au Génie du christianisme de Chateaubriand,
qui, déjà, dans une langue exaltée, chantait le
patrimoine ruiné ou vandalisé de l’Ancien
Régime, on peut noter que les premiers histo-
riens de l’art nés au XIXesiècle étaient agrégés
de littérature ou de philosophie. Émile
Mâle (3) était l’un d’entre eux, de même que
Louis Dimier (4), pour ne citer que ces noms
emblématiques, qui marquèrent tous deux de
manière très différente l’histoire de la disci-
pline (5). Après la Seconde Guerre mondiale,
Henri Focillon (6), puis André Chastel (7)
étaient eux aussi des littéraires qui avaient
choisi de se consacrer à l’art. Il est donc
logique que l’histoire de l’art française ait
d’abord été une science iconographique,
voire, sur le modèle proposé par Aby
Warburg (8), une science iconologique. Elle
était d’abord un discours qui décryptait
l’image en s’aidant des sources textuelles
contemporaines de sa création, et, par-delà,
un logos codifié, capable d’expliquer, par un
substrat culturel retrouvé, le choix des sujets
et la façon de les traiter. Car cette attention
à l’iconographie avait un double but : mettre
en évidence la nouveauté de certaines repré-
sentations, de même que mesurer, à l’aune de
ces changements, l’évolution des « formes »,
autrement dit du style. Dans ses meilleures
productions, l’histoire de l’art avait donc mis
en œuvre une herméneutique digne de ce
nom, qui n’analysait pas seulement l’œuvre en
termes esthétiques.
Les limites de l’iconographie
C’est pourtant cette herméneutique que
refusa Antoine Schnapper lorsqu’il eut
terminé ses études d’histoire et qu’il
commença en 1964 sa thèse de troisième cycle
sur les tableaux du Trianon de Marbre de
Versailles. L’originalité de sa démarche tint
alors à l’articulation nouvelle qu’il opéra entre
la discipline historique et l’art. On touche ici
au rapport entre le déroulement historique et
la création artistique qu’avaient tenté de clari-
fier certains historiens des Annales, tel Lucien
Febvre (9), sans que jamais leurs écrits modi-
fient profondément la marche de l’histoire de
l’art, qui se développa selon une ligne paral-
lèle à celle de l’histoire. Analysant en 1950 la
thèse de François-Georges Pariset sur
Georges de La Tour (10), Lucien Febvre expli-
quait que « l’étude du milieu spirituel de la
Contre-Réforme lorraine (11) » aurait dû
présider à l’analyse de l’art du peintre. Or
cette étude, écrivait-il, n’était hélas que « la
basse continue (12) » de l’analyse des œuvres,
analyse du reste iconographique pour une
bonne part, dont la pertinence était précisé-
ment suspecte pour Lucien Febvre : elle aurait
dû d’abord se nourrir d’un substrat historique
avant de servir de caution à de nouvelles data-
tions et attributions. Cette réticence de
Lucien Febvre à l’égard de la méthode
employée par François-Georges Pariset,
Antoine Schnapper l’aurait sans doute
trouvée légitime : pour lui, l’iconographie ne
pouvait en aucun cas être un point de départ
à la compréhension de l’œuvre, même si elle
procédait de recherches érudites et parfois
éclairantes. Parce qu’elle est un discours fata-
lement extrinsèque aux conditions de création
de l’œuvre, parce qu’elle dérive souvent de
prémisses textuelles extérieures au champ
disciplinaire de la peinture, de la gravure ou
du dessin, la méthode iconographique ne rend
pas compte de la réalité de l’œuvre. A fortiori,
elle ne peut avoir l’ambition de donner de
certitude sur sa date ou son auteur.
Mais la méthode que préconisait Lucien
Febvre engendrait une autre difficulté selon
Antoine Schnapper. Considérer prioritaire-
ment les événements historiques contempo-
CHRISTINE GOUZI
152
(3) Émile Mâle (1862-1954) est connu pour ses livres sur l’ico-
nographie de l’art du Moyen Âge, il est aussi l’auteur de L’Art reli-
gieux de la fin du XVIesiècle, du XVIIesiècle et du XVIIIesiècle. Étude
sur l’iconographie après le Concile de Trente, Armand Colin, 1932
(2eéd. revue et corrigée, Armand Colin, 1951), qui était une réfé-
rence dans les années 1960.
(4) Le cas de Dimier (1865-1943) est très différent de celui
d’Émile Mâle car son approche de l’art n’est pas iconographique.
(5) Ce n’est pas le lieu ici de faire une analyse de l’évolution de
l’histoire de l’art en France, qui demanderait une étude à par
entière. Aussi, les noms que nous citons n’ont d’autre valeur que
de repères.
(6) Sur Henri Focillon (1881-1943), voir les actes du colloque
Henri Focillon (2004), éd. Kimé, 2007.
(7) Sur André Chastel (1912-1990) qui dirigea la thèse d’Antoine
Schnapper sur Jouvenet, voir le numéro spécial de la Revue de l’art,
hommage à André Chastel, n° 93, 1991.
(8) Aby Warburg (1866-1929) avait été l’un des fondateurs de la
méthode iconographique en histoire de l’art en Allemagne avant
et après la guerre de 1914-1918.
(9) Voir « Penser l’histoire de l’art », Annales, économies, socié-
tés, civilisations, t. 5, 1950, n° 1, p. 134-136.
(10) Lucien Febvre, « Résurrection d’un peintre : à propos de
Georges de La Tour », Annales, économies, sociétés, civilisations, t. 5,
1950, n° 1, p. 129-134. Rééd. par Brigitte Mazon dans Lucien
Febvre. Vivre l’histoire, Robert Laffont/Armand Colin, 2009, p. 260-
265.
(11) Ibid., p. 263.
(12) Ibid., p. 265.