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H É R A P E U T I Q U E
Le traitement du cancer de la prostate en 1999
" B. Gattegno*
L
e cancer de la prostate est une tumeur maligne fréquente, puisqu’il représente, chez l’homme, la troisième cause de mortalité par cancer après le poumon
et le colorectum. Le cancer de la prostate atteint de 5 % à
40 % des hommes après 50 ans, sa fréquence étant directement proportionnelle à l’âge (2).
Néanmoins, seuls un tiers des patients présentant un cancer de
la prostate décéderont de cette cause. Cette notion aura une
importance particulière lors du choix thérapeutique.
La radiothérapie
! La radiothérapie externe à visée curatrice. Elle inclut la
glande prostatique et souvent les aires ganglionnaires ilioobturatrices. La dose totale délivrée est de 60 à 70 grays (3).
Les principales complications de l’irradiation sont surtout la
cystite et la rectite radiques, entraînant des troubles mictionnels et rectaux ainsi qu’hématurie et rectorragie. L’impuissance existe dans environ 40 % des cas. Le risque d’incontinence urinaire est faible.
La curiethérapie (irradiation interstitielle). Il s’agit de
l’implantation d’aiguilles d’iode ou d’Or radioactif directement dans la prostate. Cette technique, à visée curatrice, permettrait de délivrer une dose radioactive très importante dans
la prostate sans risque excessif pour les organes de voisinage.
!
LES DIFFÉRENTES MÉTHODES THÉRAPEUTIQUES
Il existe de très nombreuses méthodes thérapeutiques qui peuvent être utilisées ensemble ou successivement chez le même
patient.
La radiothérapie palliative localisée. Elle est utilisée lors
des métastases osseuses douloureuses ou lors d’une compression médullaire entraînant des troubles neurologiques périphériques.
!
Les moyens chirurgicaux
! La prostatectomie radicale. Il s’agit de l’ablation chirurgicale, par voie ouverte, de la prostate et des vésicules séminales. Cette intervention a une visée curatrice. La prostatectomie est, dans la majorité des cas, associée à un curage ganglionnaire ilio-obturateur avec examen microscopique extemporané (en cas d’envahissement ganglionnaire, la prostatectomie n’est pas réalisée).
Il s’agit d’une intervention chirurgicale importante dont les
principales complications sont l’impuissance sexuelle et l’incontinence urinaire. Le risque d’impuissance peut être limité
par la conservation des nerfs érecteurs ; néanmoins, plus de
80 % des patients seront impuissants après la prostatectomie.
L’incontinence est une complication très invalidante, mais
rare, puisque n’excédant pas 1 à 10 % des cas selon les séries.
! La
résection endoscopique transurétrale de la prostate.
Elle permet de désobstruer l’urètre prostatique lorsqu’il est
envahi par la tumeur, entraînant des troubles mictionnels,
voire une rétention vésicale. Il s’agit d’un traitement palliatif.
! Les dérivations urinaires. Elles ne sont proposées qu’en
cas d’échappement du cancer au traitement, lorsqu’il existe en
particulier une insuffisance rénale obstructive en rapport avec
un envahissement tumoral des uretères. Il s’agit d’une intervention palliative.
Différents types de dérivation urinaire sont utilisés : sondes
urétérales JJ mises en place par voie endoscopique, néphrostomie percutanée, urétérostomie cutanée, dérivation urinaire
cutanée type Bricker.
* Service d’urologie, Centre des tumeurs, hôpital Tenon, Paris.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 3 - mars 1999
Les traitements à visée hormonale
Ce sont les plus anciennement connus et utilisés. Huggins a
reçu le prix Nobel il y a plus de cinquante ans pour récompenser ses travaux sur l’hormonodépendance de la glande
prostatique.
