Antibiothérapie dans les infections ORL

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ANTIBIOTHÉRAPIE DANS
LES INFECTIONS ORL
AMMARI H.*, RAMDANI-BOUGUESSA N.**, BELLOUNI R.***
Les infections ORL, de par leur fréquence, la multiplicité
de leurs manifestations cliniques ainsi que leurs complications constituent un problème de santé publique. Elles sont
d'origine virale dans 70 % des cas, ne justifiant pas de
prescription d'antibiotiques [1].
L'utilisation abusive des antibiotiques dans les infections
ORL a favorisé l'apparition de la résistance aux antibiotiques des principaux germes tels que Hæmophilus influenzae et Streptococcus pneumoniae. Cette prescription est de
70 % chez les enfants ayant une infection respiratoire aigue
(IRA) en Algérie [2].
L'épidémiologie des agents étiologiques de ces infections
doit être bien connue par le médecin afin de promouvoir
l'utilisation judicieuse de l'antibiothérapie. Cette dernière,
lorsqu'elle est justifiée, ne peut être que probabiliste basée
sur les données épidémiologiques locales.
Le prélèvement bactériologique parfois difficile à réaliser,
n'est justifié que dans le cadre d'enquêtes épidémiologiques
et dans certains cas d'échec au traitement ou de formes
chroniques. Le manque de moyens matériel dans nos laboratoires explique que les données microbiologiques nationales ne soient pas toujours disponibles.
DONNEES MICROBIOLOGIQUES DES
PRINCIPAUX AGENTS ETIOLOGIQUES
Les virus
Les virus impliqués dans la majorité des cas sont : le virus
grippal, le Myxov i rus influenzae et para i n fl u e n z a e, le
rhinovirus, l'adénovirus, l'herpès virus, l'Epstein Barr virus
et le virus respiratoire syncitial (VRS).
Les bactéries
Hæmophilus influenzae : la résistance à la pénicilline du
groupe A décrite dès les années 70, et dont le mécanisme
* Laboratoire Central adultes, CHU de Béni-Messous
**Laboratoire Mère-Enfant , CHU de Béni-Messous)
*** Laboratoire de Biologie , CHU Benboulaid , Blida)
Médecine du Maghreb 2001 n°91
le plus fréquent est la sécrétion de bétalactamase ne cesse
d'augmenter. Le taux de résistance à cet antibiotique dans
les voies respiratoires hautes se situe entre 20 et 35 % [3,
4].
En Algérie, une enquête menée au CHU de Béni-Messous
retrouve que 25 % des souches d'H. influenzae isolées de la
sphère ORL sont sécrétrices de bêtalactamase alors que la
résistance au cotrimoxazole est inférieure à 10% (5).
Les macrolides classiques (érythromycine, spiramycine,
lincomycine) sont peu actifs sur Hæmophilus contrairement aux nouveaux (azithro my c i n e, cl a ri t h ro my c i n e,
roxithromycine) qui possèdent une meilleure activité.
Streptococcus pneumoniae : la résistance de ce ge rm e
apparue en 1967, est depuis plus d'une dizaine d'années
préoccupante par son incidence élevée située entre 30 et
60 % [6].
En Algérie, notre étude montre que 35% des pneumocoques isolés de la sphère ORL chez l'enfant sont résistants à
la pénicilline, dont la majorité sont résistants intermédiaires [5].
Cette résistance est souvent associée à la résistance aux
tétracyclines, aux macrolides (anciens et nouveaux) et au
cotrimoxazole, limitant ainsi les altern at ives thérapeutiques.
L'amoxicilline à double dose est indiqué en cas de résistance intermédiaire à la pénicilline alors que l'infection à
pneumocoque ayant une résistance de haut niveau à la
pénicilline nécessite le recours aux céphalosporines de
3ème génération.
Streptococcus pyogènes : appelé aussi Streptococcus bêtahémolytique du groupe A. Aucune résistance à la pénicilline ou aux céphalosporines n'a été à ce jour retrouvée,
cette molécule représente l'antibiotique de choix.
En revanche des résistances aux macrolides sont décrites
dont les taux se situent entre 5 et 25% [7].
