI pour Versailles en 1678, mais au prix de transformations radicales : le Louvre médiéval est rasé par François Ier qui souhaite une résidence de style Renaissance (aile Lescot). D’autres aménagements sont réalisés, par exemple la colonnade (1672) qui ferme la cour carrée. Le Louvre devient un musée en 1793, mais c’est seulement depuis 1989 qu’il est consacré en totalité à cette fonction. Document 4 Le Louvre transformé en musée L’idée d’installer les collections royales dans la Grande Galerie du Louvre émergea sous Louis XV : en 1768, le directeur général des Bâtiments du Roi proposa au souverain de transformer en musée l’ancien palais royal laissé à l’abandon depuis près d’un siècle. Mais le projet fut mis en œuvre par les révolutionnaires, alors que naissait la conscience du patrimoine : un édit de 1791 consacre le Louvre à la « réunion de tous les monuments des sciences et des arts ». Le Museum central des Arts ouvre ses portes en 1793. Gratuit, il est ouvert en priorité aux artistes, et au public en fin de semaine. Le peintre Hubert Robert (qui avait déjà travaillé au projet de musée de 1784 à 1792) fut chargé de 1795 à 1802 des acquisitions et de l’agencement des collections, qui étaient alors essentiellement constituées de peintures comme le montre son Projet d’aménagement de la Grande Galerie. Au fil des décennies, les collections se sont enrichies et le musée s’est étendu au sein du vaste complexe qu’est le Louvre. En 1981, alors que l’aile Richelieu est encore occupée par le ministère des Finances, le président François Mitterrand décide d’attribuer au musée la totalité des bâtiments. C’est le début du projet « Grand Louvre », qui a permis l’agrandissement et la modernisation du musée. 2. Le Louvre de Philippe Auguste était une forteresse au centre de laquelle se dressait un donjon. Les aménagements de Charles V en font une résidence percée de nombreuses fenêtres, les quatre tours sont coiffées de hautes toitures. Il n’en reste que des vestiges archéologiques car François Ier le fit détruire pour le remplacer par un palais Renaissance. À cette époque les souverains considéraient les biens qu’ils occupaient comme un bien personnel dont ils pouvaient disposer à leur gré. Ce n’est qu’avec la Révolution française qu’apparaît une conscience patrimoniale. Documents 5 et 6 3. La notion de monument historique apparaît avec la Révolution française, en relation avec la naissance de la conscience patrimoniale. Le Louvre devient alors monument historique à double titre, pour la valeur esthétique et historique des bâtiments, mais aussi parce qu’il abrite désormais des œuvres d’art qui doivent être portées à la connaissance de la nation. Le Louvre : la cour Napoléon Le Louvre : la cour Napoléon (vue intérieure) La cour Napoléon est délimitée au nord par l’aide Richelieu (à droite sur la photographie) édifiée sous Napoléon III (1852-1870). En son centre, se dresse, depuis 1989 la pyramide de l’architecte Ioeh Ming Pei, réalisée dans le cadre du projet « Grand Louvre » qui suit la décision de François Mitterrand de transférer le ministère des Finances à Bercy. La pyramide, haute de 22 mètres sur une base de 30 mètres, permet d’accéder au musée par un ample escalier hélicoïdal. Sa structure arachnéenne est composée de 800 losanges et triangles de verre intégrés à un maillage métallique. Sa transparence (liée à la qualité du verre haute technologie, conçu spécialement pour l’édifice) permet aux visiteurs d’admirer les façades de la cour Napoléon depuis l’intérieur. 4. La pyramide de Pei est un édifice contemporain qui répond à deux objectifs. Le premier est fonctionnel : la pyramide est l’entrée principale du musée. Le deuxième est esthétique : elle est construite dans la cour d’un bâtiment historique. Les deux ailes qui bordent la cour Napoléon au nord et au sud ont été construites entre la fin du XVIe et la fin du XIXe siècle. Pour s’intégrer à l’ensemble, Pei a choisi une forme simple et ancienne, la pyramide, veillé à équilibrer ses proportions avec celles de la cour et des bâtiments, et joué sur les matériaux : la structure arachnéenne de Réponses aux questions 1. Le Louvre est à l’origine une forteresse construite en même temps que l’enceinte de 27 d’un monument suppose de faire. L’étude permet de montrer que ceux de Viollet-le-Duc s’inscrivent dans un contexte historique particulier (esthétique néogothique, absence de règles codifiées concernant la restauration). verre et d’aluminium lui confère sa légèreté. Elle apporte un éclairage naturel au Hall Napoléon et permet aux visiteurs de voir l’aile Richelieu. 5. François Mitterrand est conscient que l’histoire du Louvre est pluriséculaire et marquée par de nombreuses modifications. Il décrit le bâtiment comme étant animé par un mouvement continu. Rien ne justifie donc que les transformations prennent fin, que le bâtiment soit « muséifié ». Il s’inscrit de ce fait dans la lignée des souverains bâtisseurs qui depuis le Moyen Âge ont transformé et Paris, et le Louvre. Document 1 Façade occidentale de la cathédrale avant les modifications du XVIIIe siècle Cette gravure du XVIIIe siècle, bien que postérieure de cinq siècles à la date de construction de la cathédrale, permet de découvrir la façade ouest dans un état proche de celui du Moyen Âge. L’église se dressait alors encore dans un quartier densément construit, aux rues étroites. Le petit parvis, délimité par un muret, offrait une perspective limitée sur l’édifice (moins de 30 m de profondeur, contre 135 m aujourd’hui). La façade occidentale a été réalisée dans la première moitié du XIIIe siècle. Elle est large de 40 m et les tours s’élèvent à 69 m. Les trois portails sont séparés par des contreforts. Si celui du centre est plus imposant, ils ont tous trois la même structure (divisés par un trumeau et ornés d’un tympan sculpté). Le deuxième niveau est constitué de la galerie des rois, 28 statues de plus de 3 m de haut. Il s’agit de la représentation de rois de l’Ancien testament. Une grande rose à rayons d’un diamètre de 9,6 m occupe le centre de la façade. La galerie à arcatures qui forme le 4e niveau fait transition avec les tours. Un élément important cependant n’est pas visible sur cette gravure : la flèche, construite au-dessus de la croisée du transept au milieu du XIIIe siècle. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Le Louvre, un palais royal II. Des remaniements successifs pour s’adapter aux goûts des souverains III. Le Louvre, musée national pages 42-43 HISTOIRE DES ARTS Viollet-le-Duc et Notre-Dame de Paris Cette double-page porte sur la cathédrale NotreDame, monument emblématique de Paris, qui témoigne de la richesse du patrimoine gothique de la ville. L’histoire du bâtiment permet également de montrer qu’au XVIIIe siècle, la notion de « monument historique » n’existe pas (la cathédrale est transformée pour l’adapter aux exigences du temps), et que l’émergence de la conscience du patrimoine après 1789 n’a pas empêché le « vandalisme révolutionnaire » (on peut par exemple citer les anciennes sculptures de la façade de NotreDame, retrouvées lors de travaux sous la Banque française du commerce extérieur, devenue Natexis Banque, exposées dans l’actuel musée du Moyen Âge de Paris). La création de l’Inspection générale des Monuments historiques par Guizot en 1830 marque les débuts des grands travaux de restauration du XIXe siècle. D’abord chargée de la préservation (pont d’Avignon), elle entend effectuer des restaurations intégrales avec Prosper Mérimée qui occupe cette charge à partir de 1834 et confie leur réalisation à l’architecte Viollet-le-Duc. La restauration menée par Viollet-le-Duc invite enfin à s’interroger sur les choix que la protection Document 2 Façade occidentale de la cathédrale au XIXe siècle Cette gravure du début du XIXe siècle permet de repérer les destructions effectuées à la fin du XVIIIe siècle. Elles sont de deux natures. Avant la Révolution française, à l’exception de la flèche, dont le démontage est décidé en 1786 parce qu’elle était en très mauvais état, il s’agit d’aménagements qui visent à rendre le bâtiment conforme aux exigences et aux usages de l’époque. Sous la direction de Soufflot, le portail central est modifié en 1771 : le trumeau est supprimé et le linteau est échancré, afin de laisser passer les processions, comme le montre l’image. Après 1792, les destructions sont l’expression du « vandalisme révolutionnaire ». Ce vandalisme révolutionnaire est rapidement condam28 né car il entre en contradiction avec l’exigence de protection du patrimoine national (à partir de juin 1792, toute dégradation sur des monuments dépendant des propriétés nationales est passible d’une peine de deux ans de fer). Les destructions se poursuivent cependant et c’est en 1793 que les statues de la galerie des rois, alors identifiées comme une représentation des dynasties qui ont régné sur la France, sont supprimées. Des vestiges en ont été retrouvés, fortuitement, en 1977. Parmi eux, 21 têtes, qui sont aujourd’hui exposées au musée national du Moyen Âge. la galerie des rois ont été détruites en 1793 parce qu’elles étaient alors perçues comme une représentation des rois de France. C’est en effet le temps du vandalisme révolutionnaire, qui s’attaque aux symboles monarchiques – malgré la volonté des révolutionnaires au pouvoir de protéger le patrimoine. Notons qu’en 1786 la flèche de la cathédrale, très abimée, a été démontée. 3. Le trumeau et le linteau du portail central, les statues (notamment celles de la galerie des rois), la flèche datent de la restauration dirigée par Viollet-le-Duc à partir de 1845. 4. L’apport de Viollet-le-Duc est très important. La cathédrale, bien que de style gothique dans son ensemble, est autant un monument du Moyen Âge que du XIXe siècle. 5. Viollet-le-Duc a cherché à redonner à la façade son état originel. Il a donc reconstitué ce qui avait été détruit au XVIIIe siècle, en s’appuyant sur sa très bonne connaissance de l’architecture gothique et des recherches rigoureuses menées pour connaître l’état antérieur du monument. La reconstruction de la flèche obéit cependant à une autre logique, puisque Viollet-le-Duc lui a ajouté un étage. Il considérait en effet qu’une restauration devait donner au monument sa forme idéale. 6. Son intervention peut être qualifiée de néogothique, parce que Viollet-le-Duc ne se limite pas à reconstruire à l’identique. Il réinvente en partie le monument (flèche, gargouilles). 7. Une telle restauration, qui s’apparente à une recréation, ne serait pas acceptée aujourd’hui. Il est maintenant admis que l’œuvre du temps fait partie du monument. Toute restauration doit donc obéir à trois principes : respect de la création originale, lisibilité et réversibilité. Document 3 Chevet et façade sud de Notre-Dame La photographie donne à voir la flèche, haute de 96 m, reconstruite par Viollet-le-Duc. À la différence de la méthode utilisée pour la façade occidentale, le restaurateur n’a pas ici cherché à reconstituer la flèche dans son état original. Elle compte deux étages, au lieu d’un, et n’abrite plus de clocher. Document 4 Façade occidentale de Notre-Dame aujourd’hui La façade occidentale de la cathédrale aujourd’hui est largement héritière de la restauration de Viollet-le-Duc. La confrontation avec le doc. 1 montre que son travail a été guidé par un souci de reconstitution, qui s’appuie sur des recherches rigoureuses. Cette attitude suppose également de considérer que le monument a une forme idéale. Réponses aux questions 1. Notre-Dame de Paris est une cathédrale gothique dont la construction a commencé en 1160 pour se prolonger jusqu’au milieu du XIIIe siècle. La façade occidentale est large de 40 m, les tours s’élèvent à 69 m et la flèche à 96 m. L’architecture gothique se caractérise par la recherche de l’élévation et la volonté de faire pénétrer la lumière à l’intérieur du bâtiment. Contreforts, arcs brisés, hautes fenêtres et grande rose sont au service de ces exigences. 2. Le monument a subi de nombreux dommages à la fin du XVIIIe siècle. Le portail central a perdu son trumeau et le linteau a été échancré. À cette époque, antérieure à la conscience patrimoniale, il est habituel de transformer, y compris au prix de destructions, un bâtiment pour l’adapter au goût du jour. Les statues de pages 44-45 VERS LE BAC Composition Réponses aux questions 1. Rome : L’importance et la densité des traces de l’Antiquité, celle des monuments et aménagements urbains de la Renaissance et du Baroque (palais, églises, places, fontaines) donnent au patrimoine du centre historique de Rome son caractère remarquable. 29 Jérusalem : La particularité du patrimoine de la Vieille Ville tient à sa diversité (vestiges antiques, édifices de style croisé, ommeyade, mamelouk, ottoman…) et à la présence de lieux saints des trois monothéismes. Paris : Le patrimoine parisien est très varié : vestiges antiques, églises gothiques ou néoclassiques, édifices contemporains… Il est composé de monuments mais aussi d’ensembles urbains dont l’homogénéité a été préservée. 2. Rome : L’importance de l’héritage antique est liée à deux phénomènes historiques : l’occupation continue du site depuis le VIIIe siècle av. J.-C., l’intérêt pour l’Antiquité qui naît à la Renaissance (qui a permis, même de manière imparfaite, une protection des vestiges). La présence des papes, qui deviennent au Moyen Âge maîtres de la ville, explique qu’il y ait de nombreux édifices de la Renaissance et du Baroque. Les papes étaient de grands mécènes et firent appel aux plus grands artistes de leur temps pour aménager la ville, construire palais et églises. L’histoire de la ville éclaire également la faible présence de vestiges médiévaux : peu nombreux parce que la ville s’est considérablement rétrécie entre la fin de l’Antiquité et le XIe siècle, ils ont pour la plupart été détruits par les aménagements de la fin du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres. Jérusalem : Disputée dès l’Antiquité, Jérusalem est passée d’une domination à une autre et chaque pouvoir a laissé sa marque dans la Vieille Ville. Chaque style ne s’est cependant pas développé en rupture avec le précédent. Au-delà des réemplois, des influences sont manifestes (par exemple de l’art byzantin sur l’art ommeyade). Paris : L’absence de destructions majeures, le rôle ancien de capitale et le souci des rois, empereurs et présidents d’embellir Paris, expliquent que le patrimoine parisien soit dense et varié. 3. Selon les époques, les conditions dans lesquelles le patrimoine est sauvegardé ont varié. La politique de sauvegarde dépend d’une décision du pouvoir politique, qui impose de protéger le monument au nom de l’intérêt public, y compris lorsqu’il relève de la propriété privée. L’application de la loi peut cependant être difficile (à Rome, poursuite des destructions après la bulle de Pie II ; à Paris, vandalisme révolutionnaire des années 1792-1793 ; à Jérusalem, conflits dans l’appréciation des travaux de restauration à mener entre autorité israélienne et société musulmane en charge de l’esplanade des mosquées). Au fil du temps, les critères retenus pour définir ce qui relève du patrimoine se sont par ailleurs modifiés. 4. Rome : La difficulté à Rome est de concilier modernisation et conservation. Des arbitrages sont nécessaires pour permettre les aménagements nécessaires (ligne de métro supplémentaire par exemple) et éviter une muséification du centre historique. Jérusalem : La Vieille Ville est sous contrôle israélien depuis 1967, mais la gestion de nombreux sites et monuments implique plusieurs communautés religieuses (plusieurs communautés chrétiennes pour le SaintSépulcre, juifs et musulmans pour le Mur occidental et l’esplanade des mosquées). Paris : Du fait de l’élargissement des critères de définition du patrimoine (quartiers anciens, architecture industrielle), la politique de protection concerne de plus en plus de monuments (exemples pour l’architecture industrielle : restauration du Grand Palais à partir de 2001, service funèbre municipal aménagé en lieu culturel – le Centquatre – ouvert en 2008). L’enjeu est de ne pas figer la ville. 5. Il s’agit d’un sujet thématique : il faut comprendre les particularités du patrimoine de Rome/Jérusalem/Paris aujourd’hui en s’appuyant sur l’histoire de la ville et celle de prise de conscience patrimoniale. 6. La première proposition est la plus adaptée, car la plus large. Elle permet d’intégrer la question du regard des contemporains sur le passé, ainsi que celle des acteurs et des enjeux de la politique patrimoniale au sein d’une réflexion plus complète sur les spécificités du patrimoine de Rome/Jérusalem/Paris. 7. Sujet 2 : En quoi les choix patrimoniaux effectués au fil des siècles permettent-ils de comprendre les particularités du patrimoine que nous admirons aujourd’hui ? Sujet 3 : Que nous apprend le patrimoine de Rome/Jérusalem/Paris sur la constitution d’une identité collective ? 30 CHAPITRE 2 Les mémoires en France : une lecture historique Il est tout d’abord indispensable de faire réfléchir les élèves sur la définition des termes « mémoire » et « histoire » et de préciser que la mémoire ne peut être dissociée d’une réflexion critique sur ses usages et fonctions. Alors que la mémoire de Grande Guerre rassemble, celles de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie divisent. Elles sont, en effet, le reflet de la diversité des acteurs y ayant pris part et de la pluralité de leurs engagements. De fait, les mémoires qui émergent quant à ces deux conflits suscitent encore de nos jours de nombreux enjeux mémoriels et historiques et questionnent la volonté, érigée au nom de l’intérêt national, de taire un passé sombre et douloureux. Les souvenirs de l’Occupation, de la déportation ou encore de la guerre d’Algérie obsèdent la conscience nationale. Depuis plus de vingt ans ces souvenirs enfouis et ce passé, méconnu des nouvelles générations, ont ressurgi – parfois brutalement – dans la mémoire des Français. Après avoir été passés sous silence, ils appartiennent désormais à notre environnement politique et culturel. L’historien Henry Rousso dans son ouvrage Vichy, un passé qui ne passe pas parlait au sujet de cette histoire d’un « deuil inachevé », ce qui semble également pouvoir s’appliquer à la guerre d’Algérie. Il s’agit dans ce chapitre d’avoir une lecture historique de ces mémoires et donc d’analyser les enjeux et les événements qui ont contribué à leurs constructions, évolutions et remises en cause, sans juger et d’en comprendre les mécanismes. pages 48-49 OUVERTURE DE CHAPITRE de montrer qu’il ne fallait pas abandonner les armes contrairement à ce que demandait le maréchal Pétain. De plus, la croix de Lorraine, symbole de cette résistance, est visible sur le drapeau accompagnée du slogan « France Libre » ainsi que sur les deux oblitérations. Toutefois, il n’existe aucun enregistrement de l’appel du 18 juin 1940 car les techniciens de la BBC préparaient au même moment celui du discours du Premier ministre britannique, Winston Churchill. C’est la raison pour laquelle le timbre reproduit l’affiche intitulée « À tous les Français » qui a alors été placardée sur les murs de Londres, ce que souligne le mur de brique en arrière-plan. Document 1 2010 : le 70e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 Ce timbre commémoratif, édité pour le 70e anniversaire de l’appel du général de Gaulle du 18 juin 1940 sur les ondes de la BBC, montre combien cet événement constitue l’un des tournants de la Seconde Guerre mondiale. Cette commémoration n’est donc pas nouvelle et ce document reprend tous les éléments symboliques de ce discours radiodiffusé appelant à la résistance et invitant les Français à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l’Allemagne. En effet, suite à la démission du Président du conseil, Paul Reynaud le 16 juin 1940, le général de Gaulle rejoint l’Angleterre le lendemain pour continuer le combat. Réagissant à la demande d’armistice de Philippe Pétain annoncée le 17 juin, il rédige son Appel qu’il prononce le 18 juin vers 20 heures sur les ondes de la radio britannique, ce que souligne ce document par deux fois. De même, le côté gauche du timbre représente deux soldats des Forces Françaises Libres dont les armes servent à porter le drapeau tricolore. Il s’agit de souligner la légitimité de la lutte dans l’intérêt de la France et Document 2 5 décembre 2002 : inauguration du Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie Cette photographie a été prise lors de l’inauguration du Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie par le président Jacques Chirac, le 5 décembre 2002. Sur les trois piliers du monument qui se situe sur le quai Branly à Paris, défilent les noms de près de 23 000 soldats dont 3 000 harkis qui ont participé à ces combats. Il s’agit d’un événement en soi puisqu’il constitue un des aspects de la reconnaissance par 31 la République française du fait que les combats en Algérie aient constitué une véritable « guerre » et non de simples « événements de pacification » comme ils étaient désignés auparavant, jusqu’à la loi de 1999 les reconnaissant pour tel. pages 50-51 mémoires de la Résistance se sont constituées dans les années qui ont suivi la guerre. De fait, les travaux des historiens ont récemment montré combien cette histoire des mémoires est fondamentale pour comprendre une partie de l’histoire de France et notamment comment la mémoire de la Résistance face à l’occupant allemand s’est imposée de 1945 à 1969. En effet, bien qu’il y ait eu très tôt concurrence entre les gaullistes et les communistes, et ce pour des raisons différentes qui leur étaient propres comme le montrent les documents accompagnant la leçon, le consensus résistancialiste s’est imposé afin de rassembler et de reconstruire et ce, en glorifiant ou occultant certains faits historiques. INTRODUCTION Cette double-page introductive permet de situer la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’Algérie dans leurs contextes respectifs, grâce à deux frises chronologiques rappelant quelques événements historiques et mémoriels clés de chacun des conflits, mais également à l’aide de deux cartes qui permettent de comprendre la complexité du second conflit mondial, d’un rappel des notions clés préalablement acquises, de l’extrait de l’ouvrage d’un historien donnant des pistes sur la nécessité de distinguer mémoire et histoire et enfin d’un document iconographique contemporain de la guerre d’Algérie, soulignant combien l’Algérie tenait une place particulière dans l’histoire de France. Ainsi l’illustration du 1er mai 1955 tirée du journal catholique Le Pèlerin, historiquement premier magazine français en couleur, est symptomatique des documents produits à l’époque sur les « événements d’Algérie », à savoir des embuscades subies par les soldats français. Par la présence des harkis, engagés aux côtés des troupes françaises, le document relève du même coup la complexité du conflit algérien liée en partie à la multiplicité de ses acteurs. C’est ce qui donne naissance aux multiples mémoires la concernant. De même, l’expression « notre chair » dans le titre « Algérie, épine dans notre chair… » est révélatrice du statut particulier de l’Algérie qui n’est pas considérée comme une colonie puisque administrativement découpée en trois départements français. Il s’agit donc pour les Français d’une partie de la France accentuant ainsi les difficultés quant à la reconnaissance de ce conflit et contribuant à complexifier les mémoires. La double-page vise donc à donner aux élèves des éléments de recul nécessaires à la compréhension des enjeux de mémoire relatifs à l’une ou l’autre des guerres. pages 52-53 Document 1 Les Français acteurs de leur libération La couverture de cet ouvrage et surtout son titre Paris délivré par son peuple publié en 1945 montrent combien la volonté d’imposer l’idée de la résistance face à l’occupant nazi d’une part et d’autre part le fait que les Français aient combattu euxmêmes pour se délivrer de cette occupation. Il vise donc à rassembler les Français en occultant la collaboration d’État ainsi que les soutiens extérieurs qui ont permis de gagner la guerre. L’iconographie souligne le titre en montrant au premier plan des Français semblant crier d’une même voix, comme le fait le gros plan d’une Marianne guerrière en arrière-plan. Ce détail de la Marianne est symbolique car il s’agit de celui d’un des groupes sculpté sur l’Arc de Triomphe de la place de l’étoile à Paris représentant le départ des volontaires de 1792, également appelé Marseillaise. Document 2 Mémoire gaulliste contre mémoire communiste Réponses aux questions 1. Le contexte international lors de la rédaction de cet article qui date du 9 août 1947 est celui de la naissance de la Guerre froide entre les États-Unis incarnant le libéralisme et l’URSS communiste. 2. Cet extrait de la revue gaulliste L’Étincelle évoque le pacte germano-soviétique d’avantguerre et donc indique clairement « qu’il a fallu attendre jusqu’en 1941 et l’agression hitlérienne contre la Russie pour que le Parti communiste abandonne sa politique de neutralité envers l’Allemagne nazie ». Il dénonce ainsi le rallie- LEÇON 1 Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France Cette première double-page de leçon sur les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France a pour objectif de montrer de quelle manière les 32 ment tardif des communistes à la lutte contre l’occupant et aux mouvements de Résistance pour souligner combien les gaullistes étaient de ce fait plus légitimes. pages 54-55 HISTOIRE DES ARTS Le Chant des partisans Le Chant des partisans est écrit à Londres en 1943, à la demande d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie du Mouvement Libération. Joseph Kessel et Maurice Druon le composent au Club Français de Saint-James, dans la banlieue de Londres avec Anna Marly qui s’y produit à l’époque et qui compose la musique du Chant des partisans. Jusqu’au débarquement de 1944, ses premières notes ouvrent l’émission française de la BBC. Le manuscrit (doc. 1) est depuis 2006 classé comme monument immatériel historique. C’est Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui fait passer les paroles clandestinement en France. Il est alors diffusé par tracts et devient l’hymne de la résistance. Document 3 Tous derrière « l’homme du 18 juin » Cette affiche anonyme datant de 1945 montre que la France Libre a très tôt adopté la croix de Lorraine pour symbole. De fait, celle-ci a été proposée par le vice-amiral Émile Muselier – qui était lorrain – dès le 1er juillet 1940 comme signe d’identification puis de ralliement afin de lutter contre la croix gammée nazie. Toutefois, elle n’était l’insigne des Forces Françaises Libres que pour les marins et aviateurs. Réponses aux questions 1. L’arrière-plan de cette affiche est composé d’une photographie de ruines en noir et blanc faisant mieux ressortir la croix de Lorraine dans laquelle a été insérée l’image du général de Gaulle portant le drapeau français. 2. L’unique inscription « 18 juin » en bas à droite sert à rappeler l’acte fondateur de la Résistance, l’appel radiodiffusé par la BBC, initié par le général de Gaulle pour mieux souligner son rôle dans la Seconde Guerre mondiale. Le fait que le général de Gaulle soit placé au centre de l’image et porteur du drapeau tricolore est révélateur du fait que le document cherche à rallier les Français derrière l’idée qu’il incarne à lui seul la Résistance et sans doute également l’avenir de la France. Réponses aux questions 1. Dans le document 2, les expressions et termes « du pays qu’on enchaîne », « ennemi » sont soulignés par l’iconographie : une statue de la Liberté, un village français identifiable au coq gaulois présent sur le clocher, la chaîne brisée pour signifier qu’il est nécessaire de libérer le territoire, le titre de la partition « chant de la Libération » de même que la courte présentation indiquant « c’est le chant d’un peuple qui veut être libre ». « Enchaîné » et « liberté » font référence à l’occupation de la France et à la nécessité de la délivrer de ses occupants. 2. Ce chant s’adresse aux Français qui continuent la lutte, aux résistants à l’occupation allemande. 3. L’action des résistants est associée à un acte de liberté. 4. Au nom de cette liberté, le chant défend le courage et le don de soi jusqu’à la mort. 5. Ce chant a été composé en mai 1943 après que la totalité du territoire français a été occupée par les Allemands et au moment où des tentatives d’unification entre les résistances intérieures et extérieures sont réalisées. 6. Ceux qui résistent risquent d’être dénoncés, faits prisonniers, fusillés ou déportés. 7. Ce chant est écrit afin de motiver ceux qui résistent déjà, de pousser les autres à le faire et de donner à tous un chant de rassemblement pour légitimer la lutte. 8. Il cherche à développer l’esprit de résistance et donc ici la fierté patriotique de combattre contre le mal et pour la Liberté. Document 4 Le parti des fusillés Il y a peu de reproduction de cette affiche électorale pour les élections législatives de 1945-1946 du parti communiste français alors même qu’elle révèle une grande partie des slogans communistes quant au second conflit mondial. On peut ainsi y noter que les communistes ont cherché à confirmer leur engagement dans la Résistance avec les notions quantitatives de « 75 000 fusillés » ou qualitatives de « parti des fusillés ». De même les ennemis sont clairement désignés, non seulement l’occupant nazi, « les boches », mais aussi les collaborateurs français « les traîtres de Vichy ». Le tout reprend les mêmes registres que la mémoire gaulliste à savoir une lutte héroïque contre l’occupant. 33 pages 56-57 ÉTUDE passé vichyste (cf. le sujet de 1993) et associent la résistance à l’aide aux victimes juives de la déportation. Entretenir la mémoire de la Résistance L’histoire de la Résistance a été véhiculée par l’école afin de l’ancrer et de la transmettre aux jeunes générations. Sans remettre en cause les faits historiques, cette transmission s’est pourtant faite au rythme de l’histoire officielle et a longtemps véhiculé le mythe d’une France unanimement résistante au détriment de la complexité des faits et notamment des divisions entre les Résistances intérieure et extérieure ou encore de l’histoire de la collaboration. Les historiens Éric Conan et Henry Rousso précisent à ce sujet : « Bien que son étoile ait un peu pâli, la mémoire de la Résistance reste en France une religion civique qui se pratique dans toutes les communes et dans toutes les écoles. […] La Résistance n’est pas un épisode parmi d’autres de l’histoire de France. Elle est – elle reste encore – un récit sacré, donc souvent simplifié et enjolivé. C’est grâce à ce récit fondateur que l’identité nationale, fissurée au lendemain de la tourmente, a pu se reconstruire. » Elle a donc longtemps contribué à taire une partie des faits historiques et les mémoires diverses relatives à la Seconde Guerre mondiale dans le but de préserver l’unité nationale. Document 4 Lecture obligatoire DOC L’ancienne station de métro Marcadet (ligne 13) est rebaptisée Guy Môquet dès janvier 1946. Nicolas Sarkozy a voulu renouer avec une certaine vision résistancialiste (insistant davantage cependant sur la résistance intérieure) dès 2007, en instaurant la lecture de la lettre du jeune résistant et en se rendant chaque année au plateau des Glières. Un grand nombre d’enseignants se sont alors élevés contre cette lecture obligatoire imposée d’en haut. C’est à l’occasion de la rénovation de la station, en 2010, dans le cadre du programme « renouveau du métro », que fut réalisée une fresque de 4 m sur 1,70 m en mémoire de Guy Môquet, conçue en collaboration avec l’Amicale Châteaubriant-VovesRouillé. On fera surtout relever aux élèves le processus d’identification avec un jeune homme que vise l’affiche et le caractère non politique des valeurs associées à cette figure, qui se veulent avant tout républicaines : fraternité, espoir, égalité, action. Dans le cas de la lecture de la lettre et dans celui de la fresque, les critiques ont été nombreuses sur « l’importation démesurée des affects dans la relation au passé, les empiétements du pouvoir politique », Benjamin Stora, préface de Les Guerres de mémoires, sous la direction de Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson, La Découverte, 2008. Document 1 Extrait d’un manuel de cours moyen 1re année (CM1), 1964 Cet extrait d’un manuel de 1964 est emblématique de la vision résistancialiste de la période. On pourra le mettre en relation avec le discours de Malraux lors de la panthéonisation de Jean Moulin la même année (p. 72 du manuel). La présidence de De Gaulle consacre une vision triomphale et erronée de la guerre où la Résistance est avant tout identifiée aux combats militaires. Réponses aux questions 1. Cet extrait de manuel souhaite mettre en valeur la mémoire gaulliste de la Résistance ce dont témoigne clairement le deuxième paragraphe qui n’évoque que le général de Gaulle et la Résistance extérieure ainsi que les Anglais et Américains comme acteurs de la victoire contre l’Allemagne. Le deuxième point du résumé de la leçon qui contient ce qu’il faut retenir va dans le même sens et il est lui aussi explicite. 2. Selon cette circulaire du ministère de l’Éducation nationale datée du 11 avril 1961, le concours de la Résistance et de la Déportation est mis en place afin de célébrer le souvenir des déportés et des résistants. En effet, il s’agissait d’expliquer aux plus jeunes l’histoire de la Résistance et ses apports en entretenant la mémoire héroïque des résistants. Documents 2 et 3 L’organisation de la mémoire Quelques thèmes du concours de la Résistance et de la Déportation (1961-2010) Le concours de la Résistance, institué en 1961 par le ministère de l’Éducation nationale, est un bon baromètre de l’évolution de la mémoire dominante de la Seconde Guerre mondiale. Si son objet est la Résistance, les sujets restent très marqués par le résistancialisme jusqu’au début des années 1980 (la Libération, de Gaulle, Jean Moulin par exemple). Ils intègrent dans les années 1990 la résurgence du 34 nées 1970 finit par éclater en de multiples mémoires. De fait, les travaux des historiens se combinent avec des œuvres artistiques et/ou des revendications mémorielles pour faire exploser ce récit national. 3. Tous les élèves âgés d’au moins 15 ans sont concernés afin d’entretenir cette mémoire. Les élèves doivent être capables d’en comprendre les enjeux d’où la limite d’âge. 4. Les grands thèmes qui reviennent fréquemment dans le concours sont la Résistance, la déportation et le système concentrationnaire. 5. D’après Xavier Darcos, alors ministre de l’Éducation nationale, ce choix est lié au fait que Guy Môquet n’était âgé que de 16 ans et qu’il était élève au lycée lorsqu’il a été arrêté puis fusillé. La lettre écrite à sa mère avant de mourir « mérite de servir d’exemple à la jeune génération », selon l’expression de la circulaire. C’est cette valeur exemplaire donnée à l’histoire qui pourtant doit faire l’objet d’interrogations auprès des élèves, afin de leur faire comprendre la méthode historique et l’esprit critique nécessaire dans le traitement des mémoires comme matière de l’Histoire. La mémoire érigée en mémorial n’est pas Histoire, mais les cérémonies commémoratives instituées par l’État sont révélatrices pour le travail de l’historien. Document 1 Le Chagrin et la Pitié Le film inaugure la mode « rétro » qui voit, à partir de 1974 (Lacombe Lucien de Louis Malle dans lequel Le Monde avait vu à l’époque une « œuvre dangereuse ») l’éclosion de films inspirés de la guerre : 45 entre 1974 et 1978. Ce film se range dans la catégorie des films-procureurs qui dénoncent Vichy et la collaboration d’État. Les Français y apparaissent comme veules et fascistes. Tournant le dos à la reconstruction épique de la Résistance, le film d’Ophüls est un documentaire sur la vie quotidienne à Clermont-Ferrand pendant l’Occupation et présente différents acteurs des événements : pétainistes, collaborateurs, notables, résistants anonymes ou connus. Les témoignages alternent avec des images d’archives, bandes d’actualités pour la plupart, mais cette méthode fut l’objet de critique car elle juxtapose, parfois injustement, la mémoire et l’Histoire. On découvre la France de Vichy, moins conditionnée par la présence allemande qu’on pouvait le croire, et les traces encore vivantes de la guerre franco-française. Des plages d’oubli apparaissent de manière criante : l’antisémitisme d’État et celui de la population, l’engagement d’une partie des Français auprès de la Waffen-SS, choix largement idéologique et conscient, la mise de côté des composantes gaulliste et communiste de la Résistance (c’est Pierre Mendès-France qui est interrogé, de Gaulle est absent.). Entre 1971 et 1981, un conflit fait long feu entre le réalisateur et la télévision qui tente d’endiguer la vague « rétro » déclenchée par le film. Le projet, financé par la télévision allemande, est diffusé en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et aux ÉtatsUnis, mais l’ORTF pratique la censure car, selon son directeur, le film « détruit les mythes dont les Français ont encore besoin ». Projeté dans une petite salle du Quartier Latin, le film est vu par 600 000 spectateurs en 87 semaines ininterrompues. Françoise Giroud, spectatrice dès la sortie sur les écrans, véhicule ici une critique acerbe du résistencialisme et de l’attitude paternaliste de l’ORTF qui livre un combat d’arrière-garde. Elle témoigne à sa manière de l’engouement et de l’impact extraordinaire qu’eût cette œuvre. La télévision, à l’époque uniquement VERS LE BAC Étude critique Ce document date d’avril 1961 au moment où le consensus résistancialiste semble bien établi. De fait, il en reprend les principaux ingrédients à savoir la mise en exergue de héros nationaux (de Gaulle, Jean Moulin) et des lieux de commémoration (ici les lauréats sont conviés à l’inauguration du monument du souvenir érigé à Paris dans l’île de la Cité et à la visite des hauts lieux de la Résistance). L’objectif est clairement indiqué, « il ne s’agit pas de réveiller les haines », mais bien de souder les jeunes Français et la nation. La déportation n’a pourtant concerné longtemps dans les sujets du concours que celle liée aux faits de Résistance et ce n’est que dans les années 1970 que le concours s’ouvre plus largement aux autres mémoires. pages 58-59 LEÇON 2 Le réveil des différentes mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France Cette double-page de leçon cherche à montrer que la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, axée sur la Résistance, qui a présidé jusqu’aux débuts des an35 2. En 2010, à l’occasion de ce 70e anniversaire, c’est bien la mémoire résistancialiste qui est mise en avant par ces portraits placés symboliquement sur le train à grande vitesse qui relie Londres. publique, refuse de diffuser un film qui risquerait de faire resurgir une mémoire enfouie et de vieilles querelles. F. Giroud souligne aussi : « on tient les Français incapables de se regarder dans une glace ». Réponses aux questions 1. Le film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié en 1971 aborde la collaboration française avec l’Allemagne. 2. Lorsque le film doit sortir sur les écrans en 1971, cela constitue un véritable choc dans la mesure où ces faits de collaboration ont jusqu’alors été occultés afin de préserver l’unité des Français à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. De fait, c’est la Résistance de ces mêmes Français qui a été glorifiée depuis lors, comme si tous les Français sans exception y avaient participé. Le fait que le film vienne rompre cette mythologie provoque évidemment de profondes réactions. 3. Cela explique donc la première phrase de l’article et même la suivante. En effet, le film de Marcel Ophüls a été censuré et donc interdit de diffusion jusqu’en 1981. pages 60-61 ÉTUDE La mémoire du génocide juif : du silence à la reconnaissance La mémoire du génocide juif est passée du quasi silence jusqu’aux années 1970 à la reconnaissance comme partie essentielle de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale avant d’être commémorée. De fait, la déportation soulève à la fois la question de la collaboration de l’État français et la collaboration individuelle à ce crime reconnu comme crime contre l’humanité. Document 1 Ignorer la déportation des Juifs Simone Veil naît à Nice le 13 juillet 1927. En mars 1944, elle est arrêtée avec sa famille par la Gestapo, et déportée dans le camp de concentration d’Auschwitz où elle passera 13 mois. Elle témoigne ici des difficultés d’assumer le souvenir des camps en 1945, dans une société qui tend à oublier les responsabilités de Vichy dans la déportation des Juifs. Le regard porté par la société et les déportés « politiques » empêche de reconnaître la spécificité de leur expérience. En effet, le résistancialisme conduit à porter une attention particulière à la déportation pour faits de Résistance alors que la déportation « raciale », selon une terminologie de l’époque, n’intéressait pas. En outre, forcément isolés, les survivants ne s’organisent pas nécessairement pour faire vivre le souvenir et le souvenir d’Auschwitz ne structure pas encore le renouveau d’une identité juive contemporaine. Simone Veil montre donc que le refus de témoigner et la volonté d’oublier s’ancrent dans le désir d’intégrer à nouveau la société française, de retrouver une forme de normalité et d’adhérer aux valeurs républicaines dominantes. Document 2 La responsabilité de la France dans la déportation des Juifs Il faut attendre Chirac pour que la responsabilité de la France soit reconnue en juillet 1995. Auparavant, Pompidou, désireux d’oublier « ces temps où les Français ne s’aimaient pas » avait opté pour la grâce de Touvier. Mitterrand, confronté au réveil de la mémoire juive du génocide, avait refusé de reconnaître la responsabilité de l’État français dans la mesure où le régime de Vichy constituerait une sorte de parenthèse aberrante dont la République ne saurait être comptable. Chirac clôt ainsi le long débat qui, au début des années 1990, a bouleversé la société française autour de la commémoration de la rafle du Veld’Hiv et du passé de Mitterrand. Document 4 Le 70e anniversaire de l’appel du 18 juin Réponses aux questions 1. Lors du 70e anniversaire de l’appel du 18 juin, les personnages qui ont été choisis pour commémorer ce souvenir sur l’eurostar ont tous pour point commun d’être des héros de la Résistance et d’incarner le choix du refus d’abdiquer et de vouloir continuer la lutte. Document 2 Oublier la collaboration d’État Les films héroïques et historiques ont connu un moment de prédilection entre 1946 et 1950 : 39 films soit 1 film français sur 7 pour seulement 1 sur 20 dans les années suivantes. L’atonie des films 36 inspirés de la guerre dans les années 1950, sous la IVe République, correspond mal à la période d’intenses polémiques soulevées par les lois d’amnistie ou par le procès de Bordeaux. Le cinéma semble alors en retrait et évite les sujets brûlants. C’est dire qu’en 1956, la parution du court-métrage d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard, tranche avec le conformisme ambiant en mettant l’accent sur la déportation. Sélectionné pour le Festival de Cannes de 1956, il subit les rigueurs de la censure : le képi du gendarme du camp d’internement de Pithiviers (créé par les Allemands mais administré par les Français) est barré. Le film est finalement présenté hors-concours suite aux pressions diplomatiques de la RFA et du Quai d’Orsay. Ainsi, le cinéma est une forme de cristallisation efficace de la mémoire, l’image étant un vecteur de réactivation des souvenirs. Cependant, le film ne rompt pas avec un ton héroïque et donne une image globale du phénomène de la déportation en mettant davantage l’accent sur la Résistance que sur le sort des Juifs. Il assimile fâcheusement la situation de différents camps pour dégager une sorte de portrait-robot de la déportation. L’usage des images d’archives américaines induit de nombreuses confusions qui contribuent à fausser pour longtemps la connaissance de la réalité des camps. Document 4 Un procès indispensable Ouvert en 1997, le procès de Maurice Papon est le dernier des grands procès qui émaillèrent les années 1980 et 1990. Après l’assassinat de Bousquet, la mort de Leguay et Sabatier, tous trois inculpés de crime contre l’humanité, Papon fait figure de dernier symbole. Symbole, Maurice Papon l’est à plusieurs titres : il est le dernier acteur présent d’une suite d’inculpations retentissantes bien que la gravité de ses crimes n’atteigne pas celle des autres. La lenteur de l’instruction, commencée en 1981 mais ralentie par la volonté présidentielle, est devenue le symbole des réticences de la société française à revisiter son passé. Enfin, en tant qu’administrateur, l’affaire Papon met en question les limites de la complicité de collaboration et pose le problème de la responsabilité – ou de sa dissolution – des pouvoirs publics. La posture de Serge et Arno Klarsfeld ici est caractéristique d’une conception présentiste de l’histoire qui rend l’homme contemporain redevable des crimes du passé et du futur. Dans les années 1990 a surgi un débat autour la pertinence des procès intentés contre les responsables de la déportation des Juifs en France. Pour les partisans des procès, le devoir de mémoire est un devoir de justice vis-à-vis des victimes qui doit faire des prétoires de nouvelles instances de narration du passé. Il est aussi un devoir de transmission aux générations futures. Cette conception est née après 1961 lorsque le procès Eichmann a judiciarisé la mémoire, c’est-à-dire que s’impose l’idée que la justice doit faire passer l’histoire et réparer le préjudice subi. En fait, c’est tout le passé (et en particulier celui de l’État) qu’on juge à travers Papon. Le procès se veut édifiant « pour les générations futures ». Le débat a rebondi parmi les historiens que la justice appelait à la barre en tant que témoins afin de contextualiser les crimes reprochés. Ainsi Henry Rousso émettait des réserves. Les partisans d’un retrait prudent firent prévaloir que les procédés judiciaires induisaient des effets qui réduisaient à néant les efforts des historiens. La recherche de culpabilité leur parut incompatible avec la finalité de l’histoire qui est de comprendre et non pas de juger. Le statut de la vérité judiciaire, définitif, est très différent du statut de la vérité historique, toujours révisable selon la documentation. Les historiens furent convoqués à titre de témoins de faits qu’ils n’avaient pas vus. Les historiens qui Document 3 Le réveil de la mémoire En 1985, le film de Claude Lanzmann propose un documentaire qui a une vocation historique pour un public d’adultes. Le film continue à populariser en France l’usage du mot « Shoah » qui avait été utilisé pour la première fois en 1979, lors du congrès des professeurs d’Histoire-Géographie. Le projet, réalisé à base de témoignages et sans images d’archives, consacre une vision victimaire du génocide. Son originalité réside dans son objet qui n’est pas tant le génocide en lui-même que la survivance de sa mémoire. Cette re-création à vocation morale abolit la distance entre la mémoire et l’histoire, quitte à survaloriser certains éléments (l’antisémitisme des Polonais et le lien entre celuici et la présence des camps sur le territoire polonais). L’auteur a d’ailleurs revendiqué ce parti pris. Signe du « réveil » de la mémoire juive, Shoah joue vis-à-vis de la Shoah le rôle que Le Chagrin et la pitié a joué au début des années 70 vis-à-vis de l’Occupation. 37 VERS LE BAC vinrent à la barre admirent ainsi que la justice et les victimes avaient des droits supérieurs à la vérité historique : c’est en tant que citoyens qu’ils répondirent à l’injonction judiciaire. Composition Comment la mémoire de la déportation des Juifs de France est-elle passée d’une place marginale au centre de la mémoire collective ? I. Le silence et l’indicible, 1945-1971 II. Les témoignages et revendications, 1971-1995 III. La reconnaissance et les commémorations, 1995-2012 Réponses aux questions 1. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la société française ne souhaitait pas écouter les Juifs rescapés des camps ni même reconnaître la responsabilité étatique dans la déportation pour ne pas ajouter aux divisions et reconstruire autour en se rassemblant autour d’un récit commun. À cette fin, l’oubli ou au moins le silence des victimes étaient plus aisés et facilités par la glorification de véritables héros ayant permis de lutter contre l’Allemagne nazie. 2. Mais peu à peu les acteurs et témoins du génocide ont témoigné non plus seulement à l’échelle familiale mais à l’échelle collective. Ainsi des films comme Shoah de Claude Lanzmann en 1985 relayent ces prises de parole puisque celui-ci est construit sur les témoignages de rescapés notamment et décrypte ainsi le génocide juif. En outre, l’ouverture de procès très médiatiques comme celui de Maurice Papon en 1997 ont révélé cette part de mémoire que cette interview de Serge et Arno Klarsfeld, avocats des parties civiles lors du procès, déclare comme « indispensable » à plus d’un titre. 3. En effet, pour ces deux avocats le procès Papon joue un rôle exemplaire pour que la société française se souvienne de cette histoire, de la mémoire des enfants juifs victimes des décisions du préfet Papon, mais aussi de tous ceux qui ont su dire non aux décisions étatiques. Enfin, le but du procès est de rendre justice à toutes les familles des victimes. 4. La commémoration par l’État et ses représentants de la déportation des Juifs de France s’inscrit après que François Mitterrand en 1993 a institué sous la pression une journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous autorité de l’État français, à la date anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv le 16 juillet, et que Jacques Chirac a officiellement reconnu la responsabilité de l’État français dans son discours du 16 juillet 1995. pages 62-63 LEÇON 3 La difficile reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie Considérée comme une guerre sans nom jusqu’à 1999, la guerre d’Algérie n’était pas reconnue comme telle. C’est la loi de 1999 qui reconnaît officiellement le terme de « guerre », pour désigner ce qui n’était jusqu’alors nommé « événements », « pacification », etc. Cette guerre a divisé les Français comme les Algériens en raison d’acteurs aux engagements multiples et donc de sa complexité. Ce silence dans la mémoire collective avait de multiples sources mais il n’a pu, comme pour le second conflit mondial, se maintenir face à la remontée des différentes mémoires. Document 1 Une guerre sans gloire François Joly, auteur de romans policiers (Notes de sang, La Mort comme un service), et CPE en lycée, a lui-même été appelé pendant la guerre d’Algérie. Réponses aux questions 1. Dans cet extrait, le romancier François Joly dénonce le fait que les soldats qui ont combattu en Algérie n’avaient aucune reconnaissance, aucune gloire, ni de la part de l’État ni de la part de la population. 2. L’auteur compare la guerre d’Algérie avec la guerre du Vietnam car il s’agit de deux guerres perdues politiquement si ce n’est militairement. Mais alors que les soldats américains font l’objet d’une forme de reconnaissance, notamment via les films, ce n’est pas le cas des soldats français ayant combattu en Algérie. Document 3 Les rapatriés français En 1932, ce sont 700 000 « rapatriés » d’Algérie qui arrivent en France métropolitaine. Leur intégration est souvent difficile. L’affiche est ici l’œuvre du 38 Mouvement d’Entraide et de Solidarité pour les Français d’Outre-mer aux accents patriotiques. Pierre de Léotard est en effet issu de la droite nationaliste et a participé au PSF de La Rocque, mais choisit la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Il fut député RGR de 1951 à 1958, farouche partisan de l’Algérie française. Tout d’abord il s’agit, pour lui, de contribuer à dépassionner les débats comme pour l’histoire du régime de Vichy. De même, il précise que les Français utilisent couramment cette expression de longue date et que les associations des anciens combattants le revendiquent légitimement. Surtout, l’argument-clé présidant à cette reconnaissance réside dans le code des pensions militaires accordées aux anciens combattants d’Afrique du Nord qui, jusqu’alors, étaient pénalisés par rapport aux autres anciens combattants. Documents 2 et 4 Une « guerre sans nom » La « guerre d’Algérie » est officialisée Guerre honteuse, la guerre d’Algérie a longtemps été rejetée de la mémoire collective. Les appelés ont donc entretenu isolément leurs souvenirs. C’est une mémoire singulière par ailleurs car elle ne pouvait se rapprocher de celles des deux conflits mondiaux, puisque cette guerre avait été une guerre coloniale, contre un FLN qui menait une guerre révolutionnaire. Par ailleurs, elle n’avait pas directement touché le sol français et donc le reste de l’opinion publique de la même façon. Les associations d’Anciens combattants (l’UNC-AFN et la FNACA) ont joué un rôle important d’intégration des anciens appelés. Même si les appelés y évoquent peu leurs souvenirs. Benjamin Stora évoque à leur propos la solitude des « porteurs de mémoire » qui préfèrent se réfugier dans l’oubli [La Gangrène et l’Oubli, Paris, La Découverte, 1991]. Elles ont contribué, surtout à partir de 1987 quand les deux associations s’unissent, au combat pour la reconnaissance de la situation de guerre en Algérie entre 1954 et 1962 et pour celle de leur statut d’anciens combattants à part entière. La reconnaissance du terme de « guerre d’Algérie » par le gouvernement français est intervenue le 21 septembre 1997, et entre dans la loi en 1999. Cette loi a surtout une portée symbolique, même si elle ouvre éventuellement droit à une pension. pages 64-65 LEÇON 4 La guerre d’Algérie : une guerre des mémoires Depuis une vingtaine d’années, les mémoires multiples se sont « libérées » et la guerre d’Algérie suscite des controverses mémorielles donnant naissance, selon certains historiens spécialistes du sujet, à une véritable « guerre des mémoires ». Les témoignages se font plus audibles, les archives récemment ouvertes sont exploitées, les publications et films de fiction ou documentaires se multiplient, les revendications se font plus pressantes et ce contexte contribue à pousser les pouvoirs publics à s’engager dans la voie de la reconnaissance mémorielle. Pour autant, comme pour la Seconde Guerre mondiale, les mémoires éclatées reflètent celles des différents acteurs. Aussi, si pendant longtemps la France n’a pas eu de réelle politique mémorielle à l’échelle nationale, elle cède peu à peu du terrain à ces besoins de reconnaissance multiples. Document 1 Des anciens appelés se souviennent Depuis les années 1990, les documentaristes puis les historiens ont commencé à s’intéresser à la mémoire des appelés d’Algérie qui présentent cette particularité d’avoir dû assumer leur souvenir en dehors de toute mémoire officielle collective et même dans un refus de la part de la société française de s’en souvenir. La multiplication des films sur la guerre Vietnam n’est sans doute pas étrangère à cet intérêt pour la mémoire de soldats qui ont connu un retour à la vie civile pour certains difficiles entre mutisme généralisé et cauchemars pour certains. L’entourage ne voulait surtout pas avoir à être confronté à d’éventuels récits de tortures par exemple, d’où une injonction implicite à ne pas parler. L’historienne Arlette Farge écrit : « Vive, souffrante et précise, la mémoire des ap- Réponses aux questions 1. La guerre d’Algérie a été qualifiée de « guerre sans nom » car jusqu’en 1999 les expressions officielles consacrées étaient « événements » ou « opérations » etc. De fait, il s’agissait d’un conflit mené, selon leur statut administratif, dans trois départements considérés comme français. Accepter le terme de guerre aurait alors été reconnaître le caractère de guerre « civile » puisque menée dans cette France d’outre-Méditerranée. 2. Le rapporteur de la loi utilise plusieurs arguments pour reconnaître l’appellation de guerre. 39 VERS LE BAC pelés n’est pas enfouie ; elle bute sur une absence totale d’interlocuteur qui l’empêche de s’intégrer à leur passé » [« La mémoire blessée des soldats d’Algérie », Le Monde des livres, 19 mars 1999]. Ce mutisme peut aussi apparaître comme une défense face au sentiment d’être fautif. D’ailleurs, la majorité des témoignages des appelés ne ressemble pas forcément à ceux choisis ici qui laissent transparaître l’émotion de la culpabilité. Ce sont plutôt la Première et la Seconde Guerres mondiales qui sont souvent associées à l’expérience en Algérie dans la mémoire des appelés par comparaison avec les expériences de leurs parents et grands-parents. Ce qu’on peut interpréter comme une façon de donner un sens à un souvenir personnel, décalé par rapport à l’image de cette guerre d’Algérie que leur renvoie la société. Étude critique Le premier document est constitué d’extraits de témoignages d’appelés, c’est-à-dire ceux qui ont fait leur service militaire en Algérie, Jean Manin et Ezio Goy parus dans l’ouvrage de Patrick Rotman et Bertrand Tavernier, La Guerre sans nom : les appelés d’Algérie, 1954-1962. Le deuxième document est un monument très controversé, érigé en 2005, à Marignane à la mémoire des membres de l’Organisation de l’Armée Secrète morts en Algérie. Cette confrontation des deux documents montre à elle seule combien la guerre d’Algérie est à l’origine de mémoires très conflictuelles car entre les Français appelés au nom de la conscription à faire leur service militaire en Algérie, qui y allaient par obligation, et ceux qui incarnaient le mouvement ultra des « pieds noirs » d’Algérie, à savoir les Français installés en Algérie de plus ou moins longue date mais qui y sont souvent nés, les mémoires du conflit sont très différentes. De même, il faut y joindre celle des Algériens du Front de Libération Nationale, celle des Harkis, celle des Français qui en France soutenaient le mouvement indépendantiste algérien, etc. Aussi, après avoir été tues jusqu’aux années 1990, ces « accélérations de la mémoire » comme les qualifie l’historien Benjamin Stora sont génératrices d’une nouvelle forme de « guerre », celle des mémoires. Documents 1, 2 et 3 Des anciens appelés se souviennent Des nostalgiques de l’Algérie commémorent Des mémoires éclatées La confrontation de ces trois documents permet de mettre en évidence une mémoire encore divisée, et une guerre des mémoires encore vive en ce qui concerne la guerre d’Algérie. Document 4 Une histoire partagée Ce document est l’occasion de rappeler deux mémoires antagonistes du conflit de part et d’autre de la Méditerranée, la guerre étant évidemment pour les Algériens l’acte de naissance de leur État. Si le geste de Jacques Chirac est politiquement fort, on précisera qu’il a été très diversement accueilli en France et même parfois vivement critiqué par les anciens rapatriés. pages 66-67 ÉTUDE Quelle date pour commémorer la guerre d’Algérie ? La date de commémoration de la guerre d’Algérie a fait et fait toujours l’objet d’une véritable lutte entre les différents protagonistes du conflit. Si la République française a tranché, en la personne de son président de la République, pour une date neutre et totalement déconnectée de l’histoire du conflit, elle ne semble satisfaire que peu de monde et les anciens combattants restent extrêmement divisés à ce sujet. Il convient de bien identifier les acteurs de la manifestation du document 3. Le Cercle algérianiste, créé en 1973, rassemble en effet d’anciens Français d’Algérie et harkis pour « sauvegarder le patrimoine culturel né de la présence française en Algérie » comme l’indique son manifeste. C’est un mouvement nostalgique de la présence français en Algérie, qui désigne d’ailleurs le rapatriement de 1962 comme un « exode ». Réponses aux questions 1. Le président de la République française, Jacques Chirac, fait ce discours à l’occasion d’une visite officielle en Algérie et surtout il le fait devant le Parlement algérien à Alger. 2. D’après lui, la mémoire de la guerre d’Algérie divise parce qu’aucun des deux pays n’a fait un réel travail d’histoire sur cette guerre et n’a pas su intégrer toutes les mémoires pour faire cette histoire aussi bien du côté français que du côté algérien. L’argument pour tenter de dépasser cette division est le respect d’absolument toutes les victimes et ce travail d’histoire fondé sur l’étude de toutes les mémoires. 40 Réponses aux questions 1. Les différentes controverses liées au choix du 19 mars comme date de commémoration officielle de la guerre d’Algérie sont relatives aux divisions entre les différentes associations d’anciens combattants sur ce point. De fait, le document précise que ni cette date de cessezle-feu ni celle de l’indépendance algérienne ne font l’unanimité. Aucune autre date proposée n’a pu rassembler contrairement aux autres conflits. Aussi en 1998, au moment des débats à l’Assemblée nationale, aucune date n’a été fixée pour ne pas trancher dans ces divisions. 2. Ces controverses envahissent l’espace public soit parce qu’elles font l’objet d’inauguration de monuments, de places, de squares ou de rues qui relèvent de l’espace public, soit parce qu’elles donnent lieu à des manifestations souvent relayées par les médias, au moins locaux. 3. La date du 5 décembre a été officiellement décidée par le président de la République de l’époque, Jacques Chirac. Cette date totalement déconnectée d’un quelconque événement lié à la guerre d’Algérie est révélatrice de la volonté de mettre fin aux querelles de mémoire en ne tranchant ni en faveur des uns ou des autres. 4. La date du 5 décembre correspond donc à l’inauguration en 2002 du Mémorial national de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie, par Jacques Chirac, quai Branly à Paris. Pour autant, on peut s’interroger sur le fait qu’un tel choix puisse réellement mettre fin aux querelles de mémoire car il ne correspond en aucune manière à l’histoire de la guerre d’Algérie. pages 68-69 ÉTUDE La torture en Algérie La mémoire et les débats autour de la torture en Algérie renaissent au tout début des années 2000 quand les historiens s’en emparent (l’historienne Raphaëlle Branche a consacré en 2000 une thèse à l’utilisation de la torture par l’armée en Algérie. On pourra se reporter à son article « Torture : la République en accusation », dans La Guerre d’Algérie, Les collections de l’Histoire, trimestriel mars 2002, hors-série n° 15), mais aussi dans la presse et les médias. Les témoignages semblent alors se faire face. La publication, le 20 juin 2000, dans Le Monde de celui de Louisette Ighilahriz, militante indépendantiste torturée en 1957 à Alger (torturée à l’état-major de la 10e division parachutiste du général Massu), entraîne la réaction des généraux Massu et Bigeard nommément mis en cause dans le récit ; le premier exprimant des regrets, le second dénonçant des mensonges. Documents 1 et 2 Témoignage d’un torturé, ouvrage interdit à sa parution Film tiré de l’ouvrage La Question Ces documents permettent de rappeler que si la mémoire de la guerre d’Algérie a connu un certain dégel avec les révélations et débats sur la torture, cellesci ne sont pas nouvelles. Henri Alleg (doc. 1), mais aussi François Mauriac ou Paul Teitgen en avaient dénoncé l’usage systématique dès l’époque de la guerre d’Algérie. C’est donc un contexte particulier qui explique l’oubli ou le rejet de la mémoire. Document 3 Revendications autour de la mémoire de la torture en Algérie VERS LE BAC Composition Cet appel joue un rôle important dans le retour de la mémoire de la torture dans les années 2000, car le débat devient alors politique puisque l’appel des douze à une reconnaissance officielle par l’État de l’usage de la torture en Algérie, appel paru dans L’Humanité en octobre de la même année. Le 23 novembre Le Monde publie, sous le titre : « Torture en Algérie : l’aveu des généraux », les entretiens des deux principaux chefs militaires de la bataille d’Alger en 1957, Massu et Aussarresses. L’émotion est vive, enfin, quand le général Paul Aussaresses justifie l’emploi de la torture dans Services spéciaux Algérie 1955-1957 : mon témoignage sur la torture Pourquoi les querelles de mémoire liées à la guerre d’Algérie agissent-elles sur la politique mémorielle étatique ? I. La fin d’une guerre taboue ouvre la voie aux querelles de mémoires II. Ces batailles mémorielles reflètent la multiplicité des acteurs III. Ces guerres mémorielles infléchissent la politique mémorielle étatique 41 VERS LE BAC en mai 2001 et réitère dans l’émission présentée par Élise Lucet du 27 juin 2001, Pièces à conviction (consultable sur le site de l’INA). Étude critique Ce document est un appel signé par divers protagonistes qui ont soit participé à la guerre d’Algérie, soit sont des avocats ou historiens liés à cette histoire par leur travail. Il a été publié dans le journal L’Humanité le 31 octobre 2000. Il illustre les débats liés à l’évocation et à la pratique de la torture lors de la guerre d’Algérie en ce qu’il rappelle que ce travail de mémoire doit être partagé aussi bien par la France que par l’Algérie, de même que la torture a été pratiquée par les deux camps. Il est donc nécessaire selon les signataires de l’appel que cette pratique soit reconnue et condamnée à l’échelle étatique non seulement pour rétablir la vérité historique, mais également pour l’édification des jeunes générations. Enfin, les auteurs appellent aux témoignages afin de rendre justice et, potentiellement, d’apaiser les tensions par la reconnaissance et la connaissance de la vérité. Réponses aux questions 1. Henri Alleg ne souhaitait pas initialement parler de la torture en Algérie en raison des humiliations et des douleurs générées par ces actes. Finalement il décide d’en parler pour établir la vérité et que cela puisse servir à apaiser les mémoires et finalement aider à construire la paix sur la base d’une histoire totalement révélée même dans ses actes les plus sombres. 2. Cette mémoire se diffuse soit par le biais de témoignages, d’ouvrages comme dans le document 1, ou encore de films comme celui tiré de l’ouvrage d’Henri Alleg. 3. Les auteurs de cette revendication appelant au travail de mémoire réclament la vérité sur la pratique de la torture en Algérie. 4. Ils souhaitent donc une reconnaissance officielle du gouvernement français sur cette pratique et surtout sa condamnation. 5. Tout récemment, peu après les célébrations du 11 novembre 2011, le ministre de la Défense a annoncé que le corps du général Bigeard serait inhumé aux Invalides en signe de reconnaissance de son engagement comme combattant de la France Libre et de ses actes de résistance lors de la Seconde Guerre mondiale ainsi que de sa participation aux combats en Indochine et en Algérie. C’est cette décision qui a fait ressurgir de multiples débats sur la mémoire autour de la pratique de la torture en Algérie car cet officier a non seulement pratiqué la torture, mais s’est toujours refusé a posteriori à la condamner. Cela a donc donné naissance à des tribunes médiatiques qui ont de nouveau placé la torture au cœur des débats publics. 6. Les historiens précisent qu’en manifestant leur opposition à cette décision du ministre de la Défense, ils ne souhaitent pas se poser en juges, ce qui n’est pas leur rôle, mais qu’a contrario il est légitime pour eux de rappeler les faits historiques contribuant à rappeler les enjeux autour de ce type d’acte officiel, ici une inhumation dans l’un des monuments emblématiques de Paris, car ce serait une forme de « légitimation » détournée de la torture. pages 70-71 HISTOIRE DES ARTS La BD lève le voile sur le 17 octobre 1961 En 1985 Didier Daeninckx s’inspire de cet événement dramatique pour son roman Meurtres pour mémoire. En 2011, paraît une adaptation en bande dessinée par Mako, Octobre noir. Didier Daeninckx est surtout célèbre pour ses romans policiers. C’est un écrivain engagé pour qui le roman est souvent l’occasion d’une critique sociale ou politique. Mako, de son vrai nom Lionel Makowski, a commencé à publier des bandes dessinées dans les années 1981. Depuis il a adapté de nombreux romans de Didier Daeninkx (Le Train des oubliés en 2003 ou Bravado en 2005). Le roman et la bande dessinée racontent l’histoire de Mohand, un Algérien de Saint-Denis, qui essaie de se produire sur scène avec son groupe de rock. Le soir du 17 octobre 1961, tandis que ses amis, son père et sa sœur Khelloudja partent manifester contre le couvre-feu, Mohand donne un concert. À la sortie du théâtre, il assiste à la répression de la manifestation, les morts et les arrestations en masse. Rentré chez lui, il apprend la disparition de Khelloudja. Réponses aux questions 1. Les scènes des planches 41 et 44 illustrent la manifestation de protestation à la décision du préfet de police de Paris, Maurice Papon, 42 de ces crimes » sur lesquels s’interrogent les différents articles du document 1. De fait le document 3 y répond en montrant qu’il s’agissait de policiers français et que les Algériens ont été non seulement contrôlés, mais emmenés et parqués sans compter ceux qui ont été tués. d’établir un couvre-feu qui ne s’applique qu’aux seuls musulmans. Elles montrent donc les manifestants dans la nuit, bravant le couvrefeu, et les contrôles et violences policières pratiquées dans les rues de Paris. 2. Les Algériens sont d’abord représentés comme des manifestants pacifiques puis subissant les violences de la police et enfin les mains sur la tête suite à leur arrestation. 3. Les policiers utilisent tout d’abord des grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants puis s’en prennent à eux à coup de matraque avant de les embarquer dans des bus. 4. Dans le document 1 qui reprend trois extraits de la presse française quant aux événements du 17 octobre 1961 (deux du journal Le Monde et un du journal Libération), cités par l’historien Benjamin Stora dans la préface de la bande dessinée intitulée Octobre noir, la presse semble prendre des orientations différentes immédiatement après les événements. Dans le premier extrait, le journal Le Monde semble en faveur de la répression en précisant que le Front de Libération Nationale, à l’origine de la manifestation, porte la responsabilité de ce qui s’est déroulé. Pourtant au même moment le journal Libération s’interroge sur le traitement de ces Algériens non seulement lors de la manifestation mais même dans les jours qui ont précédé. De même, le second extrait de l’article du Monde paru le lendemain du premier, indique lui-même qu’avec du recul ses sources indiquent qu’en aucune manière la manifestation des Algériens n’était menaçante, sous entendant que la répression était exagérée. 5. Chaque planche montre le déroulement quasi chronologique des faits et chacune est très sombre non seulement pour accentuer le caractère nocturne des événements mais aussi le sombre aspect de la répression. L’omniprésence des matraques et des policiers, ainsi que les hommes à terre ou les mains sur la tête montrent l’extrême violence de la répression. 6. La bande dessinée donne comme élément d’explication à cette répression le fait qu’il ne s’agisse pas de Français, ce qui est une atteinte au couvre-feu instauré par le préfet de police. 7. La comparaison des documents 1 et 3 permet de comprendre qui étaient les fameux « auteurs page 72 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Document 1 Jean Moulin au Panthéon Le succès du culte à Jean Moulin s’explique par l’unification opérée par le résistancialisme gaullien : Jean Moulin, figure propice au rassemblement parce qu’il symbolise l’union de la France Libre et de la résistance intérieure, permit d’assimiler la diversité des résistances à un seul homme, finalement alter ego de De Gaulle. Ce culte permet d’évacuer la guerre civile puisque Jean Moulin s’est battu contre un ennemi étranger, non pas contre les traîtres de Vichy. Il permet d’évacuer l’aspect politique et idéologique de la Résistance. L’idée de transférer au Panthéon les cendres de Jean Moulin pour le 20e anniversaire de la Libération revient à l’Union des résistants de l’Hérault et elle est relayée par la gauche locale. Le projet fut repris par Malraux alors ministre d’État aux Affaires culturelles puis par le chef de l’État lui-même qui, fait exceptionnel, en promulgua le décret. Le contexte est double : le transfert se déroule après le vote d’amnistie des délits commis pendant la guerre d’Algérie et une semaine avant le vote de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité : entre l’oubli des crimes d’Algérie et la réaffirmation que l’on n’oublie pas ceux de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit d’opérer une sélection du passé propre à ressouder la cohésion nationale. La cérémonie se déroula les 18 et 19 décembre, en deux temps : exhumation et transfert de l’urne du Père-Lachaise à la crypte des martyrs de la déportation, dans l’île de la Cité : 194 compagnons de la Libération de toute tendance, y compris les communistes, formèrent une garde d’honneur. Le transfert au Panthéon s’effectua de nuit à travers Paris. Le lendemain, la cérémonie transmise par la télévision, eut pour but d’assimiler Jean Moulin, de Gaulle et l’aspect militaire de la Résistance dans une tradition résistancialiste avouée : cette fois, c’est le Général qui présida les hommages avec toute la pompe ré43 publicaine. À midi, Malraux prononça l’éloge funèbre conclu par « Le Chant des Partisans » puis un le défilé militaire. Cette journée fut clairement centrée sur le général de Gaulle qui vola la vedette au héros : le discours lui est d’ailleurs adressé à lui seul, en tant que Président de la République mais aussi, tout le monde le comprend, en tant que « Homme du 18 juin ». Derrière le discours, qui dure 15 minutes, se profile une équation simple : Jean Moulin = Résistance = De Gaulle = France. La Résistance, c’est la France éternelle. Le caractère œcuménique de Jean Moulin fut réactivé par François Mitterrand en 1981. page 73 reconnue par l’État (art. 3) et encourage le travail des historiens et la transmission de cette mémoire par l’école. pages 74-75 VERS LE BAC Composition Réponses aux questions 1. b) Quels évolutions et événements ont entraîné un éclatement des mémoires de la Seconde Guerre mondiale depuis 1945 ? 2. Notions : résistancialisme, collaboration, génocide juif. Acteurs : des hommes politiques comme de Gaulle ou Jacques Chirac, le parti communiste, des historiens comme Paxton, des réalisateurs comme Max Ophuls ou Claude Lanzmann... 3. On peut illustrer l’hégémonie du résistancialisme par le doc. 3 p. 57 ; le retour sur le passé de la collaboration par le doc. 1 p. 59 ou le doc. 4 p. 61, la reconnaissance officielle de la mémoire de la déportation des juifs de France par le doc. 5 p. 61. 4. Bornes chronologiques des parties I. Des mémoires univoques : glorifier les héros (1945-1970) II. Des mémoires refoulées qui ressurgissent (1970-1990) III. Des mémoires fragmentées (1990 à nos jours) 5. Plan détaillé I. Des mémoires univoques : glorifier les héros (1945-1970) 1. Les mémoires gaullistes et communistes se partagent la glorification de la Résistance 2. L’amnésie organisée autour de Vichy et la déportation II. Des mémoires refoulées qui ressurgissent (1970-1990) 1. Le « retour de Vichy » : la fin du « mythe résistancialiste » 2. La mémoire du génocide III. Des mémoires fragmentées (1990 à nos jours) 1. « Un passé qui ne passe pas » : une mémoire toujours en question 2. Les enjeux de mémoires VERS LE BAC Étude critique de document(s) Document 1 La reconnaissance de la nation Cette loi se situe dans la continuité de celle de 1999 reconnaissant les « événements d’Algérie » comme une guerre. Cependant, elle a été l’occasion d’une très vive polémique du fait de l’amendement introduit par le député Christian Vanneste: « Le sous-amendement 59 à l’amendement 21 et le sousamendement de coordination 58 tendant à mieux faire connaître aux jeunes générations le côté positif de la présence française en Afrique et en Asie, dans la lignée voulue par Jules Ferry », soutenu ensuite par les députés UMP du sud de la France où l’électorat « pied-noir » est très important. Dans un second temps le groupe socialiste et certains députés UMP proposent un deuxième texte qui remplace l’alinéa par une formulation moins directive : « les programmes scolaires accordent la place qu’elle mérite à l’histoire de la présence française Outre-mer ». Pour apaiser la situation, Jacques Chirac demande au Premier ministre Dominique de Villepin de consulter le Conseil constitutionnel qui statue que cette disposition est de nature réglementaire, autrement dit, que le gouvernement est libre de la supprimer dans le décret d’application. Réponse à la question La loi entend reconnaître officiellement les victimes civiles et militaires du conflit (art. 1) alors qu’il n’y avait pas de commémoration officielle depuis 1962. Elle crée une fondation 44 THÈME 2 Idéologies, opinions et croyances en Europe et aux États-Unis, de la fin du XIXe siècle à nos jours (15-16 heures) point du programme La connaissance de l’histoire des croyances religieuses, des idéologies et des opinions est indispensable à la compréhension des sociétés. Ce thème permet d’aborder ensemble ces trois domaines dont les liens peuvent être étroits. Il s’agit d’étudier la place occupée par des religions aux racines anciennes, celle d’une idéologie qui s’est affirmée à l’époque contemporaine, celle de l’opinion publique inséparable du principe démocratique, dans des sociétés qui sont sous-tendues par ce principe. Chaque question est traitée à partir d’un exemple qui permet d’en cerner les principaux enjeux en Europe et aux ÉtatsUnis de la fin du XIXe siècle à nos jours. Question 1 : Socialisme et mouvement ouvrier Mise en œuvre Socialisme, communisme et syndicalisme en Allemagne depuis 1875. Question 2 : Médias et opinion publique Mise en œuvre Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France depuis l’Affaire Dreyfus. Question 3 : Religion et société Mise en œuvre Religion et société aux États-Unis depuis les années 1890 Dominique Herbet (dir.), Culture ouvrière Arbeiterkultur. Mutations d’une réalité complexe en Allemagne du XIXe au XXIe siècle, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2011 Anne-Marie Saint-Gille (dir.), Cultures politiques et partis aux XIXe et XXe siècles : l’exemple allemand, Lyon, Presses universitaures de Lyon, 2005 Alfred Wahl, Les Forces politiques en Allemagne, XIXe-XXe siècle, Armand Colin, 1999 bibliographie • Sur l’histoire politique et sociale de l’Allemagne Heinrich A. Winkler, Histoire de l’Allemagne, XIXe-XXe siècles. Le Long Chemin vers l’Occident, Fayard, 2005 Sandrine Kott, L’Allemagne du XIXe siècle, Hachette, 1999 Sandrine Kott, Alain Lattard, Marie-Bénédicte Vincent, Histoire de la société allemande au XXe siècle, La Découverte, 2011 Hans-Ulrich Wehler, Essais sur l’histoire de la société allemande 1870-1914, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2003 • Sur les médias en France Fabrice d’Almeida et Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, Flammarion, 2003 Francis Balle, Les Médias, PUF, 2009 Jérôme Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle, Economica, 1990 • Sur le mouvement ouvrier Jacques-Pierre Gougeon, La Social-démocratie allemande, 1830-1996. De la révolution au réformisme, Aubier, 1996 45 Thomas Ferenczi, L’Invention du journalisme en France. Naissance de la presse moderne à la fin du XIXe siècle, Paris, 1993 Jean-Yves Mollier, Édition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, Fayard, 2008 Jean-Yves Mollier, Jean-François Sirinelli, François Vallotton, Culture de masse et culture médiatique en Europe et dans les Amériques (1860-1940), PUF, 2006 Aude Vassallo, La Télévision sous de Gaulle, De Boeck, 2005 Michel Winock, Les Fièvres hexagonales. Les Grandes Crises politiques (1871-1968), Le Seuil, 1999 Sitographie • Sur le socialisme et le mouvement ouvrier en Allemagne Musée historique allemand de Berlin (allemand et anglais) : www.dhm.de Musée de la RDA de Berlin : www.ddr-museum.de Fondation Rosa Luxemburg (allemand et anglais) : www.rosalux.de Le site de l’IISH (hollandais et anglais) propose de nombreuses affiches socialistes de tous les pays : socialhistory.org • Sur les médias en France Les actualités sur le site de l’INA : www.ina.fr Sur le site L’Histoire par l’image plus de 60 études sont consacrées aux médias : www. histoire-image.org Exposition virtuelle de la BNF sur l’histoire de la presse : expositions.bnf.fr/presse Histoire de la radio en France sur le site de Radio France : www.radiofrance.fr/lentreprise/histoirede-la-radiodiffusion • Sur la religion aux États-Unis Jean-François Colosimo, Dieu est américain. De la Théodémocratie américaine, Fayard, 2006 Dominique Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, PUF, 1997 Cécile Froidevaux-Metterie, Politique et religion aux États-Unis, La Découverte, 2009 Isabelle Richet, La Religion aux États-Unis, PUF, 2001 Denis Lacorne (dir.), Les États-Unis, chapitres 17 et 18, Fayard, 2006 Nicole Guetin, L’Imposture messianique, 2004 Robert N. Bellah, « La religion civile en Amérique », dans Archives des sciences sociales des religions, n°35, 1973 Jacques Gutwirth, « Religion et politique aux États-Unis », dans Archives des sciences sociales des religions, n° 104, 1998 Cécile Froidevaux-Metterie, « États-Unis, comprendre l’énigme théocratico-laïque », dans Critique internationale, n°36, juilletseptembre 2007 Fabienne Randaxhe, « De l’exception religieuse états-unienne, retour sur un débat », dans Archives des sciences sociales des religions, n° 122, 2003 • Sur la religion aux États-Unis Le site de l’Église catholique américaine : www.usccb.org Le site du Pew Forum on religion and public life, centre de recherche sur les religions aux ÉtatsUnis fournit nombre de statistiques, cartes, graphiques, analyses sur les liens entre affiliation religieuse et vie publique (en anglais) : www.pewforum.org On trouve plusieurs représentations cartographiques des religions aux États-Unis sur PopulationData : www.populationdata.net, le site de la cartothèque de Sciences Po : cartographie.sciences-po.fr Le site du New-York Times a mis en ligne tous les discours inauguraux des Présidents américains avec une représentation graphique des termes les plus fréquemment utilisés : www.nytimes.com Des statistiques récentes sur le site de Gallup (www.gallup.com) et celui des recensements de l’État américain : www.census.gov 46 CHAPITRE 3 Socialisme et mouvement ouvrier en Allemagne depuis 1875 Compte tenu de la longueur de la période à traiter, le plan adopté est chronologique, avec deux grandes césures correspondant à l’issue des deux guerres mondiales qui marquent des changements politiques décisifs en Allemagne : la première leçon porte ainsi sur la période de l’Empire allemand (Kaiserreich) et s’achève avec la défaite militaire et la révolution de novembre 1918. La deuxième leçon traite la période de la République de Weimar et du régime nazi jusqu’à son effondrement en 1945. La troisième et la quatrième leçons portent sur les deux Allemagne d’après-guerre jusqu’à la réunification et sur l’après 1990. Chaque leçon évoque conjointement les diverses composantes du mouvement ouvrier (partis et syndicats) et la manière dont celles-ci influencent l’histoire politique, sociale et culturelle de l’Allemagne. Le mouvement ouvrier allemand présente, depuis 1875, trois caractéristiques : 1. Sa diversité idéologique en dépit d’un héritage marxiste revendiqué : parmi les socialistes, les réformistes s’opposent dès la fin du XIXe siècle aux révolutionnaires. Cette division doctrinale aboutit à une scission lors de la Première Guerre mondiale, conduisant à la création d’un parti communiste distinct du parti social-démocrate. Cette scission marque durablement le mouvement ouvrier et l’affaiblit face au nazisme. Après 1945, la division du mouvement ouvrier se fige dans la création des deux Allemagne. 2. Une complémentarité forte entre les organisations syndicales et partisanes au sein du mouvement ouvrier. Le syndicalisme allemand représente une force sociale et culturelle importante, mobilisant véritablement les masses et constituant le bras droit de l’action politique socialiste, bien plus qu’en France à la même période. 3. Un rôle de modèle à l’échelle européenne. Le Parti social démocrate est dès 1912 le premier parti d’Allemagne en nombre de voix. Le pays est le seul en Europe occidentale à connaître une révolution en 1918 en écho à la révolution bolchevique de 1917. La République de Weimar est un régime pionnier en Europe pour sa législation sociale. Après 1945, la cogestion instaurée en RFA et la régulation pacifiée des relations du travail servent de références jusqu’à nos jours, malgré un effritement des effectifs syndiqués depuis 1990. pages 80-81 OUVERTURE l’Ouest, sous la direction de Kurt Schumacher, qui est anticommuniste et refuse de fusionner le SPD avec le parti communiste. L’affiche reprend la figure tutélaire d’August Bebel (1840-1913), qui a dirigé le parti social démocrate jusqu’à sa mort, et l’une de ses plus célèbres citations. Cette référence veut montrer la continuité historique du parti après la phase d’interdiction et de répression terrible menée par le régime nazi, mais aussi rappeler l’unité qui existait avant la Première Guerre mondiale malgré les clivages idéologiques. Le choix de mettre en ouverture du chapitre deux affiches des partis socialistes des deux parties de l’Allemagne après 1945 permet de pointer un des enjeux importants du chapitre : comprendre comment la division doctrinale ancienne du mouvement ouvrier allemand entre socialistes réformistes et socialistes révolutionnaires, devenue une opposition entre sociaux-démocrates et communistes après la Première Guerre mondiale, s’est figée après la Seconde Guerre mondiale dans la partition de l’Allemagne née de la Guerre froide. Document 2 1er mai 1948 : le SED fait fusionner social-démocratie et communisme Document 1 1945 : la renaissance du SPD en Allemagne de l’Ouest L’affiche du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne, créé en avril 1946 en zone soviétique par fusion forcée des partis social-démocrate et communiste) L’affiche du SPD (Parti social démocrate d’Allemagne) de 1945 marque la renaissance du parti à 47 de la révolution : la liberté, la défense des droits (face aux souverains absolutistes) et la souveraineté populaire (le citoyen est majeur et par son vote exprime la voix du peuple). Un congrès général des travailleurs est convoqué à l’été 1848 à Berlin : il fonde une Fraternité ouvrière (18 000 membres) qui renforce certes le sentiment d’appartenance des ouvriers et artisans à une catégorie sociale, mais n’envisage pas la prise du pouvoir. La Fraternité adresse une missive au Parlement de Francfort pour demander la reconnaissance des droits des travailleurs. Effrayés par la révolution, les souverains ont en effet accepté l’élection pour la première fois au suffrage universel masculin d’un Parlement national (il siège à Francfort de mai 1848 à juin 1949). Mais à une époque où les partis organisés n’existent pas encore, sont principalement élus des notables (issus de la noblesse et de la bourgeoisie), tandis que les classes populaires ne sont pas représentées (aucun ouvrier élu) et que les députés radicaux restent minoritaires. Les libéraux dominent au Parlement et veulent réaliser l’unité de l’Allemagne dans un Empire fondé sur la souveraineté populaire. Mais dépourvus de moyens financiers et de forces militaires, ils échouent à imposer leurs vues aux souverains et se voient finalement dispersés par la force après le refus du roi de Prusse d’être un empereur élu (Frédéric-Guillaume IV veut être roi de droit divin). Vient alors le temps de la réaction. est produite à l’occasion de la fête du travail du 1er mai 1948. Elle représente un défilé joyeux de travailleurs avec au premier plan une famille portant la cocarde rouge de la tradition révolutionnaire. Le slogan reprend la revendication d’unité de l’Allemagne commune à tous les partis sous l’occupation (1945-1949), mais le choix de l’adjectif démocratique montre que, pour le SED, l’unité doit se faire sur une base antifasciste ferme qui s’appuie sur l’URSS (contexte de Guerre froide). L’affiche précède la création de la RFA le 23 mai 1949 et de la RDA le 7 octobre 1949. La confrontation des deux affiches fait ressortir les désaccords fondamentaux entre les mouvements ouvriers ouest-allemand et est-allemand dès avant la création des deux Allemagne. pages 82-83 INTRODUCTION L’introduction permet de présenter les fondements du mouvement ouvrier avant le début du programme en 1875. Elle fournit à la fois les bases théoriques de la pensée marxiste et les étapes principales de l’organisation des socialistes en Allemagne et à l’échelle internationale. La naissance du mouvement ouvrier remonte au « printemps des peuples » de 1848. Malgré son échec, la révolution de 1848 en Allemagne a apporté deux éléments cruciaux : 1. Pour la première fois les ouvriers se sont organisés au plan politique dans des associations autonomes, qui revendiquent la liberté de presse, le suffrage universel, l’éducation gratuite et la protection du travail (ainsi lors d’une manifestation à Cologne le 3 mars 1848 organisée par la Ligue des communistes). C’est l’objet de la lithographie de Johann Jakob Kirchhoff (1796-1848) de 1848, publiée dans un journal illustré édité à Neuruppin dans le Brandebourg (près de Berlin). À Berlin, le 18 mars 1848, la troupe a tiré sur les manifestants devant le palais du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV et des barricades se sont dressées. Cependant, le roi réussit à rester en place : le 21 mars 1848, il arbore l’écharpe noir-rouge-or (couleurs du mouvement libéral et national de la période précédente dite du Vormärz, de 1830 à 1848) en affirmant vouloir renoncer à l’absolutisme et en promettant l’élection d’une assemblée au suffrage universel. En Prusse, la censure est abolie. La lithographie évoque un ouvrier triomphant sur une barricade, tandis que les combats sanglants à Berlin sont rappelés dans les médaillons. Le poème reprend les grands thèmes 2. Au plan doctrinal, le contexte de 1848 conduit Karl Marx et Friedrich Engels à publier en février 1848, d’abord anonymement puis en le signant, Le Manifeste du Parti communiste. Marx et Engels, dont l’influence est alors circonscrite en Rhénanie, sont très critiques vis-à-vis du Parlement de Francfort qu’ils voient comme une émanation de la bourgeoisie. Répondant à l’origine à une commande de la Ligue des communistes, leur texte résume les grands traits de la doctrine marxiste, afin de la différencier des utopies socialistes. Selon Marx, le moteur de l’évolution historique est la lutte des classes. Le parti communiste se conçoit comme l’avant-garde du prolétariat et sa conscience politique. Il vise à renverser l’ordre capitaliste bourgeois au moyen de la révolution pour instaurer le socialisme (c’est-àdire la propriété commune des moyens de production). L’objectif est donc la prise du pouvoir. Ce manifeste ne rencontre pas un écho unanime dans les milieux ouvriers. Le courant socialiste est alors divisé en plusieurs tendances. Un des prin48 cipaux leaders est alors Ferdinand Lassale (18251864), qui développe une pensée réformiste visant la transformation de la société capitaliste par des voies non violentes. Lassale veut s’appuyer sur le suffrage universel pour que les ouvriers soient représentés dans les organes législatifs allemands afin d’améliorer leur sort. Il fonde en 1863 à Leipzig l’Association générale des travailleurs allemands comme parti indépendant des forces libérales bourgeoises qui, selon lui, ont trahi les ouvriers en 1848. La lithographie de 1870 présente Lassale debout, piétinant un veau d’or détrôné et des pièces d’or et brandissant un drapeau sur lequel on lit : « Social-démocratie, droits de l’homme », tandis que le soleil de la liberté se lève. Cette figuration est une allusion dans l’Ancien Testament à la destruction par Moïse du veau d’or idolâtré par le peuple juif perdu au désert et qui s’est détourné de Dieu. Ce parallélisme suggère que le socialisme à l’instar (ou à la place ?) de la religion permet l’avènement d’une nouvelle ère post-capitaliste grâce au vote des citoyens. Ce réformisme lui vaut l’hostilité des marxistes. Karl Marx est poursuivi par les tribunaux en 1849 pour avoir publié dans son journal de Cologne La nouvelle Gazette rhénane des appels à la révolution : expulsé, il part en exil d’abord à Paris puis à Londres. C’est là qu’il participe à la création de l’Association internationale des travailleurs (Première Internationale) fondée en 1864 à l’initiative des trade unions britanniques. Karl Marx rédige (en anglais) ses statuts et son adresse inaugurale. La photographie représente le premier congrès de l’Internationale à Genève en 1866, au cours duquel les soixante délégués venus de Suisse, France, Angleterre et Allemagne adoptent les revendications de la journée de travail de 8 heures et de l’interdiction du travail des femmes. Au Congrès de Genève, seules trois villes industrielles allemandes sont représentées : Stuttgart, Magdebourg et Cologne, ce qui souligne bien l’attractivité réduite du marxisme à cette date. Les marxistes allemands se regroupent finalement en 1869 dans un Parti social-démocrate des travailleurs, séparé des libéraux et dirigé par Wilhelm Liebknecht (père du spartakiste Karl Liebknecht) et August Bebel (initié par Liebknecht au marxisme). Ainsi au seuil des années 1870, deux grandes tendances dominent le mouvement ouvrier allemand : la tendance réformiste de Ferdinand Lassale et la tendance marxiste. pages 84-85 Carte L’Allemagne de 1871 à nos jours Les quatre cartes présentent le territoire de l’Allemagne correspondant aux périodes traitées dans les quatre leçons du chapitre (les annexions du Troisième Reich exclues). La frise chronologique permet de situer les principales dates de l’histoire du mouvement ouvrier allemand par rapport à la succession des régimes politiques de 1871 à nos jours. La date de 1871 est importante pour le mouvement ouvrier allemand qui observe avec enthousiasme l’expérience de la Commune de Paris (18 mars-27 mai 1871) : de nombreuses manifestations de solidarité sont organisées dans des villes allemandes. Le discours d’August Bebel au Reichstag le 25 mai 1871 constitue l’acmé du soutien aux communards, assorti du refus de voter le budget nécessaire à la poursuite de la guerre contre la France après la victoire de Sedan et le rejet de l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Cette attitude fait durablement apparaître les sociaux-démocrates comme des traîtres à la patrie. Par ailleurs, la peur suscitée en Allemagne par la Commune est exploitée par Bismarck pour réprimer la social-démocratie. Le rejet de l’État bismarckien permet le rapprochement entre les partis marxiste et lassalien qui, en 1871, aux élections du Reichstag, pèsent d’un poids équivalent et réunissent au total 6,8 % des suffrages. La crise économique de 1873 frappant les ouvriers incite les socialistes à se concentrer sur l’action syndicale en faisant passer au second plan les querelles. La première carte permet de récapituler les origines de la social-démocratie et de comprendre le sens de 1875 comme début du programme. En 1875 a lieu en effet le congrès unitaire de Gotha (dans le duché de Saxe-Coburg-Gotha, à l’intérieur de la Thuringe) réunissant pour la première fois le parti de Lassale (Association générale des travailleurs allemands de 1863) et le parti de Liebknecht (Parti social-démocrate des travailleurs de 1869, fondé à Eisenach, ville choisie pour la législation plus libérale du grand duché de Saxe-Weimar par rapport à d’autres États ; le duché est intégré après la Première Guerre mondiale au Land de Thuringe qui l’entoure). La carte permet ici de rappeler la diversité politique de l’Empire allemand fondé en 1871 : malgré son unité, l’Allemagne est une structure fédérale de 25 États. 49 pages 86-87 LEÇON 1 Document 2 La multiplication des grèves ouvrières Le mouvement ouvrier sous l’Empire Le tableau illustre la dureté des conflits du travail au début du XXe siècle en Allemagne. Les grèves sont déclenchées par les syndicats d’obédience socialiste, appelés « syndicats libres » (leur organisation confédérale est dirigée par Carl Legien jusqu’en 1920). C’est un syndicalisme de masse, peu concurrencé par les deux autres types de syndicats que sont les syndicats chrétiens interconfessionnels et les syndicats libéraux dits syndicats Hirsch-Duncker (du nom de leurs fondateurs), conçus non comme l’expression de la lutte des classes, mais comme outils de régulation du travail sur une inspiration des trade unions britanniques. Au total, les trois types de syndicats regroupent 2,9 millions de membres en 1914, dont 2,5 millions pour les syndicats libres, soit un taux de syndicalisation de 22 % (en France 8 %). La leçon présente l’essor phénoménal du mouvement ouvrier allemand sous la houlette du parti social-démocrate (le nom officiel de SPD est donné seulement en 1891 au congrès d’Erfurt) : malgré la phase d’interdiction du temps des lois antisocialistes (1871-1890) et la haine durable des « rouges » partagée par tous les autres milieux politiques, le SPD devient, dans la première décennie du XXe siècle, la première force politique de l’Empire. Document 1 Extraits du programme du Parti socialiste ouvrier d’Allemagne (1875) Lors du congrès de Gotha de 1875, le désir d’unité passe clairement avant la cohérence idéologique du programme, ce qui explique ses contradictions, dont Bebel avait parfaitement conscience et qui suscitent des critiques de Marx en exil. Ces critiques sont publiées dans un texte confidentiel de Marx en 1875 Critique du programme de Gotha, rendu prudemment public en 1891 (après la mort de Marx). Pour Marx, le programme de Gotha est trop lassalien. Réponses aux questions 1. L’évolution des grèves montre d’une part que le maximum de la conflictualité se situe vers 1905-1906 avec plus de trois fois plus d’ouvriers grévistes par rapport à 1900 (notons que ce pic de grèves s’observe aussi en France, elles sont durement réprimées par Clemenceau, alors ministre de l’Intérieur) ; d’autre part, le tableau montre dans les années précédant immédiatement l’entrée en guerre une diminution sensible des grèves. Les syndicats libres évoluent vers une vision plus modérée des relations du travail. L’historienne S. Kott interprète cette évolution comme une conséquence de l’implication des syndicats libres dans la gestion des caisses d’assurance instaurées par la politique sociale bismarckienne des années 1880. 2. L’usage du lock out montre que les patrons répondent aux grèves non par la négociation mais par le rapport de forces. La majorité des patrons allemands adhèrent à une vision paternaliste des relations du travail et sont hostiles à toute signature d’accords de branches (c’est une des grandes revendications de l’ensemble des syndicats au tournant du siècle). Par exemple Krupp refuse de négocier avec les syndicats, qu’il ne considère pas comme des interlocuteurs légitimes. Seule une minorité d’employeurs allemands est ouverte à la négociation. L’issue des conflits est dans 80 % des cas un échec pour les ouvriers. Réponses aux questions 1. Les objectifs sont ceux du socialisme : transformer la société capitaliste par la suppression de la propriété privée des moyens de production en vue de leur appropriation collective par les ouvriers permettant de supprimer les inégalités sociales et les injustices. L’asservissement des prolétaires vient de ce qu’ils sont soumis à la loi salariale imposée par les patrons (« la loi d’airain des salaires » est une expression directement empruntée à Lassale). C’est aux ouvriers eux-mêmes qu’il revient de réaliser leur émancipation (sans s’allier aux forces progressistes bourgeoises, c’est-à-dire aux libéraux, ce qui marque une différence avec 1848). 2. Les moyens envisagés sont des « moyens légaux » (par opposition à la révolution souhaitée par Marx) : au plan économique la création de coopératives de production (pour concurrencer l’économie socialiste) et au plan politique la conquête du pouvoir par le vote. Par ailleurs, le parti entend privilégier pour son action le cadre national au détriment du cadre international, ce qui constitue un autre point d’achoppement avec la doctrine de Marx. 50 mémoire collective ouvrière. Elle a forgé durablement une identité ouvrière spécifique construite sur l’opposition à l’Empire, vu comme un État de classe au plan politique, social et culturel. Même après 1890, les ouvriers ne se situent pas dans une optique d’intégration à l’Empire. Ils n’envisagent pas une participation au pouvoir dans ce régime. Document 3 La grève La grève des ouvriers du textile de Crimmitschau en Saxe a duré d’août 1903 à janvier 1904. La Saxe est une région de forte présence social-démocrate. À Crimmitschau, le SPD a obtenu en 1903 plus de 50 % des voix. La grève de 1903 s’accompagne du lock out des patrons et déclenche par son ampleur des élans de solidarité dans tout le Reich. Il s’agit de la quatrième grève déclenchée depuis 1882 par les syndicats pour améliorer les conditions de travail très dures de l’industrie textile : la journée de travail est alors de 11 heures à Crimmitschau (contre 10 heures, voire parfois 8 dans d’autres régions du Reich comme Berlin). Le conflit se termine par un échec des ouvriers. Notons que si la photographie ne représente que des hommes, de nombreuses femmes étaient employées dans l’industrie textile. Document 1 La loi contre les socialistes La loi est l’œuvre du chancelier Bismarck. Celui-ci présente devant le Reichstag un premier projet de loi d’exception contre l’agitation social-démocrate, bien qu’aucun lien n’ait été établi avec l’attentat contre Guillaume Ier : le texte très brutal est rejeté par les députés. Bismarck dissout le Reichstag et orchestre la campagne électorale autour de la lutte contre la subversion. Le 19 août 1878, la loi est votée par une majorité de conservateurs et de nationaux-libéraux. Elle est promulguée par Guillaume Ier le 21 octobre 1878. Celui-ci a une conception d’Ancien Régime de son rôle de monarque (Empereur par la grâce de Dieu), ce qui montre les contradictions de l’Empire allemand, qui accorde le suffrage universel aux citoyens pour élire le Reichstag (cependant ce Reichstag ne contrôle pas le gouvernement : le régime n’est pas parlementaire). Le Bundesrat représente les États fédérés de l’Empire. Document 4 Siegfried rouge La carte reprend la figure de Siegfried, héros de la mythologie germanique, dont l’épopée est retracée par le Chant des Nibelungen composé au XIIe siècle et qui a bénéficié d’un regain d’intérêt dans le grand public au XIXe siècle avec les opéras de la tétralogie de Wagner (« L’anneau des Nibelungen »), jouée intégralement pour la première fois en 1876 à Bayreuth. Le mythe relate les exploits guerriers du prince Siegfried qui, après avoir tué avec son épée un dragon gardien d’un trésor et s’être lavé dans son sang, devient presque invincible. Document 2 « Nous nous asseyons sur la loi » L’Ami du peuple de Braunschweig est l’un des multiples journaux de la social-démocratie. En 1876, le parti possède 23 journaux, dont 8 quotidiens, avec 100 000 abonnés. La presse social-démocrate a un tirage de 254 000 en 1890 (1,5 million en 1914). Elle a joué un grand rôle dans l’expansion de la social-démocratie et la construction d’un « milieu ». Réponse à la question La carte postale illustre la victoire triomphale du SPD devenu premier parti allemand aux élections du Reichstag de 1912, avec une progression spectaculaire de ses scores depuis la création de l’Empire : le SPD a obtenu 3,2 % des voix en 1871, 19,8 % en 1890, 27,2 % en 1898, 31,7 % en 1903, 34,8 % en 1912. Notons que la carte postale ne mentionne pas les élections de 1907 où le SPD avait légèrement reculé à 28,9 % des voix. Rappelons que malgré ces scores importants, le SPD reste exclu de tous les gouvernements jusqu’en 1918. pages 88-89 Document 3 L’activité de la social-démocratie Bebel a commencé son autobiographie en 1909. Les deux premiers volumes paraissent en 1910 et 1911, le dernier volume est inachevé. Bebel parle moins de sa personne que de l’activité de la socialdémocratie, ce qui en fait une source importante pour les historiens. Du temps de la clandestinité, Bebel raconte dans ses souvenirs ses déplacements en Allemagne sous un faux nom. Il est d’ailleurs condamné à plusieurs reprises à des peines de prison entre 1878 et 1890. Étude Le temps des lois antisocialistes (1878-1890) La répression du mouvement ouvrier allemand sous les lois antisocialistes a profondément marqué la 51 centre. Le 17 mars 1890, Guillaume II demande à Bismarck de démissionner. Document 4 Le Socialiste La peinture réaliste célèbre de Kœhler montre un orateur socialiste allemand (la barbe est un attribut souvent associé à ce milieu dans les représentations), véhément (poing levé), journal devant lui (allusion à la presse clandestine qui continue de paraître, le titre du journal est Le Socialiste), cocarde rouge sur la veste et tribune rouge, haranguant la foule. Document 5 Réponses aux questions 1. La social-démocratie est présentée comme menaçant l’ordre politique, économique et social de l’Empire allemand en visant le renversement du régime et l’abolition de la propriété privée. Sa répression passe par l’interdiction de toutes les associations d’obédience socialiste, syndicats inclus. Les caisses d’entraide des syndicats sont dissoutes. L’appartenance à ces associations est punie par des peines d’emprisonnement et par des amendes lourdes. 2. Le social-démocrate (avec ses attributs habituels : pantalon rouge, barbe) est assis sur la loi dans une posture irrévérencieuse évoquant sans ambiguïté un homme déféquant. Le tonneau portant l’inscription pétrole peut laisser entendre qu’une future explosion se prépare. 3. Les difficultés de l’action clandestine sont premièrement de retrouver un contact avec les masses ouvrières désemparées, deuxièmement de faire face à la défection de certains leaders sociaux-démocrates non fiables, et troisièmement de mettre sur pied une activité clandestine (réunions, assemblées) à partir d’un réseau sûr de militants à cause des dénonciations possibles. 4. L’orateur est figuré les cheveux et la barbe en bataille, les vêtements en désordre, dans l’attitude d’un tribun, haranguant la foule, poings fermés, bras droit levé symbolisant la lutte. Le rouge de la tribune et de la pochette débordant de la poche du veston rappelle le drapeau révolutionnaire. 5. La présence de sociaux-démocrates allemands aux États-Unis s’explique d’une part par la répression qu’ils subissent en Allemagne et qui les oblige à fuir (les personnes accusées d’activisme peuvent faire l’objet d’une interdiction de séjour), d’autre part par la présence aux États-Unis d’une communauté immigrée allemande importante (entre 1871 et 1900, 2,4 millions de personnes ont quitté le Reich, dont 90 % à destination de l’Amérique du Nord). 6. Les assurances sociales bismarckiennes ont pour but d’intégrer les travailleurs à l’Empire allemand. Bismarck reprend la tradition antilibérale du début du XIXe siècle où les réformes par le haut et menées par DOC Les assurances sociales bismarkiennes L’affiche présente le système d’assurances sociales bismarckiennes (1883 : maladies, 1884 : accidents du travail, 1889 : invalidité et vieillesse à partir de 70 ans). En 1914, l’État social représente une réalité quotidienne acceptée par la population (presque 11 millions d’ouvriers sont protégés par l’assurance maladie, 13 millions pour l’assurance accidents, 18 millions par les assurances vieillesse et invalidité). En moyenne, 40 % des actifs sont protégés (pourcentage le plus élevé du monde). À la veille de la guerre, l’État social n’est plus remis en cause par aucun parti, y compris les sociaux-démocrates qui monopolisent via leurs syndicats les conseils de gestion des caisses. Document 6 La levée de la législation antisocialiste en 1890 Le texte montre les désaccords entre Bismarck et le jeune empereur Guillaume II (1888-1918). Âgé de 30 ans en 1890, ce dernier est très avide de popularité et de gloire. Il veut régner et s’oppose au vieux chancelier Bismarck (75 ans) à la fois en politique extérieure (Bismarck est favorable à une alliance avec la Russie pour maintenir l’équilibre européen, tandis que Guillaume II y est hostile) et en politique intérieure (sur la question ouvrière). En mai 1889, près de 140 000 mineurs sont en grève dans la Ruhr. Alors que Bismarck veut faire voter une loi définitive contre les socialistes, Guillaume II demande au ministre du Commerce de Prusse la rédaction d’une loi sociale prévoyant la participation des ouvriers au règlement de fabrique (loi Berlepsch de mai 1891 qui jette les bases de la cogestion allemande). Les élections de février 1890 voient une défaite du cartel entre conservateurs et nationauxlibéraux et une victoire des libéraux de gauche, des sociaux-démocrates et du parti catholique du 52 sociaux-démocrates votent à l’unanimité les crédits de guerre. La carte postale popularise ce moment. les fonctionnaires sont conçues comme des alternatives à la démocratie. Cette politique de Bismarck a parfois été qualifiée de « socialisme d’État ». 7. Guillaume II justifie la levée de la loi antisocialiste par deux arguments : d’une part il veut être un empereur protecteur de tous ses sujets (argument populiste), d’autre part les conflits du travail dans l’industrie mettent selon lui en péril la capacité militaire de l’Allemagne (argument susceptible d’être entendu par Bismarck et les élites traditionnelles). Bismarck, conservateur, défend les intérêts des possédants et désapprouve cette décision. Document 2 Le SPD et les crédits de guerre Hugo Haase (1863-1919) est le premier dirigeant du SPD depuis la mort de Bebel en 1913. Le 27 juillet 1914, avec Karl Legien (secrétaire général des syndicats libres), ils ont rencontré leurs homologues français à Bruxelles (principalement Jean Jaurès pour la SFIO et Léon Jouhaux pour la CGT), mais sans aboutir à une position commune. Haase fait donc voter par la totalité des députés SPD au Reichstag le vote des crédits de guerre le 4 août 1914. Cette déclaration est l’acte de naissance d’une sorte de patriotisme social-démocrate. Haase démissionne du parti en 1916 pour avoir critiqué la Première Guerre mondiale. Il est l’un des membres fondateurs de l’USPD, dont il devient le premier président en avril 1917. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. Un mouvement ouvrier puissant… II. … mais interdit à partir de 1878 III. Un nouvel empereur favorable au dialogue social avec les ouvriers pages 90-91 Document 3 Manifeste de Zimmerwald (Suisse), octobre 1915 En novembre 1914, une centaine d’intellectuels et d’artistes allemands ont publié un manifeste justifiant la guerre au nom de la défense de la culture allemande contre la barbarie. Pour les socialistes internationalistes, cette interprétation de la guerre est mensongère afin de faire accepter le conflit aux masses. En septembre 1915 a lieu en Suisse la Conférence internationale socialiste de Zimmerwald, qui conclut à la transformation de la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire. Sont présentes des délégations allemande, française (les syndicalistes Merrheim et Bourderon), italienne, russe (dont Lénine), polonaise, roumaine, bulgare, suédoise et norvégienne, hollandaise et suisse. Le texte du manifeste final se termine par l’appel : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » qui avait été formulé par Marx à la fin du Manifeste du Parti communiste de 1848. À Kienthal (Suisse) en avril 1916, le congrès (aussi appelé IIe Zimmerwald) demande aux socialistes des 23 organisations présentes de refuser la participation aux gouvernements et le vote des crédits militaires. Étude Le mouvement ouvrier dans la Première Guerre mondiale La Première Guerre mondiale est une césure pour le mouvement ouvrier allemand : la social-démocratie inaugure son intégration politique en acceptant l’Union sacrée d’août 1914 et le vote des crédits de guerre. Mais pour les plus radicaux, il s’agit d’une compromission inacceptable avec la guerre des partis bourgeois, ce qui mène à leur rupture avec le SPD et à la fondation de la Ligue spartakiste, bientôt influencée par la révolution bolchevique de 1917. Document 1 Guillaume II tend la main aux ouvriers en août 1914 Le 1er août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le 2 août 1914, l’ensemble des confédérations syndicales allemandes (y compris les syndicats libres) annonce renoncer à la grève et aux augmentations de salaires pour la durée de la guerre. Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. C’est dans ce contexte qu’intervient le 4 août 1914 le discours de Guillaume II au Reichstag sur l’Union sacrée, jour où les députés Document 4 Tract de Karl Liebknecht : appel à une manifestation, 1er mai 1916 Karl Liebknecht (1871-1919), fils du social-démocrate Wilhelm Liebknecht, est le premier député SPD du Reichstag à voter contre des crédits mili53 taires supplémentaires le 2 décembre 1914. Emprisonné pour son opposition à la guerre et exclu du SPD, il fonde avec Rosa Luxemburg la Ligue spartakiste en janvier 1916, puis l’USPD en avril 1917. Le 1er mai est choisi en 1889 comme journée internationale de revendications des travailleurs par la Deuxième Internationale. Des grèves ont lieu en Allemagne en 1916, liées aux grandes difficultés du ravitaillement des civils (le blocus naval empêche les importations). 2. La dernière phrase du discours de Haase (« nos frères appelés sous les drapeaux sans distinction de partis ») est une réponse directe au discours de Guillaume II (« je ne connais plus de partis »), montrant l’acceptation totale de l’Union sacrée par la social-démocratie. 3. Pour les socialistes internationalistes, le vrai motif de la guerre est financier (faire des profits pour les industries de l’armement) et expansionniste (comme le montre un rapport du chancelier allemand Bethmann-Hollweg de 1914, qui envisage des annexions après une victoire à l’Ouest). 4. Alors que le SPD accepte l’Union sacrée et la guerre, Spartakus s’inscrit dans l’héritage internationaliste du mouvement ouvrier : la solidarité de classe l’emporte sur la solidarité nationale (« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »). Le tract de 1916 et l’affiche de 1919 reprennent ce thème : les véritables ennemis des ouvriers allemands ne sont pas les pays ennemis (comme le pense le SPD), mais les représentants de la classe capitaliste allemande (propriétaires terriens nobles, patrons de l’industrie, détenteurs de capitaux, gradés militaires). Les Junker désignent la noblesse terrienne prussienne détenant des domaines à l’Est de l’Elbe. 5. L’alliance au Reichstag entre le SPD et le parti catholique du Zentrum pour voter la motion de paix de juillet 1917 montre tout le chemin parcouru par la social-démocratie depuis 1914 : celle-ci accepte désormais de collaborer avec un parti bourgeois pour peser dans le jeu politique. Cette étape prépare la coalition de Weimar de 1919, qui est une alliance entre les 3 partis soutenant la République (SPD, Zentrum, libéraux de gauche), impensable auparavant. Document 5 « Que veut Spartakus ? » Le nom Spartakus fait allusion au chef d’esclaves révoltés de Rome, Spartacus, qui affronte depuis le sommet du Vésuve les armées romaines. Spartacus est finalement vaincu par Crassus et tué en 71 av. J.-C. Le motif de l’affiche du KPD reprend le thème mythologique bien connu de l’un des douze travaux d’Hercule : le combat contre l’hydre de Lerne à plusieurs têtes qui repoussent sans cesse. Document 6 Une paix d’entente Tandis que les grèves se multiplient en Allemagne, une majorité pacifiste apparaît au Reichstag. Le 17 juillet 1917, quatre députés, dont les socialistes Ebert et Scheidemann, proposent une résolution de paix exigeant une conciliation entre pays pour mettre fin à la guerre. La résolution est acceptée par 216 voix (SPD, Zentrum, libéraux de gauche) contre 126 (conservateurs, nationaux-libéraux, et socialistes indépendants de l’USPD). L’USPD vote contre car la résolution de paix ne dit pas que l’Allemagne renonce à ses buts de guerre (annexions). La résolution n’est suivie d’aucun effet auprès du commandement militaire. Réponses aux questions 1. Pour Hugo Haase, le vote des crédits militaires est justifié, à condition de décliner toute responsabilité dans le déclenchement du conflit (c’est une guerre impérialiste menée par les pays capitalistes, ce qui est théorisé par Lénine dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916), en mettant en avant le caractère défensif de la guerre : l’Allemagne est menacée d’encerclement en août 1914. Cette position est alors extrêmement répandue dans la population, même si l’Allemagne combat en dehors de ses frontières. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. Des socialistes unis face à la déclaration de guerre : le patriotisme social-démocrate II. La réapparition de l’internationalisme au sein de la social-démocratie allemande dès 1915 : la désunion 54 pages 92-93 LEÇON 2 historique sur l’Ancien Régime par-delà les divergences entre réformistes et révolutionnaires. 