Consultation publique sur le projet d’arrêté interministériel relatif au « contrôle des populations de campagnols et de mulots nuisibles » Réponse de la LPO Franche-Comté LPO Franche-Comté, le 7 novembre 2012 Introduction et état des lieux L’opportunité d’un arrêté interministériel est intéressante pour encadrer l’usage de la bromadiolone qui occasionne des dégâts avérés sur la faune sauvage. Pour autant, ce traitement chimique doit pouvoir être évité sur un terme le plus court possible : - d’une part car la LPO est contre l’usage des pesticides a fortiori quand ceux-ci provoquent une mortalité directe par empoisonnement d’oiseaux et de faune sauvage. et d’autre part en raison du niveau effectif, recherché et vanté de la qualité des produits associés (fromages AOC) au système d’élevage laitier de la montagne jurassienne, en décalage avec de telles pratiques. Voir sur la mortalité de la faune sauvage en lien avec la bromadiolone les références citées en fin de documents sur lesquelles nous nous appuyions pour notre réponse. L’expérience de la Franche-Comté montre que : - - - - On constate une diminution forte des superficies traitées et des quantités de bromadiolone utilisées : plus de 73% des traitements réalisés dans le Doubs sont inférieurs à 7.5 kg/ha depuis 2007 cf. Giraudoux et al. 2012 en pièce jointe). Associée à la définition d’une densitéseuil de campagnols terrestres au-dessus de laquelle le traitement d’une parcelle est interdit, cette diminution a permis de limiter les impacts sur la faune non-cible (Jacquot et al. 2011, Giraudoux et al. 2012) mais pas de les supprimer (voir les données SAGIR). Ce progrès a permis d’éviter jusqu’à récemment les épisodes déplorables par leur ampleur, constatés en Auvergne ces derniers mois (voir la réponse à la consultation de la LPO France). Le traitement à la bromadiolone concerne finalement un nombre assez restreint d’exploitations, très concentrées sur le département du Doubs alors que le département du Jura est également touché par les pullulations de campagnol terrestre. Si les contrats de lutte raisonnée existent et sont pertinents, ils ne peuvent être efficaces à l’échelle du système que si un mouvement collectif l’applique. Or, il peine à émerger vraiment à un niveau suffisant dans la profession pour que la problématique du Campagnol terrestre recule réellement à l’échelle du massif jurassien. Régulièrement, les progrès sur cette question ont étés la conséquence de phases de concertation provoquée à cause des pics de mortalité de la faune non-cible. Ces concertations impliquent chercheurs (qui étudient la situation depuis plusieurs dizaines d’années), services de l’Etat, collectivités initialement, associations de protection de la nature, fédération des chasseurs et les acteurs de la profession agricole. Si les débuts de discussion sont souvent conflictuels ; des solutions de progrès ont toujours été proposées, partagées et mises en œuvre grâce à cette concertation, avec des résultats probants. - - Pourtant, le niveau de lutte réellement précoce, raisonnée et collective est très hétérogène en fonction des exploitations et secteurs. Pour simplifier, si l’on constate des traitements à la charrue, nous ne sommes probablement pas dans le cadre de traitements au niveau de précocité qu’il conviendrait pour garantir un risque minimal pour la faune non-cible. Il semble malheureusement que nous passions d’un système de cycle de pullulation à un problème de pullulation chronique notamment dans certains secteurs du Haut-Doubs. Les bonnes pratiques et progrès réalisés par la profession dans la lutte anti-campagnols ne le sont que sur une surface trop restreinte du territoire agricole, et de ce fait, ne peuvent enrayer à une échelle plus large le phénomène. L'importance du travail à mener sur une exploitation, en collectif et l'évolution négative du système de pullulation découragent la profession agricole, empêchant une montée en puissance nécessaire des contrats de lutte précoce et raisonnée. Le cas récent de la Chapelle d’Huin (25) avec des mortalités significatives (vraisemblablement 4 cadavres mis à jours par ONCFS et CPEPESC1) nous renseigne sur le fait que : - Les pratiques actuelles correspondantes au présent projet d’arrêté (interdiction de traitement au-delà du seuil de 50%, quantité inférieure à 7,5 Kg par ha depuis plusieurs années) en Franche-Comté, soit ne sont pas respectées, soit ne suffisent pas puisqu’une mortalité de la faune non-cible est toujours constatée, notamment dans les phases de pullulation intense et chronique. Aucun protocole spécifique d’évaluation de la mortalité de la faune non-cible n’est mené en FrancheComté. Nous ne sommes donc pas en mesures de connaître : - Le niveau réel de la mortalité de la faune non-cible après les traitements tels qu’ils ont lieu en Franche-Comté suite aux progrès réalisés. Le réseau SAGIR est un réseau de collecte extensif mais ne peut répondre à la demande d’une évaluation précise. - Quel que soit ce niveau réel, le statut d’espèces protégées, les plans d’actions nationaux en faveur notamment du Milan royal et la Pie-grièche grise sont autant de contradictions avec leur empoisonnement. La population de Pie-grièche grise (moins d’une dizaine de couples en Franche-Comté en période de reproduction et de l’ordre de 100 individus en hivernage) est d’ailleurs à la veille d’une disparition en tant que nicheur de la région Franche-Comté. Un niveau même faible de mortalité est alors susceptible de conduire cette espèce à la disparition à très court terme en Franche-Comté. Or, se nourrissant de campagnols des champs à la mauvaise saison, elle est bien exposée à la bromadiolone notamment sur des zones de pullulation de campagnols terrestres et des champs. Il convient donc d’améliorer cet arrêté en supprimant les reculs constatés par la LPO France et en améliorant quelques points clés (le seuil notamment). -> voir les monographies sur ces deux espèces menacées (Milan royal, Pie-grièche grise) sur http://franche-comte.lpo.fr > Publication> Liste rouge des espèces menacées> Monographies des 99 espèces de la liste rouge 1 – Ne sont pas comptés ici 2 cadavres morts par noyade dans un abreuvoir, mais dont l’origine de la noyade n’est pas connue Nous lisons l’arrêté comme une généralisation de bonnes pratiques de la région franc-comtoise (notamment traçabilité, restriction de la vente, etc.) ainsi nous avons construit notre avis en trois parties : - - Pour une généralisation complète des bonnes pratiques en Franche-Comté notamment sur la concertation nécessaire à mettre en place au niveau local ; pour l’amélioration de points clés de l’arrêté pour atteindre un niveau nécessaire et suffisant de mesures évitant la mortalité de la faune non-cible de manière prioritaire pour les espèces réclamant une forte responsabilité (Directive oiseaux, plan national d’action, menacées d’extinction) ; pour l’obtention de moyens pour continuer à progresser en Franche-Comté sur le bon usage de la bromadiolone et aboutir à la disparition de son utilisation, grâce à la mise en place de pratiques alternatives réellement efficaces. I. Pour une généralisation des bonnes pratiques franc-comtoises L’amélioration principale inspirée de la Franche-Comté qui manque dans l’arrêté réside dans la création d’un comité consultatif où le plan d’action de surveillance et de lutte doit être discuté. C’est un point clé issu de l’expérience régionale. Ainsi l’art 5. Pourrait être : « Un arrêté préfectoral précise l'arrêté ministériel pour : - les modalités de mise en œuvre de la lutte précoce, raisonnée et collective sur les secteurs concernés où la lutte raisonnée est rendue obligatoire. - prendre toutes les mesures pour éviter les dégâts sur la faune non-cible, adaptées aux secteurs et aux enjeux. » Un comité consultatif ou une instance existante (Commission de la nature, des paysages et des sites, formation dite ‘nature' ou had hoc) est consultée sur : - le projet d’arrêté cité ci-dessus ; - le plan d'action (de surveillance, lutte et contrôle des bonnes pratiques) est soumis pour avis à ce comité ; - les modalités d’un contrôle strict des pratiques d’usages de la bromadiolone (respect du seuil, quantité, traçabilité, etc.) et des pratiques complémentaires autorisant le recours à la bromadiolone » Il nous semble qu’une sollicitation spécifique aux experts (équipe du Pr. P. Giraudoux, Laboratoire chrono-environnement à Besançon éclairera de toute évidence les ministères sur des préconisations assisses sur leur connaissance de la problématique. II. Une amélioration nécessaire de l’arrêté au-delà des bonnes pratiques en région Franche-Comté Le cas récent de Chapelle d’Huin (25) avec la découverte de 4 cadavres (1 Milan royal, 1 Buse variable puis 1 milan royal, 1 renard2) vraisemblablement morts des suites d’un traitement à la bromadiolone de cette année montre que l’arrêté, en l’état, ne suffira pas à mettre en place les mesures suffisantes pour éviter les mortalités de faune non-cible. Cela revêt un sens particulier pour le milan royal, protégé par la directive oiseaux et faisant l’objet d’un contentieux sur la base des faits survenus en Auvergne. Art. 1. L’élargissement aux autres espèces de campagnols et rongeurs se fonde sur trop peu de retours d’expériences de traitement. Cet élargissement va agrandir considérablement les surfaces traitées et entraînera donc des