En Algérie, moins de 10% des souches sont résistantes
(travaux personnels non encore publiés).
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Les streptocoques résistants aux anciens macrolides sont
aussi résistants aux nouveaux.
Staphylococcus aureus : résistants dans presque 100 % à
la pénicilline G et sensible à la pénicilline M (oxacilline).
Les souches résistantes à cet antibiotique n'existent qu'en
milieu hospitalier. L'oxacilline, les céphalosporine de 1ère
ou 2ème génération, l'association amoxicilline + acide clavulanique ou le cotrimoxazole sont les antibiotiques de
choix.
Moraxella catarrhalis : résistant à la pénicilline A dans
90 %. Cette bactérie fréquente dans les pays développés est
rare en Algérie. L'Augmentin® et les C1G sont indiqués
dans le traitement des infections dues à cette bactérie.
Entérobactéries : ont un taux élevé de résistance acquise à
la pénicilline A. Le cotrimoxazole, les céphalosporines de
l è re ou de 2ème génération et l'Au g m e n t i n® sont les
molécules antibiotiques les plus actives.
Autres bactéries rares
• Chlamydia pneumoniae : bactéries de très petite taille,
parasite intracellulaire obligatoire. Résiste naturellement
aux bêtalactamines, les antibiotiques les plus actifs sont
les tétracyclines, les macrolides et les fluoroquinolones.
• Mycoplasma pneumoniae : bactérie dépourvue de paroi
et de ce fait résistante aux bêtalactamines. Les tétracyclines et les macrolides sont très actifs.
MANIFESTATIONS CLINIQUES ET
TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE
La rhino-pharyngite : très fréquente chez l'enfant, elle est
surtout d'origine virale.
Elle représente l'infection la plus fréquente chez l'enfant.
Elle traduit l'adaptation au milieu extérieur et permet la
maturation du système immunitaire.
La présence d'une rhinorrhée jaunâtre n'est pas synonyme
d'infection bactérienne elle est due à la desquamation de la
muqueuse nasale. Un traitement symptomatique, lavage des
fosses nasales par le sérum phy s i o l ogi q u e, favo rise la
g u é rison. Cependant une suri n fection bactérienne est
fortement suspectée devant une élévation de la température
ainsi que l'apparition d'une rhinorrhée verdâtre et fétide.
Le traitement antibiotique est alors justifié (tableau 1).
Tableau 1 : traitement de la
rhino-pharyngite surinfectée
Infection
Posologie
Nb de
prises
Durée
Enfant 50 mg/kg/j
3à4
8 à 10 j.
Adulte 1,5 g/j
3
8 à 10 j.
Enfant 8 mg/kg/j
2
8 à 10 j.
Adulte 160 mg/j
2
8 à 10 j.
Enfant 50 mg/kg/j
3à4
8 à 10 j.
Adulte 1,5 g/j
3
8 à 10 j.
Antibiotique
Amoxicilline
Rhinopharyngite Cotrimoxazole
surinfectée
Augmentin
L'angine ou la pharyngite
Il est important d'éliminer une angine pseudomembraneuse
diphtérique dont la prise en charge relève du milieu hospitalier compte tenu de la gravité de cette infection.
L'angine est d'origine streptococcique dans 20 à 30 % des
cas.
Trois groupes de streptocoques sont impliqués : le groupe
A, C et G. Le Streptocoque bêta-hémolytique du groupe A
est de loin le plus fréquent puisqu'il est à l'origine de 80 %
des angines streptococciques.
Devant l'absence de signes cliniques pathognomoniques de
l'angine streptococcique et donc l'impossibilité de la distinguer de l'angine virale, et compte tenu du risque d'infection post streptococcique (RAA, GNA), toute angine survenant chez un sujet âgé entre 4 et 19 ans est considérée comme d'origine streptococcique et traitée par la benzathine
pénicilline selon le schéma national préconisé par le comité
de lutte contre le RAA [8] (tableau 2).
La pénicilline V est indiquée chez les sujets ayant une
cardiopathie sévère ou supportant mal l'injection ainsi que
chez l'enfant agé de moins de 4 ans. L'érythromycine est
utilisée en cas d'allergie à la pénicilline.
