D O S S I E R T H É M A T I Q U E Ischémie mésentérique aiguë ● J.J. Duron* P O I N T S F O R T S PHYSIOPATHOLOGIE P O I N T S F O R T S Anatomiquement, la vascularisation artérielle du tube digestif est assurée par trois axes : le tronc cœliaque, l’artère mésentérique supérieure et l’artère mésentérique inférieure. Ces trois axes sont anastomosés entre eux, mais l’importance de ces anastomoses est variable tant chez le sujet sain qu’en présence de certaines pathologies (athérome). Pour ce qui est du drainage veineux, l’ensemble du tube digestif alimente le système porte et, en l’absence de phénomènes pathologiques, les anastomoses entre le système porte et le système veineux central sont minimes, voire inexistantes (3). Au repos, le débit sanguin du tube digestif correspond à 20 % du débit cardiaque et peut atteindre 35 % dans la période postprandiale. D’une manière tout à fait remarquable, 70 % de ce débit est destiné à l’irrigation de la muqueuse digestive. Dans les conditions physiologiques, le mécanisme d’autorégulation splanchnique autorise d’assez larges variations dans la pression de perfusion. Cependant, au-dessous d’un certain niveau de perfusion, les phénomènes ischémiques vont débuter et seront directement reliés à la durée du phénomène pathologique. Il n’est pas étonnant, compte tenu de l’importance de la distribution des apports sanguins, que la muqueuse intestinale soit la première atteinte : après trois heures, nous assistons à une desquamation, avec régénération encore possible, alors qu’après six heures, il existe une nécrose transmurale aboutissant à la perforation. Il est toutefois important de noter que des phénomènes histologiques identiques peuvent survenir dans des conditions ne résultant pas strictement d’une obstruction ou d’une thrombose aiguë d’un axe vasculaire important, mais de phénomènes généraux (hypersécrétion de catécholamines, vasopressine, cytokines), comme cela peut se voir dans certaines conditions pathologiques (chocs septiques, déshydratation). Ce type d’IMA constitue la catégorie des ischémies mésentériques non obstructives (3, 4). ■ L’incidence de l’ischémie mésentérique aiguë est en aug- mentation. ■ La mortalité qui reste très importante est cependant en diminution. ■ Les étiologies veineuses sont mieux connues, de meilleur pronostic et relèvent d’une stratégie thérapeutique particulière. ■ L’ischémie mésentérique aiguë demande une prise en charge médico-chirurgicale urgente avec une particulière attention aux personnes âgées souvent touchées par ce type de pathologie. L‘ ischémie mésentérique aiguë (IMA) peut se définir comme l’ensemble des manifestations pathologiques digestives créées par un déséquilibre brutal entre les besoins métaboliques des différentes parties du tube digestif et les apports sanguins (1). L’IMA est rare, constituant 1 à 2 % de toutes les affections gastrointestinales et 1 % des admissions hospitalières. Son incidence a augmenté au cours des trente dernières années, ce qui semble lié à l’augmentation du nombre de patients âgés pris en charge par les structures hospitalières (2). Il s’agit d’une affection dont la mortalité varie selon les équipes entre 40 et 100 % des patients. Toutefois, une nette tendance à l’amélioration de ces résultats peut être notée dans les publications récentes (2). Le tableau clinique et les différentes stratégies médico-chirurgicales qui constituent le traitement de l’ischémie mésentérique aiguë ne peuvent être envisagés qu’en ayant une bonne connaissance de la physiopathologie de l’affection et des différentes étiologies responsables. ÉTIOLOGIE * Service de chirurgie digestive, GH Pitié-Salpêtrière, Paris. L’étiologie des IMA peut être répartie (tableau) entre trois grandes catégories selon la classification rapportée par Ottinger (1) et adoptée par la majorité des auteurs. Une étude récente a mis en évidence la persistance d’une fréquence relativement élevée d’IMA par bas débit, entre 20 et 25 %, alors qu’il existait très nettement une augmentation de la fréquence des thromboses veineuses qui pouvait atteindre plus de 15 % des IMA. 198 La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999 Cette augmentation de fréquence traduit probablement une meilleure reconnaissance de cette étiologie qui a été progressivement individualisée. Son pronostic est meilleur (19 % de mortalité) (2). Tableau. Étiologies des IMA. Occlusion mésentérique : 50 % Embolie (50 %) : trouble du rythme, maladie cardiovasculaire Thrombose (50 %) : Athérome Bas débit (ischémie mésentérique non obstructive) : 25 % - Défaillance cardiaque - Hypovolémie : choc septique. Déshydratation - Médicaments : digitaline, vasopresseurs Divers : 25 % Thromboses veineuses : > 10 % - Sepsis - Syndrome