Le tissu prostatique et les cellules prostatiques néoplasiques
sont stimulés par les androgènes circulants et la dihydrotestostérone (DHT) à l’échelon cellulaire prostatique. Quatrevingt-dix pour cent des androgènes circulants sont produits
par les cellules de Leydig testiculaires (stimulées par la LH
hypophysaire) sous forme de testostérone. Les 10 % restants
sont sécrétés par les surrénales. L’hypophyse qui stimule les
sécrétions hormonales testiculaires et surrénaliennes est ellemême contrôlée par l’hypothalamus.
Il est donc possible d’agir à différents niveaux de la sécrétion
androgénique afin de la supprimer (blocage androgénique).
La croissance des cellules tumorales prostatiques et métastatiques privées de la DHT est ainsi arrêtée ou ralentie.
Néanmoins, il existe deux facteurs limitant cette action :
d’une part, l’efficacité de ce traitement dépend du degré de
différenciation de la tumeur : plus l’aspect de la tumeur est
proche de la cellule prostatique normale, meilleure sera la
réponse. D’autre part, à terme, il se produit presque toujours
un échappement hormonal de la tumeur dont la progression
n’est plus inhibée par le traitement, la cause étant vraisemblablement l’apparition de clones cellulaires hormonorésistants.
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Les différents traitements “hormonaux”
! L’orchidectomie bilatérale (ou castration chirurgicale,
ou pulpectomie). C’est la technique la plus ancienne.
Efficace et économique, elle permet de supprimer la sécrétion
des androgènes testiculaires. Elle entraîne, comme tous les
autres traitements hormonaux, une impuissance et une féminisation.
! Les estrogènes. Le diéthylstilbestrol était utilisé à la dose
moyenne de 2 à 3 mg par 24 heures. Il est actuellement abandonné en première intention, en raison de la fréquence des
complications cardiovasculaires et thromboemboliques qu’il
entraînait, à tel point que, bien souvent, le patient décédait des
complications cardiovasculaires avant l’échappement du cancer de la prostate. Actuellement, les estrogènes (fosfestrol)
sont encore utilisés à forte dose en cas d’échappement de la
tumeur.
! Les agonistes de la LH-RH. Ils sont très utilisés en raison
de leur facilité d’emploi et de l’absence d’effets secondaires
cardiovasculaires. Les androgènes sont inhibés, après une
phase d’environ trois semaines au cours de laquelle se produit
une stimulation de la sécrétion des androgènes testiculaire et
surrénalien risquant d’aggraver le cancer (“flare-up”), réalisant une castration médicale aussi efficace que la castration
chirurgicale. Pour éviter la stimulation androgénique du début
de traitement, il est nécessaire de faire précéder la première
injection d’agoniste par une imprégnation antiandrogénique
d’environ deux semaines.
Les agonistes de la LH-RH peuvent être administrés mensuellement ou trimestriellement par voie intramusculaire, ou
quotidiennement par inhalation nasale. Leurs effets sont
réversibles à l’arrêt du traitement.
! Les antiandrogènes. Ils agissent au niveau des récepteurs
cellulaires androgéniques par inhibition compétitive. Ils n’ont
pas les effets secondaires cardiovasculaires des estrogènes.
Deux classes d’antiandrogènes sont actuellement utilisées :
les antiandrogènes stéroïdiens et non stéroïdiens.
! Les corticostéroïdes. Ils n’ont qu’une action palliative et
sont utilisés en phase terminale de la maladie.
! Les antistéroïdiens. Ils inhibent la synthèse des androgènes
testiculaires et surrénaliens. Ce sont l’aminoglutamide et le
kétoconazole, mais leur toxicité les rend peu utilisables en
pratique.
! La chimiothérapie. L’adénocarcinome prostatique est peu
accessible à la chimiothérapie, vraisemblablement en raison du
long temps de doublement des cellules néoplasiques. Le cyclophosphamide et l’estramustine phosphate sont les drogues les
plus utilisées. Ces traitements ne sont prescrits qu’en seconde
ligne, au moment de l’échappement hormonal (4).
LES INDICATIONS DE CES DIFFÉRENTS TRAITEMENTS
De très nombreux facteurs influent sur la décision thérapeutique, les principaux étant le degré de dissémination locale et
générale de la tumeur et l’âge physiologique (espérance de
vie) du patient (1).
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Il est ainsi indispensable de distinguer les patients présentant
une tumeur intra- ou extracapsulaire et ceux dont l’espérance
de vie est supérieure ou inférieure à environ 10 ans (70 ans
d’âge physiologique).
En effet, une tumeur de petit volume asymptomatique peut
évoluer très lentement pendant de nombreuses années sans
mettre en danger la vie du patient. De même, si le patient présente une pathologie cardiovasculaire, celle-ci peut représenter un risque vital plus important que la tumeur prostatique, et
d’autant plus qu’elle sera traitée agressivement (5).
Il est ainsi possible de distinguer plusieurs situations cliniques :
Patient de moins de 70 ans d’âge physiologique, avec une
espérance de vie supérieure à 10 ans, présentant un adénocarcinome prostatique localisé, intracapsulaire sans métastase
décelable. Il s’agit du patient idéal, pouvant bénéficier d’un
traitement curateur en vue d’une guérison.
Deux méthodes thérapeutiques curatrices peuvent être discutées : la prostatectomie radicale et la radiothérapie externe. La
prostatectomie semble donner les meilleurs résultats, avec
environ 80 à 90 % de survie à 10 ans.
Néanmoins, il faut insister sur le nombre important (20 à
50 % des cas selon les séries) de tumeurs sous-évaluées en
préopératoire qui se révèlent en fait avoir franchi la capsule
prostatique à l’examen anatomopathologique de la pièce opératoire. Ces traitements curateurs n’ont alors pas d’influence
sur l’évolution du cancer.
"
Patient de plus de 70 ans d’âge physiologique, avec une
espérance de vie inférieure à 10 ans, présentant une tumeur
asymptomatique localisée, intracapsulaire, sans métastase
décelable. La prostatectomie radicale n’a pas sa place dans
cette situation.
En revanche, on peut envisager une radiothérapie pelvienne à
visée curatrice si le patient est en bon état général.
Dans le cas contraire, il ne faut proposer qu’une simple surveillance ; un traitement à visée hormonale n’est utile que si
la tumeur devient symptomatique, ce qui ne survient souvent
qu’après plusieurs années d’évolution. Bien souvent, le
patient décédera d’une autre pathologie avant l’apparition de
symptômes en rapport avec le cancer de prostate.
"
Patient présentant un cancer ayant franchi la capsule
prostatique, associé ou non à des métastases. Il n’y a pas lieu
de proposer un traitement curateur, quels que soient l’âge et
l’état général du patient, celui-ci n’entraînant pas d’amélioration significative des résultats sur la survie. Le traitement, s’il
est nécessaire, est palliatif.
– Patient asymptomatique. Le choix se fait entre une simple
surveillance (qui permet d’éviter les effets secondaires du traitement) ou un traitement immédiat à visée hormonale. Le traitement immédiat ne semble pas améliorer de façon significative la survie de ces patients.
– Patient symptomatique. Un traitement à visée hormonale
entraîne une amélioration rapide mais temporaire (de
quelques mois à plus de 10 ans) des symptômes. Plusieurs
modalités thérapeutiques sont possibles :
"
La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 3 - mars 1999
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# Les antiandrogènes en monothérapie. Lorsque la tumeur
est peu évoluée, avec une masse tumorale probablement peu
importante (PSA peu élevé), il est possible de proposer un
antiandrogène en monothérapie, en particulier pour limiter le
risque d’impuissance chez un homme jeune.
# Les agonistes de la LH-RH ou la castration en monothérapie. Ce traitement apparaît actuellement comme le traitement de référence dans tous les cas de tumeurs métastasées.
Il donne des résultats au moins équivalents à ceux des traitements combinés. D’un point de vue économique, la castration
est supérieure aux agonistes, mais elle est irréversible et souvent mal acceptée psychologiquement par les patients jeunes.
