P r o g r è s e... Premières recommandations contre les émotions

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Progrès en hypertension
L’automesure tensionnelle au
domicile : une idée pas si nouvelle ?
Nicolas Postel-Vinay, Guillaume Bobrie*
L
’automesure tensionnelle, c’est-à-dire la mesure de la
pression artérielle par le patient lui-même, est d’actualité.
Dans les années qui viennent, elle devrait sortir d’une certaine confidentialité, non seulement en raison de ses avantages scientifiques, mais aussi parce que les patients souhaitent plus d’autonomie dans leur prise en charge. Cette
évolution pourrait être favorisée par la possible limitation
de l’usage du mercure dans les sphygmomanomètres classiques. Fort de cette actualité, il est temps de se souvenir
que l’idée de pallier les inconvénients de la mesure tensionnelle au cabinet médical n’est pas aussi neuve que la
mise au point des appareils électroniques d’automesure
pourrait nous le faire croire (1).
La toute première mesure de la pression
artérielle remonte à plus de deux siècles
et demi. Elle fut effectuée par Stephen
Hales qui, en 1733, utilisa un matériel
expérimental rudimentaire : une canule
de verre directement abouchée à l’artère
crurale d’une jument, sacrifiée à cette
occasion. D’emblée, Hales remarqua
que la pression artérielle était en
constant mouvement et, comprenant
qu’un seul chiffre ne pourrait circonvenir cette mesure, il publia ses relevés de
pression sous la forme d’un tableau alignant plusieurs nombres. Tout le temps
que dura son expérience, c’est-à-dire la
durée de survie de la jument, Hales nota
la variabilité de la pression en fonction
* Hôpital Broussais, Paris.
de l’état de l’animal : le sang montait
dans la colonne de verre à des niveaux
différents suivant le degré de frayeur ou
d’agitation de la jument, la vitesse de
son pouls ou la force de sa respiration.
Autant dire que le jour même de l’entrée de la pression artérielle dans l’histoire des sciences, la variabilité tensionnelle s’imposa.
Pour dresser le même constat chez
l’homme, les médecins durent attendre
plus d’une centaine d’années, avant de
disposer d’une technique de mesure
évitant l’abord sanglant d’une artère.
Le tensiomètre moderne ne fut mis au
point qu’à la fin du XIXe siècle, notamment avec l’invention du brassard gonflable, conçu en 1896, par l’Italien
Scipione Riva-Rocci, et qui est toujours
utilisé.
Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 1, janvier 2000
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Premières recommandations contre
les émotions
Les premiers rapports entre les émotions et le système cardiovasculaire
sont des constatations anciennes. Aux
XVIIe et XVIIIe siècles, la palpation du
pouls (déjà effectuée par Hippocrate)
était un moment important de l’examen
clinique. À cette époque, tâter le pouls
résumait les rares contacts entre le
médecin et son malade (2). Plusieurs
traités spécifiquement consacrés à cet
art mentionnaient le constat d’accélération des battements cardiaques lors des
émotions. Ainsi Henri Fouquet, médecin de la ville de Montpellier et auteur
d’un essai sur le pouls, recommandait
d’“attendre, suivant le principe de
Celse, que le malade se soit remis de
l’émotion que peut lui causer la présence
du médecin, et observer qu’il ne parle
point durant cette opération”. Certains
ont proposé de voir dans ce type de description les prémices de l’“effet blouse
blanche”. D’autres, en épousant un
point de vue à notre sens trop étroit, ont
fait valoir qu’on ne pouvait assimiler la
tachycardie ainsi observée à une élévation tensionnelle.
Dans le cadre de la mesure tensionnelle,
Riva-Rocci, lui aussi, n’avait pas manqué de noter que les émotions du patient
pouvaient modifier sa tension. En rendant publique son invention, il sut décrire les bonnes conditions de mesure de la
pression artérielle. Quoique centenaire,
sa recommandation reste parfaitement
d’actualité : “Quand on a mis le patient
dans la position que l’on croit la
meilleure (dans les cas ordinaires, le
malade est assis sur son lit), le repos
absolu et la plus grande quiétude sont
indispensables, parce que toute émotion
bien que minime est une cause de perturbation appréciable dans la hauteur de
la pression artérielle” (3). Ce constat fut
vite vérifié par d’autres cliniciens. Dès
le début du XXe siècle, c’est-à-dire
avant la large diffusion de la mesure de
la pression artérielle, de nombreux
témoignages convergèrent pour signaler la difficulté d’obtenir des valeurs
constantes. Alors même que le geste de
mesure n’appartenait pas encore à la
pratique médicale courante, les praticiens évoquaient la nécessité du repos
et de la relaxation du patient pendant la
prise de tension. Mieux, ils comprirent
également que la répétition des mesures
était un moyen pour contrecarrer les
pièges d’une trop grande variabilité tensionnelle. “L’appréhension, l’attente, une
impressionnabilité
excessive
sont
capables de provoquer une ascension
momentanée de la tension. Aussi faut-il
avoir grand soin de rassurer le malade
avant de prendre la tension artérielle et
surtout de faire plusieurs mensurations
successives. C’est une règle de ne pas
continuer l’interrogatoire du malade
pendant la mensuration et d’attendre
avec patience le chiffre de tension systolique résiduelle [...]. Une simple
question, un mouvement du malade
suffisent souvent lorsque la chute de la
pression artérielle était très marquée à
déterminer une réascension de 10 à 15
mmHg”, indiqua, en 1912, le médecin
lyonnais Gallavardin. L’Américain
Théodore Janeway, premier clinicien,
qui prit en charge l’hypertension artérielle dans le cadre de la médecine de
ville, attira lui aussi l’attention sur la
variabilité de la tension dès 1904. Pour
pallier ce phénomène gênant, certains
préconisèrent de nombreuses répétitions de la mesure : “C’est en répétant
les mensurations chaque minute ou
toutes les deux minutes pendant une
demi-heure, plusieurs jours successivement et en prenant soin dans l’interprétation d’éliminer toutes les causes
connues d’hypertension accidentelle,
que l’on peut être assuré d’avoir une
base exacte de mensurations”, indiqua
l’Américain Deadborn en 1916. En
commentaire à cette recommandation,
le Français Gallavardin pensa “qu’un
tel luxe de précautions semble vraiment
excessif !” Sans doute avait-il raison
puisqu’en pratique aucun clinicien ne
s’est résolu à la suivre… Cependant, il
est intéressant de noter que ce conseil
garde aujourd’hui toute sa pertinence.
