CENTER FOR THE STUDY OF THE MODERN ARAB WORLD
CENTRE POUR L’ETUDE DU MONDE ARABE MODERNE
CEMAM
REUNION DU 24/3/1979
I. Mythe et Pouvoir dans la Société Contemporaine
1)Exposé (S. ABOU)
Le mythe ancien est entendu au sens de récit vrai, sacré, exemplaire et significatif.
Comme histoire des origines, il a une fonction d'instauration dans un temps et un
espace primordial. Dans sa fonction pratique, il est actualisé par un rite, dans un
temps et un espace sacré. Il justifie ainsi la société. Au cours d'une évolution
complexe les mythes d'instauration évoluent en mythes de restauration, régénération
ou salut, peut-être au contact des religions de salut. Le mythe moderne a les mêmes
caractéristiques - exemplarité, répétition, justification, régénération - mais il est laïcisé
et rattaché à une idéologie sociale et politique. D'instrument de justification de la
société, il devient moyen de contestation et de mobilisation dans la lutte pour le
pouvoir. Il fait appel à la "pensée sauvage" qui subsiste sous la pensée rationnelle et
en est le nécessaire complément.
Stratification des mythes en fonction de l'évolution historique.
a) A l'époque antique et classique les mythes tendent à instaurer un cosmos
harmonieux et à insérer l'homme comme élément de l'ordre cosmologique. Ces
mythes anciens ne sont pas morts, il subsistent à l'état fragmentaire dans les sociétés
modernes au niveau de la pensée sauvage, mais sous des signifiants nouveaux. Par
exemple: le paradis perdu" avec les communautés hippies ou l'écologie, le Sauveur
dans le surgissement des guides divers, le centre du monde dans les mythes
nationalitaires...
b) En dehors de ces survivances, l'époque moderne crée de nouveaux mythes,
caractérisés par le passage de la vision cosmologique à la vision anthropologique ou
historique. La science a dissout. Le cosmos en fragments de phusis et il n'y a plus
d'ordre donné. C'est à l'homme à instaurer l'ordre et à faire l'histoire; le mythe prend
donc une architecture nouvelle, faite d'éléments successifs. Ainsi en va-t-il du mythe
du Progrès né de la science, où le progrès technique est indûment généralisé à tous les
domaines de la société, moral, social, esthétique etc... Ce mythe survit actuellement
dans la poursuite du développement intégral, économique et social, ou de la société
d'abondance...
c) L'époque contemporaine est marquée par le sentiment d'absurdité du monde et de
l'histoire, qui engendre l'angoisse. D'où tendance à créer des mythes sécurisants qui
souvent n'aboutissent pas, et en retourne alors à des formes nouvelles de mythes
anciens. Contre le pouvoir écrasant de la science, en isolant un de ses éléments, on le
revêt d'une image violente qui rêve une sorte de révolte créatrice (cf. romans de
science-fiction). Contre la technique qui sépare l'homme de la nature, on assiste à des
tentatives de féminiser la machine (ex., érotisation de la voiture) ou d'humaniser le
robot, mais plus encore on revient aux mythes naturistes: vacances, écologie. Contre
l'emprise sociale, après l'échec des utopies, il ne reste plus qu'à s'abandonner à la
violence d'une contestation gratuite dans un acte dont on attend qu'il soit créateur d'un
futur nouveau (mai 68), mais surtout on retourne à des mythes anciens, celui de la fête
par exemple comme reconstitution du chaos primitif.
Stratification des mythes en fonction des types de société. Dans la société industrielle
socialiste, l'idéologie démarque la religion et c'est pourquoi on y retrouve les éléments
laïcisés des mythes religieux primitifs: récits d'instauration et de restauration, êtres
héroïques et exemplaires, fêtes nationales, eschatologie optimistes ou pessimistes.