2. La formule de Scheidemann « rien ne doit survenir qui conduise au déshonneur du mouvement ouvrier » est un appel à respecter l’ordre public et à éviter le bain de sang, dans un contexte où l’effervescence révolutionnaire semble de plus en plus incontrôlable. De la division à l’interdiction du mouvement ouvrier (1918-1945) La période qui s’ouvre avec la révolution de novembre 1918 marque une nouvelle ère pour le mouvement ouvrier : pour la première fois, avec l’abdication de l’empereur et la proclamation de la République le 9 novembre 1918, les socialistes sont appelés aux responsabilités gouvernementales. Mais la participation au pouvoir enracine le clivage entre les sociaux-démocrates, qui veulent terminer la révolution pour instaurer une démocratie parlementaire, et les communistes, qui appellent à une dictature des conseils d’ouvriers et de soldats sur le modèle bolchevique. Les seconds sont victimes d’une répression sanglante de l’armée et des corps francs jusqu’en 1921. La République de Weimar est à la fois marquée par de grandes avancées sociales et par l’opposition irréductible entre les deux partis ouvriers. Dès 1933, Hitler réprime impitoyablement les deux ailes de la gauche, qui est décimée sous le nazisme. Document 2 La fin de la révolution La promulgation de la Constitution de la République de Weimar le 11 août 1919 ne met pas fin à la guerre civile : les spartakistes, qui ont fondé en décembre 1918 le parti communiste d’Allemagne (KPD), contestent le nouveau régime. Les soulèvements de l’extrême gauche sont réprimés de manière sanglante par l’armée, avec l’accord des sociaux-démocrates au gouvernement, notamment le ministre de l’armée Gustav Noske (appelé « le chien sanguinaire » par les communistes). L’agitation révolutionnaire perdure durant l’année 1919. En décembre 1920, les socialistes indépendants de l’USPD adhèrent au KPD lors du congrès de Berlin, en faisant un parti de masse de 350 000 adhérents. Prônant l’action violente, les communistes tentent une insurrection dans la région de Halle-Mansfeld (centre de l’Allemagne) qui est l’un de leurs fiefs électoraux. La répression du gouvernement est extrêmement sévère (des milliers d’arrestations). Les effectifs du KPD diminuent de moitié. Document 1 La proclamation de la République Le 9 novembre 1918, le leader social-démocrate Friedrich Ebert reçoit officiellement du prince Max de Bade, dernier chancelier libéral de l’Empire (nommé le 5 octobre 1918 avec la mission d’engager une réforme institutionnelle pour faire de l’Empire un régime parlementaire), la charge de chancelier. Pour les élites traditionnelles, seul un social-démocrate peut maintenir l’ordre en Allemagne dans le contexte d’effondrement extérieur (défaite militaire) et intérieur (départ pour un exil hollandais de Guillaume II, propagation des conseils d’ouvriers et de soldats, menace de grève générale). Ebert pense poursuivre la réforme de l’Empire. Mais pressé par l’accélération de la révolution, le député SPD Scheidemann proclame la République depuis une fenêtre du Reichstag sans l’avoir prévenu. Réponses aux questions 1. La photographie montre une colonne d’ouvriers (reconnaissables par leurs vêtements typiques : vestes et casquettes), désarmés et faits prisonniers par les soldats. 2. Pour les communistes, le SPD, en nouant une alliance fatale avec l’armée pour réprimer les insurrections, a trahi son héritage révolutionnaire marxiste et la cause des ouvriers. Document 3 L’Allemagne face à la crise économique Réponses aux questions 1. Scheidemann s’adresse aux conseils d’ouvriers et de soldats qui mènent la révolution en Allemagne et notamment à Berlin. Il les appelle (non sans naïveté ?) à soutenir la nouvelle République, présentée comme un régime pour le peuple (elle apporte la paix tant souhaitée et le pain qui a manqué pendant la guerre) et à maintenir l’unité socialiste face à la victoire En juillet 1927 est créée l’assurance chômage, qui vient compléter les assurances sociales bismarckiennes. Avec la crise économique de 1929, les chômeurs deviennent, à travers les photographies montrant les queues devant les bureaux de travail ou les soupes populaires, l’incarnation de toute une époque. Sur les 6 millions de chômeurs secourus de mars 1932 (auxquels il faut ajouter 1,5 million non 55 déclarés), 26 % touchent l’allocation-chômage (il faut avoir travaillé 52 semaines lors des 2 dernières années), 29 % une aide d’assistance à la crise, 32 % un soutien de bienfaisance et 13 % aucune aide. pages 94-95 HISTOIRE DES ARTS Les artistes face à la répression de la révolution La répression sanglante des spartakistes par la République de Weimar, régime pourtant né de la révolution de 1918, a suscité l’incompréhension et la colère des artistes de gauche. Malgré ses difficultés économiques et les violences qui entachent son existence, la République de Weimar est encore aujourd’hui associée à une indéniable modernité culturelle et artistique. Les débuts de la République voient les dernières œuvres du courant expressionniste (né au début du XXe siècle en Allemagne). À partir de la seconde moitié des années 1920, fleurit un courant réaliste, dit de la « Nouvelle Objectivité » (Neue Sachlichkeit) : son nom vient d’une exposition à Mannheim d’artistes divers s’accordant pour rejeter l’expressionnisme. Document 4 Les résultats aux élections du Reichstag de 1919 à 1933 Le graphique illustre les rapports de forces électoraux sous la République de Weimar. Dans la légende, les trois premiers partis représentent la coalition de Weimar qui soutient la République : les sociaux-démocrates du SPD (bleu clair), les catholiques du Centre (vert clair) et les libéraux progressistes du parti démocratique allemand : DDP (vert foncé). Tous les autres partis sont hostiles à la République : à droite les nationaux libéraux du DVP (rouge), les conservateurs du DNVP (orange), les nazis du NSDAP (brun), et à l’extrême gauche : les communistes du KPD (noir) et les socialistes indépendants de l’USPD (bleu foncé). Les premières élections, en janvier 1919, sont les seules où la coalition de Weimar obtient la majorité. À partir de juin 1920 et jusqu’à la fin de la République, les partis républicains sont minoritaires au Reichstag et doivent nouer des alliances avec les antirépublicains pour composer des gouvernements (d’où l’extrême instabilité gouvernementale). Document 1 Épitaphe de Rosa Luxemburg Après son assassinat le 15 janvier 1919, son corps est jeté dans le canal de la Landwehr à Berlin où il n’est retrouvé que trois mois plus tard. Sa tombe au cimetière de Friedrichsfelde de Berlin est jusqu’à nos jours un lieu de pèlerinage. Le poème de Brecht a été mis en musique en 1928 par le compositeur Kurt Weil. Rosa Luxemburg (1870-1919) : socialiste révolutionnaire allemande d’origine polonaise. Au moment de la révolution russe de 1905, elle participe en Pologne à la propagande révolutionnaire. Arrêtée puis libérée, elle se rend en Allemagne où elle publie des écrits insistant sur l’initiative révolutionnaire des masses prolétariennes, refusant au parti un rôle de direction. La faillite de la Deuxième Internationale en 1914 et le vote par la social-démocratie allemande des crédits de guerre l’amènent à fonder avec Karl Liebknecht la Ligue spartakiste aux positions antimilitaristes et révolutionnaires. Deux fois emprisonnée entre 1915 et 1918, elle suit avec attention la révolution russe de 1917. Libérée en novembre 1918, elle reprend son activité révolutionnaire et contribue à la formation du Parti communiste allemand. Elle participe à l’insurrection spartakiste de janvier 1919 à Berlin où elle est arrêtée et assassinée. Réponses aux questions 1. Le SPD connaît une baisse importante de son poids électoral durant les premières années du régime : il passe de 37,9 % des voix en janvier 1919 (score le plus haut) à 20,4 % en novembre 1932 (score le plus bas avant l’arrivée de Hitler au pouvoir). La légère remontée entre 1924 et 1928 correspond aux années de stabilisation du régime de Weimar (ce sont les meilleures années au plan économique après la maîtrise de l’hyperinflation de 1923 et le plan de rééchelonnement des réparations de guerre dit plan Dawes en 1924). À partir de 1930, l’érosion des voix du SPD s’inscrit dans le contexte de la crise économique qui profite aux partis extrémistes. À l’inverse du SPD, le KPD connaît une progression continue de ses scores électoraux sous Weimar entre juin 1920 (2 % des voix) et novembre 1932 (16,8 % des voix). 2. La percée du NSDAP s’opère aux élections de septembre 1930 (18,3 % des voix contre 2,6 % en mai 1928). En juillet 1932, le parti nazi est le premier parti (37,2 % des voix). 56 autant d’allusions à son assassinat (Liebknecht est mort d’une balle dans la tête tirée par un lieutenant). 3. À l’inverse du poème, Liebknecht n’est pas figuré de manière sanglante. Les blessures du corps ne sont plus visibles. Le linceul blanc vient au contraire magnifier le cadavre. 4. Pour montrer qu’il s’adresse à l’ensemble de la classe ouvrière, Leonhard multiplie les occurrences de l’adjectif « tout » dans la première strophe (« toutes les cours », « toutes les rues », « toutes les pièces ») et répète deux fois l’expression de « ville entière ». Käthe Kollwitz choisit dans sa lithographie de représenter un grand nombre de personnages pleurant le corps, avec des habits et des traits permettant de les identifier clairement comme de simples ouvriers (vestes sombres, absence d’accessoires luxueux, visages sales, cernés, fatigués). 5. Le sourire final de Liebknecht évoque son triomphe malgré la mort : en dépit de la répression sanglante de l’insurrection spartakiste, l’idéal révolutionnaire n’est pas mort. Liebknecht reste une lumière (comme dans la lithographie) pour le mouvement ouvrier. 6. Le courant expressionniste veut exprimer la vision intérieure des artistes, même si celle-ci ne correspond pas à une figuration réaliste. Ici, la vision du poète est celle d’une ville comme un organisme vivant qui hurle, et d’un cadavre tellement grand et présent qu’il envahit la ville entière jusqu’à se réveiller et sourire. 7. Käthe Kollwitz choisit un mode de représentation christique en référence au motif classique de la déposition de croix : Liebknecht est figuré sous les traits du Christ mort, enveloppé dans un linceul immaculé. Une auréole de lumière entoure sa tête. Douze disciples et une femme portant un enfant (l’artiste ?) viennent pleurer le mort, lui rendre un dernier hommage. C’est donc l’image du messie qui est retenue. 8. Brecht veut délivrer deux messages : le premier est de rappeler que, pour les prolétaires, la solidarité de classe l’emporte sur la solidarité nationale (Rosa Luxemburg était polonaise et elle s’est battue pour des ouvriers allemands ; ses ennemis sont des ennemis de classe : les « oppresseurs » désignent ici les militaires, les corps francs et les dirigeants sociaux- Document 2 Liebknecht mort Ce poème de Rudolf Leonhard a été publié dans Chaos en 1919. À l’inverse de Rosa Luxemburg, le corps de Liebknecht est abandonné dans Berlin après son assassinat. Lors de ses obsèques le 25 janvier 1919, on adjoint symboliquement un cercueil vide pour Rosa. Karl Liebknecht (1871-1919) : Fils du leader social-démocrate Wilhelm Liebknecht, Karl Liebknecht représente l’extrême-gauche du SPD au Reichstag. Ayant manifesté son opposition à la guerre, il est emprisonné. Il fonde avec Rosa Luxemburg la Ligue spartakiste (janvier 1916). Il a proclamé la République le 9 novembre 1918 depuis l’hôtel de ville de Berlin comme émanation des conseils d’ouvriers et de soldats. Déçu par l’attitude des socialistes du gouvernement provisoire de la République qui veulent terminer la révolution, il participe à la création du Parti communiste allemand (décembre 1918). Il dirige avec Rosa Luxembourg l’insurrection spartakiste de Berlin en janvier 1919. Arrêté, il est assassiné. Document 3 Lithographie en mémoire de Karl Liebknecht La lithographie de Käthe Kollwitz a pour origine un dessin publié en janvier 1919 en première page d’une édition spéciale du journal social-démocrate Vorwärts (« En avant »), en dessous d’un titre en caractères gras : « Offensive contre Spartakus ». L’inscription en allemand sous la lithographie signifie : « Les vivants au mort. Souvenir du 15 janvier 1919 ». Réponses aux questions 1. La première strophe évoque les logements ouvriers de Berlin : la majorité des ouvriers habitent dans des « casernes locatives » (Mietskasernen), immenses bâtiments tristes composés de plusieurs ailes séparées par des arrière-cours insalubres. Les logements, humides, mal éclairés et mal aérés, sont de petite taille (une à deux pièces), avec une cuisine commune à l’étage et un WC dans la cour. Le poème fait allusion aux « cours » et aux « murs ternis » de cet habitat ouvrier typiquement berlinois. La deuxième strophe parle des fabriques (en 1914, Berlin compte 1 million d’ouvriers et 300 000 établissements industriels). 2. Le poème évoque dans la troisième strophe le « cadavre » de Liebknecht, la première strophe parle du corps qui gît et du « sang qui coule » : 57 tration à Dachau, destiné en priorité aux socialistes et communistes. Le 23 mars 1933, le Reichstag se réunit et vote les pleins pouvoirs à Hitler. Cela signifie que le gouvernement est désormais autorisé à légiférer sans consulter le Parlement ni solliciter la signature du Président du Reich. Seul le Parti social-démocrate (SPD) s’est opposé au vote de cette loi. Le SPD est interdit le 22 juin 1933, beaucoup de ses dirigeants partent en exil. Cette interdiction a été précédée de la dissolution des syndicats le 2 mai 1933. Avec la destruction de la gauche, les nazis et la droite conservatrice ont réalisé le but qui les unissait. Mais les conservateurs vont être débordés par les nazis. Les anciens partis libéraux se sabordent fin juin 1933, le parti catholique du Centre début juillet 1933. Le 14 juillet 1933, une loi fait du parti nazi le seul parti désormais autorisé en Allemagne : il n’existe plus alors d’opposition politique organisée au régime. démocrates du gouvernement qui ont donné leur accord pour la répression des spartakistes). Le second message adressé au peuple est un appel à l’union par-delà les affrontements entre socialistes réformistes et révolutionnaires, car la solidarité de classe prime sur tout le reste. pages 96-97 Étude Le mouvement ouvrier sous le nazisme (1933-1945) Le nazisme réprime dès 1933 le mouvement ouvrier allemand. Le 4 février 1933, Hitler (chancelier depuis le 30 janvier 1933) fait interdire par décret, signé par le président du Reich Hindenburg, les journaux et les réunions d’opposition. En février 1933, Göring (ministre en charge de la Prusse) ordonne à la police d’aider les SA à réprimer les organisations jugées subversives. Mais c’est surtout l’incendie du Reichstag le 27 février 1933 qui donne à Hitler l’occasion d’accentuer la répression contre les communistes. L’incendie a été allumé par un jeune sympathisant communiste hollandais manipulé (van der Lubbe), qui voulait protester contre le capitalisme. Hitler y voit le signal d’un soulèvement communiste généralisé. Göring ordonne dans la nuit des arrestations massives de communistes. Le lendemain, le 28 février 1933, le gouvernement adopte un décret d’urgence qui suspend tous les droits fondamentaux, à savoir la liberté d’expression, la liberté de réunion et la liberté de la presse. Par ailleurs, le décret autorise l’emprisonnement des opposants politiques pour une durée illimitée en dehors de tout contrôle judiciaire. Le décret du 28 février 1933 instaure un état d’exception qui reste en vigueur jusqu’en 1945. C’est une étape capitale dans le renforcement du pouvoir de Hitler. Les semaines qui suivent sont décisives pour la soumission des forces politiques non communistes. Hitler procède à de nouvelles élections, dont l’unique enjeu est d’obtenir une légitimation de sa politique. Le 5 mars 1933, le NSDAP obtient 43,9 % des suffrages aux élections, ce qui n’est certes pas la majorité absolue, mais lui permet de renforcer considérablement sa position (il a cependant besoin des conservateurs du DNVP qui a obtenu 8 % des voix). L’Allemagne connaît alors une escalade de violences, les SA multiplient les passages à tabac et assassinent les militants de gauche. Le 20 mars 1933, Himmler qui dirige la police de Munich, a annoncé l’ouverture d’un premier camp de concen- Document 1 « Le Troisième Reich ? Non ! » Le SPD a obtenu aux élections du Reichstag de novembre 1932 20,4 % des voix, ce qui est son plus mauvais score depuis 1919. Le 5 mars 1933, le parti obtient 18,3 % des voix dans un contexte marqué par les violences de rue des SA contre les militants du mouvement ouvrier. L’Allemagne connaît depuis 1932 une guerre civile entre militants nazis et militants de gauche. Document 2 Le SPD à la veille du vote des pleins pouvoirs à Hitler Otto Wels (1873-1939) est député SPD de 1912 à 1933 et président du parti de 1919 à 1939. Il est le seul orateur du Reichstag à s’opposer le 23 mars 1933 au vote de la loi sur les pleins pouvoirs, malgré les menaces de mort qui pèsent sur lui. Les 94 députés SPD présents (les 26 autres sont empêchés ou maltraités par les nazis) sont les seuls à voter contre la loi. Les communistes ont obtenu 12,3 % des voix le 5 mars 1933 mais sont empêchés de siéger. Document 3 L’organisation des loisirs ouvriers Depuis l’interdiction des syndicats le 2 mai 1933, le troisième Reich a créé un « Front allemand du travail » (DAF), présidé par Robert Ley, qui a la mission d’encadrer et de distraire les ouvriers. Au sein du DAF, l’organisation de loisirs « La Force par la 58 sûreté (Sicherheitspolizei) placée sous le commandement de Heydrich. Cette police de sûreté est plus tard regroupée en 1939 avec le service de sécurité du parti (Sicherheitsdienst) dans un vaste centre de pouvoir, l’Office central pour la sécurité du Reich (RSHA). En 1937, la Gestapo a arrêté 8 068 personnes pour activités clandestines marxistes (la Gestapo appelle « marxistes » à la fois les communistes et les sociaux-démocrates), contre 11 687 en 1936. Ces personnes constituent environ 50 % des personnes arrêtées en 1937 (60 % en 1936). joie » (Kraft durch Freude) est mise en place le 27 novembre 1933. Les nazis proposent aux ouvriers des soirées récréatives, des rencontres sportives (présentées comme apolitiques), des distractions (cinéma), mais aussi des excursions, organisées par la section « voyages, randonnées et vacances ». Ces excursions rencontrent un grand succès car elles répondent au rêve de promotion sociale des ouvriers. En 1937, 6,8 millions d’Allemands ont participé à un voyage, généralement d’un ou deux jours, 1,4 million à un voyage de quinze jours, mais seulement 130 000 à une croisière. C’est le début du tourisme de masse, encouragé par le régime nazi. Document 6 La répression Document 4 Le camp d’Oranienburg est l’un des premiers camps de concentration nazis. Il est construit en février 1933 dans le Brandebourg et ouvre le 21 mars 1933, le lendemain de l’ouverture du camp de Dachau. Jusqu’à sa fermeture en juillet 1935, 6 000 individus des deux sexes y ont été internés, principalement des militants et intellectuels de gauche. À partir de 1936, le camp est remplacé par celui de Sachsenhausen, non loin de la ville d’Oranienburg. Appel des communistes à constituer un front populaire allemand (1936) L’appel des communistes en 1936 témoigne de l’activisme du parti en exil. De 1933 à 1935, le bureau politique du KPD siège à Paris (ensuite à Moscou). Plusieurs imprimeries fonctionnent à l’étranger : des journaux sont envoyés à des postes frontières où sont installées des directions sectorielles autour de l’Allemagne. Celles-ci font acheminer et distribuer en Allemagne des publications clandestines. En 1936, la Gestapo estime à 1 643 200 le nombre de publications marxistes (brochures, polycopiés, livres) distribuées clandestinement. L’appel à l’union des forces de gauche lancé par les communistes en 1936 s’inscrit dans le revirement du Komintern (IIIe Internationale communiste), qui prône la formation de « fronts populaires » contre le fascisme (VIIe Congrès mondial du Komintern en août 1935). Mais en Allemagne, la volonté des communistes de constituer des « syndicats rouges » en rejoignant les syndicalistes sociauxdémocrates et chrétiens échoue d’une part en raison de la répression, d’autre part en raison d’une certaine démobilisation des milieux ouvriers du fait des succès de Hitler (résorption du chômage, referendum en Sarre, remilitarisation). Réponses aux questions 1. L’affiche du SPD représente un nazi figuré sous l’apparence d’un squelette aux bottes brunes et à l’insigne à la croix gammée, faisant le salut hitlérien. Les mains tâchées de sang sont une allusion aux crimes des troupes SS et SA du parti nazi commis contre la gauche. 2. Après une dénonciation de la suppression des libertés décrétée depuis l’arrivée d’Hitler à la chancellerie, Otto Wels s’appuie sur la Constitution de Weimar du 11 août 1919 pour s’opposer à la loi sur les pleins pouvoirs. Selon lui, Hitler peut gouverner en s’appuyant sur une majorité composée des nazis et des conservateurs, conformément au fonctionnement normal du régime parlementaire. Cet argument révèle le profond légalisme du SPD, qui est devenu un pilier de la culture politique du parti sous la République de Weimar. Jusqu’au dernier moment, les sociauxdémocrates ne conçoivent pas une résistance extra-parlementaire. Ce discours déclenche des rires chez les députés nazis et n’empêche pas le vote de la loi. 3. Les nazis veulent faire adhérer les ouvriers au nazisme par une politique sociale populaire. 4. Les militants de gauche continuent de mener Document 5 Des militants sous surveillance La Gestapo est la police secrète d’État chargée de la répression des opposants. Dans le régime nazi, la police d’État a fusionné avec la SS. Le 17 juin 1936, Hitler confère à Himmler, déjà chef de la SS, le titre de chef de la police d’État. Toujours en 1936, a lieu la fusion de la police politique et de la police criminelle dans une nouvelle entité, la police de 59 masses, éclatant au grand jour lors des crises du régime (soulèvement de 1953) et de la construction du Mur le 13 août 1961 (pour endiguer les départs vers l’Ouest), mais aussi larvé au quotidien. Les manifestations de masse de l’automne 1989 révèlent l’ampleur de la distance entre le régime et la société. une action contre le régime d’une part depuis leur lieu d’exil, d’autre part sur le territoire allemand. Les moyens d’action sont la diffusion clandestine de publications et l’entretien d’un réseau de militants en l’absence d’organisation structurée sur le territoire (d’où l’utilisation des structures de sociabilité populaire telles que les bistrots, les chorales, les bowlings qui permettent de ne pas donner prise à l’intervention de la police). C’est plus une communauté d’esprit dans laquelle les militants se comprennent à demi-mot. 5. Les moyens de répression nazis sont d’une part la surveillance efficace par la police (cette surveillance s’appuie notamment sur les dénonciations et l’infiltration des milieux) et d’autre part l’internement des opposants en camp de concentration dès 1933. Dès juin 1933, le PC a perdu 60 % de ses membres et seuls 10 % des communistes s’engagent dans le combat clandestin : isolée dans un milieu hostile, la résistance communiste n’a eu en réalité que peu d’impact dans la société, contrairement au mythe popularisé après 1949 en RDA. Document 1 La création de la RDA en 1949 La Constitution de la RDA de 1949 fonde le pouvoir du peuple sur deux assemblées représentant la souveraineté populaire : l’Assemblée du peuple et l’Assemblée des Länder (cette seconde n’existe que jusqu’en 1958, les Länder sont supprimés en 1952). L’Assemblée du peuple est élue au suffrage universel pour 5 ans et comprend 500 députés. Les élections se font sur une liste unique et les partis reçoivent après chaque élection le même nombre de sièges quel que soit le résultat du vote (les résultats tournent toujours autour de 90 % d’approbation de la liste unique). Outre le SED, uni aux organisations de masse et au parti démocratique des paysans, trois partis non communistes (démocrates-chrétiens et libéraux) font partie de la liste du « Front national » antifasciste. Ils remplissent une triple fonction d’alibi : premièrement être garants du pluralisme officiel du régime, deuxièmement maintenir des contacts avec les partis homologues en RFA, et troisièmement diffuser les mots d’ordre du SED auprès des non-ouvriers et représenter ces autres groupes sociaux. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Une opposition frontale et sanglante entre militants communistes et nazis II. L’interdiction dès 1933 III. Survivre dans la clandestinité et face à la répression pages 98-99 Réponse à la question Le slogan renvoie aux multiples fonctions du « Front national » : présenter (au plan formel) une garantie démocratique (pluralisme) et maintenir haute la revendication de la réunification. Leçon 3 Le mouvement ouvrier en RDA (1945-1990) Dans la zone d’occupation soviétique (1945-1949), puis en RDA (1949-1990), le mouvement ouvrier est contraint de reconnaître le rôle dirigeant du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), créé en avril 1946 sur ordre des Soviétiques. Ce parti, qui préexiste à l’État, entend théoriquement porter au pouvoir le peuple et mener une réorganisation sociale, mais en réalité instaure une dictature des communistes (des purges massives au sein du parti permettent d’évincer tous les éléments « déviationnistes », notamment les sociaux-démocrates), qui répriment les contestations d’origine partisane (les autres partis autorisés ne mènent pas d’opposition) ou populaire. Un divorce s’opère avec les Document 2 Constitution de la RDA (9 avril 1968) La deuxième Constitution de la RDA de 1968 remplace la première de septembre 1949 qui s’inspirait beaucoup de la Constitution de la République de Weimar en proclamant les libertés et la démocratie. Lors du 7e congrès du SED de 1967, Walter Ulbricht appelle à la rédaction d’une nouvelle Constitution correspondant davantage à l’avancement du socialisme dans le régime est-allemand. Dans la Constitution de 1968, rédigée par une commission de l’Assemblée du peuple, l’article 1 insiste sur le rôle 60 dirigeant du SED. Cette Constitution est approuvée par plébiscite à 94,5 % des voix le 6 avril 1968 et entre en vigueur le 9 avril 1968. au sein de ces organisations, les citoyens adoptent une attitude de consommateurs en profitant des avantages offerts sans adhérer idéologiquement à la ligne. Ainsi la mobilisation de masse visée par ces organisations et la ritualisation politique du quotidien doivent être nuancées. Document 3 Le soulèvement ouvrier du 17 juin 1953 L’insurrection du 17 juin 1953 illustre le décalage croissant entre la politique du SED et les aspirations des travailleurs. Elle a pour origine un communiqué du 11 juin 1953, dans lequel le SED, trois mois après la mort de Staline, reconnaît des erreurs et annonce des mesures d’assouplissement des réformes économiques et sociales en cours. Le communiqué ouvre la voie à des revendications sociales et à l’expression d’un mécontentement politique. Le 16 juin 1953, des ouvriers du secteur du bâtiment à Berlin cessent le travail et forment un défilé, rejoints par d’autres travailleurs. Le mouvement s’étend le lendemain à tout le territoire de la RDA (un million de personnes concernées, plus de mille entreprises touchées). Le régime, pris de court et paralysé par l’insurrection, est finalement sauvé par l’intervention des troupes soviétiques stationnées sur le territoire. Les ouvriers grévistes sont poursuivis et condamnés pour déloyauté politique. La répression fait une cinquantaine de victimes. Réponses aux questions 1. Le calendrier des fêtes socialistes débute avec la commémoration de la mort des héros spartakistes Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, assassinés le 15 janvier 1919. Le 1er mai est la grande fête du syndicat unique (FDGB), des brigades du travail et du parti SED dans la tradition du mouvement ouvrier instituée par la Deuxième Internationale en 1889. Le 8 mai fête la victoire de la coalition internationale antifasciste contre l’Allemagne nazie en 1945. Le 7 octobre est la commémoration de la fondation de la RDA en 1949. La commémoration de la « grande révolution d’octobre » (révolution bolchevique d’octobre 1917) est organisée lors de la « semaine de l’amitié » par l’Association pour l’amitié avec l’URSS (devenue une association de loisirs). L’auteur ne mentionne pas (sans doute parce qu’il s’agit d’un cadre et non d’un ouvrier) les autres commémorations de l’année : journée internationale des femmes le 8 mars, journée des Pionniers le 1er juin ou fête des contremaîtres le 13 décembre. 2. L’auteur insiste sur le caractère formel des commémorations, qui sont imposées et ne viennent pas de la base (« quelque chose devait se passer », « dates standard »). On voit par l’usage des guillemets qu’il reprend les termes officiels du discours de propagande (« points culminants ») sans y adhérer. L’emploi du terme « fatras » indique clairement son mépris. Il faut souligner qu’il s’agit du point de vue d’un cadre, qui déplore les « grippes » survenues après les manifestations et conduisant à des journées de travail perdues. Réponse à la question Le franchissement par les grévistes de la porte de Brandebourg (emplacement du futur tracé du mur en 1961) et leur entrée dans BerlinOuest illustrent les revendications politiques associées à l’insurrection : des élections libres, la libération des prisonniers politiques et l’unification allemande. Le drapeau noirrouge-or est le drapeau des deux Allemagne après 1949 (les symboles socialistes ne sont ajoutés en RDA qu’en 1959 pour se distinguer de la RFA). Le drapeau noir-rouge-or reprend les couleurs du mouvement libéral et national lors de la révolution de 1848, adoptées ensuite par la République de Weimar. Document 4 La vie rythmée par le calendrier socialiste Dans les vingt dernières années du régime, la place des organisations de masse (syndicat, organisations de femmes, de jeunes, de loisirs) dans la vie des citoyens s’est routinisée. L’appartenance à une organisation de masse devient obligatoire pour accéder à des postes ou des gratifications. Mais malgré la propagande à laquelle ils sont exposés pages 100-101 ÉTUDE La dictature du SED (1946-1989) La domination politique en RFA n’a pas seulement comporté un aspect répressif, s’exerçant de manière verticale sur la société : elle s’est aussi développée en prenant appui sur la société et en la traversant, 61 à travers le rôle du SED et des organisations de masse connexes. Le parti fonctionne aussi comme un espace social où se fabrique et s’exerce la domination. Document 5 Une société sous surveillance Le ministère pour la Sécurité d’État (Ministerium für Staatssicherheit, abrégé en Stasi) est fondé le 8 février 1950. La Sécurité d’État devient un instrument de contrôle de la société, avec des effectifs croissants : 90 000 personnes en 1989, auxquelles il faut ajouter 170 000 collaborateurs officieux (informateurs). Si la Stasi est présente dans tous les secteurs de la société, elle contrôle principalement l’appareil d’État (organes du parti, ministères) et les milieux intellectuels. L’infiltration des bureaux et ateliers de production est moindre. Document 1 Le mythe de la fusion volontaire du KPD et du SPD en 1946 La création du SED résulte d’une double évolution qui n’a rien de spontané. Dans un premier temps en 1945, les communistes allemands revenus de leur exil à Moscou (la minorité qui a survécu aux purges staliniennes) prennent le pouvoir au sein de l’ancien KPD. Pour ce faire, ils évincent les résistants de l’intérieur et les communistes exilés à l’Ouest. Dans un second temps en avril 1946, les Soviétiques contraignent les sociaux-démocrates de leur zone d’occupation à se fondre avec les communistes dans un nouveau parti : le SED. Document 6 « Manifestation du lundi » à Leipzig, le 16 octobre 1989 La première manifestation de Leipzig est organisée le 4 septembre 1989 : elle ne rassemble que quelques dizaines d’individus à l’issue de la traditionnelle prière pour la paix organisée depuis 1982 dans l’église Saint-Nicolas. Mais le mouvement grossit et le lundi 6 novembre 1989, la manifestation atteint 500 000 personnes. Les revendications portent sur la liberté de voyager, la liberté d’expression, de réunion, des élections libres conformément à la Constitution et aux accords d’Helsinki signés par le régime. Ces manifestations civiques sont devenues, après la réunification, des lieux de mémoire de la révolution. Après l’ouverture du mur le 9 novembre 1989, les manifestants réclament l’unification de l’Allemagne. Document 2 Le parcours de Walter Ulbricht Paul-Jean Franceschini est un journaliste et écrivain français. Son article paraît après le retrait en 1971 de Walter Ulbricht de la direction du SED (sous la pression des Soviétiques). Document 3 L’hymne du SED L’hymne du SED a été créé l’année où Walter Ulbricht devient secrétaire du parti. Le SED est en train de sortir des grandes purges qui ont frappé les sociaux-démocrates et les communistes « déviationnistes » (750 000 membres exclus entre 1948 et 1951). En 1952, les deux tiers des 1,2 million d’adhérents du SED sont des nouveaux venus. Le SED apparaît comme un lieu de contrôle et de disciplinarisation de ses propres membres, avant d’être celui de la société. Le respect par les adhérents de la ligne du parti et de la « morale socialiste » ainsi que leur conformisme sont régulièrement vérifiés par des commissions internes. Réponses aux questions 1. Ce film de propagande veut accréditer l’idée que la création du SED résulte d’une fusion spontanée, souhaitée à la base par les militants sociaux-démocrates et communistes, alors que les appareils du SPD et du KPD ont été contraints de se fondre sur ordre des Soviétiques. 2. L’objectif d’Ulbricht en 1945 est le contrôle de l’ancien parti communiste allemand, au détriment des résistants de l’intérieur et des exilés à l’Ouest. Il y parvient en faisant dissoudre tous les groupes d’antifascistes dans une stratégie de front unitaire permettant d’éviter l’isolement des communistes et l’opposition contre eux des autres partis. L’instrument de la conquête du pouvoir est la création d’un « bloc des partis antifascistes ». Document 4 Les effectifs du SED de 1946 à 1990 Lors de sa création en 1946, le SED compte 1,3 million de membres (53 % du SPD et 47 % du KPD). À partir de 1953, la progression est continue jusqu’en 1989 (2,3 millions). 62 VERS LE BAC 3. L’ambition du SED est d’être d’une part une avant-garde politique pour ériger le socialisme (« Ce que nous sommes, nous le sommes à travers lui ») et d’autre part un parti mobilisant et encadrant les masses (« Lui le père des masses nous protège. Son bras puissant nous porte »). 4. Le parti a un fonctionnement hiérarchisé et autoritaire, ne tolérant pas les débats internes (« Le Parti, le Parti, il a toujours raison »). Il situe son action dans l’obéissance et la discipline à Moscou (« Ainsi, issu de l’esprit de Lénine grandit soudé par Staline le parti »). 5. Hormis entre 1948 et 1953 (purges), le SED ne cesse de voir ses effectifs augmenter jusqu’à la chute du mur. La période allant de la chute du mur à la réunification voit une chute brutale des effectifs. En 1989, le parti comptait 2,3 millions de membres sur une population totale de 16,4 millions en RDA, soit 14 % de la société. Il est devenu un sous-ensemble de la société. 6. Le SED lutte contre les opposants en réprimant par la force les contestations (ainsi les ouvriers grévistes du soulèvement du 17 juin 1953 sont-ils poursuivis et condamnés) et en exerçant via la Stasi une surveillance de la société (notamment des milieux intellectuels). 7. Le contexte est l’apparition en URSS d’un nouveau cours initié en 1985 par Gorbatchev, qui lance la perestroïka (restructuration) et la glasnost (transparence), laissant entrevoir un relâchement de la pression exercée sur le bloc de l’Est. En mai 1989, la frontière s’ouvre entre l’Autriche et la Hongrie. Au total 225 000 personnes quittent la RDA par la Hongrie ou les ambassades ouest-allemandes des pays du bloc soviétique jusqu’au 9 novembre 1989. L’ampleur des manifestations de Leipzig de l’automne 1989 montre que la population, sans toujours remettre en cause le socialisme luimême, s’est clairement désolidarisée du SED. 8. Les historiens de la RDA montrent qu’en 1989 la société est-allemande est bel et bien « dominée de part en part » par le SED, mais elle n’est plus réellement gouvernée, car des segments de plus en plus importants ont été rejetés sur les marges (jeunesse, intellectuels dissidents, « asociaux », etc.). Ce paradoxe explique la dissolution rapide du régime et son absorption par la RFA entre septembre 1989 et octobre 1990. Étude critique Plan possible I. Une carrière commencée en exil au temps du nazisme II. Le retour en Allemagne en 1945 et le début des purges III. La direction de la RDA pages 102-103 LEÇON 4 Le mouvement ouvrier à l’Ouest depuis 1945 Après 1945, le SPD se reconstitue rapidement dans les zones occidentales, mais il souffre en RFA pendant toutes les années 1950 et 1960 de la forte concurrence de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et de son pendant bavarois, l’Union chrétienne sociale (CSU) : il faut attendre 1972 pour que le SPD obtienne un meilleur score que la CDU-CSU à des élections législatives nationales. Cette percée électorale a été rendue possible par une réorientation stratégique et programmatique majeure du parti, contraint à s’adapter au contexte politique et international (division de l’Allemagne, Guerre froide) et économique et social (forte croissance assise sur l’économie de marché, avènement de couches moyennes majoritaires). Cette réorientation a été menée en partie par Willy Brandt, le charismatique maire de Berlin-Ouest (1957-1966), qui devient le premier chancelier SPD de la RFA en 1969. À partir de 1982, le SPD perd la chancellerie au profit de la CDU. C’est ce dernier parti qui apparaît comme le maître d’œuvre de la réunification en 1990. Le SPD est à nouveau contraint à l’adaptation (réussie en 1998 quand Schröder devient chancelier), mais doit aussi faire face à une nouvelle gauche antilibérale qui capte un électorat victime des difficultés économiques. Document 1 Le programme de Bad Godesberg en 1959 Après l’échec des élections législatives de 1957, où la CDU obtient la majorité absolue des suffrages, le SPD (18,4 % des voix) prend conscience de la nécessité de la rénovation. Ses principaux réformateurs sont des parlementaires (et non des permanents salariés du parti) tels Willy Brandt, Fritz Erler, Herbert Wehner ou Carlo Schmid. Ils vont populariser dans l’opinion le nouveau programme présenté lors du congrès du parti à Bad Godesberg (13-15 novembre 1959) : pour être crédible, la social-dé63 mocratie doit tenir compte de la réalité et adapter ses propositions au contexte économique, social, international, quitte à s’éloigner de la tradition du mouvement ouvrier allemand. L’objectif est la conquête du pouvoir. la jeunesse et ne suscite plus la même confiance, notamment après la réunification. Réponse à la question En 1972, pour la première fois depuis la création de la RFA, le SPD devance la CDUCSU avec 45,8 % des suffrages contre 44,9 %. Ce résultat s’explique par le fait que le SPD a placé sa campagne électorale sous le signe du bilan de l’Ostpolitik de Willy Brandt. Mais aux élections de 1976, le SPD repasse derrière la CDU (42,9 % des voix contre 48,6 %). Il faut attendre 1998 pour que le SPD redevienne le premier parti allemand (Schröder chancelier). Réponses aux questions 1. Les innovations majeures sont l’abandon du concept de la société de classes (le SPD n’est plus le parti de la classe ouvrière, mais le parti du peuple) et des solutions marxistes pour résoudre les problèmes économiques et sociaux : renonciation à la ligne révolutionnaire, reconnaissance de l’ordre constitutionnel existant en RFA (Loi fondamentale), remplacement de l’objectif de l’étatisation de l’économie par la reconnaissance de la propriété privée et l’approbation de l’économie de marché dans laquelle l’État joue un rôle régulateur. La rupture programmatique est illustrée par le choix du bleu pour l’affiche du congrès de 1959 (à la place du rouge, qui fait référence à la dimension révolutionnaire du mouvement ouvrier). 2. La volonté de se démarquer des communistes se fait en des termes durs : le SPD refuse l’imposition à tous d’une unique doctrine (le marxisme) au nom de la liberté de pensée et dénonce la dictature en RDA qui est opposée à la démocratie garantissant les libertés en RFA. Document 3 La cogestion Nathalie Versieux est une journaliste française, qui assure la correspondance à Berlin de plusieurs médias francophones dont Libération. La cogestion (Mitbestimmung) est après 1945 une revendication du SPD et des syndicats, qui jugent sans avenir le capitalisme compromis avec le nazisme. À la CDU, une aile gauche défend aussi ce thème, ce qui explique que malgré la défaite électorale du SPD en août 1949, des lois soient promulguées par le Bundestag avec l’appui d’Adenauer. On peut distinguer trois étapes : – la cogestion, au sens de représentation paritaire du travail et du capital au conseil de surveillance (Aufsichtsrat) des entreprises, a été accordée en 1946 par les Britanniques dans leur zone d’occupation pour le secteur de la sidérurgie : elle est pérennisée et étendue aux mines de plus de 1 000 salariés par la loi du 21 mai 1951 (régime maximal de cogestion). – la parité est refusée par la loi du 11 octobre 1952 aux autres secteurs, pour lesquels les conseils de surveillance ne comptent qu’un tiers de représentants salariaux. De plus, cette loi donne au personnel des entreprises comprenant de 500 à 2 000 salariés une influence sur les questions sociales au sein du conseil d’établissement (Betriebsrat), mais non le pouvoir économique direct (régime minimal de cogestion). Si les syndicats sont déçus, l’acquis de cette législation est important sur le long terme, car il institutionnalise le principe du compromis social et contribue ainsi à pacifier les relations du travail. – la loi de 1976 accorde la représentation paritaire des salariés au conseil de surveillance des entreprises de plus de 2 000 salariés, mais le dispositif Document 2 Scores du SPD et de la CDU aux élections législatives de la RFA La domination écrasante de la CDU laisse peu de place au SPD dans les années 1950 (45,2 % de voix contre 28,8 % en 1953 au Bundestag, 50,2 % contre 31,8 % en 1957). Elle s’explique par la figure du chancelier Adenauer (gage de stabilité politique), mais aussi par son caractère interconfessionnel, son image de parti des classes moyennes, et le renouveau de l’après-guerre qu’elle incarne par rapport au SPD très imprégné encore de la tradition de Weimar. L’écart se réduit dans les années 1960 tout en restant conséquent. À partir de 1969, le SPD réalise sa percée dans les classes moyennes, permettant une ascension électorale qui le situe à plus de 40 % des suffrages jusqu’en 1983. À partir de 1982 (perte de la chancellerie) et 1983 (arrivée des écologistes au Bundestag) et jusqu’à la fin des années 1990, le SPD se situe à moins de 40 % des suffrages : il n’apparaît plus comme le parti de l’innovation sociale et de 64 est tempéré par la présence d’un cadre dirigeant parmi les représentants des salariés et par le fait que le président du conseil de surveillance est obligatoirement élu parmi les représentants des actionnaires et doté d’une seconde voix décisive en cas de partage égal des voix. Document 1 Les difficultés sociales liées à la réunification La réunification a eu pour conséquence une hausse importante du taux de chômage en Allemagne : en moyenne nationale, le taux de chômage passe de 8,2 % en 1989, à 5,6 % en 1991, 8,4 % en 1994, 9,8 % en 1997, 12 % en 2005, et redescend à 9 % en 2006. Mais il s’agit d’une moyenne nationale. Si l’on considère uniquement les Länder de l’Est, le taux de chômage est à 18,7 % en 2006. Conséquence : les jeunes fuient la région. Document 4 L’Ostalgie en 2009 Lors des premières élections libres en RDA du 18 mars 1990, 70 % des citoyens votent pour des partis de l’Ouest (la CDU devient le premier parti de la RDA). Les citoyens ont voté contre la dictature du SED et la Stasi et pour les libertés et la société de consommation, mais sans anticiper toutes les conséquences de la réunification. Dans les années 1990, les néo-communistes du PDS s’installent durablement dans les Länder de l’Est. Le vote pour le PDS n’attire pas seulement les perdants de la réunification, il revêt un caractère identitaire : l’Ostalgie se nourrit du chômage, de la destruction d’un État protecteur et d’une politique familiale qui garantissait aux femmes leur autonomie. Dans les années 2000, des protestations s’élèvent contre les coupes dans le budget social. Les manifestants des lundis de Leipzig revendiquent une société plus solidaire et plus sûre. Le graphique représente les résultats d’un sondage de 2009 d’après lequel 57 % des personnes des Länder de l’Est pensent que la RDA avait « majoritairement » (bleu) ou « plutôt des bons côtés » (bleu foncé). Document 2 Le recrutement sociologique du SPD Le recrutement sociologique du SPD a beaucoup évolué dans les années 1960. Le parti n’apparaît plus comme un parti exclusivement ouvrier, mais comme un parti d’ouvriers et de classes moyennes. Les ouvriers qui représentaient plus de la moitié des adhérents en 1960, n’en représentent plus que le quart en 1993 : cette baisse est à mettre en relation avec leur diminution dans la société globale (le secteur secondaire regroupe 48 % des actifs en 1960, 41 % en 1989). Les couches moyennes (employés, fonctionnaires, professions libérales) ont vu leur part augmenter, les diplômés s’imposant de plus en plus parmi les cadres du parti (notons que le secteur tertiaire passe de 39 % des actifs en 1960 à 55 % en 1989). Document 3 Le nouveau centre de Gerhard Schröder pages 104-105 ÉTUDE Schröder devient chancelier en octobre 1998. Le SPD perd les élections au Parlement européen de 1999, où il obtient 30,70 % des voix contre 48,67 % pour la CDU-CSU. Une nouvelle gauche après la réunification ? Le SPD n’est pas aux affaires lors de la réunification de 1990 et s’avère moins déterminé que la CDU à mettre en œuvre un processus qui correspond pourtant aux attentes de la population. Il en découle une période difficile, dans laquelle le parti se cherche une identité, sans répondre aux problèmes sociaux et économiques. Le SPD est concurrencé dans les Länder de l’Est par le parti néo-communiste du PDS (Parti du socialisme démocratique). Ce n’est qu’en 1998 que le SPD revient au pouvoir, quand Gerhard Schröder devient chancelier (19982005) après l’ère Kohl (1982-1998). Dans les années 2000, la globalisation suscite des critiques antilibérales, à l’origine de la création d’un nouveau parti, « la gauche » (Die Linke), qui naît en 2007 par fusion du PDS et des déçus de la socialdémocratie menés par Oskar Lafontaine. Document 4 Un SPD rénové Le nouveau programme de Hambourg du SPD en 2007 a été rédigé pour adapter le parti à l’ère de la mondialisation et tirer les conséquences de la pratique du pouvoir. Document 5 La référence aux grandes figures communistes Le PDS est né en RDA sur les ruines du SED (2,3 millions d’adhérents au SED en 1989, 650 000 au PDS en février 1990). Aux premières élections libres de la RDA du 18 mars 1990, le PDS obtient 16,3 % des voix. Malgré une rapide érosion de ses effectifs 65 (172 000 membres en 1991, 123 000 en 1994), le PDS parvient à envoyer des élus au Bundestag en 1991 et en 1994 malgré une grande disparité de ses scores entre les Länder de l’Ouest et de l’Est (ainsi en 1994, le parti remporte 4,4 % des voix en moyenne nationale, mais 19,8 % à l’Est). Il fait figure de parti des victimes de la réunification : retraités, anciens membres du SED, nouveaux chômeurs, femmes. Sa moyenne d’âge est très élevée. l’aile gauche du SPD représentée par Oskar Lafontaine. Le SPD veut séduire les classes moyennes. Celles-ci composent l’essentiel de la société ouest-allemande à partir des années 1960 : la nouvelle stratification sociale a été illustrée par le modèle graphique de « l’oignon ventru » (7 % de la population appartiennent aux couches supérieures ou moyennes supérieures, 72 % aux couches moyennes médianes ou inférieures, 21 % aux couches inférieures ou socialement méprisées, selon le modèle du sociologue Bolte en 1967). Ce modèle traduit l’ascension sociale du plus grand nombre en termes de revenu, de qualification et de statut. 3. La rénovation du SPD se situe dans le rôle nécessaire d’intervention reconnu à l’État (« État social prévoyant »), alors que dans la vision de l’économie sociale de marché, l’État n’a qu’une fonction régulatrice. 4. Le PDS se réclame de l’héritage marxiste en célébrant l’ancien dirigeant du Parti communiste KPD sous la République de Weimar, Ernst Tählmann. Thälmann a été arrêté par les nazis en mars 1933. Il meurt en 1944 dans le camp de concentration de Buchenwald. 5. Die Linke a une idéologie antilibérale, qui construit son audience contre les coupes budgétaires infligées aux mécanismes de l’État social. Le parti fonde sa légitimité sur la tradition historique du mouvement ouvrier allemand délaissée par le SPD. 6. La percée électorale de Die Linke s’explique par les difficultés économiques que traverse l’Allemagne, qui impose des restrictions budgétaires et des réformes structurelles. Le parti a son audience principale dans les Länder de l’Est les plus frappés par la crise. Document 6 La liberté par le socialisme Oskar Lafontaine est né en 1943 et a fait carrière dans le SPD de la région de la Sarre. Il contribue à la réflexion programmatique du parti avant la réunification (introduction de thèmes écologiques entre autres). En 1990, il est le concurrent de Kohl dans la bataille électorale pour la chancellerie, mais sa remise en cause des fondements de la réunification explique le mauvais score du SPD (33 % des voix). Il préside le SPD de 1995 à 1998 et s’oppose de manière virulente à Kohl, permettant la remontée du SPD et l’élection de Schröder à la chancellerie en 1998. En 2005, Oskar Lafontaine quitte cependant le SPD dont il critique les réformes libérales entamant l’État providence (« agenda 2010 »). Il crée en 2007 un parti réunissant les déçus de la social-démocratie et des anciens communistes de la RDA : la Gauche. Oskar Lafontaine est son coprésident jusqu’à son opération en 2010. Document 7 Première percée électorale de Die Linke Le parti, qui revendique en 2009 quelques 78 000 membres, fait élire 76 députés au Bundestag aux élections de septembre 2009. Réponses aux questions 1. En dépit d’une forte croissance impulsée par la réunification, le chômage augmente. Il frappe de manière massive les Länder de l’Est. La banderole évoque le passage d’une société de plein-emploi à l’Est avant la chute du mur à une société de chômeurs après la réunification. En RDA, la société était organisée autour du travail, défini comme émancipateur dans le socialisme. En 1983, la part des actifs en RDA avait atteint 56,3 % (contre 44,7 % en RFA à cette date), notamment à cause de la généralisation du travail des femmes. 2. Le « nouveau centre » est un projet politique libéral, qui cherche à se démarquer de VERS LE BAC Étude critique Lafontaine est un ancien du SPD dont il revendique l’héritage. Plan possible I. L’héritage révolutionnaire de R. Luxemburg II. L’héritage pacifiste de W. Brandt III. L’héritage du modèle social mis en place en RFA 66 pages 106-107 nées 1970, qu’illustre cette photographie de 1978. Des grèves dures sont déclenchées en 1984, notamment par le grand syndicat de la métallurgie (IGMetall) et le syndicat de l’imprimerie (IG-Druck) pour obtenir la semaine de 35 heures. L’issue des conflits est un succès pour les syndicats, qui obtiennent un passage graduel aux 35 heures. IG-Metall jouant une fonction pilote, l’accord de branche se répand dans le reste de l’industrie. En 1989, le temps de travail moyen dans l’économie a baissé à 38,30 heures et pour 30 % des salariés, les accords prévoient un horaire inférieur ou égal à 37 heures. Mais cette baisse graduelle n’a pas de répercussions sur les chiffres du chômage. D’autre part les patrons ont cédé en échange d’une flexibilisation du travail. Étude La force du syndicalisme en Allemagne de l’Ouest La force du syndicalisme allemand vient premièrement de la puissance numérique des syndicats, regroupés dans une centrale en 1949, la Confédération des syndicats allemands (DBG), deuxièmement des lois votées au début de la RFA permettant d’institutionnaliser la cogestion et troisièmement de la pratique de la négociation collective entre partenaires sociaux (sans immixtion des pouvoirs publics). Ce système des relations du travail se trouve légitimé comme instrument efficace au service du compromis fordiste permettant l’élévation du niveau de vie des travailleurs dans un contexte de forte croissance économique. La conflictualité sociale apparaît plus faible en Allemagne que dans les pays occidentaux voisins. Document 5 Manifestation de syndicats allemands La manifestation de syndicalistes à Berlin pour une Europe plus sociale intervient un an après la ratification par l’Allemagne du Traité constitutionnel de 2005. Cette ratification est survenue en Allemagne par voie parlementaire et non par référendum comme en France. Si elle n’a posé aucun problème (le vote était acquis d’avance), certains commentateurs ont en revanche fait remarquer que les citoyens allemands avaient été très peu informés sur ce traité. Document 1 La composition de la Confédération des syndicats allemands (DGB) Le tableau illustre le regroupement organisationnel des syndicats, qui tirent après la guerre les leçons du passé (faiblesse d’un mouvement ouvrier divisé et incapable de s’opposer à l’essor du nazisme). Le regroupement passe par l’unification des courants social-démocrate et chrétien et la généralisation des syndicats de branche (qui intègrent tous les métiers et statuts professionnels dans l’entreprise, selon la formule : « une entreprise, un syndicat »). Réponses aux questions 1. Les syndicats unitaires que regroupe le DGB ont une position hégémonique dans le paysage syndical : la négociation collective dont ils ont la charge s’opère sans concurrence intersyndicale. Elle débouche sur des conventions au niveau d’un Land ou du Bund uniformisant le coût du travail à l’échelle d’une branche. De plus, les taux d’adhésion importants donnent aux syndicats composant le DGB une assise financière solide. 2. On peut dégager trois phases : – une première phase des années 1950 à 1969, année de l’accession de Willy Brandt au poste de chancelier : les effectifs du DGB sont stables autour de 6 millions. – une seconde phase de 1969 à 1981 : dans l’euphorie qui suit le tournant politique de 1969, la croissance des effectifs est continue (7 millions atteints au début des années 1970, 8 millions en 1981). Dans les années 1980, la montée du chômage provoque une légère Document 2 L’évolution des effectifs du DGB Le graphique illustre la puissance numérique du DGB, qui regroupe entre 70 % et 80 % des syndiqués sur toute la période, avec un taux de syndicalisation de 35 % en moyenne. Document 3 Un nouveau programme Le DGB suit la réorientation stratégique du SPD à Bad Godesberg en 1959 en adoptant en 1963 un nouveau programme, qui adhère à l’économie sociale de marché de la RFA. Document 4 Manifestation pour les 35 heures Les syndicats répondent à la montée du chômage par la stratégie du partage du travail. Une longue campagne revendicative commence à la fin des an67 baisse des effectifs, avant de retrouver la barre des 8 millions lors de la chute du mur. – la troisième phase correspond à une forte décroissance des effectifs syndicaux après la réunification : par rapport aux 12 millions de 1991 (absorption des syndicats est-allemands par le DGB), les effectifs sont quasiment divisés par 2 à la fin des années 2000. Cette évolution s’explique d’une part par les départs des adhérents des Länder de l’Est (pour qui l’appartenance syndicale ne revêt plus après 1990 un caractère d’obligation), d’autre part par les défections générales enregistrées par le mouvement syndical en Europe dans cette période. 3. La nouveauté par rapport à la tradition du mouvement ouvrier est l’abandon du marxisme et l’intégration des syndicats à l’économie sociale de marché fondée sur la cogestion, la défense du travail et des justes salaires et la lutte contre l’exploitation économique et les inégalités. 4. Le parallèle avec le programme de Bad Godesberg se lit dans la renonciation commune à la référence marxiste et dans la reconnaissance de l’ordre social et économique existant. 5. Les revendications portent sur la réduction du temps de travail (doc. 4) et sur la nécessaire régulation du libéralisme (doc. 5). Les photographies montrent que l’action syndicale en RFA n’exclut pas le conflit. Lorsque les syndicats recourent à la grève, celle-ci peut être très dure. Certes la lutte des classes au sens de l’entre-deux-guerres a disparu, mais les relations du travail sont caractérisées par la recherche d’un équilibre entre revendications et compromis. Certains chercheurs en sciences sociales parlent de « partenariat conflictuel » à propos des syndicats allemands. pages 108-109 VERS LE BAC Étude critique de documents Réponses aux questions 1. Le texte est un discours s’adressant aux militants spartakistes présents lors du congrès de fondation du Parti communiste allemand (KPD), le 31 décembre 1918. 2. Rosa Luxemburg (1870-1919) est une socialiste révolutionnaire allemande d’origine polonaise. Au moment de la révolution russe de 1905, elle participe en Pologne à la propagande révolutionnaire. Arrêtée puis libérée, elle se rend en Allemagne où elle publie des écrits insistant sur l’initiative révolutionnaire des masses prolétariennes. La faillite de la Deuxième Internationale en 1914 et le vote par la social-démocratie allemande des crédits de guerre l’amènent à fonder avec Karl Liebknecht la Ligue spartakiste (janvier 1916) aux positions antimilitaristes et révolutionnaires. Deux fois emprisonnée entre 1915 et 1918, elle suit avec attention la révolution russe de 1917. Libérée en novembre 1918, elle reprend son activité révolutionnaire et contribue à la formation du Parti communiste allemand. Critique envers le SPD qui veut terminer la Révolution pour installer une démocratie parlementaire, elle participe à l’insurrection spartakiste de janvier 1919 à Berlin où elle est assassinée. 3. La conséquence politique de la défaite est l’effondrement du régime monarchique en Allemagne (abdication et exil de l’empereur Guillaume II, abdication des autres souverains). C’est la fin de l’Empire créé en 1871. Rappelons toutefois que la République de Weimar conserve paradoxalement le terme populaire de « Reich » (Empire) pour désigner l’État issu de l’unité de 1871, malgré la rupture que représente la démocratie parlementaire. 4. Le 9 novembre 1918 a lieu l’annonce de l’abdication de Guillaume II et la double proclamation de la République par le SPD Scheidemann et le spartakiste Liebknecht, les deux hommes n’ayant pas la même conception des objectifs de la révolution. Pour le SPD, la révolution s’achève avec la fin de l’Ancien Régime, tandis que pour les spartakistes elle doit permettre d’instaurer la dictature du prolétariat. VERS LE BAC Composition Plan possible I. La mise en place d’une puissante confédération syndicale dès 1949 II. L’inflexion réformiste des années 1960 III. Une présence non démentie dans le débat social 68 débouchent sur des grèves, puis sur des manifestations de masse contre la guerre et l’autocratie tsariste. Les troubles deviennent révolution quand la garnison de soldatspaysans de Saint-Pétersbourg refuse de tirer sur la foule, privant le gouvernement tsariste de pouvoir dans la capitale. La révolution est victorieuse en deux étapes : d’abord quand le bloc progressiste de l’Assemblée (Douma) abandonne la monarchie et forme un gouvernement provisoire, ensuite quand le haut commandement militaire approuve cette usurpation et force Nicolas II à abdiquer. En cinq jours, l’Ancien Régime russe s’effondre sans résistance. Même si le processus a été déclenché par la classe ouvrière de la capitale, l’agent révolutionnaire décisif a été le paysan en uniforme qui rejette la guerre. 9. S’installe alors un régime de double pouvoir : le nouveau gouvernement formé par le Bloc progressiste de la Douma est l’otage d’un pouvoir parallèle socialiste, celui du soviet (mot signifiant conseil) des ouvriers et des soldats de Saint-Pétersbourg, qui représente les forces de la rue. C’est une création spontanée des ouvriers et soldats victorieux, où s’activent aussi des intellectuels socialistes (surtout mencheviks). Dans les mois qui suivent, des soviets se constituent un peu partout dans les villes et à l’été 1917 dans les campagnes. En juin 1917, un congrès national des soviets se réunit. Ces soviets sont souvent considérés comme la grande nouveauté historique de la révolution russe en tant instruments de pouvoir de classe : ils donnent leur nom au régime qui naît de la révolution d’octobre 1917. Celleci correspond à la prise de pouvoir du parti bolchevique. C’est un coup de force réalisé par un petit groupe, et non une action de masse comme en février 1917. Lénine préside alors le Conseil des commissaires du peuple de la République soviétique de Russie (formule qui recouvre en fait les pleins pouvoirs pour le parti bolchevique qui veut établir la dictature du prolétariat). 10. La seconde phrase en vert fait allusion à la création au congrès de Moscou en mars 1919 de la Troisième internationale (Internationale communiste), qui appelle à la révolution mondiale. 5. L’épisode se solde par la création d’un gouvernement républicain provisoire appelé le gouvernement des commissaires du peuple, constitué à parité de socialistes majoritaires (SPD) et indépendants (USPD), qui veut mettre fin au désordre révolutionnaire. Le 10 novembre, le mouvement révolutionnaire connaît une pause et adopte une attitude attentiste. 6. Rosa Luxemburg dénonce dans la première phrase en jaune l’abandon par le SPD de la cause révolutionnaire à partir du 4 août 1914, quand le parti accepte de soutenir les gouvernements bourgeois de l’Empire, donc le régime lui-même. Le « mouvement plus ou moins chaotique » désigne l’effervescence révolutionnaire non coordonnée en Allemagne depuis la mutinerie des marins de Kiel le 3 novembre 1918, où se forment les premiers conseils d’ouvriers et de soldats. La révolution prend le pouvoir dans plusieurs États fédérés constituant l’Empire avant d’atteindre la capitale. Dans le Wurtemberg, un gouvernement issu du conseil d’ouvriers et de soldats chasse le souverain le 7 novembre. En Bavière, la République est proclamée le 8 novembre par Kurt Eisner, socialiste indépendant placé à la tête d’un conseil d’ouvriers et de soldats. À Berlin, c’est la grève générale décidée par les révolutionnaires pour le 9 novembre qui amène la fin du régime. Ce propos veut mettre en valeur la faiblesse organisationnelle de la révolution. 7. La première phrase en vert est une interprétation de l’Empire comme l’incarnation de l’impérialisme, c’est-à-dire le stade ultime de l’évolution du capitalisme (l’impérialisme allemand s’illustre par les conquêtes coloniales encouragées par Bismarck depuis 1885 et par la politique extérieure agressive de l’Allemagne depuis le tournant du XXe siècle). Cette phrase montre que l’histoire de l’Allemagne est analysée dans le schéma théorique marxiste. 8. La deuxième phrase en vert est une allusion à la première révolution russe de 1917, qui voit la constitution de « conseils d’ouvriers et de soldats » comme organes de pouvoir émanant des masses révolutionnaires. Rappels : Fin février 1917 en Russie, les protestations ouvrières contre les pénuries alimentaires 69 pages 110-111 VERS LE BAC 3. Le SPD victime de la répression nazie à cause de son héritage marxiste Partie III. De 1945 à 1990. Un parti qui se modernise et renonce à la référence marxiste en RFA dans un contexte de division de l’Allemagne 1. La difficile reconstruction du SPD après 1945 et l’abandon du marxisme en 1959 2. Le SPD parti de gouvernement de 1966 à 1982 3. L’essoufflement du SPD de 1982 à la réunification allemande 3. Problématique : Comment le pragmatisme du SPD amène-t-il le départ des partisans de la révolution et conduit-il le SPD à assumer officiellement son réformisme ? Annonce du plan : Le plan évoque d’abord la période d’avant la Première Guerre mondiale, où le SPD est tenu à l’écart de la pratique du pouvoir. La deuxième partie porte sur la période 1914-1945, au cours de laquelle le SPD accède pour la première fois aux responsabilités gouvernementales avant d’être victime du nazisme. La dernière partie traite la période de 1945 à 1990, où le SPD renonce au marxisme en RFA face à la RDA. Composition Réponses aux questions 1. Les césures du plan chronologique sont 1914 et 1945 qui amènent le SPD à se poser la question des modalités de sa participation au pouvoir. 2. Construction du plan Partie I. De 1875 à 1914. Un parti marxiste mais tiraillé par une aile réformiste 1. Le programme contradictoire du Congrès de Gotha en 1875 2. Un parti incité au réformisme après l’arrêt des lois antisocialistes en 1890 3. Le débat révisionniste lancé par Bernstein dans les années d’avant-guerre Partie II. De 1914 à 1945. Un parti qui assume son réformisme et des responsabilités gouvernementales au prix d’une scission des communistes 1. Le vote des crédits de guerre le 4 août 1914 et l’acception de l’Union sacrée 2. Le choix d’une République parlementaire contre le bolchevisme lors de la révolution et la collaboration avec les partis de la coalition de Weimar 70 CHAPITRE 4 Médias et opinion publique dans les grandes crises politiques en France Les crises politiques sont des moments privilégiés pour mettre en évidence le rôle des médias à la fois dans l’expression et dans la formation de l’opinion publique. Quatre leçons proposent une analyse des interactions entre médias, opinion publique et pouvoir politique dans le cadre des crises qui ont secoué le régime démocratique depuis la fin du XIXe siècle. L’introduction rappelle comment les libertés d’expression et de presse ont été conquises en France. La première leçon traite de l’explosion de la presse écrite à la fin du XIXe siècle au moment où éclate l’affaire Dreyfus. Une étude évoque le rôle de la caricature, arme redoutable de la presse écrite où des artistes mettent leur talent au service de la cause dreyfusarde ou antidreyfusarde. La deuxième leçon montre comment l’apparition de nouveaux moyens d’information renforce le rôle des médias dans la première moitié du XXe siècle. Deux crises politiques majeures sont approfondies dans leurs relations aux médias avec deux dossiers, l’un consacré au rôle de la presse dans le déclenchement du 6 février 1934 et l’autre dédié à la guerre des ondes qui se met en place lors de la défaite française en 1940. La troisième leçon analyse la reconfiguration du paysage médiatique après la Seconde Guerre mondiale et les relations complexes entre les médias, le gouvernement et la population lors de la crise ouverte par la guerre d’Algérie et la remise en cause du pouvoir en mai 1968. Ces deux thèmes font chacun l’objet d’un dossier. La quatrième leçon ouvre la réflexion sur les évolutions récentes des liens entre médias, pouvoir politique et opinion publique avec l’avènement de la société de communication. pages 114-115 OUVERTURE DE CHAPITRE et qui tentent de pourfendre l’armée française. Cependant, cette armée de « plumitifs » échoue sur la page blanche du journal et la charge amuse les militaires français qui ne se sentent pas menacés. La portée de l’article est pourtant immense. L’affaire Dreyfus donne naissance à l’intellectuel, un mot utilisé en substantif pour la première fois, qui exprime son engagement dans la presse. Les deux images satiriques mises en regard témoignent des liens étroits qui se sont noués entre les médias et la démocratie à la fin du XIXe siècle. L’affaire Dreyfus, première crise politique où la liberté de la presse est reconnue, voit l’épanouissement de la caricature. Cette forme médiatique est renouvelée lors de la crise de mai 1968. Si la très grande majorité de la presse est alors favorable aux décisions du gouvernement, des titres et des journalistes montrent leur capacité à s’opposer de manière frontale au pouvoir. Document 2 Mai 1968 : la dénonciation de la mainmise du pouvoir politique sur les médias Marianne bâillonnée par le carré blanc de la censure est l’une des affiches politiques les plus connues de mai 1968. Jean Effel, pseudonyme de François Lejeune (1908-1982), y dénonce la mainmise du gouvernement gaulliste sur la radio et la télévision. Proche du Parti communiste, il a publié plus de 17 000 dessins politiques dans des publications communistes mais aussi dans L’Express, Paris-Soir, Le Canard enchaîné ainsi que dans des albums. Pourtant, Marianne, le bonnet phrygien et le drapeau tricolores sont des références républicaines qui disparaissent presque complètement de l’iconographie révolutionnaire de mai 1968 telle qu’elle s’élabore à l’atelier des Beaux-Arts. Document 1 Janvier 1898 : « J’accuse » de Zola transforme un fait divers judiciaire en affaire Dreyfus La publication de l’article de Zola à la Une de L’Aurore le 13 janvier 1898 est un événement spectaculaire : au cœur de l’affaire Dreyfus, l’écrivain déjà célèbre s’attaque aux institutions républicaines qu’il accuse d’injustice. La caricature est reproduite sur une carte postale réalisée en 1899. Elle véhicule une image caricaturale d’Émile Zola, montrant l’écrivain à la tête d’une armée de journalistes qui portent la plume comme une pique révolutionnaire 71 pages 116-117 INTRODUCTION Temps et Le National, fondé le 3 janvier 1830 par un groupe de libéraux mené par Thiers, publient une protestation. Adam dessine le moment de la répression, qui ne freine pourtant pas la mobilisation : la police saisit des exemplaires du National et des morceaux des presses brisées gisent au premier plan. Parvenu au pouvoir à la faveur de cette révolution, Louis-Philippe est contraint de rétablir la liberté de la presse. Son libéralisme est de courte durée et des mesures répressives ressurgissent, alors que la presse est en pleine expansion. La lithographie réalisée par Honoré Daumier en 1834 est publiée dans La Caricature, journal satirique fondé par Charles Philipon en 1831. Le portrait de Louis-Philippe en forme de poire se lit facilement : à gauche, une expression de confiance mêlée de suffisance (le passé), de face un air grincheux et fermé (le présent), à droite, enfin, une expression d’effroi. Ces trois visages reflètent l’évolution du climat politique et social de la monarchie de Juillet telle que la perçoit Daumier. La loi sur le régime de presse sous le Second Empire promulguée en 1852 atteste de la méfiance du gouvernement à l’égard de ce média. Il renforce son contrôle afin de limiter les dangers politiques que l’influence des journaux fait courir au régime impérial. En pleine expansion à partir de la monarchie de Juillet, utilisés comme tribunes par les différents partis politiques pour diffuser leurs idées au-delà des sphères gouvernementales, les journaux ont donc joué un grand rôle dans la constitution de l’opinion publique et l’avènement de la démocratie. Ils recourent à une nouvelle forme d’expression politique, la caricature, promise à une grande fortune. La surveillance étroite de l’imprimerie et de la librairie montre à quel point la presse représente un enjeu crucial aux yeux des pouvoirs en place qui cherche à contrôler l’opinion publique et museler toute forme d’opposition. 1789 : La liberté d’expression, un droit de l’homme La Révolution française en 1789 libère la parole. Suivant l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, promulgué le 26 août 1789, « tout citoyen peut (...) parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Les « feuilles » se multiplient et parviennent à de très grands tirages : plus de 100 000 exemplaires partent chaque jour de Paris par la poste en janvier 1791. Paris absorbe plus du tiers de cette production journalistique. Les révolutionnaires se dotent ainsi d’outils d’influence publique comme L’Ami du peuple de Marat, Le Père Duchesne de Hébert. Le dessin en grisaille et sépia réalisé pendant la Révolution montre une manifestation à Paris. Un sans-culotte, au premier plan et au centre de la composition, vend L’Ami du Peuple. Le tumulte de la foule reflète la violence des passions politiques sous la Révolution et met en évidence le rôle joué par les écrits dans le surgissement de l’opinion publique. Marat publie L’Ami du Peuple dès septembre 1789 dont il est le seul rédacteur. Maître dans l’art du pamphlet, il y critique de manière virulente la politique du gouvernement et y lance des appels à la violence. Il rencontre un écho important dans les couches populaires parisiennes. 1800-1880 : Le temps de la censure La liberté de la presse dure peu de temps. La censure est remise à l’ordre du jour par Napoléon qui, s’appuyant sur la police, instaure un contrôle strict sur la librairie et l’imprimerie et promulgue une série de règlements réorganisant ces deux branches en 1810. Sous la Restauration, la censure préalable est supprimée, tandis qu’une série de textes législatifs tendent à fixer les cadres de cette liberté de la presse. Parallèlement, de nombreux débats surgissent à cette époque autour des idées libérales énoncées sous la Révolution. Pourtant l’élan libéral est brisé par les ordonnances promulguées le 26 juillet par Charles X 1830 qui veut museler la presse d’opposition. La lithographie de Victor Adam évoque les réactions à cette décision : dès le lendemain, les ouvriers du livre se mettent en grève, des manifestations éclatent au Palais-Royal, débouchant sur une véritable insurrection. Les deux journaux de l’opposition, Le 1881 : La liberté de presse La loi républicaine du 29 juillet 1881 sur la presse est à la fin du XIXe siècle l’une des plus libérales d’Europe. La censure est supprimée et la liberté de fonder un journal sans autorisation préalable est proclamée. Le délit d’opinion appartient au passé, seules la diffamation et l’injure publique sont susceptibles de poursuites. La loi ne met aucune entrave économique, ce qui permettra au cours du 72 XXe siècle la détention de journaux à grand tirage par des groupes industriels et une forte concentration (à la différence des législations anglosaxonnes par exemple). La presse connaît alors un développement considérable, la lecture d’un journal n’étant plus limitée aux élites. Acheter le journal devient une habitude ordinaire des classes moyennes d’abord, des catégories populaires ensuite. Dès la fin du XIXe siècle, comme le montre la publicité pour le journal Le Matin, les journaux construisent de grands bâtiments à plusieurs étages dans le centre des villes. Symboles de leur puissance financière et de leur influence sur l’opinion, ces immeubles abritent l’ensemble des services du journal. Le Matin est un quotidien né en 1882 sur l’initiative d’un groupe de financiers américains. Il adopte le modèle du quotidien britannique The Morning News, important en France un nouveau type de journalisme qui donne la priorité à la nouvelle sur l’éditorial. Il est l’un des quatre journaux les plus populaires à la veille de la Première Guerre mondiale. pages 118-119 la chronique, le roman feuilleton et le fait divers. Le succès est total : dès 1867, des rotatives mises en batterie impriment chacune 20 000 feuilles à l’heure. Deux ans plus tard, 430 000 lecteurs s’arrachent le quotidien pour suivre l’affaire qui défraye la chronique : Troppmann, un jeune assassin qui a massacré une famille de huit personnes à Pantin. Le Petit Journal est alors le quotidien le plus vendu dans le monde. À la veille de la Grande Guerre, quatre quotidiens à un sou frôlent ou dépassent le million d’exemplaires : Le Petit Journal, Le Journal, Le Matin et Le Petit Parisien, plus fort tirage de la planète (1,3 million d’exemplaires). En 1914, avec près de 10 millions d’exemplaires quotidiens, la presse quotidienne française est devenue la première en Europe, la deuxième dans le monde après les ÉtatsUnis. On compte alors près de 80 quotidiens à Paris, près de 240 en province. Document 2 « J’accuse » L’affaire Dreyfus devient une affaire d’opinion publique grâce à la presse. D’abord simple affaire d’espionnage, l’arrestation d’un officier juif est annoncée le 29 octobre 1894 par le quotidien antisémite La Libre Parole. Le dossier est relancé le 15 novembre 1897 par le frère d’Alfred Dreyfus, Mathieu Dreyfus, qui accuse le commandant Esterhazy d’être le vrai coupable. Lorsqu’Esterhazy est acquitté, l’écrivain Émile Zola écrit « J’Accuse » en Une du journal L’Aurore le 13 janvier 1898. L’article est présenté comme une « lettre ouverte au Président de la République », c’est-à-dire adressée à Félix Faure. Les extraits transcrits dans ce document présentent les grandes lignes de ce pamphlet accusateur : Zola y conteste une décision de justice au nom de valeurs universelles. Il s’expose publiquement afin de comparaître devant la justice pour qu’un nouveau procès, plus indépendant, puisse se dérouler. Le texte de Zola est donc le symbole de l’éloquence oratoire et du pouvoir de la presse au service d’une cause. Émile Zola, accusé de diffamation publique, est jugé en février 1898. Le président du tribunal interdit que le procès Dreyfus soit évoqué, car déjà jugé, mais les témoins qui se succèdent à la barre s’expriment sur ce sujet. L’écrivain est condamné et il s’exile en Angleterre. Le procès Zola aura cependant servi de caisse de résonance en faveur de Dreyfus, permettant la révision de l’affaire du LEÇON 1 L’affaire Dreyfus et l’âge d’or de la presse écrite Cette leçon évoque la montée en puissance de la presse écrite à la fin du XIXe siècle et son rôle majeur dans la crise politique ouverte par l’affaire Dreyfus. La montée en puissance de la presse accompagne l’enracinement de la démocratie (doc. 1). L’affaire Dreyfus divise l’opinion française et elle révèle l’influence des journaux dans la mobilisation politique (doc. 2, 3 et 4). Document 1 Le succès de la presse à un sou Les journaux touchent un lectorat de plus en plus large, en particulier grâce aux progrès de l’alphabétisation et à la diminution du prix de vente de la presse. La formule du Petit Journal, lancé en 1863 par Moïse Millaud, donne le coup d’envoi au développement de la presse de masse. Deux fois moins cher que ses concurrents (un sou, c’est-à-dire cinq centimes), le format du Petit Journal est réduit de moitié mais les pages passent de deux à quatre et il est vendu au numéro et non plus sur abonnement. Conçu pour une clientèle nouvelle et populaire, le journal fidélise son public en misant sur 73 capitaine Dreyfus, qui n’aboutit à sa réhabilitation qu’en 1906. La presse d’opinion s’est affirmée comme un contre-pouvoir efficace. Péguy témoigne quatre ans plus tard de ce climat extraordinaire, l’article de Zola suscitant des réactions très virulentes de la part des détracteurs de Dreyfus : les manifestations de rue se multiplient, les caricaturistes se déchaînent. Maurice Barrès, Édouard Drumont et Charles Maurras s’en prennent à celui qu’ils considèrent comme un traître à la nation. Pour les antidreyfusards, l’honneur de l’armée ne peut être entaché, et la raison d’État prime sur le droit des individus. Charles Péguy s’engage à 25 ans dans le combat dreyfusard, aux côtés d’Anatole France ou Marcel Proust, des « intellectuels », tels que les désigne Clemenceau. Ils sont les premiers signataires des pétitions qui circulent en faveur de Dreyfus et Zola. Il n’hésite pas à participer à des batailles de rue où il s’oppose aux ligues nationalistes et antisémites. Péguy publie également des articles dans La Revue Blanche. Charles Péguy fonde sa propre revue en 1900, les Cahiers de la quinzaine, où il publie ses œuvres et fait découvrir de nouveaux écrivains comme Georges Sorel ou Romain Rolland. Sa conversion au catholicisme et son engagement nationaliste à la veille de la Première Guerre mondiale ont déformé la perception de cet écrivain socialiste et romantique, profondément épris des idéaux de liberté et de justice. Réponses aux questions 1. Le gouvernement et l’armée sont remis en cause. 2. Zola agit au nom de la vérité et de la justice. 3. Selon Zola, la presse a menti à la population pour protéger l’armée. Document 3 « L’âge du papier » Félix Vallotton (1865-1925), peintre nabis, pratique la gravure dès le début des années 1890. Il participe comme illustrateur à plusieurs revues, dont La Revue Blanche et Le Cri de Paris fondé en 1897. L’eau-forte intitulée « L’âge du papier » paraît le 23 janvier 1898 dans Le Cri de Paris, une revue hebdomadaire satirique. L’eau-forte est une technique de gravure. Le dessin est réalisé sur une plaque de cuivre recouverte d’un vernis imperméable avec une pointe, le métal est ensuite plongé dans un acide qui « mord » les parties découvertes. Le vernis est alors retiré et la plaque est encrée. La composition de Félix Vallotton s’inspire du cadre photographique. Au premier plan, des bourgeois portant le chapeau haut-de-forme sont attablés à la terrasse d’un café et sont absorbés par la lecture de leur journal. Les costumes et les chapeaux noirs contrastent avec les feuilles déployées des journaux. Quelques titres sont visibles dont L’Aurore qui étale l’article de Zola en première page. Au second plan, deux ouvriers en blouse qui vendent des journaux à la criée se distinguent dans une foule en mouvement. Réponse à la question Ce texte révèle que l’impact de l’article de Zola est considérable et atteste que la presse joue un rôle majeur dans la formation de l’opinion publique. pages 120-121 ÉTUDE L’affaire Dreyfus et la caricature Réponse à la question « L’âge du papier » est un titre qui montre que Félix Vallotton a perçu une caractéristique majeure de son époque, la progression formidable du lectorat des journaux et la contribution de la presse à la vie politique française. Cette étude aborde l’entrée en force dans la presse du dessin et de la caricature à l’occasion de l’affaire Dreyfus. Bien avant la photographie, les journaux accueillent des images sous la forme de gravures. Reflétant le climat de l’époque, la plupart des caricatures sont hostiles à la cause dreyfusarde (doc. 1, 4 et 5). Certains journaux sont créés dans le contexte de l’affaire : Psst… ! (antidreyfusard) et Le Sifflet (dreyfusard) (doc. 2 à 6). Document 4 Charles Péguy à propos de « J’accuse » Document 1 Le 13 janvier 1898, les vendeurs de journaux distribuent dans Paris 300 000 exemplaires de L’Aurore. Les deux procès faits à l’écrivain cristallisent les deux camps dreyfusard et antidreyfusard. Charles Caran d’Ache, « Ils en ont parlé » Emmanuel Poiré débute dans la presse satirique sous le pseudonyme de Caran d’Ache, transcription 74 phonétique de karandach qui signifie « bout de crayon » en russe, allusion à ses origines russe. Antirépublicain et farouchement nationaliste, il adhère à la Ligue de la patrie française. Antisémite et antidreyfusard convaincu, il publie sa plus célèbre illustration dans Le Figaro du 14 février 1898. Avec son complice Jean-Louis Forain, il crée l’hebdomadaire satirique Psst… ! qui prolonge son combat antidreyfusard. peut donc être instrument d’exclusion. L’antisémitisme est réactivé par Édouard Drumont dans la France juive (pamphlet publié en 1886), auquel fait écho le journal La Croix qui se veut le journal le plus antijuif de France. Document 5 Dreyfus, agent de l’étranger ? Psst… ! est un hebdomadaire satirique lancé trois semaines après « J’accuse » par Forain et Caran d’Ache et dont la publication s’est poursuivie jusqu’au 16 septembre 1899, avec 85 numéros livrés. Jean-Louis Forain représente dans ce numéro du 23 juillet 1898 Zola peu après le départ du romancier pour l’exil. Son masque tombe et laisse paraître le visage du juif manipulé par un soldat allemand, allégorie de la trahison. La théorie du complot fait partie des poncifs antidreyfusards, animés de sentiments nationalistes et revanchards. Dreyfus et Zola sont considérés comme des traîtres qui affaiblissent la nation française. Document 2 « Un condamné est un condamné » Herman-Paul est un dessinateur né en 1864. Il fait ses débuts dans les années 1890 dans la presse satirique. Très engagé durant l’affaire Dreyfus, il est surnommé le « Forain de gauche ». Il publie des illustrations dans Le Figaro, Le Sifflet et surtout Le Cri de Paris pour dénoncer la bêtise des antisémites, mais il manie davantage l’ironie que la violence. Document 3 La caricature dans l’affaire Dreyfus Document 6 John Grand-Carteret (1850-1927) est écrivain et journaliste. Grand collectionneur de gravures, il a consacré l’essentiel de son œuvre à compiler des images et des caricatures. Son livre sur l’affaire Dreyfus publié dès 1898 analyse le rôle de la caricature dans cette affaire. « Ceci couvrira cela » En 1898, Vavasseur crée une affiche et un slogan publicitaire pour la marque de peinture Ripolin. Le dessinateur satirique dreyfusard Édouard Couturier détourne l’affiche en faveur de Dreyfus : les trois ouvriers appliqués à peindre les qualités de la marque, le premier sur un mur et les deux autres sur le dos du précédent, sont remplacés par les cinq ministres de la Guerre qui se sont succédé depuis le début de l’affaire Dreyfus (Mercier, Billot, Cavaignac, Zurlinden et Chanoine). Défendant la marque « Étatmajor », les militaires écrivent le même mot d’ordre mensonger : “Dreyfus est coupable”. Le bras vengeur de la Justice apparaît à gauche du dessin pour rétablir la vérité et inscrit sur le dos du dernier général : “Dreyfus est innocent, vous êtes cinq menteurs”. Les cinq ministres dénoncés par Couturier et les journalistes dreyfusards ne seront pourtant jamais inquiétés par la justice. Document 4 Dreyfus, un sans-patrie ? Le Grelot du 11 novembre 1894 place en couverture un dessin de Pépin empreint d’antisémitisme. Fondé en 1871, Le Grelot est un journal satirique républicain et anti-communard qui choisit le camp antidreyfusard en 1894. Pépin place « Basile Guesde » alias Jules Guesde et Jean Jaurès sous le drapeau rouge et maçonnique des « collectosocialistes » (Guesde était collectiviste et Jaurès socialiste). Sous leurs regards, Dreyfus reçoit des sacs d’argent contre le plan de mobilisation, tout en commentant son acte avec un fort accent germanique : « Moi aussi, je fais ma bedide gommerce internationaliste, et pis après ? ». Les deux chefs de file de la gauche sont ainsi discrédités comme défenseurs à la fois des intérêts du socialisme sans patrie, et de ceux de la caste des traîtres vendus aux intérêts étrangers. Les antisémites considèrent les Juifs comme des apatrides. La presse véhicule la montée de l’antisémitisme qui participe de la crise de la République. Le journal Réponses aux questions 1. Caran d’Ache construit son dessin en deux vignettes : la première montre une famille attablée, respectant les règles de la civilité bourgeoise : sous la lampe, les convives sont élégamment habillés, la table est bien ordonnée. Le maître de maison, au moment où se déplient les serviettes, recommande de ne pas parler de l’affaire Dreyfus. Le second dessin dépeint un 75 désordre épouvantable car les convives n’ont pas respecté cette recommandation. Caran d’Ache reste neutre par rapport aux tenants de l’affaire Dreyfus, soulignant seulement la division qu’elle entraîne au cœur même des familles. 2. L’auteur déplore la tyrannie de l’actualité qui supplante les idées et ouvre la porte aux attaques personnelles et aux insultes. 3. Le document 4 reprend le thème de Judas. Dreyfus est représenté sous les traits d’un juif par des traits physiques marqués (oreilles, nez). Il vend son pays, la bourse dans la main comme Judas. Il est accompagné par deux dirigeants socialistes emblématiques, Guesde et Jaurès. L’internationalisme des uns est rapproché de l’esprit de trahison incarné par Dreyfus, dessiné sous les traits d’un juif apatride prêt à vendre son pays. Le document 5 associe Zola, Dreyfus dont les traits « juifs » sont marqués et un soldat allemand. La caricature met en scène l’idée d’un complot juif qui sert l’étranger, soutenu par l’intelligentsia française représentée par Émile Zola. 4. Les éléments graphiques qui relèvent de l’antisémitisme sont d’abord physiques : le nez proéminent et des oreilles décollées (doc. 4), les cheveux noirs et frisés (doc. 5). L’antisémitisme réactive également le thème de Judas qui trahit Jésus contre une somme d’argent (doc. 4). Les juifs sont enfin stigmatisés à partir de la théorie du complot : considérés comme des apatrides, ils sont des ennemis de la nation, ici en faveur de l’empire allemand (doc. 4 et 5). 5. Les deux personnages incarnent la bourgeoisie. Le dessinateur ridiculise le point de vue antidreyfusard qui ne conteste pas l’argument d’autorité : Dreyfus a été condamné, sa culpabilité ne peut donc pas être contestée. 6. Couturier remet en cause l’armée. pages 122-123 LEÇON 2 Les médias face aux crises politiques des années 1930 La leçon présente le rôle des médias dans la remise en cause du modèle républicain dans les années 1930, qui aboutit au régime de Vichy. Les évolutions de la sphère médiatique à l’issue de la Première Guerre mondiale sont d’abord présentées. La Première Guerre mondiale marque en effet une rupture dans l’histoire des médias. Elle signifie le retour de la censure. Les journalistes sont conditionnés par une exigence patriotique. La presse se renouvelle : l’information prime sur l’opinion, la photographie occupe une place de plus en plus déterminante dans des reportages qui font le succès des premiers magazines lancés à la fin des années 1920 (doc. 4). De nouvelles formes médiatiques apparaissent, comme les actualités filmées et la radiodiffusion (doc. 1). Les événements de février 1934 sont une première mise à l’épreuve orchestrée par une presse d’opinion antiparlementaire et xénophobe, qui se déchaîne contre le gouvernement (doc. 2 et 3). En 1940, la débâcle désorganise complètement la presse écrite et la radio devient le nouveau guide. Entre propagande et résistance, les ondes sont le lieu d’un combat politique sans merci. Document 1 La TSF pour tous Les prémices de la radio, transmission par télégraphie puis téléphonie sans fil, se situent au tournant du XXe siècle. La TSF est d’abord limitée à un usage militaire. Après la Première Guerre mondiale, le gouvernement français opte pour la création de radios d’État (Radio Tour Eiffel émet à partir de décembre 1921) tout en laissant se développer sur autorisation des radios privées comme Radiola. L’image évoque les débuts de la radiodiffusion en France à partir de 1922. Le poste récepteur visible sur l’illustration de la marque Radiola est fabriqué à Levallois-Perret par la Société française radio-électrique qui lance la première station privée émettrice sous le nom de « Station expérimentale de Levallois ». L’administration des PTT autorise la SFR à effectuer des émissions expérimentales de radiodiffusion, puis à diffuser des programmes réguliers en octobre 1922. La SFR embauche le premier speaker, Marcel Laporte, alias Radiolo, sur les ondes. La première émission est un concert organisé dans les locaux de Radiola, boulevard Haussmann à Paris, VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. La presse médiatise l’affaire Dreyfus II. La caricature, outil polémique, attise le débat politique 76 reliés par câble à la station de Levallois. À partir de cette date, des émissions sont diffusées chaque jour en soirée. L’illustration montre une famille bourgeoise dans un salon à la décoration art nouveau. L’élégance du couple, le smoking de monsieur, la robe longue au décolleté plongeant et la coupe à la garçonne de madame, la culotte courte et les souliers vernis de leur fils indiquent que ce nouveau média est d’abord destiné à une élite. lors de la crise politique ouverte par la manifestation du 6 février 1934. La presse proche des ligues s’acharne alors contre les parlementaires, recourant fréquemment à l’insulte. Ralph Soupault se rallie par la suite au fascisme et sera le plus célèbre dessinateur satirique de la presse collaborationniste. Réponses aux questions 1. Le dessinateur Sennep est représenté sous les traits d’un géant débonnaire, armé d’un pulvérisateur à insecticide. Il attaque les parlementaires (l’Assemblée nationale se détache à l’arrière-plan) qui s’enfuient dans toutes les directions en courant. Le dirigeant radical Édouard Herriot et le chef socialiste Léon Blum sont aisément reconnaissables. Les hommes politiques sont donc rendus responsables de la crise qui traverse la France des années 1930 et la solution proposée par le dessinateur est de se débarrasser du système parlementaire. 2. La presse et les journalistes des années 1930 attisent la haine contre le système parlementaire et justifient la violence comme seule issue aux difficultés que connaissent les gouvernements à trouver une sortie à la crise. Document 2 Le pouvoir de la caricature politique Le jeune caricaturiste Ralph Soupault (1904-1962) rend hommage avec ce dessin à son aîné Sennep (1894-1982) par cette caricature publiée en pleine page dans l’hebdomadaire parisien Fantasio du 16 juillet 1933. Les deux dessinateurs de presse incarnent l’antiparlementarisme qui anime une partie de la presse dans les années 1930. À cette époque, la France s’est installée dans la crise économique et des gouvernements de centre droit ou de centre gauche se succèdent pour y remédier, sans succès. Ces échecs et l’instabilité gouvernementale qui en découle entraînent une violente mise en cause des institutions de la IIIe République. Les ligues d’extrême droite sont les fers de lance de cet antiparlementarisme, que leur presse relaie. Ralph Soupault a ainsi rejoint l’Action française au milieu des années 1920 ; Sennep est alors le plus célèbre dessinateur politique de droite et il propose ses caricatures du milieu parlementaire dans L’Action française, puis dans L’Écho de Paris et Candide dans les années 1930. Ralph Soupault représente Sennep en géant armé d’un pulvérisateur à insecticide s’attaquant aux hommes politiques de l’époque. Au premier plan, on reconnaît Édouard Herriot (dans le coin gauche), Léon Blum (les bras levés), Pierre Renaudel (en face, avec de grosses lunettes). Au deuxième plan, Louis Malvy (de profil, avec un double-menton) et François-Albert (en costume noir et cravate) fuient dans des directions opposées. Ils sont pour l’essentiel des responsables du Cartel des gauches, radicaux et socialistes de la SFIO, qui ont remporté les élections de 1932, mais qui se sont montrés incapables de gouverner ensemble. À l’arrière-plan, se détache le palais Bourbon que Sennep se charge de « nettoyer ». Ce dessin est une version bon enfant de la poussée antiparlementaire qui atteint son paroxysme Document 3 Que s’est-il passé le 6 février 1934 à Paris ? Au lendemain de la manifestation sanglante du 6 février 1934, une commission d’enquête, présidée par le parlementaire républicain Laurent Bonnevay, est chargée de rechercher les origines des événements. L’extrait du rapport rédigé par Charles Serres insiste sur le rôle de la presse dans la remise en cause du régime républicain. La commission accuse des journaux (La Victoire, L’écho de Paris, Le Figaro, L’Action française…) et des journalistes (Gustave Hervé, Henri de Kérillis, Philippe Henriot…) d’avoir attisé la violence contre les parlementaires. La grande presse a ainsi agi au service des ligues d’extrême droite et d’intérêts économiques. Charles Serre rappelle que le scandale Stavisky, un escroc ayant bénéficié d’appuis parlementaires, a fait l’objet d’une campagne de presse très violente lorsqu’il éclate en janvier 1934. La presse se déchaîne contre le gouvernement radical accusé de corruption et elle orchestre une série de manifestations de rues accompagnées d’actes de vandalisme au cours du mois de janvier. Le président du Conseil, le radical Camille Chautemps, démissionne le 27 janvier 1934 suite à une de ces manifestations. 77 Édouard Daladier le remplace et limoge le préfet de police Jean Chiappe connu pour ses sympathies à l’égard de l’extrême droite. Les ligues exploitent cet événement en appelant à une grande manifestation de protestation le 6 février 1934, jour où Daladier présente son gouvernement au palais Bourbon. Les manifestants, à l’appel des ligues et d’associations d’anciens combattants, convergent à l’Assemblée nationale, où la manifestation tourne à l’émeute. Un groupe de manifestants prend d’assaut la chambre des députés et attaque le barrage de gardes républicains qui la protège, entraînant la mort de plusieurs manifestants. Le repli des manifestants s’accompagne d’actes de vandalisme tout au long de la nuit. Les forces de l’ordre reprennent la main mais le bilan humain et matériel du 6 février 1934 est lourd : 15 morts, près de 1 500 blessés, Paris a été saccagé. La pression de la rue parisienne, soutenue par la presse, ainsi que l’abandon de ses soutiens radicaux à l’assemblée, provoquent la démission de Daladier le 7 février. Un gouvernement d’union nationale est alors formé, auquel participent des dirigeants de droite, André Tardieu et Louis Barthou pour les plus connus ; Pétain participe pour la première fois à un gouvernement. jusque-là justifié que les journaux privilégient les procédés techniques fondés sur le dessin en noir et blanc. La photographie « choc », un manifestant blessé porté par un groupe d’hommes qui regardent l’objectif, est accompagnée d’une légende qui renforce le sensationnalisme de l’événement. La photographie renvoie à un article dans le journal. Le magazine Photomonde est un des précurseurs de Paris Match (« le poids des mots, le choc des photos »), inspiré du journalisme à l’américaine : la photographie est un élément fondamental du reportage. La presse bascule dans le monde du visuel. Les photographies qui documentent les violences nocturnes de la manifestation du février 1934 sont peu nombreuses car, pour des raisons techniques, il est encore difficile dans les années 1930 de prendre des photographies nettes de nuit. La violence du flash utilisé par le photoreporter de Photomonde explique que tous les regards soient tournés vers lui. Réponses à la question La photographie occupe la quasi-totalité de la Une. Une courte légende l’accompagne, qui permet de situer l’action à Paris et fait référence à la nuit qui suit la manifestation du 6 février 1934. Au centre de l’image, le visage ensanglanté du manifestant renvoie au terme « nuit de sang ». Réponses aux questions 1. La crise politique se déroule suivant le schéma suivant : le gouvernement et le parlement sont fragilisés par un scandale politico-financier, ce scandale est exploité par les ligues antiparlementaires pour déstabiliser le régime, les journaux relaient l’appel à la révolte et provoquent la crise politique. La puissance d’opinion de la presse est donc considérée comme un élément essentiel de la mobilisation de la population contre le régime parlementaire. 2. Selon Charles Serre, la presse est au service d’intérêts privés et des ligues d’extrême droite. Elle est responsable du déchaînement de la violence car elle a attisé l’antiparlementarisme dans ses colonnes. pages 124-125 ÉTUDE La presse face à la crise du 6 février 1934 La presse a souvent été mise en cause dans le déclenchement de la crise du 6 février 1934. Dès le début de l’affaire Stavisky, la violence verbale des journaux attise jour après jour l’antiparlementarisme de ses lecteurs (doc. 1 et 4). Avec une virulence qui varie en intensité en fonction des positionnements politiques, la presse critique l’immobilisme des institutions politiques et leur impuissance à faire face à la situation (doc. 1 à 4). Les interprétations de la crise du 6 février 1934 sont contradictoires dès le lendemain de la manifestation (doc. 5 et 6). Pour la presse de gauche, la France a échappé à une tentative de coup d’État fasciste, sentiment qui contribue à la formation de l’union des gauches au sein du Front populaire. L’activisme de l’extrême droite reste cependant très marginal en France au début des années 1930 et demeure un phénomène essentiellement parisien. Si la presse d’opinion n’a pas contribué à assurer la Document 4 Une nuit d’émeutes La Une de l’hebdomadaire Photomonde du 10 février 1934 illustre la montée en puissance des magazines dès les années 1920, corollaire à l’irruption de la photographie comme illustration de presse. La photographie s’impose dans la presse au début du XXe siècle, les coûts élevés de la reproduction ayant 78 confiance dans les institutions républicaines, elle est difficilement seule responsable du délitement du régime et du scepticisme croissant des Français à son égard. à 3 mètres. Voilà ce que c’est que d’avoir le bras long ». Le Canard enchaîné participe ainsi du discrédit du régime parlementaire, sans toutefois l’attaquer violemment comme le font d’autres journaux. Document 3 Document 1 Une analyse de l’affaire « La justice suit son cours » L’article d’Henri Béraud publié dans l’hebdomadaire d’extrême droite Gringoire atteste de la virulence de la presse partisane dans les années 1930. Gringo ire est fondé en 1928 par Horace de Carbuccia sur le modèle de Candide créé quatre ans auparavant. Henri Béraud en devient le rédacteur en chef en 1934. La plume de Béraud se caractérise par une outrance de ton que la liberté de presse autorise, versant facilement dans l’insinuation calomnieuse et l’insulte. Henri Béraud fustige les dirigeants politiques, responsables selon lui du scandale Stavisky. Le vocabulaire est volontairement ordurier lorsqu’il fait référence aux agissements du gouvernement, Stavisky étant l’étranger et le juif que les politiciens ont favorisé. L’antiparlementarisme se mêle à l’antisémitisme et à la xénophobie. Gringoire ouvre également ses colonnes à un polémiste qui sera secrétaire d’État à l’information et à la propagande sous Vichy, Philippe Henriot. Paul Iribe réalise un dessin à charge contre le gouvernement empêtré dans le scandale de l’affaire Stavisky et le publie dans Le Témoin du 14 janvier 1934, six jours après que la police a retrouvé dans un chalet à Chamonix le corps de l’escroc Alexandre Stavisky, mort dans des circonstances suspectes. Paul Iribe dessine le corps nu d’une noyée qui dérive au fil de l’eau. Le corps inerte de la jeune fille est une allégorie de la justice : les mains ligotées, la balance avec ses deux plateaux sous le bras, le bandeau qui lui cache ordinairement les yeux a glissé et a été transformé en bâillon. Document 4 « Aux Parisiens » L’Action française est le quotidien d’extrême droite et royaliste fondé par Charles Maurras, chef de la ligue homonyme qui a fait ses premières armes dans le camp antidreyfusard. Le renvoi du préfet de police Chiappe, favorable aux ligues, est l’occasion de nourrir l’agitation contre le gouvernement et le système parlementaire en général. L’article signé par Maurras appelle clairement à la rébellion. Document 2 L’affaire Stavisky Le Canard enchaîné exploite les zones d’ombre de l’affaire Stavisky pour remettre en cause la version officielle du suicide de l’escroc. Le 8 janvier 1934, la police retrouve en effet Alexandre Stavisky mort dans un chalet à Chamonix. Le coup de feu retentit alors que la police pénètre dans le chalet, et Stavisky est retrouvé avec un revolver à la main, la tête traversée d’une balle. Recherché depuis la révélation de son escroquerie fin décembre 1933, il semble que la police l’a localisé à Chamonix dès le 2 janvier. L’hebdomadaire satirique est fondé en 1915 par un couple pacifiste, les Maréchal, qui veulent pourfendre la censure et le « bourrage de crâne ». L’arme choisie est le rire et le journal continue aujourd’hui à allier critique politique et humour, mêlant jeux de mots et caricatures acérées. L’affaire Stavisky est l’occasion de quelques phrases célèbres, comme celle publiée en Une du journal le 10 janvier 1934 : « Stavisky se suicide d’un coup de revolver qui lui a été tiré à bout portant » ou plus loin dans le journal : « Stavisky s’est suicidé d’une balle tirée Document 5 Trois visions de la nuit d’émeute du 6 février 1934 Au lendemain de la manifestation, les points de vue divergent dans la presse. Trois journaux sont ici confrontés, qui représentent une grande partie du spectre politique : L’Action française à l’extrême droite, Le Populaire, organe de la SFIO à gauche et Le Journal des Débats, journal d’une droite conservatrice. Le Journal de Débats et L’Action française expriment un point de vue similaire sur la responsabilité du gouvernement et des forces de police. À l’inverse, Le Populaire exagère le danger en qualifiant la crise politique de « coup de force fasciste ». Cette analyse est fondatrice du Front populaire qui se constitue dans les mois qui suivent la manifestation, car l’un des objectifs de cette alliance électorale de gauche est de faire barrage au fascisme. L’étude des ligues d’extrême droite oblige à nuancer cette ana79 lyse : les ligues les plus fascistes (Solidarité française et Francisme) sont des groupuscules certes actifs, mais limités à quelques milliers de personnes. Les Croix-de-Feu de La Rocque, principale ligue fasciste pour le Front populaire, sont un mouvement de masse, mais davantage traditionnaliste que fasciste. Ils ont par ailleurs refusé de participer à l’assaut de l’Assemblée nationale le 6 février, respectant ainsi la légalité républicaine. tation témoigne de l’intérêt du lectorat pour la violence avec laquelle journal mène sa campagne de presse. Elle suggère également que le journal a exercé une influence dans le déclenchement de la manifestation du 6 février 1934. 6. Selon L’Action française, les responsables des violences du 6 février 1934 sont les gouvernants. Le Journal des Débats accuse également le gouvernement alors que Le Populaire fustige les ligues d’extrême droite, qualifiées de « fascistes ». 7. La crise entraîne la démission du gouvernement Daladier. Document 6 « Après l’émeute : le ministère démissionne » La Une du quotidien le plus populaire des années 1930, Paris-Soir, annonce la démission du gouvernement Daladier suite à la manifestation du 6 février 1934. Paris-Soir a été lancé en 1932 par l’industriel Jean Prouvost. Sa maquette est conçue comme une composition illustrée qui allie photographie et recherche graphique : gros titres, encadrés, décrochés et retournes rythment la Une. La photographie occupe une place importante (on reconnaît en bas à droite une des photographies les plus connues du 6 février 1934) : Paris-Soir est le premier journal à disposer de son propre service photographique. En 1934, le journal compte plus d’un million de lecteurs et séduit un public qui recherche une information de qualité présentée de façon ludique. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. Une presse d’opinion violente qui cherche à mobiliser II. Une presse d’information qui rend compte de la violence de l’émeute pages 126-127 ÉTUDE Juin-juillet 1940 : la guerre des ondes La rapidité de la défaite bouleverse la sphère médiatique des années 1930. Les médias ont suivi la « drôle de guerre » en acceptant les directives du nouveau commissariat général à l’information dirigé par Jean Giraudoux ; les journaux tentent de maintenir le moral de l’opinion, mais leur audience chute de moitié. La presse se replie avec le gouvernement, ce qui entraîne la disparition de nombreux journaux (60 % en province, 82 % à Paris), dont les difficultés sont accentuées par la raréfaction du papier. La presse écrite est dépassée par la puissance des ondes. La radio s’impose en effet dans les années 1930 comme un nouveau média populaire, et ce nouveau moyen d’information devient un enjeu important : le régime de Vichy le contrôle sur son territoire (doc. 1) mais la résistance l’utilise comme une arme politique (doc. 2 à 6). Réponses aux questions 1. Le titre du Canard enchaîné sous-entend que Stavisky a été assassiné et que le crime a été maquillé en suicide. 2. On assiste dans la presse à une escalade de violence entre le 10 janvier et le 6 février 1934. La presse remet en cause le gouvernement et le parlement, c’est-à-dire les piliers du régime républicain. Ils sont accusés de corruption et de favoriser les étrangers, les juifs, les voleurs, les anarchistes, les francs-maçons au détriment des « honnêtes gens ». 3. L’allégorie de la justice est détournée afin de critiquer l’attitude du gouvernement dans le scandale Stavisky : elle est en train de se noyer, nue, ligotée, bâillonnée, sa balance à deux plateaux sous le bras. 4. Gringoire et L’Action française appellent à une action violente contre le gouvernement et le parlement. 5. L’augmentation des tirages de L’Action française dans les jours qui précèdent la manifes- Document 1 Pétain s’adresse aux Français au moment de la débâcle Les Allemands occupent Paris et ils interdisent tous les journaux français. La radio devient alors la seule source d’information. En 1940, la France compte 5 millions de postes pour 41 millions d’habitants. Au 80 soir du 16 juin 1940, mis en minorité au sein de son gouvernement sur le sujet de la continuation de la guerre en Afrique du Nord, Paul Reynaud démissionne. Le même jour, nommé président du Conseil, le maréchal Pétain, favorable à un armistice, engage des pourparlers avec l’ennemi. Il l’annonce aux Français à la radio le 17 juin 1940, de la station émettrice Bordeaux-La Fayette. Ce discours fut très largement entendu, car les Français, prostrés chez eux ou sur la route de l’exode, étaient très attentifs au déroulement des événements et à l’action de leur gouvernement. Pétain profite de sa renommée de « vainqueur de Verdun » et de son statut de chef de gouvernement pour faire accepter la défaite. de vue officiel de la France libre. À partir de l’été 1941, les informations s’accompagnent de messages codés destinés à la Résistance intérieure. L’émission compte également des divertissements animés par de grandes voix comme l’humoriste Pierre Dac à partir de 1943. Les messages politiques sont également véhiculés en parodiant des chansons. Ainsi Jean Oberlé transforme le refrain de la Cucaracha en slogan contre le régime de Vichy : « Radio-Paris ment (bis), Radio-Paris est allemand ». Radio-Londres cesse définitivement d’émettre en novembre 1944. Document 6 « Le général Micro » La propagande collaborationniste essaie de réduire l’influence de Radio-Londres en stigmatisant de Gaulle sous les traits du « général Micro », que l’affiche prétend aux ordres des juifs. Radio-Paris, par la voix de Philippe Henriot, insulte les animateurs de la radio libre. Les Allemands tentent de brouiller les ondes et confisquent peu avant le débarquement des postes de TSF dans les départements des côtes françaises. Tous ces efforts, qui s’accentuent au fil du temps, prouvent l’audience croissante de la France libre. Document 2, 3 et 4 Les conditions de l’appel du 18 juin 1940 Un témoignage sur l’appel du 18 juin 1940 La réception de l’appel du 18 juin 1940 Le général de Gaulle quitte la France le 17 juin de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, après la chute du gouvernement Reynaud dont il était depuis le 6 juin le sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale avec pour mission de coordonner l’action avec le Royaume-Uni, afin de poursuivre le combat. À ce titre, il rencontre le Premier ministre britannique Winston Churchill à deux reprises. Il accompagne cet acte de rébellion d’un appel à la résistance dès le 18 juin : il s’adresse aux Français de Londres, mais c’est l’enregistrement du 22 juin qui immortalisera ce discours au point de l’ériger en texte fondateur de la Résistance. Peu de Français l’entendent, mais beaucoup le liront car il est imprimé sur des affiches tirées dès juillet 1940 et qui sont reprises tout au long de la guerre. Réponses aux questions 1. Philippe Pétain s’exprime à la radio en tant que président du Conseil, c’est-à-dire chef du gouvernement. Il annonce qu’il a demandé l’armistice au gouvernement allemand. 2. Pétain demande aux Français de cesser les combats et d’être solidaires du gouvernement. Il joue sur le registre émotionnel et se fait passer pour l’homme providentiel. 3. De Gaulle ne prononce pas son discours depuis une station radio française car il a rejoint l’Angleterre la veille, alors que Pétain annoncait la capitulation. Le Premier ministre britannique Winston Churchill lui donne l’autorisation de s’exprimer à la BBC car le Royaume-Uni continue la guerre contre l’Allemagne. 4. La radio est une arme du combat politique. 5. L’appel du 18 juin est réenregistré quelques jours plus tard, et c’est cette version qui passe à la postérité. 6. Très peu de Français ont entendu l’appel du 18 juin le jour même. Pierre Messmer en a pris connaissance par la presse. 7. L’influence des émissions de la France libre diffusées à la BBC est suffisamment Document 5 « Les Français parlent aux Français » Dès le 19 juin, la BBC diffuse une émission d’un quart d’heure, puis de 30 minutes, intitulée « Ici la France » sur autorisation de Churchill. Elle est confiée à Jacques Duchesne, pseudonyme de Michel Saint-Denis, acteur et metteur en scène installé à Londres depuis 1934. L’émission devient le 6 septembre 1940 « Les Français parlent aux Français » soumise à la censure britannique et aux directives de la BBC. L’équipe, visible sur la photographie, est constituée de volontaires FFL qui ont rejoint de Gaulle à Londres. La seule partie non contrôlée de l’émission concerne les cinq minutes d’ « Honneur et Patrie » où Maurice Schuman exprime le point 81 (France-soir, France-Dimanche, Paris-presse, Le Journal du dimanche, Elle, le Journal de Mickey…) ou le groupe Amaury (Parisien libéré, le Courrier de l’Ouest et d’autres titres de province, Marie-France, Miroir des sports…). La Une du 24 mai 1958 respecte l’euphémisation de vigueur en parlant des « événements d’Alger ». Pourtant le journal couvre l’actualité algérienne, publiant pendant les deux premières années du conflit 38 reportages et 17 articles illustrés relatifs aux événements d’Algérie. À partir du 28 mai 1958, le gouvernement établit une censure qui interdit la transmission de photographies d’Algérie à Paris et rend très difficile la diffusion des dépêches. grande pour que des affiches de propagande collaborationnistes soient placardées en France pour endiguer le flot des ondes de la Résistance. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. Prendre la parole en pleine débâcle pour s’adresser aux Français II. La guerre des ondes et le poids de la propagande durant la Seconde Guerre mondiale pages 128-129 LEÇON 3 L’engagement des médias dans les crises politiques après 1945 Document 2 Le succès de la télévision L’après Seconde Guerre mondiale est marqué par de grands bouleversements dans le paysage médiatique. Le champ journalistique est profondément renouvelé avec l’interdiction des titres qui ont continué à paraître pendant l’Occupation, par le retour de journaux supprimés ou interdits et la naissance d’une presse issue de la Résistance comme Le Monde. La presse d’opinion décline cependant, et ce sont les magazines illustrés qui réalisent désormais les plus gros tirages (doc. 1). L’essor de nouveaux modes d’information contrebalance le poids de la presse écrite. La télévision fait son apparition et rencontre un vif succès dans les années 1960, mais les médias audiovisuels sont sous le contrôle de l’État (doc. 2 et 3). Lors des crises qui secouent le pouvoir politique à l’occasion de la guerre d’Algérie et en mai 1968, les hebdomadaires politicoculturels apparus dans les années 1950 portent une grande part de la charge critique (doc. 4). Lorsque de Gaulle arrive au pouvoir en 1958, la télévision est encore peu développée avec moins d’un poste pour dix foyers. Sa progression est fulgurante au cours des années 1960. Au moment de la crise de mai 1968, 62 % des ménages sont équipés. La publicité pour les téléviseurs Philips illustre l’entrée en scène du téléviseur. Nouveau support de la culture de masse, objet de consommation, le petit écran se démocratise et s’inscrit dans le temps de loisirs quotidien de la plupart des foyers français. Réponse à la question Ces deux documents évoquent le succès de deux nouvelles formes médiatiques : le magazine illustré et la télévision. Document 3 Entretien avec Pierre Dumayet, journaliste Pierre Dumayet est un des pionniers de la télévision. Comme Pierre Sabbagh qui crée le premier journal télévisé en 1949 et qui l’embauche, il débute dans le journalisme radiophonique. Il fonde dix ans plus tard, avec Pierre Desgraupes, le premier magazine d’information télévisuelle, Cinq Colonnes à la Une. Cette émission mensuelle, conçue comme un prolongement et un approfondissement de l’actualité, présente des reportages, des enquêtes et des entretiens. Elle bénéficie de la modernisation du matériel : caméra légère, magnétophone portable. Le premier numéro du 9 janvier 1959 comporte un reportage qui décrit la vie d’un appelé du contingent en Algérie, marquant ainsi l’entrée de la guerre d’Algérie à la télévision française. Près de quarante ans plus tard, Pierre Dumayet relativise le poids du contrôle étatique en mettant Document 1 La guerre d’Algérie à la Une de Paris Match Paris Match est lancé en 1949 par Jean Prouvost (fondateur avant-guerre de Paris-Soir). Le magazine, directement inspiré de la presse anglo-saxonne, rencontre un vif succès avec plus d’un million de lecteurs jusqu’au début des années 1970. La qualité et la quantité de reportages photographiques qu’il propose sur l’actualité du monde entier sont la clé de son succès. C’est aussi un bon exemple de la tendance à la forte concentration de la presse après 1945 : Paris Match, Figaro, Marie-Claire, Télé 7 jours et une série de journaux agricoles… sont détenus pour une bonne part par les familles Prouvost-Beghin ; citons également le groupe Hachette 82 en valeur les ruses des journalistes pour détourner les soupçons du ministère de l’Intérieur. Pourtant, l’émission Cinq Colonnes à la Une a été régulièrement censurée ou déprogrammée lorsqu’elle abordait des thèmes d’actualité jugés trop brûlants par le pouvoir. 