myéloprolifératif - Cancer - Contraception - Maladie inflammatoire - Trouble de la coagulation - Autres : causes iatrogènes, traumatisme, œdème culaire” (athérome connu, antécédent d’infarctus du myocarde ou de malade présentant des troubles du rythme cardiaque). Dans ces conditions, doit être évoquée une possibilité d’embolie ou de thrombose mésentérique et immédiatement mise en œuvre une prise en charge médico-chirurgicale du patient. C’est l’existence d’une pathologie aiguë préalable (syndrome septique avec choc, traitement par la digitaline ou les vasopresseurs, déshydratation aiguë) qui doit faire évoquer la possibilité d’une ischémie mésentérique non occlusive. Légèrement différente est la symptomatologie d’une ischémie mésentérique par thrombose veineuse. Fréquemment, une symptomatologie douloureuse identique a existé dans le passé et a spontanément régressé (6). La douleur semble moins vive et se prolongeant depuis plus longtemps lorsque le malade consulte. Enfin, le contexte clinique est parfois évocateur : connaissance d’un syndrome myéloprolifératif (maladie de Vaquez ou thrombocytémie essentielle), d’un syndrome des antiphospholipides avec thrombose veineuse ou artérielle ancienne et anticoagulant circulant, hémoglobinurie paroxystique nocturne, ou d’autres affections pouvant être connues, telle la maladie de Behçet. On évoquera aussi la possibilité d’une ischémie par thrombose veineuse lors d’une septicémie (Bacteroïdes) ou de différents déficits primitifs en inhibiteurs de la coagulation. Enfin, quelle que soit l’étiologie, l’existence d’un collapsus est un signe de gravité majeur avec une surmortalité significative (85 % versus 59 %) (2). EXPLORATION PARACLINIQUE CLINIQUE La première et probablement plus importante remarque est qu’il n’existe pas de signe clinique pathognomonique d’une IMA. Le seul signe clinique présentant une sensibilité très élevée, mais une spécificité très faible, est l’existence d’une douleur qui est retrouvée dans 99 à 100 % des malades (3). Cette douleur était chez plus d’un malade sur deux diffuse au moment de l’admission. D’autres signes dits d’accompagnement avaient une fréquence variable (intolérance alimentaire 93 % des cas, arrêt des gaz 56 % des cas, diarrhée 35 % des cas). Cependant, seule la présence d’une hémorragie digestive, bien que peu fréquente (14 % des cas), avait une valeur prédictive positive de l’existence d’une IMA (5). Quant aux signes d’examen, au moment de l’admission, si le silence abdominal (80 % des cas), la défense (50 % des cas), la respiration abdominale non visible (46 % des cas) étaient fréquents, seule la matité déclive des flancs, bien que peu fréquente (16 % des cas), avait une valeur prédictive positive dans le diagnostic d’IMA (5). Ainsi, c’est la présence d’une douleur abdominale survenant dans un contexte clinique particulier qui doit faire évoquer le diagnostic d’IMA. Ce contexte peut être celui d’un ou d’une malade “vasLa Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999 L’évocation de l’existence d’une IMA entraîne de facto la mise en route d’un certain nombre d’examens complémentaires sur lesquels nous ne nous étendrons pas. Un bilan biologique est bien sûr indispensable, mais il n’apportera pas d’élément diagnostique sauf dans les cas où il montrerait une importante déshydratation ou encore lorsqu’un bilan hématologique et de coagulation ferait évoquer très fortement une des étiologies précédemment citées. Une exploration cardiologique est bien sûr indispensable. Elle ne sera de première importance que si elle met en évidence des troubles du rythme ou des lésions ischémiques récentes. Quant aux examens complémentaires qui seront traités dans un autre chapitre, nous voudrions seulement dire qu’ils sont actuellement en pleine évolution et évaluation, et que les examens d’opacification vasculaire, qui sont en fait moins fréquemment réalisés, restent la référence et peuvent participer à la thérapeutique (4). STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE La simple suspicion d’une IMA impose d’urgence l’hospitalisation en milieu chirurgical, mais la prise en charge de tels malades sera médico-radio-chirurgicale. Il va de soi que les premières mesures mises en œuvre seront une rééquilibration hydroélectrolytique, une réanimation, une res199 D O S S I E R T tauration de la fonction cardio-respiratoire plus ou moins associée à une antibiothérapie ou un traitement anticoagulant. Dichotomiquement, la stratégie thérapeutique peut se résumer comme suit : • Il existe des signes cliniques péritonéaux, ou bien les examens complémentaires (radiologie, scanner) ont mis en évidence une complication intra-abdominale (perforation ou nécrose) : l’intervention s’impose alors. Une