Dans la société industrielle libérale, il n'y a plus de mythe à emprise collective, sauf
dans des groupes marginaux, mais l'homme est agressé par une foule de fragments
mythiques divers imposés par les moyens publicitaires qui sont considérables, et il
s'en constitue une mythologie personnelle assez incohérente. Échappe à cette
incohérence celui qui adhère à un parti par idéologie ou qui a une foi, à condition
d'intérioriser l'une ou/et l'autre. Dans les sociétés du Tiers-Monde, à la suite de la
décolonisation apparat le mythe du retour aux sources, avec symboles cosmologiques
ou anthropologiques charriés par une idéologie assez semblable à celle des sociétés
totalitaires socialistes.
Manipulation des mythes. Les mythes modernes sont ambigus dans la mesure où ils
sont un remède contre une terreur. Ils portent en germe la critique de cette terreur,
qu'elle provienne de la science, de la technique ou de l'ordre social établi. Ils ont dans
un pouvoir de contestation et d'insurrection. Contre eux, le pouvoir établi réagit, dans
les sociétés totalitaires par l'imposition d'un mythe justificateur du pouvoir, dans les
sociétés libérales par la banalisation des mythes.
On ne lutte pas contre le mythe par la pensée critique, puisqu'il s'enracine dans la
pensée sauvage, mais par la foi et l'art. l'art en effet, maintient des zones de liberté et
de vérité, où le pouvoir est contesté au nom de l'homme, et c'est pourquoi le pouvoir
réprime l'art par un académisme imposé.
2) Précisions et Compléments
Il faudrait préciser par une analyse phénoménologique ce que signifie le vrai du
mythe, aussi bien pour celui qui critique (rationnellement) le mythe que pour celui qui
y adhère (en pensée sauvage) - même si le résultat de cette analyse n'aboutissait qu'à
une proposition négative du type "il est faux de dire que le mythe ne soit pas vrai". Le
mythe explique et valorise plus qu'il ne justifie, c'est l'idéologie qui justifie ou
conteste. Ceci est important pour comprendre la crise du mythe, son évolution et son
aboutissement et pour situer les mythes d'authenticité, qu'il s'agisse de Mobutu ou du
rôle mythique que joue l'islam ou l'arabisme dans le retour aux sources, avec toutes
les représentations inconscientes qui peuvent se trouver même chez les personnes les
plus critiques.
A propos de la distinction entre fonctions instauratrice et restauratrice du mythe, on
souligne la différence qui existe entre les mythes pour lesquels la restauration n'est
qu'une répétition de l'instauration primitive (le mouvement instaurateur est alors
répétiteur: la république islamique de Khomeini ne serait pas différente du mythe du
rand Roi pou le Shah se faisant couronne à Ninive) - et le mythe restaurateur à potée
eschatologique qui implique nouveauté et progrès. La dimension eschatologique
s'oppose à la répétition.
Comme exemple de mythes contemporains, on suggère encore le mythe de la
jeunesse, en protestation contre le machinisme et l'organisation technique de la
société, mythe lié également à la libération des mœurs (jouir de la sexualité adulte
avec l'innocence de l'enfance). Ou le mythe du complot (ex. le complot juif et
ploutocrate pour le national-socialisme), si répandu actuellement dans le monde arabe
au niveau du nationalisme totalitaire.
A propos du caractère concret du mythe qui charrie des images autrement
mobilisatrices que les idées, on souligne que les sociétés du Tiers-Monde qui n'ont pas
accédé encore à la modernité, sinon par contagion, et demeurent au niveau de la
culture traditionnelle, sont de ce fait spécialement accessibles et perméables aux
images des mythes modernes (communisme, socialisme, national-socialisme, le grand
chef...), quitte à les retraduire ou retranscrire dans leur mythologie traditionnelle. Ex.
Bokassa à qui on reproche d'imiter Napoléon et qui répond que les rois africains sont
bien plus anciens... Par contre le rationalisme et l'individualisme du libéralisme
moderne sont à peu près sans emprise sur les sociétés en voie de développement.
