La Lettre du Gynécologue - n° 320 - mars 2007
Gynéco et société
Gynéco et société
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,ce qui implique tout un circuit de prise en charge. Le radio-
logue peut préférer envoyer directement au gynécologue le
compte-rendu, apparaissant comme un spécialiste investi
d’une compétence technologique permettant le diagnostic
de façon rapide et fiable. Il intervient là au premier acte, se
situant parmi les différents acteurs de la “chaîne d’annonce”
qui interviennent en amont, et une des priorités de la Ligue
contre le cancer est justement d’améliorer la communication
des soignants intervenant en amont, car un défaut de qualité
sera difficile à rattraper par la suite dans une consultation
formelle. Le radiologue peut souhaiter une place dans une
consultation formelle d’annonce, et en fonction de son enga-
gement en sénologie et de son intégration dans un réseau de
soins, annoncer lui-même la mauvaise nouvelle à la patiente. Il
lui faut alors la reconvoquer, prévoir le temps nécessaire, avoir
une salle adéquate ; le dossier doit avoir été présenté en staff
multidisciplinaire, car il est difficile pour un professionnel de
santé d’annoncer une mauvaise nouvelle sans avoir la solution
thérapeutique.
La mammographie est bien le prologue de tout ce qui va adve-
nir. L’importance de ce qui se joue à ce moment-là sur le plan
relationnel détermine les conditions d’annonce formelle.
Pour chaque médecin, et particulièrement
pour le gynécologue
L’annonce dans le cancer du sein requiert une réflexion avant
chaque consultation : la gravité du diagnostic et le boulever-
sement que provoque cette annonce pour une femme nous
incitent à nous préparer pour annoncer.
Il s’agira d’une annonce diagnostique : tout comme le radiolo-
gue, nous vivons un prologue à l’annonce, lors d’une suspicion
clinique puis radiologique ; puis l’annonce elle-même lors de
la confirmation du diagnostic par le résultat de l’examen ana-
tomopathologique.
Cette annonce nous implique de diverses façons :
Avec notre histoire, notre propre représentation du corps
féminin, notre propre angoisse face au cancer – au cancer du
sein en particulier – et à la mort.
Que savons-nous de la patiente qui va recevoir cette nou-
velle ? Quelle est sa situation familiale, professionnelle,
sociale ? Est-elle entourée, est-elle bien dans sa peau, à l’aise
avec sa sexualité, “bien dans sa vie” au moment où cet événe-
ment la touche ?
Qu’annonçons-nous ? Un “cancer”, donc quelque chose qui
évoque aussitôt mal, malin, imprévisible néfaste, toute-puis-
sance d’une maladie. “Dès que j’ai entendu le mot cancer, dans
la seconde qui a suivi, j’étais morte” nous dit une patiente.
De plus, à ces représentations très douloureuses s’associe ce
qu’est le sein pour une femme : un organe situé à la surface du
corps, accessible au regard et au toucher, élément essentiel de
l’image du corps féminin.
Organe sensoriel, érotique, qui évoque la douceur et la beauté
et suscite le désir sexuel.
De tous les dossiers de patientes que nous avons consultés, il
ressort que si l’annonce est vécue différemment selon le milieu
social ou culturel et selon la représentation que chaque femme
a de l’image de son corps, comment elle “l’apprivoise”, à cha-
que fois il s’agira bien de la même catastrophe.
Aline V. doit subir une mastectomie. Elle dira : “Je ne peux
plus me regarder dans la glace, je ne pourrai plus me regarder
après l’opération et il est hors de question que mon ami me
regarde.” Deux mois après l’intervention, elle tient toujours
son compagnon à l’écart car “elle a, dit-elle, tellement de mal à
s’accepter elle-même.”
Pour Jeanne B., ravissante femme enseignante de 59 ans, l’ap-
parence et la beauté ont été les piliers de sa vie. Pour elle aussi,
l’annonce du cancer et de l’amputation du sein sont intoléra-
bles par rapport à l’image qu’elle a d’elle-même : elle essaiera de
se faire à cette idée en verbalisant sa souffrance et en prenant
à témoin sa gynécologue : “C’est impossible, impensable, il a
fallu que ça m’arrive ; qu’est-ce que je vais être maintenant ?”
Nous tenterons donc d’annoncer avec tact et délicatesse,
avec clarté, pour informer et écouter les réactions que cette
annonce va susciter. Nous aurons proposé si c’est possible la
présence d’un proche aux côtés de la patiente pour le jour de
l’annonce des résultats (pour un soutien affectif et pour relayer
l’information si nécessaire) [4].
L’annonce a été faite, la consultation est terminée
Quelles qu’aient pu être les modalités d’annonce, il n’existe
pas d’annonce idéale car ce serait celle, impossible, qui aurait
réussi à faire l’économie de la violence inscrite dans ce qui ne
peut être qu’une mauvaise nouvelle.
Dès qu’elle a quitté le cabinet, et si elle n’était pas accompa-
gnée, la patiente chargée de ce qu’elle a reçu va se retrouver en
position de le transmettre à son tour : d’annoncée, elle devient
actrice d’annonce.
Il semble donc souhaitable, pour le médecin, de se préoccuper
à la fin de l’annonce de “l’après-consultation”, par exemple en
demandant à la patiente qui elle va rencontrer et avec qui elle
va en parler. Les vignettes cliniques qui sous-tendent notre
travail permettent de dire que toutes montrent qu’en annon-
çant leur cancer à leurs proches, les patientes craignent de
faire peur et que, d’une certaine façon, elles ressentent quel-
que chose de l’ordre de la honte, à côté du préjudice.
La position ambivalente qui est souvent adoptée par rapport à
l’entourage va dépendre du degré de “force” ou de “faiblesse”
qu’on lui accorde (5). Ce classement implicite porte aussi bien
sur le mari ou le compagnon que sur les parents, les enfants, la
famille élargie, les amis, etc.
À ceux qu’elle estime avoir de la force, et pouvoir supporter
la nouvelle, elle répétera ce qu’elle a retenu de ce qu’on lui a
dit. Pour ceux qui ont de la “force”, elle estime qu’ils pourront
aller au-delà de ce qu’elle annonce, c’est-à-dire percevoir sa
souffrance sans qu’elle soit obligée de la montrer, en acceptant
d’être aidée sans avoir à le demander.
À ceux qui sont du côté de la “faiblesse”, c’est-à-dire qu’elle
pense incapables de comprendre et d’aider, voire de faire autre
chose que fuir, elle réservera un silence protecteur, non dénué
de mépris.
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