large voie d’abord permettra une exploration complète de la cavité abdominale. Celle-ci permettra le plus souvent de confirmer le diagnostic et parfois l’étiologie de l’ischémie par la palpation de tous les axes vasculaires et l’étude de la vascularisation périphérique. Dans ces conditions gravissimes, un geste vasculaire, en dehors d’une éventuelle embolectomie, ne sera pratiquement jamais indiqué. Le seul problème qui se pose est l’étendue de la résection digestive nécessaire. Il est souvent difficile d’apprécier l’extension des lésions et des stomies temporaires seront souvent réalisées, lesquelles pourront déboucher sur une intervention de “second-look” permettant – si les conditions sont favorables – un rétablissement de la continuité. • Lorsqu’il n’existe pas de signes péritonéaux, que les signes généraux ne sont pas gravissimes, et que les examens complémentaires n’ont pas mis en évidence de complication intra-abdominale, il peut être légitime d’avoir une attitude d’emblée moins chirurgicale et plus radiomédicale. L’exploration vasculaire ayant mis en évidence l’étiologie, en cas de lésion artérielle, l’apport local d’une thérapeutique vasodilatatrice peut être efficace. En cas d’ischémie veineuse affirmée par l’ensemble des examens complémentaires, et dans les cas où les signes cliniques n’imposent pas une intervention chirurgicale, un traitement anticoagulant curatif pourra être suffisant. Dans tous ces cas, une surveillance très attentive (clinique, biologique et radiologique) permettra d’intervenir dès la constatation de l’inefficacité du traitement et avant la survenue des complications. Éventuellement, c’est au cours de ces interventions 200 É M A T I Q U E que des gestes vasculaires pourront être réalisés, plus artériels que veineux, puisqu’il a été rapporté que les gestes de désobstruction veineuse n’avaient pas fait preuve de leur efficacité (7). CONCLUSION L’IMA, dont la fréquence semble augmenter, reste malgré une amélioration constante et récente du pronostic une affection gravissime. L’amélioration des résultats résulte d’une prise en charge médico-chirurgicale rapide et bien réglée, en particulier dans les populations âgées dont le pourcentage est en constante augmentation (8). Une certaine prévention peut être assurée par le traitement des causes des IMA (troubles du rythme, coagulopathie entraînant des thromboses veineuses, prise en charge efficace de certaines maladies infectieuses). ■ Mots clés. Ischémie mésentérique aiguë – Étiologie – Traitement. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Ottinger L.W. Mesenteric ischaemia. N Engl J Med 1982 ; 307 : 535-7. 2. Duron J.J., Peyrard P., Boukhtouche S. et coll. Ischémie mésentérique aiguë : ce qui a changé durant la décennie 1985-1995. Chirurgie 1998 ; 123 : 335-42. 3. Lacombe M. Accidents aigus du tube digestif. Infarctus mésentérique. Encycl Med Chir (Elsevier, Paris). Gastroentérologie 1998 ; 9-047-A-10. 4. Bradbury A.W., Brittenden J., Mc Bride K. et coll. Mesenteric ischamia : a multisciplinary approach. Br J Surg 1995 ; 82 : 1446-59. 5. Association universitaire de recherche en chirurgie (AURC) et Association de recherche en chirurgie. Sémiologie des infarctus intestinaux. Étude prospective multicentrique. Gastroenterol Clin Biol 1989 ; 13 : 260-4. 6. Abdu R.A., Zakhou B.J., Dallis D.J. Mesenteric venous thrombosis - 1911 to 1982. Surgery 1987 ; 101 : 383-8. 7. Clavien P.A., Muller C., Harder F. Treatment of mesenteric infarction. Br J Surg 1987 ; 74 : 500-3. 8. Bufalari A., Fein M., Cao P. et coll. Surgical care in octogenarians. Br J Surg 1996 ; 83 : 1783-7. Le budésonide en gélules de 3 mg (Entocort®) a obtenu son AMM dans l’indication : traitement d’attaque de la maladie de Crohn d’intensité légère à modérée affectant l’iléon et (ou) le côlon ascendant chez l’adulte. La posologie est de 3 gélules en une prise avant le petit déjeuner pendant 8 semaines. Une galénique originale permet la libération du corticoïde dans l’iléon terminal et le côlon droit. Les taux de rémission de 52 à 60 % à Lab’infos L’Entocort® a été mis à la disposition des médecins pour la maladie de Crohn iléo-colique droite H 8 semaines et de 62 % à 16 semaines sont semblables à ceux obtenus avec une corticothérapie traditionnelle à 40 mg/jour et supérieurs à ceux obtenus avec l’acide 5 amino-salicylique. Les effets indésirables sont moins fréquents qu’avec les corticoïdes classiques, car le produit est presque totalement métabolisé au cours du premier passage hépatique, avec une biodisponibilité faible voisine de 10 %. L’Entocort® offre donc au thérapeute une alternative supplémentaire pour traiter les maladies de Crohn iléocoliques droites. La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999