dégâts pour la faune non-cible car les régions qui découvrent cette problématique auront des difficultés d’application de l’arrêté ; plusieurs années ont été nécessaires en Franche-Comté pour obtenir de tels progrès depuis les grandes mortalités de la fin des années 90 et du début des années 2000. L’élargissement au campagnol des champs va être redoutable du fait du cortège important d’espèces exploitant les secteurs riches en campagnols des champs (busard Saint-Martin, hibou des marais, buse variable, faucon crécerelle, pie-grièche grise, etc.). En outre, l’expérience acquise sur le campagnol terrestre n’est pas directement transposable aux autres espèces de rongeurs visées (contextes très différents) pour lesquelles toutes préconisations ne pourra être considérée que comme expérimentale, appelant une évaluation rigoureuse de l’impact des pratiques qu’il conviendrait plutôt d’éviter. L’art 1. doit limiter l’usage de la bromadiolone au campagnol terrestre Art. 2. Si l’usage est restreint aux pratiques de lutte précoce, raisonnée et collective, il faut éclaircir, en définissant un seuil minimal d’engagement et de réalité de mise en œuvre de cette lutte afin d’autoriser ou non l’usage de la bromadiolone. Sans cette précision l’arrêté ne sera pas réellement applicable ni opérationnel, a fortiori dans le cas de régions qui découvrent la problématique, qui commenceront par le traitement chimique et dont les pratiques complémentaires seront reportées… à la prochaine phase de pullulation. Sur ces zones avec l’émergence du problème, l’esprit de la lutte précoce et raisonnée ne peut être mise en œuvre conformément à l’esprit de ce projet. L’art 2. doit définir un cahier des charges précis et contrôlable des pratiques permettant, en complémentarité, de celles-ci, l'usage de la bromadiolone (cf. en outre remarques sur l’art. 9). Art. 6. La quantité définie de 7,5 kg / ha doit également être précisée pour une durée. L’expérience franc-comtoise montre que ce niveau est encore trop important pour éviter les mortalités (cf . Cas de Chapelle d’huin - 25). La récurrence des traitements sur ce site nous incite également à proposer une limitation de la quantité par ha pour une durée établie. L’art 6. doit être corrigé : la quantité maximale d’appât à l’hectare et sur une saison ne peut excéder 4 kg/ha/saison de traitement 2 Sources : ONCFS (bilan complet avec deux cadavres supplémentaires, morts par noyade trouvés dissimulés avec les autres cadavres dans un bosquet) et CPEPESC (http://www.cpepesc.org/La-decouverte-recente-decadavres.html) Art. 9. Il est fondamental car il définit la lutte précoce. Il mérite possiblement d’être intégré directement dans l’art. 2. Un encouragement explicite à ce stade de la technique de la canne, qui correspond bien à l’usage précoce, devrait être formulé ici aussi. Ainsi, la lutte à la charrue (par définition non précoce) pourrait être déclenchée spécifiquement sur un avis conforme DRAAF par ex. Ces éléments sont proposés pour s’assurer d’une réelle lutte précoce, gage de succès pour les agriculteurs, et gage de sécurité pour la faune non-cible en minimisant les quantités d’appâts. L’art 2. pourrait être corrigé en ce sens notamment sur la définition d’une évaluation garantissant l’indépendance des résultats et la suspension automatiques des traitements en cas de découverte de cadavres de faune non-cible. Art. 12. Le bon sens montre que le seuil fixé à 0,5 (1 sur 2) ne correspond pas à une véritable lutte précoce. Il convient donc d’assurer une lutte précoce en abaissant significativement le seuil. Autre problème : ce seuil est défini à la parcelle. Or, de nombreuses configurations montrent un risque important pour la faune non-cible tout en respectant ce seuil à la parcelle. Par exemple, des pâtures sont infestées, à un niveau inférieur au seuil permettant le traitement mais jouxtent des parcelles avoisinantes mesurées au-delà du seuil. C’est une situation à risque évident. Il convient alors d’ajouter à ce seuil à la parcelle une limitation déterminée à une échelle au maximum communale pour prévenir efficacement les dégâts sensibles à la faune non-cible. Si un nouveau seuil est défini, il conviendra de mettre en place les protocoles adéquats pour mesurer son efficacité à limiter/empêcher les impacts. L’expérience acquise sur ce seuil ne concerne que le campagnol terrestre et ne peut en aucun cas être extrapolée d’une espèce aux autres espèces. Le seuil retenu ne concerne que les espèces visées. Ce n’est pas clairement indiqué s’il s’agit de la seule espèce visée par le traitement au moment de la mise en œuvre ou de toutes les espèces visées par le présent arrêté en intégrant même celles qui ne