La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999198
DOSSIER THÉMATIQUE
ischémie mésentérique aiguë (IMA) peut se définir
comme l’ensemble des manifestations pathologiques
digestives créées par un déséquilibre brutal entre les
besoins métaboliques des différentes parties du tube digestif et
les apports sanguins (1).
L’IMA est rare, constituant 1 à 2 % de toutes les affections gastro-
intestinales et 1 % des admissions hospitalières. Son incidence a
augmenté au cours des trente dernières années, ce qui semble lié
à l’augmentation du nombre de patients âgés pris en charge par
les structures hospitalières (2).
Il s’agit d’une affection dont la mortalité varie selon les équipes
entre 40 et 100 % des patients. Toutefois, une nette tendance à
l’amélioration de ces résultats peut être notée dans les publica-
tions récentes (2).
Le tableau clinique et les différentes stratégies médico-chirurgi-
cales qui constituent le traitement de l’ischémie mésentérique
aiguë ne peuvent être envisagés qu’en ayant une bonne connais-
sance de la physiopathologie de l’affection et des différentes étio-
logies responsables.
PHYSIOPATHOLOGIE
Anatomiquement, la vascularisation artérielle du tube digestif est
assurée par trois axes : le tronc cœliaque, l’artère mésentérique
supérieure et l’artère mésentérique inférieure. Ces trois axes sont
anastomosés entre eux, mais l’importance de ces anastomoses est
variable tant chez le sujet sain qu’en présence de certaines patho-
logies (athérome). Pour ce qui est du drainage veineux, l’ensemble
du tube digestif alimente le système porte et, en l’absence de phé-
nomènes pathologiques, les anastomoses entre le système porte
et le système veineux central sont minimes, voire inexistantes (3).
Au repos, le débit sanguin du tube digestif correspond à 20 % du
débit cardiaque et peut atteindre 35 % dans la période postpran-
diale. D’une manière tout à fait remarquable, 70 % de ce débit
est destiné à l’irrigation de la muqueuse digestive. Dans les condi-
tions physiologiques, le mécanisme d’autorégulation splanch-
nique autorise d’assez larges variations dans la pression de per-
fusion. Cependant, au-dessous d’un certain niveau de perfusion,
les phénomènes ischémiques vont débuter et seront directement
reliés à la durée du phénomène pathologique. Il n’est pas éton-
nant, compte tenu de l’importance de la distribution des apports
sanguins, que la muqueuse intestinale soit la première atteinte :
après trois heures, nous assistons à une desquamation, avec régé-
nération encore possible, alors qu’après six heures, il existe une
nécrose transmurale aboutissant à la perforation. Il est toutefois
important de noter que des phénomènes histologiques identiques
peuvent survenir dans des conditions ne résultant pas strictement
d’une obstruction ou d’une thrombose aiguë d’un axe vasculaire
important, mais de phénomènes généraux (hypersécrétion de caté-
cholamines, vasopressine, cytokines), comme cela peut se voir
dans certaines conditions pathologiques (chocs septiques, déshy-
dratation). Ce type d’IMA constitue la catégorie des ischémies
mésentériques non obstructives (3, 4).
ÉTIOLOGIE
L’étiologie des IMA peut être répartie (tableau) entre trois
grandes catégories selon la classification rapportée par Ottin-
ger (1) et adoptée par la majorité des auteurs. Une étude récente
a mis en évidence la persistance d’une fréquence relativement
élevée d’IMA par bas débit, entre 20 et 25 %, alors qu’il exis-
tait très nettement une augmentation de la fréquence des throm-
boses veineuses qui pouvait atteindre plus de 15 % des IMA.
Ischémie mésentérique aiguë
J.J. Duron*
L’incidence de l’ischémie mésentérique aiguë est en aug-
mentation.
La mortalité qui reste très importante est cependant en
diminution.
Les étiologies veineuses sont mieux connues, de meilleur
pronostic et relèvent d’une stratégie thérapeutique particulière.
L’ischémie mésentérique aiguë demande une prise en charge
médico-chirurgicale urgente avec une particulière attention
aux personnes âgées souvent touchées par ce type de patho-
logie.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
* Service de chirurgie digestive, GH Pitié-Salpêtrière, Paris.
L
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999 199
Cette augmentation de fréquence traduit probablement une
meilleure reconnaissance de cette étiologie qui a été progressi-
vement individualisée. Son pronostic est meilleur (19 % de mor-
talité) (2).
CLINIQUE
La première et probablement plus importante remarque est qu’il
n’existe pas de signe clinique pathognomonique d’une IMA.
Le seul signe clinique présentant une sensibilité très élevée, mais
une spécificité très faible, est l’existence d’une douleur qui est
retrouvée dans 99 à 100 % des malades (3). Cette douleur était
chez plus d’un malade sur deux diffuse au moment de l’admis-
sion. D’autres signes dits d’accompagnement avaient une fré-
quence variable (intolérance alimentaire 93 % des cas, arrêt des
gaz 56 % des cas, diarrhée 35 % des cas). Cependant, seule la
présence d’une hémorragie digestive, bien que peu fréquente
(14 % des cas), avait une valeur prédictive positive de l’existence
d’une IMA (5).
