
La Lettre du Pharmacologue - vol. 22 - n° 3 - juillet-août-septembre 2008
Dossier médicaments anticancéreux
Dossier médicaments anticancéreux
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voisine de 30 % (15). Le gène variant aurait une affi nité supérieure
pour l’activateur transcriptionnel Sp1, ce qui générerait des
concentrations plus élevées de protéine MDM2 et une atténua-
tion de la voie p53 susceptible de conséquences sur le risque de
cancer et la sensibilité des tumeurs au traitement.
Les cytochromes P450
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Les cytochromes P450 constituent une famille d’acteurs fonda-
mentaux dans le métabolisme des médicaments. Certains, comme
le CYP1A1, jouent essentiellement un rôle d’activateur des agents
cancérogènes, alors que d’autres, comme le CYP3A4, jouent un
rôle majeur dans l’activation ou la détoxication d’agents anticancé-
reux. Ce dernier, bien que présentant une variabilité individuelle
extrême, ne porte pas de polymorphismes fréquents suscepti-
bles d’intervenir dans la prescription. Le CYP2D6 mérite une
attention particulière : il a été montré qu’il était responsable de
l’activation du tamoxifène en 4-hydroxy-tamoxifène et 4-hydroxy-
N-desméthyl-tamoxifène. Environ 6 % des Caucasiens et 1 % des
Asiatiques n’ont aucune activité enzymatique décelable, car ils
sont homozygotes pour des variations génétiques invalidant la
protéine ; un petit pourcentage de patients, surtout caractérisé
dans les populations d’Afrique orientale, présente une activité très
élevée (métaboliseurs ultrarapides) due à la présence de copies
surnuméraires du gène, le reste des sujets étant des métaboliseurs
extensifs (génotype commun) ou intermédiaires (sujets hétéro-
zygotes pour l’une ou l’autre des mutations délétères).
L’eff et du génotype 2D6 a été étudié chez des femmes atteintes
de cancer du sein traitées par tamoxifène en situation adju-
vante. Une étude a rapporté une diminution signifi cative de la
survie sans progression chez les patientes ayant un génotype
homozygote pour la variation CYP2D6*4, la plus fréquente chez
les Caucasiens, par rapport aux patientes ayant un génotype
hétérozygote ou homozygote commun (17). Le polymorphisme
pourrait expliquer la résistance au tamoxifène, que l’on observe
lors de récidives très précoces survenant sous traitement. Les
inhibiteurs du CYP2D6 pourraient mimer cette situation et
compromettre l’effi cacité du traitement.
DES VARIATIONS GERMINALES AUX MUTATIONS
TUMORALES
Généralités
Alors que les polymorphismes génétiques sont des variations
constitutionnelles identifi ées au fur et à mesure du séquençage
du génome et présentes à une fréquence appréciable dans les
populations humaines, les mutations tumorales sont des événe-
ments caractéristiques de l’oncogenèse. On sait, depuis le travail
pionnier de l’équipe de R.A. Weinberg, que trois événements
oncogéniques sont nécessaires à la transformation d’une lignée
fi broblastique humaine normale en une lignée cancéreuse et
tumorigène. On pensait que les tumeurs humaines sporadi-
ques contenaient un nombre, certes variable, mais restreint, de
tels événements mutationnels. Le récent travail de l’équipe de
B. Vogelstein a montré qu’un nombre très élevé de mutations
participant à l’oncogenèse pouvait apparaître dans le génome
tumoral : de 4 à 23 dans le cancer du sein, de 3 à 18 dans le cancer
du côlon (18). Le grand projet de séquençage des génomes tumo-
raux (http://www.sanger.ac.uk/genetics/CGP) viendra compléter
ces données et apportera de nouvelles bases de données à la
communauté scientifi que.
La compréhension des mécanismes de l’oncogenèse, commencée
en 1975 avec la découverte des oncogènes, a ouvert, vingt-cinq
ans après, un nouveau champ thérapeutique en oncologie, celui
des thérapeutiques dites “ciblées”, le ciblage en question étant
précisément celui de l’oncogenèse elle-même et non plus de telle
ou telle protéine impliquée dans la prolifération cellulaire. Ces
nouvelles thérapeutiques sont, à l’heure actuelle, représentées
majoritairement par des anticorps ciblant le plus souvent la partie
extracellulaire de récepteurs de facteurs de croissance dont la
surexpression contribue à l’oncogenèse, et par des inhibiteurs
des activités de protéines membranaires ou cytoplasmiques
participant respectivement à la réception ou à la transduction
des signaux mitogènes. L’activité des thérapies ciblées est condi-
tionnée par l’existence et l’activation, dans la tumeur traitée, du
mécanisme oncogénique ciblé. Il n’est donc pas surprenant que
l’activité de ces thérapies soit associée à certaines altérations
oncogéniques et que, dans le futur, on puisse ne les prescrire
que si l’altération oncogénique est bien présente dans la tumeur
à traiter. Nous en verrons ci-dessous plusieurs exemples.
À côté de ces mutations tumorales associées à la fois à l’activa-
tion d’une voie oncogénique et à l’activité d’une thérapeutique
ciblée, des mutations des protéines cibles d’agents anticancéreux
classiques, comme la tubuline ou les topoisomérases, ont été
décrites dans des lignées résistantes sélectionnées. Ces mutations
ne semblent pas jouer un rôle dans la résistance clinique des
patients et ne peuvent pas, en l’état actuel de nos connaissances,
être proposées comme facteurs prédictifs de la réponse théra-
peutique. Nous ne les citerons que brièvement.
Le récepteur de l’epidermal growth factor
Le développement en phase II du gefi tinib, un inhibiteur de
l’activité tyrosine kinase du récepteur de l’EGF, a montré aux
États-Unis, dans le cancer du poumon non à petites cellules, un
taux de réponses relativement faible mais signifi catif d’environ
10 %. Simultanément, les Japonais obtenaient de façon nette un
taux de réponses supérieur, proche de 18 %. Lors des études de
phase III de cette nouvelle thérapeutique “ciblée”, l’eff et attendu
sur la survie des patients recevant du gefi tinib associé à une
chimiothérapie conventionnelle n’a pas été observé. Ce n’est
qu’après cet échec qu’a été découverte la cause de ces observa-
tions : le gefi tinib n’est actif que sur les tumeurs pulmonaires
présentant une mutation oncogénique du récepteur de l’EGF,
au niveau du site catalytique de l’enzyme (19, 20), et ces muta-
tions apparaissent sur un fond génétique particulier : elles sont
plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, chez les
Asiatiques que chez les Occidentaux, chez les non-fumeurs que
chez les fumeurs, et dans les adénocarcinomes que dans les
tumeurs épidermoïdes. Si le lien mécanistique entre le génome
constitutionnel et le génome tumoral n’a pas été établi, il n’en