AVANT-PROPOS :
Cette étude s'appuie, à l'origine, sur un paradoxe actuel : aujourd'hui, l'architec-
ture de béton armé n'a pas bonne presse auprès du grand public ; pourtant on ne
construit quasiment plus qu'en béton armé. Pour comprendre cette situation, j'ai
choisi d'étudier ce matériau jeune au travers de cinq exemples de logement collec-
tif en région parisienne. Le choix s'est porté sur ce programme, car c'est dans le
logement collectif que se sont particulièrement cristallisés les recherches techni-
ques comme les problèmes d'images du béton armé. La région parisienne avait,
quant à elle, le double avantage de regrouper tous les exemples courants du loge-
ment collectif et d'être d'un accès facile pour les visites. Se pencher sur la genèse
de chacun de ces projets, c'est mieux saisir le pourquoi des formes choisies, tout
en expliquant les enjeux, les influences et les courants de pensée. Si l'architecture
de béton armé stigmatise pour beaucoup les erreurs du passé, elle n'est souvent que
la façade des problèmes sociaux. Le but n'est pas ici de faire le procès d'une appro-
che ou d'une autre, mais bien de comprendre comment on aboutit aujourd'hui à une
situation ambiguë et controversée.
Chacun des cinq exemples retenus devait être à la fois une œuvre emblématique
par rapport à un courant de pensée ou une époque, et celle d'un architecte soucieux
de la technique.
Le choix s'est donc d'abord porté sur le projet de la rue Raynouard, d'Auguste
Perret parce qu'il est le premier à appliquer une véritable doctrine architecturale
dans la construction du logement collectif en béton armé. Il peut paraître curieux
de ne pas avoir retenu à ce stade un exemple de Le Corbusier, pourtant inévitable
sur ce thème, mais il reste très original dans ses propositions et sa façon de con-
struire. Ses positions seront toutefois décrites dans les contextes historiques, et
défendues dans les autres exemples choisis.
Le second exemple, le projet des Grandes Terres à Marly le Roi, de Marcel Lods,
a été retenu car il décrit bien la rupture de forme caractéristique de l'après-guerre.
Ce virage, déjà inscrit dans les esprits et dans le discours de Marcel Lods, se tra-
duit dans l'expérimentation d'une technique nouvelle : la préfabrication lourde. Le
fait que cet architecte soit un grand défenseur de l'industrialisation du bâtiment et
un acteur privilégié dans les débats de l'époque, n'est évidemment pas étranger au
choix de cet exemple.
Le projet suivant, le quartier de la Pierre Collinet à Meaux, par Jean Ginsberg,
est un cas type de l'industrialisation du bâtiment, poussée au bout de ses possibili-
tés (la préfabrication lourde). La réalisation suscita alors une grande fascination et
fut décrite dans les revues d'architecture de l'époque. Il s'agit ici d'un des nombreux
grands ensembles qui ont aujourd'hui sombré dans ce que les médias appellent le
“malaise social” et la “violence urbaine”. C'est aussi un choix personnel parce que
je connais bien ce quartier où j'ai passé mes années de collège et de lycée.
Le cas suivant a été retenu parce qu'il représente une réaction contre les aspects
inhumains des logements collectifs de l'époque. En effet, la Grande Borne à
Grigny, d'Emile Aillaud, a fait à sa sortie l'effet d'une révolution, d'une solution
nouvelle pour les grands ensembles. L'architecte construit alors des dizaines de
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