Quant aux signes d’examen, au moment de l’admission, si le
silence abdominal (80 % des cas), la défense (50 % des cas), la
respiration abdominale non visible (46 % des cas) étaient fré-
quents, seule la matité déclive des flancs, bien que peu fréquente
(16 % des cas), avait une valeur prédictive positive dans le dia-
gnostic d’IMA (5).
Ainsi, c’est la présence d’une douleur abdominale survenant dans
un contexte clinique particulier qui doit faire évoquer le diagnostic
d’IMA. Ce contexte peut être celui d’un ou d’une malade “vas-
culaire” (athérome connu, antécédent d’infarctus du myocarde
ou de malade présentant des troubles du rythme cardiaque). Dans
ces conditions, doit être évoquée une possibilité d’embolie ou de
thrombose mésentérique et immédiatement mise en œuvre une
prise en charge médico-chirurgicale du patient.
C’est l’existence d’une pathologie aiguë préalable (syndrome sep-
tique avec choc, traitement par la digitaline ou les vasopresseurs,
déshydratation aiguë) qui doit faire évoquer la possibilité d’une
ischémie mésentérique non occlusive.
Légèrement différente est la symptomatologie d’une ischémie
mésentérique par thrombose veineuse. Fréquemment, une symp-
tomatologie douloureuse identique a existé dans le passé et a spon-
tanément régressé (6). La douleur semble moins vive et se pro-
longeant depuis plus longtemps lorsque le malade consulte. Enfin,
le contexte clinique est parfois évocateur : connaissance d’un syn-
drome myéloprolifératif (maladie de Vaquez ou thrombocytémie
essentielle), d’un syndrome des antiphospholipides avec throm-
bose veineuse ou artérielle ancienne et anticoagulant circulant,
hémoglobinurie paroxystique nocturne, ou d’autres affections
pouvant être connues, telle la maladie de Behçet. On évoquera
aussi la possibilité d’une ischémie par thrombose veineuse lors
d’une septicémie (Bacteroïdes) ou de différents déficits primitifs
en inhibiteurs de la coagulation.
Enfin, quelle que soit l’étiologie, l’existence d’un collapsus est
un signe de gravité majeur avec une surmortalité significative
(85 % versus 59 %) (2).
EXPLORATION PARACLINIQUE
L’évocation de l’existence d’une IMA entraîne de facto la mise
en route d’un certain nombre d’examens complémentaires sur
lesquels nous ne nous étendrons pas. Un bilan biologique est bien
sûr indispensable, mais il n’apportera pas d’élément diagnostique
sauf dans les cas où il montrerait une importante déshydratation
ou encore lorsqu’un bilan hématologique et de coagulation ferait
évoquer très fortement une des étiologies précédemment citées.
Une exploration cardiologique est bien sûr indispensable. Elle ne
sera de première importance que si elle met en évidence des
troubles du rythme ou des lésions ischémiques récentes.
Quant aux examens complémentaires qui seront traités dans un
autre chapitre, nous voudrions seulement dire qu’ils sont actuel-
lement en pleine évolution et évaluation, et que les examens d’opa-
cification vasculaire, qui sont en fait moins fréquemment réalisés,
restent la référence et peuvent participer à la thérapeutique (4).
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
La simple suspicion d’une IMA impose d’urgence l’hospitalisa-
tion en milieu chirurgical, mais la prise en charge de tels malades
sera médico-radio-chirurgicale.
Il va de soi que les premières mesures mises en œuvre seront une
rééquilibration hydroélectrolytique, une réanimation, une res-
Tableau. Étiologies des IMA.
Occlusion mésentérique : 50 %
Embolie (50 %) : trouble du rythme, maladie cardiovasculaire
Thrombose (50 %) : Athérome
Bas débit (ischémie mésentérique non obstructive) : 25 %
- Défaillance cardiaque
- Hypovolémie : choc septique. Déshydratation
- Médicaments : digitaline, vasopresseurs
Divers : 25 %
Thromboses veineuses : > 10 %
- Sepsis
- Syndrome myéloprolifératif
- Cancer
- Contraception
- Maladie inflammatoire
- Trouble de la coagulation
- Autres : causes iatrogènes, traumatisme, œdème
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999200
DOSSIER THÉMATIQUE
tauration de la fonction cardio-respiratoire plus ou moins asso-
ciée à une antibiothérapie ou un traitement anticoagulant.
Dichotomiquement, la stratégie thérapeutique peut se résumer
comme suit :
Il existe des signes cliniques péritonéaux, ou bien les examens
complémentaires (radiologie, scanner) ont mis en évidence une
complication intra-abdominale (perforation ou nécrose) : l’inter-
vention s’impose alors.
Une large voie d’abord permettra une exploration complète de la
cavité abdominale. Celle-ci permettra le plus souvent de confirmer
le diagnostic et parfois l’étiologie de l’ischémie par la palpation de
tous les axes vasculaires et l’étude de la vascularisation périphérique.