1957, 23,3 % des 18-25 ans ne lisent aucun journal, ce qui plaçait alors la France au 22e rang mondial) et chez les agriculteurs notamment ; à l’inverse, les ouvriers constituent un lectorat important. Documents 1, 2 et 3 Réponses aux questions 1. La télévision ne peut pas rendre librement compte de l’actualité car elle est sous le contrôle de l’État dans le cadre de l’ORTF. 2. Les journalistes contournent la censure en renonçant à traiter des sujets de société ou critique à l’égard de la politique intérieure dans le journal télévisé de 20h mais ils s’expriment plus librement dans les magazines comme Cinq colonnes à la Une. Ils créent également des leurres destinés à la censure, ce qui permet de laisser passer des sujets plus importants pour les journalistes. Un officier au secours d’un journaliste Un intellectuel engagé prend la parole dans la presse Une de L’Express du 7 mars 1958 L’hebdomadaire politico-culturel est créé en 1953 par Jean-Jacques Servan-Schreiber, ancien éditorialiste au Monde, et Françoise Giroud, directrice de rédaction du magazine Elle. Ses positions sont proches de celles de Pierre Mendès-France, à la fois anticolonialistes et antigaullistes, mais aussi anticommunistes. Elles se situent dans le droit fil d’une certaine idée de la presse fondée sur des valeurs morales de responsabilité, d’indépendance, de vérité et d’engagement. L’Express est ainsi l’un des rares journaux français à dénoncer la torture pratiquée en Algérie par l’armée. François Mauriac, Albert Camus, Françoise Sagan, André Malraux et Jean-Paul Sartre écrivent régulièrement dans ses colonnes. Son combat en faveur de la liberté d’expression sur l’Algérie coûte très cher au journal : il est plusieurs fois saisi (doc. 2 et 3), ce qui représente de lourdes pertes financières. Entre juillet et septembre 1958, L’Express est saisi cinq fois. Ses journalistes, parce qu’ils mettent en cause la politique de l’armée, qu’ils évoquent les exactions militaires et notamment la torture, qu’ils donnent la parole au FLN, sont poursuivis (doc. 1), certains passent plusieurs nuits en prison. Le document 1 évoque les poursuites judiciaires contre Servan-Schreiber pour « atteinte au moral de l’armée », suite à la publication en feuilletons dans l’hebdomadaire de son livre-témoignage, Lieutenant en Algérie. Le tribunal militaire prononcera cependant un non-lieu. Document 4 « L’imagination au pouvoir » en mai 1968 Réponses aux questions 1. En mai 1968 est contestée l’autorité sous toutes ses formes institutionnelles : le gouvernement, l’école, la famille. 2. La presse et les intellectuels prennent part à la contestation en donnant la parole aux protagonistes du mouvement étudiant, comme Daniel Cohn-Bendit dans ce numéro du Nouvel Observateur, qui dialogue avec Jean-Paul Sartre qui est l’archétype du philosophe engagé. pages 130-131 ÉTUDE Les « événements d’Algérie » vus par la presse d’opinion Les informations sur la guerre d’Algérie, longtemps pudiquement nommée par les médias « événements d’Algérie » font l’objet pendant le conflit d’un contrôle de l’État. La censure s’applique de manière systémique sur tous les médias dès 1954, seuls les messages du gouvernement sont retransmis sur les médias publics (la radio reste monopole d’État : RTF). Dans la presse écrite, L’Express et France Observateur sont aux avant-gardes de la critique anticoloniale et subissent à plusieurs reprises la censure, voire la saisie dès 1954. Si ces titres ont joué un rôle important dans le débat sur la guerre d’Algérie, notons toutefois que l’on enregistre dès les années 1950 une baisse de la lecture de la presse : chez les jeunes (en Document 4 Les saisies vues par France Observateur (mars 1958) Fondé en 1950 par Claude Bourdet, Gilles Martinet et Roger Stéphane, tous issus de la Résistance, L’Observateur, devenu France Observateur en 1954, symbolise le journalisme engagé de la gauche non communiste, caractérisé par son anticolonialisme. Son engagement contre la torture en Algérie et en faveur de la liberté d’informer lui vaudra les mêmes déboires que L’Express : saisies, poursuites des journalistes. 83 5. La Une du Figaro, journal de droite qui soutient de Gaulle, minimise la crise en la qualifiant « d’événements dramatiques d’Alger », tandis que le quotidien communiste L’Humanité veut alarmer l’opinion publique de la gravité du « coup de force » en alertant contre le fascisme en lettres majuscules. L’Express, proche de Pierre Mendès-France, recourt à un dessin de presse : la République, incarnée par Marianne, actionne elle-même la guillotine qui va la décapiter. 6. Selon L’Express, la conséquence de la crise est la remise en cause du régime républicain. Documents 5 et 6 La crise du 13 mai 1958 présentée par Le Figaro et par L’Humanité Le 13 mai 1958, les Français d’Algérie forment un Comité de salut public, animé par les généraux Massu et Salan, pour protester contre la désignation de Pierre Pfimlin, réputé favorable à des négociations en Algérie, à la présidence du Conseil. Le Comité en appelle à de Gaulle qui, deux jours plus tard, se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Les deux quotidiens Le Figaro et L’Humanité, aux antipodes sur l’échiquier politique, font une analyse très différente de la crise politique. Le Figaro se focalise sur la situation algérienne et parle « d’événements dramatiques », occultant la remise en cause des institutions qu’implique l’arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle. À l’inverse, L’Humanité met l’accent sur le « coup de force » qui prend sa source dans la situation à Alger et fait son gros titre sur le péril fasciste, réactivant une dialectique qui prend sa source dans la crise politique de 1934. VERS LE BAC Composition Problématique : entre censure et contrôle de l’information, comment la presse peut-elle rendre compte d’une guerre sans nom ? Plan possible I. Un contrôle accru de l’État sur l’information II. Informer ou dénoncer ? Document 7 Les conséquences de la crise vues par L’Express pages 132-133 ÉTUDE La radio et la télévision au service de l’État (1958-1968) ? À la veille de l’investiture du général de Gaulle à la présidence du Conseil, la Une de L’Express utilise la symbolique républicaine. Elle illustre la position de Pierre Mendès-France dans le discours qu’il prononce pour justifier son refus de voter l’investiture à de Gaulle : « La IVe République périt de ses propres fautes. Ce régime disparaît parce qu’il n’a pas su résoudre les problèmes auxquels il était confronté ». Dès son arrivée au pouvoir en mai 1958, le général de Gaulle utilise les médias pour convaincre ses compatriotes de sa légitimité (doc. 1 et 2). Il apparaît à la télévision dès le 13 mai et il multiplie les allocutions télévisées pour sortir de la crise algérienne (doc. 3) La télévision et la radio deviennent des armes politiques pour le gouvernement gaulliste qui contrôle l’information au sein de l’ORTF. Cette mainmise du pouvoir est remise en cause en mai 1968 par les manifestants qui revendiquent la liberté des médias (doc. 4 à 7). Réponses aux questions 1. L’Express et France Observateur sont favorables à la paix en Algérie, ils condamnent la torture qui y est pratiquée et demandent le respect de la liberté de la presse, au nom de la vérité. 2. L’armée est remise en cause par ses journaux car elle pratique la torture en Algérie. 3. Plusieurs formes de censures s’opèrent contre les journaux qui critiquent la politique du gouvernement pendant la guerre d’Algérie : la saisie de numéros et la poursuite de journalistes pour « atteinte au moral de l’armée ». 4. La principale conséquence des saisies pour les journaux est une lourde perte financière, qui peut remettre en cause l’existence de ces journaux. A. LE POUVOIR GAULLIEN ET LA TÉLÉVISION Documents 1, 2 et 3 Un rapport direct avec les Français Première allocution télévisée du général de Gaulle (13 mai 1958) Les médias, relais du général de Gaulle face à la tentative de putsch Dès son retour au pouvoir en juin 1958, Charles de Gaulle utilise les médias audiovisuels comme des auxiliaires de sa politique. Il établit un contact direct avec les Français par des allocutions télédiffusées ou radiodiffusées et par des conférences 84 de presse. Le journal télévisé le montre également régulièrement au cours de ses déplacements en France et à l’étranger. Les interventions du président de la République lui permettent de construire une image que les médias audiovisuels ont pour tâche de diffuser. De Gaulle intervient notamment au moment des crises que traverse le système politique. Sa première intervention télévisée a lieu le 13 juin 1958, moins de deux semaines après son investiture au palais Bourbon. Ce premier essai est un échec, de Gaulle apparaît sur le petit écran mal à l’aise, lisant ses notes avec des lunettes. Très vite cependant, il maîtrise la rhétorique du discours télévisé : il montre sa connaissance de l’exercice audiovisuel lors de son allocution du 23 avril 1961, après la tentative de putsch des généraux en Algérie. Le président s’adresse alors directement aux téléspectateurs, en les regardant en face, en multipliant l’impératif et le couple pronominal « je/ vous ». Cette allocution, surtout transmise par la radio, est un des principaux facteurs qui a permis à la situation de se rétablir dans un calme relatif. Le thème privilégié des interventions de Charles de Gaulle pendant ses quatre premières années de pouvoir est l’Algérie : il prend la parole devant les caméras vingt fois au cours de cette période pour expliquer les virages de la politique française en Algérie. fonction du contexte international et des bouleversements sociaux que connaissait le pays depuis une vingtaine d’années. Document 5 Les relais du mouvement À partir du moment où un mouvement de grève paralyse la télévision et la presse écrite, la radio reste le seul moyen d’information. Europe 1 et RTL sont des radios périphériques car elles émettent en dehors du territoire français : au Luxembourg pour RTL (Radio Télévision Luxembourg) et dans la Sarre pour Europe 1. Ce sont des stations privées qui échappent en partie au contrôle du gouvernement français pour émettre en France. Elles retransmettent en direct et en continu le déroulement des événements. Les transistors permettent ainsi aux manifestants de suivre la progression des forces de police. Le gouvernement leur interdit l’usage des radio-téléphones, considérées comme des « radios barricades ». Document 6 Une du Nouvel Observateur (12-18 juin 1968) L’image brisée d’une allocution télévisée du général de Gaulle, accompagnée d’un titre qui fait référence aux grévistes de l’ORTF, annonce la fin de la mainmise présidentielle sur la télévision. D’abord censuré par l’ORTF, le mouvement étudiant est relayé à partir du 17 mai par les techniciens de l’ORTF qui votent la grève générale. Le 25 mai, les journalistes rejoignent la grève, alors que les stations régionales se sont mises en grève dès le 20 mai. C’est par un discours radiodiffusé que de Gaulle s’adresse aux Français le 30 mai 1968 pour annoncer qu’il ne se retirera pas et appelle à une manifestation de soutien au pouvoir. Avec son succès, la reprise en mains de l’ORTF ne tarde pas : les 200 journalistes grévistes sont licenciés. B. LES MÉDIAS FACE À LA CRISE DE MAI 1968 Document 4 Quand la France s’ennuie Pierre Viansson-Ponté publie le 15 mars 1968 un éditorial qui a pris un relief particulier après mai 1968. Il y livre une analyse de la société française en mettant l’accent sur la jeunesse. Après le baby-boom des années 1940, la jeunesse constitue près du tiers de la population française et s’est constituée comme un groupe à part entière, avec sa culture, son mode de vie et ses attentes. Le nombre d’étudiants a doublé au cours des années 1960 et de nouvelles catégories sociales accèdent à l’université. Les étudiants critiquent une société qui n’évolue pas suffisamment vite et expriment des revendications politiques et sociales de plus en plus radicales. Pierre Viansson-Ponté oppose à ces étudiants les Français qui n’ont pas profité des fruits de la croissance. L’analyse du journaliste du monde montre que la crise politique ouverte par les événements de mai 1968 était envisageable en Document 7 Pouvoirs et médias contestés Voir le dossier Histoire des Arts. Réponses aux questions 1. De Gaulle intervient au moment des crises politiques : sa première allocution télévisée a lieu le 13 juin 1958, quelques jours après son arrivée au pouvoir à la faveur de la crise algérienne. Il perçoit que la télévision est un média total, qui joint l’image et le son, et permet un rapport plus direct avec les Français. 85 2. En 1958, de Gaulle porte un costume foncé avec une cravate, il tient ses notes et porte des lunettes, ce qui montre clairement qu’il reste imprégné du modèle radiophonique. En 1961, la mise en scène est tout autre : de Gaulle porte alors son uniforme de général, il regarde les téléspectateurs dans les yeux, devant des micros plus discrets et il ne tient plus ses notes. De Gaulle s’est rendu compte de l’impact visuel de ses allocutions, qu’il soigne désormais pour faire passer ses messages. 3. Selon Pierre Viansson-Ponté, la télévision nourrit l’ennui qui menace la société française en l’anesthésiant. 4. Les médias remis en cause en mai 1968 sont essentiellement la radio et télévision car elles sont contrôlées par le gouvernement à travers l’ORTF. 5. Les radios périphériques (RTL, Europe 1) qui émettent en dehors du territoire français échappent au contrôle de l’ORTF : elles ont donc une parole plus libre à l’égard du gouvernement gaulliste. 6. Si Danièle Heyman de L’Express pense que les radios périphériques sont les relais de l’information de la contestation qui enflamme la France en mai 1968, le comité populaire de l’atelier des Beaux-Arts qui réalise des affiches de propagande pour diffuser les idées des manifestants considère tous les médias audiovisuels sur le même plan, c’est-à-dire comme des relais du pouvoir gaulliste. 7. La Une est construite à partir d’une capture d’image d’une conférence de presse du général de Gaulle, mais qui a été volontairement mal faite pour reproduire un mauvais réglage qui coupe le général de Gaulle. Le titre « Les insurgés de la Télévision » lui donne son sens, en référence à la grève des employés de l’ORTF. Le Nouvel Observateur suggère ainsi que les techniciens et journalistes s’insurgent contre la tutelle de l’État sur un média qui ne diffusait alors que la parole du gouvernement et du général de Gaulle. pages 134-135 HISTOIRE DES ARTS Mai 1968, la critique des médias s’affiche Documents 1 et 2 L’atelier populaire de l’école des Beaux-Arts Le séchage des affiche La plupart des affiches connues de mai 1968 ont été réalisées par l’atelier de l’école des Beaux-Arts, investie par les étudiants le 14 mai 1968 Les premières assemblées définissent les nouvelles orientations de l’institution : réorganiser le système éducatif, établir un lien avec les grévistes ouvriers et utiliser l’art comme un outil de propagande. Lors de l’assemblée du 14 mai, l’artiste Guy de Rougemont propose d’utiliser la sérigraphie, technique alors presqu’inconnue en France. La sérigraphie s’inspire du pochoir : elle consiste à boucher les parties que l’on ne veut pas voir imprimer d’une soie (en 1968 le nylon, moins coûteux, remplace la soie). Le tissu est tendu sur un châssis de bois et une racle sert à étaler l’encre qui traverse le tissu et se fixe aux endroits non obturés. Cette technique simple et bon marché permet de produire jusqu’à 2 000 affiches par jour. Les affiches sont élaborées collectivement ; une assemblée générale se réunit quotidiennement réunissant tous les militants et artistes. Au terme d’un débat sont choisis les projets les plus intéressants. Les projets d’affiches sont généralement faits en commun après une analyse de la situation politique et des événements de la journée ou après des discussions aux portes des usines. Les projets acceptés sont réalisés par les équipes des ateliers qui se relaient nuit et jour. Des dizaines d’équipes de colleurs, rejointes par celles des comités d’action de quartiers et de comités de grève des usines, peuvent alors couvrir les murs de Paris. Documents 3, 4 et 5 « Presse, ne pas avaler » « La police vous parle tous les soirs à 20h » « On vous intoxique ! » Les contraintes techniques de la sérigraphie conditionnent la forme : monochromes ou bichromes, les dessins sont simples et en aplats. L’image est couplée avec un slogan court et percutant. Le texte prend corps dans les formes dessinées, apparentant les affiches réalisées en 1968 au graphisme. La critique des médias est l’un des principaux thèmes diffusés dans les affiches de mai 1968. Les VERS LE BAC Composition Plan possible I. Des médias qui se diversifient II. Des médias sous contrôle… III. … rajeunis par la crise de mai 68 86 manifestants remettent en cause la mainmise gouvernementale sur l’ORTF, dont le conseil d’administration est nommé par le gouvernement. La censure des informations lors des événements donne lieu à des affiches qui critiquent explicitement l’influence du président de la République Charles de Gaulle. Les affiches « Presse, ne pas avaler » et « On vous intoxique » établissent un lien entre ces médias sous influence et l’encadrement des esprits et elles invitent les Français à se méfier des médias comme d’un poison qui peut les contaminer et les transformer en moutons. 7. Ce sont des affiches de propagande qui elles servent à diffuser les mots d’ordre et les idées des manifestants. 8. Les affiches sont collées sur les murs de la ville, particulièrement sur les bâtiments où se concentrent les étudiants comme les facultés. 9. Une « affiche de propagande » a pour finalité de délivrer un message politique. Elle présente un message simple et facile à comprendre par le plus grand nombre. Le message des affiches réalisées par l’atelier populaire des Beaux-Arts est simple, voire caricatural, pour accentuer le message. Réponses aux questions 1. Les affiches ont été réalisées par l’atelier populaire de l’école des Beaux-Arts de Paris, composé d’étudiants aidés par de jeunes artistes comme Rancillac, Aillaud, Arroyo, Biras, Buraglio, Fromanger et Tisserand qui appartiennent au mouvement de la figuration narrative. 2. Le thème commun de ces trois affiches est la critique des médias au service de la propagande gouvernementale. 3. La première affiche représente un flacon sur lequel est inscrit à la manière d’une étiquette le slogan « presse, ne pas avaler ». La presse est donc assimilée à un poison qui intoxique l’esprit des lecteurs. La deuxième affiche dénonce la répression policière qui est justifiée tous les soirs au journal télévisé de 20 heures. Un policier portant casque, lunettes et fusil s’exprime au micro de l’ORTF à la place d’un journaliste. La dernière affiche représente une silhouette d’homme de profil à quatre pattes, tel un animal. Son corps est découpé à la manière d’une représentation d’un tableau qui décrit les morceaux consommables d’un animal de boucherie. Trois termes reviennent de manière récurrente : radio, télévision, mouton. Les manifestants considèrent donc que les Français qui écoutent la radio et la télévision sont amenés à se conduire comme des moutons. 4. Le slogan s’inscrit dans l’image et en constitue un élément visuel. Il s’agit d’un art graphique. 5. Ces affiches sont facilement reproductibles car elles sont monochromes et les traits des dessins sont simplifiés. 6. Les affiches ne sont pas signées car le comité de grève de l’école des Beaux-Arts veut remettre en cause « l’art individualiste et bourgeois » et favoriser les pratiques de création collective. pages 136-137 LEÇON 4 L’avènement de la société de communication Si la France n’a pas connu de crise politique majeure depuis 1968, le paysage médiatique a cependant été bouleversé au cours de cette période récente avec la libéralisation des médias et l’irruption d’internet au début des années 1990 (doc. 1). Les sondages se sont multipliés pour mesurer l’opinion publique (doc. 2). Les différents médias fusionnent dans de grands groupes multimédias et la communication tend à supplanter l’information (doc. 4). Document 1 Les réformes de l’audiovisuel dans les années 1980 Dans un entretien publié dans Le Monde le 10 mai 2011, l’historien des médias et ancien président de Radio France, Jean-Noël Jeanneney, revient sur les réformes de l’audiovisuel engagées dans les années 1980. L’auteur rappelle que la libéralisation de l’audiovisuel prend sa source dans les revendications de mai 1968. Après une première ébauche de libéralisation en 1968-69 sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, le service public national de radiodiffusion-télévision est déclaré monopole d’État en 1972. En 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, il est éclatée en sept sociétés indépendantes : quatre sociétés nationales de programme (TF1, A2, FR3, Radio France), un établissement public de diffusion (Télédiffusion de France, TDF), une société de production (SFP) et un Institut national de l’audiovisuel (INA). Même si elle instaure les principes de concurrence entre les chaînes, la loi maintient le monopole d’État. Il faut donc attendre l’élection du socialiste François 87 Mitterrand pour que soit mis un terme au monopole d’État. La loi de 1982 crée en même temps la Haute autorité qui accorde les autorisations d’exploitation des stations de radio et de télévision, nomme les présidents des chaînes publiques, établit le cahier des charges et veille aux règles de concurrence. En 1985, la libéralisation franchit encore un pas avec la loi sur les télévisions privées. Le retour de la droite au pouvoir accompagne la loi sur la liberté de communication, qui entérine la privatisation de TF1. Comme le rappelle Jean-Noël Jeannerey, le recul de l’influence de l’État pose la question de l’influence du pouvoir économique, via la publicité. de Sartre par Serge July. Sous sa direction, un nouveau Libération reparaît le 13 mai 1981, trois jours après l’élection de François Mitterrand. Tout en gardant un ton original sur les questions de société, la nouvelle formule soutient désormais la gauche modérée. La Une de Libération réalisée quelques heures après l’annonce du candidat du Front national qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle de 2002 par une rédaction sous le choc. Les trois immenses majuscules du « non » viennent barrer la Une et écrasent le front de Jean-Marie Le Pen, dont la photo de profil rappelle certaines représentations de Mussolini. Libération établit avec ce numéro son record historique de ventes. Pendant les quinze jours qui précèdent le second tour, cette page de journal se transforma en affiche, brandie par des milliers de manifestants et collée sur les murs. Le refus de l’extrême droite affiché par le journal est en même temps un appel à faire du second tour un vote référendaire en faveur des valeurs républicaines. Cette Une sera suivie de deux autres sur le même registre, celle du samedi 4 mai, avec un « oui » majuscule qui incite à mettre dans l’urne le bulletin de vote en faveur de Chirac, et celle du lundi 6 mai avec un « ouf » majuscule et Le Pen de dos, en train de s’éloigner. Pour Libération, la crise politique ouverte le 21 avril est achevée. Document 2 Avril 2002, les limites des sondages Lors du premier tour des élections présidentielles, le dernier sondage publié par l’institut B.V.A., effectué sur 1 000 électeurs le vendredi 19 avril 2002, prévoyait la présence de Lionel Jospin (le candidat socialiste) au second tour. La surprise a été grande le dimanche 21 avril 2002 au vu des résultats, puisque Jean-Marie Le Pen (Front national) figurait au second tour. Les sondages ne sont donc pas un reflet fidèle de l’opinion publique, mais ils peuvent l’influencer : le succès des petits candidats au détriment du candidat socialiste et le record d’abstention de l’élection du 21 avril 2002 ont-ils un lien avec des sondages rassurants pour l’électorat de gauche ? Document 4 « Médias en crise » Ignacio Ramonet est directeur du Monde diplomatique lorsqu’il publie cet éditorial. Ce mensuel d’information et d’opinion, créé en 1954 comme un supplément du Monde dont il dépend, est devenu progressivement indépendant de la ligne éditoriale du quotidien. Les prises de position du journal contre le néo-libéralisme sont perceptibles dans cette analyse de la crise médiatique par Ignacio Ramonet. Réponse aux questions 1. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 diffèrent du sondage réalisé deux jours auparavant sur le nom du deuxième candidat qui recueille le plus de suffrages : si Lionel Jospin l’emportait dans les sondages, c’est Jean-Marie Le Pen qui l’emporte le dimanche 21 avril 2002. 2. Cette différence s’explique par l’importance du nombre d’indécis et de ceux qui changent d’avis dans les dernières heures qui précèdent le scrutin. De plus, le sondage est réalisé à partir d’un échantillon de la population, alors que s’expriment le jour de l’élection tous les citoyens qui se rendent aux urnes. Réponse aux questions 1. Les principaux signes de la crise de la presse écrite sont la baisse de sa diffusion et sa prise de contrôle par un petit nombre de groupes industriels. 2. Les causes de cette crise sont la concurrence des quotidiens gratuits et l’expansion d’internet. 3. Les dérives du journalisme dénoncées par l’auteur sont le triomphe d’un journalisme de spéculation et de spectacle au détriment du journalisme d’information, et la domination d’un journalisme de complaisance à l’égard de tous les pouvoirs, contre le journalisme critique. Document 3 La presse d’opinion face au 21 avril 2002 Le quotidien Libération a été fondé en 1973 par des militants maoïstes et dirigé par Jean-Paul Sartre. Des crises internes provoquent, dès 1974, le remplacement 88 page 138 VERS LE BAC 4. La télévision est contrôlée par l’État dans le cadre de l’ORTF. 5. La jeunesse étudiante a lancé le mouvement de mai 1968. 6. Cette formule signifie le refus de la jeunesse de respecter l’autorité du gouvernement gaulliste. Elle invite l’ensemble de la population à suivre cet exemple de désobéissance sur un ton humoristique. 7. Les manifestants de mai 1968 rejettent l’autoritarisme et demandent l’arrêt des répressions policières contre les étudiants. Ils critiquent également la société de consommation. Étude critique de document(s) Réponses aux questions 1. L’affaire Dreyfus est d’abord un procès d’espionnage et un fait divers judiciaire : en décembre 1894, Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française, est accusé de trahison en faveur de l’Allemagne et condamné à la prison à perpétuité. La presse se saisit de l’affaire, qui se transforme en affaire politique qui divise la population en dreyfusards et antidreyfusards. Dreyfus est amnistié en 1900 et réhabilité en 1906. 2. Zola publie en janvier 1898 « J’accuse », une lettre ouverte au Président de la République à la Une de L’Aurore. 3. C’est Dreyfus qui doit être lié au poteau car il est considéré comme coupable par le dessinateur Caran d’Ache. 4. Psst.. ! requiert la peine capitale car il accuse Dreyfus de trahison en faveur de l’Allemagne. 5. La femme symbolise la vérité. 6. Elle a été assassinée par l’armée (le glaive) car cette institution a condamné Dreyfus et innocenté le véritable coupable Esterhazy. 7. Il s’agit de la révision du procès de Dreyfus réclamée par ses partisans. Elle est en marche en septembre 1898, à la demande du nouveau ministre de la Guerre, Cavaignac, qui a fait procéder à l’arrestation du lieutenant-colonel Henry. Ce dernier s’est suicidé dans sa cellule, ce qui nourrit la haine des antidreyfusards. 8. Les antidreyfusards considèrent que Dreyfus est un traître au service de l’Allemagne. 9. Les dreyfusards considèrent que la vérité a été sacrifiée au nom de la raison d’État, pour protéger l’armée. 10. Ils réclament la révision du procès de Dreyfus et sa réhabilitation. page 139 pages 140-141 VERS LE BAC Composition Réponses aux questions 1. Dans les moments de crise politique, c’està-dire des périodes de forte contestation de la politique menée par le gouvernement en place, la question du rôle des médias s’exacerbe : quelle part ont-ils pris dans le déclenchement de la crise ? Sont-ils de simples témoins des événements, informant la population de la situation, ou participent-ils au contraire à la déstabilisation du pouvoir politique remis en cause ? 2. 1934 : affaire Stavisky, un scandale politicofinancier qui nourrit les attaques des ligues d’extrême droite contre le régime parlementaire, manifestation très violente le 6 février qui entraîne la démission du gouvernement Daladier. 1940 : débâcle et défaite de la France face à l’Allemagne en juin 1940, mise en place du régime de Vichy (juillet 1940) et appel à la résistance lancé de Londres par Charles de Gaulle le 18 juin 1940. 1958 : retour au pouvoir le 13 mai de Charles de Gaulle à la faveur de la crise ouverte par la guerre d’Algérie, mort de la IVe République 1968 : contestation étudiante qui débouche sur une crise sociale et politique de grande ampleur, remise en cause du pouvoir gaulliste. 3. Proposition de plan I. Le rôle moteur des journaux dans la crise politique de février 1934 1. Un climat de violence entretenu par la presse VERS LE BAC Étude critique de document(s) Réponses aux questions 1. Le document est un dessin satirique. 2. Le titre du journal, L’Enragé, nous suggère que ce journal est lié au mouvement contestataire de mai 1968. 3. Charles de Gaulle est le président de la République en 1968. 89 pluralisme sont des principes fondamentaux de la République française. Dans les moments de crise politique, c’est-à-dire des périodes de forte contestation de la politique menée par le gouvernement en place, la question du rôle des médias s’exacerbe pourtant : quelle part ont-ils pris dans le déclenchement de la crise ? Sont-ils de simples témoins des événements, informant la population de la situation, ou participentils au contraire à la déstabilisation du pouvoir politique remis en cause ? Quelles relations entretiennent-ils avec le pouvoir politique ? Il s’agit de comprendre quel rôle jouent les médias dans les crises politiques qui de février 1934 à mai 1968 ont secoué la République à plusieurs reprises au cours du XXe siècle. Après avoir étudié le rôle moteur des journaux d’une extrême droite antiparlementariste dans le déclenchement de la crise politique de février 1934, nous montrerons comme la presse intervient dans le débat public qui aboutit à la mort de la IVe République et à l’ébranlement en mai 1968 de la Ve République. Enfin, nous évoquerons la tutelle de l’État sur les médias audiovisuels, de plus en plus contestée dans la seconde moitié du XXe siècle. 2. Une violente manifestation qui se transforme en crise politique dont la presse se fait écho II. L’instrumentalisation des médias durant la débâcle et la Seconde Guerre mondiale 1. La radio, seule source d’information au moment de la défaite, sous contrôle de l’État 2. La « guerre des ondes » : la radio comme instrument de propagande III. Des médias entre contrôle et indépendance durant les crises de 1958 et 1968 1. Le succès d’un journalisme engagé contre la guerre d’Algérie 2. Un contrôle étroit de l’information audiovisuelle par l’État 3. La liberté des médias : une revendication en mai 1968 4. À la fin du XIXe siècle, l’affaire Dreyfus atteste du rôle croissant de la presse écrite dans la société française. Au cours du XXe siècle, de nouveaux médias apparaissent et « le 4e pouvoir » se renforce. Les journaux, concurrencés et relayés par la radio à partir des années 1930 et la télévision à partir des années 1960, participent à la formation de l’opinion publique. La liberté de presse et le 90 CHAPITRE 5 Religion et société aux États-Unis depuis les années 1890 Conformément au programme, ce chapitre vise à présenter les relations qui existent entre les religions et la société aux États-Unis. Si les États-Unis restent un pays profondément marqué par la culture protestante, on a assisté depuis le XIXe siècle à une diversification du paysage religieux, qui s’explique à la fois par les phénomènes de Réveils qui ont entraîné une fragmentation du protestantisme et l’apparition de cultes indigènes (Mormons, Témoins de Jéhovah), et par l’immigration, qui a importé en Amérique le catholicisme, le judaïsme, l’islam et, depuis les années 1960, un grand nombre de cultes orientaux (leçon 1, études 1, 2 et 3). Pays profondément religieux où la population présente encore un haut niveau de pratique, les États-Unis offrent l’exemple d’une laïcité originale qui, loin de proscrire la religion de l’espace public, se contente de n’en privilégier aucune, tout en assurant à chacune l’égalité de traitement et la liberté de se diffuser. De là découle une double dynamique visible tout au long du XXe siècle : d’une part, une tentation des Églises conservatrices d’imposer leur morale à l’ensemble de la société, d’autre part, un phénomène de laïcisation progressive de la société propre à tous les pays développés (leçon 2, études 3 et 4). Face à un ensemble de croyances toujours plus nombreuses et éclectiques, le corps social et le corps politique se retrouvent dans le culte commun de valeurs, de symboles et de rites qui fondent la religion civile américaine, ciment de la nation, régulièrement réactivée pour affirmer l’identité américaine (leçon 3, études 5 et 6). pages 144-145 OUVERTURE DE CHAPITRE lités marquées par une forte volonté d’application des principes démocratiques au gouvernement de l’Église : le congrégationalisme (chaque communauté constitue une Église indépendante des autres sous la direction de son pasteur) et le presbytérianisme (une Église organisée sous forme de conseils locaux ou consistoires, provinciaux et nationaux ou synodes, conseils comprenant des laïcs et des ministres du culte égaux entre eux). Très tôt se manifeste au sein du protestantisme un double processus. D’une part, des Réveils religieux (en 1730-1740, puis en 1750-1775), périodes de ferveur religieuse intense qui se manifeste par des rassemblements de masse sous l’égide de prédicateurs itinérants mettant l’accent sur l’émotionnel. D’autre part, un processus de fragmentation du protestantisme du fait que les uns sont favorables et les autres hostiles au Réveil, qui d’une manière général remet en cause les communautés et les Églises traditionnelles. Combiné à d’autres dynamiques (interprétation par chacun de la Bible pour y trouver les voies de son propre Salut), cela conduit à la multiplication de sectes. Tocqueville est frappé par cette grande diversité religieuse, mais aussi par « l’empire paisible que la religion exerce sur [le] pays ». Cette pacification des rapports entre les différentes religions s’explique selon lui par la séparation de l’Église et de l’État, qui est au fondement de la constitution américaine. La confrontation des deux images permet de définir le modèle laïc américain : liberté de conscience et large offre religieuse qui font des États-Unis le « paradis » des religions. La vitrine (doc. 1) propose tout un bric-à-brac religieux allant de la Pietà à l’étoile de David, en passant par une statue du Bouddha ou une image du Christ souffrant. Autant d’objets qui voisinent avec des éléments beaucoup plus profanes (Mickey Mouse, chiens en porcelaine, etc.). Si le passage d’une Église à l’autre est une pratique courante aux États-Unis, le respect de la religion civile, qui cimente la société américaine, est sacré (doc. 2). La devise « Dieu bénisse l’Amérique », modifiée en 1956 mais présente sur la monnaie américaine depuis la fin du XIXe siècle, répétée à l’envi sur les pancartes à l’entrée des villes, les plaques minéralogiques des voitures ou les vêtements, est constitutive de l’identité du pays. pages 146-147 INTRODUCTION En 1620, un premier groupe de puritains débarque en Amérique : ce sont les Pilgrim fathers du Mayflower. Ils sont rejoints en 1629 par un second groupe puritain dirigé par J. Winthrope qui s’installe au Massachusetts. Entre 1630 et 1643, 20 000 personnes arrivent sous la direction de leurs pasteurs. Les puritains s’organisent selon deux moda91 Les Noirs, esclaves ou affranchis, christianisés dans leur grande majorité, font de la religion un instrument de libération. Dans les plantations, des soirées de prières et de sermons sont organisées sous la tutelle des premiers membres du clergé noir. À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, il faut compter avec la christianisation des esclaves noirs. Les Noirs sont surtout évangélisés par les Baptistes et les Méthodistes qui dénoncent l’esclavage. De là découlent des Églises Africaines-Américaines, baptistes au sud et méthodistes au nord, devenues rapidement le principal cadre d’organisation, non seulement religieuse, mais aussi sociale, des communautés noires. Les révoltes noires sont le plus souvent dirigées par des prédicateurs qui identifient les Noirs au peuple d’Israël frappé par l’Exode. Pour eux, l’Amérique n’est pas la Terre promise mais l’équivalent de l’Égypte pour les Juifs. À partir de 1845, les principales Églises se fracturent sur la question de l’esclavage. Au nord, les Églises sont abolitionnistes alors qu’au sud, elles défendent l’esclavage. Baptistes et Méthodistes se divisent ainsi, les premiers en 1845 et les seconds en 1861. Ces premières Églises noires donneront au monde noir ses premières structures après la fin de la guerre de Sécession. pages 148-149 nombre de personnes n’appartenant pas à une religion spécifique (21 %), et le plus grand nombre d’athées et d’agnostiques. pages 150-151 LEÇON 1 Une mosaïque religieuse La diversité religieuse (doc. 3 et 4) aux États-Unis, pays de culture protestante (doc 1), s’explique par de nombreux facteurs, dont l’immigration. Elle est aussi de reflet de la protection que la constitution accorde à la liberté de religion. Document 1 L’offre religieuse aux États-Unis Les États-Unis se caractérisent par un niveau exceptionnellement élevé d’affiliation et de pratique religieuse. Au-delà de la fragmentation des protestantismes, conséquence directe de l’idée selon laquelle chacun peut trouver les voies de son propre salut grâce à la lecture de la Bible, et du refus de reconnaître une Église qui détiendrait le monopole de l’interprétation des textes sacrés, il existe un « ethos évangélique » commun qui fonde une communauté soudée par un christianisme protestant. Le protestantisme insiste sur l’autonomie morale et spirituelle de l’individu. La religion est un rapport individuel entre l’homme et son Créateur. L’individu peut trouver seul la voie de son salut, d’où l’idée essentielle d’autonomie morale et politique. Selon l’enquête menée au milieu de 2007, plus d’un quart des Américains ont abandonné la religion dans laquelle ils avaient été élevés pour en choisir une autre – ou aucune. Et encore ces chiffres ne tiennent-ils pas compte des protestants qui passent d’un type de protestantisme à un autre. CARTE La religion et la société aux États-Unis Chaque région présente un modèle distinct d’affiliations religieuses. Le Midwest, le centre du pays, ressemble le plus au modèle national : environ un quart (26 %) des habitants sont membres d’Églises protestantes évangéliques, un habitant sur 5 (22 %) est membre d’une église protestante traditionnelle, près d’un sur quatre (24 %) est catholique, et 16 % des habitants n’appartiennent à aucune église précise. Ces proportions sont presque identiques à celles de l’ensemble de la population. On trouve plus de catholiques dans le Nord-Est (37 %) que dans les autres régions, et c’est là aussi que l’on trouve le plus faible pourcentage (13 %) de personnes affiliées aux églises protestantes évangéliques. La région compte également plus de juifs (4 %) que les autres. Par contraste, une bonne moitié des membres des Églises évangéliques vit dans le Sud, contre seulement 10 % dans le Nord-Est et 17 % dans l’Ouest. La grande majorité (76 %) des mormons vit dans l’Ouest, et c’est dans l’Utah que l’on trouve leur plus forte concentration. L’Ouest est également la région où l’on trouve le plus grand Réponses aux questions 1. Le protestantisme, religion majoritaire, est au fondement de la culture américaine. 2. La religion protestante privilégie une relation personnelle et directe du chrétien avec Dieu ainsi qu’une lecture autonome du texte sacré, la Bible. Ce sont les interprétations différentes de la Bible qui ont entraîné la multiplication des sectes protestantes. 3. Wichita propose un nombre très important de lieux de culte, correspondant chacun à une obédience protestante (baptistes, méthodistes, luthériens, etc.). On y trouve également des églises catholiques, des synagogues ainsi que des établissements sectaires. 92 Roth ou encore le cinéaste Woody Allen. On doit également rappeler que la société américaine n’est pas exempte de poussées antisémites (Henry Ford, l’éditeur du Protocole des Sages de Sion dans les années 1930, ou certains mouvements noirs dans les années 1960). 4. Ce pluralisme traduit à la fois le très haut niveau de pratique religieuse et l’accent mis sur la liberté de culte au sein de la société américaine. Document 2 Jésus, les raisons d’un succès The Man Nobody Knows est un best-seller des années 1920. Son auteur, le publicitaire Bruce Barton (1886-1967), a écrit de nombreux ouvrages sur le thème de la réussite personnelle. The Man Nobody Knows fait de Jésus l’inventeur de la publicité et le prototype de l’homme d’affaires. Document 4 Un islam minoritaire D’après l’enquête sur les musulmans aux États-Unis menée en arabe, en urdu, en farsi et en anglais par le Pew Research Center en 2007, les musulmans représentent 0,7 % de la population adulte. Près de deux tiers d’entre eux sont des immigrants. Les musulmans sont aussi le groupe le plus divers : plus d’un sur trois est blanc, un sur quatre est noir, un sur cinq est asiatique. Réponse à la question Dans la culture protestante, la réussite est interprétée comme le signe que l’individu a été choisi par Dieu. Chacun est donc amené à rechercher dans ses succès les signes de la prédestination. Comme l’écrit Barton, « le succès est toujours passionnant » et, surtout, chacun peut y aspirer. Le meilleur exemple en est Jésus lui-même : sorti de rien (« pauvre garçon »), il est parvenu à faire de sa vie un exemple et une réussite. Comment y parvient-il ? Grâce à ses capacités personnelles, plus humaines que divines : charisme, croyance en son pouvoir de persuasion, connaissance aiguë des hommes, patience, énergie. Autant de qualités qui font de lui un leader, c’est-à-dire un meneur d’hommes. pages 152-153 ÉTUDE Les visages du protestantisme américain Le protestantisme est la branche dominante du christianisme aux États-Unis, mais il est divisé en plusieurs dizaines de dénominations différentes, chacune ayant son histoire, ses croyances et ses pratiques. De plus, la domination protestante a quelque peu décliné ces dernières années et, selon une enquête récente du Pew Forum on Religion and Public Life, les États-Unis seraient en passe de devenir, pour la première fois de leur histoire, un pays à minorité protestante. En effet, à peine 51 % des Américains se disent membres d’une Église protestante, alors qu’ils étaient plus de 60 % dans les années 1970 et 1980. Document 3 Le judaïsme, une identité culturelle et religieuse Arrivés en masse d’Europe de l’Est pour fuir les persécutions, les Juifs passent de quelques milliers en 1890 à 3 millions en 1920. Ils se divisent entre une tendance réformée, qui appelle à une adaptation de la loi juive aux habitudes culturelles américaines, et une communauté orthodoxe, qui défend une position traditionaliste et ritualiste. Dans les années 1920, une voie médiane se développe : le judaïsme conservateur. Après 1945, l’arrivée de millions de réfugiés rescapés de la guerre alimente les tendances sionistes. Le maintien des pratiques est dorénavant surtout d’ordre social et culturel (traditions, langue). Il est indéniable que le judaïsme a marqué de son empreinte la culture américaine. On peut à cette occasion évoquer la personnalité d’Isaac Bashevis Singer (1902-1991), écrivain polonais naturalisé américain qui a écrit une grande partie de son œuvre en yiddish et reçut le prix Nobel de littérature en 1978, le romancier Philip Document 1 Fermiers puritains devant leur demeure de style gothique Le protestantisme sous sa forme calviniste puritaine a profondément marqué le système de valeur de la société américaine. La mémoire collective américaine est toujours imprégnée par ce que l’on a appelé les mythes fondateurs des États-Unis, mythes qui s’inscrivent dans une idéologie religieuse. Les premiers colons aspiraient tous à un même idéal. Et même si le protestantisme éclate en une multitude de congrégations après quelques années, cela ne les empêche pas de se considérer globalement comme le nouveau « peuple élu », envoyé dans une terre promise et destiné à jouer un rôle salvateur. L’idéologie de ces puritains qui fuyaient la vieille Europe décadente a joué un rôle primordial dans 93 les fidèles, seuls face à leur conscience, recherchent des signes de l’élection dans « un ascétisme dans le monde » consistant en une réglementation stricte des conduites individuelles combinée à un investissement professionnel total. D’où la dénonciation de l’avidité, de la jouissance liée à la possession et de la consommation, de la luxure, voire du plaisir, et au contraire la bénédiction divine à l’aspiration au gain, l’encouragement à l’honnêteté et l’apologie du travail. Tout cela incite à la « formation du capital par l’épargne forcée de l’ascèse » (Max Weber) et à la vie bourgeoise. La réussite matérielle est signe d’élection divine, ce qui légitime cette réussite et pousse chacun à entreprendre pour vérifier son élection, mais elle n’est pas exaltée pour elle-même. C’est cet esprit puritain, marqué par le labeur et l’austérité, qui ressort de cette œuvre de Grant Wood, peinte en 1930 : un paysan en salopette de travail, fourche à la main, et sa fille célibataire, en vêtements sombres couverts d’un tablier, posent devant leur maison de style néogothique. Mise modeste, mines fermées, pose hiératique, ils sont représentés en position frontale selon un mode rappelant la peinture flamande de la fin du Moyen Âge. Ce couple censé représenter l’Amérique profonde en reproduit aussi les hiérarchies : l’autorité incarnée par le père est ici symbolisée par la position de la jeune femme, en léger retrait. la genèse et le développement de « l’esprit américain » et constitue une pièce majeure de l’héritage culturel américain. Le puritanisme est une sorte de philosophie, de code de valeurs importé en Nouvelle Angleterre par les premiers colons au début du XVIIe siècle, devenu l’un des facteurs permanents de la vie et de la pensée américaine. Son influence sur la société a été prépondérante, marquant de son empreinte la civilisation américaine dans ses aspirations les plus profondes. – D’abord, par sa rigidité intolérante qui resurgit périodiquement dans la vie politique et sociale américaine, cf. l’affaire A. Hutchison (jugée, condamnée et expulsée par les puritains du Massachusetts en 1634), l’affaire R. Williams (expulsé lui aussi du Massachusetts en 1635 et fondateur du baptisme dans le Rhode Island), ou encore l’affaire des sorcières de Salem. Il y a toute une dimension intolérante et coercitive dans le puritanisme de NouvelleAngleterre. C’est seulement à la fin du XVIIe siècle que la tolérance religieuse s’impose peu à peu. – Ensuite, par le rôle décisif des puritains dans le développement d’un mode d’organisation politique « démocratique ». Fidèles à leur croyance, les premiers puritains sont congrégationalistes. Ils s’organisent en communautés religieuses, avec à leur tête un pasteur qui ne dépend d’aucune autorité ecclésiale. L’église, centre de la vie politique et sociale, rassemble des membres qui jouissent des droits de citoyen. D’où la constitution d’Églises indépendantes et démocratiquement gérées par les pasteurs et les anciens au sein d’Assemblées locales (consistoires) provinciales et nationales (synodes). – Enfin, par l’émergence d’un nationalisme enraciné dans une culture religieuse. Les puritains ont profondément marqué l’éthique sociale. La doctrine de la prédestination affirme que Dieu a toute autorité et que le croyant dépend totalement de sa grâce. Sa grâce est gratuite, c’est-àdire sans aucun lien avec les mérites du croyant. On ne saurait donc acquérir le salut par des pénitences ou par l’absolution. C’est un décret souverain de Dieu, toujours équitable puisque, de toute manière, tous les hommes sont toujours tous pêcheurs. Cette doctrine incite à l’action car en cas de succès, chacun peut légitimement penser que Dieu est à ses côtés et qu’il sera sauvé. La doctrine calviniste de la prédestination crée une pression liée à l’incertitude de l’état de grâce qu’elle installe sans prévoir, à l’inverse du catholicisme, de dispositifs compensateurs (pénitence, pardon). Cette pression explique que Document 2 Un courant fondamentaliste John G. Nachen (1881-1937) est un théologien presbytérien hostile à l’évolution libérale de son Église. Un voyage d’études en Allemagne (1905) et sa rencontre avec des théologiens modernistes le confirment dans son attachement à une religion conservatrice. À partir de 1906, il enseigne le Nouveau Testament au séminaire de Princeton. En 1933, il fonde l’Église Presbytérienne orthodoxe. Un grand nombre de ses ouvrages, dont La Foi chrétienne dans un monde moderne paru en 1936, traite des rapports du chrétien avec la modernité. Dans cet extrait, il défend l’autorité des Écritures en toute chose selon « la doctrine de l’inspiration divine ». À sa mort en 1937, un journaliste de Baltimore intitule la nécrologie qu’il lui consacre « Dr Fondamentaliste ». Le terme « fondamentaliste » a été utilisé pour la première fois en 1920 par un journaliste baptiste du Watchman-Examiner s’inspirant d’une série de petits ouvrages publiés entre 1910 et 1915 94 sous l’impulsion de L. et M. Stewart et intitulés The Fundamentals : A Testimony to the Truth. Le mouvement fondamentaliste s’est ensuite fait connaître du public américain lors du procès Scopes (voir étude p. 160-161). Les fondamentalistes insistent sur l’autorité absolue de la Bible, l’inerrance de ses textes et sur le rejet de toute interprétation. Les plus radicaux quittent les grandes dénominations classiques et s’organisent en communautés totales avec écoles, associations, instituts bibliques, universités « non polluées par le savoir moderne ». Ils utilisent très tôt la radio pour propager leurs thèses. Le programme politique des fondamentalistes est théocratique : il vise à édifier une société régie par les préceptes chrétiens. Cette radicalité est à l’origine de leur déclin à partir des années 1930 : leur obscurantisme et leur anti-intellectualisme, attestés par le procès Scopes (p. 160), affaiblissent le courant au profit des évangéliques. Document 5 Le revivalisme des « born again » Document 6 La vision du monde des évangéliques Le mouvement évangélique, tel qu’il émerge aux États-Unis dans les années 1940, s’est construit en réaction face aux chrétiens fondamentalistes qu’ils considèrent comme réactionnaires, voire moralistes et anti-intellectuels. La première utilisation du terme évangélique dans son sens américain moderne correspond à la création aux États-Unis de la National Association of Evangelicals en 1942. D’après le théologien évangélique britannique Alister McGrath, dans son ouvrage Evangelicalism and the Future of Christianity, les protestants évangéliques se basent sur « un noyau de six convictions dominantes, chacune perçue comme véritable, d’importance vitale et ancrées dans les Écritures » qui sont : « 1. l’autorité suprême des Écritures comme source de connaissance de Dieu et un guide pour une vie chrétienne, 2. la Majesté de Jésus-Christ, en tant qu’incarnation de Dieu et en tant que Sauveur des pécheurs, 3. la Gloire de l’Esprit Saint, 4. la nécessité de la conversion personnelle, 5. la priorité de l’évangélisation pour les Chrétiens individuellement et pour l’Église en général, 6. l’importance de la communauté chrétienne (l’Église) pour atteindre la maturité spirituelle, la fraternité et le développement. » Les campagnes des évangéliques de Youth for Christ commencent durant la Seconde Guerre mondiale à l’instigation de Jack Wyrtzen et du pasteur baptiste Torrey Johnson. C’est dans ce cadre que Billy Graham (voir étude p. 166-167) a commencé sa carrière de prédicateur, avant de créer sa propre association évangélique. L’essor des Évangéliques date des années 1970 : les télévangélistes chassent les Mainline Churches des ondes et bâtissent une « Église électronique ». Aujourd’hui, les évangéliques, qui comptent 26 % de la population américaine, se regroupent dans les dénominations suivantes : Southern Baptists, independent Baptists, Assemblies of God, Lutheran Church Missouri Synod, Church of Christ, Presbyterian Church in America, black Protestants, African Methodist Episcopal, African Methodist Episcopal Zion, National Baptist Church, National Progressive Baptist Church, Churches of God in Christ, ainsi que les dénominations pentecôtistes. Au-delà d’une grande diversité de pratiques, tous sont attachés à la Bible, interprétée plus ou moins littéralement, tous insistent sur la conversion émotionnelle (new birth ou born again), tous montrent Document 3 L’essor des Églises afro-américaines À partir de 1865, l’essor le plus spectaculaire revient aux Églises noires, dont les ministres assurent de nombreuses fonctions au sein de la communauté. Baptistes et méthodistes sont majoritaires. La ségrégation reste de règle, localement et nationalement, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Document 4 Un courant moderniste et libéral The National Council of Churches, né du Federal Council of Churches créé en 1908, est une communauté réunissant trente-sept Églises chrétiennes œcuméniques. Il englobe de nombreuses Mainline Churches qui se ressemblent à la fois par leur taille, leur organisation, leur implantation (le Nord), leur recrutement (anglo-américain et de classe moyenne) et leur libéralisme. Depuis les années 1950, elles ont cherché à s’adapter à l’évolution des mœurs et à participer à la réforme de la société : appel à l’action des laïcs, ordination des femmes, ouverture aux Noirs. Ces Églises libérales ont largement participé au combat pour les droits civiques dans les années 1960. Par ailleurs, comme on le voit dans le texte, elles cultivent l’œcuménisme. Étant elles-mêmes l’aboutissement de réunions multiples, elles ont contribué à la collaboration des Églises au niveau national et international. Elles ont notamment poussé au rapprochement avec les catholiques. Depuis les années 1970, le protestantisme libéral voit ses effectifs diminuer. 95 une grande indifférence à la théologie et aux rites et un conservatisme affirmé quant aux mœurs et aux pratiques sociales. Si le sud et les régions rurales restent leurs bastions, les évangéliques ont réussi une expansion géographique et sociale fon- dée sur la peur devant un monde instable et en mutation, offrant des explications et des règles simples, traditionnelles, pour faire face aux grands problèmes du moment, une foi chaude et rassurante mais peu exigeante surtout intellectuellement. Document 7 La Bible Belt La « ceinture de la Bible » – terme forgé par un journaliste au début des années 1920 – englobe les États du sud-est des États-Unis. Ces régions regroupent des protestants rigoristes, ayant un haut niveau de pratique religieuse (voir carte p. 148-149). Le sud est un bastion traditionaliste avec une culture populaire qui n’a guère été pénétrée par la contre-culture des années 1960, et des écoles restées durablement moins laïcisées qu’ailleurs. Malgré l’interdiction de la lecture de la Bible et de la prière dans les écoles publiques par la Cour suprême en 1962 et 1963, beaucoup de conseils scolaires locaux ont maintenu les anciennes pratiques. La religion conservatrice est l’un des éléments identitaires du sud. C’est ce qu’illustre cette photographie prise à l’entrée d’une ville de l’Ohio, sur laquelle on peut lire les dix commandements. Réponses à la question Acteurs Caractéristiques Doc. 1 Églises puritaines blanches, présentes aussi bien dans les villes que parmi les fermiers Puritanisme hérité des premiers colons Doc. 2 Églises fondamentalistes Lecture littérale de la Bible Doc. 3 Églises noires, notamment baptistes Valeurs/idées défendues Travail, austérité du mode de vie et des mœurs Refus de la modernité Religiosité Doc. 4 Églises libérales (mainline churches) Puissante congrégation de plusieurs centaines d’Églises Doc. 5 Églises évangéliques Born again : nouvelle naissance en Autorité des Écritures, respect religion (relation personnelle avec des valeurs morales, devoir d’évangélisation Jésus-Christ). Rassemblements populaires revivalistes Doc. 6 Églises évangéliques Doc. 7 Églises fondamentalistes pages 154-155 Tolérance, œcuménisme Amour du Christ et de la patrie se confondent Implantée dans la Bible Belt ÉTUDE Application des dix commandements à la vie quotidienne : morale ultraconservatrice tholiques (doc. 4). En 2010, 70 millions d’Américains professent la foi catholique, ce qui fait des ÉtatsUnis le quatrième pays catholique dans le monde derrière le Brésil, le Mexique et les Philippines. La place des catholiques dans la société américaine a évolué durant cette période : en butte à l’hostilité des protestants les plus radicaux (les nativistes) entre la fin du XIXe siècle et les années 1930 (doc. 1), ils connaissent, surtout après la Seconde Guerre mondiale, une ascension sociale (doc. 5) qui permet à certains de leurs représentants de se Les catholiques, entre rejet et intégration Aux États-Unis, le catholicisme est d’abord une religion d’immigrés pauvres : au XIXe siècle, c’est la religion des Irlandais (doc. 2), des Polonais et des Italiens (doc. 3) venus en masse chercher de meilleures conditions de vie en Amérique. L’assouplissement des quotas migratoires à partir des années 1960 permet l’arrivée d’une nouvelle vague d’immigrants en provenance d’Amérique latine, majoritairement ca96 hisser dans les plus hautes sphères de la société et de l’État (doc. 6). Ils constituent aujourd’hui la première Église en nombre de fidèles (doc. 7). virent interdire le droit d’être des citoyens ou dont l’entrée aux États-Unis fut restreinte. Tirant parti de leur identité catholique et des possibilités politiques qui étaient hors de leur portée en Irlande, ils gravirent progressivement les échelons de la société américaine. Rejetant les accusations qui mettaient en doute leur loyauté, les immigrés irlandais insistaient sur le fait qu’ils pouvaient devenir de « bons Américains », mais qu’ils le feraient à leur manière. Dès les années 1870, ils furent suffisamment nombreux pour se constituer en puissants groupes de pression dont l’influence se fit rapidement sentir dans le syndicalisme comme dans la vie politique, au sein du parti démocrate. Avec l’aide de la hiérarchie catholique, pratiquement toute de souche irlandaise, ils prirent le contrôle de nombreuses municipalités – New York eut son premier maire irlandais en 1880 –, ce qui leur ouvrit de nouveaux emplois comme policiers ou pompiers, fonctions devenues dans certains endroits un quasi-monopole irlando-américain. Au début du XXe siècle, les immigrés irlandais n’étaient plus que 15 % à occuper des emplois non qualifiés et certains, comme Henry Ford, le pionnier de l’automobile, connaissaient déjà une belle réussite. Comme ils parlaient anglais et qu’ils étaient le premier groupe catholique à venir aux États-Unis en grand nombre, les Irlandais ne tardèrent pas à prendre les rênes de l’Église catholique dans ce nouveau pays. Conformément à l’expression courante selon laquelle l’Église était « une, sainte, catholique, apostolique, et irlandaise », le catholicisme devint l’élément le plus important de l’identité des Irlando- Américains. Les immigrés irlandais devinrent « de bons Américains » sans sacrifier leur héritage religieux et culturel. Ils prouvèrent que l’assimilation n’était pas un processus à sens unique dans le cadre duquel les immigrés devaient se conformer à une culture anglo-protestante dominante en renonçant à leurs traditions. Les immigrés changent toujours les États-Unis autant que les États-Unis les changent eux. En devenant Américains à leur manière, les Irlandais forgèrent une identité ethnique distincte et contribuèrent à jeter les bases du pluralisme culturel que l’on connaît aujourd’hui aux États-Unis. À l’heure actuelle, les Américains d’origine irlandaise comptent parmi les groupes ethniques les plus prospères du pays ; qu’il s’agisse de leur niveau d’études, de leur situation professionnelle, de leur revenu ou de l’accession à la propriété, ils se situent au-des- Document 1 La méfiance à l’égard des catholiques L’anti-catholicisme se conjugue avec la xénophobie pour donner naissance à des associations « nativistes ». L’historien américain Ray Billington évoque ces mouvements comme une « croisade protestante » qui se manifeste par des épisodes de violence : incendies de couvents en NouvelleAngleterre (1834), guerre des Bibles entre parents protestants et catholiques dans les écoles de Philadelphie (1844). Les nativistes revendiquent aussi, en vain, un allongement de la période requise pour obtenir la citoyenneté américaine pour les catholiques. Nativiste, Thomas Nast (1840-1902) est considéré comme le père de la caricature politique américaine. Il aime à présenter les catholiques irlandais et leur clergé sous un mauvais jour, sapant les fondements culturels de l’Amérique. Document 2 La Saint-Patrick à New York Dans le deuxième tiers du XIXe siècle, l’Église romaine doit son expansion spectaculaire aux immigrants, surtout irlandais, qui représentaient près de la moitié de tous les immigrés installés aux ÉtatsUnis dans les années 1840, et le tiers dans les années 1850. Elle comptait 35 000 fidèles en 1790 et 3,2 millions en 1860, devenant le premier groupe religieux. La religion de ces immigrés préoccupe les nativistes. Au bout du compte, les immigrés catholiques irlandais seraient-ils fidèles aux États-Unis ou à l’Église de Rome ? Laisseraient-ils les prêtres les influencer dans la vie politique ? Une Église dirigée par un pape, des cardinaux, des archevêques et des évêques avait-elle une place légitime dans une république démocratique ? Et pourquoi les immigrés catholiques irlandais envoyaient-ils leurs enfants dans des écoles confessionnelles et boudaient-ils l’école publique ? Ce à quoi les Irlandais rétorquaient que les conseils d’administration des écoles publiques étaient dominés par les protestants évangéliques. Le droit d’enseigner à leurs enfants la religion de leur choix, n’était-ce pas là l’essence même des États-Unis, arguaient-ils ? En dépit de l’hostilité des nativistes, les Irlandais ne furent jamais en butte au racisme dont souffrirent les Afro-Américains et les Asiatiques, qui se 97 lique entre 1980 et 1990, dont 25 % sont devenus protestants. Il existe 7 000 congrégations pentecôtistes hispaniques : elles sont accueillantes, chaleureuses, mettent l’accent sur l’émotionnel et l’affectif avec des pasteurs issus des rangs des immigrants, partageant leur langue et leur culture. L’Église catholique souffre au contraire énormément de la pénurie de prêtres, surtout d’origine hispanique. sus de la moyenne nationale. Continuation logique de leur mobilité sociale ascendante tout au long du XXe siècle, ils quittèrent les agglomérations urbaines compactes du Nord-Est et du Midwest pour s’installer dans les banlieues et les villes, petites ou grandes, réparties sur l’ensemble du territoire. Ils commencèrent aussi à se marier en dehors de leur groupe ethnique, d’abord avec d’autres catholiques, puis en dehors de leur Église. Par voie de conséquence, leur sentiment d’identité a perdu de sa cohésion. Pour autant, les Américains d’origine irlandaise conservent un fort sentiment de fierté ethnique, en particulier dans les domaines de la politique et de la culture. Après tout, être d’origine irlandaise, c’est faire partie de l’histoire d’une réussite nationale. Document 5 Le Boston college, une université d’élite catholique Le Boston college est une université privée, située à une dizaine de kilomètres de Boston, créée en 1827 à l’instigation de l’évêque jésuite de Boston pour répondre aux discriminations contre les catholiques. Elle est classée parmi les quarante premières universités américaines. Le système éducatif catholique compte plus de 6 000 écoles élémentaires et 1 300 lycées qui totalisent respectivement 1,6 million et 0,67 million d’élèves. Les écoles primaires et secondaires catholiques ne scolarisent cependant pas plus de 5,5 % des enfants américains en âge d’aller à l’école. De moins en moins de catholiques mettent leurs enfants dans l’enseignement catholique (20 % dans l’élémentaire, 10 % dans le secondaire, contre le double il y a une décennie). Ainsi, les Hispaniques choisissent majoritairement les écoles publiques. Document 3 Procession catholique en l’honneur de San Rocco Les Italo-américains représentent aujourd’hui un sixième de la population américaine. Les Italiens se sont installés en masse entre 1880 et 1914. Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, c’est l’une des communautés les plus maltraitées. Cela n’a pas empêché son intégration et le maintien de traditions culturelles vivaces. Nombre de villes américaines comprennent un quartier italien où ont lieu des processions religieuses le jour de la fête du saint patron : les plus célèbres se déroulent lors de la Saint-Patrick ou encore lors de la fête de San Ganarro à New York. Document 6 Un Président catholique L’anti-catholicisme demeure un trait de la culture américaine jusqu’en 1960, année de l’élection de John Kennedy à la présidence des États-Unis. Les Américains d’origine irlandaise tenaient depuis longtemps le haut du pavé sur la scène politique de nombreuses villes, dont New York, Boston et Chicago, parce qu’ils dominaient le parti démocrate local. Dans les années 1920, ils commencent à prendre de l’importance sur la scène nationale. C’est à cette époque qu’un catholique brigua pour la première fois la présidence des États-Unis. Le candidat en question, Al Smith, n’avait guère de chance d’être élu, et c’est Kennedy, très conscient de son héritage irlandais, qui porte le coup de grâce à la longue tradition anti-catholique du pays. Document 4 Chemin de croix des Mexicains catholiques La diversité du catholicisme américain a encore été accrue par l’arrivée de millions d’hispaniques (qui représentent désormais un tiers des catholiques américains), eux-mêmes très différents des catholicismes syncrétiques et incluant des rites hérités de cultes indigènes, des fidèles ignorant les enseignements les plus élémentaires de l’Église et développant un rapport affectif direct avec la Vierge et les saints, le catholicisme pouvant à la limite n’être que le masque de croyances traditionnelles. Tout cela crée des tensions très vives avec le clergé catholique classique qui n’est pratiquement jamais d’origine portoricaine ou mexicaine. Ces nouveaux catholiques ont des liens ténus avec l’institution. L’Église joue la carte de l’apostolat social mais ne répond pas assez aux besoins spirituels, d’où l’importance des défections : cinq millions d’Hispaniques ont quitté l’Église catho- Document 7 Les catholiques américains reçoivent le pape Les relations des catholiques américains, plus libéraux, avec les autorités romaines n’ont pas tou98 jours été faciles. Embourgeoisés, éduqués, riches et indépendants, les catholiques américains supportent mal l’autoritarisme de l’Église. Entre 1958 et 1988, on assiste à une désertion impressionnante de prêtres et de fidèles, ainsi qu’à une baisse de la pratique. Cette crise a eu des répercussions sur le système scolaire : perte de la moitié des élèves et d’un quart des écoles entre 1960 et 1980. Sur cette photographie, on voit des catholiques américains réunis pour accueillir Jean Paul II, en visite aux États-Unis entre le 29 septembre et le 30 octobre 1979. Ils brandissent des banderoles revendiquant des droits pour les femmes au sein de l’Église. Jean Paul II a nettement freiné les ouvertures, mais il a dû tenir compte de la diversité d’un catholicisme américain qui fournit 50 % du budget de l’Église romaine. Aujourd’hui, les discordes majeures portent toujours sur l’ordination des femmes et sur le pouvoir des Conférences épiscopales auxquelles le Vatican dénie tout magistère d’enseignement. 5. Réunions paroissiales, fêtes religieuses célébrant le saint patron sont autant d’occasions d’affirmer son identité et son appartenance culturelle et/ou nationale. Pour faire face à l’ostracisme dont ils sont victimes, les catholiques mettent également en place un réseau d’écoles et d’universités. 6. La première candidature d’un catholique à l’élection présidentielle date de 1928 : l’irlandoaméricain Al Smith, gouverneur de l’État de New York, se présente alors pour le parti démocrate. Il est battu par Hoover, notamment du fait des sentiments anti-catholiques d’une large partie de l’électorat. Il faut attendre plus de trente ans pour voir entrer à la Maison Blanche un président catholique. L’élection de Kennedy en 1960 témoigne de l’intégration des catholiques au sein de la société. Le catholicisme n’est alors plus considéré comme une religion étrangère, une religion d’immigrés pauvres. Elle a gagné sa place parmi les différents cultes existant aux États-Unis. Cependant, pour une large partie de la société, l’identité culturelle américaine reste intrinsèquement liée au protestantisme des origines. Aussi, Kennedy prend garde de ne pas mettre son appartenance religieuse en exergue, la présentant surtout comme une affaire privée. 7. Cette photographie, prise lors d’un voyage du pape Jean Paul II aux États-Unis en 1979, montre des fidèles arborant des banderoles sur lesquelles on peut lire : « le sexisme est un péché. Repends-toi ! », « rites égaux pour les femmes ». On voit ici l’influence de la culture protestante sur les catholiques qui réclament un statut d’égalité au sein de l’Église pour les femmes dans le service du culte. À cette date, ces questions sont très minoritaires parmi les catholiques européens. La réponse de Jean Paul II est d’ailleurs sans appel : les femmes peuvent agir mais dans le désintéressement et sans attendre de reconnaissance de la part de la hiérarchie. Réponses aux questions 1. Les premiers catholiques américains sont d’origine européenne. Ils arrivent lors des grandes vagues d’immigration qui débutent au XIXe siècle : Irlandais d’abord, puis Italiens. 2. À partir des années 1960, l’immigration en provenance d’Amérique latine, majoritairement catholique, vient grossir les rangs des « papistes ». 3. Au sein des communautés immigrées, la religion constitue un élément d’appartenance culturelle. 4. Le document 1 montre un prêtre catholique se réjouissant de voir de jeunes Irlandais catholiques profaner le livre saint. Ce qui est pointé ici, c’est la divergence théologique entre protestants et catholiques quant à la place de la Bible : pureté du message évangélique pour les uns, importance de la hiérarchie religieuse pour accéder au message divin pour les autres. L’auteur de cette caricature, Thomas Nast, américain d’origine allemande, est connu pour ses positions anti-catholiques et nativistes. Il est opposé à la poursuite de l’immigration, notamment irlandaise, qu’il perçoit comme un danger du fait des risques de dilution de la culture protestante et de l’influence présentée comme néfaste de la hiérarchie catholique, pape en tête. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Le catholicisme : une religion d’immigrés pauvres II. Stigmatisation et rejet III. L’intégration à partir de 1945 99 pages 156-157 ÉTUDE – ne concerne plus que 25 % des famille, or la mère est le pilier de la transmission de la religion aux enfants, ce qu’elle n’est plus à même de faire dans les familles monoparentales faute de disponibilité) ; la mobilité permanente dans la vie économique et sociale ; la régression de la confiance dans les organisations (État, Églises) au profit d’un individualisme radicalisé et devenu très étroit dans la mesure où il n’est plus compensé par le sens de la communauté. Depuis la fin des années 1960, les mouvements alternatifs aux religions traditionnelles se sont multipliés. Feivel Gruberger est l’un des gourous modernes qui pullulent aux États-Unis ou qui connaissent un grand succès parmi les orphelins de la foi traditionnelle. Le fondateur du Centre de la Kabbale, né à New York dans le quartier de Brooklyn, exerce d’abord la profession d’agent d’assurances pendant dix-sept ans, avant de partit en Israël en 1962. Là, il côtoie le Rabbin Brandwein, élève du Rabbin Aschlag et auteur d’un ouvrage sur le livre du Zohar. Feivel Gruberger épouse la nièce du Rabbin Brandwein avec qui il a sept enfants. Il décide d’angliciser son nom et devient Philip Berg. Il retourne ensuite aux États-Unis dans le but de diffuser le Zohar ainsi que l’ouvrage du Rabbin Aschlag. Il ouvre un centre à Los Angeles et publie des ouvrages kabbalistiques, version New Age. Il invente, aidé par son épouse, un nouveau concept bien loin des critères rigoureux des kabbalistes : il n’est pas nécessaire de comprendre la langue originelle, l’araméen, pour étudier le Zohar, car un « scannage » du regard ou de la main suffit. Dans les années 1970, Philip Berg quitte son épouse et ses sept enfants pour se remarier avec une Américaine, Karen. Puis le couple s’installe en Israël où il ouvre un « Centre de la Kabbale » à Tel-Aviv. En moins de dix ans, Philip Berg se constitue une immense fortune. Entretemps, il a continué sa métamorphose et, bien que ne possédant pas le moindre doctorat, il s’autoproclame « Docteur » puis « le » plus grand kabbaliste du monde. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il a de sa seconde épouse deux fils, Yehuda et Michael, devenus ses héritiers. Le Centre de la Kabbale, qui utilise le patrimoine religieux et culturel du kabbalisme traditionnel, est devenu la dernière lubie des stars aux États-Unis. La plus emblématique de toutes est Madonna, qui a trouvé son gourou à Londres, en la personne de Michael, l’un des fils de Philip Berg. Le Centre de la Kabbale revendique une cinquantaine de centres à travers le monde, dont un ouvert ré- De nouvelles formes de religiosité En matière religieuse, il en va comme dans le monde des affaires : il faut satisfaire au plus vite les désirs par les produits les plus performants. La religion devient ainsi un instrument d’accomplissement de soi et s’organise pour satisfaire les besoins pratiques des familles. La religion s’individualise alors que la télévision devient, à la fin des années 1950, l’un des principaux vecteurs de formation des valeurs de la population. L’individualisation des pratiques et des croyances s’appuie également sur toute une littérature qui offre l’accès à une force spirituelle, cosmique, sans les contraintes d’une Église pour trouver la paix intérieure et résoudre les problèmes, et qui s’adresse à des croyants qui veulent être autosuffisants en dehors des Églises. Document 1 Jesus Revolution Le Jesus movement est un mouvement chrétien né au sein de la contre-culture, sur la côte Ouest des États-Unis à la fin des années 1960. Sur le plan théologique, entre évangélisme et millénarisme, il affirme la volonté d’un retour au christianisme des origines marqué par un certain ascétisme. De nombreux membres des Jesus People optent pour la vie en communauté. Document 2 Des Églises homosexuelles En 1968, Troy Perry fonde la Metropolitan Community Church pour répondre aux discriminations dont étaient victimes les homosexuels. Les premiers services religieux ont lieu dans le salon de son appartement de Los Angeles. Au début des années 1970, il célèbre ses premiers mariages entre homosexuels et ordonne des femmes. Son Église compte aujourd’hui 300 congrégations dans 18 pays. Document 3 Quand Hollywood donne le ton des nouvelles croyances La prolifération d’un ensemble éclectique de croyances conduit à une dérégulation institutionnelle de la religion. Ce processus renvoie à plusieurs séries de facteurs : le rejet massif des organisations et des valeurs traditionnelles par les jeunes au cours des années 1960 ; la précarité croissante des familles (le modèle classique – deux parents de sexe opposé avec un ou deux enfants 100 privilégie l’expérience personnelle et émotionnelle. Les premières mégaéglises n’étaient à l’origine rattachées à aucune dénomination : elles accueillaient un public sans culture religieuse dans de grands bâtiments dénués de signes religieux, sans croix ni bibles. Le sacré disparaît ainsi au profit d’un rapport décontracté à Dieu. Aujourd’hui, de nombreuses Églises, surtout évangéliques, s’inspirent de ce modèle, comme le montre cette photographie d’un prêche du pasteur évangélique Joel Osteen dans la plus grande église des États-Unis, qui peut accueillir jusqu’à 40 000 fidèles. cemment à Varsovie, en Pologne. Aux États-Unis, le centre de Los Angeles reste le plus connu ; celui de New York se situe au cœur de Manhattan. Document 4 Les mégaéglises Dans le contexte d’une société de consommation de masse, la religion est entrée dans la culture consumériste. Elle devient un produit de consommation destiné à améliorer la vie des croyants. Pour réussir, les Églises doivent proposer un culte simplifié, une version « light » de la tradition religieuse qui Document 5 Cérémonies vaudoues dans les caves de Brooklyn La communauté haïtienne apparaît aux États-Unis dans l’entre-deux-guerres, où elle s’installe notamment à New York. L’immigration prend de l’ampleur dans les années 1950-1960 et s’explique par la situation, à la fois économique et politique, en Haïti (dictature de Duvalier). Aujourd’hui, les principales communautés sont situées à New York (entre 150 000 et 300 000) et à Miami (200 000). Certains de ces Haïtiens continuent de pratiquer leur religion traditionnelle, le vaudou, grâce auquel ils espèrent entrer en contact avec le monde surnaturel. Cela n’empêche pas l’appartenance à des Églises chrétiennes. Réponses aux questions 1. Tradition religieuse Doc. 1 Christianisme Public visé Message proposé Jeunes issus de la contre-culture des années Rejet du matérialisme de la société de 1960. consommation, du vide spirituel que cela sous-tend. Rapprochement avec les autres Églises : œcuménisme. Doc. 2 Aucune Églises communautaires s’adressant à des Églises offrant essentiellement un ensemble segments de la population (homosexuels de pratiques rituelles (mariage) sans docpar exemple). trine religieuse. Doc. 3 Kabbale Fidèles en quête de régénération spirituelle, Marketing agressif proposant des remèdes (judaïsme) en rupture avec leur communauté d’origine onéreux et un système de croyances hétéroou en perdition. clites pour retrouver l’équilibre individuel, la confiance en soi, la réussite, etc. Fonctionnement de type sectaire. Doc. 4 Protestantisme Moyens de communication modernes et puis- Supermarché du religieux : à chaque prosants pour toucher le plus grand nombre, mais blème sa solution, à chaque consommateur visant surtout les classes moyennes blanches son produit spirituel. et urbaines qui recherchent dans la religion des réponses aux difficultés quotidiennes. Doc. 5 Vaudou Communauté haïtienne ou plus largement Religiosité de type émotionnelle (transe, caraïbe sacrifices d’animaux), recours aux pratiques magiques dans une quête de réussite ou de guérison. Pratique parallèle d’une religion traditionnelle (catholicisme ici). 2. Ces pratiques témoignent d’une individualisation des pratiques, et surtout des attentes religieuses : la religion doit proposer des solutions immédiates au fidèle qui, faute de réponse, s’adressera à une nouvelle « Église ». Elles illustrent également un marché du religieux fortement concurrentiel où la liberté de culte a favorisé le pullulement d’une multitude de sectes. 101 pages 158-159 LEÇON 2 de réforme et à la critique biblique. Toutefois, il élabore aussi une spiritualité propre qui confère à l’engagement social une valeur religieuse, laquelle s’exprime par des prières, des hymnes, des poèmes et des romans de « réveil social ». La croyance fondamentale du mouvement est que Dieu est à l’œuvre dans les changements sociaux pour établir un ordre moral et une justice sociale. C’est une conception optimiste de la nature humaine, et le mouvement nourrit de grands espoirs de réforme sociale. Cette conception s’oppose à l’éthique puritaine du travail qui conduit à penser que les gens échouent parce qu’ils ne sont pas élus ou parce qu’ils sont personnellement responsables de leur échec. Le système libéral américain opère une sélection naturelle des meilleurs. Il faut donc préserver absolument les lois du marché et la concurrence qui seules permettent au processus de sélection de fonctionner. Chercher à éliminer la pauvreté, résultante normale du système, est une dépense inutile et dangereuse de l’argent des contribuables. Le calvinisme puritain peut donner naissance à une interprétation providentielle de l’histoire économique, qui est l’un des fondements les plus classiques de la pensée américaine. Il peut aussi donner naissance à une interprétation darwiniste sociale de l’élu. L’influence calviniste s’est trouvée renforcée par le contexte dans lequel s’est développée la société américaine. Dans une société de compétition, individualiste et souvent violente, marquée par l’esprit de lucre et de domination, le recours à Dieu et à une stricte règle morale est le seul recours pour réintroduire du lien social. Religion et société Document 1 Prêcher la tempérance Cette photographie a été prise au début du XXe siècle à Coney Island, lieu de loisirs situé au sud de Brooklyn. On y voit un prédicateur s’adressant à la foule venue se divertir. Ce document illustre la pression exercée dans l’espace public par les associations religieuses, le plus souvent protestantes. En effet, les Églises protestantes ont cherché, par le biais de multiples associations et campagnes, à façonner la société civile en imposant leurs normes (pas de distribution de courrier le dimanche, interdiction du blasphème, tempérance obligatoire). Elles façonnent les normes sociales de la communauté nationale, souvent grâce à l’action militante des femmes (par ailleurs exclues de la citoyenneté et qui trouvent là un terrain d’action), et les imposent à tous : Sunday laws qui imposent le dimanche chômé et visent les juifs qui ferment le samedi, interdiction dans certains États de la sodomie, proscription d’auteurs déclarés pornographiques. Document 2 Le Social Gospel Walter Rauschenbush (1861-1918), pasteur baptiste d’origine allemande, exerce son ministère dans un quartier ouvrier de New York (Hell’s Kitchen), avant de devenir professeur de théologie. D’après lui, « quiconque sépare la vie religieuse et la vie sociale n’a pas compris Jésus ». Il est l’un des artisans du « réveil social des Églises ». Il publie notamment For God and the People ; Prayers of the social Awakening (1910), recueil de prières visant à renouveler la liturgie pour un « nouveau type de chrétien », et Theology for the Social Gospel (1917). Convaincu que ses idéaux de justice et d’égalité sont ceux-là mêmes que prêchait Jésus et que le capitalisme n’apporte pas de solution, Rauschenbusch devient socialiste et fonde la Société socialiste chrétienne. Formé afin de résoudre, au moyen des principes chrétiens, les problèmes collectifs d’une société en voie d’industrialisation, le mouvement Social Gospel (évangile social) est, entre 1890 et 1930, une force importante sur la scène religieuse, sociale et politique d’alors. Ouvert aux idées libérales, le mouvement préconise l’ouverture au darwinisme Réponses aux questions 1. La critique de Rauschenbusch porte sur le fonctionnement du système capitaliste et les inégalités qui en découlent. Selon lui, l’ordre social doit assurer à chacun le meilleur épanouissement. 2. La critique se fait au nom des principes de l’Evangile : la quête du salut doit prévaloir sur la recherche de l’enrichissement, le royaume de Dieu ne peut établir un ordre injuste. Document 3 Le conservatisme, une nouvelle religion Cet article, qui s’inquiète des évolutions du fondamentalisme religieux aux États-Unis, décrit un phénomène initié dans les années 1980 avec l’entrée en scène de lobbies religieux puissants cherchant à imposer leur morale à l’ensemble de la société. 102 la création » n’était que religion camouflée, donc contraire au premier amendement de la constitution et au principe de la séparation de l’Église et de l’État. Mais selon un sondage réalisé en novembre 2004, 55 % des Américains croient que « Dieu a créé les humains dans leur forme actuelle » (13 % estiment qu’il n’y est pour rien), et 65 % veulent que le créationnisme – ou les théories de l’Intelligent Design – soit enseigné en même temps que la théorie de l’évolution. Réponses aux questions 1. Neal Gabler perçoit dans le fondamentalisme politique contemporain des racines religieuses : c’est au nom de convictions religieuses radicales que sont menés un certain nombre de combats politiques. En ce sens, il n’y a pas de dialogue possible puisque les fondamentalistes religieux opposent à leurs contradicteurs « des vérités immuables ». Ce fanatisme s’exprime dans le mouvement Tea Party, qui développe une propagande ultra violente à l’égard du pouvoir en place (Obama) et traite ses opposants en ennemis de l’Amérique. 2. Selon l’auteur, ce sont les fondements mêmes de la démocratie qui sont menacés : les fondamentalistes mènent « une guerre sainte » contre leurs opposants et font de leur religion un « dogme politique ». Or un dogme est, par définition, incontestable. Ils refusent tout pluralisme, condition même du dialogue démocratique. pages 160-161 Document 1 Le Tennessee refuse la théorie de l’évolution Document 2 Le procès du singe Document 3 La mémoire du procès Depuis 1918, les militants fondamentalistes cherchent à faire interdire l’enseignement de l’évolution. En 1924, ils parviennent à faire voter une loi dans le Tennessee, la loi Butler, qui s’insère dans une vaste campagne anti-évolutionniste engagée depuis cinq ans. Devant la menace, l’American Civil Liberties Union (ACLU), la plus grande organisation de défense des droits civiques, décide de faire un coup d’éclat pour faire déclarer la loi Butler inconstitutionnelle. Elle demande à un enseignant d’être volontaire pour se faire inculper et prend en charge sa défense. John T. Scopes accepte. Au terme d’un procès mémorable dit « du singe », qui voit s’affronter deux grandes personnalités – Bryan, trois fois candidat démocrate à la présidence pour l’État d’Arkansas et C. Darrow pour Scopes –, il est condamné en 1925 à 100 dollars d’amende pour avoir transgressé la loi. Puis la condamnation est annulée pour vice de forme, ce qui interdit de faire appel à la Cour suprême qui aurait définitivement tranché au niveau national. La loi Butler reste en vigueur jusqu’en 1967. L’opinion retient cependant que Bryan a dû admettre une lecture allégorique de la Bible lorsque Darrow lui demande si les poissons ont été eux aussi noyés lors du Déluge, ce qui est considéré comme une victoire des défenseurs de l’évolutionnisme. Ce procès souligne également l’obscurantisme des fondamentalistes et signe le début de leur influence. ÉTUDE Dieu versus Darwin Derrière les controverses qui opposent sur le terrain strictement scientifique créationnistes et évolutionnistes, ce sont deux visions du monde qui s’affrontent. La vision évolutionniste postule que les espèces vivantes sont le résultat du lent travail de forces naturelles. Pour les créationnistes, au contraire, Dieu est le seul auteur du monde, d’une manière directe et indépendante des lois de la nature, comme le rapportent les premiers chapitres du livre de la Genèse. Longtemps, les attaques menées contre Darwin ont été le fait de groupes « créationnistes » qui se cantonnaient à une lecture littérale de la Bible : la Terre a été créée en six jours, elle a moins de 10 000 ans, l’homme a été façonné par Dieu à son image. Avec l’Intelligent Design, l’offensive contre Darwin s’est faite plus subtile. Ses partisans estiment que la vie est si complexe qu’elle ne peut provenir que d’un esprit supérieur, un « designer intelligent » : Dieu ou une autre force surnaturelle. Des universitaires reconnus, biologistes, mathématiciens, avocats, lui ont apporté une certaine crédibilité. Les choses semblaient réglées depuis que la Cour suprême s’était prononcée sur la question en 1987 en indiquant que la prétendue « science de 103 Réponse aux questions 1. John T. Scopes, professeur dans un établissement de Dayton, est accusé par l’État du Tennessee d’avoir enseigné les thèses darwiniennes à ses élèves, contraires à la théorie de la création divine de l’homme, et ce, en violation de la loi Butler, votée en mars 1925. 2. Scopes est condamné à 100 dollars d’amende, conformément à ce que prévoit la loi Butler. Ce sont les tenants du créationnisme qui l’emportent. 3. L’interrogatoire de William Bryan par l’avocat de Scopes, Clarence Darrow, vise à démontrer qu’une lecture littérale de la Bible entre en contradiction avec les théories scientifiques, mais aussi avec les constatations que tout un chacun peut faire. Ici, la question porte sur l’histoire du déluge telle qu’elle est rapportée par la Bible et sur sa datation par les créationnistes (– 4004). L’interrogatoire vise à montrer que les défenseurs de la loi Butler n’ont rien d’autre à opposer aux scientifiques que leurs convictions religieuses : refus de la science, du comparatisme en matière de religions. À l’issue de l’interrogatoire, poussé dans ses retranchements, Bryan est contraint d’accepter l’idée d’une lecture allégorique de la Bible. 4. Le procès Scopes est une mise en scène : il a été planifié par l’ACLU pour dénoncer les théories créationnistes. La mise en accusation de Scopes, logique au regard de la loi, doit être l’occasion de mettre la question sur la place publique. Les débats passionnent l’Amérique et marquent un temps fort dans l’émergence du courant fondamentaliste. Le procès est perdu, mais l’histoire donne raison à Scopes : la plaque, rappelant la tenue du procès, apparaît en 1960 comme le symbole d’un esprit réactionnaire qui n’a alors plus cours. De la même manière, le film de Stanley Kramer (doc. 4), sorti en 1960, donne le beau rôle à Scopes et Darrow. 5. La question est récurrente dans les débats politiques : chaque campagne électorale est l’occasion de relancer le débat, attisé par des lobbies religieux puissants. 6. Les créationnistes contemporains continuent, pour certains, de défendre une lecture littérale de la Bible. D’autres privilégient dorénavant la théorie du « dessein intelligent » : ils croient distinguer, dans la complexité de l’uni- Document 5 La théorie de l’évolution vue par Reagan Document 6 Sarah Palin, les dinosaures et le créationnisme Document 7 Le dessein intelligent Depuis les années 1980, les efforts produits par les lobbies religieux protestants conservateurs pour remettre en cause la théorie de l’évolution portent leurs fruits. Plusieurs présidents américains, dont R. Reagan et G. W. Bush, se sont prononcés en faveur de l’enseignement de la « théorie biblique de la création » dans les écoles (à côté de la théorie darwinienne). Lors de la campagne électorale de 2007, la colistière du candidat républicain, Sarah Palin, s’est revendiquée comme une créationniste convaincue. Aujourd’hui, le néo-créationnisme prend des tours plus subtils : la théorie du dessein intelligent. Le terme Intelligent Design a été inventé en 1988 par le paléontologue américain Stephen C. Meyer et a donné naissance, au début des années 1990, au mouvement du même nom. Depuis, celui-ci n’a cessé de se développer. Le Discovery Institute est un think tank qui se penche sur les questions d’environnement, de technologie et d’Intelligent Design. C’est au sein de cette organisation qu’il faut chercher l’origine des controverses qui secouent depuis dix ans l’establishment scientifique et politique. Établi à Seattle dans l’État de Washington, au nord-ouest des ÉtatsUnis, le Discovery Institute a été fondé en 1990. Son Center for Science and Culture, dévolu à l’Intelligent Design, a été créé six ans plus tard, en 1996. Il est financé par les mêmes groupes chrétiens conservateurs qui ont contribué à l’élection de George W. Bush à la Maison-Blanche. Document 8 Un musée créationniste Situé à Petersburg, dans le Kentucky, le Creation Museum a ouvert ses portes en mai 2007. Financé par le biais de donations à l’association chrétienne de promotion du créationnisme, Answers in Genesis, à hauteur de 27 millions de dollars, ce musée controversé glorifie la théorie créationniste et présente les origines de l’univers, de la vie et de l’humanité conformément à une lecture littérale du livre de la Genèse. La théorie de l’évolution y est rejetée et il n’est pas étonnant d’observer dans ce musée des hommes au milieu des dinosaures. 104 vers et du vivant, un ordonnancement intelligent, donc divin. 7. Dans les années 1980, le candidat à l’élection présidentielle R. Reagan, soutenu par une majorité morale très conservatrice, présente le darwinisme comme une simple théorie parmi d’autres, à traiter à égalité avec la théorie biblique de la création. Mais selon lui, les deux doivent être enseignées. Dans les années 2000, la colistière du candidat républicain à l’élection présidentielle, Sarah Palin, se réclame du créationnisme. Elle va plus loin que Reagan dans la mesure où elle déclare tenir comme justes les théories selon lesquelles les hommes et les dinosaures ont vécu au même moment sur terre. 8. Le Discovery Institute se donne comme objectif de diffuser la théorie du « dessein intelligent » et prétend s’appuyer sur des recherches scientifiques. Il met sa puissance financière au service de cet objectif : distribution de bourses d’études, organisation de conférences, lobbying auprès des politiques, etc. Pour le grand public, un musée de la création, installé dans le Kentucky, a ouvert ses portes en 2007 : reconstitutions (arche de Noé), mise en scène spectaculaire de la création du monde et du déluge, etc. 9. Comme l’explique le document 6, « selon les théories scientifiques les plus acceptées, les derniers dinosaures se seraient éteints il y a 65 millions d’années et les premiers hommes seraient apparus 200 000 ans avant J.-C. », il est donc impossible qu’ils aient vécu au même moment sur Terre et se soient gentiment côtoyés comme le démontre cette reconstitution. Document 1 Le rêve de Martin Luther King Martin Luther King, né à Atlanta en 1929, est originaire d’une famille de pasteurs appartenant à la classe moyenne. En 1954, il devient pasteur baptiste et exerce à Montgomery, dans l’Alabama. En 1955, il prend la tête du mouvement de soutien à Rosa Parks, arrêtée par la police pour avoir refusé de céder sa place à un blanc dans un bus, et lance un appel au boycott de la compagnie de bus de la ville. Malgré les intimidations, le boycott durera un an, jusqu’à ce que la Cour suprême donne tort à la compagnie de bus. L’impact médiatique de cette victoire amène Martin Luther King à fonder le SCLC (Conférence des leaders chrétiens du sud) avec d’autres personnalités noires et à en devenir le président. Partisan de la non-violence, il décide d’étendre la lutte pour les droits civiques des Noirs à l’ensemble des États-Unis. Il est assassiné à Memphis le 4 avril 1968 par un ségrégationniste blanc. Luther King est considéré comme un héros de la nation : Presidential Medal of Freedom octroyé à titre posthume par Jimmy Carter (1977), jour férié pour l’honorer (Martin Luther King Day) décidé sous Reagan (1983), inauguration par Barack Obama d’un Mémorial (2011) situé juste à côté de Lincoln Memorial où King prononça son discours « I have a dream » le 28 août 1963, devant des centaines de milliers d’Américains en lutte pour les droits civiques. Là, s’appuyant sur une inspiration prophétique qui, dans la Bible, appelle le peuple juif à se libérer de l’oppression, il en appelle à l’instauration de l’égalité raciale. Ce discours, profondément imprégné d’esprit religieux, reprend la dynamique du prophète Esaïe qui allie justice et paix messianique. Car King, admirateur de Gandhi, est aussi un prophète de la non-violence. Document 2 Le leader musulman Elijah Muhammad pages 162-163 Document 3 ÉTUDE Malcolm X défend la cause noire Trois figures de l’activisme religieux Avec l’émigration des Noirs vers les villes du nord, de nouvelles sensibilités religieuses se manifestent, dont un courant musulman. T. Drew fonde à Newark le Moorish Science Temple et Elijah Muhammad la Nation of Islam en 1930 à Detroit. La même année, Wali Fard fonde une société religieuse, les Black Muslims, dirigée de 1934 à 1975 par E. Muhammad. Elle se donne pour but de rassembler tous les Noirs dans l’Islam. Ces mouvements relient la Aux États-Unis, activisme religieux et politique vont souvent de pair. Au sein de la communauté noire, les leaders des années 1960 savent utiliser images et vocabulaire religieux pour servir leurs objectifs politiques. Dans les années 1980, l’activisme politique conservateur s’appuie sur des lobbies religieux qui cherchent à imposer leur morale rigoriste à la société. 105 communauté au passé glorieux des conquérants maures et offrent une identité spirituelle et culturelle indépendante du modèle blanc chrétien. Pour les Black Muslims, Dieu est Noir, les Blancs ont été créés par un ange déchu et les Noirs sont appelés à prendre le pouvoir et à dominer les Blancs. Le mouvement a pris son essor dans les années 1950 et des mosquées ont été construites dans presque toutes les grandes villes. Les Black Muslims cherchent à moraliser leurs frères (interdiction de l’alcool, de la drogue, de l’adultère). Leur credo politique, c’est le refus de l’intégration (d’où l’opposition à King) et la création d’un État noir. Sur ce point, ils sont les précurseurs du Black Power. Parmi leurs membres les plus éminents, on compte Malcom X (entre 1952 et 1964) et Cassius Clay. Depuis 1975, les Black Muslims évoluent, les uns vers la modération (ils acceptent la dissolution de leur milice), les autres vers l’extrémisme (prise d’otages à Washington en 1977). d’un mouvement politique, la Nouvelle Droite Chrétienne. Déçus par la politique du Président Carter et heurtés par le « relativisme moral » de l’Amérique en matière d’éducation, de droits des minorités et de révolution sexuelle, les protestants évangéliques s’organisent, en particulier autour de la Moral Majority du révérend Jerry Falwell et de la Christian Coalition de Pat Robertson. Pour mener efficacement leur « culture war » (guerre sur les questions de société), les protestants évangéliques s’allient aux républicains, qui embrassent les positions évangéliques en matière de questions morales. La Christian Coalition devient même en 1992 une « force majeure » du Parti républicain. Les grands chevaux de bataille évangéliques sont avant tout des questions morales, défendues par de puissantes organisations comme Religious Rountable, Focus on the Family, Traditional Values Coalition et American Family Association : contraception, avortement, pornographie, recherche médicale sur les cellules souches, mariage homosexuel. Suite à l’élection présidentielle de 2004, 37 % des protestants évangéliques ont déclaré que les questions de société avaient été le problème « le plus important » dans leur choix de vote, devant les enjeux de politique étrangère (31 %) ou l’économie (23 %). Document 4 Jerry Falwell dans son studio d’enregistrement Document 5 Les besoins des enfants selon la droite chrétienne Document 6 Réponses aux questions 1. Martin Luther King est un pasteur baptiste. Malcolm X, fils de pasteur, se convertit à l’islam. 2. et 3. Luther King est un pasteur, ses discours politiques sont truffés de références religieuses et bibliques qu’il utilise dans un but unificateur et pacifique : « ouvrir les portes de l’opportunité à tous les enfants de Dieu », « chanter les paroles du vieux spiritual noir : “Enfin libres ! Enfin libres ! Dieu tout-puissant, merci, nous sommes enfin libres !” ». Malcolm X utilise lui aussi un vocabulaire religieux, mais dans une optique plus radicale : « la solution ne viendra jamais des politiciens, elle viendra de Dieu ». La figure de Moïse est utilisée pour justifier une séparation entre Blancs et Noirs qui rendra seule possible une émancipation de ces derniers : « la réponse de Moïse fut de séparer les esclaves de leurs maîtres et de montrer aux esclaves le chemin d’une terre qui serait la leur, où ils serviraient leur Dieu et leur religion ». 4. Dans les années 1980, la droite chrétienne s’empare des questions liées à l’évolution des La lutte contre l’avortement Les succès des Églises conservatrices sont liés à un besoin de repères moraux et spirituels stables ainsi qu’au fait que ce courant utilise à merveille les techniques modernes médiatiques et informatiques. Après 1970, les Églises sont autorisées à acheter aux différents réseaux de télévision des tranches horaires financées par la collecte systématique de fonds. Cette pratique est systématisée par les évangéliques et fondamentalistes et donne naissance à une Église électronique, avec ses vedettes Jerry Falwell, Pat Robertson ou Jan Bakker. Ces prédicateurs ont une audience nationale. Un sondage Gallup de 1984 estimait que plus de 13 millions de téléspectateurs suivaient régulièrement les émissions religieuses. Les convictions conservatrices ne sont pas l’apanage d’élites visant à préserver leur patrimoine et leurs privilèges. Il existe un conservatisme populaire. C’est à partir de la fin des années 1970 que les Églises et leurs organisations parareligieuses sont devenues significatives en tant qu’organisations politiques. La communauté évangélique connaît alors un tournant qui se manifeste par l’émergence 106 cice d’icelle ». Ce n’est pas explicitement la liberté de conscience, mais aucune religion ne peut être avantagée. La Déclaration des Droits ne mentionne donc la religion que pour préciser qu’il n’y a pas de religion d’État et qu’il n’y a pas de restriction d’une religion. Le Congrès ne peut légiférer sur une religion. L’État est donc laïc, au sens d’une séparation entre la sphère politique et l’autorité religieuse combinée avec la neutralité religieuse de l’État fédéral qui doit seulement veiller à assurer la liberté de chaque culte contre toute mesure restrictive. mœurs : liberté sexuelle, divorce, contraception, avortement, homosexualité, etc. 5. J. Falwell, champion de la droite chrétienne dans les années 1980, défend un retour à la morale chrétienne : tempérance, chasteté, défense du mariage, discipline. À ces valeurs s’ajoutent le patriotisme, le refus de l’assistance, le refus d’un État trop fort, la défense de l’ordre économique et social. 6. Jerry Falwell utilise la force de frappe de la télévision : télévangéliste regardé et écouté par des millions d’Américains, il distille son message au gré de ses émissions. Il est également à la tête d’un puissant lobby religieux, la Majorité morale, qui soutient le parti républicain et son candidat R. Reagan. 7. Aux États-Unis, on constate un double phénomène : l’existence, au sein de la classe politique, de leaders issus de l’univers religieux (Luther King, Jesse Jackson) et l’instrumentalisation du discours religieux pour soutenir des projets politiques (Malcolm X, la Majorité morale). Document 1 Une religion civile Document 2 Le serment d’allégeance au drapeau La meilleure référence pour comprendre cette notion de religion civile reste Rousseau. À la fin du Contrat social, Rousseau affirme la présence indispensable de la religion en politique, sous les espèces d’une religion civile. Dans le livre IV, chapitre VIII, du Contrat social, il prône la nécessité d’une religion civile pour encourager les citoyens à aimer leurs devoirs envers l’État. Benjamin Franklin distingue dans les religions un fond moralement utile à la société et commun à toutes les religions, constitué de dogmes auxquels tout le monde croit (existence de Dieu, immortalité de l’âme, rétribution des justes et punition des méchants…) et les doctrines particulières propres à chaque religion, dogmes spécifiques, sans utilité pour la moralité publique et dont on peut s’abstenir sans danger social. Ce fonds commun à toutes les religions constitue le socle du lien social sur lequel peut s’épanouir le pluralisme religieux dans la séparation des Églises et de l’État (1791), mais sans que la société ne cesse de baigner dans un certain climat religieux. Ce qui importe, c’est l’aspect moral de la religion et sa relation avec le lien social. C’est aussi ce qu’avait compris Tocqueville : dans une société égalitaire (au sens libéral du terme), la religion a la fonction d’éviter l’éclatement du corps social en une multitude d’intérêts particuliers, qui sont par ailleurs respectés et garantis (cf. le rôle des lobbies). La présence de cette religion civile se manifeste par une imprégnation superficielle mais visible de la vie politique par des attributs religieux. Mais ces signes ne se rattachent pas à une religion en particulier. Les assemblées d’État ou fédérales ont un chapelain et ouvrent leur session par une prière, VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. La droite chrétienne investit l’espace public II. L’affirmation de valeurs conservatrices III. Un impact qu’il faut nuancer pages 164-165 LEÇON 3 Les États-Unis, un État laïque ? Les États-Unis offrent le paradoxe d’un État fondé sur la séparation de l’Église et de l’État, mais dans lequel la religion constitue une force sociale et politique puissance. Si la Déclaration d’Indépendance (1776) mentionne Dieu comme source des droits des individus, l’autorité du gouvernement ne vient pas de Dieu, mais du consentement des gouvernés (conformément à la théorie du contrat de J Locke). La constitution est pour sa part entièrement laïque et ne fait qu’une seule référence à la religion en son article VI pour dire que l’accès à la sphère politique ne saurait dépendre des croyances de l’individu. Enfin le Bill of Rights (1791) comporte une seule mention religieuse en son 1er amendement : « le Congrès ne fera aucune loi concernant l’établissement de la religion ou interdisant le libre exer107 La reconnaissance du pluralisme religieux et une laïcisation croissante se font ainsi jour. La Cour suprême a précisé que si la croyance est libre, son utilisation frauduleuse ne l’est pas (1940) ; qu’il n’appartient pas aux pouvoirs publics d’apprécier le bien-fondé d’une religion (1941) ; que les pouvoirs publics ne peuvent obliger les membres des sectes pacifistes à des cérémonies patriotiques (1943 et 1970) ; que l’instruction religieuse est interdite dans les écoles publiques (1948) ; qu’on ne peut exiger d’un agent rétribué sur fonds publics un engagement religieux (1961 et 1978) ; que la lecture de la Bible et les prières dans les écoles publiques sont interdites (1962, 1963, 1985). Les lois votées contre la contraception (Connecticut 1962), l’avortement (Texas, 1969), contre l’enseignement du darwinisme (Arkansas, 1965 ; Louisiane, 1984) ont été frappées de nullité par la Cour suprême. Les fondamentalistes ont tenté de la contourner en faisant voter par le Sénat en 1982 un projet d’amendement appuyé par le Président visant à restaurer une prière dans les écoles publiques, mais le projet n’a pas obtenu la majorité des deux tiers requise. La défense de la neutralité religieuse reste un combat permanent, mais la Cour suprême a pour le moment veillé à préserver le « mur de séparation ». mais on peut prêter serment indifféremment sur la Bible ou sur le Coran (cf. la prestation de serment du premier Sénateur musulman en 2007). Tout élu américain invoque le nom du Seigneur quand il s’adresse à ses compatriotes. Mais, au bout du compte, le Dieu de l’Amérique, c’est l’Amérique ellemême, avec ses textes sacrés (la constitution et la Déclaration des Droits), ses rites, ses symboles (le serment d’allégeance au drapeau…). Réponse à la question Les symboles de la religion civile américaine sont omniprésents dans l’espace public : de la mention « In God we trust » sur la monnaie au serment d’allégeance au drapeau (modifié en 1954 par Eisenhower) qui ouvre chaque cérémonie, en passant par la prestation de serment sur la Bible lors des procès ou lors de l’investiture du nouveau Président. Cette religion civile a également ses lieux, dont le Lincoln Memorial à Washington, et ses temps forts (Memorial Day, Thanksgiving Day). La société américaine communie dans un culte à ses héros, célèbres (Washington, Lincoln, Luther King...) ou anonymes. Document 3 Une laïcité en débat pages 166-167 Ce document illustre les confrontations récurrentes aux États-Unis entre tenants d’une stricte laïcité et militants chrétiens. Il peut être rapproché du document 4. ÉTUDE Billy Graham, le pasteur de l’Amérique Billy Graham est un prédicateur populiste dont l’impact de masse fut considérable. Il symbolise le courant fondamentaliste, devenu « neo-évangélique », qui espère faire triompher le protestantisme conservateur. Document 4 La constitution face à la liberté de culte L’intérêt de ce document est de montrer le difficile équilibre entre respect de la laïcité, non favoritisme en faveur d’un culte particulier et liberté religieuse. On voit clairement que les arrêts de la Cour suprême cherchent à démêler ce qui est autorisé ou pas au nom de la liberté religieuse : interdiction de la bigamie (1879), de l’ouverture d’un commerce le dimanche (1961), du port d’un couvre-chef (kippa) pour un militaire en violation du règlement (1986), de la pratique d’un culte si la sécurité du pays en dépend (1987), de la consommation de produits illicites sous prétexte religieux (1990). En revanche, droit est reconnu, au nom de ses croyances, de ne pas participer à une cérémonie de salut au drapeau (1943), de s’opposer à une règle limitant la liberté d’un culte (1963), de sacrifier des animaux. Document 2 Une croisade de Billy Graham à New York Document 4 Religion et spectacle Les évangéliques se regroupent dès 1942 au sein de la National Association of Evangélicals, qui rompt avec la stratégie de séparation et s’ouvre aux protestants conservateurs restés au sein des Églises libérales. Ils renouent avec la tradition des Réveils et multiplient les associations et les grands rassemblements populaires soigneusement préparés en utilisant les méthodes du spectacle de variété ou des rencontres sportives. La première campagne est lancée par le Youth for Christ en 1944 (voir doc. 5, p. 153). Dans les années suivantes, la Guerre froide 108 semble réveiller la ferveur religieuse aux États-Unis. Issu des Youth for Christ, B. Graham lance sa propre croisade en utilisant la télévision où il excelle pour diffuser une théologie simple, véritable produit de consommation de masse, accessible, rassurante et patriote, tout à fait dans l’air du temps. C’est une religion correspondant aux aspirations des masses. 3. Il s’adresse à des foules énormes venues l’écouter dans la rue ou encore dans des stades, comme à New York en juillet 1957. Il utilise à cet effet des moyens de communication modernes (publicité) et bénéficie de l’appui d’un certain nombre de médias (radio, presse, télévision). 4. Graham prêche en pleine Guerre froide, à un moment de forte tension idéologique avec l’URSS. L’Amérique éprouve alors le besoin de revendiquer ses valeurs spirituelles face au matérialisme communiste. Graham veut à la fois rassurer les Américains sur eux-mêmes (« la foi en Dieu est tissée dans la fibre de notre nation ») et les avertir des menaces que fait peser sur l’identité même du pays, ce qu’il présente comme une décadence morale (relâchement des mœurs, violence, tensions raciales). Il offre un message d’espoir conditionné à la régénérescence spirituelle de l’Amérique. 5. Graham a été le « pape » de l’Amérique : en jouant le rôle de conseiller spirituel de presque tous les Présidents qui se sont succédé depuis les années 1950 (Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Reagan, Bush), il est perçu comme la conscience morale de l’Amérique, le gardien de la religion civile. « Représentant de l’universalisme religieux américain », il n’a aucun doute sur la mission de l’Amérique dans le monde. Pour autant, l’évolution de ses prêches montre une certaine inflexion : au thème de la chasse aux « rouges » durant la Guerre froide s’est substitué un discours plus humaniste sur la nécessité de construire la paix mondiale. Document 3 « Le Christ est au cœur de notre nation » Ce sermon, prononcé au Yankee stadium de New York en 1957, en pleine Guerre froide, est caractéristique de l’esprit évangélique qui cherche à réaffirmer l’identité chrétienne de l’Amérique. Sur le plan rhétorique, la construction est simple. Après avoir brandi les menaces intérieures et extérieures qui pèsent sur l’Amérique, Graham propose la solution : la foi en Jésus. Document 5 Graham et quelques Présidents américains Document 6 Un portrait de Billy Graham Graham a été le conseiller spirituel de plusieurs Présidents américains. Il fut particulièrement proche d’Eisenhower qu’il convertit, de Nixon et de Reagan (qui lui remet la Presidential Medal of Freedom). Il sert parfois à légitimer des choix politiques, comme l’atteste sa présence aux côtés du Président Bush lors du déclenchement de la guerre en Irak en 1991. Réponses aux questions 1. Billy Graham est né dans un milieu protestant. Il est baptisé par aspersion à un an. Mais il connaît une « nouvelle naissance en Jésus-Christ » (new birth) lors d’un baptême par immersion dans une communauté évangélique baptiste alors qu’il a 20 ans. De là, date son ministère de pasteur baptiste et sa carrière de prêcheur : chez les évangéliques, la mission d’évangélisation est centrale. 