Tableau 2 : Traitement de l'angine
Posologie
Nb de
prises
600.000 unités si le
poids < 30 kg
Injection
unique
1.200.000 unités si le
poids 30 kg
‘’
Pénicilline V
50.000 à 100.000 U/kg/j
2à3
10 j.
Erythromycine
50 mg/kg/j
2à3
10 j.
Antibiotique
Benzathine
pénicilline
Durée
Médecine du Maghreb 2001 n°91
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L'otite moyenne aiguë (OMA)
Fréquente surtout chez l'enfant, elle représente l'infection
ORL aiguë où la prescription d'antibiotiques est la plus fréquente. Elle est d'origine bactérienne dans les 2/3 des cas et
malgré la régression spontanée dans 70 % des cas, le traitement antibiotique est nécessaire afin de prévenir les éventuelles complications lesquelles peuvent être locales
(mastoïdite) ou à distance (méningite).
Les bactéries les plus fréquemment rencontrées sont représentées sur la figure 1.
Figure 1
S. pyogenes
2%
S. aureus
4%
Autres
7%
H. influenzae
44%
Entérobactéries
5%
M. Catarrhalis
10%
S. pneumoniae
28%
Des variations ainsi que des spécificités dans l'épidémiologie des germes dépendent des régions géographiques.
Notre étude [5] menée à Béni-Messous montre la rareté de
M. catarrhalis et la fréquence plus élevée de S. pyogenes.
Ce dernier occupe la troisième place.
Le traitement antibiotique est probabiliste compte tenu des
difficultés liées au prélèvement. Ce dernier, lorsqu'il est
réalisé, permet de guider le traitement (tableau 3).
Une céphalosporine orale de 1ère ou 2ème génération est
utilisée en cas de suspicion d'entérobactérie.
Les céphalosporines de 3ème génération, injectables ou
orales sont utilisées dans les pays à haute prévalence de
pneumocoques résistants.
Médecine du Maghreb 2001 n°91
Tableau 3 : Traitement de l'OMA
Antibiotique
Posologie
Nb de
prises
Durée
Amoxicilline
80 à 100 mg/kg/j
3
10 j.
Cotrimoxazole
(Bactrim ®)
8 mg/kg/j
2
10 j.
Amoxicilline + Ac.
Clavulanique
(Augmentin ®)
80 mg/kg/j
3
10 j.
Il est toutefois nécessaire d'évaluer l'efficacité du traitement
de l'OMA après 48 heures, s'il y a échec il est impératif de
changer l'antibiotique (tableau 3).
Les macrolides (anciens et nouveaux) ne peuvent être une
a l t e rn at ive thérapeutique compte tenu du taux élevé de
résistance acquise du pneumocoque dans l'OMA.
Des éléments cliniques peuvent orienter ve rs un age n t
étiologique donné, ainsi le syndrome otite conjonctivite
oriente vers l'Hæmophilus alors que des otalgies intenses
accompagnées d'une fièvre élevée feront évoquer le pneumocoque.
Des facteurs de risque sont en faveur d'une OMA à pneumocoque résistant à la pénicilline à l'âge inférieur de 18
mois, la prise de l'amoxilline dans le mois ayant précédé
l'OMA et la vie en promiscuité (crèches).
L'otite moyenne chronique (OMC)
C'est une complication de l'OMA, les principaux germes
sont les bacilles à Gram négatif et les anaérobies. Une
étude réalisée à Alger (9) retrouve les bacilles à Gram
négatif dans 60 % des cas et les anaérobies dans 40 % des
cas. Le traitement est surtout local associé au méchage afin
d'assécher l'oreille. Le traitement antibiotique n'est indiqué
qu'en cas d'exacerbation aiguë, il sera guidé par les résultats
de l'examen bactériologique. Cependant, la prise en charge
de l'OMC relève du spécialiste.
Survient surtout après des baignades, dans sa forme aiguë,
le Staphylococcus aureus est le principal agent étiologique,
alors que dans la forme chronique elle est due aux bacilles
à Gram négatifs. Le traitement antibiotique n'est indiqué
que dans la forme aiguë (oxacilline ou une céphalosporine
orale de 1ère ou 2ème génération ou le cotrimoxazole).
