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vite vérifié par d’autres cliniciens. Dès
le début du XXesiècle, c’est-à-dire
avant la large diffusion de la mesure de
la pression artérielle, de nombreux
témoignages convergèrent pour signa-
ler la difficulté d’obtenir des valeurs
constantes. Alors même que le geste de
mesure n’appartenait pas encore à la
pratique médicale courante, les prati-
ciens évoquaient la nécessité du repos
et de la relaxation du patient pendant la
prise de tension. Mieux, ils comprirent
également que la répétition des mesures
était un moyen pour contrecarrer les
pièges d’une trop grande variabilité ten-
sionnelle. “L’appréhension, l’attente, une
impressionnabilité excessive sont
capables de provoquer une ascension
momentanée de la tension. Aussi faut-il
avoir grand soin de rassurer le malade
avant de prendre la tension artérielle et
surtout de faire plusieurs mensurations
successives. C’est une règle de ne pas
continuer l’interrogatoire du malade
pendant la mensuration et d’attendre
avec patience le chiffre de tension sys-
tolique résiduelle [...]. Une simple
question, un mouvement du malade
suffisent souvent lorsque la chute de la
pression artérielle était très marquée à
déterminer une réascension de 10 à 15
mmHg”, indiqua, en 1912, le médecin
lyonnais Gallavardin. L’Américain
Théodore Janeway, premier clinicien,
qui prit en charge l’hypertension arté-
rielle dans le cadre de la médecine de
ville, attira lui aussi l’attention sur la
variabilité de la tension dès 1904. Pour
pallier ce phénomène gênant, certains
préconisèrent de nombreuses répéti-
tions de la mesure : “C’est en répétant
les mensurations chaque minute ou
toutes les deux minutes pendant une
demi-heure, plusieurs jours successive-
ment et en prenant soin dans l’interpré-
tation d’éliminer toutes les causes
connues d’hypertension accidentelle,
que l’on peut être assuré d’avoir une
base exacte de mensurations”, indiqua
l’Américain Deadborn en 1916. En
commentaire à cette recommandation,
le Français Gallavardin pensa “qu’un
tel luxe de précautions semble vraiment
excessif !” Sans doute avait-il raison
puisqu’en pratique aucun clinicien ne
s’est résolu à la suivre… Cependant, il
est intéressant de noter que ce conseil
garde aujourd’hui toute sa pertinence.
Nous pouvons même considérer que sa
proposition de répéter les mesures
“chaque minute pendant une demi-
heure, plusieurs jours successivement”
préfigure ce que les appareils de mesure
automatique de la pression artérielle se
proposent d’effectuer.
Le cabinet médical : un espace
trop étroit ?
À l’origine, la mesure de la pression
artérielle n’était pas un geste banal.
C’était une pratique réservée à
quelques médecins férus de nouvelles
techniques. Avant le stade de la pratique
courante, ce geste devait s’accompa-
gner d’un tel cérémonial que ni les
patients, ni les infirmières n’auraient
imaginé pouvoir réaliser eux-mêmes
cette mesure. Il en fut de même pour les
injections intramusculaires avec la
seringue de Pravaz, inventée dans la
deuxième moitié du XIXesiècle ; geste
initialement réservé aux médecins et
interdit aux infirmières ! Puis, au début
du XXesiècle, la mesure commença à
se diffuser à l’hôpital et dans les cabi-
nets médicaux, sans pour autant être
systématique lors de chaque consultation
médicale. À cette époque, l’hyperten-
sion était encore une affection mysté-
rieuse, au pronostic incertain et sans
possibilité thérapeutique clairement
efficace (4). À quelle date les médecins
envisagèrent-ils pour la première fois
de confier aux patients la délicate mis-
sion de surveiller leur tension par eux-
mêmes ? Il est difficile de répondre
définitivement à cette question car des
tentatives isolées ont pu passer inaper-
çues. Cette réserve faite, on considère
que la première proposition solide
d’automesure tensionnelle est celle de
David Ayman et Archie Goldshine du
Beth Israel Hospital de Boston (5). Ces
auteurs publièrent, en 1940, dans
l’American Journal of the Medical
Sciences, une étude particulièrement
novatrice. Selon les termes d’Ayman et
Goldshine, aucune donnée sur le niveau
de pression artérielle des hypertendus
dans le cadre de ses “activités normales
quotidiennes” n’était alors disponible.
De ce commentaire, on peut légitime-
ment penser que ce fut volontairement
qu’ils ne firent pas mention des don-
nées disparates de la littérature sur les
variations tensionnelles en fonction
d’activités diverses comme le sommeil,
les repas, la prise de café ou de tabac,
les voyages en avion ou même les
excursions en montgolfière, une ascen-
sion d’une montagne, etc. En 1930, une
étude avait rapporté le cas d’un patient
hypertendu qui, trois années durant,
avait lui-même surveillé sa pression
artérielle systolique (6). Cependant
cette observation n’avait pas corrélé les
chiffres d’automesure à domicile avec
ceux obtenus au cabinet médical.
Ayman et Goldshine suivirent 34 patients
hypertendus, âgés de 32 à 67 ans, sans
insuffisance rénale, connus depuis plus
de cinq ans par les auteurs. Ils leur
confièrent un stéthoscope et un mano-
mètre à mercure spécialement équipé
d’un système d’attache facile à utiliser
par les patients, sans l’aide d’une tierce
personne (“zipper cuff ”). Les médecins
firent leur enseignement en utilisant un
stéthoscope à double système d’écou-
teurs pour faciliter l’apprentissage des
sons de Korotkoff. Cependant, deux
tiers des patients (21 sur 34) firent
effectuer les mesures par un membre de