2. Les premières années du ministère de Graham sont marquées par un grand nombre de « croisades », aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe. Le message est simple, direct. Graham n’est pas un intellectuel : à toute difficulté, il trouve une réponse dans l’Évangile, présentée comme l’alpha et l’oméga en toute chose. Ce n’est pas non plus un révolutionnaire, mais un défenseur de l’ordre établi : il est présenté comme « sincère, transparent, convaincant ». VERS LE BAC Étude critique Les évangéliques combattent pour une Amérique régénérée et vertueuse. Les prêches de Graham dépassent les questions purement spirituelles pour aborder des thèmes politiques et sociaux. Plan possible I. Un discours patriote : réaffirmer la mission divine de l’Amérique dans le contexte de la Guerre froide II. Un discours sur l’état de la société : une critique de la dégénérescence morale III. Un programme de reconstruction spirituelle et morale 109 pages 168-169 ÉTUDE être pas le peuple élu mais Dieu nous utilise comme son instrument d’élection » dans la lutte pour la défense du monde libre, affirme le NCC. Les évangéliques abondent dans ce sens (cf. Billy Graham célébrant les États-Unis comme une nation chrétienne, bastion contre le communisme), de même que les catholiques. Devenu président, Eisenhower se fait baptiser en 1952 et fait entrer Dieu dans les emblèmes de la nation. Il modifie le serment au drapeau : les enfants américains jurent désormais tous les matins fidélité à la « nation sous le regard de Dieu ». Il fait remplacer la devise des États-Unis « E pluribus unum » par « In God we trust » (1956) qui apparaît sur les billets de banque et affirme « notre forme de gouvernement n’a pas de sens si elle n’est pas fondée sur une foi profonde et peu m’importe laquelle ». Il est clair que contre le communisme, l’Amérique a besoin de Dieu, mais avec cette nuance importante qu’il ne s’agit pas d’imposer le christianisme ou le protestantisme. On a ainsi l’interprétation globale de la citation déjà évoquée : « tout Américain devrait croire en Dieu [par opposition aux communistes], peu importe lequel [par respect de la tradition américaine] ». Dieu et la Maison-Blanche Selon la personnalité des Présidents qui se sont succédé à la Maison-Blanche, la religion y a eu plus ou moins droit de cité. Le contexte international a pu favoriser, à certains moments de l’histoire américaine, une plus grande instrumentalisation de la religion. Il n’en reste pas moins que l’élection de G.W. Bush a vu triompher un « born again » militant qui a pu laisser croire que le « mur de séparation » se fissurait. Document 1 Thomas Jefferson défend le « mur de séparation » entre l’Église et l’État C’est dans une lettre de Thomas Jefferson aux baptistes de Danbury, en 1802, que la formule « wall of separation » surgit. Elle explicite le premier amendement sous la forme d’un « mur de séparation » entre les Églises et l’État. L’expression « mur de séparation », bien que contestée, a depuis fait florès, tout comme l’importance normative d’une « séparation » entre les Églises et l’État, qui entre définitivement dans la jurisprudence de la Cour suprême en 1947, à l’occasion du cas Everson versus Board of Education. C’est au nom de cette séparation qu’en 1962, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles la prière et les lectures religieuses dans les écoles publiques (arrêt Engel versus Vitale). Document 4 Le président G. W. Bush en prière à la Maison Blanche Document 5 Document 2 G. W. Bush, une exception ? Theodore Roosevelt et la liberté de conscience À partir des années 1980, on assiste à un renversement de perspective. Une nouvelle droite religieuse s’engage en politique et acquiert une influence croissant dans le parti républicain. La grande nouveauté, c’est la percée politique des protestants conservateurs au bénéfice des républicains qui se sont attelés, depuis le milieu des années 1970, à construire une majorité en attirant les forces traditionnelles du Sud et du Nord. C’est l’aboutissement du passage des petits blancs du Sud agricole et des villes industrielles en perdition des démocrates vers les républicains, un processus qui commence au milieu des années 1950 et dont Reagan engrange les résultats. Fort d’avoir compris l’attachement des Américains à une certaine spiritualité dans la sphère politique, et persuadé que la défaite de George H. W. Bush en 1992 était liée à une aliénation de l’électorat religieux, le stratège politique de George W. Bush, Karl Rove, a mené avec succès une opération séduc- Membre de l’Église réformée hollandaise, T. Roosevelt ne se caractérise pas par un esprit très religieux. Il développe ici un discours dans la droite ligne de la position de Jefferson : religion et politique ne doivent interférer en aucune manière. Document 3 Eisenhower fait entrer la mention « in God we trust » dans la loi (1956) Avec la Guerre froide, la relation entre politique et religion s’inverse ; ce sont les politiques qui mobilisent la religion pour donner une dimension spirituelle à la lutte contre le communisme. L’ensemble des Églises se rallie alors à la lutte contre le communisme matérialiste et athée, car les États-Unis sont, à leurs yeux, un moindre mal par rapport à l’URSS. À nouveau, l’Amérique est présentée comme l’outil de la Providence : « nous ne sommes peut110 tion auprès de la droite chrétienne, en particulier auprès des quatre millions des protestants évangéliques qui ne s’étaient pas mobilisés en 2000. Résultat : 78 % des protestants évangéliques ont voté pour George W. Bush à l’élection présidentielle de 2004, soit 4 points de plus qu’en 2000, et ce chiffre s’est élevé à 88 % dans les rangs les plus traditionalistes. Les protestants évangéliques ont acquis, en seulement une trentaine d’années, une place de choix sur la scène politique américaine en devenant une composante essentielle de l’électorat républicain. Aujourd’hui, 56 % des protestants évangéliques se déclarent républicains, 27 % démocrates et 17 % indépendants. réaffirment leur vision messianique face au matérialisme marxiste de l’Union soviétique. 3. G. W. Bush est un « born again », un baptiste ayant connu une « seconde naissance en JésusChrist » grâce à un second baptême. Il appartient donc à la tradition évangélique et fonde son action politique sur sa foi. L’expression de cette foi se fait de manière publique : prières collectives à la Maison Blanche, utilisation d’un vocabulaire religieux, références constantes au Christ, etc. 4. D’autres Présidents américains se sont présentés comme des hommes pieux, certains ayant également connu des conversions tardives et spectaculaires, aussi bien chez les républicains (Einsenhower) que chez les démocrates (Carter). Mais G. W. Bush « parle la langue des évangéliques comme jamais aucun Président ne l’a fait ». 5. Obama prête serment sur la Bible de Lincoln, considéré par nombre d’Américains comme leur « plus grand » Président, connu pour son farouche attachement à la séparation stricte de l’État et de la religion, lui-même professant des convictions plutôt déistes. 6. Les États-Unis se présentent aux yeux du monde comme le pays de la liberté, liberté qu’ils cherchent à défendre au-delà de leurs frontières. C’est dans cette logique qu’il faut comprendre le vote en 1998 d’une loi instituant une Journée de la liberté religieuse conçue aussi « pour servir d’exemple au monde ». Document 6 Prestation de serment de B. Obama L’élection d’Obama laisse penser à un retour à une situation plus classique. Le jour de son investiture, Obama décide de prêter serment sur la Bible ayant appartenu à Lincoln, grande figure politique, connue aussi pour son déisme et une approche distanciée des relations entre Église et État. Document 7 La Journée de la liberté religieuse (2011) Les États-Unis se considèrent toujours comme porteurs d’un message pour toutes les nations, et c’est dans ce sens que l’on peut parler de messianisme. S’appuyant sur des fondements religieux, les Américains se sentent toujours investis d’une mission planétaire pour « sauver » le monde de la violence et du terrorisme, voulant se porter garants d’un bien essentiel, la liberté. La liberté pour laquelle le peuple américain s’est battu constitue, plus encore que l’égalité, l’essence même de leur démocratie, érigée en exemple universel. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. Par le premier amendement (non-établissement et liberté religieuse), l’État est garant de la laïcité II. L’État est garant de la liberté de conscience III. L’État défend la liberté religieuse au nom des droits universels de l’homme Réponses aux questions 1. Jefferson défend l’idée d’un « mur de séparation » entre l’Église et l’État. Cela signifie que l’État, neutre, ne doit pas se mêler de religion, qui est affaire personnelle et privée. En retour, les représentants de l’État ne sauraient être jugés sur leurs orientations religieuses. C’est la même idée que T. Roosevelt défend un siècle plus tard en séparant nettement action politique et orientation religieuse. 2. Einsenhower fait modifier la devise américaine en 1956, c’est-à-dire en pleine Guerre froide, à un moment où les États-Unis pages 172-173 VERS LE BAC Composition Cette composition, sous forme de question de synthèse, implique de l’élève qu’il reprenne les problématiques vues au cours du chapitre. 111 Plan complet I. Une grande diversité religieuse 1. Le déclin du protestantisme, religion longtemps dominante 2. La diversification du paysage religieux avec l’immigration 3. L’apparition de nouvelles croyances et de nouvelles pratiques II. Une sécularisation inégale 1. Une sécularisation à l’œuvre depuis la seconde moitié du XIXe siècle 2. Les résistances à la sécularisation 3. Aujourd’hui, deux Amérique face à face III. Une laïcité ancienne 1. Le poids des origines : non-établissement et liberté religieuse 2. Une religion civile, ciment de la nation 3. Une laïcité toujours en débat 112 THÈME 3 Puissances et tensions dans le monde, de la fin de la Première Guerre mondiale (17-18 heures) à nos jours point du programme Ce thème a pour objectif de faire comprendre les origines historiques de la géopolitique du monde actuel autour de deux problématiques majeures : comment se construit et évolue une puissance ? Quelles sont les origines historiques d’une conflictualité qui a traversé tout le siècle ? Question 1 : Les chemins de la puissance Mise en œuvre – Les États-Unis et le monde depuis les « 14 points » du Président Wilson (1918). – La Chine et le monde depuis le « mouvement du 4 mai 1919 ». Question 2 : Un foyer de conflits Mise en œuvre Le Proche et le Moyen-Orient, un foyer de conflits depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Scott Nearing et Joseph Freeman, Dollar Diplomacy : a study in American Imperialism, Literary Licensing, 2011 Yves-Henri Nouailhat, Les États-Unis et le monde de 1898 à nos jours, Armand Colin, 2003 bibliographie • Ouvrages généraux sur les États-Unis Denise Artaud, La Fin de l’innocence. Les ÉtatsUnis de Wilson à Reagan, Armand Colin, 1985 Gérard Dorel, Atlas de l’empire américain, Éditions Autrement, 2012 Philip Golub, Une Autre Histoire de la puissance américaine, Le Seuil, 2011 Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, 2004 Pierre Mélandri et Serge Ricard (dir.), Ethnocentrisme et diplomatie : l’Amérique et le monde au XXe siècle, L’Harmattan, 2003 Pierre Mélandri et Serge Ricard (dir.), La Montée en puissance des États-Unis. De la guerre hispanoaméricaine à la guerre de Corée 1898-1953, L’Harmattan, 2004 Pierre Mélandri et Serge Ricard (dir.), Les ÉtatsUnis et la fin de la Guerre froide, L’Harmattan, 2005 Pierre Mélandri et Serge Ricard (dir.), La Politique extérieure des États-Unis au XXe siècle : le poids des déterminants intérieurs, L’Harmattan, 2008 Pierre Mélandri et Serge Ricard (dir.), Les ÉtatsUnis entre uni- et multilatéralisme de Woodrow Wilson à George W. Bush, L’Harmattan, 2008 • Les États-Unis et le monde de 1918 à 1945 Jean-Baptiste Duroselle, De Wilson à Roosevelt. Politique extérieure des États-Unis, 1913-1945, Armand Colin, 1961 Gabriel Kolko, The Politics of War. The World and United States Foreign Policy, 1943-1945, New York, Pantheon Books, 1990 • Les États-Unis et le monde depuis 1945 Michel Allner et Larry Portis, La Politique étrangère des États-Unis depuis 1945. De la guerre mondiale à la mondialisation, Ellipses, 2000 Hervé Coutau-Bégarie, L’Amérique solitaire ? Les Alliances militaires dans la stratégie des ÉtatsUnis, Economica, 2009 Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La Politique étrangère des États-Unis. Fondements, acteurs, formulation, Presses de Sciences Po, 2008 113 Murielle Delaporte, La Politique étrangère américaine depuis 1945. L’Amérique à la croisée de l’histoire, Complexe, 1999 Pierre Hassner et Justin Vaïsse, Washington et le monde. Ceux qui pensent la stratégie américaine, Éditions Autrement, 2003 Emmanuel Mourlon-Druol, La Stratégie nord-américaine après le 11 septembre : un réel renouveau ?, L’Harmattan, 2005 Justin Vaïsse et Pierre Mélandri, L’Empire du milieu. Les États-Unis et le monde depuis la fin de la Guerre froide, Odile Jacob, 2001 Thierry Sanjuan, Le Défi chinois, La Documentation française, 2008 La Chine, 2000 ans d’histoire, TDC n°1021, 2011 • Sur le Proche et le Moyen-Orient Anne-Laure Dupont, Catherine Mayeur-Jaouen, Chantal Verdeil, Le Moyen-Orient par les textes, XIXe-XXIe siècles, Armand Colin, 2011 André Sellier et Jean Sellier, Atlas des peuples d’Orient. Moyen-Orient, Caucase, Asie Centrale, La Découverte, 2002 Karine Bennafla, Delphine Pagès-El Karoui, Olivier Sanmartin, Géopolitique du Maghreb et du Moyen-Orient, Éditions Sedes, 2007 « D’où viennent les révolutions arabes. 150 ans de combats politiques », dans Les collections de l’Histoire, n° 52, 2011 Hamit Bozarslan, Sociologie politique du MoyenOrient, La Découverte, 2011 Henri Laurens, Le Grand Jeu : Orient arabe et rivalités internationales depuis 1945, Armand Colin, 1991 Andre Nouschi, Luttes pétrolières au ProcheOrient, Flammarion, 1970 Nadine Picaudou, La Décennie qui ébranla le Moyen-Orient, 1914-1923, Bruxelles, Éditions Complexe, 1999 Nadine Picaudou, L’Islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Gallimard, 2010 Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, Atlas des Palestiniens. Un Peuple en quête d’un État, Éditions Autrement, 2001 • Penseurs américains Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Fayard/Pluriel, 2011 Noam Chomsky, De la guerre comme politique étrangère des États-Unis, Agone, 2004 Noam Chomsky, La Doctrine des bonnes intentions, 10/18, 2007 Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire ou le dernier homme, Flammarion, 2009 Samuel R. Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, 2009 Robert Kagan, La Puissance et la Faiblesse, suivi de Le Revers de la puissance, Hachette, 2006 Robert Kagan, Le Retour de l’Histoire et la Fin des rêves, Plon, 2008 Henry Kissinger, La Nouvelle Puissance américaine, Fayard, 2003 Gabriel Kolko, Un Siècle de guerres. Politique, conflits et société depuis 1914, L’Harmattan, 2000 filmographie • Sur la Chine Marie-Claire Bergère, Lucien Bianco, Jörgen Domes, La Chine au XXe siècle, Fayard, 19891990 Jean-Luc Domenach, Comprendre la Chine d’aujourd’hui, Perrin, 2007 Jean-Luc Domenach et Philippe Richer, La Chine, Le Seuil, 1995 François Guipoloux, La Chine au XXIe siècle. Une Nouvelle Superpuissance ?, Armand Colin, 2005 Alain Roux, La Chine contemporaine, Armand Colin, 2010 Thierry Sanjuan, Atlas de la Chine, Autrement, 2007 • Sur les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale Le Dictateur, Charlie Chaplin, 1940 To be or not to be, Ernst Lubitsch, 1942 Le Jour le plus long, Ken Annakin, Andrew Marton et Bernhard Wicki, 1962 Il faut sauver le soldat Ryan, Steven Spielberg, 1998 La Ligne Rouge, Terrence Malick, 1998 Pearl Harbor, Michael Bay, 2001 Mémoire de nos pères, Clint Eastwood, 2006 The War, Ken Burns et Lynn Novick, 2007 (documentaire sur la Seconde Guerre mondiale racontée par des vétérans américains) 114 • Sur la guerre du Vietnam Les Bérets Verts, John Wayne et Ray Kellogg, 1968 Voyage au bout de l’enfer, Michael Cimino, 1978 Apocalypse Now, Francis Ford Coppola, 1979 Platoon, Oliver Stone, 1986 Good Morning Vietnam, Barry Levinson, 1987 Full Metal Jacket, Stanley Kubrick, 1987 sitographie www.dandurand.uqam.ca : un observatoire analysant les débats de société aux États-Unis et la politique étrangère américaine history.state.gov : site du département d’État des États-Unis, avec de nombreux documents sur la politique extérieure étasunienne durant les années 1945-1974 uwdc.library.wisc.edu/collections/FRUS : site de l’Université du Wisconsin, qui propose en ligne l’ensemble des 375 volumes de la série FRUS (Foreign Relations of the United States) de 1861 à 1960 ; mine inestimable de documents issus du département d’État www.cia.gov/library/center-for-the-study-ofintelligence/index.html : site de la CIA qui publie de nombreux articles de la revue Studies in intelligence www.gwu.edu : site de l’Université George Washington qui réunit des documents sur la politique extérieure des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale www.irancarto.cnrs.fr : un site de cartes sur l’Iran cartographie.sciences-po.fr : cartothèque de Sciences Po www.un.org/french/newscentre : le centre d’actualités de l’ONU propose de nombreux dossiers notamment sur le Proche-Orient • Sur la politique étrangère américaine Le Président Wilson, Henry King, 1944 Treize jours, Roger Donaldson, 2000 (sur la crise de Cuba) Jarhead. La fin de l’innocence, Sam Mendes, 2005 (sur la guerre du Golfe) La Chute du faucon noir, Ridley Scott, 2001 (sur l’intervention en Somalie en 1993) Green zone, Paul Greengrass, 2010 (sur l’occupation de l’Irak en 2003) World Trade Center, Oliver Stone, 2005 (sur les attentats du 11 septembre 2001) • Sur le Moyen Orient Lawrence d’Arabie, David Lean, 1962 Valse avec Bachir, Ari Folman, 2008 (sur l’intervention israélienne au Liban de 1982) Persepolis, Marjane Satrapi, 2007 (sur la révolution iranienne) Le Tableau noir, Samira Makhmalbaf, 2000 (sur le Kurdistan iranien) Les Rois du désert, David O. Russel, 1999 (sur la guerre du Golfe) 115 CHAPITRE 6 Les États-Unis et le monde depuis 1918 Ce chapitre s’inscrit dans une question sur « les chemins de la puissance ». Il ne s’agit donc ni d’une histoire des relations internationales ni d’une histoire intérieure des États-Unis durant le XXe siècle. L’étude de la relation ambiguë que les États-Unis ont entretenue avec le monde depuis la fin de la Première Guerre mondiale doit permettre d’analyser ce qu’est une grande puissance et comment elle interagit dans un environnement qui se mondialise. L’articulation des dimensions économique, politique et militaire est indispensable car elles s’éclairent mutuellement. La prise en compte de l’ensemble du siècle rend possible de souligner des tournants. Il conviendra donc de faire une part suffisante à l’étude des années 1918-1941, en dépit de leur aspect relativement peu familier pour les élèves. En revanche, l’analyse des années suivantes pourra s’appuyer sur des connaissances acquises par les élèves durant leur année de Première (Transformations économiques et sociales du monde, Seconde Guerre mondiale, Guerre froide, Nouvelles conflictualités), tout en prenant la peine de les problématiser de manière différente. Si depuis 1918 les États-Unis sont bien la première puissance économique du monde, ils n’ont pas considéré leur rôle dans le monde d’une manière identique au fil des années. Cependant, la permanence de certains fondements de la puissance étasunienne est remarquable (prétention à incarner et défendre le libéralisme politique et économique, croyance dans la supériorité du libéralisme et dans la nécessité de l’exporter dans le monde, attraction du rêve américain et de l’American Way of Life, volonté de subordonner l’interventionnisme à la défense des intérêts économiques et financiers, prétention à réorganiser le monde au terme de chacune de leurs interventions majeures : 1918, 1945, 1991). On peut distinguer trois moments chronologiques : – de 1918 à 1941, les États-Unis entendent élargir l’assiette de leur puissance économique et financière tout en intervenant de manière ciblée dans le monde ; les dirigeants successifs doivent compter avec une opinion publique majoritairement acquise à l’isolationnisme, ce qui explique les oscillations de la politique extérieure des États-Unis (qu’on ne peut elle-même qualifier d’isolationniste que pendant les années 1930 et avec des précautions) ; – de 1941 à 1991, les États-Unis sont investis dans la lutte contre les totalitarismes, qui prend deux formes successivement combattues, nazisme et communisme soviétique ; le leadership du « monde libre » mobilise les Américains, qui renforcent leurs capacités d’influence (diplomatique, militaire, économique, financière) sur le monde au cours de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide ; entre 1947 et 1991, l’extension de la puissance étasunienne (hard et soft power) est justifiée par la lutte idéologique menée contre le communisme ; – depuis 1991, les États-Unis accèdent au statut de seule superpuissance. Si les années 1990 constituent bien une période d’apogée apparent de la puissance étasunienne au cours de laquelle ils interviennent pour défendre un « nouvel ordre mondial », les années 2000 sont celles de l’accélération de la remise en cause de la puissance étasunienne dans un monde de plus en plus complexe et de plus en plus multipolaire. Les guerres de l’administration Bush II sont difficiles à légitimer aux yeux d’une large partie du monde. pages 178-179 OUVERTURE DE CHAPITRE novembre 1918, 1,8 million de soldats étasuniens se battent en Europe, alors que leur pays est devenu le premier créancier du monde, en particulier auprès des puissances en guerre contre les empires centraux. Sur la seconde photographie, un soldat recouvre symboliquement d’un drapeau étasunien une statue monumentale de Saddam Hussein le 9 avril 2003. Consécutifs aux attentats terroristes La mise en regard des deux photographies met en valeur deux types d’intervention des États-Unis dans le monde. La première représente le départ des soldats étasuniens en route pour le front occidental de la Première Guerre mondiale. Elle exprime l’aide matérielle et humaine fournie par les États-Unis à partir de leur entrée en guerre le 2 avril 1917 : en 117 tation de deux planisphères. Le premier présente le monde de la Guerre froide dans les années 19501960. Le centrage sur les États-Unis met en valeur la vision étasunienne du monde. Si la bipolarisation du monde apparaît bien comme le principal enseignement de ces décennies, c’est aussi la « pactomanie » des États-Unis qui ressort, comme volonté d’encerclement du bloc communiste (dans la logique d’endiguement énoncée par le président Truman en 1947). Les États-Unis ont « organisé » le « monde libre » dans des alliances transatlantiques et transpacifiques. La représentation du monde centrée sur les États-Unis renforce l’impression de domination étasunienne et semble atténuer la menace communiste (le bloc communiste apparaît fragmenté par le découpage cartographique et les « bords » de la carte, et semble relégué dans la périphérie d’un monde américain). L’étude de ce planisphère est l’occasion de réactiver des connaissances acquises lors de l’année de Première, au cours de laquelle les élèves ont étudié la Guerre froide. Le second planisphère, lui aussi articulé au programme de Première sur les nouvelles conflictualités dans le monde de l’après-Guerre froide, interroge la place des États-Unis dans le monde à l’aube du XXIe siècle. Le pays apparaît bien comme une superpuissance en capacité d’intervenir sur tous les océans et continents (voir les moyens de la domination étasunienne). La lecture unipolaire du monde est induite par la première partie de la légende, dont la continuité avec l’organisation du « monde libre » durant la Guerre froide est évidente. L’extension de l’OTAN à l’Europe de l’Est, anciennement communiste, semble renforcer la domination étasunienne. Cependant, celle-ci est contestée ou ébranlée par l’expression de puissances concurrentes. Aujourd’hui, on assiste à un relatif déclin de la position des États-Unis dans le concert des nations. La vision d’un monde multipolaire, dans lequel les États-Unis assument encore un rôle prépondérant, correspond mieux à la réalité du monde complexe du début du XXIe siècle. du 11 septembre 2001, l’invasion de l’Irak par les États-Unis et le renversement du régime de Saddam Hussein en 2003 provoquent une occupation du pays. Le cliché rend compte de la médiatisation des événements et de la force symbolique de l’acte : la bannière étoilée libère l’Irak de la dictature en l’effaçant du paysage urbain de Bagdad. Les contextes des deux photographies sont donc très différents, mais chacune illustre à sa manière la capacité et la volonté des États-Unis de se projeter dans le monde. pages 180-181 INTRODUCTION L’objectif de cette double-page est de contextualiser le chapitre dans la longue durée. Il s’agit donc de montrer les invariants de la politique étrangère étasunienne depuis l’indépendance du pays. Quelques principes structurent en effet cette politique : – le « non entanglement », qui consiste à refuser toute alliance ou action contraignante qui lierait les ÉtatsUnis à d’autres pays (le pays cherche en particulier à ne pas s’immiscer dans les querelles européennes) ; – le messianisme économique et politique, qui assimile le modèle libéral (démocratie libérale et libéralisme économique) à un modèle exportable dans le monde entier ; – la « destinée manifeste », selon laquelle les ÉtatsUnis sont appelés à étendre leur influence, voire leur territoire, surtout sur le continent américain, considéré comme une chasse gardée des États-Unis depuis la doctrine Monroe de 1823. L’articulation de ces principes permet de défendre les intérêts du pays et de mener une politique interventionniste ciblée. Progressivement, les ÉtatsUnis s’affirment comme une grande puissance industrielle et commerciale, dont la participation tardive à la Première Guerre mondiale constitue une contribution majeure à la victoire de l’Entente. La caricature de la doctrine Monroe publiée en 1896 permet d’illustrer l’allégorie des États-Unis dans la figure de l’Oncle Sam. Officiellement, c’est l’interprétation humoristique des initiales « US » figurant sur les caisses de viande, fournies par Samuel Wilson aux soldats pendant la guerre de 1812 contre l’Angleterre, qui a fondé l’assimilation de l’« Uncle Sam » aux États-Unis. pages 182-183 pages 184-185 LEÇON 1 L’échec du wilsonisme durant l’entre-deux-guerres CARTE De l’isolationnisme à l’interventionnisme Cette première leçon concerne une période assez peu étudiée de la politique étrangère des ÉtatsUnis. L’idée reçue qui prévaut est celle d’une Amé- La longue durée – près d’un siècle – dans laquelle s’inscrit l’étude de ce chapitre nécessite la présen118 rique largement isolationniste. En réalité, même si une partie de l’opinion publique est effectivement isolationniste, les élites dirigeantes ont mené une politique interventionniste sélective afin de promouvoir et de défendre les intérêts économiques et financiers des États-Unis. Parallèlement, en Amérique latine, l’aire d’influence étasunienne est maintenue voire renforcée. Cependant, le refus de ratifier le traité de Versailles et donc de participer à la SDN entraîne un relatif retrait des affaires européennes. Cela n’empêche pas les États-Unis de jouer un rôle important dans les négociations sur le règlement des réparations dues par l’Allemagne à l’issue de la Première Guerre mondiale. Il s’agit de s’assurer que les banques américaines seront bien remboursées de leurs prêts fournis aux puissances alliées. La « diplomatie du dollar » connaît un âge d’or durant les années 1920, y compris en Europe. La crise de 1929 provoque une relative inflexion dans la politique extérieure des États-Unis, avec un repli sur eux-mêmes plus marqué et une tiédeur à condamner autrement que verbalement les agissements belligènes du Japon, de l’Italie et de l’Allemagne. Le président Roosevelt mène une politique marquée par l’opinion publique isolationniste, dont le poids se traduit dans le vote des lois de neutralité. En Amérique latine, la politique de « bon voisinage » consiste pour les États-Unis à ne plus recourir aux interventions armées pour maintenir leur influence. tement des questions coloniales. Surtout, pour garantir la paix future, il appuie l’idée de la création d’une Société des nations, au sein de laquelle chaque État pourra défendre ses droits. 2. La position du président Wilson à propos de la question coloniale est exprimée dans le point 5. Elle tient dans l’affirmation d’une égalité de dignité et de légitimité entre les peuples colonisés et les puissances colonisatrices. Il ne s’agit pas d’anticolonialisme de principe, mais d’une juridicisation des relations entre les métropoles et les colonies. Document 2 La guerre hors-la-loi La signature du pacte Briand-Kellogg le 27 août 1928 est l’aboutissement d’une négociation menée par le ministre français des Affaires étrangères, Aristide Briand, et son homologue américain Franck B. Kellogg. Initialement conçu comme un pacte bilatéral, le texte se transforme à l’initiative des États-Unis en accord multilatéral. Quinze pays signent le pacte, qui déclare la guerre « hors-la-loi ». De portée symbolique, il n’engage pas les ÉtatsUnis, ce qui permet sa ratification par le Sénat. Il témoigne cependant de l’intérêt que les ÉtatsUnis portent à la stabilité de la paix dans le monde, même s’ils ne participent pas à la SDN. Document 3 La puissance financière des États-Unis dans le monde Document 1 Les « Quatorze Points » du Président Wilson Durant l’entre-deux-guerres, les États-Unis poursuivent la politique d’avant-guerre et pratiquent la « diplomatie du dollar » en investissant massivement à l’étranger. Premiers créanciers de la planète en 1918, ils exercent des pressions sur les pays dans lesquels ils investissent pour défendre leurs propres intérêts. Le président des États-Unis, Woodrow Wilson, s’adresse au Congrès le 8 janvier 1918 afin de mettre en place une « nouvelle diplomatie », alors que les négociations pour une paix séparée sont bien avancées entre les empires centraux et la Russie. Ce programme, élaboré sans réelle concertation avec les alliés des États-Unis, consiste à encadrer les futures conditions de la paix internationale. Réponses aux questions 1. Les États-Unis privilégient le continent américain, surtout l’Amérique du Nord, et l’Europe. Les investissements à destination du continent américain correspondent au renforcement de leur influence dans une aire considérée comme « chasse gardée » par les États-Unis. Dans le cas européen, les investissements correspondent à l’entretien de liens entre pays industrialisés où les marchés de consommateurs solvables sont Réponses aux questions 1. Le nouvel ordre international wilsonien est fondé sur plusieurs principes, énumérés dans les points 1 à 5 : une diplomatie ouverte et transparente qui rompt avec les pratiques traditionnelles du secret diplomatique, le libéralisme économique avec la libre-circulation sur les mers et la suppression des barrières douanières, la réduction des armements, la prise en compte des peuples colonisés dans le trai119 importants. Surtout, il s’agit de s’assurer que la reconstruction européenne permettra le remboursement des dettes contractées par les puissances alliées durant la Première Guerre mondiale. Plus profondément, c’est aussi un moyen de concurrencer la puissance financière du Royaume-Uni. Jusqu’en 1925, seul le dollar est convertible en or. 2. Le krach boursier du 24 octobre 1929 et la crise économique qui s’ensuit sont responsables d’un repli général des investissements étasuniens dans le monde. Ce sont surtout l’Amérique latine et l’Europe qui subissent ce retrait. Les historiens interprètent le désengagement et le repli étasuniens comme une cause de l’approfondissement des difficultés économiques et financières de l’Europe. Les États-Unis n’ont pas joué, dans l’économie et les finances mondiales, un rôle proportionnel à leurs capacités de première puissance économique mondiale. Dawes, le comité prévoit un plan quinquennal provisoire de paiement des réparations par l’Allemagne. Le « plan Dawes » est accepté lors de la conférence de Londres durant l’été 1924. Un gigantesque emprunt est lancé aux États-Unis pour investir en Allemagne. La « diplomatie du dollar » permet la stabilisation des monnaies européennes et contribue à la pacification des relations franco-allemandes. Un second comité d’experts se réunit en février 1929 à Paris sous la direction d’un autre banquier américain, Owen Young : le paiement définitif des réparations allemandes est prévu sur 58 ans et sert explicitement en grande partie au remboursement des dettes interalliées. pages 186-187 ÉTUDE La SDN divise les Américains Le projet d’une organisation internationale à vocation pacifique remonte à la fin du XIXe siècle. Le radical français, Léon Bourgeois, a repris cette idée en 1910 dans son livre Pour la Société des nations, dans lequel il milite pour la création d’un droit international garanti par un tribunal et une police. La Première Guerre mondiale favorise la diffusion de ce thème. Le président des États-Unis Wilson s’en empare en 1916 et en fait le dernier point de son discours devant le congrès le 8 janvier 1918 (voir les Quatorze Points du président Wilson page 185). La conférence de Paris adopte, le 28 avril 1919, le pacte de la SDN, sous la pression tenace du président américain. Le pacte est incorporé dans tous les traités de paix des années 1919-1920 (du traité de Versailles à celui de Sèvres). Le Conseil tient sa première réunion le 6 janvier 1920, en attendant la convocation de l’Assemblée à Genève en novembre. Entre ces deux dates, le 19 mars 1920, le Sénat américain refuse de ratifier le traité de Versailles – et donc la création de la SDN – faute de l’obtention de la nécessaire majorité des deux tiers. Document 4 Un isolationnisme relatif Réponse à la question Contrairement à une idée répandue, les ÉtatsUnis ne sont pas une puissance isolationniste durant les années 1920. En revanche, de nombreux Étasuniens pensent que l’isolement est une réponse aux incertitudes internationales. Tiraillés entre des ambitions économiques et financières mondiales et la pression de l’opinion publique intérieure, les dirigeants des ÉtatsUnis refusent toute alliance contraignante, mais font preuve d’un impérialisme certain hors d’Europe. Ils négocient victorieusement la parité avec la marine de guerre britannique (conférence de Washington en 1921-1922). En Europe, ils se montrent attachés au paiement des dettes de guerre (plus de 10 milliards de dollars) contractées par les pays alliés contre les empires centraux en 1914-1918. Afin de rembourser ces dettes, les pays débiteurs des États-Unis comptent sur le paiement des réparations (dont le montant n’a pas été fixé dans les traités de paix) par les pays vaincus. Les difficultés financières des pays européens au début des années 1920 les contraignent à accepter une médiation américaine sous la forme d’un comité d’experts internationaux. Piloté par le banquier américain Charles Document 3 La SDN, un danger pour l’identité américaine ? Le sénateur républicain, Henry Cabot Lodge, est un des leaders du camp opposé à la SDN. Président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, il prononce des discours influents. Lodge est favorable à une adoption du traité de Versailles avec 120 des « réserves » (les Lodge reservations). Ces réserves préservent la chasse gardée étasunienne sur le continent américain et mettent les États-Unis à l’abri d’un engagement non décidé dans les querelles intra-européennes. Une majorité des deux tiers, nécessaires pour l’adoption du traité, aurait pu se dégager autour d’une adoption avec réserves, mais Wilson fait échouer le vote en accusant les réserves de dénaturer la SDN (vote du 20 novembre 1919). Lodge tente d’obtenir un compromis auprès de Wilson, qui refuse obstinément toute modification du texte initial. Finalement, le 19 mars 1920, le traité de Versailles, toujours présenté avec les « réserves », n’obtient que 49 voix sur 84 (soit moins des deux tiers) au Sénat : il est donc définitivement rejeté. pourront toujours utiliser leur place de membre permanent du Conseil de la SDN pour ne pas s’engager dans des actions jugées contraires à leurs intérêts. Cet argument est contradictoire avec l’idée d’un « jugement de l’humanité » qui s’imposerait à tous comme solution raisonnable et raisonnée aux tensions internationales. On peut penser que Wilson l’utilise dans le but de convaincre le peuple américain de se rallier à la SDN. En effet, de retour d’Europe où il a négocié le traité de Versailles, Wilson prétend s’appuyer sur une opinion publique qu’il pense massivement favorable à la SDN pour forcer la main du Sénat. Il mène une campagne harassante dans tout le pays en septembre 1919. 3. La majorité républicaine au Sénat soutient Lodge dans son opposition au traité de Versailles. Partisan de la puissance américaine et de son expansion dans le monde, Lodge est aussi un gardien jaloux de la souveraineté de son pays ; c’est pourquoi il estime que l’article 10 de la SDN est contraire à la liberté originelle des États-Unis. Dans les deux camps, pro- et anti-SDN, la revendication d’un attachement aux États-Unis est mise en avant (le slogan America first est brandi par tous). C’est surtout la crainte d’être entraîné dans des conflits internes au continent européen et de perdre ainsi une capacité d’action internationale que Lodge met en avant. Si les États-Unis doivent intervenir dans des questions internationales, Lodge souhaite que la décision appartienne au Congrès, et non à la SDN. Plus largement, Lodge s’oppose à Wilson sur les compétences respectives du Congrès et du président dans la déclaration de guerre : pour Lodge, c’est le Congrès qui doit contrôler toute entrée en guerre des États-Unis. 4. Le Sénat américain joue un rôle majeur dans le débat sur la SDN. Porté par la voix éminente de H.C. Lodge, il entend défendre les prérogatives du Congrès face au pouvoir présidentiel. Il prétend aussi défendre la liberté et la souveraineté des États-Unis, menacées par le caractère affirmé contraignant de la SDN. Les sénateurs sont conscients de leur importance car la ratification du traité de Versailles, et donc la SDN, doit être votée au Sénat à la majorité des deux tiers. Les deux caricatures montrent bien la manière dont les médias relaient le débat sur la SDN. Sceptique (doc. 4), l’allégorie du Sénat intervient résolument en faveur du Document 6 Un retour à l’isolationnisme ? Les élections de novembre 1920 sont largement remportées par les républicains, en dépit de l’investissement de Wilson et de sa volonté de faire de la campagne une caisse de résonance des questions internationales. Warren Harding devient donc président au début de l’année 1921. Il prononce un discours inaugural le 4 mars 1921, dans lequel il réaffirme un retour à la situation d’avant-guerre en matière de politique extérieure (son slogan de campagne est Back to normalcy). Réponses aux questions 1. Pour Wilson, la SDN est la garante d’une paix stable et durable. La représentation de tous les pays du monde, quelle que soit leur importante diplomatique dans le concert des nations, doit permettre de porter les potentiels différends devant l’assemblée de la SDN. Le recours à la force dans les relations internationales serait ainsi évité par la garantie générale des frontières et de la souveraineté de chaque État. Les positions adoptées par la SDN, de manière collégiale et concertée, seraient la traduction du « jugement de l’humanité ». Le parti démocrate s’investit en faveur de la ratification du traité de Versailles et de la SDN, y compris dans des campagnes de chansons, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1920. Franklin D. Roosevelt y apparaît comme colistier du candidat démocrate (à droite sur le document 2). 2. Afin de contrer les opposants à la SDN, qui l’accusent de contraindre la liberté souveraine des États-Unis, Wilson précise que ceux-ci 121 des États-Unis dans le monde pour défendre leurs intérêts. De la même manière, le clivage entre démocrates et républicains ne recoupe que partiellement le clivage entre pro- et anti-SDN. « non-entanglement » (doc. 5) pour sauver les États-Unis d’une « alliance » désastreuse parce que potentiellement contraire à leurs intérêts. 5. Le débat sur la SDN révèle les tensions entre le Sénat et la Maison-Blanche pour la définition de la politique extérieure des États-Unis. Bien que décisionnels de l’entrée en guerre de leur pays en tant que membres du Congrès, les sénateurs souhaitent cependant réaffirmer leur rôle en s’opposant à la politique volontariste et internationaliste défendue par le président. Chacun prétend incarner le mieux les valeurs étasuniennes. 6. Le refus d’assumer un rôle mondial, et encore plus un rôle européen, motive l’isolationnisme de Harding. Cependant, Harding précise qu’il ne s’agit pas d’empêcher la recherche de la paix et du désarmement. C’est la permanence de la SDN qui semble poser le plus problème. L’engagement volontaire et fondé sur des objectifs précis des États-Unis dans les relations internationales est prôné comme la poursuite de la politique extérieure du pays au XIXe siècle. Le wilsonisme est interprété comme une parenthèse à refermer, une parenthèse grosse de danger pour l’indépendance étasunienne. pages 188-189 Étude Franklin D. Roosevelt : de la paix à la guerre Élu président en 1932, Roosevelt entre en fonction en 1933, alors que les États-Unis connaissent des difficultés économiques sans précédent. La politique de New Deal concentre les efforts du président pour relever l’économie étasunienne. Depuis le début des années 1930, massivement soutenue par l’opinion publique, la politique étrangère étasunienne fait les frais d’un repli isolationniste. De nombreux capitaux investis en Europe sont rapatriés, ce qui contribue à accroître les difficultés économiques et sociales des pays européens. Le retour au protectionnisme (tarif Smoot-Hawley de 1930) provoque une diminution du commerce extérieur étasunien. Face à l’invasion de la Mandchourie par le Japon à partir de 1931, les États-Unis se contentent de refuser la reconnaissance du Mandchoukouo. Pourtant, conscient des faiblesses de la flotte de guerre étasunienne, Roosevelt obtient le déblocage de fonds pour la moderniser dès 1933. Parallèlement, surtout à partir de 1938, Roosevelt accélère le réarmement des États-Unis, à la fois parce que le contexte international se tend et pour relancer l’industrie du pays. Résolument hostile au nazisme, Roosevelt recherche pourtant le compromis (doc. 3). En 1938-1939, il est par exemple favorable à une réforme de la SDN afin de renforcer ses capacités d’action. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, les États-Unis se rapprochent des démocraties en guerre, mais sans intervenir dans le conflit et le débat reste vif entre isolationnistes et partisans d’une entrée en guerre (doc. 4 à 6). VERS LE BAC Composition I. La SDN, une alliance pacifique universelle ? Wilson estime que les États-Unis ont un rôle éminent à jouer dans le maintien de la paix mondiale ; leur responsabilité en tant que première puissance mondiale au lendemain du premier conflit mondial est engagée. La « nouvelle diplomatie » wilsonienne est fondée sur un internationalisme volontariste. II. La SDN, un danger pour la souveraineté des États-Unis ? Les opposants à la SDN estiment au contraire que les États-Unis ne doivent pas être contraints de défendre des causes qui ne seraient pas librement choisies. C’est la poursuite de la traditionnelle politique de « non entanglement ». III. La SDN, un révélateur des clivages internes à la classe politique étasunienne ? Les débats autour de la SDN n’opposent pas exactement isolationnistes et interventionnistes. Refuser la SDN au motif qu’elle lierait la souveraineté des ÉtatsUnis ne signifie pas forcément être isolationniste. H.C. Lodge est par exemple partisan à la fois du rejet de la SDN pour ce motif et de l’intervention Document 1 Une « neutralité bien organisée » En 1935, la commission du Sénat présidée par le républicain Gerald Nye rend ses conclusions sur le rôle des industriels et des banquiers dans l’intervention étasunienne dans la Première Guerre mondiale : l’opinion publique aurait été trompée par les industriels et les banquiers, qui auraient privilégié leurs propres intérêts sur l’intérêt général. La publicité faite autour du rapport de la commission Nye révèle que les Américains ne sont pas prêts à s’investir à nouveau dans un conflit européen. Le vote 122 des lois de neutralité (Neutrality Acts) témoigne bien de l’isolationnisme étasunien durant les années 1930. L’embargo sur la vente d’armes et de munition à tout pays en guerre est voté en 1935. Il est élargi à tout type de guerre, y compris civile, en 1937. Les Neutrality Acts sont en partie des lois de circonstance, visant à éviter toute implication dans l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie ou dans la guerre civile espagnole. En 1937 cependant, la clause cash and carry permet à des pays étrangers d’acheter comptant et d’emporter eux-mêmes des marchandises stratégiques autres que des armes. prêt-bail (lend-lease) : les États-Unis prêtent aux États en guerre du matériel à condition que leur défense soit considérée comme vitale pour celle des États-Unis eux-mêmes. Au nom de la loi du 11 mars 1941, le Royaume-Uni reçoit donc une aide considérable des États-Unis, mais il doit en contrepartie supprimer la clause de la préférence impériale qui gênait le commerce étasunien dans le monde britannique. La loi prêt-bail est aussi une arme économique des États-Unis en faveur de l’ouverture maximale des marchés à leurs entreprises et à leurs produits. La « diplomatie de l’assistance » (J.-B. Duroselle) rend les bénéficiaires dépendants du donateur. La loi prêt-bail implique la conversion de l’économie étasunienne en économie de guerre, même si le pays n’est officiellement en guerre avec personne. Document 3 Les dangers de la neutralité Roosevelt remet progressivement en cause l’isolationnisme prévu par les Neutrality Acts. Dès le milieu des années 1930, il rappelle le contexte de tension internationale (en Europe et en Asie orientale). Durant l’été 1937, il décide finalement que la Chine n’est pas réellement en guerre, alors qu’elle est attaquée par le Japon, ce qui permet de continuer à lui vendre des armes et des munitions (cependant, aucune sanction réelle n’est votée contre le Japon). Réponses aux questions 1. Le Neutrality Act de 1935 prévoit un embargo sur les exportations d’armes et de munitions à destination des pays en guerre. Il renforce aussi le pouvoir du président en lui donnant la capacité de limiter les exportations de produits stratégiques (matières premières, pétrole) à destination de pays en guerre. La loi de 1936 – celle dont il est question dans le document – reprend ces dispositions et en ajoute une, celle d’interdire tout prêt financier à un État belligérant. Les Neutrality Acts prennent en compte le contexte d’intensification des tensions internationales et réaffirment la volonté étasunienne de ne pas s’engager dans les conflits en cours ou à venir. Ils utilisent les échanges commerciaux comme une mesure de rétorsion contre les États qui violent la paix mondiale, sans distinction des agresseurs et des agressés. 2. Le 5 octobre 1937, Roosevelt prononce un discours dans lequel il dresse le portrait médical d’un monde exposé aux dangers provoqués par quelques États agressifs. S’il reprend l’analyse fondant les Neutrality Acts, à savoir le refus de se laisser engager dans des querelles externes, Roosevelt imprime une inflexion en affirmant que les États-Unis « s’engage[nt] dans la recherche de la paix ». Ce volontarisme se traduit en 1938 par la promotion étasunienne de la sécurité collective et d’une réforme de la SDN qui permettrait un renforcement de ses capacités d’action. Le déclenchement de la Document 4 L’inquiétude des isolationnistes Document 5 Roosevelt réveille l’Amérique Les mouvements isolationnistes (avec à leur tête des héros pour les Américains, comme l’aviateur Lindbergh) semblent avoir une influence réelle jusqu’en 1940 encore. Un sondage réalisé durant l’automne 1940 révèle que 75 % des sondés sont favorables à une aide économique au RoyaumeUni, mais que 83 % refusent toute intervention armée dans le conflit. La photographie (4b) semble aller dans ce sens en témoignant d’un grand meeting. La campagne présidentielle de 1940 contraint Roosevelt à se montrer modéré. Triomphalement réélu, il s’investit plus résolument dans le soutien au Royaume-Uni, avec lequel une partie de plus en plus importante des Américains se sent en communion de valeurs et de civilisation. Les médias relaient les discours de Roosevelt sur la menace nazie (document 5). Document 6 Les États-Unis en état de défense La mobilisation industrielle des États-Unis s’intensifie en 1941. En mars, le Congrès adopte la loi 123 guerre ne permet pas d’estimer l’efficacité de ces négociations, qui ne peuvent aller à leur terme. 3. Au début de l’année 1939, Roosevelt souligne les dangers de la neutralité. Il désigne « les nouvelles philosophies totalitaires » comme des ennemis de la liberté susceptibles de menacer les États-Unis. Les coups de force d’Hitler ont pris un tour plus agressif et explicitement expansionniste, tandis que le Japon poursuit sa conquête de la Chine. Le président américain, dans la lignée de ses prédécesseurs, met en avant la défense du continent américain. Surtout, il affirme avec détermination à la fois la condamnation des totalitarismes et la volonté de s’engager pour le maintien de la paix. Cependant, il n’envisage pas d’intervention militaire contre les États agresseurs. Il préconise une révision des Neutrality Acts pour permettre de soutenir les victimes des agressions en leur fournissant une aide économique. Roosevelt précise aussi qu’il ne faut pas exclure une agression directe contre les États-Unis ou contre son aire d’influence ; dans ce cadre, il est prêt à l’emploi de la force militaire. C’est pourquoi il annonce la poursuite du réarmement étasunien. Le maintien d’une politique isolationniste serait donc un danger car il conforterait les États-Unis dans l’idée qu’ils ne sont pas liés au sort de l’Europe ou de l’Asie, alors qu’ils pourraient devenir à leur tour victimes des puissances expansionnistes. 4. L’opinion publique étasunienne des années 1930 est majoritairement isolationniste. Un sondage de février 1937 estime à 95 % la part d’isolationnistes parmi les sondés. L’évolution de Roosevelt vers une remise en cause des Neutrality Acts, et les débats consécutifs au Sénat trouvent un écho dans le discours du sénateur républicain Arthur Vandenberg le 27 février 1939. Celui-ci reprend une thématique traditionnelle de la politique extérieure étasunienne du XIXe siècle, à savoir le repli sur le continent américain et la satisfaction d’être protégé des zones de tensions par deux océans, Pacifique et Atlantique. Pour le sénateur, les États-Unis n’ont pas à assumer un quelconque rôle de médiateur entre les puissances européennes. Le début de la guerre en Europe ébranle les certitudes des isolationnistes étasuniens, mais n’empêche pas la création du comité America First en novembre 1940 (doc. 4b), qui compte jusqu’à 800 000 membres (autant que le Committe to Defend America by aiding the Allies). 5. Dans son discours du 27 mai 1941, Roosevelt souligne l’intérêt que les États-Unis ont à soutenir le Royaume-Uni, afin de convaincre les Américains qu’ils se défendent eux-mêmes en aidant les Anglais. En novembre 1941, il obtient du Congrès la levée de toutes les restrictions qui pesaient encore sur le commerce étasunien : c’est vider de sa substance le Neutrality Act et permettre la liberté du commerce avec la Grande-Bretagne. VERS LE BAC Composition Durant les années 1930, le président Roosevelt doit compter avec une opinion publique isolationniste en proie à des difficultés économiques et sociales importantes. Ses capacités d’action à l’international sont donc modérées par la prise en compte du contexte intérieur. Par ailleurs, il semble que Roosevelt ait lui-même évolué sur la question de l’interventionnisme. S’il est évident qu’il condamne le recours à la violence et les régimes totalitaires, il est en revanche beaucoup plus difficile de déterminer pour quelle raison il préfère ne pas agir directement face à la montée des tensions, en particulier durant la seconde moitié de la décennie. Est-ce par conviction ? par prudence politique ? On peut distinguer un tournant en 1937-1938, à partir duquel le président cherche à convaincre l’opinion publique de la nécessité de soutenir les pays européens en lutte contre les régimes expansionnistes. Sa ligne de conduite a pourtant consisté à éviter l’engagement militaire dans le second conflit mondial jusqu’à l’attaque de Pearl Harbor. I. Ne pas intervenir pour ménager l’opinion publique américaine ? Penser au poids de l’isolationnisme dans l’opinion publique et à la priorité donnée au redressement intérieur. Roosevelt a besoin de ménager ses électeurs et partage sans doute la conviction que la paix peut être assurée par des mesures diplomatiques et économiques. Cette partie concerne surtout les années 1930 jusqu’en 1937. II. Intervenir de manière sélective en réformant la législation en vigueur. À partir de 1937, et surtout de 1939, Roosevelt cherche à obtenir du Congrès une réforme du Neutrality Act permettant 124 de fournir une aide aux pays luttant contre l’influence de l’Allemagne nazie et du Japon. III. Devenir « l’arsenal de la démocratie » en convertissant les États-Unis à l’économie de guerre. La défaite française est un choc pour les Américains, qui prennent conscience que leur aide devient nécessaire pour le Royaume-Uni, seul pays à lutter contre l’Allemagne nazie. Roosevelt convertit l’économie étasunienne en économie de guerre avec la loi prêt-bail de 1941 et obtient du Congrès l’accélération du réarmement du pays. pages 190-191 et financières (interruption des exportations de pétrole, gel des avoirs japonais investis aux États-Unis). Progressivement, Roosevelt s’est résolu à une entrée en guerre imminente de son pays, dont il ne veut cependant pas prendre l’initiative. Les propositions japonaises faites durant l’automne 1941 sont repoussées par Roosevelt, qui réclame l’évacuation de la Chine et de l’Indochine comme préalable à l’ouverture de toute négociation. C’est dans ce contexte que le Japon attaque, par surprise et sans déclaration de guerre, la base de Pearl Harbor. Bien qu’éloignées du continent, les îles Hawaï constituent bien un morceau du territoire étasunien, dont l’attaque est considérée comme un affront insupportable et irréversible à la sûreté des Américains. Roosevelt engage aussi son pays parce qu’il le réarme depuis plusieurs années déjà et qu’il a converti son économie en économie de guerre au service des Alliés depuis presque un an. 2. La déclaration de guerre est votée par le Congrès. La proposition du président est soumise au vote et l’unanimité moins une voix est acquise à l’entrée en guerre. Le 8 décembre 1941 rompt radicalement avec l’isolationnisme. De manière symbolique, le comité America First s’auto-dissout. LEÇON 2 Les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale Consacrer une leçon aux années 1941-1945 se justifie par l’importance de la rupture provoquée par l’intervention étasunienne dans le second conflit mondial. L’entrée en guerre (doc. 1) constitue certes un tournant de la guerre elle-même, puisqu’elle la rend réellement mondiale et fait basculer la victoire dans le camp des Alliés, au moins à moyen terme, mais elle rompt surtout avec la politique extérieure étasunienne de refus d’intervenir directement dans les conflits européens. En ce sens, elle définit une nouvelle approche du rôle que les États-Unis entendent jouer dans le monde. On peut considérer que c’est à partir de 1941 que le pays entend assumer sa position de première puissance mondiale en partie responsable du maintien de la paix entre les nations. Cette leçon rend indissociable l’intervention étasunienne des objectifs qu’elle se fixe, au-delà de la victoire militaire. Ainsi la réorganisation du monde économique et diplomatique pensée par les États-Unis est-elle indispensable à la compréhension de l’investissement américain dans la guerre. Par ailleurs, la guerre pose les bases militaires et matérielles de la projection des États-Unis dans le monde après-guerre (doc. 3). Document 2 Truman annonce le bombardement d’Hiroshima à la radio Les États-Unis ont lancé le projet Manhattan de fabrication d’une arme atomique en 1942. Une large équipe, travaillant dans le plus grand secret sur trois sites, regroupe savants américains et européens réfugiés, sous la direction du général Groves. Le 16 juillet, un essai réalisé dans le désert du Nouveau-Mexique est concluant. Informé, Staline incite Truman à s’en servir contre le Japon. Réponses aux questions 1. Le 6 août 1945, un bombardier américain lance sur la ville japonaise d’Hiroshima une bombe atomique. Le lendemain, le président Harry Truman (qui remplace Roosevelt, décédé durant son mandat le 12 avril 1945) annonce cet événement dans une allocution radiodiffusée. Il justifie l’utilisation de cette bombe d’un type nouveau en expliquant qu’elle accélère « la destruction du Japon » et donc qu’elle précipite l’issue d’une guerre qui dure (les conditions de Document 1 Le « jour de l’infamie » Réponses aux questions 1. Le président Roosevelt engage les ÉtatsUnis dans la guerre ouverte contre le Japon en raison de l’attaque par l’armée japonaise de la base américaine de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Durant l’été précédent, l’occupation de l’Indochine française par le Japon a amené les États-Unis à prendre des sanctions économiques 125 en présence. À leur extension maximale, les territoires contrôlés par l’Axe ne représentent qu’une partie très minoritaire du monde. Au contraire, les Alliés disposent, après l’entrée en guerre des ÉtatsUnis, de très larges ressources et d’une capacité de mobilisation sans comparaison avec celles de l’Axe. La carte permet de comprendre que les interventions américaines sont de deux natures : militaires avec l’envoi de corps expéditionnaires en Afrique, en Europe et dans le Pacifique, économiques avec l’aide fournie aux pays alliés sur des fronts où les soldats américains sont absents (URSS, Chine). Enfin, la capacité (humaine, militaire, économique, financière) des États-Unis à intervenir simultanément sur deux fronts est mise en évidence. la reconquête du Pacifique et de l’Asie orientale sont particulièrement difficiles et coûteuses en vies humaines pour les soldats américains). Il s’agit bien de faire pression sur le Japon (voir le dernier paragraphe), désormais menacé d’une défaite estimée inéluctable. Le président rappelle – reprenant ainsi un argument traditionnel de la guerre juste – que c’est bien le Japon qui est responsable du déclenchement des hostilités et que rechercher sa défaite à tout prix est donc légitime. Le refus de répondre à l’ultimatum (reddition sans conditions et abdication de l’empereur), rédigé par les Alliés (États-Unis, Royaume-Uni, France) à Potsdam le 26 juillet 1945, est maintenu par le Japon, qui espère en vain une issue plus favorable à des négociations avec l’URSS. L’absence de réaction face à la menace de Truman explique donc un nouveau bombardement : deux jours après son discours, le 9 août, une seconde bombe atomique est larguée sur Nagasaki. 2. Truman a conscience que la bombe atomique fait entrer l’humanité dans une ère nouvelle au cours de laquelle les menaces de destruction sont devenues incommensurables. Pour détourner ces menaces, il propose plusieurs mesures. La première est de conserver le secret de la maîtrise de l’atome et d’en réserver l’usage aux seuls ÉtatsUnis étant donné l’état de guerre ; la deuxième est de soumettre sa gestion à une commission civile ; la troisième est de rendre publique à terme cette gestion. Au-delà de la capitulation japonaise, obtenue le 2 septembre 1945, et dans une vision qui dépasse le cadre strict de la guerre, Truman estime que « l’énergie atomique pourrait devenir un instrument puissant du maintien de la paix mondiale ». Il pense que le contrôle par les seuls États-Unis de cette nouvelle technologie est un gage de paix qui pourrait contraindre les pays expansionnistes à s’asseoir à la table des négociations. Dès son origine, l’arme atomique est donc conçue comme une arme de dissuasion. pages 192-193 ÉTUDE Se battre pour la liberté La Seconde Guerre mondiale a été assimilée par de nombreux Américains à une croisade pour la liberté. La certitude d’être soutenus par la providence divine, et celle de la légitimité et de la justice de la guerre contre le régime nazi et le Japon impérialiste sont des soutiens de l’investissement des Américains (doc. 2 et 3), sans exclure des fondements plus matériels comme la volonté d’étendre le libre-échange et de défendre les intérêts économiques et financiers de leur pays. Entre 1941 et 1945, les États-Unis ont engagé toutes leurs énergies au service de la victoire (doc. 4). La réorganisation du monde en 1944-1945 témoigne de la volonté étasunienne de défendre le libéralisme politique et économique. La conférence de Bretton Woods met en place un système monétaire centré sur le dollar qui doit permettre la reconstruction et le développement des pays en guerre. La décision de créer une organisation des nations unies a pour objectif de garantir la sécurité collective et les droits des peuples sans répéter les erreurs de 19181920. Tournant radicalement le dos à l’isolationnisme, les États-Unis entendent que leur combat pour la liberté mené militairement à partir de 1941 se poursuive au-delà de la victoire dans la mise en place d’un nouvel ordre mondial au sein duquel ils prétendent jouer un rôle essentiel (doc. 6). Document 3 Les États-Unis en guerre (1941-1945) Document 1 Ce planisphère met en valeur à la fois le caractère mondial de la guerre et la position centrale des États-Unis, qui font le lien entre les deux zones de front, celle de l’Europe-Méditerranée et celle du Pacifique. Elle montre aussi le déséquilibre des forces La Charte de l’Atlantique Lors de l’entrevue au large de Terre-neuve en août 1941, Roosevelt rassure Churchill sur ses priorités : en cas d’attaque japonaise contraignant les 126 américaine durant la Guerre froide. La naissance de cette alliance du militaire et de l’industriel n’est possible que parce que depuis Roosevelt, la culture politique des démocrates, mêmes les plus progressistes, a évolué : la concentration industrielle n’est plus l’ennemi qu’elle était au temps des lois antitrust dans la mesure où elle participe à l’intérêt commun. On parle maintenant du triangle de fer (iron triangle entre armée, industrie et Congrès). Si l’industrie suit, c’est que vendre aux militaires était sans risque pour les entreprises concernées, qui n’avaient pas à comprimer leurs coûts de production, bien au contraire. Les contrats étaient généralement accordés sur la base du costplus, à savoir que l’armée payait les coûts de production plus une marge de profit négociée. Dans ces conditions juridiques particulières, l’industrie de la défense enregistra des profits considérables ; elle représentait entre 6 % et 10 % du PIB américain. Elle employait 2 à 3 millions de personnes. On peut ainsi estimer que dès les années 1950, 5 % à 10 % de la population active américaine travaille pour l’armée. États-Unis à entrer en guerre, le front européen contre l’Allemagne serait quand même prioritaire. En outre, les deux hommes signent une déclaration commune, publiée le 14 août : c’est la Charte de l’Atlantique, qui définit en huit points les principes communs à appliquer dans le monde de l’aprèsguerre. Véritable charte programmatique, le texte connaît un grand succès en Europe et dans les colonies (il reçoit d’ailleurs en septembre l’adhésion formelle des gouvernements alliés des AngloSaxons, y compris de l’URSS). Le texte prévoit le rétablissement de la paix sur des fondements libéraux : libre accès aux produits commerciaux, liberté des échanges (point 4), liberté de circulation sur les mers et les océans (point 7). La croyance américaine dans la garantie de la paix par la prospérité économique et par le tissage de liens économiques entre les nations transparaît fortement ici. Mais c’est surtout sur le rétablissement et le respect de la souveraineté des peuples que Roosevelt et Churchill s’engagent (points 1, 2 et 3). L’énoncé du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et à l’autodétermination (point 3) est gros de menaces pour les métropoles coloniales, aussi Churchill cherche-t-il à en définir une application réservée au continent européen. Nul esprit de vengeance ne se dégage de la Charte de l’Atlantique (la liberté de commercer est garantie même aux futurs pays vaincus, les signataires manifestent leur désintéressement et leur anti-impérialisme, point 1), qui réclame enfin que chaque pays « renonce à l’usage de la force » (point 8). Il n’est pas prévu d’autre garantie pour ce renoncement que le remplacement de la compétition expansionniste militaire par la compétition économique libérée des entraves du protectionnisme. Cependant, dans un extrait non repris ici (suite du point 8), le texte prévoit que les nations belligènes puissent être désarmées, en attendant qu’une organisation de sécurité collective soit en capacité d’imposer la paix dans le monde. On reconnaît une inspiration wilsonienne dans la Charte de l’Atlantique. Document 6 Les trois alliés à la conférence de Yalta Depuis 1943, les principaux alliés se rencontrent pour discuter du sort de l’Europe et du monde de l’après-guerre. En février 1945, c’est à Yalta (Crimée, URSS) que se réunissent Roosevelt, Churchill et Staline. À cette date, l’Allemagne est acculée à la défensive et a déjà évacué la plupart des territoires conquis depuis 1938-1939. Les trois dirigeants alliés envisagent donc le sort de l’Europe libérée et la future organisation de l’Allemagne. Ils prévoient aussi l’organisation de la conférence de San Francisco, qui doit s’ouvrir en avril 1945. La « déclaration sur l’Europe libérée » décide la démocratisation de l’Europe de l’Est avec l’organisation d’élections libres. La principale préoccupation de Roosevelt est le dossier de la future Organisation des Nations unies. Réponses aux questions 1. Pour les deux signataires, la guerre est bien idéologique, car le camp qu’ils défendent est attaché voire défini par le libéralisme et le droit. 2. Lors de son discours sur l’état de l’Union du 7 janvier 1943, Roosevelt revient sur les quatre libertés qu’il avait définies lors du discours sur l’état de l’Union du 6 janvier 1941. Il s’agit des libertés essentielles dont chaque être humain devrait être garanti de pouvoir jouir Document 4 Lancement d’un liberty ship Les liberty ships incarnent la guerre totale par excellence : la mobilisation de l’économie, de l’opinion publique autour d’une idéologie. Au-delà, c’est aussi cet investissement économique dans la guerre qui est, aux États-Unis, aux origines du complexe militaro-industriel, base de la puissance 127 partout dans le monde. Les deux premières sont définies dans le premier amendement de la Constitution des États-Unis : liberté d’expression et liberté de religion. La troisième, « la liberté de vivre à l’abri du besoin », est un défi pour Roosevelt puisque sa garantie repose sur la réussite de la reconversion de l’économie de guerre en économie de paix à l’issue du conflit. Il s’agit pour le président d’annoncer une ère de prospérité et de « plein-emploi » en temps de paix, une ère qui rompra certes avec le plein-emploi du temps de guerre, mais aussi avec le chômage duquel les États-Unis avaient du mal à sortir dans les années 1930. La quatrième et dernière liberté essentielle pour Roosevelt est de « vivre à l’abri de la peur ». Pour la réaliser, il convient de sortir vainqueur de la guerre, mais aussi de garantir la paix en la stabilisant dans des institutions internationales de sécurité collective. 3. Pour garantir la liberté dans leur pays et dans le monde, les États-Unis comptent battre les puissances de l’Axe. C’est d’abord la force militaire qui permettra de rétablir la liberté (doc. 2). C’est ensuite la mobilisation industrielle qui contribuera à l’obtention de ce résultat. Les liberty ships (doc. 4) sont le symbole de l’économie de guerre américaine ; ils sont chargés d’assurer l’approvisionnement des fronts alliés. L’opération Overlord prévoit le débarquement en Normandie d’une gigantesque armée alliée et témoigne des capacités logistiques des Américains : plus de trois millions de soldats sont acheminés d’Angleterre vers les côtes françaises en quelques semaines à partir du 6 juin 1944. La veille, le commandant suprême de l’opération, le général américain Dwight D. Eisenhower, harangue les troupes (doc. 5) pour leur rappeler leur rôle historique de libération de l’Europe par la destruction de l’Allemagne nazie. Le débarquement est le résultat de l’investissement conjoint des forces matérielles et des forces humaines au service d’un combat que les Américains assimilent à une croisade pour la liberté. 4. Les négociations menées à Yalta montrent les limites du combat pour la liberté. D’une part, la déclaration sur l’Europe libérée n’en restera qu’au niveau d’une déclaration de principes en raison de la volonté de Staline de profiter de la présence de l’Armée rouge en Europe orientale pour obtenir des élections favorables aux communistes. D’autre part, le régime soviétique est un régime totalitaire et l’alliance des Américains avec les Soviétiques n’est que de circonstance : l’anticommunisme est largement partagé dans l’administration étasunienne. Le combat pour la liberté a certes légitimé la guerre contre le nazisme, mais il a aussi instrumentalisé une alliance avec un régime liberticide. VERS LE BAC Étude critique La défaite française au printemps 1940 renforce les liens entre les États-Unis et le Royaume-Uni, auquel une aide matérielle et financière est massivement fournie pour soutenir l’effort de guerre. Avant d’entrer ouvertement en guerre contre les puissances de l’Axe, Roosevelt condamne leurs politiques d’agression et d’expansion en Europe et en Asie. Il rencontre le Premier ministre britannique, Winston Churchill, au large de Terre-Neuve entre le 9 et le 12 août 1941. Si les États-Unis ne sont pas en guerre, le démocrate Roosevelt tente de faire pencher son opinion publique en ce sens. Le texte montre que l’administration américaine entend reprendre le flambeau du wilsonisme et être le promoteur de la paix et de la liberté (cf. supra). pages 194-195 HISTOIRE DES ARTS Des cartoons au service de la guerre idéologique Les cartoons, dont l’âge d’or se situe aux États-Unis durant les années 1930-1950, ont été utilisés par l’administration étasunienne pour mobiliser les esprits de ses concitoyens. La simplification et l’outrance des traits des personnages permettent une lecture manichéenne et efficace des enjeux. L’identification des camps à des personnages incarnant la bonté et la résistance victorieuse d’un côté, et la force brute et finalement inefficace d’un autre côté, s’est appuyée sur des figures populaires comme Donald Duck, Bugs Bunny, Daffy Duck, Popeye ou les trois petits cochons. À partir de 1942, l’armée américaine met en place une unité constituée de professionnels du cinéma, la First Motion Picture Unit. Elle entretient un discours simple et empreint de stéréotypes xénophobes. Le format court des cartoons permet leur diffusion large au début des 128 séances de cinéma, comme les actualités. Le recours quasi systématique à la dérision dédramatise les situations et fait communier les spectateurs dans une moquerie parfois féroce de l’ennemi. Certains courts métrages d’animation des studios Disney étaient destinés à l’armée américaine. l’effort de guerre étasunien figure sur des vignettes apposées sur les affiches de certains cartoons. Le « V » en arrière-plan de la vignette lie directement le placement financier avec une participation à la future et nécessaire victoire. Étant donné la popularité des cartoons et leur diffusion lors des séances de cinéma, la présence de telles vignettes sur leurs affiches rend chaque citoyen étasunien contributeur volontaire pour la victoire. Les war bonds sont un des éléments du Victory Program de Roosevelt. 6. L’affiche de Blitz Wolf joue sur le décalage entre l’air confiant et victorieux d’un loup hitlérien qui croit toucher au but et la connaissance que les spectateurs ont du conte des trois petits cochons. Le cochon situé à droite rappelle d’ailleurs le retournement final et l’issue fatale pour le loup. La détermination de ce cochon à se défendre de l’agression du loup incarne la mobilisation des ÉtatsUnis, entrés tard dans la guerre, mais résolus à vaincre les puissances expansionnistes. Le décalage renforce donc la moquerie envers un loup présomptueux dont la défaite est proche. 7. L’effet attendu sur les spectateurs est double. D’une part créer une communion dans le rire dénonciateur, d’autre part mobiliser les esprits et éventuellement les moyens matériels par le biais des bons de la victoire. Réponses aux questions 1. Sur chacune des affiches, c’est l’identification du personnage principal à Hitler par des éléments caractéristiques de son apparence usuelle (moustache, croix gammée, coiffure, costume militaire) qui renseigne en premier sur le sujet des cartoons. Sur le document 2, Hitler-le loup montre sa force militaire et le titre reprend le mot allemand « blitz » (éclair) qui sert à définir la stratégie de guerre rapide consistant à percer le front ennemi par l’emploi regroupé d’unités blindées appuyées par l’aviation (Blitzkrieg). La connaissance supposée que les spectateurs ont de l’histoire des trois petits cochons prévient que l’air déterminé du loup est en fait annonciateur de sa défaite face aux cochons. Sur le document 3, c’est le surnom attribué à Hitler qui est repris dans le titre du cartoon : « Fuehrer » veut dire « guide » et ne laisse plus aucun doute sur le sujet anti-nazi de l’œuvre. 2. Outre Hitler, les autres personnages sont des héros de conte populaire ou de cartoon. Les trois petits cochons et Donald se heurtent au dictateur nazi. 3. La déformation des traits du personnage identifié à Hitler est beaucoup plus accentuée que celle des personnages auxquels il s’oppose. L’effet produit est essentiellement comique : le rire a ici pour fonction de mettre à distance le sujet observé et d’unifier les spectateurs. L’adversaire est à la fois diabolisé et ridiculisé. 4. Le document 1 est une photographie du baptême d’un navire de ravitaillement de l’armée américaine en juin 1945. Madame Disney s’apprête à lancer une bouteille sur la tête d’un Japonais tenu par un Donald hilare. La ridiculisation de l’ennemi est accentuée par l’aspect bestial et chétif du Japonais. La facilité avec laquelle Donald le maintient montre aussi que la victoire est à portée de main. 5. Les cartoons servent de support à des messages patriotiques. L’incitation à investir dans les « bons de la victoire » pour soutenir pages 196-197 LEÇON 3 Lutter contre le communisme : la Guerre froide Cette leçon, comme la suivante, est fortement articulée avec la seconde question du thème 2 du programme de Première générale, « De la Guerre froide à de nouvelles conflictualités ». Il est donc possible et recommandé de s’appuyer sur les acquis des élèves concernant la définition et les grands enjeux de la Guerre froide. La crise de Cuba et la guerre du Vietnam ont chacune fait l’objet d’une étude, au sein de laquelle la position des États-Unis aura nécessairement été analysée. La période de la Guerre froide constitue pour les États-Unis la poursuite de leur politique extérieure d’intervention dans le monde pour promouvoir la liberté politique et économique et défendre leurs intérêts. En ce sens, il n’y a pas solution de continuité depuis leur entrée en guerre le 8 décembre 1941. Il convient d’analyser les motivations et les 129 modalités de la compétition avec l’Union soviétique, au cours de laquelle les États-Unis luttent contre toute concurrence. C’est sans doute la période chronologique du XXe siècle pour laquelle le risque de perdre la focale étasunienne est le plus important, au profit d’une simple histoire des relations internationales. A contrario, l’histoire intérieure des États-Unis ne doit être mobilisée que dans la mesure où elle permet de mieux comprendre les enjeux de la projection de la puissance étasunienne dans le monde. résistance aux ambitions soviétiques qui doit cependant veiller à ne pas envenimer les situations géopolitiques. Kennan condamne aussi le présupposé qui consiste à penser qu’il suffit de s’opposer verbalement aux Soviétiques pour les contenir ; seul l’usage de la force est susceptible de les contraindre sur le long terme. Document 2 Le plan Marshall L’affiche néerlandaise illustre le plan Marshall d’aide à la reconstruction de l’Europe. Dans le contexte d’endiguement du communisme, le président Truman charge le secrétaire d’État George Marshall de proposer un plan de reconstruction de l’Europe. En effet, le déséquilibre de la balance commerciale avec les États-Unis provoque une pénurie de dollars en Europe et un risque d’appauvrissement que les Américains interprètent comme un risque de succomber à la tentation du communisme. L’objectif des États-Unis est de permettre à l’Europe de se redresser économiquement et de redevenir des partenaires commerciaux solvables susceptibles d’acheter une partie de la production étasunienne. Marshall présente son plan le 5 juin 1947 à l’université d’Harvard. L’aide massive proposée par les Américains est assortie de l’obligation pour les pays récepteurs de s’organiser pour la répartir. Sans être écartés de l’offre, l’URSS et les pays d’Europe de l’Est la déclinent, la première par idéologie et pour préserver son image, les seconds sous la contrainte de Moscou. Finalement, seize pays européens (leurs drapeaux constituent les pales de l’éolienne de l’affiche, tandis que le drapeau américain fait office de « gouvernail » et donne ainsi la direction) acceptent l’aide et forment, en 1948, l’Organisation européenne de coopération économique. La loi créant le European Recovery Program est votée par le Congrès début 1948. Jusqu’en 1952, ce sont près de 14 milliards de dollars d’aide économique qui prennent le chemin de l’Europe. Le plan Marshall contribue à la division de l’Europe en deux et à l’affirmation d’une aire d’influence étasunienne en Europe occidentale. Document 1 Pourquoi contenir l’Union soviétique ? C’est délibérément que la doctrine Truman – qui figure par ailleurs dans le manuel de Première – n’est pas ici mobilisée pour montrer comment les Américains appréhendent l’Union soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un autre document, le long télégramme que George F. Kennan adresse le 20 février 1946 au département d’État, lui aussi très connu du public à l’époque, mais moins connu des élèves, a donc été préféré ici. Il révèle la manière dont un diplomate spécialiste des relations avec l’Union soviétique justifie l’endiguement officiellement défini par le président Truman en mars 1947. C’est le rapport de Kennan qui constitue d’ailleurs le fondement de la doctrine Truman. Le diplomate, devenu directeur des affaires politiques au département d’État, remanie son rapport et le publie de manière anonyme durant l’été 1947. Réponses aux questions 1. George Kennan pense que la politique soviétique dans le monde est fondée sur l’estimation d’un rapport de force. Sans se décourager par des défaites ponctuelles, l’Union soviétique mène une politique expansionniste des petits pas et préfère céder lorsque le rapport de force lui est trop défavorable sans perdre de vue les objectifs généraux de sa politique, qui consistent à vouloir diffuser le communisme dans le monde, en particulier dans le « monde occidental ». 2. Face à l’attitude soviétique, Kennan préconise une diplomatie prudente et localisée dans des endroits stratégiques. Il s’agit donc d’exercer de manière systématique une force contraire et proportionnée à chaque fois que l’Union soviétique exerce elle-même sa force. La stratégie de l’endiguement du communisme est ainsi pensée comme une politique de Document 3 L’American Way of Life Cette affiche est une publicité produite par le gouvernement des États-Unis et datant de la Seconde Guerre mondiale. Elle fait partie d’une série d’affiches qui présentent une image idéale des États130 Unis ; elles commencent toutes par « This is America » et s’achèvent par « This is your America… Keep it Free ! ». Elles célèbrent les classes moyennes, la famille nucléaire traditionnelle (deux parents, deux enfants), la société de consommation, la liberté d’entreprendre, la modernisation de la vie quotidienne… Parallèlement, la conscience d’une exceptionnalité étasunienne rend l’American Way of Life à nul autre pareil. Cette image de prospérité qui profite à tous entretient le rêve américain des candidats à l’immigration. Bien que légèrement antérieure au début officiel de la Guerre froide, cette affiche est révélatrice d’une conception de l’American Way of Life qui perdure pendant quelques décennies. président. Quelques jours plus tard, le 23 mars, Reagan annonce le projet d’initiative de défense stratégique (IDS). La relance de la course aux armements achève de ruiner l’URSS. En 1987, le traité de Washington prévoit la suppression d’une partie des arsenaux nucléaires des deux Grands. pages 198-199 ÉTUDE John Foster Dulles, artisan de la lutte contre le communisme Parmi les décideurs de la politique extérieure étasunienne, certains secrétaires d’État occupent une place éminente en raison de leur longévité et de leurs conceptions. Le choix s’est porté sur J.F. Dulles, en poste de 1953 à 1959, plutôt que sur Dean Acheson (1949-1953), Dean Rusk (19611969) ou Henry Kissinger (1973-1977), en raison de l’intérêt d’étudier les années 1950 comme premier moment d’inflexion de la stratégie américaine dans la logique de Guerre froide. La particularité de Dulles est aussi d’être le frère du directeur de la CIA, Allen W. Dulles (1953-1961). Document 4 L’Amérique de la moralité Au moment du discours d’Orlando, Ronald Reagan est président des États-Unis depuis deux ans. Il a été élu sur un programme musclé de refoulement du communisme (America is back), après une période de relatif retrait étasunien de la scène internationale. Réponses aux questions 1. Le risque que Reagan évoque est le « gel nucléaire », c’est-à-dire les négociations de réduction des armements nucléaires (les START commencent en mai 1982), qu’il estime plus favorables à l’URSS qu’aux États-Unis, en particulier en Europe où elle a déployé des missiles SS20. Il se prononce en faveur d’une reprise de la course aux armements et d’un renforcement de l’arsenal nucléaire de son pays. L’objectif est de soutenir la comparaison avec un arsenal soviétique qu’il surestime. Davantage encore, il pense que la sûreté des États-Unis ne sera assurée que lorsque leur supériorité technologique sera avérée, car l’URSS est par définition nourrie de mauvaises intentions. La diabolisation manichéenne de l’adversaire, qualifié d’« empire du mal », est très forte. 2. Reagan préconise une attitude de fermeté face aux Soviétiques et un réarmement moral et militaire des États-Unis. La confiance en Dieu qui fonde la certitude d’être un peuple élu doit soutenir les Américains dans la quête de leur sécurité. Il ne s’agit pas simplement d’une thématique de circonstance liée à la qualité des destinataires de son discours, mais d’une conviction ancrée dans la vision politique du Document 2 « Paix et rumeurs de paix » en Corée La signature de l’armistice coréen à Pan Mun Jom intervient le 27 juillet 1953, alors que Dulles est en poste depuis quelques mois. Les négociations ont commencé dès 1951, lorsque le conflit s’est transformé en guerre de position. Il s’agit d’entériner un retour à la situation d’avant-guerre, avec une fixation de la frontière entre les deux Corée autour du 38e parallèle Nord. Officiellement, c’est l’ONU qui négocie la paix avec les puissances communistes, Corée du Nord et Chine. En réalité, les États-Unis sont les inspirateurs de la paix. Document 4 Endiguer le communisme en Amérique latine Depuis 1945, les deux présidents guatémaltèques successifs ont entrepris des réformes économiques et sociales. Le président Arbenz, élu en 1951, met en chantier une réforme agraire qui permet la constitution d’une classe de petits propriétaires terriens, au détriment des terrains en friche des grandes exploitations. Les intérêts étasuniens sont menacés par cette redistribution forcée, puisque la firme United Fruit Company (dont les frères Dulles sont des actionnaires) est le premier propriétaire de terres au Guatemala. Dès 1951, la CIA étudie des 131 plans de renversement d’Arbenz. L’influence du Parti guatémaltèque du travail, d’obédience communiste, grandit à partir de sa légalisation en 1952. L’administration Eisenhower se prépare à agir. Dulles voit Arbenz comme un pantin manipulé par les communistes, dont l’objectif est de prendre pied sur le continent américain. En réalité, si l’influence sociale du PGT est importante par le biais des syndicats, son influence politique est assez faible (il représente quatre sièges sur 58 au Congrès). Le fait est que Dulles surestime son pouvoir, sans doute par conviction et par intérêt politique. À Caracas, lors de la réunion de l’Organisation des États américains tenue en mars 1954, Dulles obtient une déclaration qui condamne toute tentative communiste d’intrusion sur le continent américain, au nom de la défense de tous les pays participants. Il se présente alors comme un champion de la lutte contre le communisme et un défenseur d’intérêts qui ne sont pas seulement ceux des États-Unis. Au-delà de l’offensive diplomatique, Eisenhower et Dulles donnent l’ordre à la CIA de soutenir un coup d’État pour renverser Arbenz. Le colonel Castillo Armas, déjà à l’origine d’une tentative de coup d’État, est armé par les États-Unis et renverse Arbenz, qui préfère quitter le Guatemala après avoir démissionné le 27 juin 1954 par peur d’une intervention directe des États-Unis. Dulles ne peut évidemment pas faire état de l’intervention de la CIA dans le changement de pouvoir au Guatemala, aussi explique-t-il que Castillo Armas est épaulé par « des patriotes » et que les États-Unis ne sont que les observateurs d’une situation au cours de laquelle n’agissent que des Guatémaltèques. Sa rhétorique oppose le communisme international au « patriotisme », à l’amour de son pays. De fait, Castillo Armas devient président et s’engage dans une politique anticommuniste. rapprochement et décident d’une intervention armée pour renverser Nasser et récupérer le contrôle du canal de Suez. Le conflit a lieu à l’automne 1956 et entraîne l’intervention de l’URSS, qui vient défendre son allié égyptien, des États-Unis, qui craignent une extension du communisme, et de l’ONU, soucieuse de restaurer la paix. L’intervention des deux grandes puissances est d’ordre diplomatique. L’URSS menace Israël, la France et le Royaume-Uni d’une riposte nucléaire s’ils ne se retirent pas. Réponses aux questions 1. La stratégie des représailles massives, définie par la directive NSC 162/2 du Conseil national de sécurité, est une stratégie politicomilitaire de dissuasion. Il s’agit de faire preuve de fermeté et de s’appuyer sur des capacités de riposte élargies, y compris nucléaires. La prise d’initiative et l’emploi massif de la force à des endroits précis et déterminés permettent une légère réduction du budget militaire étasunien (« sélectionner les moyens militaires, au lieu de les multiplier »). Plutôt que d’adapter la politique extérieure des États-Unis aux capacités d’intervention de l’armée, il faut adapter ces capacités à la définition préalable d’une politique cohérente et intransigeante face au communisme. Cette stratégie imprime une inflexion aux relations américano-soviétiques durant les années 1950. 2. Le contexte international explique en partie le choix des représailles massives. La guerre de Corée s’est achevée en 1953 sans réelle victoire pour le « monde libre », qui a tout au plus réussi à contenir la poussée communiste en Asie pacifique. En 1954, Dulles explique que le territoire étasunien est lui-même menacé par une attaque potentielle de l’URSS. L’acquisition de l’arme nucléaire par celle-ci en 1949 entretient le sentiment de vulnérabilité étasunien. Le secrétaire d’État s’inscrit dans une tradition américaine d’assimilation des difficultés économiques à des conditions favorables à la diffusion du communisme. En effet, il qualifie la politique soviétique d’expansionniste, en raison de l’Internationale communiste qui entretient des ramifications dans le monde entier et se plaît à déstabiliser les États ennemis en exploitant toute forme de mécontentement. Dulles voit la main de Moscou derrière les tentatives de soulèvement Document 5 John Foster Dulles : quelle stratégie pour le Moyen-Orient ? On rappellera rapidement la crise de Suez. Le 26 juillet 1956, le président égyptien Nasser annonce la nationalisation du canal de Suez, lésant ainsi les intérêts français et britanniques. L’objectif est de financer la construction du barrage d’Assouan, alors que les États-Unis viennent justement de se retirer de son financement. La France, le RoyaumeUni et Israël, qui compte profiter de la situation pour régler ses différends avec l’Égypte, opèrent un 132 1. Dénoncer le péril rouge (offensive diplomatique, conférence de Caracas, interprétation publique des événements guatémaltèques). 2. Contrer le péril rouge (en apparence, profiter de l’anticommunisme des populations sud-américaines ; en réalité, utiliser la CIA pour manipuler des activistes et obtenir le renversement d’Arbenz par des voies détournées mais apparemment « propres »). 3. Maintenir les intérêts étasuniens sur le continent américain (contenir et refouler le communisme en Amérique latine pour éviter une menace proche et la contagion, selon la « théorie des dominos » énoncée par Eisenhower le 7 avril 1954) ; soutenir les intérêts économiques des grandes firmes transnationales étasuniennes comme la United Fruit Company). L’intérêt du texte est de pouvoir confronter le discours de Dulles à la réalité des faits, les deux dimensions contribuant à analyser la politique étrangère étasunienne des années 1950. des peuples colonisés. Il pense sans doute à l’Indochine française, où les communistes d’Ho Chi Minh sont en train de battre l’armée de la métropole, à l’Iran, où Mossadegh se rapproche des communistes et lèse les intérêts pétroliers étasuniens avant d’être renversé par un coup d’État orchestré par la CIA en 1953, ou encore au Guatemala d’Arbenz (voir doc. 4). 3. Dulles favorise la conclusion de l’armistice, permise aussi par la mort de Staline en mars 1953, pour mettre fin à un conflit coûteux qui n’aboutit pas (et pour réaliser une des promesses de campagne du candidat Eisenhower à la présidence…). Il préfère entretenir la pression sur d’autres théâtres d’opérations périphériques, comme en Indochine, où les États-Unis aident les Français à lutter contre les indépendantistes communistes (les Américains auraient financé 80 % de l’effort de guerre français). 4. Pour Dulles, le Guatemala connaît une dérive vers le communisme. Il interprète l’évolution de la décennie écoulée comme le signe d’une intrusion du communisme international sur le continent américain, pourtant traditionnelle zone d’influence privilégiée des États-Unis. 5. Les États-Unis réagissent de manière ferme face à l’évolution politique du Guatemala et la CIA organise le renversement du président. 6. Les États-Unis annoncent d’une part que l’OTAN riposterait en ce cas mais d’autre part que les Occidentaux doivent se retirer d’Égypte. Il s’agit à la fois de se montrer ferme face à l’URSS et d’obtenir une sortie de crise compatible avec leur condamnation du colonialisme. Sur la caricature (à la géographie fantaisiste pour gagner en efficacité), Dulles met en garde Israël sur les dangers consécutifs à la traversée du canal de Suez par Tsahal. À l’ONU, les Américains soutiennent les résolutions de novembre 1956, qui prévoient le déploiement d’une force d’interposition sur le terrain égyptien. pages 200-201 ÉTUDE La Détente : négocier avec l’ennemi ? Traditionnellement limitée à l’amont par la crise de Cuba et à l’aval par l’invasion soviétique de l’Afghanistan, la Détente est une période particulière des relations américano-soviétiques qui reprend en partie les ambitions de la coexistence pacifique. Pour les États-Unis, il s’agit d’une période marquée par la guerre du Vietnam et le traumatisme qu’elle provoque dans les consciences. L’ère du doute remet en cause le bien-fondé de l’impérialisme étasunien. Les historiens étasuniens ont tendance à considérer que la Détente ne commence vraiment qu’à la fin des années 1960, lorsque la « vietnamisation » de la guerre du Vietnam est entamée. Réponses aux questions 1. Le discours inaugural du président Kennedy, prononcé le 20 janvier 1961, pose les principes de la Détente : demande d’ouverture de négociations renforcées avec l’Union soviétique, conscience que l’équilibre de la terreur menace la survie de l’humanité, volonté de réduire le coût de la course aux armements, mais sans s’affaiblir devant l’adversaire. Kennedy entend rompre avec la politique de l’administration Eisenhower : la stratégie de la « riposte graduée » vient remplacer celle des « représailles massives ». Cependant, dans VERS LE BAC Étude critique Les éléments permettant de répondre à la consigne sont déjà exposés dans les réponses aux questions 4 et 5 de l’étude. On peut construire un plan en définissant la manière dont Dulles conçoit l’action politique des États-Unis dans le monde : 133 aux armements. Sans que cet argument soit utilisé par Nixon, l’affaiblissement du dollar (lié aux dépenses engagées pour faire la guerre au Vietnam et à la concurrence commerciale croissante des autres pays industrialisés) contribue à fragiliser les États-Unis. En 1971, Nixon décide la suspension de la convertibilité du dollar en or pour pouvoir le dévaluer. 3. Le principal objectif de la Détente est la limitation des armes stratégiques. Nixon et son administration semblent accepter une forme de parité nucléaire avec l’Union soviétique. 4. La Détente s’est traduite par la « diplomatie triangulaire » (en jouant de la division du monde communiste entre URSS et Chine), par le désengagement au Vietnam (acté en 1972), par l’aboutissement des négociations avec l’URSS sur les accords SALT 1 signés à Moscou en mai 1972 (doc. 4), par la négociation du Traité de non-prolifération nucléaire (signé en 1968). Elle a été poursuivie par les successeurs de Nixon, et surtout par James E. Carter (Jimmy Carter) de 1977 à 1981. Sa politique extérieure, défendue par le conseiller Brzezinski, veut s’appuyer sur la défense des droits de l’homme. C’est le premier point de son discours à l’université de Notre-Dame du 22 mai 1977 (doc. 5). La Détente a aussi favorisé le développement du libre-échange dans le monde, y compris avec l’URSS, à qui les ÉtatsUnis ont vendu du blé et du matériel (pour 2,3 milliards de dollars en 1976). Elle n’empêche pas un approfondissement des relations entre pays membres de l’OTAN et entre démocraties libérales (point 2 du discours). Durant cette période, les États-Unis (et surtout Kissinger) se sont engagés au Moyen-Orient afin d’obtenir un accord israélo-arabe. C’est d’ailleurs Carter qui obtient la signature d’un traité de paix entre Israël et l’Égypte le 26 mars 1979. L’amélioration des relations avec le Tiers-monde passe par l’abandon des politiques d’aide aux régimes anticommunistes, même dictatoriaux comme le Chili. 5. La Détente ne supprime cependant pas la rivalité entre les deux blocs. Elle en déporte les formes les plus extrêmes sur des théâtres d’opérations périphériques (guerre du Vietnam, Tiers-monde). De Kennedy à Ford, les ÉtatsUnis continuent d’intervenir dans le Tiersmonde pour préserver leurs intérêts et contrer des extraits non cités ici, le nouveau président réaffirme avec fermeté sa volonté de défendre « le monde libre », dont les États-Unis se posent en leader, au besoin par les armes. La relance de la course aux armements et de la course à l’espace, en dépit de leur coût, doit permettre aux États-Unis de négocier en position de force face à l’URSS et constitue donc un préalable nécessaire. Une des conséquences de cette relance est pourtant la mobilisation équivalente de l’URSS. Durant le mandat de Kennedy, le secrétaire à la Défense Robert S. MacNamara utilise l’expression « destruction mutuelle assurée » (MAD en anglais) pour désigner l’équilibre consécutif à l’inflation nucléaire entre les deux Grands. De manière en partie paradoxale, la volonté d’apaisement dans les relations américano-soviétiques qui se dégage du discours de Kennedy se traduit par un durcissement de la course aux armements. Les événements de Berlin (1961) et de Cuba (1962) constituent des crises paroxystiques de la Guerre froide. 2. Richard Nixon, élu président en 1968, prend ses fonctions en 1969. Le 4 juin 1969, il prononce un discours devant les élèves de l’École de l’Air. Le contexte est difficile pour les États-Unis : leurs soldats sont embourbés au Vietnam (doc. 2), la politique d’endiguement du communisme est remise en cause dans le pays, le Congrès veut reprendre le contrôle de la politique étrangère en mettant fin à la « présidence impériale ». Nixon choisit Henry Kissinger pour le conseiller en matière de sécurité nationale. Le ton immédiatement adopté par Nixon est celui de l’analyse réaliste de la situation internationale et de la modération dans les ambitions étasuniennes. Dans les extraits du discours du 4 juin 1969, le président justifie la Détente par deux arguments : le rapport de force international a changé avec l’éclatement de l’unité du bloc communiste, la prolifération des armes de destruction massive menace la sécurité de l’humanité. Kennedy avait déjà utilisé le second argument, mais les deux présidents en concluent deux postures opposées : si Kennedy pensait que la supériorité de l’arsenal nucléaire étasunien était un préalable indispensable à l’ouverture de négociation avec l’URSS, Nixon en appelle à une limitation rapide de la course 134 l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979 provoquent un nouveau tournant et un retour vers une politique très ferme et menaçante envers l’URSS. Comment la prise en compte d’un nouveau contexte international provoque-t-elle une évolution de la politique étrangère américaine ? Le réalisme étasunien tient d’abord à la conscience du danger de la course aux armements. Il s’appuie aussi sur une recomposition de la puissance avec la division du bloc communiste, l’affirmation du Tiers-monde et l’essor économique de l’Europe et du Japon. Enfin, il est contesté par le président Carter, dont les ambitions « droit-de-l’hommistes » se heurtent parfois à la réalité des rapports de force. le communisme (au Chili en 1973 par exemple). Les négociations sur les arsenaux nucléaires sont certes un progrès, mais n’empêchent pas que la course aux armements continue et que les deux Grands se dotent d’armes et de vecteurs de plus en plus sophistiqués. La fragilité du processus de Détente est évidente en 1980, lorsque l’invasion soviétique de l’Afghanistan provoque un tournant irréversible de la politique extérieure de l’administration Carter (doc. 6). 6. Dans son discours sur l’état de l’Union du 21 janvier 1980, Carter évoque « une menace pour la paix mondiale ». Il désigne ainsi l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979. En agissant de manière agressive et expansionniste, les Soviétiques sont accusés de déstabiliser les équilibres régionaux et mondiaux. Les États-Unis ne peuvent accepter que l’URSS étende son influence au MoyenOrient, dont le bloc occidental dépend pour ses approvisionnements en pétrole. Cet événement provoque une rupture majeure dans la politique extérieure menée par Carter. Les difficiles négociations pour la poursuite de la limitation des armes stratégiques sont remises en cause par le Sénat américain : début 1980, les accords SALT II, finalement signés en juin 1979, sont retirés du Sénat, où ils étaient soumis à discussion. Surtout, les États-Unis fournissent des armes au Pakistan, où s’organise la résistance afghane à l’URSS. Partout dans le monde, l’armée américaine est déployée, non sans débat au sein de la population et de la classe politique étasuniennes. La Détente s’achève donc en Afghanistan. pages 202-203 Étude Les États-Unis et l’Amérique latine durant la Guerre froide Les relations qu’entretiennent les États-Unis avec le continent américain durant la Guerre froide sont marquées par l’héritage de la doctrine Monroe de 1823. Cette étude pourra être enrichie et complétée par le rapprochement avec le doc. 4 p. 199 sur le Guatemala et avec l’étude sur la crise de Cuba réalisée en classe de Première. La réaction de l’administration Kennedy en 1962 est justement à situer dans un contexte d’histoire de moyenne durée que la présente étude se propose d’analyser. Les États-Unis cherchent à organiser les relations internationales en Amérique latine et à peser sur elles. Le nombre important de tournées présidentielles dans la zone en témoigne. Dès 1947, ils concluent une alliance militaire défensive avec 21 États d’Amérique latine : c’est le pacte de Rio, qui déclare que toute attaque contre un des pays du continent sera considérée comme une attaque de tous les pays du continent. En 1948, la signature de la charte de l’Organisation des États américains (OEA) garantit les capitaux et propriétés étrangers entre pays membres. Durant les années 1940 et 1950, les investissements étasuniens en Amérique latine sont considérables, mais relativement peu prennent la forme de l’assistance économique, en dépit de la création d’une Banque interaméricaine de développement en 1959. Le déséquilibre des échanges commerciaux entraîne une dépendance des pays producteurs de matières premières d’Amérique latine vis-à-vis de leur premier client, les États-Unis. VERS LE BAC Composition Les décennies 1960 et 1970 sont traditionnellement considérées comme une période de « détente » entre les deux puissances opposées durant la Guerre froide. On peut cependant distinguer deux moments dans la politique étrangère de détente des États-Unis. Du début des années 1960 à 1977, le réalisme étasunien a pu être qualifié de Realpolitik, en particulier sous l’influence de Kissinger. Sous la présidence de Carter (1977-1981), la volonté de défendre les droits de l’homme a impliqué une redéfinition des grandes orientations diplomatiques étasuniennes. Cependant, les circonstances de 135 Documents 1, 2 et 3 Documents 5 et 6 Une tradition interventionniste Renverser Castro à Cuba Soutenir Pinochet au Chili L’aide aux « contras » du Nicaragua L’opération « Juste cause » Les deux mandats de Reagan se traduisent par un retour aux anciennes pratiques : aide aux rebelles anti-sandinistes au Nicaragua (les « contras » sont les opposants au régime sandiniste en place en 1979 par le Front sandiniste de libération nationale, de sensibilité marxiste), aide à Duarte au Salvador… Pour maintenir des situations économiques et politiques stables et surtout anticommunistes, les États-Unis n’hésitent pas à soutenir des régimes dictatoriaux, qu’ils contribuent parfois à faire arriver au pouvoir. La CIA s’est beaucoup impliquée dans cette politique, comme au Guatemala en 1954, à Cuba en 1961-1962 ou au Chili en 1973. L’administration Kennedy se félicite de l’arrivée au pouvoir dans certains pays latino-américains de réformateurs (comme Betancourt au Venezuela), et entreprend un vaste plan d’aide au développement de l’Amérique latine, mais « l’Alliance pour le progrès » a des effets décevants. Si Kennedy est impuissant à imposer la démocratisation et le développement économique de l’Amérique latine (qui auraient permis d’éviter de succomber au communisme) devant l’instabilité politique de pays où les coups d’État sont fréquents, il peut se féliciter de l’orientation anticommuniste des nouveaux dirigeants (Pérou, Équateur, Honduras…). Les États-Unis arment et entraînent les forces de sécurité intérieure des pays latino-américains, afin qu’elles résistent mieux à une éventuelle subversion communiste. Les accommodements entre intentions libérales étasuniennes et prise en compte des réalités sur le terrain en Amérique latine peuvent donner l’impression d’une politique extérieure ambivalente qui est contrainte de s’adapter. Durant la guerre du Vietnam, l’Amérique latine passe au second plan des préoccupations étasuniennes. La poursuite de la politique de soutien aux régimes anticommunistes, parfois en contradiction avec les prétentions du pays à être leader du « monde libre », est cependant une constante des relations que les États-Unis entretiennent avec l’Amérique latine. Réponses aux questions 1. Les États-Unis entretiennent leur influence en Amérique latine par des moyens variés. Si les interventions militaires – directes ou non, par le truchement de la CIA – sont fréquentes, elles ne constituent qu’un des moyens privilégiés de la politique américaine des États-Unis. L’entretien de relations diplomatiques renforcées passe aussi par la défense et l’accroissement des intérêts économiques et financiers des ÉtatsUnis dans la zone latino-américaine. La plupart des pays de cette région a d’ailleurs le dollar comme monnaie nationale. La mise en place d’embargos commerciaux fait partie de l’arsenal utilisé par les États-Unis pour faire pression sur des gouvernements jugés trop conciliants avec le communisme, voire trop proches de lui (Cuba, Nicaragua…). 2. Les États-Unis agissent en Amérique latine pour contrer l’influence communiste. Ils défendent jalousement leur propre aire d’influence, au sein de laquelle ils perçoivent toute réforme sociale comme une tentative crypto-soviétique de s’emparer des rênes du pays concerné (voir le cas du Guatemala exposé dans l’étude sur John Foster Dulles, voir aussi le cas de Cuba en 1961-1962 dans le doc. 2). C’est donc le domaine politique qui retient en priorité l’attention des États-Unis, au point que la CIA s’est fait une spécialité du soutien aux opposants des régimes socialistes ou indépendantistes. La lutte contre la drogue ne devient un domaine d’intervention explicite qu’à partir de la Guerre fraîche, alors que la menace communiste est considérablement affaiblie. 3. Les États-Unis portent une attention particulière au Panamá, où ils ont ouvert un canal transocéanique en 1914. L’intérêt, fondamental pour le commerce maritime, est Document 4 À qui appartient le canal de Panamá ? L’arrivée de Carter au pouvoir en 1977 se traduit par un réel tournant : lors de sa tournée en Amérique latine au printemps 1977, il insiste sur les droits de l’homme, la non-intervention et le multilatéralisme. Pourtant, sa politique d’ouverture (appuyée par des suspensions d’aides militaires) n’obtient que peu de résultats en termes de démocratisation ou de redéfinition des rapports Nord/Sud. L’événement le plus important reste l’aboutissement des négociations avec le Panama le 7 septembre 1977. 136 de permettre un passage rapide entre les océans Atlantique et Pacifique sans avoir besoin de contourner le continent sud-américain. L’objectif étasunien est donc de maintenir leur administration du canal (qu’ils gèrent par concession). En 1964, après des émeutes contre des citoyens étasuniens au Panamá, l’US Army intervient (doc. 1). Au terme de négociations, le Panama et les États-Unis parviennent à un accord, signé le 7 septembre 1977 par le président Carter. Le plein contrôle du canal reviendra aux Panaméens à la fin de l’année 1999 (doc. 4). Cet événement ne modifie pas le regard étasunien sur la politique intérieure du Panamá. En 1989, l’opération « Juste cause », au nom de la défense des citoyens étasuniens vivant au Panama et de la lutte contre le trafic de drogue, déploie plus de 25 000 soldats étasuniens au Panama pour renverser le président Noriega (doc. 6). 4. Le nouveau président George Bush obtient du Congrès en mars 1989 un vote de 50 millions de dollars d’aide humanitaire aux contras. L’objectif est de stabiliser la situation sur un compromis dont l’issue serait la démocratisation du Nicaragua : en échange de la promesse d’élections libres, les sandinistes au pouvoir à Managua sont garantis que les contras ne tenteront rien contre eux. L’embargo commercial dont souffre le Nicaragua pourrait être progressivement levé en fonction de la démocratisation du pays. L’objectif de Bush mêle défense du libéralisme politique et lutte contre l’influence communiste en Amérique centrale (des négociations avec l’URSS pour une suspension de son aide aux sandinistes ont lieu en parallèle). Jan Krauze (doc. 5) estime que les États-Unis cherchent aussi à freiner les flux migratoires issus de la zone. La nouvelle diplomatie étasunienne aboutit à l’organisation d’élections libres au Nicaragua en février 1990 : le président sortant, Daniel Ortega, est battu. La politique étasunienne de 1989 au Nicaragua (doc. 5) et au Panamá (doc. 6) marque la fin de la Guerre froide pour l’Amérique latine. 5. La politique des États-Unis en Amérique latine est pourtant ambiguë. Elle s’appuie sur un discours légitimateur de défense de la démocratie et de la liberté, et par conséquent de lutte contre le communisme. En réalité, la défense des intérêts stratégiques et économiques étasuniens est au moins aussi importante que le discours et s’impose sur le terrain. Le soutien à des régimes dictatoriaux, comme le Chili du général Pinochet (doc. 3) ou le Salvador dans les années 1980 (doc. 1), contrevient à la défense affichée des droits de l’homme. L’influence étasunienne, surtout contre ce qui est interprété comme l’expansionnisme communiste, est préservée à tout prix. VERS LE BAC Composition La problématique est explicite dans le sujet. L’introduction peut reprendre des éléments présentés ici au début de l’étude. Il s’agit d’affirmer que les États-Unis ont construit et maintenu leur domination sur l’Amérique latine dans des domaines variés, essentiellement économiques, commerciaux et militaires. Il s’agit aussi d’analyser comment les relations interaméricaines sont révélatrices d’un contexte de Guerre froide. 1. L’Amérique latine, une « arrière-cour » des États-Unis ? ou comment les Étasuniens perçoivent l’Amérique latine : une « chasse gardée », qui doit rester à l’abri de l’ennemi soviétique et du concurrent commercial européen. Insister sur la permanence de l’intérêt stratégique que constitue l’Amérique latine pour les États-Unis. 2. La préservation à tout prix de l’influence étasunienne : par des interventions militaires, par des opérations montées par la CIA, par le financement et la formation des forces de sécurité intérieures dans les pays latino-américains, par les investissements directs à l’étranger, par les échanges commerciaux (les États-Unis sont le premier acheteur de matières premières en Amérique latine)… 3. La présidence Carter : un tournant ou une parenthèse ? Le projet Carter de défense des droits de l’homme se heurte symboliquement à la réalité de régimes dont le seul mérite aux yeux des ÉtatsUnis a longtemps été d’être anticommunistes et ouverts aux capitaux étasuniens. Il se situe entre deux périodes républicaines plus réalistes, mais qui se parent elles aussi des vertus de la défense de la démocratie. Ouvrir la conclusion sur la question d’un retour à l’idéalisme « cartérien » avec la fin de la menace communiste. 137 pages 204-205 du Désert), par la reprise du processus de paix entre Israël et les pays arabes et par la dislocation du bloc communiste. La logique bipolaire de la Guerre froide ayant disparu, certains Américains estiment que les ÉtatsUnis peuvent retourner à une politique de non entanglement, comme avant l’attaque de Pearl Harbor en 1941. Cependant, Bush dresse une feuille de route pour son pays, en lui assignant la poursuite de sa tâche de « leader du monde libre ». La fin de la Guerre froide ne modifie pas réellement la représentation américaine du monde : la stabilité et la paix du monde sont toujours présumées garanties par le libéralisme. En continuant à défendre la liberté dans le monde, Bush pense donc servir son pays et l’humanité. Leçon 4 Les États-Unis entre multilatéralisme et unilatéralisme Cette leçon montre comment les États-Unis ont exercé leur statut de seule « superpuissance » dans le monde en recomposition de l’après-Guerre froide. Elle s’articule fortement avec la mise en œuvre du programme de Première consacrée aux nouvelles conflictualités, puisque deux des études – la guerre du Golfe et les attentats du 11 septembre 2001 – concernent directement les États-Unis, et que la troisième – le siège de Sarajevo – trouve son issue avec l’intervention des États-Unis. Au-delà des permanences (poursuite de la diffusion du libéralisme…), quatre temps distincts se succèdent : la sortie de la Guerre froide est négociée par George H. Bush, qui entend définir un « nouvel ordre mondial » sur le multilatéralisme ; les mandats de Bill Clinton, qui met la puissance étasunienne au service de l’« élargissement » de la démocratie dans le monde ; les mandats de G.W. Bush, au cours desquels la guerre préemptive contre le terrorisme devient une priorité au risque de l’unilatéralisme et de la remise en cause de la légitimité des combats étasuniens (Bertrand Badie parle d’« impuissance de la puissance ») ; enfin, le mandat de B. Obama est caractérisé par un regain de considération des États-Unis sur la scène internationale sur fond de crise économique mondiale. Au cours de ces deux décennies, la notion de puissance se redéfinit et le champ économique et culturel prend une place plus grande que durant la Guerre froide, où la diplomatie et l’armée constituaient davantage l’aune de la puissance. Dans ces domaines à l’importance grandissante, les ÉtatsUnis sont concurrencés de manière accrue. La rivalité économique États-Unis/Chine est d’ailleurs l’occasion de faire un lien entre les deux mises en œuvre sur les « chemins de la puissance ». Document 2 L’Amérique attaquée Ce document est l’occasion de réactiver avec les élèves les connaissances acquises en Première sur les attentats du 11 septembre 2001. Il permet aussi d’insister sur le retentissement exceptionnel de ces événements dans l’opinion publique étasunienne et dans l’administration Bush. Il montre que les ÉtatsUnis sont pris pour cible en raison même de leur puissance. Document 3 Les États-Unis, promoteurs du libre-échange Ce planisphère un peu complexe est intéressant car il permet d’analyser comment les États-Unis sont commercialement présents dans le monde. Réponses aux questions 1. Les pays qui concurrencent la puissance économique étasunienne sont de deux types : des pays industrialisés regroupés dans l’Union européenne, et des pays émergents en voie d’intégration régionale (MERCOSUR) ou en pleine expansion (Chine). 2. Les États-Unis utilisent leur position de première puissance économique mondiale pour défendre leurs intérêts commerciaux. À l’OMC, dont le siège est à Washington, ils sont prêts à faire l’apologie de l’ouverture des frontières (afin de permettre les investissements des FTN étasuniennes à l’étranger), tout en maintenant une attitude protectionniste dans des domaines où la concurrence est importante (agriculture par exemple). Ils ont tissé une série d’accords Document 1 Les États-Unis, « leaders du monde libre » Réponse à la question Le président George H. Bush prononce, le 28 janvier 1992, le premier discours sur l’état de l’Union après la disparition de l’Union soviétique, annoncée officiellement par M. Gorbatchev le 25 décembre 1991. Bush fait un bilan de l’année écoulée, marquée par la guerre du Golfe (l’opération Tempête 138 Clinton arrive au pouvoir alors que l’opération ne parvient pas à éviter un redoublement de la guerre civile somalienne. En octobre 1993, la « bataille de Mogadiscio » provoque la mort de 18 GI’s, ce qui pousse Clinton à retirer ses troupes. bilatéraux avec des pays traditionnellement alliés (Australie, Asean, Israël…). Surtout, l’intégration économique de l’Amérique du Nord par l’ALENA est considérée comme un modèle extensible à l’ensemble du continent américain. Le projet de zone de libreéchange des Amériques (ZLEA) se heurte aux réticences de certains pays latino-américains, qui craignent une dépendance accrue de leur économie vis-à-vis du voisin étasunien. La situation du Mexique et du Canada, dont les économies sont justement dans ce cas, encourage le Mercosur à développer ses liens commerciaux avec l’Union européenne. pages 206-207 Réponses aux questions 1. Les principes de l’enlargement sont, d’après Bill Clinton, « d’étendre et de renforcer la communauté mondiale des démocraties fondées sur le marché ». Il s’agit donc de mettre la puissance étasunienne au service d’un intérêt supérieur libéral. La démocratie libérale et le libéralisme économique sont deux ambitions dont la diffusion garantirait la paix dans le monde. Clinton assigne aux États-Unis un rôle majeur dans le monde, celui d’assurer, par des interventions choisies dans les différentes parties de la planète, la promotion d’un idéal libéral conjointement avec celle des intérêts étasuniens. 2. L’enlargement repose sur le présupposé que la démocratie garantit la pacification des relations internationales et que le libéralisme noue des intérêts croisés dont la violence est exclue car trop risquée pour les intérêts de chacun. L’ouverture économique et commerciale permet aussi aux États-Unis d’investir dans de nouveaux marchés, ce qui est un des buts avoués de l’enlargement. 3. La situation troublée en Haïti incite Clinton à agir. En effet, une junte militaire a renversé le président élu Aristide en 1994. Pour le rétablir, après l’accord de l’ONU, l’ancien président américain Carter se rend sur place et obtient le départ volontaire et sans violence majeure de la junte. 16 000 soldats américains sont déployés pour faire respecter l’accord obtenu. L’intervention étasunienne à Haïti de l’automne 1994 est un succès immédiat pour l’administration Clinton, qui a mis en œuvre les principes de l’enlargement en défendant la démocratie et en s’assurant d’une caution multilatérale avec l’accord de l’ONU. 4. Les accords et le processus d’Oslo sont bien historiques car ils prévoient un rapprochement inédit de deux ennemis irréconciliables. Cependant, leurs conséquences concrètes sont faibles en raison de la montée réciproque des extrémismes. Les relations israélo-palestiniennes sont révélatrices de ÉTUDE Bill Clinton et l’enlargement Arrivé au pouvoir début 1993, le président démocrate Bill Clinton entend œuvrer pour la promotion de la démocratie libérale dans le monde. Cette politique inspirée du wilsonisme connaît d’indéniables succès, mais se heurte aussi à des échecs, et s’achève avec un retour marqué à l’unilatéralisme défensif des intérêts étasuniens. Document 4 Les États-Unis, puissance pacificatrice ? Les accords d’Oslo sont signés à la Maison Blanche, sous l’égide du président Clinton, le 13 septembre 1993 (après de longues négociations à Oslo, en Norvège). Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP, et Itzhak Rabin, Premier ministre israélien, signent une déclaration de principes encourageante pour le processus de paix. Le rôle de médiateur du président américain ne s’arrête pas à la signature des accords, mais se poursuit pour obtenir leur application pratique (transfert de souveraineté de Gaza et Jéricho à l’Autorité palestinienne, union douanière entre Israël et les territoires palestiniens, partage de la responsabilité civile des territoires contestés entre Israéliens et Palestiniens). Document 5 L’opération « Restore Hope » vue par Hollywood L’opération Restore Hope, que le film de Ridley Scott prend comme thème, vise à protéger les populations civiles somaliennes de la guerre civile. En décembre 1992, l’ONU décide d’envoyer une force d’intervention sous commandement autonome en Somalie. 25 000 soldats américains sont déployés. 139 « l’impuissance de la puissance » américaine : les États-Unis, en dépit de leur volontarisme et de leur engagement, ne parviennent pas à stabiliser certaines régions du monde. 5. L’enlargement présente des limites. La première est sans doute la difficulté à imposer la démocratie sans passer par des moyens de pression militaires, dont l’usage est contradictoire avec la volonté de pacification (par exemple en Haïti, en ex-Yougoslavie ou en Somalie). La deuxième est « l’impuissance de la puissance », c’est-à-dire la difficulté pour les États-Unis à utiliser leur puissance dans des contextes dont le contrôle leur échappe (par exemple en Somalie ou au Moyen-Orient). La troisième enfin est la remise en cause de cette politique dès que les intérêts étasuniens sont directement menacés. Ainsi en 1998, les ÉtatsUnis mènent une opération militaire (« Renard du Désert ») contre l’Irak de Saddam Hussein, accusé de déstabiliser la région en cherchant à fabriquer des armes de destruction massive. L’ONU, garante prévue du désarmement irakien à la suite de la guerre du Golfe, est mise devant le fait accompli. Clinton estime certes que la déstabilisation du dictateur irakien permise par une intervention ciblée peut permettre d’envisager une démocratisation du régime opérée par les Irakiens eux-mêmes, mais la réalité est la négation étasunienne de la politique multilatérale pourtant promue durant les années précédentes. 6. Le film de Ridley Scott montre une Amérique saisie par le doute : l’armée américaine peine à s’imposer dans un contexte militaire de guérilla. 7. L’enlargement est une politique d’extension et de soutien du libéralisme (démocratie libérale et libéralisme économique) menée par l’administration Clinton au milieu des années 1990. Elle ne commence réellement qu’à partir de l’été 1994, après une année de relatif repli étasunien sur la difficile situation économique intérieure (pas d’intervention en Haïti, ni en ex-Yougoslavie, ni au Rwanda). Jusqu’en 1998, les États-Unis s’engagent pour assurer la stabilité du monde comme lors de l’intervention diplomatico-militaire à Haïti en 1994. Pourtant, l’opération « Renard du Désert » tempère l’idée d’un empire américain devenu chantre inconditionnel du multilatéralisme. Plus généralement, lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts économiques de son pays, Clinton sait mener une politique agressive et conciliante avec les principes de défense de la démocratie. Le rapprochement commercial avec la Chine communiste en témoigne. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. La démocratie libérale et le libre-échange : les deux fondements de la politique américaine de l’enlargement. Analyse du lien entre le libéralisme politique et économique et la stabilité de la paix dans le monde. Analyse aussi de la lecture binaire que Clinton a du monde : d’un côté les démocraties libérales ouvertes, de l’autre les « nouvelles menaces » (l.37-41). II. La démocratie libérale et le libre-échange : un terrain favorable au renforcement de la puissance étasunienne. Analyse du lien entre ouverture des marchés et possibilités d’investissements étasuniens. Analyse aussi de la manière dont l’enlargement peut profiter à l’image mondiale des ÉtatsUnis. III. La démocratie libérale et le libre-échange : des motivations pour agir. Pour illustrer les pratiques de l’enlargement, analyse de quelques allusions de Clinton lorsqu’il mentionne les « engagements » des États-Unis en Asie, en Amérique latine, en Océanie, au Moyen-Orient et en Europe. pages 208-209 Étude La politique étrangère de G.W. Bush en débat Réponses aux questions 1. Après les attentats du 11 septembre 2001, le président Bush déclare la « guerre contre le terrorisme ». En son nom, l’Afghanistan est envahi le 7 octobre 2001. L’objectif est de détruire de manière préventive les camps d’entraînement terroristes d’Al Qaida, auquel les attentats sont immédiatement attribués et que l’Afghanistan des Talibans accueille sur son territoire. La lutte menée par les États-Unis est organisée contre un réseau mondialisé qu’il faut décapiter en supprimant les régimes qui les assistent. C’est aussi au nom de la « guerre préemptive contre le terrorisme » que l’Irak est envahi à son tour en 2003. Le secrétaire d’État 140 à l’administration Bush lorsqu’elle a prévu l’invasion de l’Irak. Les États-Unis ont donc « choisi » d’envahir l’Irak. 5. Le projet du président démocrate est cependant tourné vers l’avenir et non sur la critique du passé. Il ambitionne une stabilisation politique de l’Irak sous un gouvernement démocratique (alors que les 140 000 soldats américains présents sur place ne parviennent pas à établir l’ordre) et le départ des troupes américaines du sol irakien. L’établissement de relations diplomatiques égalitaires entre les États-Unis et l’Irak est un objectif prioritaire. La promesse du retrait de l’armée américaine a été respectée entre 2010 et décembre 2011. Colin Powell a cherché à convaincre le conseil de sécurité de l’ONU du danger que représente l’Irak de Saddam Hussein. L’argument consiste à lier la prolifération des armes de destruction massive, que l’Irak est accusé de fabriquer, au terrorisme international, que l’Irak est accusé de soutenir. Ne parvenant pas à leurs fins à l’ONU, les États-Unis décident d’intervenir unilatéralement à la tête d’une coalition de 48 pays. 2. Les opposants à l’intervention américaine en Afghanistan dénoncent les fondements de la « guerre contre le terrorisme ». En effet, en tant que guerre préemptive, elle est fondée sur des présomptions ; à ce titre, elle pourrait ne jamais prendre fin et s’entretenir elle-même par la définition sans cesse renouvelée de nouveaux suspects à combattre. Les intellectuels américains signataires du document 2 expliquent aussi que l’intervention des ÉtatsUnis en Afghanistan, pourtant couverte par la caution de l’ONU, est l’exercice illégitime d’une force qui fragilise la sécurité collective. Pour eux, les États-Unis n’ont pas le droit de se soustraire au droit international. Enfin, ce sont les motivations de Bush qui sont critiquées et qui amoindrissent la crédibilité des ÉtatsUnis dans le monde. En rien défensive, la guerre contre le terrorisme serait au contraire l’expression d’un impérialisme agressif visant à défendre les intérêts particuliers des ÉtatsUnis. 3. L’opinion publique américaine se divise devant la politique étrangère de l’administration Bush. Une fraction importante de la population désapprouve l’intervention en Irak et de nombreuses manifestations pacifiques ont lieu à travers le pays. Pour Noam Chomsky, c’est « la première fois dans l’histoire occidentale qu’une guerre impérialiste suscite une telle opposition avant même qu’elle ait été lancée » (« Noam Chomsky on 1968 », in New Statesman, 8 mai 2008). 4. Le président Barack Obama prononce un discours au Caire le 4 juin 2009, année de son arrivée au pouvoir, dans lequel il se démarque de son prédécesseur. Pour lui la guerre en Afghanistan était justifiée par les attentats du 11 septembre 2001 et légitimée par le soutien de l’ONU. En revanche, la recherche du consensus et du multilatéralisme a fait défaut VERS LE BAC Étude critique La décision prise par l’administration Bush d’envahir l’Afghanistan, en octobre 2001, pour répondre aux attentats du 11 septembre précédent, provoque des débats au sein des intellectuels étasuniens. Les médias se font le relais de l’expression publique de ces débats, y compris à destination des Européens. Ainsi Le Monde publie-t-il deux lettres ouvertes collectives : le 15 février 2002, une soixantaine d’intellectuels étasuniens signe une lettre de soutien à la politique étrangère du président Bush (doc. 1) ; quelques semaines plus tard, le 9 avril 2002, c’est une lettre dénonciatrice de cette même politique qui est publiée par 120 intellectuels étasuniens (doc. 2). Comment ces deux textes témoignent-ils des débats suscités par la politique étrangère de G.W. Bush ? I. La politique étrangère du président Bush : la « guerre préemptive contre le terrorisme ». Cette partie analyse les éléments des deux textes qui permettent d’exposer quelle a été la politique étrangère de Bush en 2001. II. La politique étrangère du président Bush : « guerre juste » ou « loi de la jungle » ? Cette partie confronte les arguments et les jugements portés par les deux auteurs collectifs sur la politique étrangère décrite précédemment. On peut insister sur le décalage entre un discours légitimateur qui insiste sur les caractéristiques dangereuses de l’adversaire à combattre et un discours détracteur qui met en avant les contradictions de la politique étrangère étasunienne avec les principes qu’elle prétend défendre. 141 pages 210-211 VERS LE BAC tembre 2001 ; la « guerre contre le terrorisme » est le combat dans lequel le président Bush lance son administration pour éliminer la menace que les terroristes font peser sur son pays ; l’« axe maléfique » ou « axe du mal » est l’ensemble des forces (pays, groupes terroristes) qui menacent la sécurité des États-Unis et la paix dans le monde par leur collusion ; le « rôle exceptionnel » des États-Unis est fondé sur leur « superpuissance » : c’est la reprise du thème « leader du monde libre » adapté à un nouveau contexte, c’est aussi ce rôle qui provoque les accusations contre les États-Unis de se comporter en « gendarmes du monde ». 8. Le discours de G. W. Bush est révélateur de la conception que les États-Unis se font du monde au début de l’année 2002 car il s’exprime au nom de son administration et au nom des Américains qui le soutiennent massivement à ce moment-là. Il témoigne de l’interventionnisme des États-Unis pour défendre leur propre sécurité et celle des autres pays démocratiques, que menace l’« axe du mal » (groupes terroristes et « États voyous »). Il rend compte d’une lecture manichéenne simplificatrice du monde. 9. G. W. Bush annonce que la « guerre contre le terrorisme […] ne fait que commencer. » En effet, l’invasion de l’Irak en 2003 est justifiée par l’administration Bush au nom de cette guerre. 10. G. W. Bush a une vision manichéenne du monde car il lit les rapports de force dans le monde à la lumière d’une division bien-liberté/ mal-terrorisme. 11. Le risque d’une telle vision dans les relations internationales est la simplification et une mauvaise compréhension de la complexité du monde. 12. Le développement structuré pourra suivre la structure du document avec trois parties correspondant aux lignes 1-10, 11-14 et 15-37. Étude critique de document Réponses aux questions 1. La politique étrangère américaine qui précède le 11 septembre 2001 est marquée par l’enlargement clintonien (voir Étude pages 206-207). Cependant, la fin des années 1990 a déjà vu une tentation unilatérale des ÉtatsUnis (voir l’opération « Renard du Désert » et l’influence du Sénat à majorité républicaine). 2. Le document montre que la politique étrangère se radicalise en réagissant aux attentats du 11 septembre 2001. La vision manichéenne est beaucoup plus tranchée qu’auparavant et se double d’une vision sécuritaire qui justifie l’éventuel usage unilatéral de la force. 3. Un discours sur l’état de l’Union est un discours programmatique annuel prononcé par le président des États-Unis, qui dresse un bilan de l’année écoulée et fixe les grandes lignes de l’année à venir. 4. George W. Bush est un président républicain des États-Unis. Élu en 2000, il entre en fonction en janvier 2001 et s’entoure de néoconservateurs pour diriger le pays. 5. Le président s’adresse en premier lieu au Congrès devant lequel il lit son discours. Audelà, c’est à l’ensemble de ses concitoyens qu’il précise les grandes lignes de sa politique. Enfin, parce que la médiatisation des discours sur l’état de l’Union est devenue immédiate, c’est un message adressé au monde entier que prononce G. W. Bush. 6. G. W. Bush prononce son discours trois mois et demi après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Profondément choqués par ce qu’ils considèrent comme une attaque directe contre leur intégrité, les Américains soutiennent massivement le président lorsqu’il ordonne l’invasion de l’Afghanistan (lancée le 7 octobre 2001) par l’armée américaine avec le soutien de l’ONU. Parallèlement, et dans un temps moins marqué par des événements récents, le monde fait face à la diffusion de nouvelles menaces : terrorisme de masse certes, mais aussi prolifération des armes de destruction massive, existence de « zones grises »… 7. L’Amérique « sous le choc » désigne le traumatisme provoqué par les attentats du 11 sep- pages 212-213 VERS LE BAC Composition Réponses aux questions 1. Plan détaillé : I. 1918-1941 : une grande puissance qui ne s’assume pas pleinement – le wilsonisme ou la volonté avortée de refonder l’ordre mondial sur des principes universels 142 – une politique réaliste de défense des intérêts étasuniens sous les présidents républicains (non entanglement, dollar diplomacy…) – de l’isolationnisme (conséquence de la crise économique et sociale) à une neutralité bienveillante à l’égard des démocraties : les États-Unis de Roosevelt Transition sur la guerre couverte contre les puissances de l’Axe en 1940-1941. II. 1941-1991 : une grande puissance qui se projette comme « leader du monde libre » – les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale ou le combat pour la liberté – la Guerre froide jusqu’aux années 1960 ou la lutte contre le communisme – la Guerre froide depuis les années 1960 ou le temps du doute III. Depuis 1991 : une superpuissance sûre d’elle-même ? – la volonté de refonder l’ordre mondial – la politique d’enlargement – de l’impérialisme triomphant au déclassement relatif 2. Le XXe siècle est incontestablement marqué par la puissance des États-Unis. En 1918, lorsque s’achève la Première Guerre mondiale, le président des États-Unis Wilson propose de refonder l’ordre mondial sur une conception idéaliste des relations internationales. Bien qu’abandonné par la classe dirigeante américaine au profit d’un réalisme estimé plus efficace pour défendre leurs intérêts, l’idéalisme wilsonien hante la politique étrangère des États-Unis jusqu’à nos jours. Si bien que la dialectique entre multilatéralisme et unilatéralisme, entre non entanglement et interventionnisme, peut servir de grille d’analyse pour l’ensemble du siècle. L’accession au rang de première puissance mondiale est aussi une accession à des responsabilités particulières, tant d’ordre économique et financier que diplomatique et militaire. Depuis 1918, les États-Unis ont diversement admis le poids de ces responsabilités, même si l’entrée en guerre en 1941 marque un tournant décisif et définitif dans la manière dont ils conçoivent leur rapport au monde. Forts de leur statut de première puissance mondiale, quel(s) rôle(s) les États-Unis ont-ils cherché et ont-ils dû jouer dans le monde depuis les Quatorze Points du président Wilson ? Si on peut penser que les États-Unis ont refusé d’assumer leur rôle de nouvelle première puissance mondiale durant l’entre-deux-guerres, en préférant s’en tenir à une politique de non entanglement stratégique, la rupture de 1941 entame une période de cinq décennies durant laquelle les États-Unis s’engagent dans la lutte pour la liberté contre le nazisme, puis contre le communisme. Avec la fin de la Guerre froide, les États-Unis accèdent au statut de seule superpuissance et semblent depuis hésiter entre unilatéralisme et multilatéralisme. 3. L’organisation géopolitique du monde actuel peut être qualifiée de multipolaire (ou polynucléaire) et d’instable. Les États-Unis (quoique souvent impuissants à imposer leur conception du monde) y tiennent encore une place éminente, mais ils doivent compter sur des concurrents qui s’affirment de plus en plus sérieusement, à l’échelle régionale ou mondiale : l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie… 4. Les États-Unis cherchent aussi à assumer le rôle de seule superpuissance depuis 1991, mais se heurtent aux difficultés d’un monde instable et mal contrôlable. Si le second XXe siècle fut incontestablement marqué par la vision américaine du monde (la pax americana), le XXIe siècle sera sans doute pour les États-Unis celui des recompositions forcées sur une scène internationale polynucléaire. 143 CHAPITRE 7 La Chine et le monde depuis le mouvement du 4 mai 1919 Le chapitre vise à mettre en évidence les voies successives suivies par la Chine pour tenter de redevenir une grande puissance et de quelles façons différentes elle s’est intégrée dans les relations internationales. De longueur sensiblement égale, trois périodes peuvent être distinguées : 1919-1949, 1949-1978 et de 1978 à nos jours. La Chine jusqu’en 1949, qui fait l’objet de la première leçon, reste soumise à la pression des impérialismes, parmi lesquels le Japon s’affirme rapidement comme le plus menaçant. La faiblesse du pouvoir central (inexistant dans un premier temps, puis contrôlant le pays de façon bien imparfaite sous le Guomindang) est une originalité de la période. Il nuit au rayonnement international de la Chine, mais favorise une vie intellectuelle et culturelle féconde. 1949 est une rupture car cette année ouvre une période d’hégémonie du PCC qui tente d’imposer la voie de l’économie communiste. La période 1949-1978 fait l’objet de deux leçons. L’une appréhende comment, sur le plan intérieur, après avoir emprunté beaucoup au modèle soviétique au début des années 1950, le pays tente assez rapidement de trouver une voie de développement originale dictée par Mao. Les divergences idéologiques conduisent également la Chine à prendre ses distances avec l’URSS sur le plan des relations internationales. Sans prétendre au même statut de superpuissance, elle tente de se poser en concurrente dans le Tiers-Monde. C’est l’objet de l’autre leçon portant sur 1949-1978. Dans la quatrième leçon, est examinée la façon dont la politique des réformes initiée en 1978 par Deng Xiaoping, qui rompt avec le maoïsme, porte ses fruits sur le plan économique. Le miracle économique offre ainsi de nouveaux leviers à la politique étrangère chinoise qui se fait de plus en plus active ces dernières années, en particulier en Asie du Sud-Est et en Afrique. pages 216-217 OUVERTURE DE CHAPITRE retour à la Chine en 1999). L’île de Hong Kong était en effet devenue une propriété de la couronne britannique à l’issue de la première guerre de l’opium (1839-1842) et du traité de Nankin qui y mettait fin. La cérémonie de la rétrocession témoigne d’un souci extrême du protocole et du détail. On remarque que la mise en scène, par sa symétrie, souligne la parfaite égalité entre les deux parties. La Chine est une puissance avec qui on traite d’égal à égal. Par ailleurs, la photographie fournit quelques indices concernant les transformations que le Chine a su mener à bien pour retrouver sa puissance et devenir un acteur du jeu diplomatique international. Elle a su en particulier largement emprunter à l’Occident. Ceci se traduit, dans le document qui nous intéresse, par les costumes des responsables politiques présents, les uniformes des soldats, le cérémonial utilisé ainsi que l’utilisation des drapeaux (comme symbole sacralisé d’un pays, il s’agit d’une invention purement occidentale). On note que Margareth Thatcher est présente au second plan de la délégation britannique. Elle n’est plus aux affaires en 1997, mais c’est durant son mandat que les conditions et le calendrier de la rétrocession avaient été discutés. Un siècle environ sépare les deux illustrations. Elles traduisent le succès de la Chine dans ses efforts pour regagner un statut de puissance. Document 1 Fin XIXe siècle : le « partage » de la Chine La caricature italienne présente la Chine comme la victime impuissante des appétits impérialistes des puissances européennes. La représentation de la Chine sous les traits d’un fonctionnaire de l’administration impériale témoigne d’une vision européenne exotisante : le costume du mandarin est fantaisiste, sa natte est dressée de manière irréaliste pour la mettre en valeur, et (en guise d’ultime cliché) le territoire chinois est symbolisé par un bol de porcelaine (peut-être peut-on y voir un jeu avec le mot « china » qui désigne, mais en anglais, la porcelaine). Document 2 1997 : la rétrocession de Hong Kong à la Chine Au contraire, la rétrocession de Hong Kong peut être considérée comme la fin de l’épisode de la présence impérialiste en Chine (Macao fera toutefois 145 pages 218-219 INTRODUCTION Document 1 Le nationalisme chinois L’introduction vise à comprendre la situation de la Chine à l’aube du XXe siècle. Grande puissance asiatique jusqu’au début du XIXe siècle, elle voit peu à peu son influence décliner et les menaces sur sa souveraineté s’amonceler. Affaiblie, la dynastie des Qing ne peut résister aux poussées expansionnistes européennes et japonaises. La mise en place de la République (1er janvier 1912) ne met pas un terme à l’agitation politique intérieure et aux menaces extérieures. pages 220-221 Originaire du Guangdong, éduqué à Hawaï et Hong Kong, Sun Yat-sen (1866-1925) est indiscutablement la figure dominante des opposants à la dynastie Qing. À partir de 1916, il fait du Guomindang l’instrument de ses ambitions de réunification d’un pays divisé entre de puissants seigneurs de la guerre. Il est l’artisan du rapprochement avec l’URSS et d’une politique d’alliance avec le PCC fondé quelques années plus tôt en 1921. Le Testament politique de Sun, qui a été écrit en fait par son entourage immédiat (où la faction du Guomindang de gauche était bien représentée) alors qu’il était mourant, est un texte très court. Il sera littéralement sacralisé après sa mort par le Guomindang, en même temps que Sun sera élevé au rang de « Père de la nation chinoise ». Le thème du « réveil » nécessaire de la Chine pour secouer le joug humiliant des impérialismes est ici présent. L’allusion aux « autres nations du monde qui nous traitent sur un pied » désigne très vraisemblablement l’URSS qui fournit depuis 1923 une aide capitale au Guomindang pour rendre possible la reconquête du pays à partir du Guangdong, la seule province qu’il contrôle. CARTE La Chine, puissance asiatique La Chine républicaine, 1912-1949 : la quête de l’unité La Chine républicaine est un pays déchiré. Il s’est vu imposer la présence de concessions étrangères et est en proie à la guerre civile qui oppose le Guomindang au Parti communiste chinois. À partir de 1931, l’occupation d’une partie du pays par les troupes japonaises, puis la guerre contre le Japon obligent les frères ennemis à se rapprocher. La République populaire de Chine, puissance asiatique La victoire des communistes en 1949 est suivie par la mise en place de la République populaire de Chine. Le pays, rétabli dans son intégrité territoriale, revendique la souveraineté sur le Tibet et cherche à s’imposer comme une puissance régionale (ce qui ne va pas sans frictions avec ses voisins). Après la rétrocession de Hong Kong et Macao, la Chine continue de revendiquer le retour dans son giron de Taïwan. pages 222-223 Réponses aux questions 1. Le but de Sun a été de conquérir pour la Chine un statut d’égalité avec les autres puissances. La révolution est considérée comme un moyen au service de cette fin. Le terme de Révolution a un double sens. À l’époque de la dynastie des Qing, il désigne le renversement de la dynastie et l’instauration d’un régime républicain. La chute de la dynastie et l’instauration de la République étant rapidement suivies par la partition du pays entre de puissants seigneurs de la guerre, Sun Yat-sen considère que le processus révolutionnaire n’est pas achevé. Il entend réunifier le pays sous l’égide du Guomindang. 2. À l’époque de la mort de Sun Yat-sen, la Chine est toujours soumise à des traités dits inégaux signés le siècle précédent qui assurent un certain nombre de privilèges aux puissances occidentales (auxquelles il convient d’ajouter le Japon). Ainsi, les citoyens étrangers échappent à la justice chinoise et sont jugés par leurs représentants diplomatiques (droit d’extraterritorialité). Les concessions sont LEÇON 1 La Chine de la République (1912-1949) La leçon présente la période républicaine, qui commence à la chute de l’Empire et prend fin à la proclamation de la République populaire de Chine. Une opposition se dessine entre la faiblesse relative du pays, menacé par l’appétit des différents impérialismes et, sur le plan intérieur, par l’impossibilité de retrouver un pouvoir central consistant. Sur le plan culturel, le mouvement du 4 mai n’est que l’un des aspects d’une période très brillante, tandis que des avancées sur le plan social et économique ne doivent pas être occultées. 146 évoquent le style des actrices occidentales contemporaines. Sa robe (qipao), en revanche, s’est imposée à partir des années 1930 comme le costume féminin par excellence dans les villes chinoises. La vie privée de Ruan Lingyu suscite de nombreux articles d’une presse populaire alors en plein développement. Son suicide en pleine gloire en 1935 (suite à drame sentimental) a un retentissement national. des espaces urbains qui sont administrées par des représentants des pays étrangers (par exemple le consul de France pour la concession française de Shanghai). Les étrangers exercent également un contrôle sur les douanes, sur l’administration de la gabelle et sur les Postes. Document 2 Instruire une nation Les manuels d’enseignements primaires chinois des années 1920 (très largement inspirés des manuels japonais de l’époque) traduisent une évolution pédagogique considérable. L’enseignement primaire traditionnel consistait en effet surtout à mémoriser de façon mécanique les grandes œuvres du Canon confucéen. Par ailleurs, la langue qui se trouve enseignée est le baihua. Au-delà de la promotion du sentiment national qui domine de façon évidente dans cette double-page, on note que la mise en avant du drapeau comme symbole sacralisé d’un pays ressort d’une culture politique totalement occidentale. Dans le même ordre d’idée, le pays se dote d’un hymne et d’une fête nationale. pages 224-225 ÉTUDE Le mouvement du 4 mai 1919 Document 1 Manifestation à Pékin, le 4 mai 1919 Vêtus de la robe des lettrés, ce sont très probablement des étudiants de Pékin que l’on voit défiler. Le drapeau qui figure sur cette photographie est le drapeau aux cinq couleurs de la république de Chine. Chaque couleur représente une des ethnies majeures du pays : le rouge les Han, le jaune les Mandchous, le bleu les Mongols, le blanc les Hui (musulmans), et le noir les Tibétains. Le Guomindang imposera un nouveau drapeau, qui est celui que l’on voit dans le doc. 2 p. 223. Document 3 La présence occidentale à Shanghai Cette photographie permet de constater le caractère imposant du Bund, le quartier des affaires des concessions. Le style des constructions évoque les grandes métropoles d’Europe et d’Amérique du Nord et traduit la forte empreinte étrangère sur la ville. Divisée entre la concession internationale, la concession française et la ville chinoise, Shanghai est alors le symbole de la présence étrangère en Chine. C’est aussi une métropole extrêmement dynamique qui passe de 1,3 million d’habitants au début des années 1910 à presque 5,5 millions en 1949. C’est le premier pôle de l’industrie moderne (textile en particulier) et le cœur du système bancaire chinois. Elle tend à disputer à Pékin le rôle de centre intellectuel dominant (Shanghai concentre l’essentiel des maisons d’éditions). Document 2 Document 4 Lu Xun est considéré comme le plus grand prosateur d’expression chinoise du XXe siècle. Il excelle tout particulièrement dans le genre de la nouvelle. Son influence a été considérable, contribuant en particulier à donner au baihua ses lettres de noblesse. Le texte met en scène deux jeunes gens exaltés par les idéaux d’égalité et d’émancipation féminine qui sont un des aspects du mouvement du 4 mai 1919. La diffusion du mouvement La carte montre l’étendue nationale du mouvement du 4 mai. La propagation à tous les grands centres urbains de la Chine d’un mouvement initié à Pékin est permise par le développement récent de la presse qui accélère la circulation des idées. La conscience politique des Chinois de constituer une nation progresse. La carte montre aussi que le mouvement n’est pas resté uniquement confiné dans les milieux intellectuels, mais qu’il a aussi vu la participation des ouvriers, et de la population plus largement (boycott). Document 3 Un mouvement culturel tourné contre la tradition Un divertissement populaire venu d’Occident : le cinéma La Chine développe une industrie cinématographique florissante dans les années 1920 et 1930. Les plus importants studios sont à Shanghai. Ruan Lingyu, une des premières stars du cinéma chinois apparaît ici avec un maquillage et une coiffure qui 147 On constate que leurs références sont des hommes de lettres occidentaux. Comme souvent dans les textes de Lu Xun, qui peut être comparé à Maupassant à cet égard, la désillusion sera au rendezvous pour les personnages qui essaient de s’extraire de leur statut ou de leur condition : l’inertie de la tradition, le poids des contraintes sociales auront raison des idéaux de ces deux jeunes gens. C’est sous le même rapport que l’on peut affirmer que la question de la condition féminine est importante dans le mouvement du 4 mai. Les théoriciens du mouvement du 4 mai voient dans l’inégalité des sexes et dans le statut de la femme une des causes de la faiblesse du pays. Une des raisons en est que le système de valeur traditionnel assigne aux femmes pour seul objectif de devenir, selon l’expression du texte, la « matrone émérite, oisive et vénérée » trônant au sommet d’un système familial oppressant. L’horizon intellectuel des femmes ne peut que rester borné au simple cadre familial et il en résulte qu’elles sont incapables d’apporter la moindre attention et a fortiori la moindre contribution active au salut de la Patrie. Document 4 La Jeunesse Le sous-titre en français de La Nouvelle Jeunesse traduit l’ouverture revendiquée de la revue (et plus largement du mouvement du 4 mai) aux influences occidentales. La Nouvelle Jeunesse publie de nombreux articles d’auteurs chinois formés en Occident, mais aussi des traductions d’auteurs étrangers. Document 7 Groupe de femmes Document 5 Cette photographie représente un groupe de femmes issues d’un milieu visiblement très aisé. Leurs pieds sont bandés selon une coutume qui ne disparaîtra que progressivement sous la République et qui est une des autres bêtes noires des intellectuels du mouvement du 4 mai 1919. Le fait qu’aucun homme ne figure sur la photo peut aussi être considéré comme significatif : dans les grandes familles, les appartements des hommes et ceux des femmes étaient séparés et les femmes étaient supposées ne quitter qu’exceptionnellement le gynécée où elles se trouvaient confinées. Mais c’est une photographie destinée aux Européens et à ce titre elle obéit à une composition qui se veut ethnographique : un groupe où tous les âges sont représentés, sur deux rangs. L’appel à la jeunesse Cet hymne à la jeunesse est un texte extrêmement célèbre de Chen Duxiu. Il est à replacer dans le contexte d’une culture lettrée qui n’a jamais particulièrement exalté la jeunesse alors que la longévité était valorisée. Il témoigne aussi de la forte influence exercée par le darwinisme social de Spencer sur les intellectuels de premier plan de l’époque. Les relations internationales sont en effet vues à travers le prisme de la lutte pour la survie, cf. par exemple : « tout ce qui est vieux et pourri, je l’abandonne à la sélection naturelle ». Dans ce contexte, la nécessité de réformer le pays est fortement dramatisée. À noter que l’on retrouve ici le thème de la Chine « à réveiller » que l’on pouvait aussi relever dans le testament politique de Sun Yat-sen (doc. 1 p. 223). Réponses aux questions 1. Les manifestants du 4 mai sont mus par des motifs patriotiques. Ils protestent contre le fait que leur pays ne soit qu’un enjeu dans l’affrontement des puissances impérialistes. 2. Le mouvement du 4 mai est un mouvement urbain, mais il touche l’ensemble de la Chine côtière, en particulier la région de Pékin/Tianjin et surtout la basse vallée du Yangzi, c’est-àdire la partie la plus avancée culturellement et économiquement du pays. Parti du milieu des étudiants et intellectuels, il a gagné les couches laborieuses, ce dont témoignent grèves et manifestations ouvrières. 3. Si le mouvement du 4 mai se veut une réaction contre le poids des traditions, celleci s’effectue largement en empruntant aux Document 6 Une nouvelle vision de la femme La survie de la Chine représente la préoccupation centrale des élites du mouvement du 4 mai. Cela ne signifie pas qu’elles se désintéressent des autres questions d’ordre social, économique ou politique. Bien au contraire, ces sujets font l’objet de la plus grande attention et sont discutés passionnément précisément parce qu’ils sont envisagés dans le rapport qu’ils entretiennent vis-à-vis du salut de la Chine. Ainsi les problèmes sociaux que sont la consommation de l’opium, la passion pour les jeux d’argent ou encore l’existence d’une prostitution florissante, sont interprétés avant tout comme des facteurs d’affaiblissement des forces vitales du peuple et donc un péril pour le pays. 148 la Chine « utile », c’est-à-dire la Chine côtière. À partir de 1942, l’expansion du Japon en Asie prend des proportions gigantesques lorsqu’il s’empare de nombreuses possessions occidentales, à tel point qu’il est en mesure de faire peser une menace réelle sur l’Australie. En Chine, les Japonais reprennent l’offensive en 1944 avec l’opération Ichigo et progressent encore vers l’ouest. penseurs et aux écrivains occidentaux comme on le voit dans le cas de la nouvelle de Lu Xun. Le sous-titre français de la Nouvelle Jeunesse traduit l’influence de penseurs libéraux français comme Montesquieu ou Rousseau dont Chen Duxiu était un excellent connaisseur. 4. Le mouvement fonde tous ses espoirs sur la jeunesse. Selon Chen Duxiu, le salut de la Chine ne peut provenir que de la jeunesse car elle représente la seule force qui peut espérer transformer la société chinoise. Le titre choisi pour la revue la plus influente du mouvement, la Nouvelle jeunesse, est un autre témoignage du rôle capital qui lui est assigné. 5. Le statut inférieur des femmes, un des fondements de l’ordre social et familial traditionnel, constitue une des cibles essentielles des attaques. C’est en particulier vrai de deux pratiques qui contribuaient à maintenir les femmes dans un statut de dépendance : le bandage des pieds (qui rendait en particulier leurs déplacements à l’extérieur du domicile extrêmement difficiles), et la pratique des mariages arrangés par les parents. D’autres aspects sont évoqués, en particulier le système familial fondé sur l’obéissance inconditionnelle due aux générations aînées et associé au culte des ancêtres. Document 2 L’ennemi japonais Le boycott est une arme très souvent mise en avant depuis les premières années du XXe siècle par les activistes de la lutte anti-impérialiste comme on l’a déjà vu lors du mouvement du 4 mai 1919 (dans le doc. 2 p. 224). Les étudiants font figure de fer de lance de la lutte anti-impérialiste en Chine. Ils contribuent à alimenter la pression sur le gouvernement du Guomindang pour que celui-ci résiste plus énergiquement à la pression du Japon en Chine du Nord (la stratégie de Jiang Jieshi, conscient de son infériorité militaire, est jusqu’en 1937 de temporiser et de privilégier la lutte contre le PCC). Document 3 Enquête de la SDN sur Mandchoukouo La commission Lytton avait été mandatée par la Société des Nations (SDN) pour faire la lumière sur l’incident qui avait débouché en 1931 sur l’invasion de la Mandchourie par l’armée japonaise et la constitution de l’État du Mandchoukouo. Comme on le voit ici, le rapport de la commission conclut sans nuance au caractère artificiel du régime mis en place par les Japonais. Il est clair que si les Japonais essaient avec un succès mitigé de s’appuyer sur les éléments non-han de la population de la région, en dehors d’eux, leur occupation ne rencontre que de l’hostilité. Le rapport Lytton, malgré ses conclusions claires, n’aura pas de conséquence directe car le Japon se retire de la SDN au printemps 1933. Il contribue même à discréditer la SDN en révélant son incapacité à résoudre de façon efficace des crises internationales. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Une révolte patriotique face aux anciens alliés de la Première Guerre mondiale II. Un mouvement culturel qui rejette la tradition… III. … et sur lequel la modernité occidentale exerce une réelle fascination pages 226-227 ÉTUDE La guerre sino-japonaise (1937-1945) Document 1 L’expansion japonaise Document 4 L’expansion japonaise en Asie se fait essentiellement au détriment de la Chine. La première acquisition significative est l’île de Taïwan cédée par la Chine à l’issue de la guerre de 1894-95. Dans les décennies suivantes, la Mandchourie et le nord de la Chine sont conquises. Après le déclenchement de la guerre en 1937, le Japon s’efforce de conquérir La Chine, principale victime de l’impérialisme japonais L’avancée des troupes nipponnes et les nombreuses exactions (massacres, viols, pillages) qui l’accompagnent provoquent de vastes mouvements de population vers l’ouest du pays. Le choix de ne pas 149 vivre sous le joug de l’occupant rentre aussi en ligne de compte. Le nombre des réfugiés se chiffre en millions. Des villes entières se vident de leurs habitants. Amoy, qui comptait 260 000 habitants avant l’occupation japonaise voit par exemple sa population tomber à 88 000. De nombreuses personnes ne retourneront chez elles qu’en 1945. Document 7 La Chine dans la Seconde Guerre mondiale La conférence du Caire est certes une importante victoire symbolique pour un Jiang Jieshi tout sourire, qui se trouve traité sur un pied d’égalité avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. L’unanimité de circonstance de cette photographie dissimule néanmoins des débats très vifs. Churchill veut imposer à son allié américain le principe du caractère prioritaire du front européen, tandis que Jiang Jieshi s’efforce de faire diriger une partie beaucoup plus importante de l’effort de guerre des États-Unis vers le théâtre d’opérations asiatique et en particulier pour le renforcement de ses propres armées. La coordination des forces des trois pays pour la guerre en Malaisie (occupée par le Japon) constitue un des autres sujets de discussion de la conférence. Document 5 Le « viol » de Nankin Nankin est la capitale du régime nationaliste depuis 1928. À l’automne, elle a été évacuée par le gouvernement du Guomindang qui se replie sur Wuhan. Cette décision découle du choix de Jiang Jieshi de poursuivre la guerre en dépit des importants revers militaires subis jusqu’alors (Bataille de Shanghai). Elle contribue en partie à expliquer l’accès de folie meurtrière qui s’empare des forces japonaises, qui avaient espéré une capitulation rapide de la Chine, lorsqu’elles s’emparent de la ville de Nankin. La population civile de Nankin subit des massacres sur une grande échelle. Les estimations du nombre de victimes sont variables et sujettes à controverse (de 50 000 civils tués à 300 000). Le retentissement du massacre de Nankin est considérable ; il cristallise toujours actuellement un fort ressentiment de la population chinoise envers le Japon. Réponses aux questions 1. Le Japon procède par avancées successives. La première étape est la satellisation de la Mandchourie qui est effective en 1931. Elle ne donne pas lieu à une véritable guerre, car le Guomindang préfère jouer l’apaisement. En revanche, la deuxième étape correspond à une guerre ouverte et meurtrière. L’avancée japonaise atteint désormais le cœur de la Chine puisque les capitales intellectuelle, politique et économique de la Chine (respectivement Pékin, Nankin et Shanghai) sont occupées dès 1937. 2. La population chinoise est dans son écrasante majorité hostile à l’envahisseur. 3. Le PCC entend bien conserver son identité propre vis-à-vis du Guomindang. Les mots indépendance et autonomie sont répétés dans les points 2 et 3. L’objectif (qui peut paraître bien lointain en 1940) de la reprise de la lutte contre le Guomindang est néanmoins présent. L’intérêt du PCC prime toute autre considération, y compris la lutte contre l’envahisseur. 4. La présence de la Chine à la conférence du Caire en fait une grande puissance. Elle est représentée par son dirigeant Jiang Jieshi. La Chine revendique à court terme une aide accrue de la part de ses alliés. À moyen terme, elle revendique la capitulation sans condition du Japon et la restitution des territoires annexés par le Japon depuis 1895. Document 6 Un front uni contre le Japon Ce document secret traduit de façon claire que le front uni décidé pour faire face à la menace du Japon est considéré comme une alliance de nature très provisoire par le PCC. L’alliance provisoire avec le Guomindang ainsi qu’avec certaines des puissances impérialistes est présentée comme une manœuvre tactique. Le front uni offre en effet le grand avantage pour le PCC de neutraliser le Guomindang et de confirmer la grande autonomie de manœuvre du PCC dans les zones qu’il contrôle. Mao est décidé à en tirer le maximum de bénéfices (« accumulation des forces en attendant le moment favorable »). De fait, à part la coûteuse offensive des Cent Régiments (août-décembre 1940), le PCC évite les batailles rangées, se contente d’une tactique de guérilla mieux adaptée à ses moyens. De plus, la guérilla limite les pertes et permet de s’assurer du contrôle de vastes zones entre les axes de communication et les grandes villes, qui étaient les seules zones à être effectivement occupées par les Japonais. 150 pages 228-229 LEÇON 2 réglée par les cadres locaux du parti et qui vise à faire participer activement la masse des paysans. La redistribution des terres du début des années 1950 permet l’anéantissement de l’influence des élites rurales traditionnelles. Plus de deux millions de propriétaires fonciers sont tués dans les violences qui l’accompagnent. La voie est libre pour les grandes campagnes de collectivisation à marche forcée des années suivantes. La Chine de Mao (1949-1978) Le titre de la leçon met l’accent sur l’importance de Mao Zedong dans la conduite de la politique en Chine. Si l’organisation du PCC est supposée être collégiale et démocratique, le prestige (nourri par une abondante propagande) et l’habileté manœuvrière de Mao lui permettent d’imposer ses vues jusqu’à sa mort. L’alignement sur l’Union soviétique est commandé par l’isolement diplomatique du régime au moment de son avènement. La période voit ensuite une succession de campagnes de mobilisation des masses (là est la principale originalité du maoïsme) supposées amener le pays en quelques années vers le socialisme. Leurs conséquences désastreuses imposent des périodes d’accalmie durant lesquelles davantage de liberté est laissée (en particulier, pour les paysans, par des redistributions partielles des terres collectivisées). Seule la mort de Mao le 9 septembre 1976, tournant crucial, permet au pays de se détourner de l’utopie révolutionnaire, après que Deng Xiaoping est parvenu à écarter le pâle successeur que Mao s’était choisi, Hua Guofeng. Document 3 L’alliance avec l’URSS Il s’agit d’une illustration d’origine russe. Le recours aux figures de Mao et Staline pour personnifier l’alliance traduit le pouvoir personnel des deux hommes. Mao a en effet établi son pouvoir personnel sur le PCC depuis 1943. La poignée de main, le fond rouge uni, l’attitude des personnages et la composition symétrique semblent traduire un rapport d’égalité entre eux. Cependant, le fait que Mao tienne en main deux volumes des œuvres de Lénine tend à faire de lui un élève qui se place sous la protection de son maître. On peut cependant préciser que lors de la visite de Mao à Moscou entre décembre 1949 et février 1950 (le premier voyage hors de Chine de sa vie), qui sera la seule occasion de rencontre des deux dirigeants, le courant passe mal entre eux. Document 1 Proclamation de la République populaire de Chine à Pékin (1er octobre 1949) Réponses aux questions 1. Mao Zedong est le maître incontesté de la RPC, et Staline celui de l’Union soviétique. 2. La poignée de main, les yeux dans les yeux, des deux personnages de l’affiche est évidemment là pour affirmer l’alliance des deux géants du bloc communiste. La présence marquée de la couleur rouge, comme trame de fond, mais également dans différents éléments du costume des deux hommes constitue une preuve d’union idéologique. Il s’agit en effet d’une alliance entre deux régimes qui professent la même doctrine marxiste-léniniste, ce dont témoigne le volume des œuvres de Lénine que Mao tient dans sa main gauche. Cette célèbre photographie a été prise à l’occasion de la proclamation solennelle de la RPC à Pékin. Elle illustre la façon dont le régime communiste entend se présenter comme collégial. La position de Mao semble être celle d’un primus inter pares, ce qui ne correspond pas à la réalité. En effet, sa mainmise personnelle sur le parti est effective depuis 1943, grâce à la combinaison d’un sens aigu de la manipulation, d’un charisme certain et d’une totale absence de scrupules. Le lieu de la proclamation de la RPC, Pékin, traduit la volonté d’une rupture avec le régime du Guomindang (dont la capitale avait été installée à Nankin en 1928). Document 2 La réforme agraire Document 4 La Chine en 1949 n’était pas caractérisée par une inégalité particulièrement prononcée de la répartition des terres. Mais le PCC s’efforce de faire du conflit entre les masses paysannes et leurs supposés oppresseurs, les « propriétaires fonciers » (dizhu), le trait structurant de la société rurale. On voit ici l’exemple d’une cérémonie soigneusement L’embrigadement de la jeunesse La mise en avant de héros issus des masses est une caractéristique du régime communiste chinois (ainsi, en mars 1963, Mao met en avant le caporal Lei Feng, qui ressort du même modèle du hérosanonyme : les écoliers apprennent par cœur des 151 voit en lui le responsable d’une remise en cause de la dictature stalinienne qu’il désapprouve radicalement. Ce document traduit de façon très claire que le Grand Bond en avant est non seulement un tournant de politique intérieure, mais qu’il représente aussi un tournant dans les relations sino-soviétique. Le Grand Bond en avant traduit la volonté chinoise de trouver sa propre voie vers le socialisme. L’ampleur de l’aide apportée à la Chine est quelque peu exagérée par Khrouchtchev. Et l’allusion assez peu aimable aux communes populaires (et à leur principe de répartition selon les besoins) et aux petits hauts-fourneaux traduit un certain sentiment de supériorité. On peut lire dans le doc. 3 p. 236 une critique en règle de la politique d’apaisement et de coexistence pacifique de l’URSS, point de désaccord auquel Khrouchtchev fait ici brièvement allusion. extraits de son journal intime). Cette cérémonie collective destinée à des écoliers traduit un souci d’étendre la propagande à tous les niveaux de la société, y compris de très jeunes enfants. pages 230-231 ÉTUDE Du modèle soviétique à un modèle chinois ? Le modèle soviétique de développement privilégie les grands conglomérats d’industrie lourde dans le cadre d’une économie planifiée (plans quinquennaux). Si les campagnes sont collectivisées, elles font l’objet de moins d’attention et leur développement est sacrifié au primat de l’industrie. C’est ce modèle que la Chine copie, avec l’aide de techniciens russes, au début des années 1950. Elle va néanmoins s’en détacher assez vite avec des mots d’ordre tels que « marcher sur ses deux jambes » (industrie et agriculture). Autre innovation inspirée par Mao : l’exaltation politique des masses doit permettre de sauter des étapes et d’accéder en quelques années au stade de développement atteint par les pays capitalistes (c’est la thématique « le rouge prime l’expert »). Document 4 Un haut-fourneau à Pékin en 1958 Cette commune pékinoise produit de l’acier avec un des fameux « petits hauts-fourneaux » dont on peut voir ici le caractère improvisé et pour ainsi dire bricolé. L’acier ainsi produit, trop impur, est inutilisable. Sa production mobilise les travailleurs en pure perte, et se traduit par un gaspillage de matières premières. La politique des « petits hautsfourneaux » découle d’un véritable fétichisme pour les chiffres de production que l’on veut voir rattraper puis dépasser ceux des grands pays capitalistes le plus vite possible. Elle est un des éléments du désastre économique causé par le Grand Bond en avant. Document 1 La coopération sino-soviétique Les conglomérats sidérurgiques ou encore les grands projets d’infrastructures, comme ce pont enjambant le gigantesque Yangzi, sont les éléments les plus symboliques de la coopération sino-soviétique. La présence de ce bateau permet de mieux mesurer la taille impressionnante de la construction. Document 2 Combiner agriculture et industrie Document 5 La photographie présente une visite de Mao, mettant l’accent sur son aspect très peu protocolaire. L’attitude de Mao (habillé comme toujours très simplement) qui discute de façon libre et directe avec les travailleurs de l’usine reflète la mise en scène d’une proximité avec les masses. Il y a dans cette scène également l’aboutissement d’une volonté d’indépendance nationale et de modernité, la Chine se montrant capable de produire ses propres tracteurs. Une critique du Grand Bond en avant Vétéran des luttes de la Longue Marche, de la guerre sino-japonaise et de la guerre civile, chef militaire très prestigieux, Peng Dehuai, avec cette lettre, ose s’attaquer au bilan de la première année du Grand Bond en avant lors du huitième plénum du comité central du parti, à Lushan. Ce texte ne constitue pas une attaque frontale de Peng contre Mao, mais il désavoue suffisamment ouvertement la ligne politique fixée par ce dernier pour se trouver totalement écarté des responsabilités dans les mois qui suivent, taxé d’« opportunisme de droite » (il sera maltraité par les gardes rouges durant la Révolution culturelle). La description de Peng Dehuai révèle ici de façon particulièrement claire un des mécanismes les plus cruciaux du Grand Bond en avant : la remontée Document 3 Le Grand Bond en avant vu d’URSS Même si Khrouchtchev fait remonter les prémisses d’une détérioration des rapports entre Chine et URSS à l’époque de Staline, il est pourtant clair que son arrivée au pouvoir va accélérer les choses. Ses rapports avec Mao ne seront jamais bons tant ce dernier 152 de rapports issus des échelons régionaux de l’administration régionale qui rivalisent d’exagération concernant les chiffres de la production. C’était en effet à qui brandirait les statistiques les plus délirantes pour mieux confirmer la réussite de la mise en pratique de la politique impulsée par Mao. De façon cruellement ironique, l’attaque de Peng Dehuai va inciter Mao, qui semblait disposé à en rabattre, mais ne peut accepter d’être pris en défaut, à se livrer à une surenchère et à relancer la politique du Grand Bond en avant. La conférence de Beidaihe à laquelle il est fait allusion réunit le bureau politique élargi du 17 au 30 août 1958. Elle a été l’occasion de la toute première évaluation des résultats du Grand Bond en avant lancé au début de l’année. Alain Roux (Le Singe et le Tigre, p. 632) la qualifie de « grandmesse maoïste où tous les intervenants rivalisent entre eux pour s’embarquer sur la nef des fous ». une critique implicite du modèle de l’Union soviétique qui avait largement consisté à sacrifier l’agriculture au développement de l’industrie lourde. Il y a là l’affirmation d’une spécificité chinoise, qui découle du caractère encore ultra-dominant du secteur agricole dans son économie. 4. Après la récolte exceptionnelle de 1958, la chute de la production est non seulement brutale, mais durable : trois années successives verront une baisse, pour atteindre l’étiage dramatique de1961 qui est suivi d’une remontée bien timide et bien insuffisante en 1962. 5. Le niveau de production de céréales normal de la Chine suffit tout juste à nourrir la population. Dans ces conditions, une chute importante de cette production ne peut avoir que des conséquences dramatiques. Avec le Grand Bond en avant, les paysans sont mobilisés pour des tâches relevant de la construction d’infrastructures, ou du développement des petits hauts-fourneaux et n’ont plus assez de temps et de force à consacrer aux tâches agricoles. À cela s’ajoute des innovations particulièrement périlleuses, comme les semis serrés, imposées aux paysans sans tenir le moindre compte de leur expérience, voire du plus élémentaire bon sens. La désorganisation de la production agricole est dramatique. La conséquence en est la pire famine de l’histoire de la Chine. Document 6 La production céréalière L’excellente récolte de 1958, due à des conditions climatiques particulièrement favorables a eu paradoxalement un effet très funeste. En effet, les promoteurs du Grand bond ont voulu y voir les prémisses du succès de leur politique, ce qui a conduit à accélérer la collectivisation à outrance. La descente aux enfers des années suivantes va causer une famine d’autant plus effroyable que le pays, pour des raisons de propagande, va continuer à exporter des céréales en 1959 et 1960. VERS LE BAC Réponses aux questions 1. La Chine de 1949 est dévastée par quatre années de guerre civile qui ont succédé aux huit années de guerre contre le Japon. Son économie est exsangue, l’inflation fait rage et une partie de ses élites a fui le territoire chinois. Elle est aussi isolée sur l’échiquier international. Dans ces conditions, l’aide soviétique comme son appui diplomatique sont indispensables. 2. D’après Khrouchtchev, le Grand Bond est une politique de défiance à l’égard de l’URSS : remise en cause de l’industrialisation à outrance prônée par le modèle stalinien, revendication d’un modèle économique et social alternatif, remise en cause des choix géostratégiques soviétiques (coexistence pacifique). 3. Industrie et agriculture représentent les deux jambes de la Chine. Insister sur le fait que la Chine doit marcher sur ses deux jambes est Étude critique Plan possible I. Une remise en cause du modèle économique stalinien II. Une critique de la « coexistence pacifique » voulue par Khrouchtchev III. La revendication d’une autre voie vers le socialisme pages 232-233 ÉTUDE La révolution culturelle La révolution culturelle repose plus qu’aucun autre mouvement sur la personne de Mao qui en est directement à l’origine. L’étude montre les différents moyens utilisés pour exalter la figure de Mao et les mots d’ordre qu’il promeut ainsi que la façon dont la population est mobilisée dans le cadre de cette campagne. 153 être une des composantes de la machine révolutionnaire. Il faut en faire une arme puissante pour unir et éduquer le peuple, attaquer et anéantir ses ennemis, et aider le peuple à lutter d’un même élan contre ses ennemis. » Les adolescents du second plan brandissent le Petit Livre rouge. Le personnage recroquevillé en bas à gauche est une incarnation du révisionnisme. Document 1 Projet de loi du comité central du PCC (8 août 1966) La radicalité du projet révolutionnaire de la révolution culturelle se révèle avec une grande clarté dans ce texte. Le vocabulaire, empreint d’une grande violence, et d’oppositions taillées à la serpe (prolétariat/bourgeoisie, révolution/réaction, socialisme/capitalisme), est particulièrement caractéristique de la rhétorique maoïste. Au nom de la lutte contre « la pensée, la culture, les mœurs et coutumes anciennes », des dommages immenses et irréparables seront causés durant la révolution culturelle au patrimoine de la Chine : destruction de temples, d’œuvres d’art, etc. Document 6 L’épuration des élites La révolution culturelle prend souvent aussi (en particulier à l’Université) l’aspect d’un affrontement entre générations. Les gardes rouges, qui sont des adolescents ou de très jeunes adultes, s’en prennent à des personnages détenteurs d’une autorité : il peut s’agir de cadres du parti, de professeurs, etc. On voit ici trois cadres qui sont des hommes d’âge mûr subir une humiliation publique. Chacun porte un écriteau indiquant sa faute et son nom. Les caractères qui composent leurs noms sont barrés en signe de stigmatisation. La pratique de la mise en accusation publique assortie d’une humiliation a été utilisée massivement par le PCC dès les campagnes de masse des années 1950. Document 2 Un seul guide, Mao Les exemples de prose dithyrambique concernant la personne de Mao sont une des caractéristiques de la période de la révolution culturelle. L’exemple donné ici n’est pas particulièrement outrancier. Le chiffre de 10 000 évoque dans un contexte chinois une quantité infinie. L’enthousiasme des masses pour Mao, produit d’une intense propagande et d’un conditionnement, n’en était pas moins sincère. Document 3 L’espace public envahi par les dazibaos Document 7 Faciles à produire et à reproduire, potentiellement visibles par un grand nombre de personnes, les dazibaos sont un moyen crucial de diffusion des mots d’ordre de la Révolution culturelle. Ils recèlent souvent des mises en accusation. Jeunesse et masses paysannes Il est très clair à la lecture de ce texte de Mao que l’envoi des jeunes instruits à la campagne se heurte à de grandes résistances de la population. Les parents ne laissent pas volontiers partir leurs enfants pour une longue période dans des régions éloignées et arriérées. Cet exode forcé et la découverte des campagnes de leur pays vont contribuer à une expérience fondatrice d’une génération de Chinois urbains qui se considère comme sacrifiée (l’envoi à la campagne pour de nombreuses années a eu aussi pour conséquence de la priver de la possibilité de poursuivre des études). Document 4 Le Petit Livre rouge Recueil de citations de Mao Zedong, le Petit Livre rouge est publié pour la première fois en janvier 1964. Il devient rapidement un élément essentiel du culte de Mao. Sa diffusion atteint 720 millions d’exemplaires en 1967. Sa lecture publique fait figure de rite obligatoire dans les écoles ou sur les lieux de travail durant la révolution culturelle. Réponses aux questions 1. Mao entend soulever la jeunesse contre les formes de l’autorité établie afin de mieux apparaître comme la seule référence possible et renforcer son pouvoir. Une propagande omniprésente et centrée sur sa personne renforce son prestige jusqu’à faire de lui un être presque divin. 2. Non, le projet de loi du comité central révèle que la révolte est planifiée au plus haut Document 5 L’enrôlement de la jeunesse Voici un exemple de l’iconographie de propagande de la révolution culturelle, où la couleur rouge est toujours omniprésente. Cette affiche concerne les théories de Mao sur l’art révolutionnaire et sa mise au service de la Révolution. La citation signée de Mao se lit ainsi : « La littérature et les arts doivent 154 niveau de l’appareil. Le dazibao du 5 août 1966, montre que Mao met consciemment le feu aux poudres. Toutefois, il est assez clair que Mao s’aperçoit du risque d’être débordé par l’ampleur du mouvement qu’il a lui-même mis en branle. C’est pourquoi, pour l’enrayer, il lance le mouvement des jeunes instruits à la campagne. 3. La jeunesse est appelée à se révolter et elle est élevée par Mao au rang d’avant-garde de la Révolution. Les affiches suggèrent un lien direct, sans la moindre médiation, entre Mao et les gardes rouges (Mao déclare du reste au début de la révolution culturelle qu’il se considère comme le premier d’entre eux). 4. Les gardes rouges participent à la répression des cadres du parti ; ils sont avant tout un instrument dans les mains de Mao pour reprendre un contrôle total sur ledit parti. 5. C’est pourquoi la révolution culturelle a forcément une fin pour Mao, une fois son contrôle rétabli sur le parti. Il s’agit alors de rétablir l’ordre et pour cela de se débarrasser de gardes rouges encombrants. C’est finalement en les soumettant à leur tour à la « rééducation » dans les campagnes que Mao met fin au mouvement. Document 1 L’occupation du Tibet Le Tibet était lié par un lien vassalique assez lâche à l’empire des Qing. Durant la période républicaine, il jouissait d’une indépendance de fait. Du 12 au 18 octobre 1950, les troupes du PCC n’ont eu aucun mal à bousculer les maigres forces tibétaines et à occuper le pays. Document 2 Le soutien aux pays frères Cette affiche est intitulée « résister à l’Amérique, soutenir la Corée ». La Chine a fourni une aide tout à fait considérable à la Corée du Nord, en envoyant une armée de « volontaires du peuple chinois pour aider le peuple coréen à résister à l’agression de l’impérialisme américain », l’URSS se contentant d’une aide en matériel. De façon assez ironique, cette affiche met en avant le nombre de soldats ennemis tués depuis le début de la guerre, alors que les pertes parmi les « volontaires » chinois sont bien plus considérables. Document 3 Chine-États-Unis : de la méfiance… Cette interview est réalisée à Yan’an (la capitale de la zone contrôlée par le PCC) durant l’été 1946 avec la journaliste américaine sympathisante communiste Anna Louise Strong. Dans la première partie de l’extrait, la lecture de la situation américaine faite par Mao témoigne d’un parfait dogmatisme doublé d’une superbe ignorance de la société américaine (Mao ne parlait aucune langue étrangère et n’a pratiquement jamais quitté le territoire chinois). Le contexte est celui de la mission du général Marshall en Chine qui vise à empêcher la guerre civile qui a de fait déjà repris entre le Guomindang et le PCC. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Reprendre la main au sein du Parti après l’échec du Grand Bond en avant II. L’appel à la jeunesse contre la bureaucratie et les élites III. Un chaos orchestré par Mao pages 234-235 Document 4 LEÇON 3 … à la normalisation L’affirmation sur la scène internationale (1949-1976) La fin des années 1960 voit une dégradation très rapide des relations avec l’URSS ; de graves incidents frontaliers ont même lieu en mars 1968. Face à cette menace, Mao fait le choix pragmatique d’un rapprochement avec l’autre grande puissance, les États-Unis. Ce dernier est initié par l’accueil en Chine d’une équipe de joueurs de tennis de table américains au printemps 1971. La venue de Nixon en février 1972 représente un tournant diplomatique. Elle concrétise un rapprochement avec les États-Unis qui porte des fruits importants dans la La leçon montre comment la Chine commence à s’affirmer comme un acteur des relations internationales. La guerre de Corée est une étape importante car la Chine soutient une part essentielle de l’effort de soutien du camp communiste à la Corée du Nord. À la suite de la détérioration des liens avec l’URSS, la Chine affirmera une politique étrangère totalement indépendante et de plus en plus hostile à l’URSS 155 mesure où la République de Chine (Taïwan) perd son siège permanent au Conseil de sécurité au profit de la RPC le 25 octobre 1971. D’une façon plus large, une normalisation des relations diplomatiques avec d’autres pays occidentaux se fera dans les années suivantes. la sienne à l’époque impériale (la France s’était substituée à elle comme puissance dominante dans la région au prix d’une guerre contre la Chine en 1884-1885). La Chine sera présente à la conférence de Genève qui se conclura par la reconnaissance de l’indépendance des composantes de l’Indochine française (Vietnam, Laos, Cambodge). Réponses aux questions 1. Pour Mao, les États-Unis sont un pays capitaliste et il plaque le discours marxiste/ léniniste d’un État capitaliste qui opprime d’abord son peuple. Il s’écarte ici de la vision soviétique en espérant une révolution mondiale qui touchera à terme les États-Unis eux-mêmes. S’il traduit une méconnaissance des ÉtatsUnis, ce discours permet à Mao de relativiser la puissance américaine et l’arme nucléaire « tigre de papier ». L’indifférence affichée vis-àvis de la bombe atomique peut être interprétée comme un message adressé aux États-Unis afin de les dissuader de s’engager militairement pour soutenir le Guomindang. 2. Dans les années 1970 Mao considère que la Chine peut normaliser ses relations avec les États-Unis, à la fois parce que cela entre dans un jeu d’équilibre face au rival soviétique (du reste la théorie maoïste place les deux puissances soviétique et américaine sur un pied d’égalité comme puissances « impérialistes ») et parce que la Chine espère retrouver une place sur la scène internationale (notamment la reconnaissance par l’ONU) à un moment où elle se tourne vers le Tiers-Monde. pages 236-237 Document 2 La Chine, poids lourd du Tiers-Monde La conférence de Bandung est l’occasion pour la Chine de s’affirmer comme un leader du TiersMonde (l’URSS est absente de la conférence). Zhou Enlai, qui est le chef de la diplomatie chinoise de 1949 jusqu’à sa mort en 1976, y mène la délégation chinoise. Document 3 La Chine, rivale de l’URSS Cet article se situe dans le cadre de la rupture avec l’URSS. Les positions du très officiel Quotidien du peuple ici exprimées sont une condamnation sans nuance du PCUS (Parti Communiste d’Union soviétique). La politique de détente avec les États-Unis est ici dénoncée. Elle se situe en droite ligne de la théorie des « trois mondes » (voir doc. 6). La thématique de la lutte contre l’impérialisme est inscrite dans une plus longue durée pour le PCC (c’était un des thèmes de la rhétorique du PCC sous la République). Document 5 Zhou Enlai en visite en Tanzanie, 1965 Les voyages de Zhou Enlai sont une des manières les plus visibles de mettre en scène l’activité diplomatique déployée par la Chine sur la scène internationale. Il s’agit aussi d’une stratégie à usage interne : cette mise en scène d’une Chine « forte » et qui rayonne sur le monde, contrastant avec la période précédente, vise à renforcer la légitimité du régime. À noter le costume de Zhou Enlai qui est improprement appelé en français « costume Mao » alors qu’il a été créé et popularisé par Sun Yat-sen dans les dernières années de sa vie. ÉTUDE La Chine et le Tiers-Monde Les documents mettent clairement en évidence une vision cohérente des relations internationales et l’ambition de la Chine d’y jouer un rôle important en se posant comme le véritable porte-parole du TiersMonde. Avec la doctrine des « trois mondes », la Chine, qui se considère comme une composante du Tiers-Monde, s’estime légitime pour le représenter. Document 1 Soutenir les guerres d’indépendance Document 6 En soutenant Hô Chi Minh dans sa lutte contre le corps expéditionnaire français en Indochine avec la bénédiction de Staline, la Chine participe directement à la Guerre froide. Mais ce faisant, elle renoue avec une stratégie d’influence régionale qui était Les « trois mondes » vus par la Chine communiste La façon dont Deng Xiaoping ne distingue jamais dans ce texte entre les États-Unis et l’URSS (rangé par lui dans la même catégorie) est remarquable. 156 Le divorce d’avec l’URSS qui se trouve ainsi explicitement accusée d’hégémonisme, est consommé. Même si la Chine se considère comme un pays socialiste, son appartenance au Tiers-Monde est particulièrement mise en avant. Document 2 La Chine, un modèle idéologique L’intérêt pour le maoïsme en France va au-delà d’un microcosme parisien comme en témoigne cette affiche imprimée à Marseille. La révolution culturelle est évoquée très positivement comme une « étape de la marche du peuple chinois pour le renforcement du socialisme ». Les horreurs que recouvre la révolution culturelle sont largement ignorées à l’époque. Réponses aux questions 1. Les étapes de la décolonisation : en Asie d’abord (1945-1954) – doc. 1, puis affirmation du Tiers-Monde (1955) – doc. 2, décolonisation de l’Afrique du Nord (1954-1962) et décolonisation de l’Afrique noire (1960-1975) – doc. 4 et 5. 2. L’Afrique peut sembler un angle mort dans la lutte URSS/États-Unis dans le monde car c’est une zone où aucune des deux superpuissances n’exerce une influence très forte. C’est par ailleurs un continent sous-développé, où la Chine estime que la doctrine maoïste peut être appliquée. 3. La Chine n’ambitionne pas de concurrencer les États-Unis ou l’URSS dans la quête de l’hégémonie mondiale, mais se place dans la position d’un représentant des pays du Tiers-Monde. Elle entend favoriser la lutte des pays en développement pour s’émanciper de l’impérialisme exercé par les grandes puissances. Document 3 Un militant maoïste américain La présence du visage de Mao sur le badge et le Petit Livre rouge font écho à deux piliers de la propagande maoïste en Chine. Le Petit Livre rouge (terme utilisé en Occident uniquement) a été publié dans un très grand nombre de langues étrangères. En 1967, il était traduit dans 36 langues et imprimé à plus de 720 millions d’exemplaires. Document 4 La Chinoise Jean-Luc Godard est, depuis la sortie d’À bout de souffle, en 1959, un des représentants principaux de la « Nouvelle vague » du cinéma français. Le film La Chinoise témoigne de l’intérêt manifesté par l’intelligentsia française au sens le plus large pour le courant maoïste, qui est traité comme un véritable phénomène de société. La révolution culturelle fascine un Occident qui la regarde de très loin et principalement à travers le prisme de la propagande officielle. L’impression qui en ressort est celle d’un mouvement largement spontané de la jeunesse, qui se donne pour ambition de faire table rase du passé et des inégalités. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. Une critique de la bipolarisation II. Un troisième monde pris en étau III. La Chine, nouveau porte-drapeau de la lutte anti-impérialiste dans le monde Document 5 La fascination des intellectuels pages 238-239 ÉTUDE Romancier, philosophe, dramaturge, Jean-Paul Sartre (1905-1980) est d’abord une figure majeure du renouveau intellectuel français de l’après-guerre. S’il rompt avec le PCF en 1956, Sartre continue d’incarner dans les années 1960-70 l’intellectuel de gauche. Représentatif de l’engagement des intellectuels, il prend position par exemple contre la guerre d’Algérie et apparaît comme la figure tutélaire de la contestation étudiante et ouvrière lors des événements de mai 1968. La Cause du peuple est l’organe de la Gauche prolétarienne, la principale organisation maoïste La tentation maoïste à l’Ouest Document 1 Un nouveau leader, le Grand Timonier La Sorbonne est un point névralgique de la contestation étudiante de mai 1968. La présence des maos dans ce lieu rend compte de l’importance de leur rôle. Le maoïsme n’est assurément pas le seul courant qui porte la contestation étudiante de mai 1968, mais il en est du moins une composante importante. 157 en France à cette époque. L’allusion à Marcellin concerne Raymond Marcellin, alors ministre de l’Intérieur, adversaire résolu de l’activisme gauchiste. Warhol. À ce moment, rien n’est dit des millions de morts que les expériences maoïstes ont entraînés en Chine. L’image et le discours priment sur la réalité. En France, beaucoup d’intellectuels ont cédé aux sirènes du maoïsme (Sartre, Barthes, Sollers, etc.). Face à eux, rares étaient ceux qui, comme Simon Leys, ont su mettre à jour et dénoncer la vraie nature du maoïsme. 6. Ce portrait coïncide avec la couverture médiatique d’un voyage de Richard Nixon en Chine. Les portraits de Warhol ne se veulent pas réalistes. Ils visent au contraire à dépasser l’image connue et publique. Introduire l’image de Mao dans la société américaine était une provocation, mais c’est pour la réduire à un motif décoratif, un produit. Document 6 Mao par Andy Warhol La série des sérigraphies de Warhol reprend, pour les détourner, des clichés de certaines des personnalités les plus médiatisées de l’époque. Mao y prend place aux côtés, par exemple, de Marylin Monroe. L’œuvre de Warhol témoigne donc de façon indirecte de l’aura planétaire de Mao, bien supérieure à ce qu’avait été celle de Jiang Jieshi, mais aussi de la force d’évocation des images (qui tendent à l’emporter sur l’écrit dans les mass médias). Réponses aux questions 1. Les idées maoïstes se diffusent dans le milieu étudiant. Mao apparaît alors comme un héros révolutionnaire, très éloigné des figures embaumées de la Place rouge. En prônant une voie alternative à côté du modèle soviétique, en condamnant l’impérialisme (guerre du Vietnam), il séduit ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’ordre bipolaire imposé par la Guerre froide. 2. Le modèle chinois se veut une autre voie vers la révolution prolétarienne : appel aux masses, révolution culturelle, dénonciation des élites, soutien aux peuples opprimés, etc. Mao y tient une place centrale, comme promoteur d’une révolution permanente. Il est devenu, au même titre que Che Guevara ou Castro, une icône de la révolte. Image qu’il entretient avec le Petit Livre rouge (ou Pensées du Président Mao) dont les maximes se diffusent dans le monde entier. 3. Sartre voit dans les « maos » une force de révolte capable de mettre à bas l’ordre capitaliste et n’hésite pas à soutenir l’action directe (« séquestration »). Sans vouloir appliquer le modèle chinois à la France, il pense, à l’instar de ce qui passe en Chine, que seule une révolution culturelle mettra un terme à l’exploitation des masses. 4. Les « maos » veulent une révolution prolétarienne : recours à la violence, désignation de l’ennemi à éradiquer (les patrons-nazis), séquestration, agit-prop, etc. Ces actions leur valent d’être poursuivis en justice, d’où la clandestinité à laquelle un certain nombre d’entre eux sont réduits. 5. En s’érigeant au rang d’icône, Mao est devenu une référence pour toute une génération d’artistes : au cinéma Godard, en arts plastiques VERS LE BAC Plan possible La Chine veut s’imposer comme un nouveau modèle : I. Un modèle idéologique, une grande puissance II. Un modèle économique et social III. Un modèle d’émancipation des masses pages 240-241 LEÇON 4 Quand la Chine se réveille (depuis 1978) Le titre de la leçon est une allusion au célèbre livre d’Alain Peyrefitte Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera qui annonçait en 1973 (alors que le pays était encore plongé dans la révolution culturelle) le retour de la Chine au premier rang dans le monde. Elle vise à mettre en évidence la façon dont la Chine s’est placée sur l’orbite d’un développement économique rapide tout en demeurant un pays autoritaire. Derrière les données chiffrées impressionnantes, les limites et les apories du modèle chinois ne doivent pas être perdus de vue. Par ailleurs, les transformations économiques et sociales n’ont guère affaibli le pouvoir du parti communiste. La Chine reste un pays autoritaire où les libertés individuelles sont très limitées. Document 1 L’ouverture de la Chine Document 2 Un parti communiste tout puissant Il agit de la session inaugurale du 17e Congrès du Parti communiste chinois (2007). On aperçoit à la droite de Hu Jintao, son prédécesseur Jiang Zemin 158 qui conserve à cette époque une certaine influence. Il reprend ainsi le modèle de Deng Xiaoping, qui, s’il avait quitté l’avant-scène au début des années 1990, avait jusqu’à sa mort en 1997 continué à peser considérablement sur les grandes orientations du régime. également l’ampleur de la corruption dans les rangs de l’administration et du parti. S’il s’étend rapidement aux autres grandes villes du pays, son moment le plus symbolique est l’occupation de la place Tiananmen, au cœur de Pékin, à côté des principaux lieux du pouvoir du pays. 2. Après quelques semaines de flottement où le gouvernement fait mine de privilégier la négociation, il proclame la loi martiale à Pékin fin mai. Le mouvement est réprimé dans un bain de sang par l’armée durant la nuit du 3 au 4 juin. Une reprise en main radicale de la société est impulsée par le conservateur Li Peng (fils adoptif de Zhou Enlai et figure centrale de la répression). 3. Les manifestants sont assimilés à des fauteurs de trouble et les manifestations de 1989 à une « émeute contre-révolutionnaire » qui devait être écrasée. Document 3 Un vent de liberté vite réprimé La grève de la faim a été un des moyens de contestation utilisé par les manifestants de Tiananmen. Le fait que l’inscription soit rédigée en anglais témoigne que des médias internationaux nombreux couvrent la manifestation. Les étudiants espèrent que leur présence pourrait permettre de faire plus efficacement pression sur le gouvernement et d’autre part dissuaderait ce dernier de recourir à la violence. Espoir qui s’avèrera vain. Document 4 Une commémoration sous surveillance Les événements comme l’anniversaire de Tiananmen suscitent certes toujours l’inquiétude des autorités chinoises actuelles. Néanmoins, il ne faut pas surestimer l’influence de la dissidence en Chine. Les opposants font l’objet d’une répression policière efficace et le soutien qu’ils reçoivent parmi la population reste limité. Les revendications démocratiques sont habilement présentées comme le fait de personnes isolées et manipulées qui voudraient imposer un modèle occidental inadapté à l’identité chinoise. Internet est surveillé au moyen d’un impressionnant dispositif policier et d’une technologie sophistiquée. Les sites supposés subversifs sont systématiquement bloqués. Les médias traditionnels, quant à eux, sont étroitement contrôlés par le Bureau central de la propagande du Parti communiste. L’agence Xinhua [Chine Nouvelle], le Renmin ribao [Quotidien du peuple] ou la Télévision centrale chinoise (CCTV) dépendent directement de lui. pages 242-245 ÉTUDE La Chine, puissance mondiale L’étude met en évidence les différents aspects de la puissance chinoise. Le socle en est son fantastique essor économique récent. Certains atouts ressurgissent d’une temporalité plus longue, comme l’existence de la diaspora. L’étude des différents documents laisse transparaître le rôle fondamental du nationalisme dans le discours des autorités chinoises. A. UNE PUISSANCE ASIATIQUE Document 1 La diaspora chinoise en Asie La présence de la diaspora chinoise en Asie est ancienne. Ainsi, des Chinois originaires du Fujian sont installés dès le XIVe siècle à Java (Indonésie). Mais le caractère relativement massif de cette diaspora est lui récent. Il remonte aux migrations de travailleurs de force (les coolies) originaires du Guangdong et du Fujian durant la seconde moitié du XIXe siècle. Si elles pèsent assez peu démographiquement dans la majorité des pays (à l’exception notable de Singapour et de la Malaisie), les communautés de Chinois d’outre-mer parviennent dans de nombreux cas à contrôler une partie importante de l’économie locale. La réussite économique des Chinois peut entraîner des troubles, comme c’est le cas en Indonésie en proie à des émeutes antichinoises à la fin des années 1990. La Chine fait aujourd’hui un effort Réponses aux questions 1. La fin des années 1980 représente un bref moment d’ouverture et de liberté relative, qui donne l’impression aux étudiants et intellectuels qu’une critique du régime devient possible. Le mouvement est mené par les étudiants. Ils réclament que les modernisations du pays soient accompagnées de réformes politiques allant vers une démocratisation (la « cinquième modernisation ») et vers davantage de liberté d’expression. Ils dénoncent 159 tout particulier envers sa diaspora qu’elle entend utiliser comme un relai de son influence. Les investissements massifs de la diaspora chinoise (en particulier dans les deux provinces dont elle est très majoritairement issue, le Guangdong et le Fujian) sont l’un des ressorts cachés de l’essor économique de la Chine de ces trente dernières années. tout en ne risquant pas de compromettre sérieusement les relations diplomatiques avec la Chine. C’est ce dont témoigne ici le choix du président Obama de recevoir le dalaï-lama, tout en prenant les précautions nécessaires pour que sa visite ne puisse être assimilée à celle d’un chef d’État. Document 2 Une démonstration de force La Chine face au Japon et à l’Inde La démonstration d’une capacité d’action dans le domaine des troupes amphibies est évidemment un moyen d’exercer une pression sur Taïwan. Cette manœuvre s’inscrit dans une stratégie envers Taïwan qui mêle négociations, renforcement des liens économiques, mais aussi des intimidations répétées et un effort continu pour réaliser l’isolement diplomatique d l’île. Document 5 Les performances économiques de la Chine lors des trente dernières années sont tout à fait remarquables. Il y a certes un effet de rattrapage par rapport au Japon, qui était déjà un des pays les plus développés de la planète à la fin des années 1970. Mais les performances en termes de rythme de croissance par rapport à l’Inde, également un pays pauvre, sont impressionnantes. En 2010 (les données ne figurent pas sur le graphique), le PIB chinois a dépassé celui du Japon. On constate cependant que le rattrapage en PIB par habitant avec ce dernier reste très partiel. Le budget militaire de la Chine reste assez modeste (en pourcentage du PIB comme en valeur absolue). L’armée chinoise, tout particulièrement sa marine, le précède de beaucoup, qualitativement, à celle du Japon. L’importance relative du budget militaire de l’Inde s’explique par les relations extrêmement tendues avec le Pakistan. Document 6 La Chine et la Corée du Nord La Chine est le seul appui diplomatique significatif de la Corée du Nord, que l’on peut considérer comme la dernière dictature stalinienne du monde. Le texte de Shi Yinhong montre les différents aspects que revêt le soutien de la Chine au régime : soutien diplomatique, échanges commerciaux, aide matérielle. L’intérêt pour elle d’avoir sur sa frontière un régime qui lui est largement redevable de sa survie (par opposition à une Corée du Sud très pro-américaine) est évident. Il est clair à la lecture de ce texte que la Chine entend considérer la péninsule coréenne comme une sphère d’influence « naturelle », renouant du reste avec la politique de l’Empire dans la région. Document 3 L’accord-cadre de coopération économique avec Taïwan Les relations économiques entre Taïwan et la RPC se sont développées de façon très rapide depuis le début de la politique d’ouverture. Elles ont pris la forme d’échanges commerciaux, mais aussi de très importants investissements taïwanais sur le continent (en particulier dans le sud du pays). Ces dernières années, les voyages de Chinois du continent à Taïwan ont également été considérablement facilités. Réponses aux questions 1. La Chine est avant tout une puissance démographique et sa diaspora est un instrument qui permet d’influencer l’attitude de certains États, notamment en Asie (doc. 1). C’est une puissance économique principalement industrielle et commerciale (doc. 2 et 3), mais aussi militaire (doc. 2 et 5). 2. L’économie chinoise rejoint en chiffre absolu le Japon comme puissance industrielle et devrait le dépasser en conservant le taux de croissance actuel, devenant la deuxième puissance économique mondiale après les États-Unis. L’écart avec l’Inde reste important. 3. La Chine réussit, à la fois par ses atouts économiques, son poids démographique et sa capacité de nuisance militaire (directement Document 4 Le Tibet reste la chasse gardée de la Chine Non seulement la position de la Chine est sans ambiguïté concernant sa souveraineté sur le Tibet, mais elle se montre extrêmement sourcilleuse concernant les témoignages de reconnaissance que certains pays peuvent témoigner au dalaï-lama. Les puissances occidentales mènent une politique visant à donner des gages à leurs opinions publiques, qui sont d’une manière générale très sensible à la cause tibétaine, 160 ou via la menace nord-coréenne), à s’imposer comme l’arbitre de la région dont elle cherche à faire sa zone d’influence surtout face aux États-Unis. Le mécontentement que manifeste la Chine quand les chefs d’États occidentaux reçoivent le Dalaï Lama participe de ce souci de réaffirmer la position prééminente qu’elle entend jouer dans la région en général. 4. Il ressort de l’analyse de Shi Yinhong que l’appui traditionnel que la Chine apporte à la Corée du Nord, s’il est inconditionnel, cherche en même temps à en tempérer les ardeurs belliqueuses. C’est que la survivance de la Corée du Nord permet à la Chine d’être un interlocuteur obligé pour toute résolution des tensions en Asie ; l’intérêt de la Chine est bien de faire de cette région « une zone de paix stable », mais sous son leadership. 5. La puissance militaire chinoise repose avant tout sur la masse que représente son armée, la plus nombreuse au monde. Toutefois elle dépense, depuis 1978 et la politique lancée par Deng Xiaoping, une part importante de son PIB dans la modernisation de son équipement. Le document 5 est révélateur de sa stratégie récente : sa puissance navale est encore relative malgré là aussi d’énormes investissements et elle tente de s’affirmer comme une puissance de la mer de Chine jusqu’au détroit de Malacca (voie d’approvisionnement énergétique stratégique pour la Chine) en multipliant les manœuvres sino-russes. Début 2012, les deux pays ont organisé des manœuvres navales conjointes. Document 8 La flamme olympique sur la place Tienanmen Le choix du porteur de la flamme olympique pour ce relais est hautement significatif. Yao Ming peut apparaître comme un des Chinois les plus connus dans le monde. Il est aussi, en tant que vedette du championnat de basket-ball le plus relevé et médiatisé du monde, un symbole de la réussite de la Chine et de son ouverture au monde. Document 9 Les médailles d’or aux JO de Pékin La Chine devance largement les autres pays, y compris les États-Unis, au nombre de médailles d’or. Il ne s’agit nullement d’une conséquence « naturelle » du poids démographique de la Chine (on remarque l’absence de nombreux géants démographiques de ce palmarès, comme l’Inde), mais du résultat d’une politique de longue haleine à laquelle le pays consacre des moyens importants. Cette dernière passe par la détection précoce d’enfants dotés d’excellentes capacités physiques et par la mise en place de centres de formation dans lesquels ils sont soumis à un entraînement intensif. La Chine a entrepris un effort particulier dans des disciplines relativement confidentielles, mais pourvoyeuses de médailles. L’utilisation du prestige sportif à des fins de propagande était une réalité à l’époque de la rivalité des blocs. Elle se perpétue largement en Chine aujourd’hui. Document 10 Le grand ménage avant les Jeux Ce dessin illustre les efforts du gouvernement pour contrer la dissidence qui pouvait espérer profiter de la médiatisation des JO pour dénoncer certains des aspects du régime en place. Au prix d’un formidable effort policier, ces efforts ont été couronnés de succès et aucune manifestation de protestation n’a émergé durant les Jeux. B. UNE PUISSANCE QUI S’AFFIRME SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE Document 7 Le « retour » de la Chine Comme on l’a vu dans la leçon 1, l’intelligentsia de la période républicaine se donnait pour ambition de provoquer le nécessaire réveil de la Chine. Le Guomindang et le PCC étaient sur ce point en parfait accord. Cette métaphore impliquait un état de faiblesse anormal. Le postulat partagé par tous est en effet que la situation de faiblesse de la Chine au XIXe et au premier XXe siècle constituait une anomalie. Il est par conséquent tout à fait logique que cette rhétorique du « retour » fasse florès après les progrès considérables de la puissance chinoise depuis trois décennies. Document 11 La stratégie africaine de la Chine Le relatif repli qu’évoque le début du texte correspond à un temps de latence entre la période de prosélytisme anti-impérialiste de la période maoïste et la progression récente de l’influence chinoise en Afrique (qui renoue du reste avec le même discours tiers-mondiste Sud-Sud). Le texte souligne le fait que la politique africaine ne se résume pas à une volonté de sécuriser les approvisionnements en matières premières. La Chine utilise aussi ses soutiens 161 en Afrique à l’ONU pour contrer les ambitions du Japon à intégrer le Conseil de sécurité. échec pour ceux de 2000) témoignent de l’importance qu’elle accorde à ce moyen d’affirmer son retour au premier plan sur la scène internationale. Le choix de programmer l’ouverture le 8 août 2008, date porte bonheur (8/8/8 : le nombre huit étant considéré comme très bénéfique selon les croyances populaires) constitue une affirmation d’une identité culturelle distincte et spécifiquement chinoise. Les performances sportives de la Chine constituent un autre moyen d’affirmer la puissance du pays et d’alimenter un nationalisme qui constitue désormais le socle du discours officiel en matière de relations internationales. 3. La Chine cherche aussi à se constituer une clientèle de pays africains à l’ONU. Ces arguments relèvent encore de la solidarité entre pays du Tiers-Monde et d’opposition à l’impérialisme (sous-entendu occidental). Mais la Chine joue aussi de son siège au Conseil de sécurité pour offrir un soutien de grande puissance aux pays qui lui sont proches. 4. Cependant, l’influence chinoise reste entachée par l’image qu’elle renvoie à l’Ouest et principalement son soutien à des régimes dictatoriaux (Soudan, Syrie, Birmanie…) et la répression qu’elle exerce en interne. Cela peut nuire à ses relations diplomatiques et l’oblige parfois à des concessions, certes minimes (cf. doc. 11 sur le Darfour). 5. La Chine tend à s’affirmer également par son rayonnement culturel et ce de façon encore récente. Elle joue également du softpower par l’image qu’elle diffuse d’elle-même dans le cinéma, les expositions, voire par ses artistes contemporains. Il est notable que dans le domaine culturel, ce qui séduit en Europe, mais ce que veut également montrer le gouvernement chinois, c’est l’image traditionnelle d’une Chine héritière d’une vieille civilisation, d’un empire centralisé millénaire, berceau de l’imprimerie… Document 12 Le succès du cinéma chinois Le cinéma chinois était déjà une industrie florissante durant les années 1930, mais il restait uniquement destiné à un public chinois. Hong Kong avait commencé durant la période de la guerre froide à alimenter l’Asie du Sud-Est en productions destinées à un public populaire (films de kung-fu). Profitant d’une liberté relative, des réalisateurs de RPC ont émergé sur la scène internationale en remportant de nombreux prix à partir des années 1980. Des réalisateurs comme Zhang Yimou sont désormais bien connus du public occidental, ce dont témoigne cette affiche en français. Document 13 Une certaine image de la Chine Cette affiche présente l’empereur Kangxi entouré de livres. L’empereur Kangxi incarne la période la plus glorieuse de la dynastie mandchoue. L’exposition est le résultat d’une collaboration entre des institutions chinoises et françaises. Elle témoigne d’une insertion de la Chine dans la communauté scientifique internationale et de la montée en puissance du soft power chinois. Les Instituts Confucius, qui se multiplient dans le monde – une quinzaine a ouvert en France ces dernières années – en sont une autre manifestation. Cette exposition montre aussi, plus indirectement, que la dynastie mandchoue, après avoir fait l’objet d’un rejet durant la période maoïste (dénoncée doublement comme une dynastie étrangère et comme un pouvoir d’essence « féodale »), est désormais largement réhabilitée. Réponses aux questions 1. La Chine est consciente des progrès récents de sa puissance, mais aussi du fait que les États-Unis restent incontestablement la seule « hyperpuissance ». Elle justifie l’ambition de s’affirmer comme la seconde puissance mondiale par les performances de son économie et présente ce retour au premier plan comme la fin d’une éclipse de deux siècles et la correction d’une anomalie historique. La croyance en une supériorité naturelle de la culture chinoise, qui était, de façon traditionnelle, au fondement de la façon dont le Chine se représentait son rapport au monde, n’est pas très loin. 2. Les efforts faits par la Chine pour obtenir les Jeux Olympiques en 2008 (après un premier VERS LE BAC Composition Plan possible Comment la Chine est-elle parvenue à s’imposer comme une puissance hégémonique ? I. Une puissance régionale II. Une puissance économique mondiale III. Une capacité d’influence qui s’affirme 162 pages 246-247 ÉTUDE temps allusion aux faiblesses les plus notoires du modèle de développement chinois : l’insuffisance de la protection sociale (particulièrement patente pour les salariés du secteur privé), les déséquilibres entre les régions, les dégâts considérables portés à l’environnement. Exemple du déséquilibre régional, le salaire annuel moyen en 2007 est de 49 310 yuans dans la région de Shanghai quand il plafonne à 20 668 yuans dans la province du Guizhou (source : Annuaire statistique général de la Chine sur la population et l’emploi, 2008). Le vieillissement de la population auquel il est fait allusion résulte du freinage brutal imposé à partir des années 1980 avec la politique de l’enfant unique. Pour être utile et nécessaire, cette politique n’en a pas moins pour conséquence de faire bientôt reposer l’entretien d’importantes cohortes démographiques de personnes âgées sur une population active relativement peu nombreuse. Des ajustements restent nécessaires à l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale. Lamy cite le respect de la propriété intellectuelle (la contrefaçon est un secteur très prospère en Chine) et les restrictions qui pèsent sur les entreprises (en particulier les entreprises étrangères qui s’implantent en Chine). La fin du texte insiste sur les nouvelles responsabilités que la Chine se doit d’assumer en raison du statut qui est désormais le sien. De fait, dans le contexte d’endettement critique des pays occidentaux, les réserves de change gigantesques de la Chine constituent un atout considérable dans son jeu. Lamy l’incite (implicitement) ici à l’utiliser pour régler les problèmes qui se posent à l’ensemble de l’économie mondiale. La Chine, géant économique L’étude vise à étudier le socle du renouveau de la puissance chinoise : son essor économique. Reposant sur une contradiction idéologique fondamentale avec la nature prétendument communiste du régime, la politique d’ouverture est marquée tout entière du sceau du pragmatisme. Document 1 Les quatre modernisations de Deng Xiaoping Deng Xiaoping s’efforce de résoudre le grand écart entre le caractère supposé socialiste du régime et une réalité qui va rapidement différer. Il affirme avec force la nature socialiste d’un tournant politique qui en est pourtant la négation même. On est ici au début des réformes, Deng Xiaoping vient seulement d’affermir son pouvoir et le programme des quatre modernisations date de l’année précédente. Le mot d’ordre mis ici en avant par Deng Xiaoping est la modernisation, car il est consensuel et donc acceptable par toutes les composantes du PCC, y compris son aile la plus conservatrice encore très influente en 1979 (la mort de Mao ne date que de trois ans). La notion d’économie de marché est présentée avec beaucoup de prudence et Deng Xiaoping affirme sa compatibilité avec le système socialiste. Document 2 La puissance économique de la Chine La montée en puissance de la Chine est spectaculaire depuis le début des réformes (1978). On peut insister sur l’absence de fléchissement de la croissance (mis à part un très léger ralentissement durant les années 1990). Document 4 Des produits chinois sur un marché africain Document 3 Il s’agit de l’illustration du déséquilibre des échanges économiques entre la Chine et les pays africains. Ces derniers exportent vers la Chine leurs matières premières (pétrole, minerais, bois…) tandis que les exportations chinoises sont constituées de biens de consommation de bas ou milieu de gamme, bon marché, qui se révèlent parfaitement adaptés à la demande locale. La Chine dans l’OMC Ce discours de Pascal Lamy permet de mettre en évidence certains traits de l’économie chinoise en particulier la façon dont elle s’est intégrée dans l’OMC. Lamy met en avant l’exemple du secteur automobile comme particulièrement révélateur de la croissance économique de la Chine depuis les réformes. Selon lui, l’exode rural alimente l’essor industriel dans lequel les multinationales vont puiser une main-d’œuvre bon marché. Il faut noter que si Lamy avait commencé par évoquer les aspects les plus spectaculaires, visibles dans les grandes villes, de l’enrichissement, il fait dans un deuxième Document 5 L’ascension de la Chine Jean-Luc Domenach fait ici sienne l’opinion du sinologue Lucien Bianco, à savoir que la Chine ne fait ces dernières années que retrouver la place 163 qui doit être la sienne et qu’il n’y a donc pas lieu de s’étonner de la place grandissante qu’elle occupe dans l’économie mondiale. La Chine, jusqu’au XVIIIe siècle, est en effet le pays le plus avancé du monde en terme de développement économique. 7. La Chine est riche de ses réserves de devises résultant d’années d’excédents commerciaux colossaux. Elle commence à jouer le rôle du prêteur en dernier recours, qui était celui des États-Unis dans l’immédiat après-guerre. Réponses aux questions 1. Le socialisme de marché est l’alliance de l’économie de marché, de l’ouverture au commerce et aux investissements étrangers avec un pouvoir politique qui reste autoritaire et entend conserver un rôle dans la planification économique. L’objectif assigné au socialisme de marché par Deng Xiaoping est de développer les forces productives du pays et de réaliser la modernisation du pays selon quatre axes : agriculture, industrie, sciences et forces armées. 2. Le tournant vers le « socialisme de marché » a permis une forte croissance économique durant une trentaine d’années jusqu’à aujourd’hui. L’enrichissement du pays est visible à travers, par exemple, le développement de l’automobile. Mais il faut aussi noter les progrès de la productivité du secteur agricole, qui a permis, par l’exode rural, d’alimenter l’essor industriel des zones côtières. 3. La Chine a pu en adhérant à l’OMC en 2011 accélérer sa croissance en bénéficiant de débouchés plus importants. Les groupes étrangers qui ont pu s’installer plus nombreux et les investissements ainsi réalisés ont alimenté l’expansion du secteur industriel. 4. Les difficultés sont d’ordre démographique (vieillissement de la population), économique (inégalités croissantes dans la répartition des revenus entre les catégories sociales mais aussi les régions), sociale (insuffisance de la protection sociale) et environnementale. 5. La Chine est l’atelier du monde. Elle produit et exporte des quantités énormes de biens de consommation très variés dans toutes les parties du monde. Les produits les plus avancés technologiquement et les biens culturels constituent pour l’instant ses seuls points faibles. 6. Domenach illustre la variété des exportations chinoises en citant deux exemples très différents : un produit agricole (les champignons de Paris) et un produit industriel à faible valeur ajoutée (les statuettes de saints). Chacun peut connaître d’autres exemples tirés de son expérience personnelle. pages 248-249 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Réponses aux questions 1. Hu Jintao fait trois propositions principales. Il propose de renforcer le rôle du G20. Il met en avant la nécessité de réguler davantage la sphère de la finance internationale, cela afin qu’elle serve au développement de l’économie réelle (autrement dit, la production des biens et des services). Dans un troisième temps, Hu Jintao prend position sans aucune ambiguïté contre la tentation protectionniste et en faveur du renforcement du libre-échange. 2. La préoccupation de Hu est la croissance mondiale. Habilement, il présente la Chine non comme le bénéficiaire des deux dernières décennies (elle a conquis dans de nombreux domaines d’importantes parts de marché sur ses concurrents), mais comme le moteur de la croissance mondiale. Dans le même ordre d’idée, il voit la politique de relance intérieure menée ces dernières années en Chine comme une contribution majeure à la crise internationale. D’autre part, la Chine fournit une aide aux pays les moins avancés, une action qui là encore est présentée comme bénéfique à la croissance mondiale. 3. On peut proposer les modèles de réponse suivants : Paragraphe B La force d’une économie qui est désormais la deuxième du monde transparaît dans différents points. Tout d’abord, il s’agit d’une économie extrêmement dynamique, puisque, comme Hu Jintao le rappelle, son taux de croissance moyen entre 1978 et 2008 est de 9,8 %. Même au plus fort de la crise, elle se montre capable, en 2009, de dégager une croissance de 8,7 %. Il s’agit aussi d’une économie dotée d’un fort leadership, celui du parti communiste, qui lui permet de lancer des politiques de relance ambitieuses. Enfin, en raison de l’accumulation de réserves de change considérables liées aux excédents commerciaux, cette économie est dotée d’une grande capacité 164 2. Les impasses maoïstes (Grand Bond, Révolution culturelle) doc. 4, 5, 6 p. 231, doc. 4, 5, 6, 7 p. 233 3. Une politique étrangère anticolonialiste et anti-impérialiste doc. 2, 3 p. 235, doc. 1, 2, 3, p. 236, doc. 4, 5, 6 p. 237 III. Faire de la Chine un géant économique grâce à l’économie de marché (1978 à nos jours) 1. Ouverture à l’économie de marché et aux investissements étrangers à partir de 1978 doc. 1 p. 241, doc. 1 et 3 p. 246 2. Les moyens de la puissance : un enrichissement rapide doc. 2 p. 242, doc. 2 p. 246, doc. 5 p. 247 3. La projection nouvelle de la puissance en Asie et Afrique : investissements, diplomatie doc. 11 p. 245, doc. 4 p. 247 à investir. Tous ces atouts permettent à Hu Jintao de participer à la gouvernance mondiale et de parler haut et fort dans le cadre du G20. Paragraphe C Le rôle privilégié de la Chine transparait à travers son aide aux pays d’Afrique sous forme de prêts à des taux avantageux, d’annulation de dette et de dons. Une aide aussi massive ne va pas sans contrepartie. Elle permet à la Chine d’avancer ses pions dans ces pays, en particulier en concluant des accords pour l’exploitation des matières premières (pétrole, bois). Dans l’Asie du Sud-Est, une zone qui est plus proche d’elle géographiquement et culturellement (présence d’une importante diaspora chinoise en particulier en Malaisie, en Indonésie, et à Singapour), la Chine a contribué via l’ASEAN à l’aide aux pays les plus pauvres. Dans un contexte de crise la Chine mobilise donc, ses énormes réserves de change, tirant partie de la crise économique et financière pour faire progresser son influence en Asie et en Afrique. pages 250-251 Composition 1. Un doute est permis : la Chine est-elle aujourd’hui toujours un pays communiste ? Certainement pas du point de vue de son système économique. Néanmoins, on peut considérer que, le PCC conservant un pouvoir absolu, les termes du sujet sont de 1949 à nos jours. 2. Problématique : « La Chine communiste entend se présenter non seulement comme un pays indépendant mais comme un modèle. Elle prétend donc à une influence dont le périmètre et la nature vont varier dans la période. » 3. et 4. Plan I. Alignement sur l’URSS (1949-1960) 1. Les rapports avec l’URSS doc. 3 p. 229, doc. 1 et 3 p. 230 2. La guerre de Corée, le soutien aux indépendantistes en Indochine doc. 2 p. 235, doc. 1 p. 236 3. Mainmise sur le Tibet doc. 1 p. 235 II. L’affirmation d’une voix chinoise dans le monde 1. Après Bandung, la Chine, leader du TiersMonde ? doc. 2 et 3 p. 236, doc. 4, 5 et 6 p. 237 2. Le maoïsme en Occident, une référence idéologique importante doc. 1, 2 et 3 p. 238, doc. 4, 5, 6 p. 239 3. Rapprochement des États-Unis et entrée au Conseil de sécurité de l’ONU doc. 4 p. 235 VERS LE BAC Composition Réponses aux questions 1. Sans nul doute l’intitulé du sujet invite à traiter du processus d’émergence de la puissance chinoise jusqu’à nos jours. 2. Problématique : « Comment la Chine, largement dominée par les grandes puissances au début du XXe siècle parvient-elle à trouver une voie particulière vers un statut de grande puissance ? » 3. et 4. Plan I. Secouer le joug de l’impérialisme (1919-1949) 1. Les restrictions de la souveraineté (douanes, extraterritorialité, concessions) doc. 1 p. 216, doc. 3 p. 223 2. La montée du nationalisme face à la menace de l’impérialisme japonais doc. 1 p. 224, doc. 1, 2 et 3 p. 226 3. La Chine puissance souveraine à l’issue de la DGM doc. 7 p. 227 II. Le communisme, un raccourci vers la puissance ? (1949-1978) 1. La consolidation puis l’industrialisation sous la tutelle soviétique doc. 3 p. 229, doc. 1 p. 230 165 III. La menace d’une Chine impérialiste ? 1. La présence chinoise en Afrique et Asie doc. 6 p 243, doc. 11 p. 245, doc. 4 p 247 2. Les débuts du soft power chinois doc. 8, 9, 10 p. 244, doc. 12 et 13 p. 245 3. La Chine, une puissance qui fascine et inquiète en Occident doc. 2 p. 242, doc. 5 p. 243, doc. 3 p. 246, doc. 5 p. 247 166 CHAPITRE 8 Le Proche et Moyen-Orient : un foyer de conflits L’ampleur, géographique et chronologique, du thème proposé appelle une insistance sur les structures plutôt que sur l’histoire politique et événementielle. La notion de Proche-Orient, comprenant les États méditerranéens (Syrie, Liban, Israël, Palestine, Turquie, Égypte), est polarisée par la question israélo-palestinienne, alors que celle de Moyen-Orient, créée par les Britanniques au début du XXe siècle, et incluant tous les États de la Méditerranée orientale (dont Chypre) jusqu’aux frontières de l’Asie Centrale (Jordanie, péninsule Arabique, Yémen, Iran, Irak, Afghanistan…), dilue ce conflit dans une problématique beaucoup plus vaste. Le conflit israélo-palestinien s’il doit être analysé, n’est donc pas l’angle d’attaque de cette question telle qu’elle a été conçue dans le programme. Le siècle qui s’étend de 1918 à nos jours a vu de profondes mutations, sociales, politiques, démographiques, économiques dans cette région et il s’agit de montrer comment les différents conflits en sont les symptômes. Il s’agit donc moins, dans l’esprit du programme, d’insister sur tel ou tel conflit que sur le fait qu’il n’est qu’une des manifestations des crises qui affectent la région. Après l’introduction et les cartes, la première leçon présente l’une des grandes problématiques de la question : la décomposition des structures impériales (ottomanes ou coloniales) et l’émergence des États de la région. Les deux premières études illustrent la diversité des identités linguistiques, géographiques et religieuses qui sont le témoin aujourd’hui encore des dominations impériales passées. La troisième étude s’interroge sur le processus et les difficultés des émancipations nationales dans la région. La deuxième leçon porte sur l’importance stratégique de la région, le siècle passé s’y confondant avec l’histoire des hydrocarbures. Les études décrivent la concurrence suscitée par les richesses locales, d’abord pendant la Guerre froide, ensuite, depuis la disparition de l’URSS en 1991 jusqu’à nos jours. La dernière leçon insiste sur les tensions internes de la région. Les différentes études abordent la question des frontières contestées, des occupations de territoires et des réfugiés, celle de la confessionnalisation des identités et des conflits depuis une vingtaine d’années, ainsi que sur les formes très récentes de la contestation. pages 254-255 OUVERTURE DE CHAPITRE Document 1 1919 : Français et Anglais interviennent au Moyen-Orient Les deux illustrations encadrent la période et évoquent plusieurs grands thèmes du chapitre : le nationalisme arabe et la recherche de l’indépendance, l’ingérence et le jeu ambigu des grandes puissances, enfin les richesses en hydrocarbures du Moyen-Orient et les convoitises que celles-ci suscitent. Ces deux photographies soulignent le décalage entre la militarisation et la technologie de l’Occident symbolisée d’un côté par les uniformes des armées britanniques et françaises, ainsi que par le véhicule blindé américain, de l’autre par l’habit traditionnel du prince Fayçal et par le paysage désertique de l’Irak. On passe de l’ingérence coloniale au début du siècle à l’intervention militaire pour assurer les approvisionnements en pétrole au début du XXIe siècle. La photographie de gauche représente le prince Fayçal, fils de Hussein, chérif de la Mecque, à la tête de la délégation arabe à la Conférence de la Paix, sur les marches du château de Versailles en 1919. Seuls Fayçal, au premier plan, et le colonel T.E. Lawrence, au deuxième plan, à sa droite, sont aisément reconnaissables, ce dernier portant le keffieh bédouin et la vareuse de l’armée britannique. Au deuxième plan, le capitaine à barbe noire, en tenue française, avec le croissant des artilleurs de l’Afrique française du Nord (Afrique du Nord), sur le képi, a été identifié comme le capitaine Rosario Pisani, chef du détachement français d’Aqaba à partir du 16 août 1917, et compagnon d’armes du colonel 167 Lawrence. La position des personnages, Fayçal devant, les deux officiers anglais et français, derrière, donnent l’impression que l’autorité est exercée par le prince Fayçal, soutenu par les puissances européennes. Or depuis mai 1916, l’accord secret SykesPicot entre la France et le Royaume-Uni a prévu le dépeçage de l’Empire ottoman et le partage du Moyen-Orient entre ces deux États, avec la mise en place de cinq zones : deux zones d’administration directe pour chacun d’entre eux, avec leur zone d’influence respective, et une zone d’administration internationale comprenant Saint-Jean-d’Acre, Haïfa et Jérusalem. Ce projet ne vit que partiellement le jour avec la mise en place des mandats en 1920, mais il permet de nuancer la hiérarchie apparente de la photographie : les véritables maîtres de la destinée des Arabes du Proche-Orient en 1919, Britanniques et Français, sont au second plan et utilisent la volonté d’émancipation des populations locales pour imposer leur domination sur la région en évinçant les puissances antérieures, en particulier l’Empire ottoman. septembre 2001 contre le World Trade Center de New York, et fabrication d’armes de destruction massive, qui n’ont jamais été trouvées) que les Américains et leurs alliés, principalement les Britanniques, envahissent l’Irak, soumis pendant plus de dix ans à un embargo international et à une zone d’exclusion aérienne, pour renverser Saddam Hussein. Les ÉtatsUnis justifient leur intervention en affirmant qu’elle doit provoquer une chute en cascade des dictatures du Moyen-Orient selon la « loi des dominos ». En fait, cette invasion n’a été possible qu’en raison de la chute de l’Union soviétique, de la fin de la Guerre froide, et de l’émergence temporaire d’un monde unipolaire. Elle vise à assurer aux États-Unis la sécurité sur le long terme de l’approvisionnement en produits pétroliers et une présence militaire durable dans la région. pages 256-257 INTRODUCTION L’histoire de la région vise à contextualiser sur la longue durée, les grandes évolutions et les différents conflits régionaux, en insistant sur les déterminations géographiques et anthropologiques. Il s’agit de rappeler le cadre géographique et démographique de la région pour montrer la diversité des populations, la variété des langues et des religions locales. Le Proche et Moyen-Orient est un carrefour vers où convergent les populations des quatre horizons : mondes slave, turco-mongol, persan, arabique, africain et européen. Le chapitre insiste ainsi sur les enjeux stratégiques liés à la rencontre de trois masses continentales (Europe, Afrique, Asie) et de trois ensembles maritimes (Méditerranée, mer Noire et océan Indien), avec les différents détroits qui les relient : Dardanelles, Ormuz, Aden/Djibouti, canal de Suez. Ces lieux de passage font l’objet d’une compétition et d’une convoitise car leur contrôle permet le blocage ou le détournement des voies les plus directes de circulation des marchandises entre les espaces asiatiques et européens. Ces voies de communication sont d’autant plus importantes que l’exportation croissante au XXe siècle des hydrocarbures (pétrole et gaz) est vitale pour les économies des pays industrialisés. La frise permet de contextualiser le court XXe siècle dans une histoire pluri-millénaire dont il découle. C’est dans cette région du monde que sont apparues l’écriture et les plus anciennes villes du monde. Le Proche et Moyen-Orient a vu les plus anciennes civilisations se développer : Sumer, Babylone et Assyrie, Égypte pharaonique. Les empires romains et Document 2 2003 : les Américains et leurs alliés envahissent l’Irak pour renverser Saddam Hussein La photographie contraste avec la précédente. Elle est prise en Irak et non plus en Europe, les populations locales sont absentes, au premier plan se dresse la force militaire, un véhicule blindé amené des États-Unis, sur lequel se tiennent des soldats vêtus d’uniformes avec un camouflage adapté au désert. À l’arrière-plan un puits de pétrole en flamme atteste les destructions des infrastructures irakiennes et la violence des combats. L’intervention militaire de 2003 en Irak a été décidée quasiment unilatéralement par les États-Unis, avec leurs alliés britanniques, contre l’avis de l’ONU. Elle s’inscrit dans la continuité de la précédente intervention qui avait reçu, en revanche, en 1991, l’aval de l’ONU, et avait vu la participation de militaires en provenance de très nombreux États. Cette précédente intervention internationale sous l’égide de l’ONU, appelée « Tempête du désert », avait été décidée après l’invasion du Koweit par l’Irak de Saddam Hussein, en août 1990. Elle avait libéré le Koweit et s’était arrêtée aux frontières de l’Irak. En revanche, en 2003, c’est sous des prétextes fallacieux (liens inexistants entre Saddam Hussein et Oussama Ben Laden, lui-même responsable des attentats du 11 168 byzantins furent essentiellement méditerranéens, et seul Alexandre Le Grand était parvenu au IVe siècle avant notre ère à exercer un pouvoir à cheval sur la Méditerranée et sur le monde perse. C’est dans cette région aussi qu’est apparue l’idée monothéiste, sous ses différents avatars, judaïques, chrétiens et musulmans. Le pluriel s’impose pour chacune de ces variations car aucune des religions monothéistes n’a jamais été monolithique, malgré ce que les discours religieux respectifs tendent à affirmer. L’Islam, dans la continuité de l’Empire d’Alexandre le Grand, s’étend à la fois sur les anciens Empires méditerranéens, romain et byzantin, et sur les domaines persan et turc. Cette aire de domination de souverains musulmans intègre ainsi des héritages variés, essentiellement romano-byzantin et persan du point de vue politique et scientifique, juif, chrétien, judéo-chrétien, zoroastrien, manichéen, du point de vue religieux. L’époque fatimide (Xe-XIIe siècle) en Égypte est la première période d’exercice du pouvoir par des souverains chiites, cependant que les califats omeyyade (660-750) et abbasside (750-1258) avaient vu la constitution, en même temps que la domination, de l’islam sunnite. dans la région. Les troupeaux d’ovins survivent en tirant profit de l’herbe qui pousse au printemps dans la steppe et des oasis qui parsèment le désert. Ils sont liés à un semi-nomadisme d’échelle locale, les tribus changeant régulièrement de lieux de résidence, avec leurs tentes, leurs troupeaux et leurs familles. L’élevage ovin et équin, caractéristique d’Asie Centrale, s’accompagne en général de mouvements de populations d’une ampleur beaucoup plus grande. Depuis quelques décennies, l’utilisation de moyens de transport modernes comme les camions conduit à une sédentarisation progressive des populations du désert, à un lent abandon des coutumes traditionnelles et provoque des bouleversements profonds dans les sociétés des steppes et des déserts du Proche et Moyen-Orient. Un Orient objet de tensions et de convoitises Une région stratégique, économiquement contrastée À la Une du 11 janvier 1920 du Petit Journal, un des quatre grands quotidiens du début du siècle : la carte des provinces du Levant. Le Général Gouraud qui apparaît en médaillon a été nommé par Clemenceau comme Haut-commissaire du Gouvernement français au Levant (Syrie et Liban) en 1919. C’est à Beyrouth qu’il établit sa résidence (encart en bas à droite), mais il voyage beaucoup dans la région. Avec sa longue carrière dans les colonies françaises d’Afrique occidentale, ce militaire, né en 1867, est l’une des personnalités emblématiques de la colonisation française, comme l’est Lyautey pour le Maroc. Il reste en fonction au Proche-Orient jusqu’en 1923. C’est à l’initiative des Français que le Liban est créé à cette époque, avec l’idée de fonder un État pour les chrétiens d’Orient. La structure communautaire et confessionnelle libanaise est en partie un héritage des interventions franco-anglaises dans la région depuis la fin du XIXe siècle. Le choix des Français de s’appuyer sur les minorités (Alaouites, Maronites) pour contrer le nationalisme arabe naissant fut très mal perçu par les intellectuels arabes. Les révoltes contre la puissance mandataire se succèdent de 1920 jusqu’à l’indépendance. Le Proche et Moyen-Orient : au carrefour de trois continents L’image satellite permet de repérer les différents ensembles maritimes (Méditerranée, mer Noire, Caspienne, mer Rouge, golfe Arabo-Persique et océan Indien). L’étroitesse des détroits ou du canal de Suez ainsi que la situation de carrefour apparaissent clairement par rapport aux masses continentales. La dominante jaune représente les déserts, peu peuplés, zone de nomadisme des pasteurs (chameliers). La couleur verte correspond aux zones où il y a un couvert végétal. On perçoit les formes montagneuses du relief en Iran, dont les montagnes ont servi historiquement de refuge. C’est là que les chiites du Moyen-Orient se sont massivement repliés lorsque le pouvoir était exercé par des souverains sunnites de Damas, de Bagdad, voire lorsque les Mongols sont arrivés en provenance d’Asie Centrale à partir du XIIIe siècle. Une mosaïque culturelle L’extension des déserts et des steppes expliquent l’importance historique du pastoralisme nomade. L’habit traditionnel des bédouins (keffieh sur la tête et djellaba blanche) est devenu pour les souverains des États du Golfe un signe identitaire. Cet habit est particulièrement adapté à la chaleur qui règne pages 258-259 CARTE Des conflits régionaux aux enjeux internationaux Ces deux cartes permettent d’aborder l’ensemble des problématiques du chapitre : tout d’abord, le Moyen-Orient passe des empires locaux (ottoman et 169 persan) à la domination coloniale franco-anglaise, puis à l’indépendance, ce qui conduit à un morcellement politique de la région. Cette évolution a des conséquences majeures : alors que le contrôle impérial des populations est relativement souple, autorise les migrations et le nomadisme et favorise la mixité des zones de résidence pour des populations variées (langue, religion, origine géographique), l’apparition de frontières étatiques conduit à la sédentarisation des populations, à la fragmentation de groupes. L’inadéquation entre les frontières et les populations qu’elles englobent conduit à de nombreuses tensions avivées par la découverte des hydrocarbures. L’ingérence, qui se traduit au début du siècle par la domination coloniale, se manifeste ensuite, malgré les indépendances progressives des États de la région, par des interventions militaires répétées. La concurrence internationale pour le contrôle des richesses du sous-sol de la région apparaît pleinement durant la Guerre froide, puis lors des interventions internationales dans le Golfe. la Syrie et l’Irak, entre l’Irak, l’Arabie Saoudite et l’Iran, entre l’Arabie Saoudite et les États limitrophes du Sud [Yémen, Oman], entre l’Égypte et le Soudan). Le caractère rectiligne de ces limites est d’autant plus arbitraire qu’il découpe des espaces steppiques ou désertiques où nomadisent les pasteurs bédouins. Entre le début et la fin du XXe siècle, de nouveaux poids lourds régionaux apparaissent : l’Iran et l’Arabie Saoudite qui tous deux prétendent à une direction religieuse des musulmans du monde. Le premier État est persan et chiite, le second arabe et sunnite, mais tous deux comportent des minorités, sunnites en Iran, chiites en Arabie Saoudite. Les ressources du sous-sol expliquent l’émergence des petits États du Golfe, extrêmement riches sous protection occidentale. L’influence américaine dans cette zone a pris la relève du Commonwealth britannique, non sans se heurter à l’influence soviétique. Les ports de la Syrie (Tartous et Lattaquieh) servent de points de relâche pour les navires soviétiques en Méditerranée. Nulle région n’est épargnée par les conflits. Des territoires sont occupés : Chypre, envahie en 1974 par les troupes turques lors de l’opération Attila, la Cisjordanie et Gaza conquis par Israël, en 1967. Les conflits frontaliers sont nombreux entre le Yémen et l’Arabie Saoudite, entre l’Irak et le Koweit ou l’Iran. Plusieurs États doivent faire face à des guerres civiles : Oman entre 1965 et 1976, le Liban entre 1975 et 1990, l’Irak depuis 2003, le Bahreïn et la Syrie aujourd’hui. Le démembrement de l’Empire ottoman L’Empire ottoman, « colosse aux pieds d’argile » au début du XXe siècle, s’est étendu pendant plusieurs siècles sur tous les versants orientaux et méridionaux de la Méditerranée (jusqu’à l’Algérie actuelle). Sa décomposition a commencé avec l’expansion coloniale de la France en Algérie (en 1830), anglaise en Égypte (en 1882), italienne en Libye (en 1911). Ce vaste Empire est donc démembré au lendemain de la Première Guerre mondiale au profit d’unités régionales contrôlées plus ou moins directement par les puissances coloniales. Quelques États indépendants apparaissent alors entre-deux-guerres, la Turquie d’abord ultime reliquat de l’Empire ottoman, profondément réformé par Atatürk, ensuite l’Irak et l’Égypte. La monarchie constitutionnelle de Perse (depuis 1906), menacée au nord par la Russie, puis par l’Union soviétique, au sud par la Grande-Bretagne, passe sous la domination de la dynastie des Pahlavi et devient en 1935 l’« État impérial d’Iran ». Dans toutes ces régions, les minorités juives sont encore nombreuses (Syrie, Iran, Irak, sud de l’Arabie), ainsi que les chrétiens de diverses obédiences. pages 260-261 LEÇON 1 L’héritage des dominations impériales Cette leçon évoque les bouleversements qui affectent le Proche et Moyen-Orient au début du XXe siècle, à travers un plan chronologique. On décrit dans un premier temps l’Empire ottoman, dont les structures ont permis à des minorités religieuses et linguistiques de se maintenir et de se reproduire durant des siècles (doc. 2), puis dans un second temps l’influence des impérialismes russe, britannique et français sur la région, avec la découverte du premier puits de pétrole en Iran et l’instrumentalisation des nationalismes naissants, en particulier arabe, contre la tutelle ottomane. Enfin, on voit comment le démembrement de l’Empire ottoman débouche non seulement sur l’apparition des mandats (doc. 1 et 3), mais aussi sur l’indépen- Des frontières contestées, des interventions occidentales répétées Aux frontières incertaines des Empires, succèdent les frontières rectilignes des États modernes (entre 170 dance de certains États (doc. 1), qui promeuvent des réformes radicales et autoritaires au nom de la modernisation et en réponse à la domination des pays industrialisés. des populations de l’Empire, mais aussi les réformes ultérieures d’Atatürk instaurant la laïcité de l’État moderne turc. Réponses aux questions 1. La religion officielle de l’Empire ottoman est l’islam. 