Dans ces conditions gravissimes, un geste vasculaire, en dehors
d’une éventuelle embolectomie, ne sera pratiquement jamais indi-
qué. Le seul problème qui se pose est l’étendue de la résection
digestive nécessaire. Il est souvent difficile d’apprécier l’exten-
sion des lésions et des stomies temporaires seront souvent réali-
sées, lesquelles pourront déboucher sur une intervention de
“second-look” permettant – si les conditions sont favorables – un
rétablissement de la continuité.
Lorsqu’il n’existe pas de signes péritonéaux, que les signes géné-
raux ne sont pas gravissimes, et que les examens complémen-
taires n’ont pas mis en évidence de complication intra-abdomi-
nale, il peut être légitime d’avoir une attitude d’emblée moins
chirurgicale et plus radiomédicale. L’exploration vasculaire ayant
mis en évidence l’étiologie, en cas de lésion artérielle, l’apport
local d’une thérapeutique vasodilatatrice peut être efficace. En
cas d’ischémie veineuse affirmée par l’ensemble des examens
complémentaires, et dans les cas où les signes cliniques n’impo-
sent pas une intervention chirurgicale, un traitement anticoagu-
lant curatif pourra être suffisant.
Dans tous ces cas, une surveillance très attentive (clinique, bio-
logique et radiologique) permettra d’intervenir dès la constata-
tion de l’inefficacité du traitement et avant la survenue des com-
plications. Éventuellement, c’est au cours de ces interventions
que des gestes vasculaires pourront être réalisés, plus artériels
que veineux, puisqu’il a été rapporté que les gestes de désobs-
truction veineuse n’avaient pas fait preuve de leur efficacité (7).
CONCLUSION
L’IMA, dont la fréquence semble augmenter, reste malgré une
amélioration constante et récente du pronostic une affection gra-
vissime. L’amélioration des résultats résulte d’une prise en charge
médico-chirurgicale rapide et bien réglée, en particulier dans les
populations âgées dont le pourcentage est en constante augmen-
tation (8). Une certaine prévention peut être assurée par le trai-
tement des causes des IMA (troubles du rythme, coagulopathie
entraînant des thromboses veineuses, prise en charge efficace de
certaines maladies infectieuses).
Mots clés. Ischémie mésentérique aiguë – Étiologie – Traitement.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Ottinger L.W. Mesenteric ischaemia. N Engl J Med 1982 ; 307 : 535-7.
2. Duron J.J., Peyrard P., Boukhtouche S. et coll. Ischémie mésentérique aiguë :
ce qui a changé durant la décennie 1985-1995. Chirurgie 1998 ; 123 : 335-42.
3. Lacombe M. Accidents aigus du tube digestif. Infarctus mésentérique. Encycl
Med Chir (Elsevier, Paris). Gastroentérologie 1998 ; 9-047-A-10.
4. Bradbury A.W., Brittenden J., Mc Bride K. et coll. Mesenteric ischamia : a
multisciplinary approach. Br J Surg 1995 ; 82 : 1446-59.
5. Association universitaire de recherche en chirurgie (AURC) et Association de
recherche en chirurgie. Sémiologie des infarctus intestinaux. Étude prospective
multicentrique. Gastroenterol Clin Biol 1989 ; 13 : 260-4.
6. Abdu R.A., Zakhou B.J., Dallis D.J. Mesenteric venous thrombosis - 1911 to
1982. Surgery 1987 ; 101 : 383-8.
7. Clavien P.A., Muller C., Harder F. Treatment of mesenteric infarction. Br J
Surg 1987 ; 74 : 500-3.
8. Bufalari A., Fein M., Cao P. et coll. Surgical care in octogenarians. Br J Surg
1996 ; 83 : 1783-7.
L’Entocort® a été mis
à la disposition des
médecins pour la
maladie de Crohn
iléo-colique droite
Le budésonide en
gélules de 3 mg
(Entocort®) a
obtenu son
AMM dans l’indica-
tion : traitement d’attaque
de la maladie de Crohn d’intensité
légère à modérée affectant l’iléon et
(ou) le côlon ascendant chez l’adulte.
La posologie est de 3 gélules en une
prise avant le petit déjeuner pendant
8 semaines. Une galénique originale
permet la libération du corticoïde dans
l’iléon terminal et le côlon droit. Les
taux de rémission de 52 à 60 % à
8 semaines et de 62 % à 16 semaines
sont semblables à ceux obtenus avec
une corticothérapie traditionnelle à
40 mg/jour et supérieurs à ceux obte-
nus avec l’acide 5 amino-salicylique. Les
effets indésirables sont moins fré-
quents qu’avec les corticoïdes clas-
siques, car le produit est presque tota-
lement métabolisé au cours du pre-
mier passage hépatique, avec une bio-
disponibilité faible voisine de 10 %.
L’Entocort®offre donc au thérapeute
une alternative supplémentaire pour
traiter les maladies de Crohn iléo-
coliques droites.
Lab’infos
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !