La responsabilité médicale en réanimation Jacques Durand-Gasselin Réanimation polyvalente, Hôpital Sainte-Musse

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Hugo GEORGE (D1 médecine)
CR : Guillaume TAGLANG (D1 médecine)
Mardi 22 novembre 2016
La responsabilité médicale en réanimation
Jacques Durand-Gasselin
Réanimation polyvalente, Hôpital Sainte-Musse
Plus on sera riche, riche en pouvoir, plus on aura de problèmes éthiques. La possibilité de réanimer « à
tout va » fait apparaitre un nouvel acteur dans le cadre de la réanimation : l’éthique.
A. Introduction
I. Prise de décision médicale, responsabilité et enjeux éthique
Prendre une décision, c’est décider après examen, mais aussi en ayant évalué le résultat de cette action.
L’activité médicale impose la décision. Elle confronte le médecin à l’incertitude : des connaissances,
de l’autre, et de ses propres doutes.
Le choix qui découle de cette prise de décision engage la responsabilité du médecin :
- Le choix s’applique à l’autre et à la communauté : en tant que médecin, on aura à faire des
choix qui auront un impact sur d’autres personnes plus que sur nous.
- La décision sera évaluée et potentiellement contestée, critiquée, jugée. Il faut donc pouvoir
expliquer notre décision, la légitimer.
- La recherche du consensus n’est en aucun cas efficace pour trouver la bonne solution
Cela nous amène à considérer le but de l’action médicale :
C’est mettre en œuvre ce qui apportera le bénéfice le plus important (en prenant en compte à la fois le
bénéfice individuel ET le bénéfice collectif) en minimisant les risques (CR : risques pour le malade,
l’institution) et les coûts (CR : qu’ils soient sociaux, moraux ou financiers)
La décision médicale requiert de toute évidence une délibération
Délibérer c’est « peser avant d’agir ». La délibération se définit comme l’action de réfléchir,
d'examiner une question. Le médecin va confronter aux contingences (définition : Possibilité qu’une
chose arrive ou n’arrive pas) les faits et les connaissances.
La délibération ne doit pas être la contemplation fascinée et stérile des possibilités. Ce n’est pas non
plus l’usage exclusif de la raison (divorce entre le raisonnable et le rationnel). Elle doit en effet
présenter une dimension émotionnelle qui vaut autant que la raison.
C’est en fin de compte découvrir la liberté de l’homme : l’incertitude, le doute, la responsabilité
La prise de décision :
La prudence pratique d’Aristote correspond à la « phronésis » (terme philosophique employé
notamment dans L’Ethique à Nicomaque).
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La prudence n’est ni un art ni une science, c’est une disposition pratique, faculté de saisir ou de
reconnaitre les opportunités
Ce n’est pas le moyen d’éviter le mal, mais celui d’obtenir le bien.
Cette disposition se cultive.
L’homme prudent préserve le sens de son action malgré les contraintes.
Le temps de la décision :
La délibération prend du temps, mais est contrainte par le temps (CR : car on vit dans une société où
tout doit aller très vite, et encore plus en milieu hospitalier). Le médecin doit généralement prendre ses
décisions rapidement. Cela nous amène à considérer la place de l’habitude dans la prise de décision :
L’habitude est pour Aristote une seconde nature, elle est culturelle, et permet le geste.
- L’habitude est salutaire et effective, elle permet des gestes et des attitudes dans l’urgence
- Dans notre culture de l’efficacité, l’habitude permet l’organisation des soins selon de
protocoles établis
- L’habitude est également dangereuse, car elle engendre la routine et détruit l’esprit critique
(CR : exemple des protocoles d’entrée dans les services d’urgences). Elle rend difficile le
discernement : « l’habitude est un sommeil de la conscience »
La décision hiérarchisée repose sur un certain nombre de règles :
- Se préparer à l’action :
o Protocoles, procédures, guidelines : ils permettent de définir le geste
o Réunions, concertations, RMM : l’acte médical
- Se détacher de la passion
o Décider n’est pas un pouvoir, c’est un devoir
o Espaces formels de délibération critique
- Appréhender de façon prospective les situations
o Les médecins, les soignants, les malades, les familles sont autant d’acteurs à prendre en compte
dans l’évaluation prospective de nos décisions
La concertation est indispensable mais le médecin qui décide assume la responsabilité du choix.
Le docteur « on » est un danger permanent.
Exemple : « on va arrêter le traitement de votre mari car… ». Le médecin se déresponsabilise par ce
biais.
Ethique pratique :
Les médecins doivent toujours garder à l’esprit qu’ils ne traitent pas une maladie, ils cherchent à
améliorer l’état de santé d’une personne malade. La sectorisation des spécialités médicales tend à faire
oublier ce point essentiel.
Le médecin doit évidemment respect la dignité humaine. Ne pas faire prendre de risques au patient, ou
plutôt ne pas lui faire prendre de risques inutiles, c'est-à-dire sans contrepartie bénéfique supérieure au
risque.
Le médecin a par ailleurs une obligation d’information (CR : et cette information doit se faire le plus
tôt possible dans la prise en charge du patient). Il faut informer le patient ou à défaut sa famille.
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Enfin le médecin doit toujours avoir en tête qu’il est un gestionnaire de ressources finies. Les nombres
de lits de réanimation sont en nombre finis, et le médecin doit comprendre qu’il est un acteur de la
santé publique. Cette responsabilité contraste avec la pauvreté de son enseignement et de ces
connaissances sur ce sujet.
Tous ces devoirs éthiques font inévitablement naitre un certain nombre de conflits entre :
- Le but à atteindre
- Les obligations et devoirs
- Les moyens disponibles
II. Particularités de la prise de décision dans un service de réanimation
Les objectifs de la réanimation sont avant tout de suppléer les défaillances, et d’empêcher la mort.
Elle met en jeu une conception instrumentale du soin.
La mort apparait ainsi comme un échec technique du médecin. Pourtant 1 patient sur 4 entrant en
réanimation va mourir.
La réanimation est confrontée à la prise en charge de situations de plus en plus complexes :
- Vieillissement de la population, polypathologies
- Développement des techniques d’assistance
- Thérapeutiques de plus en plus efficaces
- Revendication d’autonomie de la part des patients. Les directives anticipées sont un nouvel
acteur de la prise de décision en réanimation, et il faut savoir composer avec.
Le rôle de la réanimation est par ailleurs en évolution constante depuis sa création. Il faut savoir que
c’est une discipline jeune. Evolution des objectifs :
1960 : Suppléer les fonctions défaillantes : sauver des vies. A cette période les techniques sont
particulièrement lourdes car la moitié des patients que l’on « sauve » mourront de cause iatrogénique
(dialyse, infection nosocomiale…)
2000 : Apparition petit à petit d’une dimension humanisée du soin. Traitements pour des malades.
2010 : Intégration des soins palliatifs, insertion de la réanimation dans une filière de soins et non
plus dans une filière de fin de vie. Prise de conscience de la nécessité d’accompagner les familles, qui
doivent être prises en charge au même titre que les malades. .
Le professeur précise qu’il considère son service comme un service « de réanimation, de gériatrie et de
soins palliatifs ».
SRLF (Société de Réanimation de Langue Française) : « les soins de réanimation sont destinés à des
patients qui présentent ou sont susceptibles de présenter plusieurs défaillances viscérales aigues
mettant directement en jeu le pronostic vital et impliquant le recours à des méthodes de suppléance »
Deux dimensions éthiques majeures concernent tout particulièrement cette spécialité :
- Assurer l’égalité d’accès aux soins
o En prenant en compte les inégalités individuelles et culturelles
o Les inégalités de dotation par région
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- Assurer la qualité des soins et la sécurité des patients
o Dans un contexte démographique contraint
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On compte 20 lits de réanimation pour 100 000 habitants dans les Bouches-du-Rhône, alors qu’il n’y en a que 5 pour 100 000
habitants dans le Var.
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o Dans un contexte financier difficile
Le médecin se doit d’être le distributeur de ressources finies.
Société suisse de médecine intensive : « La réanimation se trouve plus que jamais dans le champ de
tension entre le faisable et le souhaitable où le faisable est en partie plus facile à définir que le
souhaitable »
- Traitement au bon moment au bon patient
- Traitement au mauvais moment au mauvais patient
o Prolongement des souffrances (réanimer à tort une personne qui souffre prolongera
ses souffrances)
o Augmentation massive des coûts
La responsabilité médicale en réanimation est donc multiple :
- Connaitre et maitriser l’art de réanimer
- Assurer l’attribution équitable des ressources
- Prise en charge des pathologies génératives (CR : comme la SLA), mise en route de
suppléances
- Respect de la fin de vie : quelles limites à la réanimation ? Dans la loi Claeys-Leonetti est
admise la sédation terminale, qui permet à un patient de mourir en pleine conscience.
- Respecter l’autonomie. On doit accepter la décision du patient, c’est la loi.
- Favoriser l’accès à la greffe d’organes
La légitimité des soins en réanimation soulève ainsi des problèmes éthiques auxquels il n’y a pas de
réponse unique. Le médecin réanimateur doit avoir une réflexion permanente sur la signification de son
acte et les conséquences qui en découlent.