3) Monde arabo-musulman
Authenticité
La préoccupation de l'authenticité est générale, mais elle revêt des formes qu'il faut
distinguer. L'authenticité se présente comme solution d'un problème actuel: s'il y a
problème, c'est qu'on a été infidèle, le retour à la fidélité est la solution. Il y a une
authenticité de type islamique (retour à l'islam), elle s'exprime sans grande référence
historique car l'islam est une obligation qui s'impose toujours. L'authenticité arabe par
contre se fait en référence à l'histoire passée dans laquelle on opère un choix
d'éléments significatif; si on parle alors de l'islam c'est comme partie de l'arabisme,
certains allant jusqu'à dire que l'islam a été donné aux arabes à cause de leur
perfection. L'authenticité arabo-islamique est un mélange des deux. Il y a encore une
authenticité nationale, sensible surtout en Afrique du Nord (Algérie, Tunisie) soit sous
influence du nationalisme de type occidental, soit comme façon de se distinguer à la
fois du Machreq et de l'Europe; ses références historiques sont surtout anti-
colonialistes. Il y a enfin une authenticité simple (être soi-même, ne pas courir après
les autres), en particulier dans le domaine littéraire.
On peut dire que l'appel à l'authenticité joue la fonction mythique d'instauration-
restauration dans la mesure où le discours se limite à la structure simple d'un double
exposé: un premier exposé des données contemporaines inauthentiques et infidèles
qui font problème, suivi de l'exposé de ce qu'est la vraie société musulmane, arabe,
etc... où le problème n'existe plus. Il est ainsi résolu par le simple remplacement de
données concrètes par des données "idéales", sans qu'on indique le comment de ce
remplacement.
Idéologie, authenticité et histoire
Quand les mythes religieux de la société traditionnelle apparaissent "faux", c'est-à-
dire incapables de restaurer l'ordre éternel dans la détérioration du temps, on assiste à
l'apparition des mythes idéologiques visant à instaurer un ordre nouveau. Dans ce
domaine, on signale le recours au chef charismatique - nouveau sauveur - capable
d'aller à l'encontre des sentiments populaires, tel Ataturk, ou Nasser dans une moindre
mesure. Le Shah d'Iran n'a pas été à la stature du rôle et a bien d– reconnaître que les
années ne commençaient pas avec le Grand Roi mais au Prophète... Le mythe
idéologique le plus souvent imposé par le pouvoir est celui du socialisme.
L'adoption d'un nouveau mythe s'accompagne d'une relecture de l'histoire pour
imposer ce qui est tout à fait étranger à l'histoire. Le type de cette relecture se trouve
dans la Charte. On montre ainsi que l'islam est socialiste, que la mentalité arabo-
musulmane est socialiste. Autre exemple de relecture, quand on veut introduire la
modernisation par la science, celle donnée par Tahtawi dès la première moitié du
XIXe siècle et toujours bien vivante: l'Europe a emprunté la science aux musulmans
et aux arabes, l'adopter maintenant c'est récupérer son bien propre. Ce genre de
concordisme entre le moderne et l'authentique est caractéristique de la démarche
d'adoption-adaptation.
Idéologie, concordisme, manipulation
On se réfère ici à G. Sorel, pourquoi la vérité du mythe consiste dans son efficacité;
ainsi, propager le mythe d'une grève générale, en fait irréalisable, permet de réaliser
des séries de grèves partielles qui ont le même effet. Le pouvoir ou la classe
dirigeante s'appuient sur des mythes pour manipuler la population. En vue du
développement et de la modernisation par importation de technologies accidentales,
on met en avant le mythe du salut par la science, et en même temps, pour garder
contact avec le peuple et obtenir son consentement, on tente de moderniser l'islam
sous le couvert de son accord avec la science. Mais la manipulation a des limites.