Nous pouvons même considérer que sa
proposition de répéter les mesures
“chaque minute pendant une demiheure, plusieurs jours successivement”
préfigure ce que les appareils de mesure
automatique de la pression artérielle se
proposent d’effectuer.
Le cabinet médical : un espace
trop étroit ?
À l’origine, la mesure de la pression
artérielle n’était pas un geste banal.
C’était une pratique réservée à
quelques médecins férus de nouvelles
techniques. Avant le stade de la pratique
courante, ce geste devait s’accompagner d’un tel cérémonial que ni les
patients, ni les infirmières n’auraient
imaginé pouvoir réaliser eux-mêmes
cette mesure. Il en fut de même pour les
injections intramusculaires avec la
seringue de Pravaz, inventée dans la
deuxième moitié du XIXe siècle ; geste
initialement réservé aux médecins et
interdit aux infirmières ! Puis, au début
du XXe siècle, la mesure commença à
se diffuser à l’hôpital et dans les cabinets médicaux, sans pour autant être
systématique lors de chaque consultation
médicale. À cette époque, l’hypertension était encore une affection mystérieuse, au pronostic incertain et sans
possibilité thérapeutique clairement
efficace (4). À quelle date les médecins
envisagèrent-ils pour la première fois
de confier aux patients la délicate mission de surveiller leur tension par eux-
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mêmes ? Il est difficile de répondre
définitivement à cette question car des
tentatives isolées ont pu passer inaperçues. Cette réserve faite, on considère
que la première proposition solide
d’automesure tensionnelle est celle de
David Ayman et Archie Goldshine du
Beth Israel Hospital de Boston (5). Ces
auteurs publièrent, en 1940, dans
l’American Journal of the Medical
Sciences, une étude particulièrement
novatrice. Selon les termes d’Ayman et
Goldshine, aucune donnée sur le niveau
de pression artérielle des hypertendus
dans le cadre de ses “activités normales
quotidiennes” n’était alors disponible.
De ce commentaire, on peut légitimement penser que ce fut volontairement
qu’ils ne firent pas mention des données disparates de la littérature sur les
variations tensionnelles en fonction
d’activités diverses comme le sommeil,
les repas, la prise de café ou de tabac,
les voyages en avion ou même les
excursions en montgolfière, une ascension d’une montagne, etc. En 1930, une
étude avait rapporté le cas d’un patient
hypertendu qui, trois années durant,
avait lui-même surveillé sa pression
artérielle systolique (6). Cependant
cette observation n’avait pas corrélé les
chiffres d’automesure à domicile avec
ceux obtenus au cabinet médical.
Ayman et Goldshine suivirent 34 patients
hypertendus, âgés de 32 à 67 ans, sans
insuffisance rénale, connus depuis plus
de cinq ans par les auteurs. Ils leur
confièrent un stéthoscope et un manomètre à mercure spécialement équipé
d’un système d’attache facile à utiliser
par les patients, sans l’aide d’une tierce
personne (“zipper cuff ”). Les médecins
firent leur enseignement en utilisant un
stéthoscope à double système d’écouteurs pour faciliter l’apprentissage des
sons de Korotkoff. Cependant, deux
tiers des patients (21 sur 34) firent
effectuer les mesures par un membre de
Progrès en hypertension
leur famille. Les patients devaient
prendre leur tension le matin et le soir
en répétant quatre fois leur mesure, à
une minute d’intervalle (un protocole,
remarquons-le, proche des recommandations actuelles). Pour eux, l’investissement en temps était non négligeable
puisque la durée moyenne des automesures pour chaque séance était de douze
minutes. Dans leur publication, les
auteurs n’évoquent pas de cas d’abandon, ni de problème d’observance...