B. L’admission en réanimation
L’économie a un véritable retentissement sur le nombre de lits disponibles en réanimation.
Plus on a de places en soins intensifs, plus on meurt en réanimation. A l’AP-HP (Paris), le nombre de
places de réanimation est beaucoup plus élevé, ce qui explique que le taux de mort en réanimation soit
également plus élevé qu’en province (CR : la mortalité au sein de l’AP-HP est estimée à 33%) : il y a
plus de moyens de réanimation, donc plus de patients qui y sont envoyés.
La décision d’admission d’un patient en réanimation doit nécessairement être réfléchie, du fait de ces
préoccupations économiques notamment, mais également pour des raisons éthiques évidentes.
Imposer à un patient sévèrement malade un traitement agressif et souvent pénible, sans chances
raisonnables de succès contrevient au principe de bienfaisance.
Le médecin doit composer avec ces différentes préoccupations, en intégrant par ailleurs la pression des
familles et des autres médecins.
La réanimation en 2016 :
Âge moyen : 63 ans
Mortalité : 23%
Hospitalière : 32%
Nombre de lits de soins intensifs :
Etats-Unis 25/100 000 habitants, 1 % du
PIB
GB 5/100 000, 0,1% du PIB
France 15/100 000 : 0,56% du PIB
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Au contraire, priver pour des raisons arbitraires, liées par exemple à l’âge, ou par le cortège d’idées
négatives véhiculées par le mot cancer, est contraire au principe de justice distributive
Tout retard d’admission en réanimation est une perte de chance pour le patient. Plus on admet un
patient tard par rapport à son indication, plus on allonge sa durée de séjour, et plus on diminue ses
chances de survie (Surmortalité reconnue chez les admis tardivement). Un bon service de réanimation
doit toujours avoir des places vides, afin de pouvoir accueillir un patient qui en aurait vraiment besoin.
Une étude avait montré que dans 92% des non-admissions, le motif invoqué était l’absence de lits
disponibles. C’est évidemment faussé par le fait que des services « choisissent » leurs patients en
invoquant ce motif, leur permettant de ne pas avoir à justifier ce choix de sélection qui pourrait paraitre
déplacé pour certains. Néanmoins, la sélection à l’entrée de la réanimation est indispensable à son
efficacité.
La littérature a montré qu’il n’y a pas de relation directe entre l’âge et les chances de survie après
admission en réanimation.
L’admission en réanimation n’est pas une fuite en avant. Ce ne doit pas être une réponse automatique
dépourvue de délibération en amont.
Au niveau de la collectivité, le débat porte sur l’allocation juste de moyens limités.
L’accès aux soins intensifs nécessite un degré de sévérité suffisant, mais également un potentiel
suffisant de récupération. En pratique il est difficile de savoir quel patient devrait bénéficier
d’un séjour en réanimation. Des recommandations de non-admission basées sur des diagnostics
précis ont été émises par les sociétés de spécialistes en soins intensifs mais sont inapplicables.
On n’a pas de liste claire sur les contre-indications de prise en charge en réanimation.
En pratique on ne retrouve peu ou pas de recommandations écrites sur les admissions en réanimation.
Par ailleurs il n’y a souvent pas de décision collégiale tracée dans les dossiers (CR : souvent, un refus
d’admission se fait par téléphone…).
Qui prend en charge les malades refusés ? 10% des décès se font aux urgences.
La décision d’arrêt des thérapeutiques :
Dans le cadre de la loi Léonetti apparait la possibilité pour le malade de prendre des décisions
concernant les thérapeutiques dont il bénéficiera. Cette loi proscrit également toute obstination
déraisonnable (CR : la loi a également permis de réduire le temps de mise en place des soins).
La décision d’arrêt des thérapeutiques (LATA) a évidemment un impact majeur sur la durée de séjour.
Toute sa difficulté repose sur le fait que l’on doive prendre une décision en incertitude, ce qui
caractérise l’ensemble de l’art médical.
Le patient est souvent absent de cette décision. Néanmoins, dès qu’on a la possibilité de demander au
patient, il faut le faire. Il faut se souvenir que l’on traite des gens et non des maladies (CR : de manière
générale, le patient se prononcera sur ses positions si on lui laisse le temps de se prononcer).
Exemple : un jeune pompier polytraumatisé. Son père dit qu’il n’aurait probablement pas voulu vivre
ainsi. La décision a été réglée en demandant simplement au patient ce qu’il en pensait, puisqu’il était
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