2. Les religions du Livre (judaïsme et christianisme) sont protégées selon le droit musulman. C’est le principe de la dhimma. Ce statut induit une infériorité marquée par le paiement d’un tribut, mais garantit le libre exercice du culte et la possibilité laissée aux minorités religieuses de s’administrer ellesmêmes pour les affaires civiles. Document 1 De l’Empire ottoman aux Empires coloniaux La fin de la Première Guerre mondiale se caractérise par le démembrement de l’Empire ottoman et par la mise en place des mandats. Les Anglais se taillent la part du lion, en ajoutant la Palestine jusqu’à l’Irak à leur zone d’influence qui comprenait déjà l’Égypte, le Soudan anglo-égyptien et les rivages méridionaux de la péninsule Arabique. L’importance stratégique des détroits apparaît dans le contrôle de Djibouti par les Français. Document 3 Réponses aux questions 1. Le grand Empire ottoman, aux frontières floues est fragmenté en États séparés par des frontières linéaires. 2. Le début du XXe siècle voit la domination nouvelle des empires coloniaux européens sur le Proche et Moyen-Orient : France, GrandeBretagne, Italie qui se partagent la région pour mieux régner. La charte du mandat français pour la Syrie et le Liban (signée en 1922) Les passages cités de la Charte du mandat français permettent de voir comment la France, sous l’autorité de la SDN justifie l’occupation militaire et l’utilisation qu’elle s’assure des infrastructures du pays. L’article 1, dans la lignée de l’article 22 du pacte qui établit la SDN, révèle la mission « civilisatrice » que la France s’attribue. L’article 8 qui garantit la liberté de conscience et l’égalité de traitement est en contradiction avec l’appui fourni par la France aux minorités alaouites, druzes, chrétiennes et plus particulièrement maronites de la région. L’ensemble des articles révèle la volonté d’imposer un ordre social et politique, y compris par la force, indépendamment des structures locales. Document 2 Le statut des non-musulmans dans l’Empire ottoman L’Édit impérial du sultan ottoman du 18 février 1856 est la confirmation, la formalisation et l’élargissement du statut juridique de la dhimma. Ce statut légal de nature islamique qui concerne en théorie uniquement les Gens du Livre, soit les juifs et les chrétiens, mais en pratique toutes les religions non musulmanes, est ici intégré dans le droit positif ottoman. Seules les populations musulmanes non sunnites pâtissent de ce statut car leur situation est moins favorable que celle des non-musulmans. Ce texte révèle l’existence de lieux de peuplement entièrement habités par des non-musulmans. À la veille de la Première Guerre mondiale, 40 % de la population de l’Empire ottoman n’est pas musulmane. Cet édit autorise les membres de chaque communauté à posséder et transmettre leurs biens, il organise l’autogestion par des représentants des communautés et interdit les mesures discriminatoires. Cet édit de la part d’un sultan, chef politique et religieux de son Empire, instaure de facto une forme restreinte de laïcité et permet de comprendre non seulement la diversité religieuse Réponses aux questions 1. Les raisons invoquées sont l’incapacité des peuples à se diriger eux-mêmes. Le rôle dévolu à la puissance mandataire est de guider, d’aider, conseiller pour le développement et l’avènement de la « civilisation » à laquelle les puissances occidentales auraient accédé, mais qui n’aurait pas encore atteint les populations du Proche et du Moyen-Orient. 2. La mention des ports, voies ferrées et moyens de communication, approvisionnements et combustibles révèle l’intérêt économique que la puissance mandataire compte tirer des régions soumises en échange de sa mission « protectrice ». 171 pages 262-265 ÉTUDE Koweït. L’Irak des années 50 a alors complètement disparu. Le genre biographique s’est d’ailleurs développé dans tous les pays du Proche et Moyen-Orient à l’époque, en particulier en Égypte, Liban et Syrie. On peut rapprocher ce passage de la bande-dessinée Persepolis, qui fonctionne sur le même principe. Une mosaïque religieuse, linguistique et culturelle A. LA DIVERSITÉ DES IDENTITÉS Les documents de ces deux doubles-pages sont destinés à mettre en relief la complexité des populations du Proche et Moyen-Orient. Le processus national français, dès avant la Révolution française, a contribué à créer un État centralisé en même temps qu’une nation, par assimilation des apports exogènes. Or au Proche et Moyen-Orient, les sociétés ont évolué de manière très différente : multitude des langues, coexistence (pas toujours pacifique) de courants religieux divers, contrôle relativement souple de populations partiellement nomades, rôle de refuge des zones montagneuses. Document 3 Les juifs d’Iran Il s’agit d’un article-reportage d’un journaliste du grand quotidien américain, New York Times, cité dans un mensuel français connu pour ses positions de gauche. Il s’agit d’un témoignage sur la communauté juive d’Iran au début du XXIe siècle. Il permet d’aborder plusieurs problèmes : les idées reçues en France sur les sociétés du Proche et Moyen-Orient, en particulier sur la société iranienne, l’écart entre discours politique (des dirigeants iraniens) et pratiques sociales, l’émigration des juifs des mondes arabe et persan après la création de l’État d’Israël, la part toute relative que joue l’identité religieuse dans les choix politiques individuels et l’influence des appartenances nationales. Document 1 Langues et religions au Moyen-Orient Cette carte permet de montrer les multiples combinaisons qu’on trouve au Moyen-Orient : des Arabes chrétiens (qui utilisent une Bible en arabe où Dieu est appelé par son nom arabe « Allâh »), des musulmans, sunnites ou chiites, turcs ou persans (non arabophones), des juifs irakiens (arabophones)… Par ailleurs on note l’inadéquation non seulement des frontières étatiques avec ces différents groupes, mais aussi de ces différentes limites entre elles. Presque tous les cas de figures apparaissent. Document 4 La mosaïque syrienne La carte de la Syrie éclaire les événements actuels et en même temps synthétise l’ensemble des problèmes de la région : occupation de territoire, présence de réfugiés, diversité des populations, des confessions, des langues avec une dominante arabe sunnite. Dans la lignée de la politique mandataire française des minorités, le pouvoir des Assad repose sur les alaouites et sur les chrétiens. Les Kurdes sont marginalisés et les sunnites, majoritaires pourtant, sont sous-représentés dans les postes de responsabilité. Document 2 Un enfant du Kurdistan irakien découvre son identité Il s’agit du récit, sur le mode autobiographique et faussement naïf, de la découverte progressive des différentes identités emboîtées d’un enfant : famille, village, tribu, langue, religion et État. On notera l’ancienneté des langues parlées et écrites (araméen et syriaque), la mixité des zones de résidence et l’imbrication des communautés dans les années 50. Par ailleurs, la mention de l’école renvoie à la politique d’alphabétisation menée par tous les gouvernements de ces régions au XXe siècle. Il ne faut pas exclure aussi de la part de l’auteur une reconstitution un peu idyllique de l’enfance par un adulte à un moment où l’Irak vient de sortir d’une guerre avec l’Iran qui a duré 8 ans (1980-1988) et causé près d’un million de morts. En outre, en 1991, la communauté internationale sous l’égide de l’ONU a mené une attaque contre l’Irak pour libérer le Document 5 Maaloula, village chrétien de Syrie La concentration des monastères et des églises a permis la conservation de nombreux textes syriaques et un usage résiduel de l’araméen, qui était la langue parlée dans la région à l’époque du Christ. Réponses aux questions 1. Se rencontrent au Moyen-Orient plusieurs grands ensembles linguistiques, comme les langues sémitiques, (arabe, hébreu, araméen), indo-européennes (persan ou iranien, grec), ou caucasiennes. Les langues ouralo-altaïques (turc) ont été apportées au Proche-Orient, au 172 rale la politique. Rares sont les États du Proche et Moyen-Orient à avoir une constitution laïque. Il n’y a guère en fait que la Turquie. Les autres États, démocraties ou dictatures, ont des constitutions qui font une place à la religion, en particulier en ce qui concerne le « statut personnel », c’est-à-dire ce qui régit le droit des personnes, les lois de l’héritage et les unions matrimoniales. Deux exemples sont développés dans les documents, le cas d’Israël et celui du Liban. Moyen Âge, lors des grandes migrations des peuples en provenance d’Asie Centrale. 2. On remarque, qu’à l’exclusion de l’État d’Israël où sont concentrés l’essentiel des locuteurs d’hébreu moderne, les frontières linguistiques ne correspondent que très imparfaitement aux frontières nationales ou à des territoires bien délimités. 3. Cette situation s’explique par les déplacements de populations, par la présence des réfugiés, par le nomadisme des tribus, par la pression historique exercée par les populations en provenance d’Asie Centrale et par l’exode rural dans la seconde moitié du xxe siècle qui conduit à une mixité urbaine de locuteurs d’origine différente. Seul l’État d’Israël présente une relative cohérence linguistique de façade (hébreu-arabe, langues sémitiques, mais aussi yiddish, anglais, russe, langues indo-européennes et slaves). 4. Au milieu du XXe siècle, les minorités religieuses coexistaient relativement paisiblement dans un environnement majoritairement musulman. Elles pouvaient exercer leur culte, transmettre leur capital culturel. On peut préciser que les mariages mixtes étaient relativement rares, mais pas inexistants. L’identité religieuse n’était qu’une identité parmi bien d’autres, linguistiques, ethniques, nationales. 5. C’est toujours le cas à la fin du XXe siècle, mais le contexte a changé. La naissance de l’État d’Israël d’une part, avec l’immigration massive des juifs en provenance des pays arabes ou persans et du même coup la quasi-disparition des minorités juives dans ces pays, d’autre part les divers conflits, ont renforcé les frontières entre les minorités. Dans certains États, ce sont toujours elles qui exercent le pouvoir. C’était le cas dans l’Irak de Saddam Hussein où les sunnites minoritaires exerçaient le pouvoir avec le soutien des chrétiens sur une population majoritairement chiite, c’est le cas au Liban, où les musulmans sont devenus majoritaires au fil du temps, c’est aussi le cas en Syrie, où l’hégémonie alaouite est aujourd’hui fortement contestée. Document 6 La mosaïque libanaise La carte fait apparaître d’une part que le Liban a été créé lors du mandat français autour de la minorité chrétienne maronite qui s’y localise principalement, avec aussi des représentants dans le nord de la Syrie et dans le Sandjak d’Alexandrette (donné à la Turquie par la France en 1939). Le Liban comporte aussi des chrétiens grecs orthodoxes, des musulmans (sunnites, chiites), ainsi que des alaouites et des druzes, deux courants qui se sont détachées de l’islam chiite au Moyen Âge pour évoluer de manière autonome dans les réduits montagneux du nord de la Syrie pour les premiers, du Djebel druze pour les seconds. Le Liban est le seul État du MoyenOrient où la politique d’enseignement du français à l’époque mandataire a eu quelque effet. La situation au Liban est complexifiée encore par la présence de nombreux camps de réfugiés palestiniens. Document 7 La Constitution du Liban La première version de la Constitution libanaise a été élaborée pendant la période mandataire, selon les principes mêmes du mandat, principes selon lesquels le mandataire devait aider les populations locales à accéder à l’indépendance. La Constitution actuelle a été révisée depuis 1926, mais elle en conserve les grandes lignes : prise en compte de la religion pour la représentation à la Chambre des députés, pour les trois présidences nationales (République, Assemblée, gouvernement). Ce système entérine un équilibre démographique datant de l’époque mandataire, quand les chrétiens étaient majoritaires dans le territoire délimité. Aujourd’hui l’évolution de la population a profondément modifié cet équilibre, ce qui a suscité de nombreuses tensions entre les différentes communautés et contribue à expliquer partiellement la durée de la guerre civile entre 1975 et 1990. B. LES CONFESSIONS RELIGIEUSES DANS LA VIE POLITIQUE Cette double-page est destinée à montrer les interférences entre les confessions religieuses et les systèmes politiques ou de manière plus géné173 à-dire qui veulent revenir aux sources des textes, en les interprétant de manière littérale) s’exerce en Israël, comme dans les pays voisins. Document 8 La vie politique libanaise Après l’échec du gouvernement de coalition de Fouad Siniora, les élections de 2009 voient la victoire de la coalition menée par Saad Hariri (leader du Courant du futur) face à celle qui regroupe entre autres le Hezbollah ou le parti chrétien de Michel Aoun. Le gouvernement d’unité national se disloque en 2011. Le principe de ce document n’est pas pour autant d’informer les élèves de tous les partis composant la vie politique complexe du Liban ! Il convient de remarquer tout d’abord qu’un grand nombre de partis sont fondés soit sur des composantes « ethniques » (arméniens), nationales (syrienne, libanaise), pan-arabes, ou idéologiques (progressiste, socialiste), soit sur des identités religieuses (chiite, sunnite, chrétienne). La diversité de ces partis renvoie à la complexité de la structure de la population libanaise et à l’influence de courants supra-nationaux (pour les partis islamistes, socialistes et pan-arabes). Enfin, les deux coalitions récentes ne semblent pas répondre à des logiques strictement religieuses, nationales, ou idéologiques. Il s’agit en fait de coalitions de circonstance, liées à la démocratisation de la société libanaise et au contexte régional, c’est-à-dire aux influences et aux menaces qu’exercent respectivement la Syrie et Israël sur l’indépendance libanaise. Cela ne correspond absolument pas aux analyses culturalistes ou religieuses qui prévalent en France ou aux États-Unis sur le monde arabe. Document 10 L’usage politique des fêtes religieuses Ces deux photographies permettent d’évoquer plusieurs questions, d’abord l’occupation des territoires palestiniens par Israël depuis 1967 (l’étude pages 278-281 revient sur la question palestinienne en soi) et le rôle de Yasser Arafat dans la lutte nationale palestinienne, puis l’utilisation des fêtes religieuses à des fins politiques, enfin le rôle et l’impact symboliques des images dans le monde actuel. Yasser Arafat était musulman, mais le parti qu’il avait fondé, le Fatah, principale composante de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine), fondée en 1964, était un parti nationaliste laïc. Ce parti accueillait en son sein des Palestiniens, musulmans et chrétiens. D’autres partis palestiniens, tel le FPLP (le Front populaire de Libération de la Palestine), fondé en 1967 par Georges Habache et Ahmed Jibril, et le FDPLP (le Front démocratique pour la libération de la Palestine), qui se détache du premier en 1969 sous la direction de Nayef Hawatmeh, sont marxistes-léninistes. Très influencés par le nationalisme arabe, ces deux partis où militent de nombreux chrétiens palestiniens sont nettement plus radicaux que l’OLP dans leur lutte contre Israël. Organiser une visite dans les lieux saints chrétiens de Cisjordanie en 2002 est l’occasion pour Yasser Arafat d’afficher non seulement qu’il est le représentant de tous les Palestiniens, indépendamment de leur confession et qu’il rejette l’islamisme radical d’al-Qaida et d’Oussama Ben Laden, mais c’est aussi une manière de revendiquer, aux yeux du monde et des autorités israéliennes, son droit à se déplacer librement dans l’ensemble des territoires revendiqués par les Palestiniens. À l’inverse, au centre de la seconde photographie, la coiffure emblématique du président palestinien posée sur un siège vide est utilisée comme symbole pour dénoncer l’occupation israélienne et les innombrables obstacles aux déplacements dont les populations palestiniennes font l’objet de la part des autorités israéliennes. Document 9 La Torah, source du droit matrimonial en Israël Israël est un État démocratique, très similaire dans ses modes de fonctionnement aux démocraties occidentales européennes. Pourtant cet État laisse une part importante au droit religieux dans certains domaines en particulier le droit matrimonial. Seuls les mariages religieux sont reconnus par la loi du pays et donc ne sont reconnus que les mariages entre juifs. Les citoyens israéliens qui souhaitent se marier civilement sont contraints d’aller à l’étranger. Chypre, à 100 km à vol d’oiseau d’Israël, est la principale destination pour ce genre de mariage, désiré soit par conviction politique ou religieuse, soit en raison de l’interdiction religieuse qui pèse sur la relation envisagée, entre par exemple un/e juif/ve et un/e chrétien/ne ou un/e musulman/e… La pression des religieux fondamentalistes (c’est- Réponses aux questions 1. Le système politique libanais est une démocratie parlementaire sur une base confessionnelle, puisqu’un nombre égal de sièges est réservé aux chrétiens et aux musulmans, au prorata 174 des composantes internes à chaque religion. Au sénat, une majorité de sièges est destinée aux différentes communautés chrétiennes (maronites, grecs orthodoxes, grecs catholiques). 2. Les partis politiques libanais ont presque tous une base identitaire : nationales ou religieuses. Certains partis sont nationalistes, d’autres socialistes ou marxistes. Leur diversité est liée non seulement à la composition de la population libanaise, mais aussi à des choix idéologiques qui débordent les frontières communautaires, que celles-ci soient nationales ou religieuses. 3. Les deux coalitions sont totalement hétérogènes. On peut en déduire que les alliances sont fondées sur le compromis et la négociation. 4. Comme seul le mariage religieux existe en Israël, les personnes qui veulent contracter un mariage civil sont contraintes d’aller se marier à l’étranger. Il y a donc des personnes légalement mariées en Israël, religieusement, et un grand nombre de personnes dont le mariage n’est pas reconnu par la loi du pays, mais qui sont cependant mariées. 5. Rubik Rosenthal condamne le fondamentalisme du ministre de la Justice israélienne visant à imposer les préceptes bibliques dans la loi de l’État d’Israël. 6. La venue de Yasser Arafat à Bethleem est une manière de revendiquer l’indépendance des territoires occupés, et d’affirmer que son combat indépendantiste transcende les clivages religieux. 7. Les Israéliens contrôlent les territoires occupés ainsi que les mouvements des personnes sur ce territoire. Ils assiègent Yasser Arafat dans son QG de Ramallah en l’accusant de favoriser les manifestations palestiniennes dans le cadre de l’Intifada et de soutenir les actes terroristes en Israël. La photographie a été utilisée pour montrer le caractère oppressif de l’occupation israélienne, la chaise vide avec le couvre-chef palestinien de Yasser Arafat symbolisant le caractère œcuménique de sa direction et le respect que lui portaient les Palestiniens, y compris chrétiens. pages 266-267 ÉTUDE Le difficile chemin vers les indépendances nationales Les États du Proche et du Moyen-Orient sont récents et datent pour la plupart du XXe siècle. Il s’agit ici de réinsérer la région dans le long terme et de voir comment le processus de créations nationales, qui débute au moment de la crise de l’Empire ottoman et de l’intervention des puissances coloniales européennes, n’est pas encore achevé. Des forces internes et externes à la région, rendent difficiles les mouvements d’indépendance d’États dont les populations sont très mélangées du point de vue ethno-linguistique et religieux. Document 1 La chasse gardée des Britanniques au début du XXe siècle Cette analyse politique datant du début du siècle est due à Alfred Mahan, un contre-amiral de la marine américaine, connu comme un des pères de réflexion géopolitique anglo-saxonne. Dans ce texte, Mahan tente de comprendre d’où vient la grandeur de l’empire britannique. C’est lui qui mentionne le terme de Moyen-Orient pour la première fois. On y voit l’importance de l’espace mésopotamien et des régions du Golfe dans les intérêts de l’Empire britannique dont les territoires s’étendent jusqu’à l’Inde. La stratégie anglaise consistait d’une part à s’appuyer sur les élites locales, d’autre part à contrôler les détroits et zones de passage (Gibraltar, Suez, Ormuz). Document 2 Libérer les peuples de la tutelle ottomane ? Quelques jours avant l’armistice du 11 novembre, la fin de la guerre étant proche, les autorités françaises et britanniques, qui avaient signé en 1916 les accords secrets Sykes-Picot préparant le partage des anciennes provinces ottomanes, font une déclaration destinée à justifier leur main-mise sur la région. L’objectif déclaré est la libération des peuples, l’ennemi désigné la tyrannie ottomane. Pourtant ce qui se prépare avec force dénégations (« Loin de vouloir imposer aux populations de ces régions… »), c’est la mise sous tutelle dans le cadre mandataire, avec substitution de l’autorité ottomane par celle des troupes britanniques et françaises. Les nationalistes arabes à qui des promesses ont été faites, se sentent trahis et la résistance locale reste très forte en Syrie en particulier pendant toute la période mandataire. 175 de la proclamation unilatérale d’indépendance de l’État d’Israël par Ben Gourion. La guerre entre les Arabes et les Israéliens tourne à l’avantage de ces derniers, mieux armés et mieux organisés. Au moment du cessez-le-feu en 1949, Israël a accru son territoire et le reste des territoires palestiniens est annexé par la Transjordanie (future Jordanie) d’un côté, par l’Égypte pour Gaza de l’autre. Document 3 La France soutient les minorités en Syrie On a là une théorisation de la « politique des minorités » pratiquée par la France. Confrontée dans ses colonies algériennes à une forte opposition des populations indigènes colonisées, la France craint l’avènement d’un nationalisme arabe au ProcheOrient et en Méditerranée. Elle favorise donc, au sein des Arabes, les minorités religieuses : druzes, alaouites, chrétiens maronites, afin de diviser pour mieux régner. Document 7 Une indépendance en cours Après la reconnaissance de l’État d’Israël par Yasser Arafat – le dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine – et le renoncement à la lutte armée, l’Autorité palestinienne voit le jour dans les Territoires occupés. Des élections démocratiques sont organisées. Le président élu après la mort de Y. Arafat, Mahmoud Abbas, poursuit le combat pour la reconnaissance de l’État de Palestine et dépose officiellement une demande de reconnaissance à l’ONU, le 23 septembre 2011. Document 4 La naissance des États actuels, un processus en cours Il est important de remarquer que le processus de genèse étatique depuis la disparition de l’Empire ottoman n’a pas cessé. Les dernières régions à acquérir l’indépendance totale sont les anciennes régions dépendant des Britanniques qui s’appuyaient sur les élites et les chefs locaux pour assurer leur souveraineté. La multiplication des États traduit la diversité des identités nationales dans la région. Il est possible qu’à terme il faille ajouter le Kurdistan à la liste présentée. Réponses aux questions 1. Le Moyen-Orient est une zone stratégique sur les routes terrestres et maritimes entre l’Extrême-Orient et l’Europe par la Méditerranée. Grande puissance commerciale et maritime, la Grande-Bretagne souhaite avoir des alliés fidèles dans ce territoire pour contrôler ses approvisionnements et plus généralement le commerce mondial. 2. La libération et l’indépendance des peuples du Moyen-Orient sont les arguments avancés par la Grande-Bretagne et la France pour s’implanter dans la région. En effet, persuadés d’être en avance dans l’échelle des civilisations, les autorités françaises et britanniques considèrent que les peuples d’Orient sont encore dans l’enfance et ont besoin d’un tuteur. 3. L’extension des empires coloniaux et les intérêts commerciaux des deux grandes puissances de l’époque, sur le déclin, il est vrai au début du XXe siècle, sont les motivations plus ou moins avouées des Européens. Le document 3 montre clairement comment les Français ont joué des divisions religieuses pour asseoir leur présence au Proche-Orient. 4. Le processus d’indépendance présente une grande régularité puisque, de 1918 à 1971, il ne se passe pratiquement pas une décennie sans qu’un nouvel État acquière son indépendance. Document 5 La proclamation de l’État d’Israël L’État d’Israël est un peu atypique dans le processus des indépendances nationales du Proche et MoyenOrient. En effet, le mouvement national juif naît en Europe à la fin du XIXe siècle en même temps que se développent les nationalismes européens. La proclamation d’indépendance prononcée en 1948 par David Ben Gourion se caractérise par ses fondements bibliques et religieux. Il repose sur la convergence de l’aspiration à l’indépendance des juifs de Palestine, immigrés pour une part dès la fin du XIXe siècle, du choc provoqué par l’ouverture des camps d’extermination créés par les nazis un peu partout en Europe et des indépendances voisines de la Syrie et du Liban. Document 6 Du plan de partage à la guerre Le discours de Ben Gourion évoque partiellement la résolution des Nations Unies qui préconise un plan de partage de la Palestine en 1947 entre un État juif et un État arabe. Celui-ci ne vit jamais le jour en raison d’une part du refus des Arabes de reconnaître un État juif dans la région, d’autre part 176 une grande puissance contrôlant la majeure partie des ressources énergétiques dont le reste du monde a de plus en plus besoin au cours du XXe siècle. On peut pourtant distinguer trois phases : le démembrement de l’Empire ottoman au lendemain de la Première Guerre mondiale, la période de décolonisation juste après la Seconde guerre mondiale, enfin la disparition de l’Empire colonial anglais de 1960 à 1971. 5. Outre la Palestine, dont le processus est en cours avec des démarches juridiques internationales, il convient d’évoquer le Kurdistan. Le problème kurde est apparu au grand jour à la suite de la décomposition de l’Irak après l’invasion anglo-américaine de 2003, et la chute de Saddam Hussein. Pourtant l’hypothèse de la création du Kurdistan avait été évoquée lors des différents traités qui avaient suivi la fin de la Première Guerre mondiale. En Turquie, le mouvement séparatiste kurde (PKK), très influent, est réprimé par le pouvoir turc et dans le nord de la Syrie, les Kurdes font l’objet d’un contrôle étroit de la part du gouvernement de Damas. 6. Deux principes se dégagent des documents proposés : d’une part les droits historiques, réels ou imaginés, voire religieux, d’autre part les décisions de l’Organisation des Nations Unies. Celles-ci s’appuient sur le sentiment national, sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais l’ONU dispose de peu de moyens pour imposer ses décisions. pages 268-269 Document 1 Les premiers oléoducs Les premiers investissements sont réalisés par les puissances coloniales. Au début du siècle, les concessions pétrolières du Moyen-Orient sont essentiellement aux mains des Britanniques : le pionnier est l’anglais Knox d’Arcy en Perse dès 1901, à l’origine de l’Anglo-Persian Company. La compagnie monopolise l’exploitation de l’or noir qui débute effectivement en 1909. En 1912, est créée la Turkish Petroleum Company dont le capital se partage entre la National Bank of Turkey (50 %) dont les capitaux sont pour l’essentiel européens, Shell (25 %) et la Deutsche Bank (25 %). L’entre-deux-guerres voit la rivalité entre Anglais et Américains s’exacerber, les derniers tentant de brise le monopole de fait britannique. L’exploitation du pétrole brut exige de lui faire traverser de vastes étendues désertiques pour l’amener à des ports. Ces investissements, réalisés par les puissances coloniales avec une main-d’œuvre locale bon marché, bouleversent peu dans un premier temps les populations du pays puisque les oléoducs sont enterrés et ne sont pas un obstacle au pastoralisme des nomades. Pendant quelques décennies, forages, extraction et transport sont une affaire étrangère qui affecte peu les sociétés moyen-orientales. LEÇON 2 Un carrefour convoité Outre ses atouts naturels liés à la situation sur les grandes voies commerciales terrestres et maritimes, avec les différents isthmes et détroits qui s’y trouvent, le Proche et Moyen-Orient jouit de la richesse de son sous-sol (doc. 1 et 2). L’histoire du XXe siècle dans la région se confond avec celle des hydrocarbures. Ce sont les puissances occidentales (européennes et américaines) qui organisent dans un premier temps l’exploitation des gisements pétroliers, nécessaires à leurs industries, en se livrant entre elles une féroce concurrence et en se réservant la majeure partie des bénéfices. La lutte pour l’indépendance des États dans la région passe aussi par le contrôle de l’exploitation et de la commercialisation des hydrocarbures et des revenus qui en découlent (doc. 3). En même temps, c’est aussi tout l’enjeu des matières premières qui explique la réticence des puissances coloniales à accorder leur indépendance aux États de la région ou à voir émerger Document 2 Les réserves d’hydrocarbures au Moyen-Orient en 2007 Avec les indépendances nationales, les ressources de la région, avec les revenus qui y sont liés, deviennent l’objet d’une vive concurrence. Les gouvernements locaux veulent participer aux bénéfices liés à l’exploitation pétrolière dans un premier temps, gazière ces vingt dernières années, pour moderniser leur pays. En gros 60 % des réserves en pétrole et 40 % de celles de gaz se trouvent au Moyen-Orient, alors que les grands centres de consommation ont longtemps été localisés en Europe, aux États-Unis, maintenant en Asie du Sud-Est et en Chine. Cette répartition explique non seulement les enjeux dans la région, mais aussi la question du contrôle des flux et des points de passage, tels les détroits et les oléoducs. 177 Document 3 pages 270-271 Abu Dhabi et la manne pétrolière en 1967 ÉTUDE L’intervention des grandes puissances : la Guerre froide Le témoignage de Mohammed Al Faim, ressortissant d’Abu Dhabi, décrit les changements intervenus en quelques années dans son pays. Alors que dans les pays européens et américains, la révolution industrielle et technologique s’est étendue sur près de deux siècles, elle prend moins de deux décennies dans les États du Golfe. Ce sont de véritables villes champignons qui émergent du désert, financées par les revenus colossaux générés par la rente pétrolière. De zone d’émigration, la région devient jusqu’à nos jours un des rares grands pôles d’immigration mondiale où convergent des travailleurs, qualifiés ou non, et des investisseurs du monde entier. Les deux doubles-pages d’études traitent des ingérences internationales au Proche et Moyen-Orient du point de vue chronologique : d’abord durant la Guerre froide, de 1945 à 1991, puis de 1991 à 2011, après l’effondrement de l’Union soviétique. Il s’agit de montrer que c’est durant la Guerre froide que les anciennes puissances coloniales perdent leurs capacités d’intervention dans la région. Les deux Grands agissent le plus souvent de manière indirecte, en s’appuyant, pour l’Union soviétique, sur les volontés d’indépendance des États de la région, en défendant, pour les États-Unis, leurs intérêts économiques, en particulier en soutenant et en armant Israël ou les États pétroliers comme l’Arabie Saoudite. Réponses aux questions 1. Dans un premier temps, l’exploitation et le transport des gisements pétroliers exigent des investissements et un savoir technique. Aussi, ce n’est que parce qu’il y a une demande croissante que les infrastructures sont financées, car les investisseurs savent qu’ils récupéreront rapidement l’avance de leurs fonds. 2. Comme les puits de pétrole se trouvent en partie dans des zones désertiques, la question du transport des hydrocarbures, une fois extraits, se posent. Pour cela, il faut construire des oléoducs et des gazoducs, pour acheminer les produits énergétiques jusqu’à des ports, où pétroliers et méthaniers les récupèrent pour les convoyer dans les grands centres de consommation. Les grandes raffineries se trouvent dans un premier temps dans les pays consommateurs, mais depuis les années 1970, de grandes raffineries ont été créées sur place pour que le produit transporté ensuite ait une plus grande valeur ajoutée. 3. Pour les régions productrices, tant que les profits ont été accaparés par les majors et les États consommateurs, les conséquences n’ont pas été très importantes. Avec la nationalisation des majors ou la mise en place de compagnies nationales, les pétrodollars ont permis la modernisation brutale des sociétés locales, avec l’apparition de villes-champignons et le bouleversement des sociétés traditionnelles (doc. 3). Document 1 Le containment en Iran Ce document secret, déclassifié révèle l’analyse que le gouvernement américain faisait de la situation en Iran et les motivations de leurs services secrets (CIA) pour organiser un coup d’État. Il faut rappeler que l’Iran avait une frontière commune avec l’URSS et que la stratégie américaine consistait à avoir des alliés puissants tout autour de l’Empire soviétique pour éviter la « contagion communiste ». Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, des partis communistes existaient dans les pays du Moyen-Orient et les autorités locales jouaient d’un Grand contre l’autre pour négocier les meilleurs accords. Toute velléité d’indépendance était en fait jugée au prisme de la Guerre froide et était inacceptable pour les autorités américaines. En 1953, la CIA intervient pour renverser Mossadegh et imposer un chef de gouvernement qui leur soit plus favorable. Les Iraniens en ont tiré des griefs durables contre l’interventionnisme américain et cela s’est manifesté clairement au moment de la révolution islamique d’Iran avec le blocus de l’ambassade américaine à Téhéran, en 1979. Document 2 L’Égypte dans la Guerre froide L’Union soviétique apparaît pour bien des dirigeants du monde en général, du Proche et MoyenOrient en particulier, comme le garant de l’indépendance à l’égard des puissances occidentales. Le président égyptien, Nasser, nationaliste pan-arabe, 178 choisit d’affirmer son indépendance en s’appuyant sur l’URSS. Le rejet des anciennes puissances coloniales, française et britannique, et des États-Unis qui leur sont liés, explique la présence de Ben Bella, président de la République algérienne qui vient tout juste d’obtenir son indépendance après une guerre longue et violente contre la France. paraît pour les pays du Proche et du Moyen-Orient dans le dernier quart du XXe siècle. Document 5 Une nouvelle donne après 1973 ? La dernière composante à prendre en compte dans l’analyse du difficile combat pour les indépendances nationales, est la dimension énergétique. En 1973, les États arabes utilisent les prix du pétrole comme arme politique pour faire pression sur les puissances industrialisées et l’Égypte (sans ressources pétrolières) ferme le canal de Suez. Cela accroît grandement le coût des matières énergétiques. Faute d’unité, le pouvoir des puissances productrices et exportatrices de pétrole est cependant limité, dans le temps et dans l’espace. Document 3 La démocratie populaire du Yémen du Sud en 1969 On mesure mal aujourd’hui, où l’on ne parle que d’islamisme, l’influence qu’eut le marxisme dans les sociétés du Proche et Moyen-Orient. En fait, si le lexique de la contestation a changé, les revendications restent bien souvent les mêmes : lutte contre l’ingérence des États-Unis et le système économique que ceux-ci cherchent à imposer partout, équité sociale, indépendance nationale, modernisation des sociétés, aspiration à des systèmes plus démocratiques. Apparaît ainsi un front de lutte contre les États-Unis, du Viet-Nam, à l’Europe, en passant par le Moyen-Orient. Au Yémen, la lutte contre le protectorat britannique a été menée par le Front de libération de l’occupation du Yémen du Sud (FLOYS) et le FLN marxiste. L’indépendance du Sud-Yémen est déclarée en 1967, le pays devient république démocratique en 1969 et tête de pont de l’influence soviétique dans la région. Le Yémen est réunifié en 1990 à l’issue de la Guerre froide, le régime communiste ne pouvant plus bénéficier de l’aide soviétique. Réponses aux questions 1. Les anciennes puissances coloniales que sont la France et la Grande-Bretagne continuent d’avoir une politique active au Moyen-Orient, mais leur influence décroît rapidement au fur et à mesure que croît la puissance américaine. L’impérialisme des tsars de Russie a été relayé par la politique soviétique de lutte contre le capitalisme et le pouvoir américains dans le cadre de la Guerre froide. 2. Les ressources énergétiques gigantesques, la situation stratégique sur les grands axes du commerce mondial, et la proximité de l’URSS expliquent l’enjeu représenté par le Proche et Moyen-Orient au cours de la Guerre froide. 3. Infiltration par les services secrets, coups d’État, interventions militaires, soutiens logistiques et techniques (Assouan), liens commerciaux privilégiés, soutiens militaires aux régimes dictatoriaux locaux sont les différents modes d’intervention, simultanés ou successifs des deux Grands dans la région. 4. Ce sont essentiellement la recherche de l’indépendance politique et économique et, secondairement, l’anti-capitalisme qui poussent certains États, partis ou groupes, à rechercher l’alliance de l’URSS. Document 4 Les aires d’influence soviétique et américaine (1948-1991) Cette carte met en relief non seulement les différentes interventions militaires dans la région, franco-britannique à Suez en 1956, américaine au Liban en 1958, britannique à Oman entre 1965 et 1976, soviétique en Afghanistan en 1979. Elle montre le succès de la politique d’encerclement de l’Union soviétique par les États-Unis et par leurs alliés. On voit apparaître la nouvelle donnée caractéristique de la fin du XXe siècle et du début du XXIe, c’est-à-dire l’émergence d’une nouvelle force, l’islam politique, avec la révolution islamique d’Iran en 1979. C’est contre l’influence américaine et contre la corruption du régime du Shah d’Iran que la révolution a lieu, mais en même temps, c’est contre le matérialisme soviétique. C’est donc une nouvelle voie de l’indépendance politique qui ap- pages 272-273 ÉTUDE Les conséquences de la fin de la Guerre froide Cette double-page est destinée à mettre en lumière les conséquences de la disparition de l’URSS sur le Proche et Moyen-Orient. Le passage d’un monde 179 bipolaire à un monde temporairement dominé par les États-Unis voit émerger de nouveaux acteurs, différents des États et des institutions étatiques qui intervenaient auparavant. Cette évolution est révélatrice du discrédit pesant sur l’« État » à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle et de la victoire symbolique de l’idéologie libérale. Les multinationales utilisent dorénavant les États pour défendre leurs intérêts de manière encore plus évidente qu’avant. Document 3 Le trajet des oléoducs du Moyen-Orient : nouveaux enjeux stratégiques Le tracé des oléoducs et des gazoducs est intéressant car dorénavant, il ne s’agit plus comme dans la période de la Guerre froide d’isoler l’Union soviétique, mais au contraire de permettre le désenclavement du bloc russe, sibérien et centre asiatique pour le relier le plus directement possible aux grands marchés de consommation de matières premières. On voit la place stratégique du Proche et Moyen-Orient, où se trouvent de nombreux pays au régime instable, cette instabilité étant due aussi, au moins partiellement, aux interventions internationales. Finalement, paradoxalement, le réseau des oléoducs et des gazoducs évitent la zone centrale où se trouvent les verrous stratégiques (détroits et isthmes) facilement contrôlables par les pouvoirs locaux, dont l’alliance n’est pas garantie. Document 1 Des compagnies pétrolières privées plus riches que des États L’étude du premier tableau vise à mettre en relief deux phénomènes majeurs : en 15 ans, de 1997 à 2011, on assiste d’une part à une concentration des compagnies pétrolières (ex. BP + Amoco-Arco, ou Total + Elf), d’autre part à une multiplication par 3 environ du chiffre d’affaires de ces grandes multinationales. Le dernier élément marquant, c’est l’importance de ce chiffre d’affaires (c’est-à-dire l’ensemble des ventes sur une année). Ces chiffres donnent une idée de la puissance financière de ces entreprises (même si elles ont des coûts importants, des dépenses d’investissements, de production et d’exploitation, des impôts à payer dans les différents pays, etc.). Document 4 Un lobby pétrolier derrière la politique américaine ? On est là en présence d’une analyse publiée dans le quotidien du soir Le Monde un an après l’attaque contre le World Trade Center, au moment où l’intervention américaine en Irak se prépare. Ce texte met en rapport le consumérisme américain (l’American Way of Life) et le tout-voiture, avec la stratégie internationale et l’interventionnisme des États-Unis. On y voit les répercussions d’un modèle de développement sur les grandes décisions de politique étrangère. En fait, le pacte entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite découle de la découverte en 1938 de pétrole dans la Péninsule. L’Irak et les régions du Golfe sont alors sous l’influence britannique et l’Arabie Saoudite est une tête de pont américaine dans la région. Depuis le milieu du XXe siècle, l’alliance entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite n’a jamais été remise en question, même après les attentats du 11 septembre 2001. Document 2 Comment justifier l’invasion de l’Irak en 2003 ? La déclaration commune de Georges Bush et de Tony Blair en 2003 sur l’intervention en Irak est très intéressante. D’abord elle permet une analyse du discours politique : déclarations rhétoriques — « L’avenir de l’Irak appartient au peuple irakien » au moment où l’on vient de modifier profondément cet avenir par une intervention militaire, « un gouvernement représentatif qui respectera les droits de l’Homme et de l’État de droit » après une invasion non légalisée par l’ONU !, « protéger les ressources naturelles de l’Irak… uniquement à son profit », quand il s’agit de protéger l’approvisionnement américain en hydrocarbures et éviter le contrôle de ces ressources par un État ennemi des ÉtatsUnis —, et reprise d’un argument qui était déjà utilisé pour justifier la mise en place des mandats (« aider le peuple irakien à mettre en place ses propres institutions politiques », comme s’il ne l’avait pas déjà fait). Document 5 Une nouvelle stratégie d’intervention américaine Ce document permet d’insister sur un point très important : la privatisation de la guerre. Ce qui est considéré traditionnellement comme une caractéristique du Moyen Âge occidental (la dévolution du pouvoir régalien de faire la guerre à des seigneurs privés) est en fait l’évolution majeure récente aux 180 États-Unis. Pour le grand sociologue Max Weber, l’État a le monopole de la violence légitime. Or on voit, au début du XXIe siècle, l’État renoncer à ce monopole au profit d’entreprises privées de professionnels de la guerre, en fait des mercenaires. Les dangers de cette situation sont énormes quand il y a opposition entre les intérêts privés et ceux de l’État commanditaire. Cette situation découle du discrédit à propos de l’État, considéré, en particulier par les idéologies de l’école de Chicago, comme un parasite entravant la bonne marche du libéralisme économique. L’aire d’action de la puissance publique diminue (santé, retraite, justice) en même temps que ses revenus (baisse des impôts sur les personnes et sur les sociétés), et progressivement même des domaines aussi cruciaux que l’énergie, l’eau, la santé, l’armée sont abandonnés aux intérêts privés dont le profit est le seul principe d’action (cf. André Comte-Sponville, Le Capitalisme est-il moral ?, Albin Michel, rééd. Le Livre de Poche, 2006). tionales en 1991, anglo-américaines en 2003 !) qu’est justifiée l’invasion de l’Irak en 2003. 5. La diversification de l’approvisionnement en matières premières, l’indépendance énergétique des États-Unis et la certitude qu’aucune puissance ne pourra utiliser l’arme énergétique contre les États-Unis ou l’Europe conduisent les grandes puissances consommatrices à intervenir dans la région. 6. L’intérêt est grand en termes de responsabilité d’État : la mort d’un mercenaire travaillant dans une troupe privée n’a pas le même impact aux États-Unis que la mort d’un soldat officiel. En outre, l’État américain peut dégager sa responsabilité s’il y a des bavures. Enfin l’utilisation de troupes privées a les avantages et les inconvénients de la sous-traitance : dès la guerre finie, on cesse de payer le prestataire. En revanche, il faut continuer à payer les pensions des soldats de l’armée régulière, les pensions de guerre en cas de blessures, les indemnités à la famille en cas de décès. L’inconvénient, c’est que l’utilisation d’un sous-traitant coûte à court terme beaucoup plus cher, car les mercenaires prennent des assurances privées pour couvrir les risques qu’ils encourent. Paradoxalement les troupes privées américaines de Blackwater étaient beaucoup mieux armées et équipées que les troupes régulières. 7. Il y a eu de manière évidente un vaste mouvement d’indépendances nationales, mais paradoxalement, la fragmentation de la région en de nombreux États, voulue par les anciennes puissances coloniales, a affaibli la région et a favorisé l’émergence de nouvelles formes de dépendance : économiques et politiques. Réponses aux questions 1. Croissance du chiffre d’affaires (multiplication par 3 en moyenne) et concentration sont les deux phénomènes majeurs affectant les compagnies pétrolières au début du XXIe siècle. 2. Le chiffre d’affaires de certaines compagnies pétrolières est plus élevé que le budget de la France. Il faut faire attention que le chiffre d’affaires désigne l’ensemble des ventes au cours d’une année (de biens et de services), alors que le budget de la France correspond à l’ensemble des recettes et des dépenses de l’État français. Les deux éléments ne sont pas vraiment comparables, terme à terme, mais le rapprochement donne une idée de la puissance financière des compagnies pétrolières. 3. Ces compagnies étant des multinationales, même si à l’origine se trouvent souvent des compagnies nationales, on peut imaginer le « lobbying » qu’elles peuvent exercer sur des gouvernements pour la défense de leurs intérêts, les moyens financiers qu’elles peuvent utiliser pour influencer tel ou tel vote dans des assemblées (en particulier aux États-Unis où c’est une pratique courante et légale). 4. C’est au nom de la libération et de l’indépendance du peuple irakien, du respect des droits de l’Homme, de l’État de droit, et de la reconstruction du pays (détruit par les armées interna- pages 274-275 LEÇON 3 États et sociétés au Moyen-Orient Cette leçon brosse un tableau des enjeux actuels à l’échelle régionale et nationale. Ce ne sont plus les concurrences ou les ingérences internationales que vont concerner les études, mais les tensions locales. Il s’agit de voir comment le caractère récent des États de la région, et la rapidité relative à l’échelle historique avec laquelle ces États sont apparus, se heurtent à des évolutions beaucoup plus lentes de la structure des populations. Le passage de structures impériales relativement souples, s’accommodant de frontières labiles, comportant d’im181 portantes populations nomades, à des États fragmentés, aux frontières délimitées avec précision, a été brutal, alors que c’est un processus qui a pris plusieurs siècles en Europe occidentale. Ce processus a plusieurs conséquences : déplacement de populations, existence de nombreux réfugiés, contestation de frontières inter-étatiques, revendications nationales, occupations de territoires, concurrences pour le contrôle des ressources en eau (doc. 2) ou en matières premières. Les systèmes politiques de ces nouveaux États sont souvent le fruit de compromis (doc. 1), mais ils ne tiennent bien souvent que par la force. Le « printemps arabe », qui se déclenche en Tunisie révèle les tensions sociales au sein de tous les pays arabes, voire plus largement. La Tunisie n’est pas au Proche-Orient ou MoyenOrient, mais c’est un État arabe, qui entretient des liens forts avec cette région. On peut rappeler que c’est à Tunis que Yasser Arafat s’est établi de 1982 à 1994 après avoir été chassé du Liban, ce qui valut à la Tunisie d’être bombardée par l’aviation israélienne en 1985. Le focus particulier sur les questions israélo-arabe et israélo-palestinienne est abordé dans ce chapitre en tant qu’emblématique de tensions qui existent partout dans la région (cf. les deux doubles-pages d’étude qui suivent), comme l’y invitent les documents d’accompagnement du programme. Réponses aux questions 1. On trouve des dictatures et des démocraties, des monarchies ou des régimes présidentiels, des systèmes communautaires, religieux ou laïc. 2. Le trait commun est le rôle de l’armée, de la police et des services de renseignements, comme acteur important de la vie politique. 3. On peut avancer plusieurs raisons : l’ingérence internationale permanente et la volonté d’indépendance conduisent à un rôle important de l’armée, la diversité des populations (langue, religion), ainsi que le rôle des familles et des rapports informels de clientèle. Document 2 La question de l’eau Cette carte est destinée à compléter la question des hydrocarbures dont les enjeux sont surtout internationaux. La question de l’eau est locale, et pourtant elle fait l’objet de compétitions très violentes. En effet, les cours d’eau servent non seulement à l’agriculture et à l’approvisionnement des villes, mais aussi la force motrice de l’eau sert à la production d’hydro-électricité. La construction de barrages pour la production d’électricité a aussi des conséquences sur les possibilités d’irrigation en aval. Entre Israël et la Palestine, l’eau est un enjeu important, et la carte montre d’une part comment les autorités israéliennes accaparent les ressources en eau du Jourdain, d’autre part l’importance du Golan comme château d’eau. Document 1 États et systèmes politiques au Moyen-Orient Ce tableau un peu complexe, et qu’il n’est pas question d’expliquer en détail, est destiné à montrer justement la complexité et la diversité des structures étatiques apparues au XXe siècle au Proche et Moyen-Orient : monarchies, républiques, régimes présidentiels ou partis uniques, systèmes religieux ou laïcs. « Élections plébiscitaires » désignent des élections où il n’y a qu’un seul candidat, le dictateur, qui obtient généralement un score de plus de 90 %. On notera, dans un certain nombre d’États, l’importance des services de renseignements et de la police pour le contrôle des populations, dans d’autres la possibilité d’alternances politiques (Iran, Turquie, Jordanie), c’est-à-dire une forme de démocratie dans des systèmes très différents des démocraties occidentales, enfin le fait que le pouvoir est souvent le fait de coalitions ou de compromis (entre clientèles, minorités ethniques ou religieuses). Réponse à la question 4. La répartition des ressources en eau est un enjeu politique car elle permet le développement de l’agriculture, ou au contraire sa disparition, et par voie de conséquence la disparition des agriculteurs qui ne peuvent survivre sans elle. La maîtrise des ressources hydriques ou hydrauliques constitue un moyen de contrôle des populations. Document 3 À l’origine du Printemps arabe : la révolution tunisienne L’extrait de presse présenté donne quelques éléments d’explication de l’explosion tunisienne, véritable catalyseur qui a provoqué en chaîne les révolutions réussies de nombreux pays arabes et les mouvements de contestation réprimés dans de nombreux autres. Le terme de « despote » renvoie 182 à la nature dictatoriale du régime tunisien. Après avoir déposé Bourguiba, le chef d’État qui avait dirigé la Tunisie depuis l’indépendance en 1956, Ben Ali a été sans discontinuer le président autoritaire du pays de 1987 à 2011. Alors que Bourguiba avait été un président autoritaire, certes, mais aussi un véritable réformateur, Ben Ali et son entourage ont exercé un pouvoir de nature mafieuse en éliminant toute opposition par la violence et en parasitant l’économie du pays. Syndicats et partis d’opposition ont été réduits au silence pendant plus de deux décennies. Longtemps interdit, le parti islamiste Ennahda a tiré profit de son opposition au régime en obtenant la première place dans l’assemblée constituante élue après la fuite de Ben Ali. Les Kurdes n’ont jamais eu d’État. Saladin est un des Kurdes célèbres de l’histoire, puisqu’en 1187, ce prince d’Alep (en Syrie actuelle) avait réussi à reprendre Jérusalem, conquise par les Croisés en 1099. Auparavant, en 1171, il avait démis le souverain chiite fatimide du Caire au nom du calife sunnite abbasside de Bagdad. L’hypothèse de la création d’un État pour les Kurdes n’est pas nouvelle comme en témoigne la carte. Dès la fin de la Première Guerre mondiale, elle avait été émise. D’étendue symbolique à cette époque, les frontières de cet État hypothétique se sont élargies pour englober l’ensemble de la population kurde dans le projet de l’ONU de 1945. Finalement cet État n’a pas vu le jour et les Kurdes se sont retrouvés répartis majoritairement entre quatre États : la Turquie (15 millions), l’Iran (7 millions), l’Irak (5 millions) et la Syrie (1 million). C’est en Turquie qu’un mouvement nationaliste puissant s’est développé, le PKK (« Parti des travailleurs du Kurdistan »), créé en 1978 et fermement réprimé par le pouvoir militaire d’Ankara. Il existe en outre une diaspora kurde dans les pays industrialisés. Réponse à la question 5. Répression, contrôle de l’opinion, corruption, écarts de richesse expliquent la révolution intérieure en Tunisie et dans les différents pays arabes. C’est le suicide d’un jeune homme à Sidi Bouzid au centre de la Tunisie, et la répression qui s’ensuit, qui déclenche le vaste mouvement de contestation des régimes en place, qu’on a appelé le « Printemps arabe ». Document 2 L’immigration juive en Palestine avant 1940 pages 276-277 ÉTUDE Un phénomène particulier concerne les populations juives. La communauté juive, présente depuis des siècles dans toutes les parties de la région, a été grossie en Palestine par des vagues (aliyah = « montée ») d’immigration croissantes depuis la fin du XIXe siècle. N’est mentionnée dans le document que la période entre les deux guerres mondiales. On y voit comment évolue l’équilibre entre population juive immigrée et population arabe, avec toutes les tensions que cela peut engendrer. En effet les nouveaux arrivants, qui viennent principalement d’Europe où l’antisémitisme devient virulent avec l’arrivée au pouvoir des nazis (cf. le nombre de migrants lors de la 5e aliyah), achètent des terres grâce aux aides que leur fournit l’Organisation sioniste mondiale (1922-1929), puis, à partir de 1929, par l’Agence juive qui fonde sur place une armée, la Haganah. Des territoires occupés, des frontières contestées Cette double-page permet d’évoquer les différents problèmes que suscite l’apparition de structures étatiques dans une région où les populations sont mélangées, d’un point de vue linguistique, religieux et « ethnique ». Les problèmes d’inadéquation entre les frontières nationales et les groupes linguistiques, religieux ou culturels, et de déplacement, libre ou le plus souvent forcé, de populations, déplacement débouchant parfois sur des formes de « purification ethnique », ainsi que la situation difficile des réfugiés et les occupations de territoires vont être abordés ici. Document 1 Les Kurdes, un peuple sans État On compte aujourd’hui entre 25 et 37 millions de Kurdes répartis entre différents États. Les Kurdes parlent une langue indo-européenne de la branche iranienne pour laquelle ils utilisent les alphabets arabe, cyrillique, persan et latin, et sont majoritairement musulmans sunnites, avec des minorités juives, chrétiennes, chiites, alévies et yézidies. Document 3 L’immigration en Israël depuis 1948 La carte met en relief l’origine des immigrants juifs en Israël à partir de 1948, date de la fondation de l’État par Ben Gourion. Les premiers arrivants sont les juifs d’Europe de l’Est qui ont survécu aux 183 camps de concentration, puis, au fur et à mesure des indépendances en provenance des anciennes colonies françaises du Maghreb et plus généralement des pays arabes, où ces communautés existaient depuis près de deux mille ans. L’affirmation du nationalisme arabe a rendu la cohabitation difficile comme en Égypte. Pour autant, dans ces régions, c’est moins la persécution qui pousse les juifs à l’émigration, que l’espoir d’une vie meilleure dans un État qui serait le leur. Enfin, la disparition de l’URSS provoque l’arrivée en Israël de près d’un million de juifs russes. Cette émigration s’explique d’un côté par l’antisémitisme très fort dans les anciennes provinces de l’Empire soviétique, d’un autre côté par la situation économique catastrophique de l’Union soviétique alors que le gouvernement israélien accorde des aides financières très importantes à ces immigrants pour favoriser le ratio entre juifs et non-juifs dans le pays. Document 6 Chypre divisée L’exemple de Chypre est important. Il est utilisé pour montrer que les frontières entre le Proche et Moyen-Orient et l’Europe ne sont pas évidentes. La République chypriote grecque, dirigée par un président communiste, fait partie de l’Union européenne depuis 2006. Une partie de son territoire est occupée par la Turquie depuis 1974. L’opération Attila a provoqué un vaste déplacement de population : jusque-là Chypriotes turcs et grecs vivaient mélangés comme en témoigne la répartition des points bleus et verts. Après l’invasion turque, les Chypriotes turcs se sont réfugiés au nord, cependant que les Chypriotes grecs fuyaient au sud. La capitale Nicosie est partagée en deux, avec un no man’s land géré par des troupes de l’ONU. La République chypriote turque du Nord n’a été reconnue que par la Turquie et la question chypriote est l’un des obstacles majeurs à l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne. Document 4 Une réfugiée palestinienne Réponses aux questions 1. Kurdes et Palestiniens constituent deux peuples sans État. 2. La population de la Palestine mandataire s’est fortement accrue dans l’entre-deux-guerres par l’immigration massive de juifs en provenance d’Europe. Les juifs représentaient environ 10 % de la population totale en 1919, et près de 30 % en 1940. 3. La création de l’État d’Israël a provoqué l’émigration massive des juifs des autres pays du Proche et Moyen-Orient et simultanément une immigration importante dans le nouvel État d’Israël. 4. La conséquence majeure de la guerre et des tensions entre Arabes et Israéliens est l’exil de nombreux Palestiniens qui se réfugient dans les pays voisins par peur des persécutions. 5. La colonisation des territoires par des immigrés (en provenance du monde pour Israël et les Territoires occupés, en provenance de Turquie pour Chypre-Nord) et l’exil de nombreux réfugiés accompagnent l’occupation des territoires au Proche et Moyen-Orient. 6. Il est difficile de généraliser tant les situations sont diverses, mais on assiste par endroits à des phénomènes de « purification ethnique », par déplacement forcé de population. Ce témoignage d’une réfugiée montre, pour les populations palestiniennes locales, le revers de la médaille que constitue la proclamation de l’État d’Israël pour les juifs. La précarité de la vie des réfugiés, installés dans des habitats temporaires, souvent détruits en raison des guerres répétées entre pays arabes et Israël, l’éclatement des familles dans les différents États de la région, la difficulté de la vie dans les camps sont décrits comme une fatalité, le cycle routinier de pénibles et lentes constructions, suivies d’inévitables destructions et massacres. Document 5 La dispersion des Palestiniens en 1993 Ce document complète le précédent. Il distingue d’un côté les Palestiniens qui vivent en Israël (avec la nationalité israélienne et un statut un peu particulier) ou dans les Territoires Occupés, et les réfugiés qui se répartissent dans pratiquement tous les pays de la région, avec de fortes concentrations en Jordanie, au Liban et en Syrie. La case « reste du monde » révèle l’apparition d’une « diaspora » palestinienne, dont quelques noms sont célèbres comme Edward Said, un grand intellectuel palestinien, américain, d’origine chrétienne (né à Jérusalem en 1935-mort à New York en 2003, auteur d’un ouvrage célèbre : L’Orientalisme, Seuil, 1980). 184 d’une guerre qui allait naturellement déboucher sur leur victoire. En fait, cette version n’est pas conforme à ce qui s’est passé comme l’ont montré nombre d’historiens israéliens récemment. Le plan Daleth dressé par la Haganah, l’armée juive d’indépendance, en mars 1948 pendant la première guerre de Palestine, est un plan d’opérations militaires dont l’objectif, en prévision des attaques arabes, est d’éviter aux Israéliens la présence d’Arabes en trop grand nombre. Quelques massacres et des mesures d’intimidation ou de terreur, conduisent au départ des familles arabes qui allaient finir dans des camps de réfugiés sans jamais revoir leurs terres ou leurs maisons. La question palestinienne est née. 7. Le « droit au retour » revendiqué par les réfugiés palestiniens se heurte au fait que depuis des années, voire des décennies d’occupation, des personnes occupent les maisons et les terres d’origine des réfugiés. Une des solutions pour ce droit au retour serait d’accepter le principe d’une indemnisation, pour éviter de nouvelles spoliations et de nouveaux traumatismes. pages 278-281 ÉTUDE La question palestinienne A. LA DIFFICILE NAISSANCE DE L’ÉTAT D’ISRAËL L’étude consacrée à la « question palestinienne » se divise en deux parties chronologiques. La première intitulée « La difficile naissance de l’État d’Israël » décrit les conditions concrètes de l’apparition de ce nouvel État qui dut affronter à plusieurs reprises les États arabes voisins. On peut parler pour cette époque qui s’étend de 1948 à 1967 de question « israélo-arabe », même si le problème palestinien sous-jacent est déjà très important avec la question des réfugiés et de l’équilibre démographique entre juifs et non-juifs en Israël. La deuxième époque commence en 1967, lorsque l’État d’Israël envahit ce qu’on appelle dorénavant les « Territoires occupés » (Cisjordanie, Gaza et Golan). Document 3 Document 1 De 1948 à nos jours, l’histoire de l’État d’Israël est une succession de guerres avec ses voisins. En 1948 et 1973, ce sont les Arabes qui ont l’initiative, mais les autres guerres ont été décidées par Israël pour défendre ses intérêts ou s’étendre territorialement. En 1956, la nationalisation du canal de Suez par Nasser, le président égyptien, provoque l’attaque des Français, des Britanniques et des Israéliens. C’est l’intervention conjointe des Américains et des Soviétiques qui interrompt l’offensive. En 1967, les Israéliens lancent une opération « préventive » qui débouche sur l’occupation du Golan (Syrie), de la Cisjordanie (Jordanie), de Gaza et du Sinaï (Égypte). En octobre 1973, durant la fête du Kippour, Syriens et Égyptiens attaquent Israël par surprise pour tenter de récupérer les territoires occupés par Israël depuis la guerre précédente. C’est un échec tant la supériorité militaire d’Israël est grande, mais l’attaque non prévue par Israël ni par ses services secrets provoque un électrochoc dans le pays qui se rend compte de sa vulnérabilité et s’oriente dès lors encore plus dans une course à l’armement. La naissance de la question palestinienne Pour les Palestiniens, la proclamation d’indépendance de l’État d’Israël et la guerre qui s’en est suivie sont la Nakba, la « catastrophe ». Plus de 500 villages arabes sont détruits ou dynamités par les Israéliens, provoquant la frayeur et le départ de très nombreux habitants qui se réfugient dans les pays voisins pour éviter les ravages de la guerre et les massacres. La Cisjordanie, la bande de Gaza, le Liban et la Syrie sont les principales destinations de ces réfugiés. Document 4 Les guerres israélo-arabes La première guerre israélo-arabe (1948-1949) Le premier plan de partage de la Palestine par l’ONU en 1947 est refusé par les Arabes de Palestine. Aussi Ben Gourion proclame-t-il unilatéralement l’indépendance de l’État d’Israël en 1948. Cette décision provoque alors la réaction des États arabes voisins nouvellement indépendants (Syrie, Liban, Irak, Égypte, Jordanie) qui refusent cette amputation de leurs territoires respectifs. La guerre dure plus d’un an et débouche sur la victoire des troupes israéliennes, mieux équipées et mieux entraînées que les armées arabes. Document 2 Expulsion ou départ volontaire ? Durant toute la guerre de 1948-1949, les populations civiles de Palestine ont souffert des affrontements. Selon la version officielle israélienne, les populations arabes ont déserté leurs terres, en cédant aux sirènes des pays arabes voisins qui leur auraient promis un retour rapide au pays à l’issue 185 de l’intégrité territoriale des États qui la composent. Elle ne pouvait donc accepter l’invasion et l’occupation israélienne de territoires jordaniens, syriens et égyptiens. Elle exige donc le retrait des forces israéliennes et la mise en place d’un traité de paix qui garantisse la circulation des personnes et des biens dans la région. La formulation adoptée permet d’exiger non seulement d’Israël le retrait des territoires conquis, mais aussi des pays arabes la reconnaissance de l’État d’Israël. L’envoi d’un représentant spécial est la première tentative internationale pour le règlement de la question des réfugiés palestiniens de 1948, et pour l’évacuation des territoires occupés par Israël. La mission du représentant de l’ONU n’a eu aucun effet. Réponses aux questions 1. Le plan de partage de l’ONU de 1947 ne satisfaisait personne, et les Arabes vivant en Palestine le refusent fermement en prenant les armes. 2. Les tensions entre juifs et non-juifs en Palestine commencent entre-deux-guerres. Pourtant la création de l’État d’Israël et la guerre qui s’ensuit débouchent sur l’exil d’une grande partie de la population arabe qui fuit les combats et les massacres perpétrés par les troupes armées israéliennes. 3. En 1948 apparaît la question des réfugiés palestiniens, déracinés et hébergés dans des camps dans les pays voisins. Mais en 1967, la question palestinienne change de nature puisque des territoires peuplés de Palestiniens et de réfugiés sont occupés par Israël à l’issue de la Guerre des Six-Jours. 4. Refusée par les populations arabes locales, l’indépendance de l’État d’Israël est immédiatement menacée par les États arabes voisins qui refusent de voir leur territoire amputé au profit d’un État dont une grande partie des habitants proviennent d’Europe. Les Arabes de la région voient Israël comme une nouvelle colonisation européenne après la période des mandats. Document 6 Le terrorisme, arme des nationalistes Ce tableau chronologique montre comment le terrorisme et les assassinats plus ou moins ciblés ont été depuis 1946 l’arme des nationalistes de tous bords, juifs ou palestiniens. Les organisations armées juives, Haganah, groupe Stern, n’ont pas hésité à commettre des assassinats ou des actions terroristes pour chasser les Britanniques de Palestine, ou pour contester la politique de paix d’Israël (assassinat d’Yitzhak Rabbin, 1995). Du côté palestinien, devant l’incapacité de l’ONU à faire respecter le droit international, et considérant que l’État d’Israël est une entité étrangère au Proche-Orient, des organisations clandestines se lancent dans une politique d’actions spectaculaires contre les intérêts ou les représentants d’Israël (JO de Munich, ou compagnie aérienne El Al) : détournement d’avions, prises d’otages, attentats, assassinats se multiplient alors. En raison du soutien que certaines organisations juives européennes ou américaines apportent à Israël, ce sont parfois les juifs dans leur ensemble, même s’ils n’ont aucun lien avec Israël, qui sont pris pour cibles et font les frais, en Europe, du conflit israélo-palestinien (magasin Tati de la rue de Rennes, rue des Rosiers à Paris). B. L’ÉVOLUTION DU COMBAT DES PALESTINIENS : DU TERRORISME À LA BATAILLE JURIDIQUE Cette double-page traite de la deuxième période, celle qui débute avec l’occupation de la Cisjordanie, de Gaza et du Golan en 1967. La question palestinienne change alors d’échelle et de nature. Il ne s’agit plus seulement du règlement du problème des réfugiés chassés de leurs terres en 1948, mais de l’occupation et de la colonisation de territoires où la population locale arabe a accueilli en 1948-1949 des réfugiés en provenance de régions incluses dorénavant dans l’État d’Israël ! Document 5 La résolution 242 de l’ONU Document 7 Cette résolution 242 de l’ONU adoptée en 1967, après l’invasion israélienne de la Cisjordanie, de Gaza, du Sinaï et du Golan est la base de toutes les négociations de paix depuis plus d’un demi-siècle. L’Organisation des Nations Unies qui a reconnu la proclamation de l’État d’Israël en 1949, à la différence des États arabes de la région, est la garante Prise d’otages aux Jeux Olympiques de Munich L’analyse de Jean Daniel, au lendemain du massacre des athlètes israéliens lors des Jeux Olympiques de Munich de 1972, met en relief tous les enjeux du conflit israélo-palestinien. L’Europe, et tout particulièrement l’Allemagne, a été le théâtre (et l’acteur) de la politique d’extermination des juifs, mise 186 coulant au XXe siècle de la fragmentation des empires ottoman et coloniaux. La très grande majorité des membres de l’ONU ont reconnu cet État dont la légitimité a été reconnue à l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la culture). C’est le droit de veto, dont les États-Unis font souvent usage en faveur de l’État d’Israël, qui a empêché jusqu’à aujourd’hui la reconnaissance de l’État de Palestine par l’ONU. en œuvre par les nazis, mais relayée un peu partout par des acteurs locaux. Si les juifs ont pratiquement disparu d’Europe de l’Est, exterminés dans les camps pour la plupart, ou partis après la guerre en Israël ou aux États-Unis, ils constituent en France la deuxième communauté juive hors d’Israël après les États-Unis. Jean Daniel rappelle les liens entre judaïsme et Israël, entre mémoire de la Shoah et existence d’Israël, entre culpabilité européenne (« messe expiatoire », « encore mal ») à propos de la politique d’extermination et l’attitude ambiguë de la communauté internationale à l’égard de l’État d’Israël. Il rapproche aussi la diaspora palestinienne de la diaspora juive. L’attentat contre les athlètes israéliens en est symboliquement d’autant plus violent : il transgresse un des éléments fondateurs de l’esprit des Jeux Olympiques : la trêve pour le sport, et il a lieu en Allemagne où a été conçue la politique d’extermination nazie. Document 10 Les Palestiniens demandent un État reconnu par l’ONU Cet article de presse du 14 septembre 2011 analyse la future demande de reconnaissance d’un État par les dirigeants palestiniens et les risques que celle-ci représente pour l’État d’Israël. Cette reconnaissance aurait en effet un impact symbolique et juridique très fort. Dorénavant, ce ne serait plus une organisation politique qui porterait ses revendications, mais les représentants d’un État légitime et les membres de l’ONU, au premier rang desquels les États-Unis, auraient du mal à ne pas soutenir les droits de cet État sous peine de discréditer l’institution internationale. Document 8 Colonisation israélienne en Cisjordanie L’occupation des territoires palestiniens à partir de 1967 s’accompagne d’une active politique de colonisation. De nouveaux villages juifs, entourés de barbelés et de tours de surveillance, sont créés aux dépens des Palestiniens, qui sont expulsés de leurs terres et de leurs maisons, le plus souvent dynamitées. La Cisjordanie, comme on peut le voir sur la carte, est un territoire morcelé où, depuis les années 1990 et le processus d’Oslo qui a vu la reconnaissance de l’État d’Israël par l’OLP et inversement la création de l’Autorité palestinienne, se chevauchent des territoires gérés par celle-ci, par l’armée israélienne, ou par les deux autorités conjointes. Il n’existe pas d’armées palestiniennes mais seulement des forces de police. Tout est fait par Israël pour favoriser les colonies qui ont des voies d’accès spécifiques, permettant à leurs habitants de circuler facilement, cependant que la vie est rendue impossible aux Palestiniens qui doivent affronter les barbelés, les routes de contournement, les barrages de police et les contrôles incessants des autorités israéliennes qui cherchent à prévenir toute tentative d’attaque contre les citoyens israéliens. Réponses aux questions 5. D’un problème de réfugiés, on passe à une occupation de territoires, non reconnue par l’ONU, par des forces armées qui défendent l’implantation dans ces régions de colonies de peuplement. 6. Pour attirer l’attention sur la situation en Palestine, des organisations politiques paramilitaires palestiniennes se lancent dans des actions terroristes internationales, visant des intérêts israéliens ou soi-disant israéliens. 7. Guerres rangées, résistance armée, terrorisme, à l’échelle locale ou internationale, bataille juridique et lobbying sont les différents modes de développement du conflit entre Israéliens et Palestiniens depuis 1948. 8. Après une phase où dominaient les actions terroristes (détournements d’avions, prises d’otages, assassinats, attentats), les Palestiniens ont porté leur combat sur le terrain juridique avec une intervention croissante dans les grandes institutions internationales. 9. Alors que pour l’instant seule la résolution 242 de l’ONU condamne Israël pour l’occupation des territoires, une série de plaintes pourraient Document 9 Vers la reconnaissance d’un État palestinien ? Malgré la spécificité de la question palestinienne, la reconnaissance d’un État de Palestine s’intègre dans le mouvement général des indépendances dé187 par les États-Unis, et l’alignement de la Jordanie et de l’Irak sur ces derniers, la Syrie et l’Égypte s’unissent en 1958 en une République Arabe Unie, approuvée à 92 % par referendum, avec Le Caire pour capitale et Nasser comme dirigeant. Cette union suscite un grand espoir dans les pays arabes de la région et les populations se révoltent contre les autorités en place, ce qui provoque l’intervention de l’armée américaine au Liban, et britannique au Yémen. La RAU disparaît en 1961. être portées devant le tribunal international pour condamner diverses pratiques de l’État d’Israël, pratiques contraires aux conventions de Genève et à la Charte des droits de l’Homme (emprisonnements sans jugement, exécutions sommaires, dynamitage de maisons individuelles, représailles massives, blocus économique, colonisation des Territoires Occupés, torture). pages 282-285 Document 1 ÉTUDE Un nationalisme arabe laïc au milieu du XXe siècle Du nationalisme aux identités religieuses Ces deux doubles-pages portent sur l’évolution du nationalisme proche et moyen oriental. Dans le contexte de la Guerre froide et jusqu’à la fin des années 1970, les revendications d’indépendance jouaient sur la concurrence entre les États-Unis et l’Union soviétique et s’exprimaient à travers une rhétorique nationale, non religieuse. Or la révolution islamique d’Iran en 1979 et l’effondrement de l’Union soviétique en 1990 voient progressivement l’émergence de revendications religieuses. Comme l’a par exemple expliqué Gille Kepel, les discours religieux ont prospéré sur l’échec des discours nationalistes, panarabes notamment. C’est au nom d’identités religieuses que certains conflits se déroulent et que la quête de l’indépendance est menée. Le parti baath (« renaissance ») a été fondé en Syrie en 1947 par Michel Aflak, un chrétien orthodoxe, Salah al-Dîn al-Bitar, un musulman sunnite et Zaki al-Arzûzî, un alaouite. Ce parti est laïc (art. 10), pan-arabe (art. 7), socialiste (art. 6) et progressiste (art. 12). Il prône l’union des États arabes (art. 6b), la lutte contre les puissances coloniales (art. 6a) qui occupent encore un certain nombre de régions arabes (au Maghreb et dans la péninsule Arabique en particulier). Il prône une réforme de l’État pour promouvoir la démocratie et lutter contre la corruption (art. 6c). Il s’inscrit dans la continuité de la révolte arabe de 1916 qui avait vu ses espoirs d’indépendance déçus par l’établissement des mandats français et britanniques. L’article 10 établit concrètement la laïcité en ne mentionnant comme critère d’appartenance à la nation arabe que la langue, la terre et la volonté. Le parti Baath syrien a essaimé en Irak. C’est de lui que se réclame le régime syrien actuel des Assad et que se réclamait le régime de Saddam Hussein en Irak, même si l’objectif initial des fondateurs a été dévoyé et que ni la démocratie, ni la lutte contre la corruption ne sont parvenues à s’imposer. A. LE NATIONALISME ARABE C’est principalement autour de l’Égypte et de la personnalité de Gamal Abdel Nasser qu’ont lieu les principales initiatives arabes après la Seconde Guerre mondiale. L’Égypte est alors le cœur démographique, intellectuel, géographique et politique du monde arabe. Souvent progressiste, socialiste et laïc, le mouvement nationaliste arabe est aussi internationaliste. Il défend l’idée de l’existence d’un peuple arabe qui transcende les frontières des différents États. Les slogans sur l’« unité arabe » fleurissent partout dans les pays arabes de la région, même si la concurrence est vive entre ces pays. C’est au nom de l’indépendance de la nation arabe que des solidarités apparaissent dans les différents conflits opposants des États arabes aux puissances européennes ou occidentales. Nasser soutient les nationalistes algériens et palestiniens dans leur lutte pour l’indépendance. Pour contrer le Pacte de Bagdad de 1955 entre l’Irak, la Turquie, le Pakistan, l’Iran et le Royaume-Uni, bientôt rejoints en 1958 Document 2 La crise de Suez L’épisode de la nationalisation du canal de Suez et l’attaque franco-britannico-israélienne ont largement contribué à la gloire de Nasser qui s’est imposé dans le monde arabe comme un héros arabe affrontant seul les Grands de l’époque. La victoire des troupes franco-britanniques fut une victoire à la Pyrrhus, puisque l’intervention des deux Grands imposant l’arrêt de l’intervention militaire consacre l’affaiblissement historique de la France et de la Grande-Bretagne. 188 4. L’action de Nasser s’inscrit dans le vaste mouvement des indépendances qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Même si Nasser a pris quelques décisions importantes, son action a été essentiellement symbolique ; il a montré qu’une autre voie que la soumission aux grandes puissances était possible. En même temps, l’exercice autoritaire du pouvoir de sa part a conduit à l’échec de la République Arabe Unie. 5. Avec Nasser disparaît un personnage incarnant les rêves d’unité du peuple arabe, le dernier grand leader charismatique défenseur du nationalisme arabe. Document 3 Nasser, héros du nationalisme arabe Les extraits de la notice nécrologique rédigée par le grand journaliste anti-colonialiste Jean Lacouture deux jours après la mort de Gamal Abdel Nasser dressent un rapide bilan de l’action du Raïs (« Le Président »). Les intervenants dans l’opération militaire sont désignés par leur capitale respective (Londres, Paris, Tel Aviv, dont il faut rappeler que c’est aujourd’hui encore la seule capitale de l’État d’Israël, qui tente en vain depuis 1967 de faire reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État, pour entériner l’occupation de Jérusalem-Est). Casablanca (Maroc) représente le point le plus occidental du monde arabe et Aden (Yémen), une autre extrémité. B. LA CONFESSIONNALISATION DES IDENTITÉS ET DES CONFLITS Document 4 À partir de la révolution islamique d’Iran en 1979 et surtout de l’effondrement de l’Union soviétique, les partis socialistes ou communistes au Proche et Moyen-Orient perdent toute influence. L’opposition aux régimes dictatoriaux en place, les revendications nationalistes et la lutte contre la corruption adoptent alors une rhétorique religieuse. Malgré de nombreuses résistances, cette tendance affecte toutes les sociétés proche et moyen orientales. Nasser soutient la cause palestinienne Cette photographie, prise au Maroc en 1969, illustre le propos précédent. On y voit Nasser partager une boisson avec Yasser Arafat, devenu au début de l’année le dirigeant officiel de l’Organisation de Libération de la Palestine, créée en 1964. Document 5 Les funérailles de Nasser L’image des funérailles de Nasser permet d’évoquer la figure de héros populaire que ce personnage a pu représenter pour les Égyptiens, pour les Arabes de manière plus générale. Au centre d’une foule d’hommes se trouve le cercueil ballotté au gré des mouvements de la foule. Les rares soldats sont totalement débordés par la vague populaire. Cette image anticipe celles qui ont pu être vues lors des funérailles de Yasser Arafat en 2004 à Ramallah en Cisjordanie. Document 6 Un nationalisme islamiste, le Hamas Pendant près de deux décennies, le mouvement national palestinien a été incarné par l’OLP avec Yasser Arafat à sa tête. Chassé du Liban par l’armée israélienne et par l’armée syrienne, Yasser Arafat se réfugie en Tunisie à partir de 1982. Dans les territoires occupés, son leadership apparaît lointain et son combat inefficace après la guerre du Liban menée par Israël. Apparaît alors un nouveau mouvement de résistance nationale, dont la création est favorisée par Israël qui y voit un moyen de marginaliser Yasser Arafat et l’OLP dont la légitimité internationale s’est progressivement imposée. Le Hamas, dont l’acronyme en arabe signifie « Le mouvement de résistance islamique », se rattache aux Frères musulmans, un courant de réislamisation et de réforme des mœurs, fondé en Égypte en 1928 par Hassan al-Bannâ’. Le Hamas refuse de reconnaître la légitimité de l’existence de l’État d’Israël qui s’étendrait sur des terres considérées comme islamiques (plutôt qu’arabes). Il s’inscrit dans la continuité de la grande révolte arabe de 1936-1939 contre l’occupant britannique et contre l’immigration juive en Palestine (art. 7). Grâce à l’intégrité Réponses aux questions 1. C’est l’identité arabe (langue, terre, appartenance) qui est au centre de la Constitution du parti Baath. 2. Aucune religion n’est mentionnée. Non seulement les fondateurs du parti sont de religions différentes, mais ils valorisent l’identité arabe plutôt que la religion. 3. Nasser s’est imposé comme leader du monde arabe en nationalisant le canal de Suez, s’opposant aux puissances coloniales françaises et britanniques, en soutenant le mouvement national palestinien et les indépendantistes algériens. 189 de ses dirigeants et à son action sociale locale en faveur des pauvres, des femmes, des orphelins, le Hamas, classé comme organisation terroriste par Israël et les États-Unis, a gagné en 2006 les élections législatives en Palestine, ce qui a provoqué une grave crise politique dans les Territoires occupés. Document 7 incarnait cette diversité. La guerre civile qui a lieu entre 1975 et 1990 a conduit à des formes de « purification ethnique et religieuse ». La comparaison des deux cartes révèle la disparition des rares quartiers mixtes, ou leur réduction, et la disparition des îlots musulmans dans Beyrouth-Est (partie traditionnellement chrétienne de la ville), ainsi que des camps de réfugiés palestiniens. Israël, « État juif » Document 10 Depuis quelques années, un courant essaie de marginaliser la minorité arabe d’Israël. Cette minorité de citoyens arabes (18-20 % de la population israélienne) est considérée comme une cinquième colonne et des partis extrémistes israéliens réclament leur expulsion. C’est dans cette optique que s’inscrit le projet de constitutionnaliser le caractère juif de l’État d’Israël. Cette idée est soutenue par le gouvernement de droite au pouvoir en Israël. L’article présenté du quotidien Ha’Aretz, connu pour ses positions de gauche en faveur de la paix entre Israéliens et Palestiniens, présente le point de vue laïc opposé à la confessionnalisation de l’État. Une vision exclusivement « religieuse » du monde… Les origines de l’organisation terroriste al-Qaida remontent à la guerre menée par les Afghans contre les troupes soviétiques qui ont envahi le pays en 1979. Soutenus, armés et financés par les Américains, des mujâhidîn (combattants de la foi) arrivent en Afghanistan depuis de nombreux pays musulmans pour lutter contre les communistes athées soviétiques. Parmi eux, probablement Oussama Ben Laden, héritier d’une riche famille saoudienne. Après l’effondrement de l’URSS, les ÉtatsUnis abandonnent les mujâhidîn qui se retournent alors contre leurs anciens parrains. Dès 1993 a lieu un attentat, revendiqué par le mouvement, contre le World Trade Center à New York. Les idéologues du mouvement ont proclamé le djihad (la « guerre légale », c’est-à-dire au regard du droit islamique) contre les Américains et leurs alliés israéliens, sous prétexte qu’ils occupent les lieux saints de l’Islam, en Arabie Saoudite et en Israël. On lit, sous-jacente à la rhétorique religieuse (« croisés-sionistes », « musulmans »), une critique économique et financière de la politique américaine de contrôle des ressources en hydrocarbures des pays du Proche et Moyen-Orient. Ces ressources du sous-sol sont considérées comme un cadeau de Dieu. Document 8 L’Iran condamne à mort Salman Rushdie En 1989, après dix ans d’exercice du pouvoir en Iran et à l’issue d’une guerre de huit face à l’Irak arabe et baathiste, l’ayatollah Khomeiny prononce une consultation juridique (fatwa) condamnant à mort l’écrivain britannique Salman Rushdie pour la rédaction d’un ouvrage considéré comme blasphématoire : Les Versets sataniques. Cette décision est révolutionnaire du point de vue droit musulman car elle étend le champ de compétence des docteurs de la loi musulmane à des personnes citoyens d’États laïcs, situés hors des territoires considérés comme musulmans. Elle intervient dans le contexte d’une compétition entre l’Arabie Saoudite (sunnite) et l’Iran (chiite) pour représenter l’islam comme force politique dans le monde. À la suite de cette fatwa, Salman Rushdie a dû vivre en clandestinité pendant de nombreuses années. Document 11 …et ses effets Après la disparition de l’Union soviétique, l’unilatéralisme et l’omni-puissance des États-Unis cristallisent tous les ressentiments dans les sociétés des pays en voie de développement. Oussama Ben Laden apparaît pour de nombreux musulmans comme un héros chargé de les venger de leur misère, se dressant seul, faible, pauvre, face au géant américain. L’attentat que le dirigeant d’al-Qaida (le « Front islamique mondial du djihad contre les juifs et les croisés ») organise contre le World Trade Center le 11 septembre 2001 est perçu comme la juste Document 9 La confessionnalisation au Liban Comme on l’a vu dans les précédentes études, la société libanaise est composée d’innombrables communautés linguistiques, religieuses, culturelles et sa constitution reconnaît ce caractère composite en organisant la représentativité d’un point de vue religieux. Beyrouth, la capitale libanaise 190 l’ensemble des pays arabes, en débouchant parfois sur la chute des dictateurs locaux, dément l’image d’immobilisme des sociétés du Proche et MoyenOrient. Bien souvent la rhétorique religieuse adoptée par les hommes politiques a masqué les évolutions profondes des sociétés de la région. revanche des dommages causés par les nombreuses interventions militaires américaines partout dans le monde. Même si toutes les autorités religieuses musulmanes condamnent fermement cette action terroriste, le commanditaire de cet attentat spectaculaire dont la cible était hautement symbolique, puisqu’il s’agissait de deux tours portant le nom de « Centre du Commerce Mondial », est célébré par la population de nombreux pays musulmans. Document 1 Géographie des événements La carte montre l’extension du « Printemps arabe » qui a fait vaciller, voire tomber, de nombreux régimes, qui se serrent les coudes. L’intervention saoudienne à Bahreïn est à cet égard caractéristique, alors que la monarchie saoudienne était affectée aussi par le mouvement : les chiites des zones pétrolières et les femmes y ont manifesté pour exiger une réforme des institutions et des pratiques politiques. Après la chute de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Égypte, le renversement de Kadhafi en Libye par les troupes européennes, et le départ du président Saleh du Yémen, c’est Bachar al-Assad qui doit affronter une révolte de pans entiers de la population. La répression menée par le régime est en train de conduire le pays à la guerre civile. Réponses aux questions 6. On assiste progressivement à un abandon du nationalisme, laïc, et du pan-arabisme d’un côté, au profit de revendications et d’arguments religieux. Ce mouvement affecte aussi la société israélienne où certaines voix réclament une confessionnalisation de l’État israélien et la proclamation de son caractère juif. 7. Si l’État d’Israël se définit comme État juif, cela va créer deux catégories de citoyens, ceux qui sont juifs et ceux qui ne le sont pas et en outre cela nuit à la liberté de l’ensemble des citoyens qui risquent d’être contraints d’obéir à des lois de nature religieuse, alors qu’ils sont agnostiques ou athées. 8. L’intérêt de cette décision est de marginaliser les populations arabes d’Israël et de rendre plus difficile la solution d’un État unique pour les juifs et les Arabes. 9. C’est dans un contexte de guerre civile qu’on assiste à une homogénéisation religieuse des quartiers de la capitale libanaise. 10. Les messages de l’imam Khomeiny, puis d’Oussama Ben Laden s’adressent aux musulmans du monde. 11. Progressivement, ces dernières années, tous les conflits sont réduits à leur seule dimension religieuse, alors qu’ils recouvrent bien d’autres dimensions. pages 286-287 Document 2 Démographie et politique Document 3 Alphabétisation et fécondité Ces deux documents ont l’intérêt de montrer la complexité des phénomènes et les liens existant entre structures familiales et politiques, et alphabétisation. L’alphabétisation des hommes, puis des femmes avec quelque retard, conduit à l’augmentation du taux d’activité féminine (traditionnellement très bas dans les sociétés arabes, iranienne et turque) et en même temps au contrôle de la natalité. La maîtrise du corps, de la sexualité et de la reproduction par la femme, ce dont témoigne l’effondrement des indices de fécondité dans tous les pays du monde, se traduit par une évolution des équilibres et des tâches au sein des familles. Ce processus a des conséquences politiques : avec moins d’enfants, les familles ont des attentes supérieures pour les générations futures. Elles sont attentives à l’éducation, à la santé, à la sécurité et à la justice sociale. Elles tolèrent d’autant moins l’iniquité et l’arbitraire de systèmes non démocratiques où domine la corruption. ÉTUDE « Printemps arabe » et « Indignés » Les analystes et « spécialistes » des relations internationales ont le plus souvent été naïfs face à l’essor de la rhétorique religieuse et ils ont eu tendance à enfermer l’ensemble du monde musulman dans une identité religieuse qui aurait tout expliqué. La vigueur du mouvement qui débute à la fin de l’année 2010 en Tunisie et s’étend rapidement à 191 jusqu’aux indépendances récentes, et la nature autoritaire de tous les régimes en place (malgré de nombreuses différences). 5. De manière générale, les pouvoirs en place ont tendance à réprimer les manifestations. Pourtant leur ampleur a conduit à l’exil de Ben Ali en Tunisie, à l’arrestation de Moubarak et de sa famille en Égypte, à l’exécution de Kadhafi en Libye et au départ de Saleh au Yémen. En revanche, la répression est violente au Bahreïn, en Arabie Saoudite et surtout en Syrie. 6. Ce vaste mouvement révèle la conscience et la maturation politiques des populations et des sociétés du Proche et du Moyen-Orient. Document 4 Les manifestations d’« Indignés » en Israël Le Printemps arabe se conjugue en fait à l’échelle planétaire avec une « indignation » face aux excès du capitalisme et aux inégalités croissantes entre pauvres et riches. Alors que la sécurité d’Israël et les différents conflits étaient considérés par le gouvernement israélien comme la préoccupation principale de la population du pays, l’ampleur des manifestations d’« indignés » a surpris le gouvernement, dans un système politique qui, quoique démocratique, a laissé la corruption se répandre. Document 5 Le Koweït touché par le « Printemps arabe » Une des caractéristiques du « Printemps arabe », c’est qu’il ne recouvre plus seulement des contestations de nature sociale et économique, comme il y en a eu de nombreuses dans les différents pays arabes, en période de crise. Le Koweit est un des États les plus riches du monde, où la pauvreté concerne uniquement la main-d’œuvre étrangère immigrée cantonnée aux tâches domestiques (femmes de ménage, nounous, etc.) ou techniques (ouvriers spécialisés). Or même dans ce contexte, la population s’est levée et a manifesté pour obtenir une réforme du système en exigeant plus de démocratie et une participation croissante à la vie politique du pays. page 288 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Réponses aux questions 1. Tarik Aziz est d’origine catholique chaldéenne. Il est le ministre des Affaires Étrangères de 1983 à 1991 et le Vice-Premier ministre de Saddam Hussein. C’est donc lui qui est chargé de gérer l’« affaire du Koweit », c’est-à-dire la préparation de l’invasion de ce pays par l’Irak, à l’échelle internationale. C’est un acteur de tout premier plan, engagé dans les événements. En même temps, il présente et défend le point de vue officiel de l’État irakien. 2. La disparition de l’URSS et la période d’instabilité que celle-ci inaugure, ainsi que la nouvelle donne stratégique internationale, font penser aux dirigeants irakiens que l’invasion du Koweit ne suscitera pas de réaction d’importance. Réponses aux questions 1. L’alphabétisation et l’évolution démographique des pays arabes rendent insupportables la corruption et le manque de démocratie. Responsabilisés au niveau individuel, les citoyens supportent mal d’être dépourvus de tous droits au niveau politique. 2. Ces deux mouvements contestent le mode de fonctionnement des sociétés et remettent en cause le partage des richesses, la corruption et l’ensemble du système social. 3. La lutte contre la corruption, pour un fonctionnement plus démocratique des régimes politiques et un partage plus équitable des richesses animent ces mouvements. 4. Finalement tant le discours nationaliste pan-arabe, que la rhétorique islamiste, ont contribué à favoriser la « contagion », de même que l’histoire partagée, depuis la colonisation page 289 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Réponse à la question Les étoiles rouges symbolisent les conflits au Proche et Moyen-Orient. Le tracé des frontières, la localisation des gisements d’hydrocarbures, la répartition du peuplement kurde, le nombre des réfugiés palestiniens et la localisation des lieux saints du judaïsme, du christianisme et de l’islam permettent d’expliquer géographiquement les différentes tensions. 192 THÈME 4 Les échelles de gouvernement dans le monde, de la fin de la Seconde Guerre mondiale (15-16 heures) à nos jours point du programme L’étude des échelles de gouvernement dans le monde vise à analyser les évolutions des pouvoirs, du niveau étatique au niveau mondial, depuis 1945. La question première qu’elle pose est celle de la place de l’État-nation, forme d’organisation politique apparue à la fin de l’époque moderne en Europe et impliquant un découpage du monde en une mosaïque d’entités territoriales sur lesquelles chaque État exerce sa souveraineté. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le nationalisme ayant été rendu responsable du conflit, l’État-nation n’est plus considéré comme étant capable d’assurer une paix durable et un ordre économique stable. Ainsi, sont apparus le projet d’une Europe politique et celui d’une gouvernance économique mondiale. Il s’agit d’analyser dans quelle mesure ces deux nouvelles échelles de gouvernement du monde ont remis en cause la souveraineté de l’État-nation. Question 1 : L’échelle de l’État-nation Mise en œuvre Gouverner la France depuis 1946. État, gouvernement et administration. Héritages et évolutions. Question 2 : L’échelle continentale Mise en œuvre Le projet d’une Europe politique depuis le congrès de La Haye (1948). Question 3 : L’échelle mondiale La gouvernance économique mondiale depuis 1944. • Sur le projet politique européen Marie-Thérèse Bitsch, Le Couple franco-allemand et les institutions européennes, Bruxelles, Bruylant, 2001 Marie-Thérèse Bitsch, Histoire de la construction européenne, Éditions Complexe, 2003 Gérard Bossuat, Les Fondateurs de l’Europe unie, Belin, 2001 Bernard Bruneteau, Histoire de l’idée européenne au premier XXe siècle à travers les textes, Armand Colin, 2006 Elisabeth du Réau, L’Idée d’Europe au XXe siècle. Des mythes aux réalités, Bruxelles, Éditions Complexe, 1996 Jean-Michel Guieu, Christophe Le Dréau, Jenny Raflik, Laurent Warlouzet, Penser et construire l’Europe (1919-1992), Belin, 2007 bibliographie • Sur la gouvernance en France Philippe Bezes, Réinventer l’État, les réformes de l’administration française (1962-2008), PUF, 2009 François Burdeau, Histoire de l’administration française du XVIIIe au XXe siècle, Montchestien, 1994 Jean Garrigues, Sylvie Guillaume, Jean François Sirinelli (dir.), Comprendre la Ve République, PUF, 2010 Pierre Ronsavallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Le Seuil, 1990 Dominique Schnapper, La Communauté des citoyens, Gallimard, 2003 Michelle Zancarini, Christian Delacroix, La France du temps présent, 1945-2005, Belin, 2010 193 Jean-Michel Guieu et Christophe Le Dréau (dir.), Le Congrès de l’Europe à La Haye (1948-2008), Bruxelles, éd. Peter Lang, 2009 Robert Frank, « L’histoire de l’Europe : l’histoire d’un problème et une histoire du temps présent », dans Vingtième siècle. Revue d’histoire, juillet-septembre 2001 Bertrand Laude, L’Europe en construction depuis 1945, Ellipses, 2004 Wilfried Loth (dir.), La Gouvernance supranationale dans la construction européenne, Bruxelles, Bruylant, 2005 Gilbert Noël (dir.), Penser et construire l’Europe (1919-1992), Atlande, 2007 François Roth, Robert Schuman. Du Lorrain des frontières au père de l’Europe, Fayard, 2008 • Sur la gouvernance économique mondiale Jean-Christophe Graz, La Gouvernance de la mondialisation, La Découverte, 2008 Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours. Le Seuil, 2009 « Mondialisation, une gouvernance introuvable », dans Questions internationales, n°46, mai-juin 2010 Jacques Mistral (dir.) Le G20 et la nouvelle gouvernance économique mondiale, PUF, 2011 Philippe Norel, L’Invention du marché, une histoire économique de la mondialisation, Le Seuil, 2004 Nouriel Roubini et Stephen Mihm, Économie de crise, Jean Claude Lattès, 2010 Joseph Stigltiz, Le Rapport Stiglitz. Pour une vraie réforme du système monétaire et financier international, Les Liens qui libèrent, 2010 Sitographie • Sur l’État en France Le site de l’Assemblée nationale : www.assemblee-nationale.fr Le site du Sénat : www.senat.fr Le site de l’ENA présente les anciens élèves, son histoire… : www.ena.fr Le site du ministère de l’Intérieur met en ligne les textes et des dossiers sur la décentralisation : www.interieur.gouv.fr Le site institutionnel de la Réforme de l’État : www.modernisation.gouv.fr • Sur la construction européenne Le site de l’Union européenne (voir notamment l’espace Enseignants) : europa.eu Le site du Conseil de l’Europe : www.coe.int Le site de la Fondation Schuman : www.robert-schuman.eu Le CVCE, plateforme multimédia sur l’Europe (nombreux documents iconographiques notamment) : www.cvce.eu • Sur la gouvernance économique mondiale Le site de la Banque mondiale : www.banquemondiale.org Le site du FMI : www.imf.org Le site de la Réserve fédérale américaine (en anglais) : www.federalreserve.gov Le site de l’OMC : www.wto.org Le site du G20 de Los Cabos (Mexique), juin 2010 (en anglais et espagnol) : www.g20.org 194 CHAPITRE 9 Gouverner la France depuis 1946 L’État-nation, modèle d’organisation politique, est le produit d’une longue construction historique (cf. introduction de chapitre, p. 298-299) marquée par l’étape fondamentale de la Révolution française. Après 1945, cet État-nation a été renforcé par la mise en place de l’État-providence et par les politiques keynésiennes qui privilégient l’échelle de l’économie nationale, d’autant plus que l’échelle nationale triomphe avec la disparition de l’empire colonial. Mais depuis les années 1970, les fondements de l’État-nation ont été remis en cause par la crise de l’État-providence et par la mondialisation. Dans le même temps, les évolutions sociales et culturelles ont contribué à transformer l’idée de nation. La question de l’État en France est centrale car c’est lui qui a construit la nation. Cette spécificité explique en partie pourquoi la remise en question du rôle de l’État peut y provoquer des résistances et susciter une crise d’identité. Dans cette perspective, ce chapitre vise à comprendre les conceptions de l’État et de son rôle, de sa manière de gouverner le pays, d’exercer son autorité et de prendre ses décisions face à la société française et à son évolution. Ainsi, il s’agit d’analyser le rôle de l’État dans la construction du sentiment national par sa politique scolaire, l’instauration du suffrage universel ou encore du service militaire obligatoire ; les concepts d’égalité, d’intérêt général, de recrutement au mérite sont autant d’éléments d’identité nationale, héritage du XIXe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, le lien social est renforcé par la mise en place de l’État-providence qui étend ses missions dans le domaine de la santé, de la sécurité sociale, du travail, de l’éducation, mais aussi de la culture. D’ailleurs, plusieurs gouvernements tentent d’apaiser les tensions sociales, particulièrement après les événements de mai 1968 : la nouvelle société de Jacques Chaban-Delmas par exemple. D’autre part, par ses politiques keynésiennes adoptées à la Libération, l’État est aussi devenu un acteur économique majeur. Par les nationalisations après la Libération, la création du commissariat au Plan en janvier 1946, l’État se présente comme le principal promoteur de la modernisation du pays. La Ve République n’est pas en reste, et l’État gaulliste se veut entrepreneur, favorisant la concentration des entreprises et lançant de grands programmes industriels (nucléaire, aérospatial ou informatique). Autre héritage de l’histoire de la construction étatique, la centralisation administrative (ou jacobinisme) doit également faire l’objet d’une analyse. L’expansion administrative se poursuit après la Seconde Guerre mondiale et s’accompagne d’une accentuation de la rationalisation de l’administration avec la création de l’École nationale d’administration (ENA) en 1945 et le statut de la fonction publique en 1946. Elle renforce l’influence des hauts fonctionnaires. La IVe République voit l’apparition des hauts fonctionnaires caractérisés par leurs compétences administratives et techniques, les technocrates. Ils investissent les sommets de l’État sous la Ve République (ainsi Valéry Giscard d’Estaing est le premier énarque élu président de la République). Leur influence contribue au renforcement de l’exécutif. À partir des années 1970, l’État est remis en cause par la mondialisation et la construction européenne qui réduit la souveraineté nationale dans le domaine économique. L’État cesse de s’identifier à l’intérêt général et est accusé d’être inefficace et coûteux. Il n’est plus la solution, mais le problème. Ainsi, l’État abandonne une partie de ses compétences : mouvement de privatisations d’entreprises publiques à partir de 1986, mais aussi politique de décentralisation qui permet à l’État de déléguer certaines de ses charges aux collectivités locales à partir des lois Deferre de 1982-1983. Pour autant, ce retrait de l’État français n’est pas linéaire, car il a suscité et suscite aujourd’hui encore des résistances (les résultats aux référendums sur l’Europe ont prouvé par exemple qu’une partie importante des Français reste attachée à la souveraineté de l’État). Il faut donc nuancer le recul de l’État. Son poids reste considérable, comme l’indique par exemple le poids des prélèvements obligatoires depuis 30 ans. L’État continue de jouer un rôle majeur, y compris dans 195 l’économie, et il a réorienté son action vers de nouveaux domaines comme l’environnement. Son activité législative et réglementaire s’est étendue. Cela correspond à une demande de la population qui, tout en demandant plus d’efficacité à l’État, attend toujours de lui une protection, ce qu’on appelle l’État de « rassurance ». pages 296-297 OUVERTURE DE CHAPITRE Le 7 septembre 2007, Nicolas Sarkozy a donc tenu le Conseil des ministres dans une salle de la préfecture de Strasbourg. L’objectif affiché est de montrer un pouvoir exécutif proche du peuple qui se déplace sur le terrain. Cet événement est donc avant tout symbolique, dans un pays où la centralisation du pouvoir est souvent dénoncée. Document 1 1946 : la Sécurité Sociale est instaurée par la loi Il s’agit ici de revenir sur une décision phare de la IVe République, héritage du gouvernement provisoire de la République française. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Conseil national de la Résistance intègre à son programme « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ». Le plan est mis en œuvre par les ordonnances d’octobre 1945. La Constitution de la IVe République crée dans son préambule une obligation constitutionnelle d’assistance financière de la collectivité envers les citoyens. La mise en place de la Sécurité sociale symbolise l’État-providence dans une France en grande difficulté économique aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale (destructions, problèmes de logements et de parc industriel, problème de transports). On peut noter sur cette photographie la foule présente à cette inauguration (visiblement ouvrière) et son attention aux explications du préposé à la Caisse de Stains, en banlieue parisienne. pages 298-299 INTRODUCTION Il s’agit ici de replacer la notion d’État-nation français dans un contexte long. Sous l’Ancien Régime : l’État moderne se constitue autour de la royauté L’Édit de Villers-Cotterêt rappelle le rôle fondateur de la royauté dans la construction d’une identité française administrative (par la mise en place d’une langue administrative commune). La royauté constitue le lien avec le document suivant. 1789 : une nation une et souveraine La Fête de la Fédération, qui regroupe tous les corps de la nation dans une unité indivisible, symbolise le rôle de la Révolution Française dans la construction nationale : les principes de la Révolution française, et surtout la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sont dorénavant incontournables. On retrouve les symboles révolutionnaires dans le document suivant. Document 2 2007 : premier Conseil des ministres délocalisé en région 1944 : la Libération nationale Cette affiche commémore la libération du territoire français en 1944 et met en exergue le principe de liberté et de souveraineté nationale. En effet, le rôle des alliés dans la libération du territoire est placé en périphérie du document (drapeaux), pour se concentrer sur l’idée d’une France libérée par elle-même (de Gaulle, Liberté menant le peuple). Le peuple est ici celui de la Résistance (notez la croix de Lorraine sur la veste du personnage à droite de la Liberté) au joug allemand (symbolisé par les fils barbelés qui rappellent les camps). Les symboles nationaux et révolutionnaires ponctuent le document : bonnet phrygien, cocarde tricolore, drapeau, autant de rappels de la Révolution fran- Ce document représente l’autre défi de l’État depuis 1945 : la décentralisation. En septembre 2007, pour la première fois depuis 1976, le Conseil des ministres ne se tient pas à l’Élysée, mais à Strasbourg. Chaque semaine, le Conseil des ministres réunit, sous la présidence du chef de l’État, tous les membres du gouvernement pour évoquer les projets de lois. Il se tient tous les mercredis matins au Salon Murat du Palais de l’Élysée. C’est Valéry Giscard d’Estaing, le premier, qui a eu l’idée de délocaliser le Conseil des ministres en province. Il l’a fait trois fois au début de son mandat (1974-1976) à Lyon, Evry et à Lille. Depuis 1976, tous les Conseils des ministres s’étaient déroulés à l’Élysée. 196 çaise (les couleurs bleu et rouge de Paris encadrant la couleur blanche de la royauté). Le général de Gaulle fait le lien avec le document suivant. Réponses aux questions 1. Les personnages incarnant le peuple n’ont pas de signes distinctifs personnels : ils sont unis dans la délivrance. Tout le peuple est libéré par Marianne, sans distinction sociale, ethnique, religieuse. 2. Les Droits de l’homme et du citoyen ; les principes de la IIe République de 1848 : liberté, égalité, fraternité. 3. Le texte fondateur est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. 