Ainsi, après un suivi moyen de vingtdeux mois, les patients et leur famille
avaient totalisé quelque 40 000 automesures de pression artérielle à
domicile. Ces valeurs, soigneusement
consignées par les patients sur des
feuilles spécialement préimprimées,
furent comparées à 2 800 mesures hospitalières effectuées par des médecins
chez ces mêmes sujets. Dans tous les
cas, la moyenne des pressions s’avéra
inférieure dans le cadre du domicile :
de 50 mmHg pour la systolique, de
25 mmHg pour la diastolique.
Vers l’automaticité de la mesure
À compter des années 60, l’invention
d’appareils de mesure en continu en
ambulatoire allait permettre d’éclairer
d’un nouveau jour cette question.
Maurice Sokolow, interniste à San
Francisco, utilisa avec ses collaborateurs un nouvel appareil conçu par
l’équipe de Hinman, lui aussi de
Californie. Il s’agissait d’un appareil de
mesure semi-automatique, portable,
capable d’effectuer, de façon non invasive et à de fréquents intervalles, une
mesure de la pression artérielle pendant
que le sujet vaquait à ses activités (7).
Le brassard était actionné manuellement par le sujet tandis que les sons de
Korotkoff étaient automatiquement
enregistrés et mémorisés sur une bande
magnétique, sans que le patient puisse
avoir accès à ces données. Par ce procédé,
Sokolow retrouva les différences signalées par Ayman et coll. mais surtout
montra, au travers d’une série d’articles, l’intérêt de la méthode pour le
suivi des hypertendus (8). Après avoir
objectivé la grande variabilité de la
pression artérielle durant la journée et
son peu de corrélation avec les mesures
faites au cabinet, l’équipe de Sokolow
fut la première à montrer que l’étude
ambulatoire était mieux corrélée aux
complications de l’hypertension que la
mesure traditionnelle (9).
L’automesure : un souhait
d’autonomie ?
En fait, il est possible que nous nous
acheminions vers une très large diffusion de l’automesure. Aujourd’hui, les
patients adoptent un comportement
consumériste. La santé serait un bien
que l’on achète. D’ores et déjà, les
publicités pour le grand public effectuent un curieux amalgame entre achat
d’appareils d’automesure, peur de l’accident cardiovasculaire et amour de la
famille. Une publicité parue dans un
journal de programme télévisé (Télé 7
jours) a été jusqu’à proposer, au
moment des fêtes de Noël, un appareil
d’automesure comme “une idée de
cadeau pour ceux que vous aimez” !
L’heure est également aux droits des
patients et, au même titre qu’ils souhaitent accéder à leur dossier médical, ils
pourraient bien revendiquer le droit de
se prendre la tension eux-mêmes : soit
pour juger de l’efficacité réelle de leur
traitement, soit pour ne pas se laisser
imposer un “effet blouse blanche” de
plus en plus connu du public. Quand on
relit l’observation de Brown (6), on
remarque que son expérience fut initiée
à la demande d’un de ses patients : un
Act. Méd. Int. - Hypertension (12), n° 1, janvier 2000
300
jeune homme qui souhaitait en savoir
plus sur sa prise en charge, en 1930 !
Références bibliographiques
1. Cet article est rédigé d’après le chapitre 2
du Guide de l’automesure tensionnelle.
Bobrie G., Postel-Vinay N. Paris Imothep/
Maloine, décembre 1998. On s’y référera
notamment pour une bibliographie plus
exhaustive (25 références).
2. Hœrni B. Histoire de l’examen clinique.
Paris Imothep/Maloine, 1996.
3. Riva-Rocci S. De la mensuration de la
pression artérielle en clinique. Press méd.
1899 ; 93 : 307-8.
4. Postel-Vinay N. et coll. Impressions artérielles – 100 ans d’hypertension 1896-1996.
Paris Imothep/Maloine, 1996.
5. Ayman D., Goldshine A. Blood Pressure
Determinations by Patients with Essential
Hypertension. The Difference Between Clinic
and Home Reading Before Treatment. Am. J.
Med. Sci. 1940 ; 200 : 465-74.
6. Brown G.E. Daily and monthly rythm in the
blood pressure of a man with hypertension.
Ann. Int. Med. 1930 ; 3 : 1177.
7. Hinman A.T., Engel B.T., Bickford A.F.
Portable Blood Pressure Recorder. Accuracy
and Preliminary Use in Evaluation Intra
Daily Variation in Pressure. Am. Heart J.
1962 ; 63 : 663-8.
8. Kain H.K., Hinman A.T., Sokolow M.
Arterial blood pressure measurements with a
portable recorder in hypertensive patients : I.
variability and correlation with “casual”
pressures. Circulation 1964 ; 30 : 882.
9. Sokolow M., Werdergar D., Kain H.,
Hinman A. Relationship between level of
blood pressure measured casually and by portable recorders and severity of complications
in essential hypertension. Circulation 1966 ;
34 : 279-98.
Imprimé en France - Differdange S.A.
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