Dans la forme chronique, un traitement local est nécessaire
(polymyxine B + néomycine hydrocortisone).
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La sinusite aiguë
Hæmophilus, Pneumocoque, Moraxella et le staphylocoque
représentent les 2/3 des bactéries isolées des sinu s i t e s
aiguës purulentes (figure 2).
Figure 2
Autres
20%
H. influenzae
36%
l'évoquons car le larynx fait partie de la sphère ORL. Son
origine infectieuse est surtout virale, toutefois une diphtérie
ne doit pas être méconnue.
L'épiglottite
Due surtout à H. influenzae, elle constitue une urgence
médicale et de fait, nécessite une prise en charge en milieu
hospitalier et le traitement par une céphalosporine de 3ème
génération.
S. aureus
8%
CONCLUSION
M.
Catarrhalis
5%
Streptocoques
9%
S.
pneumoniae
15%
Les cultures sont négatives dans 2 cas sur 5 faisant discuter
une origine virale (rhinovirus, myxovirus) et plus rarement
les mycoplasmes et les Chlamydiae.
Le traitement antibiotique est identique à celui de l'OMA
( t ableau 2). Les posologies chez l'adulte étant de 2 g/j
d'amoxicilline en 2 à 3 prises, et de 1,5 g/j d'Augmentin®.
Une synergistine (pristinamycine) pourrait être utilisée, elle
est efficace sur la majorité des germes à l'exception des
entérobactéries, mais son coût est élevé.
La sinusite aiguë peut se compliquer de sinusite chronique,
où les bacilles à Gram négatif et les anaérobies sont les plus
impliqués et dont la prise en charge est du ressort du spécialiste.
Laryngite aiguë
Bien que classée dans les IRA basse selon l'OMS (1), nous
Les infections ORL de par leur fréquence et parfois la gravité des complications qu'elles peuvent engendrer, nécessitent une bonne prise en charge par le médecin généraliste.
La pression sélective qu'exercent les multiples prescriptions
d'antibiotiques, souvent coûteuses et inutiles, est à l'origine
de l'évolution de la résistance des bactéries des vo i e s
respiratoires supérieures. La sphère ORL est aussi la porte
d'entrée de multiples infections pouvant être graves notamment la méningite, le choix du traitement antibiotique de
cette dernière est parfois une véritable "impasse" pour le
clinicien.
La meilleure attitude demeure la prescription rationnelle
des antibiotiques. Deux conditions sont nécessaires pour
atteindre un tel objectif :
• la première est de programmer et budgétiser des enquêtes
épidémiologiques ri go u reuses et multicentriques afin
d'établir notre propre écologie et où le rôle du laboratoire
est capital,
• la seconde est la formation des médecins des unités de santé de base, ce dernier objectif faisant partie des préoccupations du programme national de lutte contre les IRA [1].
BIBLIOGRAPHIE
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2 - LAALAOUI S.E.
Epidémiologie des infections respiratoires aiguës de l'enfant chez une
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Thèse de Médecine, Alger 1995.
3 - GEHANNO P. ET PESSEY J.J.
Inventaire bactériolo gique lors des sinusites aiguës et chroniques Conséquences thérapeutiques.
La revue du praticien 1994, numéro spécial : 21-22.
4 - BERCHE P., GEHANNO P., LENOIR G, et coll.
Données récentes sur l'épidémiologie des otites moyennes aiguës en France.
Lettre de l'infectiologue, 1994, 518: 11-22.
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Epidémiologie et résistance aux antibiotiques des bactéries responsables des
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Pediatriics 1996, 97.
8 - MONOGRAPHIE DU RHUMATISME ARTICULAIRE AIGU
Edition 1990, actualisation en cours.
9 -MAMMERIE A , HADOUR H., MERAD A.S.
Etiologies des otites moyennes chroniques.
Mémoire USTHB 1993.
10 -SIMONET M., GEHANNO P., ICHOU F.
Etude bactériologique de la sinusite aiguë de l'adulte.
Médecine et Maladies infectieuses, 1990 20, 2 : 91 -96.
Médecine du Maghreb 2001 n°91
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