sont pas la cible du traitement. On sait que les autres espèces de rongeurs non-cibles présentes dans les parcelles traitées peuvent également être exposées et constituer des voies de transfert vers la faune non-cible (par ex le campagnol des champs exposé à la bromadiolone lors des traitements contre le campagnol terrestre, Sage et al. 2008 ainsi que les autres espèces de rongeurs Jacquot et al. 2012). Le seuil ne doit donc pas être défini par rapport à la seule espèce visée mais par rapport à toutes les espèces de rongeurs présentes dans la parcelle traitée que l’extension aux autres rongeurs soit retenue ou non dans l’arrêté. L’art 12. doit être corrigé : en abaissant significativement le seuil et en interdisant le traitement lors d’une pullulation trop avancée à l’échelle communale (en retenant les niveaux 4 et 5 du système de surveillance en Franche-Comté) ; En imposant une évaluation des ces pratiques garantissant l’indépendance et la rigueur des résultats. Nous rappelons ici que pour des raisons de méthodes de luttes ni évaluées ni testées pour les autres espèces visées par l’arrêté, celui-ci ne doit s’appliquer qu’au campagnol terrestre Art. 11. Plutôt qu’une surveillance par les applicateurs, un protocole d’évaluation de la mortalité de la faune non-cible par des tiers indépendants des applicateurs et de la profession agricole est nécessaire. La découverte de cadavre doit suspendre automatiquement les traitements. En outre, La collecte des cadavres d’animaux empoisonnés évoquées dans la partie I concerne-t-elle aussi celle des espèces de rongeurs visées ? Cela serait souhaitable car la consommation des cadavres de rongeurs empoisonnés constitue probablement une voie de transfert importante vers la faune noncible (au moins dans le cas du campagnol terrestre cf. Montaz et al. 2012). Un suivi constant doit être réalisé par les applicateurs pendant les 2 semaines qui suivent le traitement mais la fréquence de ce suivi n’est pas précisée. Etant donné la persistance faible des cadavres des espèces visées ET des espèces non-cibles, un passage quotidien (au plus tous les 2 jours) est vivement souhaitable. L’art 2. pourrait être corrigé en ce sens. Art. 15. Les précisions vont dans un sens favorable aux espèces. III. Des moyens pour continuer à progresser en Franche-Comté Des moyens affectés à des démarches améliorant l’usage de la bromadiolone, palliant les dégâts tout en encourageant la mise en place de la lutte réellement précoce, collective et raisonnée permettraient de faire avancer le dossier en Franche-Comté, notamment en affirmant le rôle pilote joué par la région sur cette problématique. Des concertations et avancées sont en cours sur : - un projet d’outil d’évaluation des risques pour la faune non-cible. des discussions sur le bon usage de la bromadiolone en fonction de ce niveau de risque. un projet de caisse de mutualisation professionnelle. Il conviendrait d’accompagner cette démarche de moyens financiers, en favorisant la concertation autour d’une dynamique qui conduira à limiter les mortalités de faune non-cible et les dégâts du campagnol terrestre. Pour en savoir plus : Giraudoux P, Coeurdassier M, Raoul F, Couval G, Jacquot M, Renaude R, Truchetet D (2012) Sustainable control of grassland small mammals. 6th SETAc World Congress and 22nd Europe annual congress. 20-24 May, Berlin. Decors A, Coeurdassier D, Berny P, Sage M, Quintaine T (2012) Surveillance de la mortalité des oiseaux et mammifères sauvages : Synthèse des cas enregistrés par le réseau SAGIR (Réseau ONCFS/FNC/FDC) de 1998 à 2012 avec une exposition avérée à la bromadiolone. ONCFS. Montaz J., Jacquot M. Coeurdassier M. (2012) Mesure expérimentale de la prédation de carcasses de campagnols terrestres suite a un traitement à la bromadiolone (rodenticide anticoagulant). Colloque annuel de la Société d’Ecotoxicologie Fondamentale et Appliquée, 4-5 juillet 2012, Lyon. Sage M, Cœurdassier M, Defaut R, Gimbert F, Berny P, Giraudoux P. (2008) Kinetics of bromadiolone in rodent populations and implications for predators after field control of the water vole, Arvicola terrestris. The Science of the Total Environment. 407, 211-222. Jacquot M., Coeurdassier M., Couval G., Renaude R., Truchetet D., Raoul F., Giraudoux P. (2011) Response of red fox populations to rodent field controls with bromadiolone: a 6-year study on regional scale. SETAC Europe 21th Meeting, 16-19 mai 2011, Milan, Italie. Jacquot M., Coeurdassier M., Berny P., Fourel I., Dervaux A., Raoul F., Giraudoux P. (2012) How the uses of anticoagulant rodenticides influence the distribution of their residues in rodent community? SETAC World 6th Meeting, 21-14 mai 2012, Berlin, Allemagne.