1958 : la Ve République De Gaulle avait exprimé dès 1946 (discours de Bayeux) la volonté d’un exécutif fort. Cette volonté est appliquée en 1958 dans la rédaction de la constitution de la Ve République. On peut souligner le rôle majeur du président de la République, élu au suffrage universel direct qui nomme son Premier ministre (rôle secondaire) et peut dissoudre l’Assemblée nationale. Tout repose cependant sur la majorité à la Chambre (problème des cohabitations, d’où décision de passer au quinquennat). pages 300-301 Document 3 La majorité à 18 ans Cette photo a été prise dans un bureau de vote : ce jeune homme de 18 ans vote pour la première fois. Il faut faire remarquer tout ce qu’il incarne de la jeunesse des années 1970 : blouson en cuir, cheveux longs. LEÇON 1 Gouverner un État républicain Cette leçon évoque les principes républicains (doc. 2) qui caractérisent l’histoire de l’État en France depuis 1944 et la libération du territoire national (doc. 1). Elle revient donc sur les principes démocratiques (doc. 3 et 4), sur ce qu’on appelle un État de droit et sur la spécificité française d’un État républicain qui tente de poursuivre la construction de la nation (cf. introduction de chapitre). Document 4 Les référendums de la Ve République Les référendums, forme de démocratie directe, sont une spécificité de la Ve République qui les a multiplié. Toutefois, après l’échec de celui sur le traité européen, c’est un risque politique qui n’est plus pris par le Président. Il revient dans le débat actuel face à une certaine crise de représentativité que révèlent entre autres la forte abstention et les scores importants du Front national. Document 1 La Libération Ici, l’aide alliée disparaît totalement du document. La France, incarnée par Marianne, se libère seule dans une sorte de renaissance, tel un phénix renaissant de ses cendres, en soulevant la dalle du tombeau de la défaite (connotations chrétiennes, cf. Jugement dernier). Notez l’aspect famélique de la population dont les bras levés en forme de V de la victoire portent encore les liens de la soumission. Réponses aux questions 1. Un référendum est un appel au peuple français par un vote au suffrage universel direct : une proposition est faite aux citoyens qui doivent répondre par oui ou par non. 2. Politique intérieure (attention, l’Algérie était considérée comme faisant partie intégrante de la France) et territoriale (DOM-TOM) ; problèmes institutionnels (élections du président de la République, réforme du Sénat, mandat présidentiel) ; politique européenne (approbation des constitutions et traités européens). 3. Parce que la France renonce à une partie de sa souveraineté nationale dans le cadre de la construction européenne. Or, les citoyens sont les détenteurs de la souveraineté nationale et doivent donc valider ces renoncements. Document 2 Les principes républicains Il s’agit des préambules des deux constitutions qui caractérisent l’histoire française depuis 1946, la IVe et la Ve République (cf. pages de mise en contexte et rôle de la Révolution Française dans la construction de l’identité nationale). Le préambule d’une constitution énonce les principes qui ont guidé la rédaction du texte. Il a une très grande utilité pour les commentateurs constitutionnels qui, lorsque le texte manque de clarté, cherchent dans le préambule des éléments d’interprétation. 197 pages 302-303 ÉTUDE cas le 28 mai 1996, lorsque Jacques Chirac légitime sa décision de suspendre le service militaire. En fait, la France intervient militairement à travers le monde et ne peut mobiliser une force armée conséquente (500 000 hommes) sans faire appel aux appelés du contingent. Or, l’expérience de la guerre d’Algérie a été traumatisante et il semble difficile de faire accepter au peuple français la mobilisation de ses « jeunes » sur des champs d’opération militaires qui ne relèvent pas de la défense du territoire national. Il semble plus adéquat d’organiser une armée de métier. L’armée en France Cette étude vise à montrer le rôle que l’armée a pu jouer dans la construction de la nation française, et particulièrement le rôle du service militaire obligatoire. Il s’agit aussi de comprendre pourquoi la conscription a été suspendue en 1996, et donc quel rôle est désormais attribué à l’armée. Document 1 Chronologie du service militaire Un retour sur la chronologie propre au service militaire est nécessaire pour bien comprendre que l’armée a posé question à la République et qu’elle n’a cessé d’être l’objet de réflexions, décisions et réformes visant à l’adapter en permanence au contexte politique et social français. Document 5 Les nouvelles missions des forces armées françaises Il s’agit de montrer que l’armée n’a plus uniquement pour fonction la préservation de l’indépendance nationale et la protection du territoire national. Elle participe à des opérations militaires (en Afghanistan, par exemple) mais aussi à des opérations de maintien de l’ordre dans le cadre de l’ONU à travers le monde. Elle représente donc la France. Le Kosovo, territoire de la Serbie à forte population albanaise, est placé en 1999 sous administration de l’ONU en vertu d’une résolution des Nations unies suite aux violents conflits qui ont opposé les autorités serbes et les séparatistes albanais à la fin des années 1990 : une force de l’OTAN, la KFOR, assure la paix et l’ordre dans cette région. Faute de trouver un accord, les Kosovars déclarent unilatéralement leur indépendance en 2008. Document 2 Arrivée des appelés en Algérie en 1958 Pendant la guerre d’Algérie, qui n’est pas officiellement une guerre mais une opération de « maintien de l’ordre » sur le territoire français, les appelés du contingent devaient faire leur service militaire sur le territoire algérien (jusqu’à 500 000 appelés). Ils débarquaient avec tout leur « barda » de l’autre côté de la Méditerranée, dans une région dont ils ne savaient, la plupart du temps, que bien peu de chose, si ce n’est les informations relevant de la propagande coloniale. Document 3 L’indépendance militaire Document 6 De Gaulle donne à la France l’arme nucléaire en s’appuyant sur les recherches encouragées tout au long de la IVe République : en octobre 1945 est créé le Commissariat à l’énergie atomique. En février 1960 a lieu le premier essai français d’une bombe A à Reggane, dans le Sahara algérien. En 1963, le gouvernement français opte pour la réalisation de deux projets nucléaires : les missiles solsol à tirer d’un silo et les missiles mer-sol à tirer d’un sous-marin à propulsion nucléaire. Il s’agit de renforcer l’indépendance nationale (vis-à-vis des États-Unis) en déployant la force de frappe et de réplique nucléaire de la France. La Journée défense et citoyenneté Il s’agit de la page d’accueil du site internet du ministère de la Défense illustrant les Journées défense et citoyenneté qui ont remplacé le service militaire. Ces journées concernent les filles comme les garçons, à la différence du service militaire qui ne concernait les filles que si elles étaient volontaires. Elles participent à la construction de la citoyenneté (unité et non- discrimination). Réponses aux questions 1. L’armée est chargée de la défense du territoire national. Ses effectifs sont en très grande majorité issus des appelés du contingent. 2. Le service militaire est réduit mais surtout, de militaire, il devient national : l’objection de conscience et le service « scientifique » sont reconnus (il s’agit de tenir compte du Document 4 La fin du service militaire Le président de la République peut utiliser la télévision pour s’adresser aux Français sur un sujet particulièrement important (voir chapitre 4) : c’est le 198 droite). François Mitterrand ne démissionne pas et nomme Jacques Chirac Premier ministre. Or, le Président de la République préside le Conseil des ministres, d’où le paradoxe d’un Conseil des ministres présidé par un Président de la République opposé à ses projets de loi. Il faut aussi y voir la montée en puissance du Premier ministre aux dépens de Président avec une stricte répartition des rôles : affaires intérieures au Premier ministre et affaires extérieures au Président de la République. traumatisme qu’a pu représenter la guerre d’Algérie) et les femmes peuvent y participer dans un cadre non militaire (aide, coopération). Cette caractéristique s’accentue avec le service civil dans la police, puis le remplacement du Service de défense. 3. Il s’agit de professionnaliser l’armée et de supprimer le service militaire car Jacques Chirac considère que la conscription n’est plus adaptée aux exigences de modernité de l’armée : techniques qui demandent une formation spécifique par exemple, que le service militaire ne peut plus fournir. 4. Missions de maintien de l’ordre (pour éviter l’éclatement d’un conflit), missions humanitaires, missions de maintien de la paix. 5. Par la Journée de défense et citoyenneté qui s’adresse à tous. pages 304-305 Document 3 Le quinquennat Il s’agit de mettre fin au problème de la cohabitation (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002). En effet, Jacques Chirac a dissous l’Assemblée nationale en 1997 et les élections législatives ont donné la majorité à la gauche, d’où la nomination de Lionel Jospin comme Premier ministre. Il s’agit d’une décision qui vise à aligner sur le calendrier électoral les élections présidentielles et les élections législatives (qui ont lieu juste après). LEÇON 2 Document 4 L’évolution des institutions Organigramme du système judiciaire français Cette leçon évoque de manière thématique, mais en reprenant une trame chronologique, l’évolution des grandes institutions étatiques françaises : les pouvoirs exécutif (doc. 1, 2 et 3), législatifs et judiciaires (doc. 4) dont la séparation garantie l’État de droit. Le système judiciaire est organisé en deux ordres : l’ordre judiciaire (sous l’autorité de la Cour de cassation) divisé en juridictions civiles qui tranchent les litiges entre particuliers et juridictions pénales ou répressives qui répriment les atteintes des particuliers aux règles du droit ; l’ordre administratif (sous l’autorité du Conseil d’État) qui tranche les litiges liés aux activités de l’administration. La délimitation des compétences respectives entre les deux ordres est confiée au tribunal des conflits. Les citoyens peuvent procéder aux voies de recours de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire à un nouvel examen de l’affaire jugée, et passent donc devant les cours d’appel. Enfin, ils peuvent se pourvoir en cassation pour faire juger la régularité de la décision attaquée devant la juridiction le plus élevée, la Cour de cassation. Document 1 L’élection du Président au suffrage universel Le 20 septembre 1962, de Gaulle propose aux Français l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Réponse à la question Il s’agit pour lui de donner au Président de la République, chef de l’État, la légitimité suprême (comparable à celle de l’Assemblée nationale). Il n’en a pas ressenti le besoin pour lui-même car son rôle dans la Seconde Guerre mondiale et le fait qu’on l’ait appelé au pouvoir en 1958 constituent une légitimité à part entière. ÉTUDE Document 2 pages 306-307 La cohabitation Vers l’abolition de la peine de mort Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, l’Assemblée nationale est « opposée » au Président de la République (élections législatives de 1986 qui donnent la majorité absolue à la Cette étude ne vise pas seulement à évoquer l’abolition de la peine de mort en 1981. Il s’agit aussi de revenir sur une procédure institutionnelle longue et chaotique qui débouche sur l’abolition en 1981. 199 positionnent personnellement contre la peine de mort, ce qui va à l’encontre de l’opinion publique. Document 1 Le code pénal jusqu’en 1981 Extrait du code pénal à la veille de l’abolition. Depuis la Révolution française, les condamnés à mort sont guillotinés (invention de la Guillotine par le député Guillotin, adoptée alors pour « humaniser » la peine capitale en évitant la souffrance) ou fusillés en cas de crime de trahison (connotation militaire). Si une femme condamnée à mort est enceinte, cette condamnation ne concerne pas son enfant que l’on laisse naître avant d’opérer l’exécution capitale. Document 5 Le combat d’un ministre Le 26 août 1981, au lendemain de l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le Conseil des ministres approuve le projet de loi d’abolition de la peine de mort. Le 17 septembre 1981, Robert Badinter, garde des Sceaux et ministre de la Justice, présente le projet de loi à l’Assemblée nationale. Avocat, Robert Badinter avait commencé son combat contre la peine de mort en 1972 après l’exécution de Roger Bontems, complice de Claude Buffet qui, lors d’une prise d’otage à la prison de Clairvaux, avait assassiné une infirmière et un surveillant. Le fait de condamner à mort une personne qui n’avait pas tué avait scandalisé Robert Badinter. C’est pour cette raison qu’il accepta de défendre Patrick Henry, accusé de kidnapping et d’assassinat d’un enfant de 10 ans : il obtint que Patrick Henry échappe à la peine de mort et soit condamné en 1977 à la réclusion à perpétuité. Entre cette date et l’abolition, trois personnes furent exécutées en France. Document 2 La dernière exécution publique en 1939 Les exécutions sont publiques car il s’agit d’une justice populaire dont le peuple doit être témoin. La dernière exécution publique en France date du 17 juin 1939, lorsqu’Eugène Weidmann, surnommé le tueur au regard de velours, est guillotiné à Versailles. L’exécution se déroule dans des circonstances particulières : un retard de 45 minutes fait que le soleil est déjà bien haut quand Weidmann paraît, ce qui permet à des journalistes de prendre la plus importante série de photographies d’une exécution capitale (elle est également filmée). De plus, la foule qui assiste à l’exécution parvient à déborder le service d’ordre, et l’histoire raconte que certaines femmes hystériques se précipitent au pied de l’échafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du supplicié. Le gouvernement s’émeut de ces désordres et, le 24 juin, le président du Conseil Édouard Daladier promulgue un décret-loi abolissant les exécutions capitales publiques. Après cette exécution-spectacle, les condamnés à mort furent guillotinés dans l’enceinte des prisons à l’abri des regards de la foule. Document 6 Loi du 9 octobre 1981 Le projet de loi est d’abord présenté à l’Assemblée nationale qui vote « pour » le 18 septembre ; le 30 septembre, plusieurs amendements du Sénat sont rejetés et la loi est adoptée par les sénateurs ; puis la loi est promulguée le 9 octobre 1981. Elle est publiée au Journal officiel le lendemain : le Journal officiel de la République Française est le quotidien officiel édité par l’État français dans lequel sont consignés tous les événements législatifs (décrets, lois) car il faut qu’un texte soit connu pour être applicable (« nul n’est censé ignorer la loi »). Document 3 L’abolition reportée en 1978 Réponses aux questions 1. La mort, la réclusion à perpétuité, la détention criminelle à perpétuité, la réclusion criminelle à temps, la détention criminelle à temps. 2. La justice française est une justice populaire. Le public assiste donc aux exécutions capitales dont il est le témoin, et ce depuis l’Ancien Régime. 3. Le débat a lieu à l’Assemblée nationale mais aussi dans les médias français (journaux, télévision). Le débat a débuté dès le XVIIIe siècle. Dans un premier temps, la peine de mort est Dans le cadre des réformes du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, il fut tenté d’abolir la peine de mort par un processus indirect (arrêt du financement de la peine de mort). Il faut rappeler que la majorité des Français sont alors pour la peine de mort (cf. doc. 4). Document 4 L’opinion des candidats à la présidentielle (1981) En 1981, la peine de mort surgit au milieu de la campagne présidentielle. Les deux candidats se 200 écornée : la peine de mort pour crime politique est abolie en 1848, l’exécution n’est plus publique à partir de 1939, tandis que des propositions de loi d’abolition se succèdent jusqu’à la fin des années 1970. 4. Les deux candidats sont personnellement opposés à la peine de mort alors que l’opinion publique est majoritairement pour la peine capitale. 5. Robert Badinter est garde des Sceaux, ministre de la Justice. Raymond Forni est le rapporteur de la proposition de loi devant l’Assemblée nationale. 6. Le gouvernement propose un projet de loi d’abolition à l’Assemblée nationale qui vote ; puis le projet passe au Sénat pour débat et vote. La loi votée est ensuite publiée au Journal officiel pour être connue de tous les citoyens afin d’être appliquée. pages 308-309 Document 2 Les objectifs de l’ENA Ordonnance du 9 octobre 1945 qui crée l’École Nationale d’Administration. Document 3 Les serviteurs de l’État Il s’agit à travers ce document iconographique de comprendre le rôle de l’ENA comme école formatrice des futurs dirigeants français (ici Michel Rocard). On peut aussi noter la présence de femmes, certes encore largement minoritaire (10 présentes sur la photo contre 24 hommes). Document 4 Les énarques, futurs dirigeants DOC La comparaison des deux photos, qui ont près de 25 ans d’écart, est intéressante à plusieurs niveaux : comparaison du nombre d’élèves (en nette augmentation), alors que le ratio hommes/femmes est loin de s’être amélioré, nombre de personnes ayant fait une carrière notable en tant que dirigeants de l’État. ÉTUDE L’ENA, l’école de l’État Les différents documents, analysés individuellement mais aussi comparés les uns aux autres, visent à définir les fonctions de l’ENA, l’évolution de la place des énarques dans l’État français mais aussi les critiques qui remettent en question le fonctionnement de l’école et son rôle. Document 5 Les critiques de l’ENA L’ENA fait l’objet de réforme depuis les années 1990. Dans un premier temps, Édith Cresson, Premier ministre, décide du déménagement de l’école à Strasbourg en 1991 (il faut attendre 10 ans pour qu’une promotion fasse toute sa scolarité à Strasbourg). Ce déménagement représente un rapprochement symbolique de l’école avec les institutions européennes. Parallèlement, depuis les années 1960, l’ENA fait l’objet de critiques : on reproche aux énarques une pensée technocratique mais aussi à l’école de faire de la « reproduction sociale » (Pierre Bourdieu et JeanClaude Passeron, Les Héritiers, 1964). L’école fait même l’objet de critique de la part d’anciens élèves comme Jean-Pierre Chevènement, qui édite en 1967 L’énarchie ou les mandarins de la société bourgeoise. La critique de l’ENA participe aux interrogations sur la société française et sur le rôle de l’État (bureaucratie, centralisation) car nombre de ceux qui gouvernent la France sont énarques. Ainsi, lors de la campagne présidentielle de 2007, certains candidats comme François Bayrou proposent la suppression de l’ENA, mais la mesure semble impopulaire (d’après un sondage, seuls 27 % des sondés adhéraient à cette proposition). En janvier 2008, Nicolas Sarkozy remet en cause le principe du classement de sortie au nom de la promotion au mérite. Le 24 septembre 2008 Document 1 La nécessité de l’ENA Le projet de formation de l’ENA est conduit après la Libération par Michel Debré et Emmanuel Monick. Michel Debré, gaulliste et résistant, est chargé auprès du Gouvernement provisoire de la République française par le général de Gaulle d’une mission de réforme de la fonction publique, dans le cadre de laquelle il crée et rédige les statuts de l’ENA dont l’idée avait été formulée par Jean Zay avant-guerre. L’ENA est créée par l’ordonnance du 9 octobre 1945 (cf. doc. 2) par le Gouvernement provisoire de la République française. Michel Debré, alors maître des requêtes au Conseil d’État et commissaire de la République à Angers, assure provisoirement la direction de l’école. La création de l’ENA visait à renouveler la classe dirigeante tout en l’adaptant aux nouvelles fonctions de l’État. Le souhait d’ouverture des élites fut limité par l’instauration du concours, certes plus égalitaire, qui préserva le passage obligé préalable par Sciences Po. 201 VERS LE BAC COMPOSITION est annoncée la suppression du classement de sortie pour 2011 et son remplacement par un « dossier d’aptitude » complété d’un entretien de recrutement. En janvier 2012, le ministre de la Fonction publique, François Sauvadet, met en place une commission de réflexion sur le classement de sortie de l’ENA. Mais en février 2012, François Sauvadet annonce qu’il renonce à déposer un amendement au vote de l’Assemblée nationale visant à permettre la suppression du classement. On pourra souligner le retour en force des énarques au gouvernement avec l’élection de François Hollande à la présidence de la République. Problématique : en quoi l’ENA symbolise-t-elle l’évolution des rapports de la société et de l’État ? Plan possible I. Une école nécessaire à la restauration de l’État 1. Moderniser l’État et restaurer la confiance 2. Inciter les talents à entrer dans la haute fonction publique II. Une école de la haute fonction publique 1. Carrière des énarques 2. Évolution de la place des énarques dans la gouvernance de la France III. Une école critiquée qui peine à se réformer 1. Les critiques 2. Les réformes Réponses aux questions 1. L’ENA doit apporter une formation pratique et technique aux futurs hauts fonctionnaires, tout en veillant à maintenir un enthousiasme à participer à la fonction publique. 2. Il s’agit de reconstruire l’administration française malmenée par l’occupation allemande et la période de Vichy, de restaurer la confiance des citoyens dans cette administration vivement critiquée pour sa participation à Vichy, et enfin de moderniser cette administration en lui permettant de s’adapter aux évolutions de la société française et de l’État. 3. L’ENA est fondée par le Gouvernement provisoire de la République française. 4. Les énarques se destinent à la haute fonction publique : au Conseil d’État, à la Cour des comptes, aux carrières diplomatiques et préfectorales, à l’Inspection générale des finances, au corps des administrateurs civils. Mais surtout, certains se lancent dans une carrière politique qui les mène aux conseils généraux et régionaux, aux fonctions de secrétaires d’État, de ministres, voire de Premier ministre. 5. On reproche surtout à l’ENA d’être trop académique et pas assez technique et spécialisée. On lui reproche aussi son concours d’entrée, jugé trop élitiste. Élitisme que l’on reproche aussi au classement de sortie qui permet aux mieux classer de « choisir » les postes les plus prestigieux et qui fixe de manière quasi définitive leur place dans la haute fonction publique. 6. On propose une suppression du classement de sortie, un cursus plus spécialisé (avec cinq filières), un raccourcissement du cursus et une ouverture sur le monde de l’entreprise par des stages. En revanche, le concours d’entrée n’est pas réformé. pages 310-311 LEÇON 3 Le rôle économique et social de l’État Cette leçon revient sur le rôle de l’État-providence mis en place en 1945. Il s’agit aussi de comprendre comment l’État a participé à la modernisation de l’économie française. Enfin, il s’agit de comprendre les critiques et remises en question de cet Étatprovidence. Document 1 Le rôle de l’État pour de Gaulle Après s’être retiré du pouvoir en 1969, de Gaulle rédige ses Mémoires d’Espoir en deux volumes (il n’eut pas le temps de rédiger le troisième). Le premier volume présente les différents domaines que le général eut à gérer en tant que président de la République : institutions, outre-mer, Algérie, économie, Europe, relations avec le reste du monde. Rappeler qu’il faut être critique vis-à-vis du document. Document 2 L’État aménageur Le RER, Réseau express régional d’Île-de-France, est un réseau ferroviaire de transport en commun qui assure la desserte au sein de la ville de Paris et la liaison entre la ville et l’ensemble de la région francilienne. Un premier plan fut établi avant la Seconde Guerre mondiale. Ce plan est repris en 1950 par la RATP. Dix ans plus tard, la réalisation du projet de réseau express régional a été prise en main par un comité interministériel. La conception du réseau régional définitif est liée au premier schéma directeur d’aménagement de la région parisienne apparu en 1965. Il est prévu trois lignes 202 majeures. La construction de la première ligne est lancée en 1961 (étalée jusqu’en 1977) : la première station située place de la Nation est inaugurée le 12 décembre 1969 avant d’être ouverte au public quelques jours plus tard. mener cette mise à plat : que faisons-nous ? Quels sont les besoins et les attentes collectives ? Faut-il continuer à faire de la sorte ? Qui doit le faire ? Qui doit payer ? Comment faire mieux et moins cher ? Quel doit être le scénario de transformation ? Selon le gouvernement, le processus de réforme devait se traduire par 7 milliards d’euros d’économie d’ici 2011 (non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite entre 2009 et 2011 : un gain de productivité de 4 à 5 % de l’appareil d’État en était attendu). Dans ce document, Pierre Moscovici, député socialiste, fait un bilan critique de la RGPP et de ses résultats. Réponses aux questions 1. Le Président est seul, au premier rang, et la présentation s’adresse en premier lieu à lui, en tant que représentant de la souveraineté nationale et chef d’un État qui se veut modernisateur de l’économie. 2. Il s’agit d’améliorer les déplacements des citoyens et donc la situation économique de la France, plus particulièrement de la région parisienne. Réponses aux questions 1. L’objectif de la réforme est de limiter les sites judiciaires (en en supprimant certains) et de concentrer ces derniers dans des pôles (Le Havre, Évreux, Rouen, Dieppe). On notera d’ailleurs que la Haute Normandie du Nord, plus rurale, est celle qui voit disparaître le plus de tribunaux au profit des sites urbains. Il s’agit de faire des économies. 2. Pour Pierre Moscovici, il s’agit d’une déstructuration des services publics ayant pour but premier de faire des économies et réalisée dans l’urgence. Document 3 La réforme de la carte judiciaire de Haute-Normandie en 2010 La carte judiciaire (répartition des tribunaux en France) fait l’objet d’une réforme à partir d’octobre 2007 sous l’égide de la garde des Sceaux Rachida Dati. Face à l’opposition au projet initial des élus locaux et des professionnels de la justice, seuls 23 tribunaux de grande instance (juridiction de droit commun en première instance : il traite les litiges qui ne sont pas spécialement attribués à une autre juridiction) sont finalement supprimés, réduisant leur nombre à 158 (pour 101 départements), 178 tribunaux d’instance sur 473 (tribunaux d’exception de premier degré traitant certaines affaires de nature civile) et 55 tribunaux de commerce sur 191 sont également supprimés. Cette réforme visait à fusionner les tribunaux afin d’améliorer les délais de traitement des contentieux, de faciliter l’accès du justiciable à la justice par la concentration des effectifs de greffe et de mutualiser les ressources humaines et les moyens. Les opposants à cette réforme lui reprochaient de ne pas résoudre les problèmes de financement de la justice en France. pages 312-315 ÉTUDE État, économie et société Il s’agit ici de comprendre le rôle que l’État a pu jouer dans la modernisation de l’économie française pendant les Trente Glorieuses. L’étude vise aussi à analyser les critiques que l’État subit depuis les débuts de la crise économique dans les années 1970. A. UN ÉTAT INTERVENTIONNISTE Document 1 La Charte du Conseil national de la Résistance (mars 1944) Document 4 La RGPP vue par l’opposition À partir de 1942, le comité général d’étude du CNR mène une réflexion sur la politique économique. En janvier 1944, le bureau du CNR adopte à l’unanimité une Charte de la Résistance où les réformes de l’après-Libération sont évoquées dans un sens socialisant. Le texte final est adopté par le bureau du CNR le 15 mars 1944. C’est la deuxième partie que l’on désigne généralement sous le nom de « programme du CNR » et qui devient le guide des La révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée à l’été 2007 par le gouvernement consiste en une analyse des missions et actions de l’État, suivie de la mise en œuvre de projets de réformes structurelles. Il s’agit donc de réformer l’État, de baisser les dépenses publiques et d’améliorer dans le même temps les politiques publiques. En France, une grille de sept questions a été élaborée pour 203 réformes mises en œuvre par le gouvernement provisoire, et à partir du 21 octobre 1945, par les gouvernements bénéficiant du soutien d’assemblées législatives élues. matérialisent la Sécurité sociale. Lors de la création de la Sécurité sociale, il existait une caisse nationale unique pour les branches vieillesse, famille et maladie. Document 2 Document 4 Propositions au sujet du plan de modernisation et d’équipement (décembre 1945) Les nationalisations en France après 1945. Une nationalisation est un transfert de la propriété privée à l’État, une substitution de la propriété publique à la propriété privée. À la Libération, trois vagues de nationalisation se succèdent : – du 13 décembre 1944 au 16 janvier 1945 : le général de Gaulle nationalise, par ordonnances notamment, les houillères (14 décembre 1944) et Renault (16 janvier 1945, sans compensation financière pour collaboration avec l’ennemi) qui devient alors une régie ; – du 29 mai 1945 au 17 mai 1946 : par une série de lois, les transports aériens (juin 1945), la Banque de France et les quatre plus grandes banques françaises (2 décembre 1945) suivent. Après le départ du général de Gaulle, le gaz et l’électricité (loi du 8 avril 1945) et les onze plus importantes compagnies d’assurance (25 avril 1946) sont nationalisés ; – du 23 février au 16 juin 1948 : une troisième vague de bien moindre ampleur suit. La nationalisation des banques s’est effectuée de manière rapide, afin d’éviter des mouvements spéculatifs. Le projet de loi a été déposé le vendredi 30 novembre au soir, après la fermeture de la bourse, pour être voté le 2 décembre et publié au Journal officiel dès le lendemain. Des années 1950 à 1981, le secteur nationalisé change peu. En revanche, l’État accroît ses participations minoritaires dans un nombre important d’entreprises au cours de cette période. L’élection du Président de la République François Mitterrand s’accompagne d’une nouvelle vague de nationalisations indemnisées à hauteur de 39 milliards de francs. Ce plan de nationalisation figure au « programme commun de gouvernement » signé en 1972 entre le Parti socialiste, le Parti communiste français et les Radicaux de gauche et repris parmi les « 110 propositions » du candidat Mitterrand en 1981. La loi de nationalisation devient effective en février 1982 et touche de nombreux secteurs, particulièrement l’industrie (Thomson, Saint-Gobain Pont-à-Mousson, Rhône-Poulenc, Pechiney-Urgine-Kuhlmann, Sacilor, Usinor) et la finance (Paribas, Suez, CIC, Crédit du Nord, Crédit commercial de France, Banque Worms, Banque la Hénin…). En 1983, un salarié sur quatre travaille dans le secteur public. La planification en France, gérée par le Commissariat général du Plan, voit le jour en 1946 à l’initiative de Jean Monnet. Le Commissariat général au Plan fut créé le 3 janvier 1946 par le général de Gaulle. Il bénéficie alors d’une sorte d’unanimité nationale. Jean Monnet est le premier à occuper ce qu’il désigne lui-même comme « la fonction indéfinissable de Commissaire au Plan ». Le Commissariat général au Plan est composé de 160 personnes : 20 % de fonctionnaires et 80 % de chargés de mission contractuels. La planification française du commissariat au plan, à l’instar de celle mise en place par le régime de Vichy, est indicative et incitative, à la différence de la planification soviétique. Document 3 En 1957, un stand de la Sécurité sociale à Meaux Pendant la guerre, le Conseil national de la Résistance intègre à son programme « un plan complet de sécurité sociale » (voir doc. p. 296). Rapidement, la Constitution de la IVe République, adoptée par référendum, crée dans son préambule une obligation constitutionnelle d’assistance financière de la collectivité envers les citoyens, et notamment les personnes exposées aux risques sociaux les plus importants (mères, enfants, travailleurs âgés). Une fois que les principes de la Sécurité sociale sont créés, ils ont pu être élargis : – convention collective interprofessionnelle du 14 mars 1947 instituant le régime de retraite complémentaire des cadres ; – loi du 9 avril 1947 étendant la Sécurité sociale aux fonctionnaires ; – loi du 17 janvier 1948 instaurant trois régimes d’assurance vieillesse des professions non salariées non agricoles (artisans, professions industrielles et commerciales, professions libérales) ; – loi du 12 avril 1949 créant un régime d’assurance-maladie obligatoire pour les militaires et leurs familles ; – loi du 10 juillet 1952 instaurant un régime d’assurance vieillesse obligatoire des exploitants agricoles géré par la mutualité sociale agricole (MSA). Les « caisses » sont les organismes financiers qui 204 Document 5 B. UN ÉTAT MOINS INTERVENTIONNISTE ? Une économie mixte Document 6 Les entreprises nationalisées qui jouent la carte de l’économie mixte, en introduisant notamment des filiales sur le marché privé dès 1983, sont privatisées suite au retour aux affaires de la droite après leur succès aux élections législatives (16 mars 1986). C’est la première fois en France qu’un gouvernement pratique des « dénationalisations ». Le krach de 1987 met un terme à cette politique de privatisation. La réélection de François Mitterrand en 1988 donne naissance à la politique du « nini » : ni nationalisation, ni privatisation. En effet, François Mitterrand se fait le défenseur de l’Étatprovidence lors de la campagne présidentielle de 1988. Le poids des prélèvements obligatoires en France Les prélèvements obligatoires correspondent à l’ensemble des « versements effectifs opérés par tous les agents économiques au secteur des administrations publiques […] dès lors que ces versements résultent, non d’une décision de l’agent économique qui les acquitte, mais d’un processus collectif […] et que ces versements sont sans contrepartie directe », selon l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), à l’origine de cette notion. Il s’agit pour l’essentiel des impôts et des cotisations sociales. En France, le taux de prélèvements obligatoires s’établit à 42,5 % du PIB pour l’année 2010 (le PIB français était de 1 946 milliards d’euros en 2010), un des taux les plus élevés des pays de l’OCDE. Le taux de prélèvements obligatoires a fortement augmenté entre 1960 et 2010, passant d’environ 30 % du PIB à environ 45 %. Pour autant, on note une légère baisse depuis la fin des années 1990. Réponses aux questions 1. Ces deux documents ont été rédigés dans le contexte de la Libération nationale et sous la direction du Conseil national de la Résistance, puis du Gouvernement provisoire de la République française. 2. Il s’agit de récupérer les moyens de production utiles à la nation relevant de l’énergie, des richesses du sous-sol et des grandes banques. 3. La Sécurité sociale a pour fonction de protéger les citoyens exposés aux risques sociaux les plus importants et de fournir une retraite aux travailleurs âgés. 4. L’État participe au développement de la production et des exportations, à l’accroissement de la productivité, à la reconstruction afin de fournir des logements et au développement des emplois. 5. Une première série suit la Libération, tandis qu’une deuxième série correspond à l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand. Oui, puisque les entreprises de transport, de l’énergie et des banques sont les principales entreprises nationalisées. 6. Il s’agit d’une économie où l’État joue un rôle par les entreprises de secteur public mais qui compte aussi un secteur privé important. Il s’agit d’une association public/privé. Pour François Mitterrand, les entreprises privées ont besoin des résultats de la recherche scientifique et technique et l’État joue un rôle majeur dans la formation et la qualification de la maind’œuvre. Document 7 Réduire la fiscalité et les déficits Nommé Premier ministre par le nouveau Président Jacques Chirac le jour de son investiture, Alain Juppé prononce son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 23 mai 1995, autour du thème de la « bataille pour l’emploi ». Document 8 Un État moins interventionniste Discours de Jacques Chirac dans un contexte de cohabitation, dans lequel il redéfinit le rôle de l’État : il préfère l’État de « rassurance » à l’État-providence. Document 9 Les privatisations La France a connu une vague de privatisation d’entreprises publiques à partir de 1986 sous le gouvernement de cohabitation dirigé par Jacques Chirac. Certaines de ces privatisations concernaient des sociétés fraîchement nationalisées, comme Paribas ou Saint-Gobain, à la suite de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Ce mouvement de privatisation était au début une réaction à ces nationalisations, une sorte de dénationalisation d’inspiration idéologique, mais il a continué au cours des années, notamment sous le gouvernement de 205 Lionel Jospin. D’autres motifs ont été avancés, principalement la pression de la politique européenne de la concurrence qui empêche le gouvernement de jouer le rôle normal d’un actionnaire en lui interdisant toute recapitalisation de sociétés en difficulté, ou simplement en phase de développement, si cela conduit à interférer dans la situation concurrentielle du secteur. Était aussi avancée la justification que l’État français est fortement endetté et que les recettes des privatisations sont un moyen immédiat de réduire la dette publique, même si cela réduit à long terme les revenus des entreprises perçus par l’État. Document 12 Répondre à l’urgence : le SAMU social Le but du Samu social est de « secourir selon la philosophie de la Déclaration universelle des droits de l’homme en réaffirmant les principes de Liberté, d’Égalité, de Fraternité et de Solidarité ». Le SAMU social est financé à 92 % par l’État. Le SAMU social gère l’hébergement des personnes ayant appelé le 115 en les orientant vers ses propres centres d’hébergement ou ceux d’associations partenaires. Le numéro d’urgence du SAMU social (le 115) est ainsi le point d’entrée pour les sans-abri souhaitant de l’aide. Dans chaque département, les sans-abri peuvent ainsi accéder à une permanence téléphonique ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Les « écoutants » évaluent la situation et mettent la personne en lien avec une association ou un établissement qui pourra l’héberger pour une nuit ou plus. En 2010, rien qu’à Paris, le 115 a géré l’hébergement de 21 500 personnes. Elles étaient 14 400 en 1999. Le 19 juillet 2011, Xavier Emmanuelli démissionne de la présidence suite à l’annonce de l’État de réductions drastiques des moyens alloués à l’hébergement d’urgence. Il poursuivra toutefois son action au Samu social international. Cette décision sera suivie d’une grève des professionnels de l’urgence sociale le 2 août 2011. Document 10 La poursuite de l’État-providence ? Malgré cette politique de privatisations et les critiques visant l’État-providence, les décisions politiques visant à protéger les citoyens les plus fragiles (chômeurs, sans-travail, santé publique) et à réduire la durée du temps de travail (il s’agit d’augmenter le temps de loisir et donc la consommation) se poursuivent. Document 11 La défense des droits sociaux Le 15 novembre 1995, Alain Juppé présente son projet de réforme de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale. Ce projet prévoit un allongement de la durée de cotisation de 37,5 à 40 annuités pour les salariés de la fonction publique afin de l’aligner sur celle du secteur privé déjà réformé en 1993 ; l’établissement d’une loi annuelle de la Sécurité sociale fixant les objectifs de progression des dépenses maladies et envisageant la mise en place de sanctions pour les médecins qui dépassent cet objectif, l’accroissement des frais d’hospitalisation, des restrictions sur les médicaments remboursables et le blocage et l’imposition des allocations familiales versées aux familles avec enfants les plus démunies, combinés à l’augmentation des cotisations maladie pour les retraités et les chômeurs et au gel du salaire des fonctionnaires. Celui-ci déclenche un vaste mouvement social dans l’ensemble du pays. Malgré le soutien apporté par la CFDT à Alain Juppé, les mouvements de grève de novembre et décembre 1995 de « défense des acquis sociaux » font, le 15 décembre 1995, céder le Premier ministre sur l’extension aux régimes publics des mesures décidées en 1993 par Édouard Balladur pour les retraites de base du secteur privé. Réponses aux questions 7. Il lui reproche d’être trop important (employant 1 actif sur 4), trop coûteux et peu efficace. 8. D’après lui, l’État doit continuer à soutenir, à réguler et à sécuriser l’économie, mais il ne doit plus produire, entreprendre et intervenir directement dans l’économie. 9. Pour Alain Juppé, il s’agit de réduire le déficit public et de limiter l’endettement de l’État français. 10. Il tente de réduire le déficit de la Sécurité sociale et privatise des entreprises publiques pour réduire le déficit. 11. Mis à part la CFDT qui soutient le « plan Juppé », la population est largement réticente au retrait de l’État-providence. 12. L’État doit faire face à une crise économique depuis le choc pétrolier de 1973. Il doit sécuriser la société française face à cette crise qui touche plus particulièrement les plus fragiles. 206 VERS LE BAC pour poursuivre la réflexion sur la jeunesse chez Pierre Mendès France qui en a fait un thème majeur de sa réflexion politique depuis les années 1950. Composition Problématique : pourquoi l’État-providence est-il l’objet de vives critiques depuis quelques années ? Plan possible I. L’État-providence 1. Un projet du Conseil national de la Résistance 2. Une politique économique 3. Une politique sociale II. Les critiques de l’État-providence 1. Les critiques à partir des années 1970 2. Les nouvelles définitions de l’État 3. Les politiques de désengagement de l’État III. Mais un attachement à un État qui rassure face à la crise 1. Les réactions de la population au désengagement étatique 2. Le maintien de l’État de « rassurance » face à l’urgence Document 2 État et contestation en 1968 Le mouvement étudiant dirigé par Daniel Cohn Bendit commence en mars 1968 : la multiplication des incidents pousse à la fermeture de la faculté de Nanterre le 2 mai 1968. Puis, à partir de mimai, les ouvriers rejoignent le mouvement en déclenchant une grève générale. Enfin, conscient des enjeux, le pouvoir politique finit par réagir et, le 24 mai 1968, lors d’une allocution télévisée, le général de Gaulle annonce la tenue d’un référendum sur la « rénovation universitaire, sociale et économique », menaçant de se retirer en cas de victoire du « non ». Son annonce reste sans effet. Document 3 La « nouvelle société » pages 316-317 La « nouvelle société » est la politique préconisée par Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre de Georges Pompidou, dès son discours d’investiture en 1969. D’inspiration centriste, elle pense répondre à la crise de mai 1968 par un progressisme contractuel qui laisse une large place au dialogue social, à une certaine liberté d’expression et à une certaine ouverture politique (par exemple à des chrétiens syndicalistes comme Jacques Delors). L’idée d’une France symbolisée par le Concorde, le France et une ORTF innovante et politiquement plus ouverte séduit une partie centriste de l’opinion mais elle exaspère Pompidou qui y voit un jeu personnel et politiquement irresponsable. ÉTUDE État et société après mai 1968 L’étude vise à comprendre la réaction de l’État face aux revendications de mai 1968 : a-t-il été réceptif aux revendications ? A-t-il su réformer la société et d’adapter aux évolutions sociales et culturelles ? Document 1 La crise de la jeunesse Lors des événements de 1968, Pierre Mendès France, membre du parti radical, apparaît comme l’un des recours possibles en cas d’effondrement du régime. Mendès France ne réussit pas à obtenir l’approbation des communistes pour lesquels il n’est pas l’homme providentiel, ni celle de François Mitterrand qui lui reproche son action en faveur des étudiants et lui conseille de garder une certaine réserve vis-à-vis d’eux. En effet, Pierre Mendès France a participé au meeting du stade Charléty le 27 mai 1968, cautionnant ainsi le mouvement, même s’il n’y prend pas la parole. Pierre Mendès France échoue aux élections législatives de 1968. En 1969, il soutient la candidature de Gaston Defferre (5 % des voix). Il rejoint alors le parti socialiste. Il faut rappeler que le thème de la jeunesse et des jeunes est un thème important dans le monde politique des années 1960, ne serait-ce qu’en raison des changements démographiques (baby-boom qui commence à faire ressentir ses effets sur l’éducation). Mai 1968 est un élément supplémentaire Document 4 La légalisation de l’IVG Rappel chronologique : – 1970 : proposition de loi Peyret (député gaulliste, président de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale) prévoyant un assouplissement des conditions de l’avortement thérapeutique ; – 1971 (5 avril) : 343 femmes (des personnalités du spectacle, de la littérature et de la politique) déclarent, dans un manifeste publié dans Le Nouvel Observateur, avoir avorté. Aucune poursuite n’est engagée par le gouvernement Messmer ; (juillet) : création par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir de l’association « Choisir » qui défend les personnes accusées d’avortement ; 207 (20 novembre) : plus de 4 000 femmes manifestent à Paris pour le droit à l’avortement ; – 1972 (octobre) : procès de Bobigny, l’avocate Gisèle Halimi fait acquitter une jeune fille de 17 ans qui avait avorté ; – 1973 (5 février) : 331 médecins font savoir qu’ils ont pratiqué des avortements ; – 1974 : après l’élection de Valery Giscard d’Estaing à la présidence de la République, Simone Veil est nommée ministre de la Santé, poste qu’elle conservera jusqu’en juillet 1979. À ce titre, elle est maître d’œuvre de l’adoption par le Parlement du projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) qui dépénalise l’avortement, texte qui entre en vigueur le 17 janvier 1975. Ce combat lui vaut des attaques et des menaces de la part de l’extrême droite et même d’une partie de la droite traditionnelle. Elle s’inscrit aussi dans le prolongement des réformes qui affectent la durée de la scolarité obligatoire et l’unification des enseignements post-primaires. La prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, une des grandes orientations de la réforme Berthoin (1959), ne devient effective qu’en 1967 ; supprimant l’examen d’entrée en sixième, elle est à l’origine de la démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire. Les disciplines qui sont enseignées au collège sont tant intellectuelles que physiques. L’homogénéisation du contenu des disciplines permet une homogénéisation des connaissances des élèves français. Document 7 Faire participer les jeunes à la vie politique La campagne de Giscard avait été placée sous le signe de la jeunesse, comme en témoigne sa stratégie de présenter Mitterrand comme un « homme du passé ». Pour marquer son action en faveur de la jeunesse, la première réforme de Giscard est donc l’abaissement de la majorité à 18 ans. Depuis un décret de 1852, l’âge du droit de vote était fixé à 21 ans. Le premier projet de Constitution de la IVe République en 1946 avait certes prévu d’abaisser l’âge électoral à 20 ans, et la question avait ensuite été posée à plusieurs reprises. Mais c’est surtout le mouvement étudiant de mai 68 qui, en faisant apparaître la jeunesse sur la scène politique, rend la question plus pressante : de juillet 1968 à 1974, huit propositions de loi sur l’abaissement de l’âge de la majorité sont ainsi déposées. L’ensemble des partis s’y rallient progressivement, et tous les candidats à l’élection présidentielle de 1974 le promettent, sachant que le Royaume-Uni avait abaissé la majorité électorale à 18 ans dès 1969, la République fédérale d’Allemagne en 1970 et les États-Unis en 1971. À l’origine, le garde des Sceaux, Jean Lecanuet, avait proposé d’accorder le droit de vote à 18 ans et de maintenir la majorité civile à 21 ans. Mais c’est l’Assemblée nationale elle-même, au moment de la discussion du projet de loi, qui est allée plus loin en accordant la majorité à 18 ans. Ce projet est voté par l’Assemblée nationale à l’unanimité moins une voix dès le 25 juin 1974, puis par le Sénat le 28 juin, et la loi est promulguée le 5 juillet 1974. Cet abaissement de l’âge de la majorité fait ainsi gonfler le corps électoral de 2 400 000 citoyens. Dans l’esprit de Valéry Giscard d’Estaing, il s’agit d’adapter la loi à l’évolution de Document 5 Moderniser l’université Les événements de mai 1968, tant à Paris qu’en province, ont pris tout le monde de court, donnant lieu à des mouvements spontanés et pas toujours organisés. Les mois suivants, on assiste à la scission de certaines universités pour faire face à la montée démographique estudiantine, ce qui entraîne une augmentation du nombre des universités créées entre 1968 et 1971. Le mouvement est particulièrement visible à Paris, où treize universités sont créées, remplaçant l’Université de Paris. C’est le cas de l’université de Vincennes. Le Centre universitaire expérimental de Vincennes est créé par le ministre de l’Éducation Edgar Faure à l’automne 1968 et fonctionne sur le principe de l’autogestion. Deleuze, Foucault, Lyotard, Badiou et d’autres y enseigneront, avant qu’il soit rasé en 1979, rejoignant l’Université Paris VIII créée à Saint-Denis en 1969. Document 6 Démocratiser l’enseignement secondaire La loi Haby du 11 juillet 1975 prévoit notamment la mise en place d’un « collège pour tous » (le « secondaire ») en continuité de l’« école pour tous » (le « primaire »). C’est la raison pour laquelle on parle dès lors de « collège unique ». Cette loi met fin à la ventilation des élèves à la sortie de l’école primaire entre les premiers cycles des lycées, les collèges, les collèges d’enseignement général (CEG) et prévoit que tous les élèves issus du cours moyen seconde année (CM2) entrent en sixième dans un collège unique et dans des classes hétérogènes destinées à éviter les effets de ségrégation, souvent sociale. 208 sion de De Gaulle en 1969, ce dernier ayant tiré les conclusions de l’érosion de la confiance que lui accordaient les Français après mai 1968. Jacques Chaban-Delmas tente alors de proposer un ensemble de réformes sociales pour répondre aux nouvelles aspirations qu’ont révélées la crise estudiantine et les grandes grèves ouvrières de 1968. Son analyse des évolutions récentes peut se résumer en trois points : 1. La remise en cause d’un État centralisé pesant pour laisser davantage d’autonomie à la société, mais sans remettre en cause l’État-providence. 2. Adapter la législation aux évolutions récentes : une population rajeunie par le baby-boom et une explosion urbaine qui ont modifié les mœurs, les mentalités. 3. Adapter la France, qui n’est plus une puissance coloniale, aux nouveaux défis technologiques et économiques face à la compétition internationale. la société et de prendre politiquement en compte la jeunesse, même si nombreux sont ceux à droite qui craignent que cette mesure ne favorise une prochaine victoire de la gauche, les jeunes lui étant majoritairement acquis. Réponses aux questions 1. La société s’est modernisée au niveau économique et a connu des évolutions sociales et culturelles majeures : baby-boom, croissance démographique et urbanisation, avancées technologiques et ouverture au marché mondial alors que dans le même temps, elle perdait ses colonies (marché captif). 2. Le malaise social s’exprime d’abord par le mouvement universitaire et l’occupation des universités par les étudiants, puis par le mouvement ouvrier et la grève générale au cours du mois de mai. 3. D’après le général de Gaulle, le rôle de l’État est avant tout de garantir l’ordre public, mais aussi de réformer. Jacques Chaban-Delmas reprend cette idée réformiste en rappelant le rôle d’Étatprovidence c’est-à-dire un État protecteur. 4. On reproche à l’État de ne pas avoir su prendre en compte les évolutions sociales et culturelles de la France. 5. On attend de l’État qu’il soit capable de se réformer et d’adapter ses institutions aux nouvelles problématiques sociales. Paradoxalement, on attend de lui qu’il soit moins « tentaculaire » et que dans le même temps il poursuive son rôle protecteur. Par exemple, on attend qu’il sache organiser l’avenir, c’est-à-dire l’enseignement et la formation des jeunes pour leur permettre de faire face au nouveau monde du travail. 6. Les groupes concernés sont principalement les jeunes et les femmes. 7. On pourrait adapter le discours de Pierre Mendès France au problème de la mondialisation et des angoisses qu’elle suscite. pages 318-319 LEÇON 4 Gouverner la France, c’est décentraliser Cette leçon reprend le problème encore actuel de la décentralisation d’un État unitaire et indivisible de manière chronologique en évoquant dans un premier temps les prémices de la décentralisation après la libération du territoire (doc. 1), puis dans un deuxième temps l’application d’un programme politique de décentralisation (doc. 2) pour finir sur une évocation du fonctionnement des institutions locales (doc. 3). Document 1 La République reconnaît les collectivités locales Dès la constitution de 1946, l’État reconnaît l’existence des collectivités territoriales (communes et départements) tout en les replaçant dans le cadre d’une République « une et indivisible » (art. 85). Il s’agit de mettre en place le paradoxe d’une République centralisée mais qui reconnaît du bout des lèvres l’existence de pouvoirs politiques locaux. Document 2 VERS LE BAC Décentraliser Étude critique Jusqu’au début des années 1980, la décentralisation politique n’a rien d’effectif. Il faut attendre les lois Deferre de 1982-1983 qui suppriment la tutelle de l’État sur les collectivités locales et qui fixent l’organisation et les règles de financement de ces nouveaux pouvoirs politiques locaux. Jacques Chaban-Delmas est le Premier ministre du Président Pompidou qui a succédé à de Gaulle en 1969. C’est un gaulliste de la première heure, mais qui incarne une tendance plus sociale de ce courant politique. Son discours intervient après la démis209 Document 3 Document 3 Le découpage administratif de la France Le Centre Pompidou à Paris Ce document présente les différentes strates administratives de la France à l’exception des communes, c’est-à-dire les départements et régions métropolitains, les départements et régions d’outre-mer ainsi que les collectivités d’outre-mer. La NouvelleCalédonie, ainsi que les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises) disposent d’un statut qui leur est propre. Photographie de la façade du Centre Pompidou à Paris. Il s’agit de montrer aux élèves l’aspect novateur de l’architecture de ce musée, très inspirée par les architectures industrielles et qui ne manqua pas de susciter l’étonnement, voire la critique, compte tenu de son implantation en plein cœur d’un quartier central de Paris. On pourra utiliser ces documents pour revenir sur les acquis de l’étude sur Paris du chapitre 1 (cf. comparaison possible avec la Pyramide du Louvre). Réponses aux questions 1. Le préfet. 2. L’État ne peut plus annuler les décisions prises par les collectivités locales et la loi détermine la répartition des compétences et des financements entre les communes, les départements, les régions et l’État. Document 4 Les architectes du Centre Pompidou de Metz Il s’agit d’une interview dans laquelle les deux architectes expliquent leur choix, les demandes auxquelles ils ont dû faire face et leurs espoirs. Document 5 pages 320-321 Le Centre Pompidou à Metz HISTOIRE DES ARTS Photographie de la façade du Centre Pompidou de Metz. Ici, les choix architecturaux tournent le dos à l’architecture industrielle et correspondent plus aux préoccupations écologiques de la société moderne. En revanche, la volonté d’ouvrir le musée sur l’extérieur est encore présente : si à Paris, toute la façade est vitrée, à Metz, l’ouverture se marque par de grandes fenêtres panoramiques qui font des monuments historiques de Metz des œuvres intégrées au musée. Le Centre Pompidou à Metz : décentraliser la culture Le Président de la République Georges Pompidou, grand amateur d’art et particulièrement d’art contemporain, souhaitait un grand musée populaire d’art moderne à Paris. Inauguré en janvier 1977, ce musée est le premier exemple des grands projets présidentiels qui marqueront les mandats suivants. Tous ont pour point commun d’être à Paris. Dans le cadre de la décentralisation est décidée en janvier 2003 l’installation d’une antenne du Centre Pompidou à Metz. Après la décentralisation économique et la décentralisation politique, c’est le premier exemple de décentralisation culturelle. Document 6 Plan du Centre Pompidou de Metz Ce plan présente la structure interne du musée qui n’est pas visible sur la photographie. Le musée s’ordonne autour d’une colonne vertébrale métallique par différents modules aux fonctions spécifiques qui reprennent la volonté de Georges Pompidou : associer musée, centre de création et librairie. Document 1 Chronologie des Centres Pompidou Il s’agit de rappeler les grandes dates concernant les deux centres Pompidou et de permettre aux élèves de replacer les deux musées dans un contexte historique. Réponses aux questions 1. Pour le centre Pompidou de Paris, l’inspiration est clairement industrielle, en rapport avec les Trente Glorieuses et la politique de modernisation et d’industrialisation menée par l’État depuis la Libération. Le Centre Pompidou de Metz quant à lui présente une architecture plus douce, moins en rupture avec son environnement, tant par l’emploi des matériaux naturels que par ses formes arrondies. 2. Il s’agit d’une volonté d’intégrer les monuments historiques de la ville à l’exposition du Document 2 Les ambitions culturelles du Président Pompidou Il s’agit d’un extrait d’interview du Président dans lequel ce dernier justifie sa politique culturelle et décrit son projet de musée d’art moderne qui soit en même temps un musée, un centre de création artistique et une bibliothèque. 210 ner la France d’outre-mer. Il ne faut pas oublier de rappeler le contexte de décolonisation qui marque l’histoire française entre 1945 et la fin des années 1960. musée en ouvrant ce dernier vers les principaux monuments historiques de la ville. 3. À Paris comme à Metz, les musées se situent sur une vaste esplanade, permettant la circulation du public et intégrant les musées à la vie urbaine. 4. La vocation du Centre Pompidou est de permettre l’accès de la population à l’art contemporain. 5. Le centre de Metz reprend la vocation de celui de Paris. 6. Ces deux musées ont donné lieu tant à des mouvements critiques qu’à des louanges de la part du public et ont donc suscité l’intérêt du plus grand nombre, comme le prouve leur succès. 7. Ils sont tant des musées que des lieux de vie urbaine. Il s’agit d’intégrer les musées dans la ville et de les rendre accessibles, lieux de balades, de rencontres autant que lieux de visites classiques. pages 322-325 Document 3 Création des départements d’outre-mer En mars 1946, l’Assemblée constituante vote à l’unanimité la création de quatre départements d’outre-mer, faisant des habitants de ces régions des citoyens français. La décision concerne quatre territoires qui sont restés français sans interruption depuis le XVIIe siècle. Document 4 Aimé Césaire et la départementalisation Aimé Césaire, Martiniquais, homme politique, intellectuel, poète, chantre de la négritude, est élu maire de Fort-de-France en 1945 puis député. Son mandat, compte tenu de la situation économique et sociale d’une Martinique exsangue après des années de blocus pendant la guerre et l’effondrement de l’industrie sucrière, est d’obtenir la départementalisation de la Martinique en 1946. Il s’agit là d’une revendication qui remonte aux dernières années du XIXe siècle et qui avait pris corps en 1935, année du tricentenaire du rattachement de la Martinique à la France. Peu comprise par de nombreux mouvements de gauche en Martinique déjà proches de l’indépendantisme, à contre-courant des mouvements de libération survenant déjà en Indochine ou en Afrique du Nord, cette mesure vise, selon Césaire, à lutter contre l’emprise béké (les blancs de Martinique) sur la politique martiniquaise, son clientélisme, sa corruption et le conservatisme structurel qui s’y attache. C’est, selon Césaire, par mesure d’assainissement, de modernisation et pour permettre le développement économique et social de la Martinique que le jeune député prend cette décision. ÉTUDE Gouverner la France d’outre-mer Cette étude vise à revenir sur le problème de la décentralisation spécifique à l’outre-mer, héritage de l’empire colonial français. Il s’agit de comprendre comment ces anciennes colonies sont devenues des départements et territoires d’outre-mer, quelle place la France a laissé à ces territoires éloignés de l’Europe et quelles évolutions ont connu les revendications des collectivités d’outre-mer. A. LA DÉPARTEMENTALISATION Document 1 La France d’outre-mer et les pays de langue et de culture françaises Il s’agit d’une carte permettant aux élèves de prendre conscience des distances qui séparent la France métropolitaine des territoires français d’outre-mer. La carte permet également de constater que la France dispose d’une Zone économique exclusive qui couvre 8 % de la totalité des ZEE du monde. Document 5 La Ve République et l’outre-mer Extrait de la constitution qui vise à rappeler aux élèves que les départements et régions d’outremer relèvent d’une histoire spécifique et que l’État français s’autorise une adaptation à ces spécificités (géographiques, historiques, culturelles qui ont déjà été rappelées dans les documents précédents). Document 2 Les statuts d’outre-mer Ce tableau vise à résumer les différents statuts qui ont marqué l’histoire des territoires d’outre-mer depuis la Seconde Guerre mondiale. La variété des statuts symbolise la difficulté spécifique à gouver- Réponses aux questions 1. Ce sont des terres lointaines présentes dans le monde entier, principalement sous les tropiques. 211 2. Il rappelle par cette expression le statut colonial des territoires d’outre-mer qui font partie de l’empire français. Les populations d’outre-mer n’ont pas la citoyenneté française. 3. En créant des départements d’outre-mer, l’État français intègre les populations de Guadeloupe, Martine, Guyane et Réunion à la citoyenneté française. 4. Il parle de loi d’assimilation, mais il en attend l’égalité républicaine et donc l’intégration des populations dans la République une et indivisible. 5. L’outre-mer a le droit, dans un cadre strict, d’adapter les lois et règlements de la République à ces spécificités. 6. Ils ont une place équivalente à celle d’un département métropolitain même si l’on reconnaît leur histoire et leurs spécificités. Document 9 Site de lancement de Kourou (Guyane) Le 16 avril 1964, le gouvernement français décide d’installer une base spatiale en Guyane, et c’est avec la construction de cette base en 1965 que Kourou, jusqu’alors simple village, va devenir une véritable ville. Suite à l’indépendance de l’Algérie et des accords d’Évian en 1962, le CNES est dans l’obligation de quitter la base de lancement de Hammaguir. Le choix de la Guyane s’explique par l’emplacement équatorial. En effet, l’effet de fronde qui est généré par la rotation terrestre près de l’équateur permet d’obtenir 15 % de gain de performance supplémentaire par rapport à la base de lancement de Cap Kennedy située plus au nord. De plus, la Guyane offre plusieurs avantages comme la faible densité de population et la large ouverture sur l’océan Atlantique qui permet ainsi de réduire les risques en cas de problème avec le lanceur. La façade maritime permet également de faire des lancements de satellites sur l’orbite polaire dans des conditions optimales. B. QUELLE PLACE POUR L’OUTRE-MER ? Document 6 Chronologie des relations entre la métropole et l’outre-mer Document 10 Il s’agit en quelques dates-clés de retracer les grandes étapes des relations entre la métropole et l’outre-mer : quelle place la métropole donne-t-elle à l’outre-mer ? Quelle place veut occuper l’outre-mer ? Mayotte, un nouveau département Par cette affiche électorale, il s’agit de rappeler aux élèves que Mayotte, à la suite d’un référendum en 2009, est devenue le cinquième département d’outre-mer en 2011. Il faut rappeler la présence française à Mayotte sans interruption depuis le XIXe siècle. La départementalisation correspond à un souhait d’une population dont les difficultés économiques ne sont pas sans rappeler celles de la Martinique d’Aimé Césaire en 1946. Document 7 De Gaulle à la Réunion Lors d’un déplacement à la Réunion en juillet 1959, de Gaulle explique avec l’exemple de cette île la place cruciale qu’occupent les départements d’outre-mer dans le positionnement politique de la France au sein de la Guerre froide. Document 11 Document 8 Barricade du FLNKS en 1988 Essai atomique à Mururoa en 1973 (Polynésie française) Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) est un rassemblement de partis politiques de Nouvelle-Calédonie fondé en 1984, dont le projet est l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. En 1988, des affrontements opposent FLNKS et forces de l’ordre : un commando du FLNKS capture et prend en otage un groupe de gendarmes, puis se réfugie dans une grotte d’Ouvéa où il est assiégé. L’intervention de l’armée permet la libération des otages mais on doit regretter la mort de plusieurs personnes. À la suite de ces événements, les premiers accords de Nouméa sont signés en 1988. Ils mettent fin aux affrontements et prévoient un référendum d’autodétermination pour 1998. On pourra envisa- Les premiers essais nucléaires français ont lieu dans le désert algérien à partir de 1960. En 1966, le centre d’essai nucléaire est transféré sur l’atoll de Mururoa en Polynésie française. Au total, 46 essais nucléaires aériens ont été réalisés en Polynésie française jusqu’en 1975. À cette date et jusqu’en 1996, les essais seront souterrains. Après un moratoire décidé par F. Mitterrand de 1992 à 1995, J. Chirac initie une première campagne d’essais nucléaires (six au total) avant de signer le traité de Rarotonga (dénucléarisation du Pacifique sud) en mars 1996. 212 ger d’accompagner ce document d’extraits du film de Matthieu Kassovitz, L’ordre et la morale, 2009. 2. Le Garde des Sceaux est le ministre de la Justice. En 1974, Jean Lecanuet est nommé à ce poste par le Président Valery Giscard d’Estaing qui vient d’être élu. 3. Les jeunes réclament le droit de s’exprimer et la prise en compte de leur parole. 4. Le mouvement étudiant de mai 1968 aspirait surtout à faire évoluer une société rigide et un pouvoir politique pesant. Il dénonce l’autorité, la discipline imposée par les valeurs de la société (que ce soit dans l’enseignement, dans la famille ou dans les institutions politiques qui donnent un poids important à de Gaulle et à ses ministres). La censure, l’absence de liberté des médias sont également vivement critiquées. 5. Le mouvement étudiant est une manifestation de rue qui s’accompagne d’occupation de lieux symboliques comme les universités mais aussi d’affrontement avec les CRS à coup de pavés. 6. Le gouvernement nommé par Giscard d’Estaing lance une série de réformes qui vont dans le sens d’une adaptation de la législation à l’évolution de la société, des mœurs et des mentalités : abaissement de l’âge du vote à 18 ans, dépénalisation de l’avortement… Document 12 Les accords de Nouméa (préambule) L’accord de Nouméa de 1988 est complété par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 qui prévoit une autonomie forte et repousse le référendum final sur la question de l’avenir institutionnel (indépendance ou maintien au sein de la République française) entre 2014 et 2018. En cas de vote négatif, un second, puis éventuellement un troisième référendum pourront être organisés. À l’issue de votes toujours négatifs, un nouvel accord sera négocié. Réponses aux questions 7. D’après de Gaulle, dans un contexte de Guerre froide, la France ne peut renoncer à ces territoires d’outre-mer pour des raisons stratégiques. 8. Les territoires d’outre-mer participent de la puissance française en lui fournissant des matières premières absentes du territoire métropolitain ainsi que des emplacements stratégiques dans le monde tant au niveau militaire qu’économique (cf. doc. 1, p. 322). 9. L’identité française des populations d’outremer suscite des questionnements et des réactions diverses. Si certaines populations expriment leur attachement à la France (cf. référendum à Mayotte), d’autres souhaitent une plus grande autonomie, voire l’accès à une indépendance négociée au nom de leur identité propre. Le positionnement des populations d’outre-mer s’exprime tant par le vote que par la protestation politique voire violente. 10. La République tente de privilégier les négociations afin d’éviter des drames comme celui de la grotte d’Ouvéa en 1988. pages 326-327 page 327 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Il s’agit d’un message au Parlement du Président François Mitterrand daté du 8 avril 1986, aux lendemains de la défaite du parti socialiste aux élections législatives qui donnent la majorité à l’Assemblée nationale à la droite (UDF et RPR). L’élection présidentielle ne devant avoir lieu qu’en 1988, la Ve République se trouve pour la première fois dans une situation institutionnelle inédite : les deux têtes de l’exécutif sont de bords politiques opposés. Dans ce message, le Président Mitterrand définit le partage des pouvoirs au sein de l’exécutif. Après avoir rappelé l’alternance de 1981, le Président Mitterrand prend acte de la « volonté de changement » des Français qui viennent d’envoyer à l’Assemblée nationale une nouvelle majorité. Après avoir rappelé son rôle qui est « d’assurer la continuité de l’État et le fonctionnement régulier des institutions », le Président rappelle qu’il a nommé un nouveau Premier ministre issu de la nouvelle majorité, Jacques Chirac. Il rappelle que cette nomination s’est faite sans crise institutionnelle majeure dans le respect de la Constitution. Mais VERS LE BAC Étude critique de document(s) Réponses aux questions 1. Mai 1968 est d’abord une crise sociale née du malaise de la jeunesse, qui ne se reconnait pas dans les valeurs rigides de la société de l’époque, et des revendications des employés. Le mouvement étudiant commence en mars 1968 : la multiplication des incidents pousse à la fermeture de la faculté de Nanterre le 2 mai 1968. Puis, à partir de mi-mai, les ouvriers rejoignent le mouvement en déclenchant une grève générale. 213 il souligne que beaucoup « se posent la question de savoir comment fonctionneront les pouvoirs publics ». Il répond vouloir appliquer la constitution. Le Président Mitterrand commence par rappeler que la constitution « attribue au chef de l’État des pouvoirs que ne peut en rien affecter une consultation électorale où sa fonction n’est pas en cause ». Par cette phrase, il réaffirme sa légitimité constitutionnelle à poursuivre son mandat jusqu’à son terme. Puis, en s’appuyant sur l’article 5, il rappelle les pouvoirs attribués au chef de l’État par la Constitution qui relèvent en majorité de la politique extérieure, depuis toujours considérée comme le domaine réservé du Président. De même, en s’appuyant sur l’article 20, il rappelle les fonctions et pouvoirs du gouvernement dirigé par le Premier ministre, qui a pour charge « de déterminer et conduire la politique de la nation » c’est-à-dire principalement la politique intérieure. En conclusion, il affirme que cette répartition constitutionnelle des tâches et des pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif permettra de gouverner la France malgré cette situation inédite. pages 328-329 2. La mise en place d’un État social basé sur la charte du CNR (sécurité sociale). 3. Les bases d’un État interventionniste (nationalisation, commissariat au plan). II. L’État-providence (1946-années 1980) 1. L’État aménageur (aéroports, modernisation du chemin de fer, autoroutes...) et modernisateur (exemple : plan Calcul lancé par de Gaulle pour créer une filière informatique, création de l’INRA). 2. L’approfondissement de la protection sociale. III. Une remise en question de l’État centralisateur depuis les années 1980 1. La décentralisation amorcée sous la présidence de Mitterrand 2. Le désengagement de l’État de la sphère économique 3. La réforme de l’État : déconcentration, RGPP et réduction des dépenses publiques page 329 VERS LE BAC Composition (sujet 31) Plan possible I. Une république une et indivisible II. Une politique de décentralisation hésitante III. La décentralisation politique VERS LE BAC Composition Proposition de plan détaillé I. L’État et la restauration des institutions (1944-1946) 1. À la Libération, de Gaulle et le gouvernement provisoire rétablissent les institutions de l’État républicain (nominations des préfets, épuration de l’administration) et instaurent de nouvelles institutions pour la République (la Constitution de 1946), ainsi que la départementalisation de certains territoires d’outre-mer (création des DOM-TOM). page 329 VERS LE BAC Composition (sujet 32) Plan possible I. Les héritages du CNR : la création du modèle social II. La politique sociale de la République pendant les Trente Glorieuses III. Poursuite et réforme du modèle social : un filet de sécurité contre la crise économique 214 CHAPITRE 10 Le projet d’une Europe politique depuis le congrès de La Haye (1948) Le projet d’une Europe politique est un projet de longue haleine. Balbutiant au XIXe siècle, il connaît un premier âge d’or pendant l’entre-deux-guerres. Aristide Briand et Richard Coudenhove Kalergi portent ce projet qui pourtant ne résiste pas à la crise économique et politique des années trente. Après la Seconde Guerre mondiale, l’idée de structurer l’Europe renaît, notamment au cours du congrès de La Haye en mai 1948. Dans les années qui suivent, les Européens se réunissent dans des alliances militaires (Pacte de Bruxelles, OTAN) ou économiques (OECE), mais c’est le coup d’éclat de la déclaration Schuman en mai 1950 qui donne naissance à la Communauté européenne du charbon et de l’acier. L’option politique semble un temps passer au second plan pour favoriser les alliances économiques et sectorielles. Ce chapitre cherche pourtant à tracer le fil de la pensée de l’Europe politique. Il s’agit d’une histoire lente, faite de « contretemps » pour reprendre l’expression de l’historien Robert Frank. Chaque leçon comporte ainsi des documents qui permettent de souligner le rythme parfois chaotique de la construction politique européenne et de nuancer certaines approches parfois trop téléologiques. pages 332-333 OUVERTURE guerre par le régime nazi et ses partisans sous le nom « d’Europe nouvelle ». Le « congrès de l’Europe », tenu à La Haye entre le 7 et le 10 mai 1948, est la plus importante de ces réunions, tant en termes de nombre de participants que de postérité : il est réuni à l’appel des six principaux mouvements alors favorables à l’unité européenne. Juste derrière l’orateur, on distingue la silhouette massive de l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill. Il marque de son empreinte et de son engagement européiste les années d’aprèsguerre. À Zurich déjà, le 19 septembre 1946, il avait affirmé : « nous devons créer un genre d’États-Unis d’Europe ». À La Haye, en mai 1948, où sont réunis plus de 700 délégués ou observateurs, hommes politiques et intellectuels, c’est lui qui ouvre la procession et assure la présidence d’honneur du congrès. Les débats sont vifs : l’opposition entre unionistes, comme Churchill, et fédéralistes, est structurante. Même si ces derniers sont souvent très applaudis, ce n’est pas l’option fédérale qui triomphe. C’est en tout cas bien cette dimension structurelle qui domine : les problématiques sociales sont absentes des documents de travail, même si certains amendements permettent finalement d’en tenir compte. Le sénateur Pieter Adriaan Kerstens, vice-président de la Ligue européenne de coopération économique (LECE) et président du comité néerlandais pour l’Europe unie, Les deux photographies mises en vis-à-vis illustrent deux moments-clés bornant les efforts de construction d’une Europe politique pendant la seconde partie du XXe siècle. Symboles d’évolutions, ces deux photographies permettent aussi de souligner certaines constantes, et d’abord celle d’un projet d’une Europe politique qui se construit par le haut. Ce sont les élites qui pensent et qui font l’Europe, aussi bien à La Haye qu’à Nice. Ces élites sont très majoritairement masculines : une seule femme apparaît sur la photographie de La Haye, deux à Nice. Il s’agit enfin de deux moments où l’on tente de penser l’Europe politique sans arriver à une décision définitive. L’Europe de La Haye est un projet, une ambition, un espoir : un lieu de débats, parfois acharnés, entre fédéralistes et unionistes. À Nice en revanche, l’Union européenne existe bel et bien. Il s’agit alors de penser l’élargissement, les règles de fonctionnement d’une Europe de plus en plus vaste. Là encore, les débats sont vifs et douloureux. Document 1 7 au 10 mai 1948 : le congrès de l’Europe de La Haye (Pays-Bas) Depuis la fin de la guerre, les réunions de réflexion sur le projet européen se multiplient. Il s’agit de porter haut l’idéal européen, dévoyé pendant la 215 La Commission a ouvert, en mars 1998, des négociations avec six pays, puis en février 2000 avec six autres. La question de l’adhésion de la Turquie est posée depuis 1999, quand le conseil d’Helsinki a désigné le pays comme candidat. Ces élargissements potentiels posent le problème du fonctionnement des institutions européennes. C’est notamment autour des décisions prises à la majorité qualifiée que les tensions se cristallisent : l’enjeu est celui de la supranationalité, un pays pouvant se voir imposer des décisions qu’il conteste. Se posent donc les questions des domaines concernés, mais aussi des voix obtenues par chaque pays dans le cadre de ces procédures : les grands pays comme l’Allemagne ne souhaitent en aucun cas peser le même poids que le Luxembourg, par exemple. C’est à Nice que ces questions sont abordées de façon directe et le conflit est violent, malgré les sourires affichés sur la photographie, entre les « grands » et les « petits » pays. L’accord est obtenu au forceps après une nuit de négociations au bord de la rupture. Chaque pays obtient un commissaire au sein de la Commission, ce qui maintient un certain équilibre (les « grands » renoncent à l’exigence d’un deuxième commissaire). De complexes mécanismes de pondération sont mis au point pour les votes à la majorité qualifiée lors du conseil de l’Union européenne, le nombre des députés est fixé, ainsi que les domaines où l’unanimité reste la règle. L’Europe politique peine à se faire. prononce ici le discours d’ouverture du congrès. À gauche de Churchill, on distingue le socialiste Paul Ramadier, ancien président du Conseil français, alors sans responsabilités. À droite de l’orateur, la seule femme présente sur la photographie est la princesse Juliana des Pays-Bas, qui représente le pays hôte du congrès. L’étude de la photographie permet de rappeler qu’il s’agit d’un congrès d’élites (pour rappel : on trouve à La Haye deux cents parlementaires, une soixantaine de ministres, douze anciens présidents du Conseil ainsi qu’un ancien chef d’État, des hommes d’Église, des diplomates, des écrivains, des universitaires, des chefs d’entreprises, des artistes). On pourra néanmoins nuancer en soulignant que des efforts avaient été faits pour associer la population. La ville de La Haye, notamment, est couverte de drapeaux blancs ornés d’un E rouge symbolisant l’Europe. Le congrès doit enfin être replacé dans son contexte : le pacte de Bruxelles vient d’être signé (17 mars) et l’OECE a été créée le 16 avril. La Haye est donc un élément d’une période de réflexion sur ce que doit être une Europe, essentiellement occidentale, à l’heure de la Guerre froide (d’ailleurs, pour l’essentiel, les participants viennent de l’Ouest de l’Europe). Le congrès débouche néanmoins sur peu d’initiatives concrètes, si ce n’est la création du Conseil de l’Europe qui ne correspond pas tout à fait aux ambitions énoncées par les européistes les plus enthousiastes à la tribune de La Haye. Document 2 7 décembre 2000 : la conférence européenne de Nice pages 334-335 Le sommet de Nice en décembre 2000 clôt la période de présidence française de l’Union. On distingue sur la photographie le président d’alors, Jacques Chirac, et son Premier ministre Lionel Jospin. À la gauche de J. Chirac se tient Romano Prodi, alors président de la Commission européenne. À la droite de Lionel Jospin, Nicole Fontaine, députée UMP alors présidente du Parlement européen. Le principal enjeu du sommet est de réfléchir au fonctionnement de l’Europe à venir. D’autres questions, comme l’agenda social européen ou le droit du sport, sont abordées, mais ce sont bien les thématiques institutionnelles qui dominent : quelle Europe pour demain ? La question n’a donc pas fondamentalement changé depuis 1948. C’est le problème de l’élargissement qui se pose aux dirigeants de l’Europe depuis la chute des régimes socialistes. L’introduction permet de revenir sur la généalogie de l’idée européenne. Au XIXe siècle, les révolutions libérales de 1830, le printemps des peuples de 1848 sont l’occasion pour les « patriotes » d’affirmer leur attachement à une fraternité européenne. Face à des monarchies sourdes aux aspirations des peuples se forme la revendication d’une Europe de nations libres qui culmine lors des quatre congrès de la paix organisés entre 1848 et 1851. La montée des nationalismes dans la seconde moitié du XIXe siècle fait échouer ces rêves unitaires. Ils renaissent dans l’entre-deux-guerres après la grande boucherie de 14-18. Aristide Briand en est le porte-flambeau avec sa proposition d’États-Unis d’Europe. Là encore, la crise économique et la montée des extrémismes qui en découle mettent un terme aux rêves des militants pacifistes d’une Europe fraternelle. 216 INTRODUCTION pages 336-337 CARTES rejoint. Il compte aujourd’hui 47 États membres (seule la Biélorussie n’y participe pas), dont des pays aux limites du continent comme le Kazakhstan, la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan ou la Turquie. L’un de ses principaux objectifs est de promouvoir les droits de l’homme. Ses instruments sont la Convention européenne des droits de l’homme (1950) que se charge de faire appliquer la Cour européenne des droits de l’homme (1959). Celle-ci joue un rôle fondamental dans la construction d’un espace commun européen fondé sur les mêmes valeurs. Le nombre des recours devant la Cour européenne croît de façon significative depuis le début du XXIe siècle. Elle a rendu plus de 15 000 arrêts depuis sa création, qui visent essentiellement cinq États : la Russie, la Turquie, la Pologne, la France et l’Italie (pour des statistiques plus précises, on pourra consulter le site de la cour : http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/ AB207AED-B81D-4981-8628-11DD546B46CA/0/ APERCU_19592011_FR.pdf). L’OTAN, organisation militaire destinée à assurer la sécurité du bloc occidental face aux Soviétiques et à leurs alliés pendant la Guerre froide, poursuit son existence même après l’élimination de la menace dont il était censé protéger (dissolution du pacte de Varsovie en juillet 1991). Une partie des anciennes démocraties populaires et des républiques de l’exURSS rejoignent l’Alliance atlantique. En 1999, c’est le cas de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque. En 2004, l’Alliance se rapproche plus encore des frontières de la Russie et intègre la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Elle couvre désormais, elle aussi, la quasi-totalité du continent européen. D’autres pays ont également entamé des démarches, mais la Russie qui craint un isolement diplomatique et politique y est très hostile : c’est notamment le cas de la Géorgie et de l’Ukraine, qui a d’ailleurs renoncé à son adhésion. La solidarité atlantique, particulièrement importante pour les anciens membres du pacte de Varsovie, interroge sur les limites de l’autonomie d’une politique étrangère européenne commune, comme ce fut le cas au moment de la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein en 2003. Une ou des Europe ? Cette double-page ambitionne de souligner la diversité de la notion d’Europe et du projet d’Europe politique au cours du second XXe siècle. Loin d’être l’histoire nécessaire de l’apparition de l’Union européenne, ces trois cartes montrent les évolutions du projet européen, de son périmètre et de sa nature. De l’Europe des Six à l’Europe continent Les définitions de l’Europe sont multiples. Au début du XXIe siècle, l’Europe politique en vient à épouser les frontières de l’Europe géographique. Les frontières de l’Union ne vont certes pas de l’Atlantique à l’Oural, mais 27 pays la composent, ce qui ne laisse que peu de pays à l’ouest de la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine. Seules la Norvège (en 1972 et 1994) et la Suisse (dont les citoyens repoussent en 1992 un Espace économique européen commun) ont refusé de rejoindre l’Union. Cet élargissement a été progressif. Six pays (l’Italie, l’Allemagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg) fondent la CECA, puis la CEE en 1957. Cette « petite Europe », centrée à l’ouest du continent, attire à elle de nouveaux pays en plusieurs vagues. Le saut quantitatif le plus important est celui des années 2000 où, en 2004 puis en 2007, l’Union passe de 15 à 27 membres. Pour autant, les difficultés de négociations et les divergences de visions politiques sont à l’origine de multiples sous-ensembles qui complexifient l’Europe politique et économique. La monnaie unique européenne, forme importante d’intégration, ne concerne à sa création que onze pays, rejoints progressivement par six autres. La Grande-Bretagne ou la Pologne restent notamment à l’écart. L’espace Schengen (libre circulation des personnes) concerne 26 pays qui ne sont pas tous membres de l’Union européenne (comme la Suisse). Une Europe à géométrie variable L’Union européenne ne constitue pas la seule force de structuration de l’Europe, y compris dans le domaine politique. Les deux cartes de la page 337 abordent deux exemples. Le conseil de l’Europe est fondé en 1949 par le traité de Londres, dans la continuité du congrès de La Haye. Il rassemble à sa fondation dix États (indiqués en bleu sur la carte). Son siège est à Strasbourg. Après la disparition du socialisme réel, la quasi-totalité des pays du continent européen le pages 338-339 LEÇON 1 Les tâtonnements de l’Europe (1948-1956) Cette leçon évoque la phase qui précède le traité de Rome. Loin d’être un processus continu, l’unification européenne est faite de nombreux 217 débats, d’initiatives qui ne débouchent pas forcément (doc. 1). L’après-guerre, notamment, voit un véritable bouillonnement d’idées en faveur de l’organisation du continent européen. Aucune n’a véritablement de suites concrètes. L’initiative est alors prise par la France d’un rapprochement avec l’ennemi d’hier : c’est l’origine de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Cette phase d’intégration par projet peine à s’approfondir, notamment lors de l’échec de la Communauté européenne de défense (doc. 2, 3 et 4). de Gasperi, la mise en place d’une structure fédérale européenne. Objet de nombreux débats, cet article 38 fait donc du traité un instrument pour ceux qui ont une ambition fédérale pour l’Europe. Ce document peut être mis en relation avec l’étude suivante consacrée aux pères de l’Europe. Réponses aux questions 1. Le traité envisage la création d’une assemblée élue de la CED. Jusqu’ici l’assemblée européenne, désignée par « l’Assemblée » dans le texte, est celle de la CECA, où les députés sont délégués chaque année par les parlements nationaux. Cette assemblée aurait ainsi une sorte de pouvoir constituant et envisage la mise en place de structures « fédérales ou confédérales », notamment un parlement composé de deux chambres. 2. Jusqu’à 1952, aucune structure permanente élue n’existait. Le projet de cet article 38 est encore vague, mais ouvre la voie à une structuration de l’Europe qui va bien audelà de la question de défense. Il évoque également la question de la séparation des pouvoirs, supposant la possibilité d’un exécutif européen. Le projet de Communauté politique européenne fera l’objet de grands débats en 1952-1953 et débouche même sur un projet en mars 1953. Document 1 Les débats lors du congrès de La Haye (7 au 10 mai 1948) Les partisans d’un continent européen organisé se réunissent à La Haye en mai 1948. On y trouve des partisans d’une Europe fédérale et ceux d’une Europe unie. Les deux discours cités, prononcés lors de la séance d’ouverture, sont très applaudis, malgré le prestige bien différent des deux hommes. Churchill, ancien Premier ministre, symbolise les forces établies de l’Europe. Les fédéralistes sont plus jeunes, moins « installés ». Hendrik Brugmans, socialiste néerlandais, est l’un de ceux qui ont exercé les responsabilités les plus importantes, tout en n’étant que secrétaire d’État à la presse et à l’information dans son pays. Réponse à la question Winston Churchill prône une Europe « souple » : il ne veut en aucun cas d’une forme trop achevée et critique ouvertement, à plusieurs reprises dans le texte, la rigidité de règles établies. L’ancien Premier ministre laisse à l’autorité des gouvernements le soin de gérer l’Europe, tout en recommandant au congrès de leur fournir un cadre idéal. Brugmans quant à lui s’affirme clairement partisan d’une « supranationalité de l’Europe ». Pour lui, la question du cadre, et donc de la constitution, est essentielle et fondamentale. Document 3 « La CED pour la paix » Le débat autour de la CED s’organise en France d’abord autour de la question du réarmement allemand. Les partisans du traité argumentent en faveur d’une défense européenne. Cette affiche de Paul Colin (l’un des plus grands affichistes français) oppose le bouclier de la nouvelle communauté (France, Hollande, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Italie), dont les drapeaux sont représentés, au mal des « tyrannies totalitaires », nazie et communiste. Les Américains soutiennent fortement le traité, menaçant en cas de non-ratification de « révision déchirante » de leur politique en Europe. La RFA ici est donc présentée comme un bouclier contre le nazisme et sa résurgence. On pourra à cette occasion revenir sur la notion de totalitarisme qui connaît un grand essor à cette époque. Hannah Arendt, notamment, a publié Les Origines du totalitarisme en 1951. Elle est, à ce moment-là de la Guerre froide, un instrument pour associer nazisme et communisme dans un même rejet. Document 2 Le volet politique du traité de la CED, 1952 (article 38) Le traité de Paris, signé le 27 mai 1952, vise d’abord à résoudre la question de la défense européenne et à offrir un cadre maîtrisé au réarmement de l’Allemagne. Pourtant, il ne s’arrête pas à ces questions et prévoit, dans son article 38 rédigé à l’initiative des chrétiens-démocrates et notamment d’Alcide 218 des bâtiments du Parlement européen. L’objectif de cette étude est donc de présenter ces hommes, leurs idées, leurs valeurs (doc. 2, 3, 4) et le projet d’Europe qu’ils portaient. Il s’agit également de souligner leurs apports tout en en montrant les limites (doc. 7) et en évitant de proposer une lecture hagiographique (ils n’auraient connu que des succès) ou téléologique (leur Europe portait nécessairement en germe l’Union européenne d’aujourd’hui). Document 4 Le refus du « militarisme allemand » Le PCF est violemment opposé à la CED : l’affiche rappelle les invasions allemandes de 1870, 1914 et 1940 en représentant à l’arrière-plan un village brûlé, comme l’ont été de nombreux villages français à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le soldat porte le casque de la Wehrmacht orné des initiales de la CED. La proximité de la guerre (neuf ans auparavant) rend la comparaison très forte. Le traité de Paris est signé le 27 mai 1952, au lendemain des accords de Bonn du 26 mai 1952 mettant fin à l’occupation de la RFA. Les deux accords sont intimement liés. Par les accords de Bonn, la RFA devient un État souverain, habilité dès lors à signer le traité de Paris. Mais c’est la ratification de la CED qui devait rendre la souveraineté effective. Cette crainte antiallemande est loin d’être uniquement communiste et trouve un véritable écho dans la population et chez les élites françaises : la fracture entre pro et anti-cédistes traverse bien des partis et même le Quai d’Orsay. Document 1 Les artisans de l’Europe Cette photographie montre les dirigeants des trois principaux partis démocrates-chrétiens européens, tous au pouvoir dans les années 1950. Konrad Adenauer est chancelier de la RFA de 1949 à 1963 (il a alors 87 ans), Alcide de Gasperi est président du Conseil italien entre 1945 et 1953, tandis que Robert Schuman est ministre des Affaires étrangères français de 1948 à 1952. Ces trois hommes jouent un rôle essentiel dans la première étape de la construction européenne qu’est la CECA. On les présente souvent comme des hommes venus des confins et marqués par cette expérience : de Gasperi est originaire de la région de Trente et entame sa carrière politique comme élu au Parlement de Vienne (Empire austro-hongrois). Ce n’est qu’après la guerre de 1914 qu’il devient Italien. Robert Schuman naît en 1886 à Luxembourg, alors dans l’Empire allemand, et ne devient Français qu’après la Première Guerre mondiale. L’expérience de la Seconde Guerre mondiale est également fondatrice : de Gasperi est emprisonné par les fascistes, puis réfugié au Vatican pendant l’occupation allemande. Adenauer, lui, est en résidence surveillée entre 1934 et la fin du nazisme. Schuman, qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain, est pourtant arrêté par la Gestapo en septembre 1940. Il fuit la France occupée en 1942. La notion de pères de l’Europe est d’un maniement très complexe. Pour le début des années cinquante, il convient d’ajouter à ces trois responsables Jean Monnet, homme d’influence qui sera abordé dans d’autres documents. En élargissant la notion à la décennie tout entière, on peut aussi mentionner Paul-Henri Spaak, socialiste belge qui joue un rôle essentiel dans la relance de Messine en 1955 et qui permet de nuancer l’idée d’une domination chrétienne-démocrate dans la construction de l’Europe politique. Réponse à la question Les deux affiches illustrent la divergence d’interprétation des traités mentionnés. Pour les uns, il s’agit d’unir l’Europe contre un danger menaçant : le communisme soviétique, associé à l’ennemi d’hier, le nazisme. La réintégration de l’Allemagne dans le concert européen protégerait également contre la résurgence du nazisme. C’est exactement le contraire de ce que suggère l’affiche du PCF pour lequel le réarmement allemand est la porte ouverte à un retour de l’agressivité allemande dont le souvenir est encore vif. Pour Jean Monnet, la CED n’est pas seulement une création de la Guerre froide, mais une étape de la construction européenne. pages 340-341 ÉTUDE Les pères fondateurs de l’Europe Cette étude évoque les hommes politiques à l’origine de la construction européenne. À partir de 1950, et notamment de la déclaration Schuman (doc. 5), élevée au rang de date de naissance de la nouvelle Europe par l’intégration économique, un petit nombre de décideurs politiques, le plus souvent démocrates-chrétiens (doc. 1), marquent de leur empreinte l’histoire de la construction européenne. Depuis, cette histoire se focalise sur ces « grands hommes » dont les noms sont donnés à 219 interdiction par les fascistes en 1926, au retour des catholiques italiens dans la vie politique), de Gasperi est en 1942 l’un des fondateurs de la Démocratie chrétienne. Ce parti domine la scène italienne : il obtient, en 1946, 35 % des voix et sera par la suite au pouvoir de façon quasi ininterrompue, culminant à 48 % des voix en 1948, puis se stabilisant autour de 38 %. La DC a toujours reçu un soutien relativement important de l’Église italienne et jouit de liens étroits avec un « monde catholique » bien organisé. Le Vatican et le pape Pie XII sont à cette époque de fervents partisans de la construction européenne. Saint Benoît est proclamé « Père de l’Europe » en 1947 pour les 1 400 ans de sa naissance. De façon générale, Pie XII considère que l’Europe doit s’unir sur le « roc de la morale » chrétienne à restaurer, en rétablissant le lien entre religion et civilisation. Document 2 L’attachement européen d’Adenauer Les motivations des « pères de l’Europe » sont diverses. Au moment où il prononce ce discours, Konrad Adenauer est le chef de l’Union chrétiennedémocrate (CDU) dans la zone d’occupation britannique, après avoir été un temps maire de Cologne. Sa préoccupation fondamentale est celle de la place de l’Allemagne dans le monde qui se crée. Il la pense dans un cadre européen, autour d’une intégration économique. L’ambition pacifique se lit également dans le texte. Pour autant, son Europe reste largement indéterminée, et la Grande-Bretagne est appelée à y jouer un rôle essentiel. Il faut souligner le fait que sa conception de l’Europe est, dès mars 1946, bornée à l’Europe « occidentale », ce qui témoigne de sa défiance à l’égard de l’URSS, à une époque où la Guerre froide est encore naissante. Document 5 Document 3 Déclaration de Robert Schuman Jean Monnet et l’Europe d’après-guerre Il s’agit d’un extrait du texte généralement présenté comme fondateur de la construction européenne et lu au salon de l’horloge du Quai d’Orsay le mardi 9 mai 1950. Ce passage est la déclaration liminaire du ministre dans laquelle il présente le texte, neuvième version d’un document préparé avec les équipes de Jean Monnet, alors commissaire général au Plan. Cette déclaration liminaire, composée de la main même de Robert Schuman, explicite le sens politique de la démarche. Il s’agit d’une initiative surprise, à la veille d’une réunion à Londres des trois (Grande-Bretagne, États-Unis, France) sur l’Allemagne. Le cercle des initiés est des plus restreints. La veille, Schuman a informé discrètement Adenauer de son initiative. En France, seuls deux ministres, René Pleven et René Mayer, et le président du Conseil Georges Bidault sont au courant. Dean Acheson, le secrétaire d’État américain, est également dans la confidence. L’initiative est évidemment économique puisqu’il s’agit de créer une haute autorité du charbon et de l’acier. Mais ce texte donne une dimension politique forte sur laquelle on pourra insister. Dans ce texte daté d’août 1943, Jean Monnet réfléchit à la configuration de l’Europe d’après-guerre. Il est alors membre du Comité français de libération nationale à Alger (il est Commissaire à l’armement, à l’approvisionnement et à la reconstruction). Cette note marque le réel début de l’intérêt de Monnet pour les questions européennes. Il réfléchit notamment à la configuration de l’Europe après le conflit et développe un certain nombre des idées présentes dans la déclaration Schuman de mai 1950, notamment celle d’une « entité européenne » supranationale. Il faut pourtant nuancer : Monnet n’émergera véritablement comme acteur de la construction européenne qu’à partir d’avril 1949. Il n’a d’ailleurs pas participé au Congrès de La Haye, pas plus qu’aux débats des années 1930. Document 4 L’Europe d’Alcide de Gasperi Dans ce discours d’octobre 1953, le président du Conseil italien insiste sur les racines chrétiennes de l’Europe qu’il souhaite construire. Le christianisme et la foi ont été des facteurs-clés de l’action de ce chef de la Démocratie chrétienne italienne et représentent pour lui l’un des ferments de l’unification européenne. Son engagement catholique marque l’ensemble de sa carrière politique. Ancien secrétaire général du Parti populaire italien (qui correspond, avant son Document 6 L’engagement de Jean Monnet en faveur de la CECA Ernst Maria Lang est un caricaturiste allemand qui publie à partir de 1947 ses dessins dans la Suddeutsche Zeitung, un quotidien créé en 1945 à Mu220 nich (donc dans la zone d’occupation américaine). C’est aujourd’hui l’un des plus grands quotidiens allemands, de tendance de centre gauche. Sur ce dessin daté d’août 1950, Monnet porte un sac sur lequel est inscrit Montanunion (Union du charbon et de l’acier) qui sert en allemand à désigner la CECA. Le couple chez lequel il livre est composé d’une Marianne avec son bonnet phrygien et d’un homme qui, avec son bonnet de nuit, a probablement les traits d’Adenauer, le chancelier allemand. 6. Pour Monnet, l’échec de la CED est la preuve que les nationalismes n’ont pas disparu, que l’ambition de les dépasser est un échec. Pour lui, cet accès de nationalisme français ne fait que pénaliser les ambitions de son pays. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Le volontarisme politique de quelques décideurs politiques II. L’affirmation de valeurs communes III. Les débuts de la construction : réussites et échecs Document 7 L’échec de la CED Toutes les initiatives des « pères de l’Europe » ne sont pas des réussites. L’échec le plus notable est celui de la Communauté européenne de défense. De Gasperi la soutient particulièrement, multipliant les interventions avant son décès en août 1954. Jean Monnet, également, use de toute son influence auprès du président du Conseil Pierre Mendès France pour qu’il soutienne la CED. Elle n’est pourtant pas sa priorité. Les négociations internationales voulues par Pierre Mendès France pour renégocier le traité sont un échec. Le traité est finalement rejeté par l’Assemblée nationale. Monnet en reste très amer, comme en témoigne le document. pages 342-343 LEÇON 2 L’Europe communautaire (1957-1986) Cette leçon sur l’Europe communautaire couvre la période qui va des traités de Rome (1957) jusqu’à l’Acte unique européen en 1986. C’est le temps de la construction d’une Europe d’abord économique, limitée aux pays de l’Ouest du continent. Cette construction n’est, pas plus que précédemment, linéaire : elle est faite d’hésitations et de contretemps que ce chapitre essaie de montrer. La période du pouvoir du général de Gaulle en France interroge notamment la forme que doit prendre l’Europe et pose la question politique d’une Europe « des nations » (doc. 2). Elle n’est surtout que l’une des Europe envisageables puisque coexistent pendant de longues années différentes structurations possibles (doc. 1). Petit à petit pourtant, c’est le modèle communautaire qui s’impose en s’accompagnant d’élargissements progressifs (doc. 3) et d’approfondissements (doc. 4). Réponses aux questions 1. Les fondateurs de l’Europe représentés sont allemands, italiens et français. Ils sont démocrates-chrétiens, donc plutôt au centre droit de l’échiquier politique. 2. Leurs idéaux sont marqués par le souci du maintien de la paix, la réconciliation francoallemande, la croissance économique, une certaine fierté nationale. On note également un attachement à la démocratie, à l’économie de marché et aux valeurs du christianisme. 3. La déclaration Schuman permet de sortir l’idée européenne de l’aporie dans laquelle elle se trouvait et de proposer des réalisations concrètes. 4. L’idée de base de l’initiative est que la construction européenne ne peut se faire que par un rapprochement entre les ennemis d’hier, la France et l’Allemagne, tout en donnant une dimension concrète à la construction européenne, celle de l’acier et du charbon. 5. La CECA est présentée comme un moyen de sortir l’Europe, et notamment la France et l’Allemagne, de la pénurie de l’après-guerre. Document 1 Les organisations européennes en 1960 Ce tableau, compilé par l’historien Gérard Bossuat, recense les organisations régionales européennes à l’ouest du continent en 1960. On en dénombre dix, auxquelles il faudrait rajouter l’OTAN à laquelle l’Europe de l’Ouest participe. Ces organisations sont extrêmement diverses et variées, aussi bien par leur objet que par leur étendue (le nombre de pays membres varie entre 5 et 30). Certaines organisations, comme l’AELE et la CEE, sont concurrentes. L’Association européenne de libre-échange est initiée par les Britanniques et créée par la convention de Stockholm du 4 janvier 1960. L’idée d’une zone de libre-échange s’oppo221 sait à celle d’un marché commun et d’une union douanière. Le modèle de l’intégration économique proposée par la CEE n’est donc pas le seul. Le Conseil de l’Europe a été fondé en 1949 par le traité de Londres dans la lignée du congrès de La Haye par dix pays à l’origine. Son but est de promouvoir la démocratie et les droits de l’homme en Europe. Il est doté de plusieurs organes statutaires, dont la Cour européenne des droits de l’homme. Wilson, avait en mai 1967 déclaré la candidature de son pays. Elle sera rejetée en décembre. Sampson montre dans ce texte les évolutions de la GrandeBretagne face à l’Europe et l’abandon progressif de son isolement. Réponse à la question Pour Sampson, deux des obstacles principaux à l’intégration britannique dans la CEE sont le Commonwealth et la relation spéciale qui unit les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ce sont des arguments traditionnels dans le débat britannique. Document 2 L’Europe de De Gaulle Cet extrait de la conférence de presse du général de Gaulle du 15 mai 1962 est passé à la postérité pour la formule qu’il utilise à propos du « volapuk intégré ». Le volapuk comme l’espéranto, qui le supplante, sont des langues inventées pour servir de langues pont entre des langues différentes. Il est inventé par un prêtre catholique allemand à la fin du XIXe siècle. Le chef de l’État français réaffirme son attachement à l’Europe des nations, tout en contestant la formule d’Europe des patries. Il considère que les nations ne doivent pas se dissoudre dans un plus vaste ensemble. Cette conférence se déroule au moment où l’échec du plan Fouchet d’union politique européenne est consommé. Dès lors, de Gaulle va se replier de plus en plus sur le dialogue franco-allemand (cf. étude, p. 344). Document 4 L’élection du Parlement européen au suffrage universel direct Les élections du Parlement européen au suffrage universel direct marquent une étape significative de l’association des citoyens à la construction de l’Europe, même si les pouvoirs du Parlement sont des plus limités. Cette affiche italienne insiste par sa répétition du possessif (ton vote pour ton Europe) sur cette appropriation nécessaire. De vastes campagnes de propagande électorale sont lancées dans les neuf pays membres (dont les drapeaux sont représentés sur le crayon). En Italie, l’électeur coche une case sur un bulletin qui rassemble toutes les listes en compétition : c’est ce qui explique le crayon. Lors de ces élections en Italie, communistes (24), démocrates-chrétiens (30) et socialistes (13) se partagent l’essentiel des 81 sièges à pourvoir. Ces mêmes groupes dominent le Parlement européen. La première présidente du Parlement sera la Française Simone Veil (UDF) entre 1979 et 1982. Un socialiste néerlandais, Piet Dankert, lui succède pour la seconde partie de la législature. Réponse à la question Dans ce texte, de Gaulle affirme son souhait de voir l’Europe se constituer politiquement et dépasser le simple stade de l’économie (il reste fidèle à la logique du plan Fouchet, proposé et enterré dans les mois précédents). Mais cette Europe politique ne peut se faire, selon lui, sans le maintien des États et des nations. ÉTUDE Document 3 pages 344-345 La deuxième candidature de la Grande-Bretagne à la CEE Le couple franco-allemand Anthony Sampson publie ce texte dans Le Monde du 19 octobre 1967. Ce journaliste et écrivain britannique était particulièrement reconnu pour ses analyses de la société britannique, notamment grâce au livre Anatomy of Britain qu’il a publié en 1962. C’est à ce titre qu’il intervient dans Le Monde en 1967, au moment où les débats sur une éventuelle admission de la Grande-Bretagne dans le marché commun font rage. Le premier veto français remontait à 1963. Le Premier ministre britannique, Harold Document 1 Cette étude permet une réflexion sur l’histoire et le rôle des relations franco-allemandes dans la construction européenne. Rituellement présenté comme un « moteur », ce couple a connu des périodes de nette entente, mais également de fortes tensions. Dépasser les rancunes Il s’agit d’un court extrait d’une interview d’Adenauer donnée au journaliste américain Henry K. Smith le 7 mars 1950. Celui-ci est le chef, pour 222 l’Europe, de l’agence de presse américaine International News Service : l’interview est ainsi largement diffusée. Le chancelier allemand y indique clairement que l’avenir du continent passe par la réconciliation franco-allemande. La RFA est un pays jeune au moment de cette interview, puisqu’il n’existe que depuis mai 1949. Les propositions d’Adenauer sont très fortes : une union pure et simple entre la France et la RFA. Ce projet est remarquable au moment où la question de la Sarre constitue une pomme de discorde entre les deux pays. La RFA ne dispose pas, à ce moment-là, de l’autonomie diplomatique. Ce n’est que le 6 mars 1951 que la révision du statut d’occupation lui permet d’avoir un « Office des affaires étrangères ». C’est d’ailleurs Adenauer qui cumulera à partir de cette date les fonctions de chancelier fédéral et de ministre chargé des Affaires étrangères. La RFA ne retrouve toute sa souveraineté qu’un an plus tard grâce à la convention de Bonn en 1952. Adenauer renouvelle cette proposition à la fin du mois et privilégie clairement le rapport franco-allemand à toute autre relation européenne. La proposition d’Adenauer est accueillie avec scepticisme et sera laissée sans suite. Elle constitue néanmoins un moment important des relations franco-allemandes. Document 3 De Gaulle en Allemagne Pour le général de Gaulle, après l’échec du plan Fouchet en avril 1962, l’Europe cesse d’être une priorité. Il préfère renforcer un lien privilégié avec l’Allemagne. Son arrivée au pouvoir en 1958 y a d’ailleurs été diversement appréciée. Pourtant, à partir de 1959, il parvient à nouer des relations personnelles et politiques fructueuses avec Adenauer. L’été 1962 sera une période faste du rapprochement, notamment le 8 juillet avec la visite d’Adenauer à Reims, lieu de la signature de la capitulation allemande en 1945. De Gaulle se rend à son tour en RFA du 4 au 9 septembre, où il bénéficie d’un accueil particulièrement chaleureux. Document 4 Le traité de l’Élysée (1963) Dans la lignée des voyages de 1962, les deux chefs d’État signent en janvier 1963 le traité de l’Élysée. Leur souhait est de renforcer la coopération et la coordination des politiques des deux États. Le choix gaullien est clairement de privilégier l’Allemagne et les relations bilatérales par rapport à la communauté européenne qui passe au second plan. Le couple franco-allemand n’est pas, à ce moment-là, un moteur de l’Europe communautaire. Adenauer, lui-même usé par de longues années de pouvoir, accepte la démarche. Un préambule ajouté par le Bundestag au moment de la ratification réaffirme l’importance de l’alliance atlantique pour la RFA et amoindrit un peu la portée du texte. Document 2 Un rapprochement très critiqué Henri-Paul Gassier publie depuis l’époque de la Première Guerre mondiale ses caricatures dans de nombreux journaux de gauche, dont L’Humanité, Le Populaire ou Le Canard Enchaîné. Il s’agit ici de l’un de ses derniers dessins (il meurt en 1951). Publiée le 24 juin 1950 après l’ouverture de la conférence de Paris sur le plan Schuman (à partir du 20 juin), cette caricature s’oppose au rapprochement entre les deux pays en dressant un parallèle entre la politique de collaboration du maréchal Pétain et celle de Robert Schuman. Cette ligne d’attaque est une constante des communistes français, notamment à l’encontre de R. Schuman né en Allemagne : en 1947, Jacques Duclos l’accueille ainsi à l’Assemblée nationale par un vigoureux « voilà le Boche ». En 1950, le rapprochement franco-allemand ne va pas de soi : les oppositions sont nombreuses et les plaies de la Seconde Guerre mondiale sont encore loin d’être refermées. Souvent, le plan Schuman est présenté par les forces communistes comme une œuvre de trahison nationale. Document 5 Un renouveau des tensions (1966) En 1963, Adenauer quitte le pouvoir, il est remplacé par Ludwig Ehrard, également chrétien-démocrate. Les relations franco-allemandes se dégradent alors nettement, car le choix d’Ehrard et de son ministre des Affaires étrangères, Schröder, est de privilégier l’alliance avec les États-Unis. Les divergences sont également fortes en économie, Ehrard ne partageant pas le souci gaulliste de la planification. Ce dernier ne souhaite pas non plus le tête-à-tête avec la France et préfère penser à l’échelle européenne et atlantique. L’entente est difficile entre de Gaulle et celui qu’il n’hésite pas à qualifier en privé de « pauvre type » ou de « ludion ». De Gaulle s’en tient à la politique pensée par le traité de l’Élysée et critique ouvertement Ehrard, notamment lors de la conférence de presse d’octobre 1966. L’isolement gaullien en Europe est désormais fort, et l’Europe stagne. 223 Les nouveaux pays européens progressivement intégrés dans l’Union n’acceptent pas toujours cette domination franco-allemande qu’ils qualifient de diktat. La Pologne a adhéré à l’Union avec le traité d’Athènes en avril 2003, ratifié par référendum en juin de la même année. Le traité entre en vigueur le 1er mai 2004. L’élargissement de l’Europe pose la question du poids relatif des nouveaux pays et des pays fondateurs et entraîne de nombreuses tensions. Document 6 « L’esprit de Charlemagne » souffle sur le sommet européen d’Aix-la-Chapelle (1978) Le couple franco-allemand se reforme grâce au libéral Valéry Giscard d’Estaing et à Helmut Schmidt, chancelier social-démocrate, qui accèdent tous deux aux responsabilités en 1974. Ils contribuent largement à la relance d’une construction européenne en crise au début des années 1970. Ils le font en proposant dès 1974 la création d’un Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. Mais également en 1978 en soutenant la mise en place du système monétaire européen. La déclaration de Valéry Giscard d’Estaing à la presse en septembre 1978 témoigne, par son lyrisme et son volontarisme, de cette volonté. Réponses aux questions 1. Les couples franco-allemands se fondent sur le rappel aussi bien des conflits que de l’histoire commune. Valéry Giscard d’Estaing rappelle ainsi « l’esprit de Charlemagne ». C’est pourtant essentiellement l’évocation des guerres entre les deux pays qui est la plus frappante (guerre de 1870, Première et Seconde Guerre mondiales). Le plus généralement, il s’agit d’en dépasser le souvenir, comme dans le texte d’Adenauer (doc. 1) ou lors de la cérémonie de Verdun (doc. 7), mais ces moments douloureux peuvent aussi être évoqués pour rappeler les traumatismes et les haines (doc. 2 et 5). 2. L’action des responsables est valorisée par leur sympathie et leur proximité personnelle (doc. 3 et 7), l’hommage rendu aux morts, le passé glorieux en commun (Charlemagne), la volonté de dépasser les conflits d’hier (doc. 1). 3. Le couple franco-allemand permet, par ses rencontres régulières et la coopération politique qu’il favorise, une coordination des initiatives, comme c’est le cas en 1978 avec le soutien au SME. 4. La peur d’une résurgence du nationalisme allemand est au cœur de la critique communiste (doc. 2). Plus tard, c’est la façon de confisquer les débats et d’imposer leur volonté que critique Michnik (doc. 8). 5. La solidarité atlantique est l’une des principales sources de tensions. Le souvenir des conflits est régulièrement exacerbé. Mais ce sont également des divergences sur le sens de l’Europe et de la politique économique qui expliquent ces tensions. Document 7 La force du symbole (1984) Le 22 septembre 1984, le chancelier Helmut Kohl et le président François Mitterrand, qui ont appris à se connaître et à s’apprécier depuis 1982, rendent hommage aux soldats morts pendant la Première Guerre mondiale à l’ossuaire de Douaumont. Difficile de savoir si le geste a été décidé à l’avance, mais les deux hommes se donnent la main : il s’agit de l’une des images fortes de ce couple franco-allemand, après de Gaulle et Adenauer à Reims. On remarque également le double drapeau sur le cercueil devant les deux hommes et les anciens combattants en arrière-plan. Le couple franco-allemand s’inscrit alors durablement dans l’histoire européenne : François Mitterrand, avant son élection en 1981, avait pourtant été assez critique vis-à-vis de Valéry Giscard d’Estaing et de sa capacité à ne penser l’Europe qu’en termes de relation avec l’Allemagne. Aux responsabilités, il choisit lui aussi de privilégier le lien avec Bonn. Document 8 Le refus du diktat franco-allemand Le couple franco-allemand, en se désignant le plus souvent comme le moteur indispensable de l’Europe, agace parfois ses autres partenaires européens. C’est particulièrement net en 2003 dans cette tribune d’Adam Michnik, l’une des figures essentielles de la dissidence polonaise dans les années 1960-1980. Conseiller du syndicat Solidarité (il fait de la prison pour ses opinions), il fonde après la chute du communisme la Gazeta Wyborcza, le plus important quotidien polonais, et a été désigné « Européen de l’année 1989 ». VERS LE BAC Composition Problématique : au-delà des divergences, comment le couple franco-allemand s’est-il constitué comme le moteur de la construction européenne ? 