Quand la population prend conscience que la modernisation ne profite qu'au pouvoir
et à la classe dirigeante tandis qu'elle-même en paye le prix ou en subit les échecs,
dans la mythologie développée par le pouvoir le volet "modernisation par la science"
s'efface au profit du volet de "l'islam toujours moderne"; de courroie de transmission
aux masses de l'idéologie du pouvoir, l'islam devient lieu privilégié de sa contestation;
ainsi s'expliqueront le "retour à l'islam" si intense en milieu étudiant, celui qui a été le
plus exposé à la propagande du pouvoir mais chez qui la modernisation culturelle est
plus livresque réelle.
Ou encore, quand le dirigeant musulman parle d'authenticité et de concordance foi-
raison, il tente d'écarter l'obstacle le plus résistant au changement, c'est-à-dire le
milieu des ulémas et mollah, dont l'emprise sur le peuple est considérable (cf.
Khomeini). Ainsi, en Turquie, le hatti chérif de 1839 qui introduit la modernisation,
affirme dans son 1er paragraphe que le retard vis-à-vis de l'Europe vient de ce qu'on
n'a pas suivi les principes de l'islam et, dès le second paragraphe, qu'il faut donc créer
des institutions nouvelles. le passage des principes de l'islam aux institutions
nouvelles en accord avec eux permet de court-circuiter les institutions religieuses
traditionnelles.
En Iran on a deux mythes parallèles et concurrents, celui du Grand Roi sur lequel le
Shah s'appuie pour susciter un nationalisme capable de s'opposer au pouvoir des
mollahs, très écoutés des petites gens, c'est-à-dire de supplanter le mythe
eschatologique, vainqueur et revendicatif, du shi'isme. Or le shi'isme a lui-même été
importé en Iran au XVIe s. par un souverain en vue de grouper autour de lui la
population...
II - Projet de Coordination des Publications Arabes Chrétiennes (A. DAGHER)
Le projet est né de l'initiative de Mgr. Glorieux, quand il était pro-nonce à Damas, en
1971. Il fit réaliser une enquête dans les différents pays arabes sur le besoin de
stimuler les publications religieuses en langue arabe et de créer un organisme pour les
animer. Au vu des résultats de cette enquête, la Congrégation orientale a chargé le P.
Dagher de faire un status questionnis, en 1975. Il n'a pu se rendre en Égypte et en
Syrie qu'en 1978; il a constaté qu'il y a beaucoup de publications, que les centres qui
s'en occupent s'ignorent mutuellement et que le service de diffusion est très déficient.
Il a remis son rapport en novembre dernier, à la Congrégation Orientale.
En suite de quoi a été créée auprès de la Congrégation Orientale une
commission dont les membres représentent les instances diverses responsables de
l'éducation, des missions, de l'Orient ou du monde arabe Paul VI lui a adressé une
lettre pour fixer son objet. Cette commission de 10 membres est chargée de donner
des directives et d'assurer des secours pour des publications en arabe sur le plan de la
doctrine et de la spiritualité chrétiennes, en tenant compte du monde musulman
ambiant. Cette commission propose à la hiérarchie de chaque pays arabe de créer un
comité national groupant les personnes qui travaillent dans les publications
religieuses. Un comité central serait créé à Beyrouth, composé des secrétaires de
chacun des comités nationaux. Le but de ces comités est de:
- coordonner les publications, afin d'éviter les doubles emplois;
- collaborer avec les directeurs de publications orthodoxes ou protestantes;
- assurer la publication d'ouvrages importants, qui seront imprimés dans chacun des
pays pour éviter les difficultés d'importation, de différences de prix et de langue;
- faciliter la diffusion;
- étudier la question d'une revue consacrée aux jeunes.
La revue Machreq. Il n'y a pas, pour le moment, d'accord pour sa résurrection. Dans la
région, la place d'une revue chrétienne est bien tenue par al-Massara. Manque
cependant une revue d'intérêt général et de culture humaniste d'inspiration chrétienne
et préoccupée de se faire entendre dans le monde arabe. Il faudrait la créer car cela
semble le moyen le plus propre à aider le milieu musulman à sortir de la répétition de
l'ancien et à se mettre en recherche, ceci d'autant plus qu'une revue a plus de diffusion
que le livre auprès du lecteur moyen.
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