# La bithérapie associant un agoniste ou la castration à un
antiandrogène. Ce traitement est aussi appelé “blocage androgénique complet” (BAC). Les grandes séries randomisées
anglo-saxonnes semblent montrer que cette bithérapie n’améliore pas la survie des patients si on la compare aux agonistes
seuls. Il est évident que, du point de vue économique, cette
efficacité identique a une grande importance.
– Patient présentant une complication ou une métastase
symptomatique en rapport avec le cancer de la prostate.
Un traitement palliatif est alors nécessaire. Une rétention vésicale ou des troubles mictionnels gênants peuvent nécessiter
une résection endoscopique de la prostate tumorale afin de
désobstruer l’urètre prostatique.
Une insuffisance rénale par obstruction néoplasique des uretères juxta-vésicaux peut justifier une dérivation urinaire
haute temporaire ou définitive par la mise en place par voie
endoscopique de sondes urétérales internes JJ, par néphrostomie percutanée ou par dérivation urinaire cutanée.
Des douleurs osseuses d’origine métastatique sont efficacement soulagées par une radiothérapie palliative centrée sur la
métastase. Une paraplégie des membres inférieurs par épidurite métastatique nécessite une décompression médullaire
neurochirurgicale en urgence.
LES CAS PARTICULIERS
Les traitements néoadjuvants
Il a été proposé, pour améliorer les résultats des traitements
curateurs, de les faire précéder pendant trois mois par un traitement par agoniste de la LH-RH afin d’obtenir une diminution de volume de la prostate tumorale, et ainsi faciliter la
prostatectomie radicale ou l’irradiation prostatique. Ces traitements néoadjuvants n’ont pas fait la preuve de leur efficacité,
et donc de leur utilité.
Les cancers de la prostate récidivant après prostatectomie
radicale
La récidive peut se produire au niveau de la loge prostatique
ou être métastatique.
En cas de récidive locale, il semble qu’une irradiation de la
loge prostatique puisse diminuer le risque de progression
tumorale locale ; en revanche, il n’est pas clairement établi
que la durée de la survie puisse être augmentée.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 13 - n° 3 - mars 1999
H É R A P E U T I Q U E
En cas de métastases, un traitement par antiandrogène en
monothérapie semble logique car la masse tumorale, décelée
précocement grâce à une surveillance étroite de ces patients,
est le plus souvent peu importante. Dans le cas contraire, on
préconisera un traitement par agonistes de la LH-RH.
Les traitements intermittents en cas de tumeurs métastatiques
Le principe est de traiter le patient par agoniste de la LH-RH
de façon à obtenir un taux de PSA inférieur à la normale, puis
d’arrêter le traitement jusqu’à la réascension du PSA (ce qui
peut n’apparaître qu’après plusieurs mois).
Les avantages potentiels du traitement intermittent sont
triples : d’une part les effets secondaires sont moindres
(impuissance), d’autre part l’incidence économique n’est pas
négligeable, et enfin le délai d’apparition d’une hormonorésistance pourrait être retardé. Néanmoins, il est encore prématuré d’affirmer que ce type de thérapeutique est aussi efficace que les traitements continus classiques. Il ne faut donc le
réserver actuellement qu’à des patients sélectionnés pouvant
être étroitement surveillés.
Le syndrome de l’arrêt des antiandrogènes
Chez les patients traités par blocage androgénique complet, il
se produit dans 40 à 80 % des cas un échappement de la
tumeur, les récepteurs androgènes agonistes devenant antagonistes. L’arrêt des antiandrogènes chez ces patients entraîne
dans 50 à 80 % des cas une décroissance du PSA pouvant
durer plusieurs mois.
CONCLUSION
Le traitement du cancer de la prostate est actuellement bien
codifié. Un diagnostic précoce chez un homme jeune en bon
état général doit permettre de proposer un traitement curateur
en vue d’une guérison.
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R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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men less than 70 years old. J Urol 1991 ; 146 : 96.
2. Boring C.C. Cancer statistics 1991 ; 41 : 19.
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