224 Plan possible I. Le rapprochement des ennemis d’hier II. Un couple au cœur de la construction européenne III. Divergences et critiques pages 346-347 Document 2 L’OTAN Il s’agit d’une affiche publiée par la Démocratie chrétienne au moment de la guerre de Corée (on remarque le pays à feu et à sang). Le communiste armé d’une faucille et d’un marteau ensanglanté porte un chapeau orné de l’étoile rouge qui peut, avec un peu d’imagination, rappeler ceux de l’armée rouge à l’époque de la guerre civile. Le Pacte atlantique (l’OTAN) est représenté comme un bouclier de l’Italie en particulier et de l’Europe en général. Là encore, c’est la menace soviétique qui sert de justification à la construction d’une alliance militaire. Le bouclier, par ailleurs symbole de la démocratie chrétienne, est présent sur de nombreuses affiches du parti. L’Europe dont il est ici question est l’Europe occidentale, de l’autre côté du rideau de fer. ÉTUDE Quelle Europe dans la Guerre froide ? L’Europe est le terrain privilégié de la Guerre froide, cet affrontement politique, militaire, idéologique et culturel qui divise à partir de 1947 le monde en deux. Chacune des étapes de la construction d’une Europe politique entre en résonance avec le contexte du monde bipolaire. Le coup de Prague de février 1948, qui achève la constitution du bloc socialiste, précède de quelques semaines le congrès de La Haye (doc. 1). L’influence américaine est particulièrement sensible pendant les premières années de balbutiement du projet européen. Le plan Marshall (doc. 3) et l’OTAN (doc. 2) sont autant d’éléments de rapprochement des Européens qu’il ne faut pas négliger. Si l’Europe parvient après 1957 à s’abstraire de ce déterminisme américain (doc. 4 et 5), on retrouve l’influence de la Guerre froide au moment de la disparition du bloc de l’Est, notamment avec le concept de maison commune européenne de Mikhaïl Gorbatchev (doc. 7). Cette étude propose de réfléchir à l’influence de la Guerre froide sur le projet d’une Europe politique. Document 3 Le train de l’Europe L’intégration économique européenne était l’une des conditions posées par les Américains au déploiement de leur aide dans le cadre du plan Marshall. C’est l’Organisation européenne de coopération économique, créée en avril 1948 par quinze États, qui va en être le cadre. Dans un but de propagande, cette organisation fait aménager un train composé de cinq wagons abritant une exposition vantant la coopération économique. Celui-ci parcourt dix-huit pays, dont la France. Cette carte postale annonce l’arrivée de ce train. L’influence américaine, par l’intermédiaire de l’ECA (Economic Cooperation Administration) qui gère le plan Marshall, est essentielle. Document 1 Le discours de la peur L’une des premières structures d’organisation de l’Europe d’après-guerre est le pacte de Bruxelles. D’abord et avant tout pacte d’assistance mutuelle, automatique et militaire (il prévoit aussi une coopération économique, sociale et culturelle), il est signé entre cinq pays d’Europe occidentale (France, Grande-Bretagne et les trois pays du Benelux) dans un climat de tensions croissantes. Le plan Marshall avait signé la division de l’Europe en deux, la conférence de Sklarskza Poreba en septembre 1947 avait contribué à durcir cette opposition. Certains en Europe craignent une menace soviétique, et le « coup de Prague » de février 1948 achève de les convaincre. Dans les négociations et dans le préambule, c’est le problème allemand qui est pourtant mis en avant. Mais ce texte de Spaak illustre bien l’omniprésence de la pensée du danger soviétique, qui se révèle l’un des fondements de la construction européenne. Document 4 « Les États-Unis d’Europe » Marqué par l’échec de la CED, Jean Monnet quitte en 1955 ses responsabilités à la CECA et fonde le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe. Il s’agit d’un groupe de pression composé de politiques, de syndicalistes et d’hommes d’affaire de six pays différents, dont l’objectif est de favoriser l’approfondissement de la construction européenne. Il soutient ainsi le processus qui aboutit à la signature des traités de Rome en 1957. L’affiche, datant de 1960, souligne un projet européen, et donc son incarnation soutenue par Monnet, celle de la CEE et d’Euratom, qui se pose en alternative dans le monde de la Guerre froide : ni américain, ni soviétique. L’inflexion par rapport aux précédents documents est sensible. 225 la Guerre froide. Les États-Unis sont la force de structuration de l’Europe dans les années d’après-guerre. Une fois les traités de Rome signés, la Guerre froide se normalisant, le projet européen est plus souvent présenté comme une source d’autonomie. 2. L’idée d’Europe dans les années 1950 est portée par les pays occidentaux, soutenus et encouragés, politiquement et financièrement, par les États-Unis. De l’autre côté du rideau de fer, on pense en des termes plus politiques que géographiques. 3. L’URSS considère dans les années 1950 la construction européenne comme une manifestation d’inféodation aux États-Unis et la rejette fortement. Progressivement, ce regard va changer et les deux blocs vont se rapprocher. Gorbatchev estime l’Europe communautaire et cherche à s’en rapprocher au nom de valeurs communes. 4. Spinelli évoque le modèle confédéral qui rapproche des États souverains, le modèle fédéraliste qui vise à développer une forme de supranationalité et enfin le modèle fonctionnaliste qui a dominé et cherche à créer des formes efficaces dans des domaines particuliers. Document 5 La CEE vue d’URSS L’URSS est très hostile à l’unification de l’Europe de l’Ouest , notamment après les traités de Rome de 1957. Le 26 août 1962, la Pravda publie « 32 thèses » sous le titre « De l’intégration impérialiste en Europe occidentale », un texte qui reprend et synthétise les reproches des Soviétiques vis-à-vis de l’Europe en construction. Pour les Soviétiques, la communauté européenne est vouée à l’échec. On retrouve dans cet extrait d’un article de l’organe central du comité central de PCUS les thèmes principaux du discours soviétique. Il dénonce la mainmise des États-Unis sur l’Europe occidentale et une CEE totalement inféodée à l’OTAN. Ce n’est donc pas un bloc spécifique qui serait en train de se créer, mais un instrument supplémentaire de l’impérialisme américain qui apparaît. Document 6 Les différentes conceptions de l’Europe selon Altiero Spinelli (1985) En 1985, lors d’une conférence, l’Italien Altiero Spinelli, membre du Parti communiste italien, propose une analyse des différents modèles de construction européenne qui existent. Lui-même est au cœur de ces débats puisqu’il est, au Parlement européen, rapporteur de la commission institutionnelle et propose un nouveau traité en 1984, adopté à une large majorité, qui repense l’architecture de l’Union. Si ce projet n’est pas ratifié par les États, il marque cependant une étape dans la réflexion vers l’Acte unique de 1986. VERS LE BAC Étude critique Plan possible I. La vision confédérale II. La vision fédéraliste III. La vision fonctionnaliste Document 7 La maison européenne commune Devant le Conseil de l’Europe, M. Gorbatchev expose sa vision du continent européen. Depuis 1984, avant même son accession au pouvoir, le responsable soviétique utilise ce concept pour séduire les responsables occidentaux. Il devient peu à peu un véritable projet politique qui vise à mettre en place une communauté de destin entre les pays européens, bien au-delà du rideau de fer, une Europe où l’URSS joue son rôle et qu’il s’agit de penser à l’échelle du continent. pages 348-349 LEÇON 3 Une nouvelle ambition ? (1986-2011) Cette leçon aborde la question de la construction politique de l’Europe à l’épreuve de la fin de la division de l’Europe. 1989 marque en effet une date fondamentale avec la disparition des démocraties populaires. L’adoption par les nouveaux régimes des valeurs de la démocratie libérale pose rapidement la question de l’élargissement de l’Europe, refondée par l’Acte unique de 1986. La maison commune européenne de Gorbatchev cesse d’être un objectif pour devenir une réalité politique à gérer. Cet élargissement ne va pas sans problèmes, notamment institutionnels. Réponses aux questions 1. L’Europe est successivement présentée comme une zone réunie sous la protection américaine, puis comme une force indépendante et autonome dans le monde bipolaire de 226 2. L’OTAN rénovée a vocation à renforcer l’unité européenne, à la fois en renforçant l’existant et en « se tournant vers les anciens adversaires ». L’OTAN a vocation à assurer la sécurité de cette nouvelle Europe. Document 1 « OUI à l’Europe » Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992 après le sommet tenu en décembre 1991, est soumis à ratification par chacun des pays membres. En France, le Président Mitterrand décide de choisir la voie référendaire. Une campagne intense agite alors le pays. Les principales forces politiques françaises, dont le PS, appellent à voter Oui, tandis que des dissidents, de droite comme de gauche, et le PC appellent à voter Non. Ce référendum est l’occasion d’interroger la construction européenne, ses formes et ses valeurs. Document 3 Une Europe impuissante Le caricaturiste Fritz Behrendt publie l’essentiel de ses dessins dans les journaux germanophones comme le Frankfurter Allgemeine Zeitung ou le Tagesspiegel, mais certaines de ses caricatures franchissent les frontières : il publie également aux Pays-Bas, comme c’est le cas ici. Il illustre dans ce travail l’impuissance de la communauté internationale face au conflit qui oppose les différents États de l’ex-Yougoslavie à la suite du démembrement de cet État (en juin 1991, la Slovénie et la Croatie déclarent leur indépendance, reconnue en décembre par l’Allemagne puis en janvier par les autres pays européens). La guerre éclate sans que l’Europe ne sache agir, en prévenant ou en stoppant le conflit. Les deux personnages représentés illustrent les belligérants. Les initiales JNA désignent l’armée fédérale yougoslave qui intervient contre les républiques sécessionnistes. Réponses aux questions 1. Le personnage représenté n’est pas directement identifiable, mais par sa moustache et sa gestuelle, il fait allusion au chancelier allemand Adolf Hitler. L’uniforme peut aussi rappeler des uniformes soviétiques. 2. Le slogan choisi fait du Oui à l’Europe un Oui à la paix, ce qui sous-entendant que refuser l’Europe proposée par le traité de Maastricht est porteur de guerre. 3. La paix et la démocratie sont les valeurs que cette affiche souhaite associer à la construction européenne. Elles sont au cœur du discours européiste de François Mitterrand qui ne cesse de rappeler le souvenir douloureux de la Seconde Guerre mondiale. Document 4 Le rejet du traité européen Heiko Sakurai est un caricaturiste allemand qui, en 2005, travaille pour le quotidien conservateur Die Welt. Il illustre ici les difficultés du couple franco-allemand, représenté dans la cabine d’un poids lourd démantelé au lendemain du rejet par les Français du traité constitutionnel européen. Document 2 Rénover l’OTAN ? Il s’agit du onzième sommet des chefs d’État de l’OTAN qui se tient à Londres les 5 et 6 juillet 1990. C’est un sommet important puisqu’il se déroule après la disparition du bloc communiste qui constituait la raison d’être de l’Alliance. À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement publient ce texte intitulé « Déclaration sur une Alliance de l’Atlantique nord rénovée ». Réponse à la question L’Europe peine à définir une politique étrangère commune, à s’accorder sur ses objectifs et sur les moyens de les faire appliquer. Le conflit en ex-Yougoslavie en est la preuve. La définition de ce que doit être l’Europe, ses objectifs et ses institutions constitue un autre obstacle majeur, comme en témoigne l’échec du TCE en 2005. Réponses aux questions 1. L’OTAN est une alliance née en avril 1949. Elle rapproche les signataires du pacte de Bruxelles, les États-Unis et le Canada et cinq autres pays européens. Il s’agit d’un pacte d’assistance mutuelle en cas d’agression de l’un des pays signataires. C’est donc une alliance défensive qui prétend organiser la sécurité du continent. pages 350-351 ÉTUDE Les citoyens face à l’Europe L’histoire de la construction européenne et du projet d’une Europe politique est le plus souvent pensée et racontée du point de vue des élites et des décideurs. Cette étude est l’occasion de s’in227 téresser au rôle des populations, à leurs réactions et à leurs avis face à une Europe qui s’est jusqu’ici très largement construite par le haut. L’élection du Parlement européen au suffrage universel direct est une mesure qui vise à combler ce que certains qualifient de déficit démocratique de l’Europe (doc. 1). Plus récemment, l’initiative citoyenne européenne (doc. 7) poursuit le même objectif. Les consultations des peuples restent cependant peu nombreuses, essentiellement à l’occasion de l’adhésion à l’Union européenne (doc. 5) ou lors de la ratification de traités modifiant substantiellement la teneur de cette Union (doc. 2 à 4). Document 3 Pour un référendum Le débat autour de la ratification du traité de Maastricht divise largement les familles politiques françaises. Si les partis de droite (RPR et UDF) soutiennent le Oui, certains hommes politiques s’y refusent : Philippe Seguin, avec Charles Pasqua, est de ceux-là. Député, il réclame dans ce discours prononcé le 5 mai 1992 un référendum. C’est le choix que fait le Président Mitterrand en juin de la même année. Philippe Seguin insiste dans ce texte sur la nécessité de donner la parole au peuple. On peut noter à la fin de l’extrait une allusion au positionnement de Jacques Chirac, pourtant auteur de l’appel de Cochin, président du RPR, en faveur du Oui à Maastricht. Document 1 Le taux de participation aux élections européennes (1979-2009) Document 4 Les premières élections du Parlement européen au suffrage universel remontent à juin 1979. Le taux de participation est alors, à l’échelle des neuf pays membres, de 62 %. C’est un taux relativement faible si on le compare à des élections nationales (aux législatives de 1978, l’abstention en France est d’environ 16 %). Le taux de participation va aller décroissant à chaque nouvelle élection pour atteindre 43 % en 2009, soit l’abstention de plus d’un citoyen européen sur deux. Cette abstention est cependant différenciée selon les pays et varie en 2009 entre 65 % en Italie et 19,6 % en Slovaquie, un pays pourtant récemment intégré dans l’Union (en Belgique, le vote est obligatoire). Le désintérêt des populations pour un Parlement au fonctionnement complexe et doté de peu de pouvoirs est patent. Démocratie directe ou participative ? Le traité de Maastricht est ratifié différemment selon les pays. Trois d’entre eux (la France, l’Irlande et le Danemark) font le choix de consulter directement leurs citoyens en organisant des référendums. Pour les autres pays, la ratification adopte la procédure parlementaire, jugée plus sûre. Document 5 Les citoyens et l’élargissement Lors des procédures d’élargissement, les citoyens sont consultés par référendum. C’est le cas notamment, entre mars et septembre 2003, dans huit pays d’Europe médiane (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Pologne). Deux grilles de lecture de la carte sont possibles. Une première par pays : on voit que certains, comme la Lituanie et la Slovaquie, sont homogènes dans leur soutien à l’adhésion. D’autres sont divisés, comme la Pologne où la partie ouest du pays, davantage urbanisée et industrialisée, est plus nettement favorable à l’Europe. Si l’on s’en tient au taux d’approbation, on peut constater de grandes différences. On est loin d’une ratification massive et uniforme. L’euroscepticisme existe bel et bien dans certains pays, notamment en République tchèque, en Pologne ou en Lettonie. Document 2 Quel choix ? Cette déclaration des ministres des Affaires étrangères européens fait suite au rejet par le peuple danois du traité de Maastricht le 2 juin 1992. Deux jours plus tard, ce texte affirme des « regrets » face au vote danois, mais « exclut toute renégociation ». Après ce vote néanmoins, de nouvelles négociations ont lieu qui permettent au Danemark d’obtenir un statut particulier, notamment en ce qui concerne l’Union économique et monétaire. Un deuxième référendum est alors organisé en mai 1993 et voit le Oui l’emporter. En 2000, les Danois sont à nouveau consultés pour mettre fin à cette exception et entrer dans l’Europe, ils le refusent une nouvelle fois à 53 %. Document 6 Le rejet du traité constitutionnel en France Le référendum sur le traité constitutionnel est décidé par Jacques Chirac en 2005, comme dans neuf 228 autres des vingt-cinq pays signataires. La campagne, une fois encore, divise la classe politique et le camp du Non, qui finit par l’emporter, est aussi politiquement hétérogène que le camp du Oui (qui rassemble l’essentiel des socialistes et de la droite modérée). Front national, MPF ou RPF mobilisent l’opposition de droite. Le Non de gauche est porté dans la campagne officielle par le PCF, mais de nombreuses personnalités socialistes comme Laurent Fabius ou Jean-Luc Mélenchon y jouent un rôle essentiel. Sur cette photographie, on voit une manifestante se réjouir de la victoire du Non (54,67 %). La place de la Bastille est un lieu traditionnel de rassemblement de la gauche. La jeune fille porte placardée contre elle la une du journal L’Humanité et on remarque dans la foule des drapeaux d’Attac, association altermondialiste opposée au libéralisme économique. par voie référendaire en France, ce qui déclenche de vifs débats, notamment chez les partisans du Non de 2005. Le traité est ratifié par le Parlement après modification de la constitution par le Congrès, le 8 février 2008. Bernard Kouchner défend dans ce texte le choix du gouvernement français. Il le fait dans le cadre des questions au gouvernement en répondant au député souverainiste Nicolas DupontAignan. Réponses aux questions 1. Les citoyens européens sont directement consultés lors des procédures d’adhésion à l’Union (doc. 5), lors des élections au Parlement européen (doc. 1) et lors des référendums organisés à l’occasion des modifications des traités européens (doc. 2 et 6). 2. L’ICE est une nouvelle forme de participation des citoyens qui leur permet de suggérer des projets de directives à la Commission. 3. La mobilisation des Européens est très variable et dépend souvent d’enjeux politiques locaux. La participation aux élections du Parlement européen est déclinante et atteint actuellement des niveaux très faibles. 4. Les traités sont ratifiés soit par référendum, soit par la voie parlementaire. 5. Les traités sont le plus souvent ratifiés. Néanmoins à plusieurs reprises, Danois, Français, Irlandais ont refusé les textes qui leur étaient proposés. 6. Les rejets par référendum ne signifient pas nécessairement la mort des textes proposés qui, parfois modifiés, sont de nouveau soumis aux peuples réfractaires, comme lors du deuxième vote danois sur Maastricht. De nouveaux textes, pas nécessairement ratifiés par référendum, sont élaborés. Enfin, la procédure d’ICE, tout comme les pouvoirs du Parlement européen, est d’une portée extrêmement limitée. Document 7 L’initiative citoyenne européenne Face au déficit démocratique de la construction européenne que les différents référendums ont manifesté, tout comme la baisse constante de la participation aux élections européennes, les dirigeants européens, lors du traité de Lisbonne, ont mis au point le mécanisme de l’ICE. Il s’agit de permettre aux citoyens d’avoir une certaine initiative sur les directives européennes, sous conditions contraignantes (précisées dans l’extrait). La Commission peut alors donner suite, ou pas, à la demande des citoyens européens. Officiellement, les premières ICE auraient pu apparaître début 2012. Ce n’est pas encore le cas. Le site de la commission est instructif : http://ec.europa.eu/citizens-initiative/ public/welcome Document 8 La ratification du traité de Lisbonne Le rejet du TCE par le peuple français, puis par les Pays-Bas, a rendu le texte caduc malgré des ratifications par d’autres pays. Une solution de rechange, très contestée par les opposants au TCE, a été élaborée avec la mise en place du traité de Lisbonne. Celui-ci modifie profondément les traités précédents, sans pour autant se réclamer d’une ambition constitutionnelle. Le nouveau traité modificatif (Kouchner évoque un traité « simplifié », alors que le traité de Lisbonne compte 145 pages) n’est pas soumis à ratification VERS LE BAC Composition Plan possible I. Une Europe qui se construit par le haut jusqu’en 1979 II. Les différentes voies de consultation des peuples depuis 1979 III. Le constat d’un déficit démocratique malgré la mise en place de la procédure d’ICE 229 pages 352-353 ÉTUDE Document 3 Vote de la directive par le Parlement européen (19 juin 2008) La directive européenne sur l’immigration Au cœur de l’acte politique et démocratique se trouve la loi. Au niveau européen, on ne parle pas de loi mais de directive. L’initiative de ces directives revient exclusivement à la Commission. Après une procédure complexe, la directive, si elle est adoptée, doit être traduite en droit national et devient alors une loi de chacun des pays de l’Union. Cette étude cherche à présenter le rôle de chacun des acteurs européens dans ce processus politique. Elle se fonde sur l’histoire d’une directive très contestée, dite « directive retour », qui porte sur les questions d’immigration. Les débats qui ont entouré l’adoption de ce texte permettent de bien comprendre le rôle de chacun. La directive est votée par le Parlement européen à Strasbourg le 18 juin 2008. La droite a massivement voté en faveur du texte (PPE et libéraux). Les socialistes européens étaient divisés : 33 députés PSE ont voté pour, 48 se sont abstenus et 89 ont voté contre, dont les Français. Les Verts/ALE et les communistes de la Gauche unitaire européenne ont voté contre. Lors du vote, des députés de gauche affichent leur opposition au texte en brandissant des affiches sur lesquelles on peut lire le slogan « No to the return directive » (« Non à la directive retour »). Document 4 Le contenu de la directive Document 1 Le texte présente les principaux points de la directive qui a été adoptée. Il doit servir à réfléchir au fond de la question et permettre d’expliquer la mobilisation citoyenne et politique dont témoignent les documents 2 et 3. Au cœur des protestations se trouve la durée « maximale » de rétention, donc de privation de liberté, fixée par la directive (qui peut atteindre 18 mois). En France, avant la directive, cette durée maximale était alors de trentedeux jours. La directive n’impose pourtant pas à la France de modifier son texte, plus « favorable aux clandestins ». Le texte prévoit également une interdiction de séjour de cinq ans sur tout le territoire européen pour les clandestins expulsés. Le texte reprend cependant l’argumentation de ses inventeurs, en insistant sur la facilitation du retour et sur le fait de la nécessaire harmonisation des conditions entre les différents pays européens. Le Conseil européen fixe une politique commune Le Conseil européen (la réunion des chefs d’État et de gouvernement) fixe une politique qu’il appartient à la Commission de mettre en œuvre. Il fixe le cadre général de l’action de la Commission. La question de l’immigration et de l’asile politique est abordée lors du sommet de Tampere en octobre 1999. Ce texte est un extrait de la conférence de presse du Président Chirac qui rend compte des conclusions. Les termes qu’il utilise sont très généraux. La France, à cette époque, est en situation de cohabitation : le Premier ministre Lionel Jospin est socialiste. Document 2 Une directive contestée Manifestation organisée à Paris en juin 2008 au carrefour de l’Odéon, à la veille du vote de la directive. Le texte produit par la Commission vise à harmoniser les règles de séjour et d’expulsion des étrangers et prévoit des conditions de rétention pouvant aller jusqu’à 18 mois et des bannissements pour 5 ans. On reconnaît au centre de la photographie Annick Coupé, l’une des porte-parole du syndicat SUD (Union syndicale solidaires) qui appelait à la manifestation tout comme la Ligue des droits de l’homme et d’autres organisations membres du collectif « Unis contre une immigration jetable ». Le nombre de manifestants témoigne d’une faible mobilisation citoyenne, malgré de très nombreux articles publiés dans la presse en 2008. Document 5 Le texte de la directive Il s’agit d’un extrait de texte officiel qui permet de comprendre les acteurs et les procédures en jeu. Le schéma du document 6 reprend en partie les informations de ce texte. Il importe de distinguer le Conseil européen (des chefs d’État et de gouvernement), la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne (des ministres des gouvernements des pays membres). Dans son article 63, le traité d’Amsterdam de l’Union rappelle que « le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 67, arrête, dans les cinq ans qui suivent l’entrée en vigueur du traité d’Amster230 dam, des mesures relatives à la politique d’immigration, dans les domaines suivants : […] immigration clandestine et séjour irrégulier, y compris le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ». Le Conseil fixe donc le cadre : le texte le rappelle dans son premier point en se référant aux conseils de Tampere et de Bruxelles. L’initiative de la directive appartient à la Commission qui fait une « proposition ». Le texte est alors élaboré par la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union au cours d’une procédure complexe. L’extrait aborde, dans sa seconde partie, les justifications des mesures en insistant sur la nécessaire harmonisation européenne. 3. Le Parlement européen vote la directive après l’avoir éventuellement amendée. 4. Les objectifs proclamés de la directive sont d’harmoniser les législations européennes en fixant des règles « horizontales » qui s’appliquent donc à tous les pays membres en donnant une dimension européenne aux décisions prises concernant le séjour, l’interdiction d’entrée et de séjour prise dans un pays s’appliquant aux autres. Il s’agit également de favoriser le retour des clandestins et l’intégration des immigrés légaux. 5. Le projet est contesté par des associations et des partis politiques à la fois dans la rue (manifestations), dans les médias (publication de nombreuses tribunes libres, dont une du Président Evo Morales de Bolivie) et au Parlement, où une partie de l’opposition de gauche a voté contre. 6. Plusieurs points sont contestés, notamment la question de l’allongement de la durée de rétention des étrangers à 18 mois, et celle d’une interdiction de séjour pouvant aller jusqu’à 5 ans. D’autres points sont également contestés, comme la question du droit aux soins. 7. Le Parlement français vote une loi, le 16 juin 2011, qui insère dans le droit français l’ensemble du contenu normatif de la directive européenne et qui assure une compatibilité entre les nouvelles normes et le droit existant. Document 6 De la directive européenne à la loi française Ce schéma synthétise la procédure européenne d’élaboration et de vote des directives, puis leur transposition en droit national. On note l’absence de flèche entre les deux premières cases. Le monopole de l’initiative reste entre les mains de la Commission européenne. L’élaboration de la directive se fait par un processus de navette entre le Parlement et le Conseil de l’Union européenne sur la base de textes proposés par la Commission. Les délais peuvent être très longs. Une fois le texte adopté par le Parlement et le Conseil de l’Union européenne, il doit être, dans des délais fixés par la directive ellemême mais pas toujours respectés, transposé en droit national. On peut suivre les étapes de cette procédure sur un site dédié. Pour la directive objet de cette étude : http://www.europarl.europa.eu/ oeil/popups/ficheprocedure.do?reference=2005/01 67(COD)&l=fr pages 354-355 LEÇON 4 Les grandes familles politiques face à l’idée d’Europe Cette leçon aborde le thème des forces politiques face au projet de construction d’une Europe politique. On a vu dans l’étude consacrée aux « pères de l’Europe » le rôle des démocrates-chrétiens dans les premières années de construction de l’Europe occidentale. Il s’agit désormais d’élargir le regard et de percevoir les évolutions des forces centrales, démocrates-chrétiens (doc. 4) comme sociauxdémocrates (doc. 1), et des forces plus radicales. L’élection du Parlement européen au suffrage universel depuis 1979 contribue à organiser des partis politiques au niveau européen (doc. 3). Réponses aux questions 1. Les acteurs institutionnels d’une directive sont le Conseil européen (réunion des chefs d’État et de gouvernement de l’Union, créé en 1974 et se réunissant deux fois par an, sauf cas exceptionnels), la Commission européenne (composée d’un commissaire par État membre pour un mandat de cinq ans), le Conseil de l’Union européenne (instance de réunion des ministres des gouvernements des pays membres de l’Union) et le Parlement européen (députés élus au suffrage universel direct depuis 1979). 2. À l’origine de la directive, on trouve le Conseil européen, qui fixe le cadre général de la politique, et surtout la Commission européenne qui dispose d’un droit d’initiative. Document 1 L’hostilité des travaillistes britanniques En juin 1950, les travaillistes britanniques sont profondément hostiles à toute forme de supranationali231 té. Ce texte est publié quelques jours après l’annonce du plan Schuman (9 mai 1950). Le gouvernement travailliste britannique dirigé par Clement Attlee, qui venait de remporter les élections, salue les efforts de coopération intergouvernementale mais refuse de participer aux négociations. Dans ce texte, catégorique dans son refus, c’est le Commonwealth qui a la préférence des travaillistes. Cette hostilité va perdurer de longues années, le tournant européen des travaillistes remonte probablement à 1988. élections au Parlement. Mais c’est surtout le traité de Maastricht qui, dans son article 138 A, affirme que « les partis politiques au niveau européen sont importants en tant que facteur d’intégration au sein de l’Union. Ils contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union ». En 2003, un « règlement sur le statut et le financement des partis politiques européens » est adopté et favorise l’expansion de ces partis. Les subventions accordées par le Parlement européen se montent à plus de 10 millions d’euros en 2008. Réponse à la question L’hostilité des travaillistes porte d’abord sur l’idée de supranationalité qui limite toute politique nationale. La divergence de politique entre celle menée par les travaillistes britanniques au pouvoir et celle que choisit le reste de l’Europe dominée par la droite (le texte dit « antisocialiste ») justifie cette prise de position. Document 4 Affiche électorale de la CDU allemande pour les élections européennes de 2009 Il s’agit d’une affiche du principal parti de la droite allemande pour les élections européennes du 7 juin 2009. La campagne de la CDU s’est organisée autour du slogan « Wir in Europa » (« Nous dans l’Europe »), les lettres du « Nous » s’inscrivant sur fond du drapeau allemand. La CDU recueille 30,7 % des voix et obtient 34 députés. Le principal parti d’opposition, le SPD, obtient 23 députés (20,8 %). Document 2 L’Appel de Cochin de Jacques Chirac Ce texte est publié en décembre 1978, quelques mois avant les élections européennes de juin 1979. Jacques Chirac est alors maire de Paris, président du Rassemblement pour la République, parti qu’il a créé deux ans plus tôt après avoir quitté les fonctions de Premier ministre du Président Giscard d’Estaing. Il se situe alors dans une opposition de droite. Le texte porte le nom d’Appel de Cochin, du nom de l’hôpital où se trouvait Jacques Chirac après avoir été victime d’un accident de la route en Corrèze. Ses deux conseillers, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, en sont les auteurs présumés. Jacques Chirac y attaque violemment l’Europe au nom de l’idéal national, mais plus encore « le parti de l’étranger », probablement l’UDF de son désormais rival, Giscard d’Estaing. Réponse à la question La CDU insiste sur le rôle protecteur de la communauté (l’Union européenne). Les étoiles du drapeau semblent constituer un rempart protecteur à l’intérieur duquel l’Allemagne est protégée. page 356 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Réponses aux questions 1. Étapes qui, selon l’auteur, aboutissent à la mise en place d’une monnaie unique : – fondation en 1951 de la CECA, pourvue d’une haute autorité supranationale. Son premier président est Jean Monnet ; – élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979. Proposition de traité de l’Union en 1984, élaboré par la commission Spinelli ; – acte unique européen en 1986. 2. Les deux modèles d’organisation politique qui se sont affrontés sont celui d’une construction fédérale, supranationale, et celui d’une construction fonctionnaliste où les États mettent en commun des domaines sans renoncer à leurs prérogatives nationales. Réponse à la question Jacques Chirac et le parti qu’il vient de créer, le RPR, se revendiquent du gaullisme, c’est-à-dire de la pensée et de l’œuvre politiques du général de Gaulle. On y voit une allusion directe dans le dernier paragraphe de l’extrait. Document 3 Les partis politiques européens et les partis français affiliés L’appellation « partis politiques européens » est sujette à débat. Il s’agit plutôt de structures fédératives à l’échelle européenne qui se mettent en place dans les années 1970 dans la perspective des 232 pages 358-359 VERS LE BAC – 1989 : disparition du bloc socialiste – 1992 : traité de Maastricht – 2004 : élargissement à 25 – 2007 : traité de Lisbonne 3. L’élève doit pouvoir identifier le rôle des pères fondateurs de l’Europe (étude 1) qui mettent en place la CECA tout en échouant avec la CED à approfondir cette construction politique, le rôle parfois contradictoire de Charles de Gaulle qui favorise le rapprochement avec l’Allemagne, mais bloque l’élargissement à la Grande-Bretagne et pratique la politique de la chaise vide, celui de certains couples francoallemands comme VGE/Schmidt (Conseil européen/SME) ou Mitterrand/Kohl. Le rôle de certains présidents de la Commission, comme Jacques Delors, peut aussi être abordé. Composition Réponses aux questions 1. S’opposent une vision fédéraliste qui préconise la mise en place d’institutions supranationales et une vision unioniste où les décisions sont prises par consensus. 2. Les dates clés de la construction européenne sont : – 1950 : déclaration Schuman et la création de la CECA en 1951 – 1954 : échec de la CED – 1957 : traités de Rome – 1965 : politique française de la chaise vide – 1979 : élection du Parlement européen au suffrage universel – 1986 : acte unique 233 CHAPITRE 11 La gouvernance économique mondiale depuis 1944 La gouvernance économique mondiale apparaît désormais comme une question à part entière dans les nouveaux programmes de Terminales ES et L. Elle est ainsi intégrée dans le 4e thème portant sur les échelles de gouvernement dans le monde. Dans les anciens programmes, cette question était diluée et se limitait souvent à un tableau des nouvelles organisations internationales, économiques ou non, nées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’entrée de cette nouvelle question répond pleinement aux exigences du nouveau programme, à savoir de permettre aux élèves de mieux comprendre les grands bouleversements du monde actuel. En effet, les difficultés récentes des pays industrialisés, confrontés depuis les années 1970 à une ouverture croissante à la mondialisation et aujourd’hui plongés dans une crise économique sans précédent, donne à ce chapitre un ancrage fort avec le monde d’aujourd’hui. Le chapitre s’organise d’abord de manière chronologique et s’attache à différencier trois grandes évolutions depuis 1945. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les premiers jalons d’une gouvernance économique mondiale sont posés par les États-Unis qui acceptent désormais d’exercer un leadership en matière économique. La création des premières institutions de gouvernance économique mondiale, FMI et BIRD en 1945, répondent au souci de mieux réguler l’économie mondiale et d’assurer la croissance des échanges. Les années 1970 marquent les débuts d’une libéralisation accélérée des marchés, en particulier financiers. La fin du système de Bretton Woods en 1971 constitue en ce sens une rupture. Les institutions de gouvernance mondiale s’appliquent à libéraliser davantage, en particulier dans les pays en développement tandis que les pays industrialisés multiplient les initiatives – comme le G6 en 1975 – pour favoriser le libreéchange. Les années 1990 marquent le triomphe mondial du capitalisme et l’entrée sur la scène mondiale de nouveaux concurrents, comme la Chine ou l’Inde. La crise actuelle, probablement la plus grave qu’ait connue le monde industrialisé depuis les années 1930, met aujourd’hui en cause les politiques de libéralisation et de dérégulation des décennies précédentes. Elle remet au cœur du débat la nécessité d’une plus grande coordination des États en matière économique. Elle a enfin accéléré la refonte de la gouvernance économique mondiale en donnant à un G20 élargi, en 2009, aux pays émergents, le leadership et les instruments pour coordonner les politiques de lutte contre la crise. pages 232-233 OUVERTURE DE CHAPITRE que l’UE, réuni à Pittsburgh, affirme sa volonté de combattre collectivement les effets de la crise et d’intégrer les pays émergents aux processus de décision. La confrontation des deux photographies permet de montrer que la mise en place d’une gouvernance économique mondiale a été progressive et que le cercle des acteurs de cette gouvernance s’est élargi. En 1944 (doc. 1), l’urgence est à la reconstruction. Les États-Unis sont alors la seule puissance à pouvoir en assumer le financement. En même temps, il s’agit de reconstruire le système monétaire international. Les États-Unis, détenteurs des deux tiers du stock d’or mondial, vont installer la suprématie du dollar qui devient ainsi le pivot du nouvel ordre économique et monétaire. En 2009 (doc. 2), dans un monde ébranlé par la crise financière, le G20, qui regroupe 19 États ainsi pages 364-365 INTRODUCTION L’introduction revient sur les désordres économiques et monétaires du premier XXe siècle. L’inflation apparue pendant la Première Guerre mondiale bouleverse l’équilibre économique et financier et déclenche un véritable chaos monétaire en Allemagne durant les années 1920. La crise des années 1930 révèle l’interdépendance des économies américaine et européenne, mais aucune réponse globale n’est proposée. Ce sont les destructions économiques de 235 la Seconde Guerre mondiale qui vont finalement amener les États-Unis, première puissance économique, à proposer la création d’institutions de gouvernance économique à l’échelle mondiale. pages 366-367 l’œuvre est jugée « pornographique » et bientôt retirée de l’exposition. Dans l’installation présentée ici, The Portable War Memorial (1968), Edward Kienholz jette un regard critique sur la puissance américaine et sur la société de consommation. Tout comme le Back Seat Dodge ‘38, l’œuvre dérangera par la violence de la charge portée contre les ÉtatsUnis. L’artiste s’en expliquera directement en 1969, dans un article publié dans le magazine Artforum : « Je tiens à préciser avant tout que je ne veux nullement insulter ce pays – l’Amérique – car je l’aime, je pense, autant que vous. J’ai cependant le droit de vouloir le changer, et à ma façon. » Pour quelles raisons cette œuvre a-t-elle été considérée comme aussi sulfureuse pour l’Amérique ? Bien que se voulant « portative », l’installation est de grandes dimensions : elle présente, sur près de 10 mètres de long les objets phares de la société de consommation en même temps que les images fortes du patriotisme américain (affiche de recrutement de la Seconde Guerre mondiale, photographie d’Iwo Jiwa). Le visiteur participe directement à l’œuvre, – le distributeur de Coca fonctionne, on peut écrire à la craie sur le mémorial – et l’œuvre elle-même est intégrée dans le quotidien, – horloge qui indique l’heure exacte. Mais en s’extrayant de l’œuvre elle-même, le visiteur peut la lire de gauche à droite, et y voir une fresque sombre de l’histoire de la puissance américaine au XXe siècle : – Le début de l’installation présente les images célèbres du patriotisme américain. Ces images de propagande sont pour l’artiste les fondements de l’identité américaine. – L’affiche de recrutement de la Première Guerre mondiale « I Want You » rappelle l’engagement américain en 1917 puis en 1942. – Les GI’s du Mont Suribachi hissant le drapeau américain après la victoire à Iwo Jiwa (février 1945) rappellent la victoire américaine dans le Pacifique. Cette référence se retrouve deux fois dans l’œuvre : sous la forme d’une sculpture, imitant le monument inauguré à Washington (cf. doc. 1 p. 370) en 1954 et sous la forme de la photographie originale prise le 23 février 1945 par Joe Rosenthal. – La figure de la chanteuse populaire Kate Smith (1907-1986) qui en 1943, interprète dans le film de propagande This is Army ! le fameux « God bless America ». – Le mémorial en lui-même célèbre la victoire américaine en 1945, mais alerte surtout sur les dangers d’un monde bâti autour de la bombe nucléaire. CARTE À la recherche d’une gouvernance économique mondiale La carte met en évidence l’organisation nouvelle de la gouvernance économique mondiale, au lendemain de la crise qui a secoué l’économie américaine, avant de frapper durement les pays européens. Elle permet de saisir les nouveaux rapports de force qui se sont clairement révélés au lendemain de la crise : le G20, qui assume l’essentiel du leadership en matière économique, intègre aujourd’hui les pays émergents. Une lecture plus attentive à la légende permet de retracer l’évolution de la gouvernance économique mondiale depuis 1945. pages 368-369 LEÇON 1 Reconstruire l’économie mondiale La première leçon s’attache à montrer qu’en 1945 les États-Unis, première puissance économique, sont à l’origine de la refonte de l’économie mondiale. Avec la conférence de Bretton Woods (1944), les États-Unis acceptent un leadership en matière économique qu’ils avaient jusqu’à alors refusé ; ils sont ainsi à l’origine des premières institutions de gouvernance mondiale (FMI et BIRD) et au cœur de la refonte du système monétaire international. Document 1 La puissance américaine après 1945 Edward Kienholz (1927-1994) est un artiste américain dont les œuvres décrivent avec réalisme et cruauté la société américaine. Originaire de Washington, le jeune homme fonde dès 1956 sa première galerie d’art à Los Angeles. D’abord intéressé par le collage et les petits formats, l’artiste multiplie, au début des années 1960, les installations, de grands formats et réalisés à partir de matériaux de récupération et d’objets du quotidien détournés. Son premier grand coup d’essai, Back Seat Dodge ‘38 (1964) présentait la voiture emblématique du rêve américain, tous phares allumés, et radio branchée, avec à l’intérieur un couple en position lascive, des canettes de bières à leurs pieds. Exposée au Musée d’Art de Los Angeles en 1966, 236 gement militaire au XXe siècle. Derrière la société de consommation triomphante se cachent le poids des morts et un avenir incertain. Comme s’en expliquera l’artiste en 1969 : « La plus riche et la plus puissante nation du monde ne peut jamais l’emporter dans un combat singulier (bien sûr ILS ont gagné, ILS étaient les plus forts). Notre situation morale, éthique n’est pas brillante au point de désirer en écraser les autres cultures. En tant que nation et en tant qu’individus, peut-être devrions-nous nous situer nous-mêmes et situer notre influence à un niveau plus élevé. Je regrette vraiment tous ces hommes morts dans l’absurdité de la guerre, car dans leur mort je ne peux pas ne pas lire notre avenir. » (Artforum). – La croix massive semble tomber et rappelle ainsi les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Elle sert également de lumière, comme le montrent les deux cordelettes, et se veut comme une sorte d’hommage au Guernica de Picasso. – Le visiteur est invité à compléter à la craie blanche l’épitaphe du mémorial : « monument commémoratif ambulant, rappelant la victoire [à compléter] en 19 [à compléter] ». Cette interactivité a priori ludique renforce l’effroi que crée la scène : la victoire nucléaire des États-Unis en 1945 a fait entrer le monde dans une période d’incertitudes ; la planète peut basculer dans la terreur nucléaire dans un avenir proche. De plus, l’auteur maintient la confusion entre passé récent et présent : le mémorial – portatif – est aussi une référence à une autre guerre dans laquelle sont alors plongés les États-Unis : la guerre du Vietnam. – Les noms écrits sur le mémorial à la craie blanche ne sont pas ceux des soldats morts, mais de nations, pays, royaumes disparus, au gré de l’imagination de l’artiste… Cela renforce l’universalité du message sur la fragilité des civilisations, surtout à l’heure de la bombe atomique. – L’espace central de l’installation est occupé par un snack-bar qui symbolise la réussite économique des États-Unis en même temps que la force de son modèle. – Les principaux objets de la culture de masse sont représentés : le hot-dog, le distributeur de Cola, le parasol… Ils témoignent de la force de la culture américaine (« American Way of Life ») et de sa diffusion à l’échelle du monde après 1945. – Le couple adossé au comptoir tourne le dos aux visiteurs et semble finalement ignorer le reste de l’installation. Maintenu dans l’attente inquiète d’un hot-dog, il semble oublier que la prospérité américaine est née des victoires militaires et de l’utilisation de la bombe nucléaire. Ou feindre d’oublier que la guerre a pu se transporter, à la manière de ce mémorial « ambulant », sur d’autres terrains, à l’exemple du Vietnam. Au total, c’est comme si la défense d’un mode de vie typiquement américain nécessitait la continuation de la guerre par d’autres moyens. – Une dernière pierre tombale achève l’œuvre. Pour l’auteur, vide d’inscriptions, elle représente l’avenir incertain de l’humanité. The Portable War Memorial est donc une œuvre forte et dérangeante qui présente la puissance économique américaine comme le résultat de son enga- Réponse à la question Voir le commentaire du document 1 ci-dessus. Document 2 Le système de Bretton Woods Réponses aux questions 1. Le FMI a pour objectif de fournir des liquidités aux pays frappés par une crise financière. Il s’agit d’éviter une crise mondiale comparable à celle des années 1930. De plus, le FMI contrôle jusqu’en 1971 le bon fonctionnement du système de Bretton Woods. Le FMI est financé par les contributions de ses États signataires, au prorata de leur part dans le commerce international. 2. Les États-Unis sont les grands initiateurs des accords de Bretton Woods (1944) et assument après 1945 un leadership économique qu’ils avaient jusqu’alors refusé. Les États-Unis, qui possèdent alors 60 % du stock d’or mondial, sont au cœur du nouveau système monétaire international. Le dollar, « as good as gold », est la seule monnaie librement convertible en or. Les autres monnaies doivent fixer leurs cours par rapport au dollar. De plus, les institutions de gouvernance économique mondiale nées en 1945, – FMI et BIRD – siègent à Washington et les États-Unis y occupent une place centrale (financement, influence, direction). pages 370-373 ÉTUDE Les institutions économiques mondiales L’objectif de cette étude est de montrer la place centrale des États-Unis dans la création et le développement des premières institutions de gouvernance économique. Elle prend pour cadre la ville de 237 Washington, haut lieu de la concentration des fonctions fédérales et internationales et symbole de la puissance américaine. L’étude s’oriente ensuite vers une analyse plus approfondie du fonctionnement des institutions de gouvernance économique mondiale depuis 1945. Elle permet d’évoquer l’inflexion des politiques du FMI et de la BM en faveur de plus de libéralisation dans les années 1970 (« consensus de Washington ») et les débats récents sur leurs manques de représentativité et d’efficacité. La Maison Blanche : elle est le lieu de résidence et de travail du Président américain depuis 1800. Il s’agit aussi d’un complexe sécurisé, composé de plus d’une centaine de pièces, en grande partie souterraines. L’aile ouest abrite le bureau du Président (Bureau ovale) et ceux de ses principaux collaborateurs. Document 2 La ratification par le Congrès des accords de Bretton Woods (1945) A. WASHINGTON, CAPITALE DES INSTITUTIONS ÉCONOMIQUES MONDIALES Henry Morgenthau (1891-1967) est, en 1945, le secrétaire du Trésor américain. Il occupe ce poste depuis 1934 ; il est donc l’un des hommes de confiance de Roosevelt et l’un des artisans du New Deal aux États-Unis. Convaincu des effets désastreux de la crise économique sur la paix mondiale, il est tout acquis à l’analyse libérale (seule la relance des échanges permettra de retrouver la prospérité mondiale), tout en étant convaincu du rôle des États dans la régulation et la relance de la croissance. En 1944, il est le principal négociateur américain aux accords de Bretton Woods et soutient les positions d’Harry Dexter White. Une fois les accords signés entre 44 nations libres (l’URSS est en simple observatrice), Henry Morgenthau souhaite les voir ratifier au plus tôt par le Congrès américain. En effet, il veut éviter un refus du Congrès qui conduirait une nouvelle fois les États-Unis à se désengager des grands projets internationaux. Déjà en 1919, le Congrès avait refusé de ratifier le traité de Versailles et avait enterré le rêve du président Wilson de voir les États-Unis participer à la Société des Nations. Compte tenu de la place qu’occuperaient les États-Unis dans le nouveau système monétaire international et leurs fortes contributions aux institutions de Bretton Woods (à hauteur d’un tiers en 1945), la non-ratification des accords sonnerait la fin prématurée des tentatives américaines pour relancer au plus vite l’économie mondiale. Le combat législatif est donc long pour Henry Morgenthau et ce discours devant une commission spécialisée de la Chambre des représentants marque l’une des nombreuses étapes qui doit mener à la ratification. Il faut en effet attendre juillet 1945, soit un an après la conférence, pour que le Sénat ratifie définitivement les accords de Bretton Woods, par un vote massif en sa faveur (61 voix contre 16). Ce sont essentiellement les arguments économiques qui ont emporté la décision des représentants américains. En effet, les États-Unis ont développé un Document 1 Washington, capitale des États-Unis Si New-York constitue le cœur économique et financier des États-Unis, c’est à Washington, capitale fédérale depuis 1801, que l’on trouve la plus forte concentration de symboles et lieux de mémoire de l’histoire américaine. Mémorial du corps des Marines des États-Unis : ce bronze, réalisé par Felix de Weldon à partir de la célèbre photographie de Joe Rosenthal prise sur le mont Subaïchi le 23 février 1945, a été inauguré en 1954, au lendemain de la guerre de Corée (1950-1953). Il célèbre la victoire américaine dans le Pacifique dans ce qui est l’une des plus terribles batailles : à Iwo Jiwa, plus de 7 000 soldats américains ont trouvé la mort (23 000 Japonais). Le monument est dédié à tous les soldats qui se sont battus pour les États-Unis depuis 1776. Il surplombe le cimetière militaire d’Arlington, qui accueille les dépouilles de près de 300 000 soldats morts au combat, de la guerre de Sécession, aux conflits actuels que sont l’Afghanistan ou l’Irak. Le Capitole : le bâtiment, dont la première pierre a été posée par George Washington en septembre 1793, est le siège du pouvoir législatif. Il abrite à partir de 1800, la Chambre des Représentants (dans son aile sud) et le Sénat (dans son aile nord). Le Washington monument : cet obélisque érigé en l’honneur de George Washington n’a été inauguré qu’en 1888, alors que sa construction, financée par des particuliers à partir d’une campagne de souscriptions, avait débuté en 1848. Dans cette ville idéale créée ex-nihilo à partir de 1791, la hauteur des bâtiments était limitée à un peu plus de 6 mètres : haute de 169 mètres, le monument domine donc de sa hauteur la vieille ville de Washington et rappelle à tous le rôle des pères fondateurs de la nation américaine. 238 secteur militaro-industriel productif et performant, mais bientôt en surcapacité, une fois la guerre terminée. L’urgence est donc à la reconversion, et seule l’ouverture de marchés extérieurs peut constituer des débouchés suffisants pour l’industrie américaine. Le mois précédent, en juin 1945, le Congrès avait autorisé une première baisse des tarifs douaniers… C’est enfin le contexte international qui pousse les représentants à choisir la ratification. La ratification des accords de Bretton Woods quelques semaines après la capitulation allemande et peu avant la conférence de Potsdam, s’inscrit ainsi dans le cadre des tensions grandissantes en Europe avec l’allié soviétique. En ratifiant les accords, les États-Unis sortent donc définitivement de l’isolationnisme. Bien avant la fin de la guerre en Europe et dans le Pacifique – l’intervention est datée du mois de mars 1945 –, le pays affirme un leadership économique qu’il avait jusqu’alors refusé. merciaux s’accroissent pour les États-Unis, le rôle de la FED en matière monétaire est incontournable. En définissant le taux directeur, elle est la garante du bon fonctionnement de l’économie américaine et donc mondiale. Son action, en matière monétaire, vise à contrôler l’inflation et à faciliter le crédit en période de récession ou à en restreindre l’accès en cas de forte croissance. Du fait du statut international du dollar, première monnaie d’échanges et de réserves, la politique de la FED a des répercussions mondiales (cf. doc. 4 p. 379). Réponses aux questions 1. Washington, capitale fédérale des ÉtatsUnis inaugurée en 1801, devient le siège des principales institutions américaines. Le pouvoir politique : le siège de l’exécutif (La Maison Blanche), du législatif (Le Capitole), du judiciaire (Cour suprême). Le pouvoir militaire : le siège du Pentagone. Le pouvoir économique : le siège de la Banque fédérale (et son bureau des gouverneurs), le département du Commerce. Washington concentre également les monuments commémoratifs de l’histoire américaine : du Washington Monument, au monument d’Iwo Jiwa, commémorant la guerre du Pacifique et tous les soldats américains tombés depuis 1775. 2. Henry Morgenthau est le secrétaire d’Etat américain au Trésor sous les présidences Roosevelt et Truman. Il a été le principal négociateur des accords de Bretton Woods l’année précédente. Dans son intervention, Morgenthau souhaite que les Représentants ratifient les accords de Bretton Woods. 3. Washington est le siège des deux grandes institutions nées de la signature puis de la ratification des accords de Bretton Woods : le Fonds monétaire international dont l’objectif est de fournir des liquidités à un pays frappé par une crise financière, et la BIRD, devenue Banque mondiale en 1960, dont l’objectif initial était l’aide à la reconstruction, avant d’élargir ses prérogatives aux pays en développement. 4. Alan Greenspan est le directeur de la Banque fédérale américaine depuis 1987. Les auteurs de ce discours élogieux soulignent la longévité de Greenspan à la tête de la FED et la constance de sa politique monétaire depuis sa prise de fonction. Ils lui attribuent les mérites de la prospérité américaine et de Document 3 La concentration des pouvoirs fédéraux et internationaux à Washington DOC Document 4 La FED, un instrument de la puissance américaine Le document est un discours prononcé par deux professeurs d’économie de l’université de Princeton en l’honneur d’Alan Greenspan, directeur de la FED. Il s’agit d’un véritable panégyrique dans lequel l’action de Greenspan est louée pour avoir favorisé la prospérité américaine et mondiale depuis sa prise de fonction en 1987 à la tête de la FED. Créée en 1913, la Banque fédérale américaine devient théoriquement indépendante des pouvoirs politiques dans les années 1930, même si son directeur reste nommé par l’exécutif. Elle a pour mission de fixer la politique monétaire américaine, en particulier en définissant un taux directeur. Elle n’est donc pas une institution internationale, mais pourtant elle occupe de fait un rôle central dans l’économie mondiale et ce, surtout depuis 1945. En effet, les accords de Bretton Woods donnent au dollar un double rôle : à la fois monnaie nationale, celle des États-Unis qui en possèdent de fait le monopole d’émission, et monnaie internationale, sur laquelle repose l’ensemble du système monétaire, mais aussi la croissance des échanges. Après 1971, et la fin du système de Bretton Woods, le dollar conserve son statut international. Dans un régime de changes devenus flottants et où les déficits publics et com239 En ce sens, la BIRD complète l’importante aide américaine dirigée vers ses alliés (Plan Marshall). C’est donc assez naturellement que sa direction est confiée à un Américain. La direction du FMI (Fonds Monétaire international), quant à elle, est confiée à un Européen. À partir des années 1960, les directeurs du FMI sont presque exclusivement originaires des pays fondateurs de la CEE. À noter, la place importante qu’occupe la haute fonction publique française dans la direction du FMI à partir des années 1980. la forte croissance mondiale depuis la fin des années 1980 : « Greenspan a été au centre de presque tout ce qui est arrivé dans le monde depuis 1987 ». Dans un monde bouleversé par les changements géopolitiques – les auteurs évoquent le « Mur », la « Perestroïka » –, Greenspan, qui a effectué cinq mandats à la tête de la prestigieuse institution, est présenté en héros de la réussite économique et financière des États-Unis. VERS LE BAC Document 6 Étude critique Les fonctionnaires du FMI à Washington Le document est un extrait d’un discours adressé en mars 1945 par le secrétaire d’État au Trésor, Henry Morgenthau, devant une commission de la Chambre des représentants. Son intervention vise à accélérer la ratification des accords de Bretton Woods, négociés et signés entre 44 pays l’année précédente. En quoi ce document témoigne-t-il de la nouvelle place qu’entendent prendre les États-Unis dans la gouvernance économique mondiale ? Plan possible I. Les États-Unis, pivot du système de Bretton Woods II. Les États-Unis, premier bénéficiaire de la relance des échanges Si le directeur du FMI a toujours été jusque-là un Européen, ses fonctionnaires sont recrutés parmi les élites des pays membres et bénéficient du statut de diplomate international. D’après ses règlements, le fonctionnaire du FMI doit être ressortissant d’un des pays membres ; il est nommé pour ses compétences par le directeur qui « devra tenir dûment compte de l’importance d’un recrutement effectué sur une base géographique aussi large que possible » (art. 1er du statut du fonctionnaire du FMI, 1946). Comme la Banque mondiale, le FMI devient le lieu où émerge et s’exprime une élite économique mondialisée, apte à exercer le cas échéant des responsabilités politiques dans leurs propres pays. C’est le cas par exemple du nouveau Président ivoirien, Alassane Ouattara (né en 1942), premier Africain à occuper le poste de directeur adjoint du FMI entre 1994 et 1999. B. BANQUE MONDIALE ET FMI : DES INSTITUTIONS DE RÉGULATION MONDIALE Document 5 Qui dirige la Banque mondiale et le FMI ? Les institutions de Washington sont dirigées depuis 1947 par un condominium américano-européen. Depuis 1945, il s’agit d’une règle tacite de voir désigner à la tête de la Banque mondiale un Américain et à celle du FMI, un Européen. Ou pour être plus exact : aucun candidat européen ne se présente pour devenir directeur de la BM, aucun Américain pour prendre la tête du FMI. Compte tenu de l’importance de leurs contributions respectives, États-Unis et Europe conservent depuis 1945 la majorité des voix aux conseils d’administration des institutions de gouvernance économique. (cf. doc. 9 p. 373). La BIRD (Banque pour la Reconstruction et le Développement) a pour objectif en 1945 d’aider à la reconstruction des régions ravagées en Europe et en Asie par la guerre. Dans un contexte de Guerre froide, son action se dirige essentiellement vers l’Europe occidentale, le Japon puis la Corée du Sud. Document 7 Une visite à la Banque mondiale Dans cette description de la Banque mondiale, Erick Orsenna (né en 1942), académicien et écrivain, mais aussi économiste de formation, relaye les critiques sur les politiques menées par la Banque mondiale et le FMI depuis les années 1970. En effet, depuis les années 1970, les deux institutions conditionnent les prêts et les aides à des mesures de libéralisation : ouverture des marchés à la concurrence, privatisation… avec des effets souvent désastreux pour les pays les plus fragiles. Document 8 Les principaux emprunteurs auprès du FMI (1947-2000) L’une des principales attributions du FMI est de fournir des prêts aux pays membres confrontés à des difficultés financières (ou plus précisément, à 240 de forts déséquilibres de la balance des paiements) et qui sollicitent une aide de l’institution. Contrairement à la Banque mondiale, le FMI n’accorde pas de prêts pour des projets de développement spécifiques. À partir des années 1970, le FMI, comme la BM conditionne de plus en plus ses prêts à des mesures de libéralisation et d’ouverture. Depuis 1947, les pays bénéficiaires de prêts du FMI sont surtout des pays du Sud. La grande majorité de ces prêts ont été concédés à partir des années 1990 à des pays émergents touchés par des crises financières. En ce sens, la « première grande crise du XXIe siècle » a été pour l’ancien directeur du FMI, Michel Camdessus, la crise mexicaine de 1994. Dans des économies aux secteurs financiers de plus en plus interdépendants, l’effondrement d’une économie émergente fait peser un risque systémique sur l’ensemble de l’économie mondiale. Le FMI est donc de plus en plus sollicité à partir des années 1990 : après le Mexique en 1994, les pays asiatiques frappés par les conséquences de la crise financière en Thaïlande en 1997, la Russie et le Brésil en 1998… À noter dans le tableau présenté ici : si le RoyaumeUni apparaît dans la liste des principaux bénéficiaires des prêts du FMI, c’est qu’il a demandé l’aide de l’institution en 1956, au lendemain de la crise de Suez. Attaquée sur les marchés financiers, la livre sterling décroche par rapport au dollar et le gouvernement MacMillian se voit contraint, pour tenter de rétablir la parité dollar-livre, de solliciter une aide massive du FMI. Le tableau ne présente bien entendu pas l’importance des prêts accordés par le FMI depuis le déclenchement de la crise financière en 2008. Depuis cette date, les principaux emprunteurs au FMI sont européens : Grèce, Portugal, Irlande. Depuis 2009, le G20 prévoit de doubler les capacités de prêts du FMI pour les porter à 430 milliards de dollars par an. en effet, en fonction de la part de chacun dans le commerce mondial. Chacun de ces États membres a un droit de vote au conseil d’administration proportionnel au montant de leurs contributions. Cette carte montre donc à la fois la place qu’occupe chaque région du monde dans le commerce international et les rapports de puissance au sein du FMI. Les États-Unis et l’Union européenne sont les contributeurs principaux et possèdent donc la majorité des voix, ce qui explique que, depuis 1947, la direction des deux grandes institutions de Washington, BM et FMI, selon un accord tacite, est confiée à un Américain pour la première, à un Européen pour la seconde (cf. doc. 5 p. 372). Le 14 mai 2011, le directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn est arrêté à l’aéroport JFK de New York, après des accusations d’agression sexuelle portées à son encontre par une femme de chambre de l’hôtel Sofitel. C’est le début d’un immense scandale qui éclabousse à la fois l’institution, mais aussi le prestige de la haute fonction publique française. Après sa démission, envoyée le 18 mai depuis la prison de Rykers Island où il est incarcéré, un nouveau directeur doit être désigné par le conseil d’administration. Rapidement, les candidatures se dessinent. Face à la candidate européenne, la ministre française Christine Lagarde (née en 1956), un candidat des pays émergents, le Mexicain Agustin Carstens. Après avoir reçu l’appui des États-Unis et de la Russie au sommet du G8, la candidate de l’UE est nommée, le 28 juin 2011, directrice générale du FMI. S’il s’agit de la première femme nommée à ce poste, sa désignation n’est pas une réelle surprise : depuis 1947, la fonction n’a pas encore échappé à un Européen, même si, comme dans le cas de Christine Lagarde, il n’est pas économiste de formation. Réponses aux questions 1. De par leur recrutement, FMI et Banque mondiale sont des institutions mondiales : si leur direction est confiée soit à un Américain (pour la BM), soit pour un Européen (pour le FMI), les deux institutions de Washington recrutent de nombreux fonctionnaires parmi ses États membres. Elles permettent l’émergence d’élites économiques issues des pays du Sud, même si elles ont été souvent formées dans les grandes universités et écoles des pays du Nord. 2. La direction du FMI est confiée depuis 1946 à un Européen tandis que celle de la BM à un Américain. Document 9 Le « Christine Lagarde’s world tour » (mai-juin 2011) Ce document superpose une carte par anamorphose représentant le poids de chaque région du monde dans le financement du FMI et les étapes du voyage effectué par Christine Lagarde pour présenter, en 2011, sa candidature à la succession de Dominique Strauss-Kahn, à la tête de la prestigieuse institution. Les régions du monde sont déformées selon les quotes-parts de chacun des États membres du FMI. Les contributions de chaque État membre sont, 241 menées par la Banque mondiale dans les pays en développement ? Plan possible I. Des politiques décidées à Washington sans souci des réalités locales II. Des aides conditionnées à des mesures de libéralisation des économies 3. La Banque mondiale finance des projets de développement dans les pays du Sud, tandis que le FMI s’attache à prévenir les crises financières en accordant des prêts à des États membres qui le sollicitent. 4. La Banque mondiale dirige son action vers les pays en développement (« on y répare la moitié pauvre du monde » (doc. 7), quitte à conditionner les aides à des mesures de libéralisation (« Privatisation »). Quant au FMI, son action s’est davantage tournée vers les pays émergents, frappés, surtout à partir des années 1990, par des crises financières. 5. Les principaux contributeurs du FMI sont les États-Unis et l’Union européenne. Ils possèdent à eux deux la majorité des voix au conseil d’administration. 6. Il s’agit d’abord pour Christine Lagarde de convaincre les Européens et de se porter candidate pour l’ensemble de l’Union européenne (mai 2011). Sa première visite est à Washington pour y présenter officiellement sa candidature. Avec ses deux premières étapes, Christine Lagarde s’assure déjà de son élection à la tête du FMI, puisque, par tradition, les États-Unis apportent leur soutien au candidat européen et ne proposent pas de candidats pour la fonction. Mais dans un monde en pleine crise financière, Christine Lagarde n’oublie pas de rendre visite aux pays émergents (Brésil, Inde, Chine) et à l’Arabie Saoudite. Non pas que leurs votes soient décisifs pour son élection, mais la place croissante qu’occupent ces pays dans le commerce international et dans les grandes organisations de gouvernance économique rend ses étapes décisives pour un futur directeur du FMI. pages 374-375 LEÇON 2 Libéraliser les marchés L’objectif est de montrer que, malgré le ralentissement de la croissance dans les pays du Nord et la fin du système de Bretton Woods, les pays industrialisés ont poussé à davantage de libéralisation et de déréglementation à partir des années 1970, en particulier dans le domaine de la finance. Les institutions de gouvernance économique mondiale, comme la Banque mondiale ou le FMI, ont relayé les aspirations de ces États et ont été, elles aussi, des acteurs d’une mondialisation néo-libérale. Un événement a été choisi pour illustrer la rupture que constituent les années 1970 : l’abandon de la libreconvertibilité du dollar en or par le président Nixon en 1971. Document 1 La chute du dollar au début des années 1970 Document 2 La fin du Gold Exchange Standard (1971) En 1971, le président Nixon décide d’abandonner la libre-convertibilité du dollar en or. Il met ainsi fin au système monétaire international mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En 1976, la conférence de la Jamaïque confirme la fin du SMI : les monnaies entrent désormais dans un système de changes flottants. Plusieurs raisons expliquent cette décision prise unilatéralement par les États-Unis. Les États-Unis, confrontés à l’arrivée de nouveaux concurrents économiques (Europe, Japon), voient leur balance commerciale plonger à partir de 1970. Ces déficits commerciaux alourdissent le déficit de la balance des paiements. Au début des années 1970, le dollar ne peut soutenir la croissance des échanges internationaux. Monnaie à la fois nationale et internationale, le dollar seul ne peut assurer la forte croissance des échanges depuis 1945 sans mettre en danger la parité or/dollar. Cette limite du système de Bretton Woods avait été déjà mise en évidence dans les années 1960 par l’économiste belge Triffin VERS LE BAC Étude critique Le document présenté est un extrait de l’essai de l’académicien et écrivain français, Erik Orsenna (né en 1947). L’auteur du Voyage au pays du coton, pose pour un temps ses bagages à Washington, en face du bâtiment de la Banque mondiale. C’est pour lui l’occasion d’une description bigarrée du lieu, mais aussi d’une réflexion plus profonde sur les politiques menées par les grandes organisations internationales dans les pays en développement. Quelles critiques adresse l’auteur aux politiques 242 (1911-1993) (le fameux « dilemme de Triffin »). Au moment où Nixon décide de l’abandon de la libreconvertibilité, la masse de dollars dans le monde (autour de 50 milliards) représentait cinq fois le stock d’or du Trésor américain. Les États-Unis connaissent au début des années 1970 un fort ralentissement de la croissance, voire, comme en 1971, des signes d’entrée en récession. En matière économique, la marge de manœuvre du gouvernement fédéral se réduit. Les déficits publics se creusent du fait des dépenses engagées pour financer la guerre du Vietnam (1964-1973) et les programmes sociaux (Medcaid, Medicare) de l’Administration Johnson (1963-1968). Nixon accompagne ainsi son annonce de mesures d’austérité : gel des salaires et des prix, mesures de taxation des produits importés. Le Président américain entend ainsi combattre la récession d’abord en luttant contre la spirale inflationniste. En décembre, il annoncera une première dévaluation du dollar. et 1970 et s’impose comme une puissance commerciale redoutable. En 1970, le Japon bénéficie de fait d’une monnaie nettement sous-évaluée : le cours fixé en 1945 ne reflète plus la puissance économique de l’archipel à la fin des années 1960. De plus, cette sous-évaluation du yen sert la politique commerciale du Japon en favorisant les tarifs à l’exportation, et concurrençant, même sur son propre marché, les produits américains. Face à la dégradation de leur balance commerciale, les États-Unis font pression à la fin des années 1960 pour que le Japon révise à la baisse sa parité avec le dollar. Sans effet jusqu’en 1971. L’annonce en août par Nixon de l’abandon de la libre-convertibilité (doc. 2) et l’imminence d’une dévaluation du dollar (réelle en décembre), poussent le Japon à une première réévaluation en 1971. Elle est vécue comme une « catastrophe », car une réévaluation pénalise les exportations (mais favorise les investissements). Réponses aux questions 1. Richard Nixon annonce l’abandon de la libre-convertibilité du dollar en or. Il s’adresse avant tout au peuple américain, dans une retransmission télévisée. La décision de quitter unilatéralement le SMI s’explique avant tout par des raisons de politique intérieure (et à un an de la prochaine présidentielle). Les États-Unis sont alors une puissance en crise. Le Président évoque ainsi le Vietnam (« des difficultés à clore la guerre ») et les difficultés économiques des États-Unis : « l’inflation vole chaque Américain », « notre combat contre le chômage ». 2. Il invoque de prétendues attaques contre le dollar, attaques menées à l’étranger par « ceux qui spéculent sur la monnaie ». Cette désignation d’un ennemi flou, peu identifié, permet à Nixon de ne pas aborder les questions économiques de fond. pages 376-377 ÉTUDE Les États dans la libéralisation des échanges (1975-années 2000) L’étude s’attache à montrer comment les pays industrialisés sont, dans la période d’incertitude que constitue le début des années 1970, les principaux acteurs de la poursuite de la libéralisation des échanges. En créant le G6, les pays industrialisés entendent prendre le relais des grandes organisations internationales, en particulier le FMI, incapables de résoudre les perturbations monétaires nées de l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971. Document 1 Des sommets pour coordonner les politiques économiques et commerciales Document 3 Promouvoir la libéralisation malgré la crise Document 3 Au début des années 1970, les pays industrialisés entrent, à l’exception du Japon, dans une phase de ralentissement de la croissance. La crise n’est pas une dépression comme dans les années 1930, mais plusieurs indicateurs sont inquiétants : désindustrialisation, hausse du chômage, inflation, épisodes récessifs… Les facteurs sont connus, mais méritent d’être rappelés brièvement : désordres monétaires liés à l’abandon du Gold Exchange Standard (1971) et entrée dans un régime de changes flottants, chocs La fluctuation des monnaies : la parité yen/dollar (1970-2000) À partir de 1971, les monnaies entrent dans un régime de changes flottants. Dans le cadre du SMI de Bretton Woods, le yen avait une parité fixée depuis 1945 à 360 yens pour 1 dollar, parité restée inchangée jusqu’à 1971. Mais entre 1945 et 1970, la situation économique du Japon a rapidement évolué : ruiné en 1945, le Japon connaît la plus forte croissance économique au monde entre 1955 243 pétroliers qui aggravent la facture énergétique et les coûts de production, concurrence de nouveaux pays industrialisés… C’est dans ce contexte de retournement de la conjoncture économique que le président français, Valéry Giscard d’Estaing, prend l’initiative de réunir dans un sommet informel les chefs d’État des pays les plus industrialisés : France, RFA, RU, EU, Italie et, la puissance montante du moment, le Japon. L’objectif principal est d’éviter une contraction du commerce international comme pendant les années 1930 ; il faut bannir le recours au protectionnisme et « accélérer les négociations multilatérales ». Le G6 entend donc coordonner les politiques économiques de ses membres et se substituer temporairement aux organisations internationales, en particulier le FMI, déstabilisé par la fin du système de Bretton Woods. Document 5 L’ouverture des marchés du Sud Boligan est un dessinateur né en 1965 à Cuba et aujourd’hui dessinateur au quotidien mexicain El universal. Il montre ici d’une manière humoristique les effets destructeurs de la libéralisation économique au Mexique. À noter que l’intégration du Mexique est d’autant plus poussée qu’elle appartient depuis 1992 à l’ALENA (Association de libreéchange américain). Réponses aux questions 1. Le G6 est un sommet à l’initiative du président français Valéry Gisard d’Estaing et réunissant les six pays les plus industrialisés. Il se réunit dans un contexte de turbulences monétaires après l’abandon de la libre-convertibilité en or (« en ce qui concerne les désordres monétaires, nous affirmons notre intention d’œuvrer en faveur d’une plus grande stabilité »). Les pays industrialisés, à l’exception du Japon, sont touchés par la crise qui se manifeste par du « chômage, de l’inflation continue et de graves problèmes d’énergie », référence à l’impact du premier choc pétrolier de 1973. 2. Sur le plan économique, le G6 défend l’idée d’une plus grande coopération entre pays industrialisés en période de crise. Il s’agit d’abord de combattre la crise sur le plan national en luttant sur le plan international contre les tentations du protectionnisme. Il s’agit en effet pour ses participants d’accélérer la libéralisation des échanges : « les négociations multilatérales […] devraient viser à obtenir le plus haut niveau possible de libéralisation des échanges ». 3. Entre 1947 et 1995, le nombre de participants aux négociations du GATT est passé de 22 membres initiaux à 131. L’objectif principal du GATT, à savoir la réduction des barrières douanières, est pleinement rempli en 1995 : les tarifs douaniers ont ainsi chuté de 40 % à 5 % en moins de cinquante ans. La conférence de Marrakech marque la naissance de l’Organisation mondiale du commerce, véritable organisation internationale, reconnue par traité par ses États membres, et dotée d’instruments d’arbitrages (Organe de règlement des différends). Aujourd’hui, la quasi-totalité des États sont intégrés (ou négocient une adhésion) dans l’OMC, avec à noter, l’entrée en 2001 de la Chine communiste. Document 2 L’ouverture des frontières Face à l’échec de la création d’une organisation internationale du commerce, négociée lors de la conférence de la Havane (1947), mais non ratifiée par le Congrès américain, les États-Unis signent avec 21 autres pays les premiers accords du GATT (1947). Le GATT n’est pas une organisation internationale, mais un forum réunissant les représentants des différents États membres, en vue de conclure des accords commerciaux. Il devient de fait l’un des principaux promoteurs du libre-échange. Les accords commerciaux sont multilatéraux : entre membres, s’appliquent ainsi la « clause de la nation la plus favorisée » (les avantages commerciaux accordés à un membre, le sont à tous), la « réciprocité » et la « non-discrimination » en matière commerciale. Les négociations se font au cours de cycles, qui peuvent s’étaler sur plusieurs années. On pourrait par exemple citer : le Tokyo Round (1973-1979), cycle de négociations pendant lequel les ministres des pays industrialisés poussent à combattre la crise par une accélération des mesures de libéralisation de l’économie mondiale. L’Uruguay Round (1985-1993) est le cycle le plus long et réunissant le plus de membres, il s’attaque également à réduire les barrières non tarifaires (subventions, normes, quotas) et étend ses compétences à des secteurs jusque-là protégés : agriculture, services publics, propriété intellectuelle. La conférence de Marrakech (1995) entérine la transformation du GATT en véritable organisation internationale, l’OMC. 244 4. Les réunions de l’OMC ont été l’occasion, surtout à partir de Seattle en 1999, de l’expression d’un courant altermondialiste (doc. 4). Les principales critiques sont dirigées contre une mondialisation néo-libérale, portée par les intérêts des pays du Nord et des grandes FMN (doc. 5) au détriment des habitants du Sud. L’échec des négociations de Doha en 2005 a ainsi démontré la difficulté par exemple de mettre fin aux subventions agricoles aux ÉtatsUnis ou en Europe. La mondialisation est aussi dénoncée comme détruisant les cultures et les identités locales (doc. 5). VERS LE BAC Étude critique Les éléments iconographiques Interprétation Les effets Les grandes marques L’arrivée des FMN, en particulier américaines, économiques sur les marchés mexicains Les touristes américains Le développement d’un tourisme récréatif au Mexique Tapis déroulé La rapidité des transformations économiques Les effets culturels Les monuments aztèques Perte des identités culturelles au profit bientôt recouverts d’une culture « mondialisée », « américanisée » Obésité des touristes et Diffusion d’un modèle alimentaire hypercalorique enseignes de « junk-food » inspiré du mode de vie américain Enseignes américaines Uniformisation et américanisation du mode de vie pages 378-379 ÉTUDE L’étude sur la longue durée du Dow Jones depuis 1900 permet de souligner les points suivants : 1. En rappel : l’importance du Jeudi Noir sur l’économie américaine après une période de prospérité, mais aussi de forte spéculation (« roaring twenties » ou « les années 20 rutilantes »). Il faudra attendra la fin des années 1950 pour que l’on retrouve à Wall Street le même niveau de capitalisation boursière qu’en 1928. 2. Une croissance continue de la capitalisation boursière après 1945, malgré quelques épisodes récessifs, souvent dus à la conjecture internationale. 3. Des difficultés croissantes qui apparaissent à la fin des années 1960 et qui se manifestent surtout après 1971. Elles témoignent des perturbations monétaires liées à l’abandon de la libre-convertibilité du dollar en or, et les difficultés nouvelles d’un certain nombre de secteurs, en particulier industriels, dans les années 1970. 4. Une accélération de la capitalisation boursière, initiée sous Reagan (1980-1988) et caractérisée par d’importantes mesures de libéralisation et de dérégulation. Un seul accident est clairement visible : le krach de 1987. 5. Une accélération encore plus forte à partir des années 1990 de la capitalisation boursière, portée en particulier par l’émergence de secteurs nouveaux, en particulier dans le domaine de l’informatique et des communications. La libéralisation des marchés financiers depuis les années 1980 L’objectif est de montrer la rupture opérée par les années 1980 en matière de finance internationale. Les États ont favorisé la circulation des capitaux en abaissant progressivement le contrôle sur les transactions financières. Cette politique de libéralisation et de déréglementation a permis la création d’un marché mondial de capitaux, capable de soutenir la forte croissance mondiale, mais aussi responsable de davantage de volatilité et d’instabilité. Document 1 Le cours du Dow Jones au XXe siècle Le Dow Jones est le premier indice boursier, créé en 1884 et il s’impose progressivement comme l’indicateur officiel de l’activité boursière à Wall Street. À l’origine, il ne cotait que quelques entreprises du secteur ferroviaire avant d’intégrer dans son calcul d’autres entreprises industrielles : en 1896 par exemple, General Electrics, dynamisée par les brevets de Thomas Edison, rejoint le club très restreint des entreprises intégrées dans le calcul du Dow Jones. À titre de comparaison, le footsie britannique a été lancé en 1984, le CAC 40 français en 1987. 245 6. Cette période de forte spéculation boursière se clôture par deux krachs : le premier en 2001 est lié au dégonflement de la bulle internet, le deuxième, plus grave, à la crise des subprimes en 2007. Document 4 Un chef d’orchestre, la FED Alan Greenspan (né en 1926) est un économiste américain qui commence sa carrière publique d’abord en soutenant la candidature Nixon en 1968, puis celle de Ronald Reagan en 1980. Libéral et monétariste, il prend ses fonctions à la tête de la Banque centrale en 1987 ; quelques semaines plus tard, il doit affronter l’un des plus graves krachs boursiers qu’ait connus Wall Street depuis 1929. Son action est déjà saluée et il enchaînera, à la tête de l’institution, cinq mandats successifs, jusqu’en 2006 où il sera remplacé par Ben Bernanke. Considéré avant la crise des subprimes comme un héros de la prospérité américaine et le garant de la stabilité mondiale (doc. 4 p. 371), Alan Greenspan est aujourd’hui plus violemment attaqué pour son rôle dans le déclenchement de la crise. La Une du Time présentée ici salue son action dans la crise asiatique de 1997-1998. La crise commence lorsqu’après des années de forte croissance, les économies asiatiques sont frappées par d’importants désordres monétaires. La chute du bath thaïlandais entraîne l’ensemble de l’Asie du Sud dans la tourmente et menace bientôt d’autres puissances émergentes (Argentine, Brésil, Russie). En refusant de hausser brutalement les taux d’intérêts, Alan Greenspan aurait empêché le « credit crunch » (contraction du crédit) et la récession mondiale. La FED, et le secrétaire d’État au Trésor auraient été des agents régulateurs de l’économie mondiale, éloignant les risques d’un « effet domino ». À noter que le Time choisira, comme personnalité de l’année 1999, un autre symbole de la réussite économique américaine : Jeffrey Bezos (né en 1964), fondateur de la boutique en ligne Amazon. Ironie de l’histoire, c’est son successeur à la FED, Ben Bernanke, qui décrochera, en pleine crise financière, la palme de « Man of the Year » 2009. Document 2 Le poids du crédit et de la spéculation Maurice Allais (1911-2010) est le trop méconnu prix Nobel d’économie français, le seul Français à avoir obtenu cette distinction. Les positions qu’il a défendues l’ont souvent fait passer pour un libéral hétérodoxe. En effet dans ses travaux, il dénonce les effets de la mondialisation, se montre favorable à des mesures protectionnistes et voit dans l’évolution de la finance mondiale un risque de crise majeure du capitalisme. À la fin des années 1980, ses positions tranchent donc avec le consensus unanimement partagé dans le monde occidental : libreéchange, dérégulation, financiarisation… Dans son ouvrage destiné au grand public, La Crise mondiale aujourd’hui, Maurice Allais dresse en 1999 un tableau pessimiste de l’économie mondiale au lendemain de la crise asiatique (1997) et prophétise une crise prochaine, systémique, dont l’origine ne peut être que financière : « Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général ». Document 3 Une réglementation insuffisante L’article met en évidence les faiblesses de la réglementation dans le secteur bancaire, malgré les efforts de réglementation initiés par le comité de Bâle. Le comité de Bâle est un forum créé en 1974 au lendemain de la faillite de la banque ouest-allemande Herstatt. Il réunit les gouverneurs des banques centrales des membres du groupe des 10 (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, RFA, Suisse, Suède, Belgique, Pays-Bas, Japon). L’objectif est d’unifier les pratiques bancaires et de renforcer la coopération en matière de surveillance. Pour autant, ces recommandations ne sont qu’indicatives, même si elles tendent à se diffuser ; aujourd’hui, les normes bancaires redéfinies par le comité en 2004 (Bâle II) sont appliquées dans plus de cent pays. Le comité est à l’origine des seuls accords internationaux de réglementations bancaires, qui surviennent généralement après un choc financier d’importance. C’est le cas par exemple des accords de Bâle I (1988), un an après le krach boursier à Wall Street (1987), et de Bâle III (2010), au lendemain de la faillite de la banque américaine, Lehman Brothers. Document 5 La globalisation financière Theodore Levitt (1925-2006) est un économiste américain, professeur à Harvard. Peu connu en France, il est l’intellectuel qui, en 1983, a théorisé et vulgarisé le terme de globalization. À l’origine, il décrit les transformations accélérées de la finance mondiale. Les mesures de libéralisation et de dérégulation du secteur de la finance, prises à partir des années 1970 par les États, favorisent une meilleure circulation des capitaux, au prix d’un abandon progressif des instru246 ments de contrôle. Parallèlement, les progrès rapides des TIC facilitent et accélèrent les transactions. Les grandes bourses mondiales étendent leurs durées de cotation et resserrent leurs liens d’interdépendance. Les mesures d’ouverture économique prônées par les grandes institutions internationales (FMI, BM) dans les pays en développement ou conduites par certains pays émergents, favorisent la création d’un marché mondial de capitaux et offrent aux FMN, de nouvelles perspectives d’investissement. Un marché devenu mondial « où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes ». b. Une interdépendance croissante : « aux cotations américaines se succèdent les cotations à Tokyo et à Hong Kong, puis à Londres, Francfort et Paris. ». c. Une spéculation croissante qui tend à déconnecter la finance de l’économie réelle : « on constate le plus souvent une dissociation entre les données de l’économie réelle et les cours nominaux déterminés par la spéculation ». d. Une instabilité et une volatilité des marchés des capitaux : « l’économie mondiale repose tout entière sur une pyramide de dettes ». e. Un secteur déréglementé par les États : l’exemple du secteur bancaire (doc. 3). 4. Le secteur financier a été de plus en plus déréglementé, laissant place, selon Maurice Allais, à « un vaste casino » : les États ont donc de plus en plus abandonné le contrôle qu’ils exerçaient sur les flux de capitaux. L’internationalisation a pour autant ses risques : à partir de 1974, le comité de Bâle, réunissant dix pays, choisit de proposer des règles communes pour éviter les faillites bancaires, comme celles de Herstatt, un établissement ouest-allemand. Mais ces règlements sont insuffisants, inégalement appliqués (« Bâle II n’est jamais entré en vigueur en Atlantique) et incapables d’éviter les faillites spectaculaires, comme celles de Lehman Brothers en 2008. 5. La Banque centrale, en fixant le taux directeur, a une action sur le marché américain, mais aussi, du fait du statut du dollar et du rôle central des États-Unis, sur l’ensemble de l’économie mondiale. Dans les années 1980, Paul Volcker avait réduit l’inflation (en relevant le taux directeur) (doc. 6). En 1997-1998, au moment de la crise asiatique, la FED évite une contraction du crédit à l’échelle mondiale en maintenant des taux directeurs bas (doc. 4). Au moment où s’annonçait un possible krach immobilier, Alan Greenspan aurait dû, selon Paul Krugman, relever le taux directeur pour « freiner l’enthousiasme du marché ». Document 6 Les limites de la politique monétaire américaine Paul Krugman (né en 1953) est un économiste américain, souvent étiqueté « à gauche » aux États-Unis. Prix Nobel d’économie en 2008 pour ses travaux universitaires, il est davantage connu pour ses prises de positions engagées, ses éditoriaux économiques dans le New York Times et son intense activité numérique. Doté d’une plume bien acérée, Paul Krugman s’autorise dans cet extrait un portrait à charge de l’ancien directeur de la FED, Alan Greenspan. Paul Krugman y pourfend la politique monétariste d’Alan Greenspan, la rendant même responsable du déclenchement de la crise actuelle. Derrière ce bilan que l’on pourrait regretter tardif, se cache en réalité une opposition fondamentale entre les deux hommes : le premier, Alan Greenspan, reste le symbole d’une politique néo-libérale de déréglementation financière, le second, Paul Krugman, est davantage un néo-keynésien, favorable à plus d’intervention de l’État fédéral en matière de régulation financière. Réponses aux questions 1. Wall Street est l’épicentre des grands krachs boursiers qui ont par la suite secoué l’ensemble de l’économie mondiale : en 1929, avec la Grande dépression des années 1930, et 2008, avec la crise des subprimes, et ses répercussions actuelles. 2. C’est à partir des années 1970 que l’économie se financiarise du fait d’une accélération de la capitalisation boursière, initiée sous Reagan (1980-1988) et caractérisée par d’importantes mesures de libéralisation et de dérégulation et une accélération encore plus forte à partir des années 1990, portée par l’émergence de secteurs nouveaux, en particulier dans le domaine de l’informatique et des communications. 3. Le marché des capitaux tel qu’il se constitue dans les années 1980, se caractérise par : a. VERS LE BAC Étude critique Le premier document est la couverture du magazine américain Time, qui présente Alan Greenspan, gouverneur de la FED depuis 1987, comme l’un des 247 sauveurs de l’économie mondiale. Le deuxième document est un bilan à charge de l’action de Greenspan tiré de l’ouvrage de l’économiste et prix Nobel, Paul Krugman, Pourquoi les crises reviennent toujours, publié en 2009. Dix ans séparent les deux documents : entre-temps, Alan Greenspan a quitté ses fonctions et les États-Unis ont basculé dans la crise la plus grave depuis 1929. Quel bilan de l’action de Greenspan à la tête de la FED ces deux documents font-ils à dix ans d’intervalles ? Plan possible I. Un portrait élogieux (Time) : le rôle de la FED dans la lutte contre les crises mondiales II. Un constat plus nuancé (Krugman) : un contexte économique favorable pour l’économie américaine, avec, ou sans l’action de Greenspan III. Un portrait à charge (Krugman) : une responsabilité certaine de la FED dans le déclenchement de la crise actuelle. pages 380-381 nancière, il participe, en septembre 2008, en tant que gouverneur de la Réserve fédérale de New York, à l’élaboration du plan Paulson. Il s’agit, d’après le projet mis sur pied en urgence par le secrétaire d’État au Trésor Henry Paulson, d’enrayer les faillites bancaires comme celle de Lehman Brother, survenue quelques jours plus tôt. Adopté difficilement par le Congrès, il permet à l’État fédéral d’injecter en urgence jusqu’à 700 milliards de dollars dans le secteur bancaire sous forme de rachats d’actifs « pourris ». L’élection du démocrate Barack Obama et sa prise de fonction en janvier 2009, en pleine crise financière, accélère la carrière de Timothy Geithner : le nouveau Président choisit de le nommer secrétaire du Trésor, à la place d’Henry Paulson. Le document présenté ici marque donc pour le nouveau secrétaire d’État une véritable entrée en matière : à peine nommé, il doit présenter un deuxième plan de sauvetage de l’économie, qu’il évalue à 1 000 milliards de dollars. Dans ce document, il en présente les grandes lignes, avant d’en préciser les modalités précises le mois suivant. Après l’injection d’une première tranche de 500 milliards comme annoncé ici, l’originalité du plan Geithner, c’est qu’il entendait associer État fédéral et fonds d’investissements. LEÇON 3 Réguler les flux L’objectif de ce dernier cours est de montrer que la crise actuelle a accéléré les initiatives en faveur d’une refonte de la gouvernance économique. Face à l’ampleur des défis économiques, un forum tend à assumer un leadership économique en temps de crise : le G20. Mené par les chefs d’État des grandes puissances économiques, ouvert aux puissances émergentes, le G20 marque le retour d’un volontarisme des États et un souci nouveau de revenir à davantage de régulation et de coopération. C’est par l’intermédiaire de ce G20 rénové que le FMI retrouve une nouvelle légitimité. pages 382-383 Document 2 Le creusement du déficit public américain La période du New Deal et de l’effort de guerre s’accompagne d’une intervention croissante de l’État fédéral. Elle se caractérise par le gonflement de la dette publique, qui atteint en 1945 plus de 120 % du PIB. De 1945 au milieu des années 1970, le poids de la dette publique s’allège progressivement. En revanche, le graphique souligne la forte dégradation des comptes publics américains depuis les années 1980. En effet l’administration Reagan a certes pratiqué une politique d’inspiration néolibérale marquée par des coupes dans les budgets sociaux, mais elle a aussi réduit la fiscalité et augmenté certains budgets, en particulier celui de la Défense. Surtout, l’augmentation est particulièrement importante dans la décennie 2000 : les coûts des guerres (Afghanistan, Irak), et surtout, les sommes engagées pour lutter contre la dérive du secteur financier (plan Paulson de septembre 2008, plan Geithner de 2009) ou pour soutenir l’activité économique. L’endettement public américain mesuré en % du PIB est donc aujourd’hui comparable à celui des États-Unis au sortir de la guerre. ÉTUDE La puissance américaine fragilisée L’objectif de cette étude est de revenir rapidement sur les conséquences de la crise des subprimes de 2007 sur l’économie américaine et sur la position internationale des États-Unis. Document 1 L’État fédéral au secours des banques Timothy Geithner (né en 1961) est le secrétaire d’État du président Obama depuis janvier 2009. Nommé en pleine crise financière, il a déjà exercé de nombreuses fonctions importantes au sein du Trésor qu’il a rejoint dès 1988. En pleine crise fi248 les perspectives de reprise maigres tant que le secteur bancaire n’est pas recapitalisé : « c’est le défi le plus complexe que notre système financier ait jamais dû affronter ». De par les plans de sauvetage engagés, la crise creuse également les déficits publics. Deux ans après la crise des subprimes, la note des États-Unis est dégradée, révélant un certain scepticisme des marchés sur les nouvelles capacités d’emprunt du pays. 2. Quelques mois après le premier plan Paulson, Timothy Geithner annonce un nouveau plan. Il consiste pour l’État fédéral à injecter 1 000 milliards de dollars dans le secteur bancaire américain, au prix d’une aggravation des déficits publics. La crise s’accompagne d’un retour de l’interventionnisme de l’État fédéral dans l’économie. 3. Les principaux possesseurs de la dette américaine sous formes de bons du Trésor sont ses partenaires de la Triade (Europe et Japon) et plus récemment les puissances émergentes. Ainsi, la Chine est devenue le premier détenteur de bons du Trésor américains. 4. La crise révèle les fragilités financières des États-Unis et le nouveau rôle des pays émergents. Désormais, les pays émergents, en particulier la Chine, sont les principaux détenteurs des dettes américaines, en plus d’être de redoutables concurrents commerciaux. Le yuan, s’il n’est toujours pas librement convertible, s’affirme de plus en plus comme une monnaie d’échanges, en particulier en Asie. La Chine a émis, en 2010, ses premières obligations internationales, montrant qu’elle cherche à attirer les devises et à se présenter comme un investissement garanti sur le long terme, peut-être plus sûr que les États-Unis ou les pays européens. Document 3 L’Amérique « dégradée » Le 6 août 2011, l’agence de notation américaine Standard & Poor’s dégrade les États-Unis de AAA à AA+. L’événement fait figure d’une bombe dans le monde de la finance. Document 4 Les possesseurs de bons du Trésor américain Document 5 La Chine, nouveau créancier des États-Unis Les bons du Trésor (Treasury Bond) sont des obligations à long terme, libellées en dollars, émises par le Trésor américain. En général, ils couvrent des durées de 10 (le plus souvent) à 30 ans (réintroduits) en 2006. Réputés sûrs pour les investisseurs privés ou institutionnels, parce que garantis par le gouvernement américain, ils constituent une part importante des réserves en dollars des banques centrales. La carte montre les détenteurs anciens de bons du Trésor : l’Europe et surtout le Japon, dont les réévaluations successives du yen dans les années 1980 (doc. 3 p. 375) l’ont poussé à investir une partie de ses excédents commerciaux sous forme de bons du Trésor. Premier créancier des États-Unis à la fin des années 1980, le Japon était également le premier possesseur de bons du Trésor américains. De nouveaux venus apparaissent depuis une quinzaine d’années : il s’agit des puissances émergentes, en particulier asiatiques. À cet égard, la Chine est devenue le premier détenteur de bons du Trésor américains. Comme beaucoup de pays asiatiques après la crise de 1997-1998, la Chine a choisi de diversifier et de sécuriser ses placements financiers : elle a donc choisi de placer une partie de ses formidables excédents commerciaux sous la forme de bons du Trésor. Cette politique, souhaitée et encouragée par les États-Unis dans un souci de rapprochement, est sérieusement mise en doute par les difficultés américaines depuis 2007… VERS LE BAC Étude critique Quelques jours après avoir été nommé secrétaire d’État au Trésor de la nouvelle administration Obama, Timothy Geithner dévoile les grands traits du plan de sauvetage qu’il entend mettre en place. L’ampleur des mesures annoncées et les montants débloqués révèlent la gravité de la situation économique aux États-Unis. Quelles sont les caractéristiques de la crise qui secouent les États-Unis depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2007 ? Réponses aux questions 1. La crise se manifeste d’abord aux États-Unis par un krach immobilier (« les prix des maisons sont encore en baisse et les saisies immobilières en hausse ») qui a entraîné dans sa chute l’ensemble du secteur bancaire américain. L’économie américaine entre alors en récession, le chômage explose (« 600 000 [chômeurs] supplémentaires le mois dernier ») et 249 Plan possible I. Une économie américaine plongée par la récession : chute du secteur immobilier, effondrement de la demande, faillites, forte montée du chômage, chute des exportations. II. Un secteur bancaire ravagé que seule une intervention fédérale exceptionnelle peut sauver : faillite des banques, contraction du crédit, plan Geithner, creusement des déficits publics, incertitudes sur les résultats. III. Une crise mondiale qui doit être combattue sur le plan international : contraction du commerce international, réunion du G7, collaboration des institutions de Washington. pages 384-385 ses surcapacités de production en 2013… L’extrait présenté est la plus connue des analyses « prémonitoires » de Nouriel Roubini. Devant un auditoire d’économistes avertis, Roubini dresse en septembre 2006 le scénario, jugé hautement improbable à l’époque, de l’imminence d’une récession aux États-Unis (ce que certains conçoivent) aux conséquences dramatiques pour l’économie mondiale (ce que la plupart excluent). Dans cette analyse, Nouriel Roubini revient en particulier sur la thèse du découplage. « Encore une fois, le consensus aujourd’hui est que la croissance mondiale est découplée de la croissance américaine ». Le découplage désigne le fait que le dynamisme des économies émergentes pourrait atténuer les effets d’une crise économique régionale, aux ÉtatsUnis ou ailleurs. De fait, la forte croissance économique mondiale observée dans les années 2000 ne serait que peu influencée par des difficultés aux États-Unis, en Europe ou au Japon. Nouriel Roubini rejette cette lecture de l’économie mondiale et souligne l’interdépendance toujours forte entre les différentes parties du monde. La baisse de la demande aux États-Unis, voire en Europe, n’épargnerait pas la Chine, fortement dépendante des marchés du Nord. Une baisse de l’activité manufacturière en Chine aurait des conséquences sur la demande en matières premières. ÉTUDE Une crise mondiale À partir du texte de Nouriel Roubini (doc. 1), l’élève est invité à compléter la réflexion entamée dans le sujet d’étude précédent, et à se pencher sur les manifestations mondiales de la crise actuelle. Document 1 De la récession américaine à la récession mondiale Nouriel Roubini, économiste américano-turque né en 1959, se fait connaître au début des années 2000 pour son style particulier et ses analyses souvent pessimistes sur la conjoncture économique américaine et mondiale. Spécialiste des économies émergentes et fin connaisseur de la crise asiatique, il commence à avancer l’idée que les États-Unis pourraient être les prochaines victimes d’une crise systémique. Dès 2004, il annonce un futur krach immobilier. En 2005, les médias américains commencent à le surnommer « Dr Doom », tant ses analyses ressemblent à de funestes prédictions : il annonçait ainsi un effondrement prochain du secteur immobilier pire que celui observé dans les années 1930. D’ailleurs, le ton et la méthode, qui ne s’appuient que rarement sur des modèles macroéconomiques mais plutôt sur le « test du canard », renforcent cette première impression de charlatan de l’économie. Pourtant, le déclenchement de la crise en 2007, selon un scénario qu’il avait auparavant décrit, donne une nouvelle notoriété à Nouriel Roubini. L’économiste multiplie depuis les analyses prospectives, toujours aussi pessimistes, mais prises plus au sérieux peut-être : sortie de la Grèce de la zone euro en 2012, éclatement de la zone euro avant cinq ans, crise en Chine du fait de Document 2 Une crise financière de dimension mondiale Document 3 L’Europe fragilisée Document 4 Les pays industrialisés face à la crise La crise révèle les fragilités des pays européens. La crise financière mondiale a entraîné une forte contraction du crédit à l’échelle mondiale et a révélé l’ampleur des déficits publics ou privés dans les pays européens. La crise de la dette en Europe naît de la crainte des créanciers sur les possibilités de remboursement d’un certain nombre d’États, en premier lieu la Grèce, puis les autres États à risques, comme l’Irlande, le Portugal, l’Espagne ou l’Italie. La Grèce est le premier pays de l’Union européenne à basculer. En décembre 2009, à l’annonce des vrais chiffres de ses déficits publics par le nouveau gouvernement issu des législatives (le Pasok), les agences de notation dégradent la note de la Grèce. C’est le début d’importantes perturbations sur les 250 marchés boursiers européens, inquiets de la possibilité que la Grèce ne puisse honorer ses créanciers. En février 2010, après une première aide conjointe du FMI et de l’Union européenne, le gouvernement grec de Papandreou annonce une première série de mesures d’austérité visant à économiser près de six milliards d’euros. Impopulaires, les mesures, gel des salaires et augmentation de la pression fiscale, déclenchent la première grande grève générale dans le pays, comme en témoigne la photographie présentée ici. mentation de la facture énergétique : « une flambée des prix de l’énergie », en particulier du pétrole, l’inaction de la FED à empêcher la création d’une énorme bulle spéculative : « le relèvement trop tardif des taux d’intérêts de la FED ». À noter que cette dernière critique est reprise par Paul Krugman (doc. 6 p. 379). 2. Selon Nouriel Roubini, le monde subira les conséquences de la crise américaine. L’économiste réfute l’idée qu’il existe un découplage entre les économies. Aussi dynamiques soient-ils, les pays émergents, en particulier la Chine, restent dépendants des marchés américains. Selon lui, la crise américaine fera basculer le monde dans la crise : « A terme, le reste du monde ne sera pas capable de se dissocier des États-Unis. Sur cette note joyeuse, je vais arrêter » conclut-il. 3. L’Europe est la région du monde qui semble le plus impactée par la crise américaine. Pour autant, la crise en Europe a des spécificités : elle prend la forme d’une crise de la dette souveraine qui menace la stabilité et l’unité de toute la zone euro. 4. La Chine est également touchée par la crise dans la mesure où elle dépend des marchés extérieurs pour exporter les produits de son industrie. Son intégration croissante dans le commerce international s’est accompagnée d’une explosion de sa balance commerciale : au cours des années 2000, la Chine s’est imposée comme une puissance commerciale de premier plan en même temps qu’une nouvelle puissance financière. La baisse de la demande aux ÉtatsUnis et en Europe, et les tentations protectionnistes observées un peu partout en tant de crise, fragilisent la Chine et remettent en cause son modèle de développement récent. Sur le graphique, cela se traduit par une chute importante des excédents commerciaux à partir de 2009, et une reprise pour le moment fragile. Document 5 La contraction du commerce international : l’exemple de la Chine L’évolution des excédents commerciaux chinois depuis 1993 permet de voir la rapidité de l’intégration de la Chine dans le commerce mondial. Si l’ouverture économique débute en 1978 par les réformes impulsées par Deng Xiaoping, la balance commerciale ne commence à devenir excédentaire qu’après 1995. Avant 1995, les exportations chinoises, souvent à faible valeur ajoutée, ne compensent pas la forte demande en produits d’importations à forte valeur ajoutée, en particulier pour moderniser et étendre les capacités de production chinoises. La balance commerciale chinoise devient nettement excédentaire au milieu des années 2000 : la Chine s’impose progressivement comme la troisième puissance industrielle mondiale, à la fois capable de produire des biens de faible qualité, mais aujourd’hui également spécialisée dans les secteurs de pointe, comme l’électronique ou l’informatique. Le graphique montre enfin que la Chine est elle aussi impactée par la crise, comme le prévoyait Nouriel Roubini en 2006 (doc. 1). L’entrée dans la crise mondiale s’accompagne d’une baisse des excédents commerciaux ; ils ne traduisent pas un ralentissement de l’économie chinoise, mais une chute de la demande dans les pays industrialisés et le retour à certaines formes de protectionnistes (« Buy American Act »). Pour autant, la Chine doit trouver des nouveaux débouchés pour les produits de son industrie, au risque d’être elle-même confrontée à un ralentissement de sa croissance. VERS LE BAC Composition Plan possible I. Un krach financier qui se propage de Wall Street aux autres places financières mondiales. II. Une crise de la dette qui révèle les fragilités de l’Europe et qui menace la stabilité de la zone euro. III. Un ralentissement de l’économie mondiale qui touche même les pays émergents. Réponses aux questions 1. Selon Nouriel Roubini, trois signes sont annonciateurs de la récession à venir : la spéculation dans le secteur immobilier : « il y a maintenant des preuves que les prix des maisons vont chuter », l’inflation créée par l’aug251 pages 386-387 ÉTUDE La gouvernance économique d’un monde en crise La dernière étude a pour objectif de montrer comment la gouvernance économique mondiale a évolué contrainte et forcée du fait de l’urgence de la crise. La nouvelle architecture pensée au sommet de Pittsburgh (2009) réserve le leadership en matière économique au forum du G20, à la représentativité et aux compétences élargies. Dans les nouveaux rapports de force qui se révèlent à la lumière de la crise, les pays émergents, en particulier la Chine, entendent désormais être des acteurs majeurs de la gouvernance économique mondiale. Document 1 Les trois échelles de la gouvernance Document 2 Le G20, une solution à la crise ? Les deux documents sont des entretiens avec de hauts fonctionnaires français, ayant chacun occupé d’importantes fonctions à chacune des échelles de gouvernance : la République, l’Europe, les organisations internationales. Pascal Lamy (né en 1947) Michel Camdessus (né en 1936) Études et formations Sciences Politiques, HEC, ENA Sciences Politiques, ENA Engagement politique Parti socialiste à partir de 1969 Parti socialiste Fonction publique française Plusieurs postes de conseillers économiques, conseiller de Jacques Delors au ministère des Finances (1981-1984), chef de cabinet adjoint du Premier ministre Pierre Mauroy (1983-1984) – Nombreux postes à la direction du Trésor à partir de 1960, gouverneur de la banque de France (1984-1987) – Chargé d’une mission sur les rémunérations des traders en 2009 Fonctions européennes Directeur du cabinet du président de la Membre de la représentation permanente Commission européenne (Jacques Delors) française à Bruxelles à la fin des années entre 1984 et 1994 1960 Fonctions internationales À la tête de l’OMC depuis 2005 (mandat Directeur général du FMI entre 1987 et renouvelé en 2009) 2000 République française constitue, pour lui, l’état « solide » de la gouvernance. C’est un cadre de l’action politique plus ancien et davantage compris et vécu par ses citoyens et ses gouvernants : « l’histoire, la géographie, la langue, les mythes, la culture nous rassemblent ». 2. Selon ces deux hauts fonctionnaires internationaux, la gouvernance mondiale manque à la fois de visibilité et de légitimité. Pour Pascal Lamy, aucune institution internationale ne répond aux exigences de « leadership, de cohérence et de légitimité ». Michel Camdessus insiste sur le manque de légitimité du G20, mais le vrai leadership affiché par ses participants depuis le sommet de Pittsburgh en 2009. Document 3 La difficile solidarité en temps de crise Face à la crise de la dette qui secoue la zone euro, et particulièrement les pays de l’Europe méditerranéenne (Grèce, Portugal, Espagne, Italie), le leadership européen est incarné par le couple franco-allemand. Ce resserrement autour des deux plus grandes puissances de la zone euro, s’explique par l’urgence de la situation et la nécessité de trouver des solutions rapidement pour rassurer les marchés et éviter une faillite grecque. Réponses aux questions 1. Selon Pascal Lamy, les décisions paraissent plus faciles à prendre à l’échelle d’un État : la 252 muniste, qui n’a intégré l’OMC qu’en 2001 et dont le territoire reste encore inégalement ouvert aux IDE. Mais la Chine, en période de ralentissement de la croissance mondiale, s’inquiète implicitement de la baisse de la demande, en particulier aux États-Unis et en Europe, ainsi que les mesures protectionnistes visant en premier lieu les produits chinois (dénonciation du « Buy american », « Hire American »). II. La relance du cycle de Doha, une priorité pour la Chine. Dans le cadre des négociations de l’OMC, la Chine souhaite profiter des nouvelles conditions économiques pour relancer le cycle de Doha, interrompu en 2005 et timidement relancé à partir de 2009. La crise économique est l’occasion pour la Chine de faire aboutir des négociations qui jusqu’alors bloquaient du fait de l’intransigeance des pays du Nord, soucieux en particulier de protéger leurs agricultures subventionnées. La Chine entend jouer de son nouveau leadership en particulier au G20 appeler à une « conclusion rapide des négociations du cycle de Doha ». Elle se présente ainsi comme le défenseur des intérêts commerciaux des pays du Sud, tout en défendant son modèle de développement. 3. Le G20 apparaît, pour Michel Camdessus, comme une évolution positive car en élargissant sa représentativité, le G20 incarne le volontarisme des États et assume, à défaut d’un parfait multilatéralisme, un certain leadership en temps de crise. Il complète, et surtout supervise désormais l’action des grandes organisations internationales, en particulier le FMI, dont les compétences et les capacités de prêts (doublées depuis 2009) sont de plus en plus sollicitées. 4. Face à la crise de la dette qui secoue la zone euro, et particulièrement les pays de l’Europe méditerranéenne (Grèce, Portugal, Espagne, Italie), le leadership européen est incarné par le couple franco-allemand. Ce resserrement autour des deux plus grandes puissances de la zone euro, s’explique par l’urgence de la situation et la nécessité de trouver des solutions rapidement pour rassurer les marchés et éviter une faillite grecque. 5. Les pays représentés au sommet des BRICS sont les puissances dites émergentes : Brésil, Russie, Inde, Chine, et l’Afrique du Sud (intégrée tardivement par souci de représentation de l’Afrique en développement). Les puissances émergentes sont des pays présentant des problèmes de développement, mais qui connaissent depuis les années 2000 des taux de croissance souvent à deux chiffres et une intégration de plus en plus poussée dans le commerce international. page 388 VERS LE BAC Étude critique de document(s) Le document présenté ici est l’acte final de la Conférence de Bretton Woods. Il clôture donc la conférence et son élaboration est le fruit d’un consensus entre les 44 États signataires. Bien avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, la conférence de Bretton Woods vise à reconstruire l’architecture monétaire mondiale. Elle marque la naissance des premières organisations de gouvernance économique mondiale. En quoi la conférence de Bretton Woods marquet-elle les débuts d’une gouvernance économique mondiale ? VERS LE BAC Étude critique Le document est un extrait d’une analyse de la situation économique internationale rédigée en 2010 par un économiste chinois, Xiaoji Zhang. Le texte a le double intérêt de nous offrir un autre regard que celui des économistes américains ou européens sur la crise actuelle (d’ailleurs, le titre de l’opuscule laisse à penser que la crise est terminée…) et de nous présenter, implicitement, les positions officielles de la Chine sur la relance de l’économie mondiale. Quelle place entend jouer la Chine dans la gouvernance économique mondiale ? Plan possible I. Des objectifs ambitieux : la nécessaire coopération internationale pour relancer les échanges et garantir la paix et la prospérité. II. Un nouveau système monétaire : les débuts du Gold Exchange Standard et le leadership économique des États-Unis III. La naissance des premières institutions gouvernance : la création de la BIRD (Banque Internationale pour la reconstruction et le développement) et du FMI. Plan possible I. Le libre-échange, défendu par la Chine communiste. Le document souligne la nécessaire relance des échanges ; cette défense du libre-échange peut paraître paradoxale pour un régime officiellement com253 page 389 VERS LE BAC III. Une ouverture plus grande aux émergents justifiée par l’ampleur de la crise financière actuelle Étude critique de document(s) SUJETS 43. Plan possible pour le sujet 43 : Le rôle des États-Unis dans la mondialisation I. Une puissance écrasante et un leadership économique assumé en 1945 II. Les États-Unis, principaux artisans de la libéralisation des échanges III. Les États-Unis, une puissance ébranlée au début du XXIe siècle par la crise financière Le plan est proposé dans la méthode. pages 390-391 VERS LE BAC Composition Plan possible I. La naissance des premières institutions de gouvernances mondiales en 1945 : FMI et BM II. Des institutions contestées à partir des années 1970 pour leur inefficacité et leur partialité 254