La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - vol. II - octobre 1999 207
pression par ligament arqué) sont incapables d’entraîner une
ischémie chronique du grêle. Le diagnostic parfois évoqué d’is-
chémie gastrique n’a pu être démontré à ce jour.
Les lésions athéroscléreuses touchent essentiellement les ostia
des vaisseaux viscéraux, souvent en continuité avec l’athéro-
sclérose aortique. Les occlusions touchent typiquement les pre-
miers centimètres des troncs artériels, ce qui permet alors un déve-
loppement de la circulation collatérale. Ainsi, des sténoses
significatives de deux ou même des trois vaisseaux mésentériques
peuvent être parfaitement tolérées et rester asymptomatiques.
Cela explique également qu’au moins deux des trois vaisseaux
doivent, en règle générale, être le siège de lésions sévères pour
entraîner une éventuelle symptomatologie : règle de Mikkelsen
(3). Il est vraisemblable qu’à jeun, les patients avec une ischémie
chronique mésentérique ont un flux sanguin mésentérique suffi-
sant pour assurer la viabilité de l’intestin. C’est l’augmentation
du débit mésentérique requis par la phase postprandiale qui dépas-
serait les capacités compensatrices de la circulation collatérale ;
la douleur serait la traduction de la libération de substances humo-
rales encore non identifiées.
FRÉQUENCE DES LÉSIONS ANATOMIQUES
Des sténoses sur le système artériel mésentérique peuvent être
notées de façon incidente lors d’un bilan effectué pour une autre
pathologie. Cette occurrence ne signifie pas obligatoirement
ischémie mésentérique. Si la prévalence d’une atteinte artérielle
mésentérique asymptomatique dans la population hospitalière se
situe entre 20 à 70 % des cas, seule une minorité de patients (0,5
à 3,5 % d’entre eux) présente des lésions significatives. Le plus
souvent, ces lésions siègent d’ailleurs sur le territoire de l’AMI.
Une telle lésion artérielle constitue pourtant un facteur de risque
d’infarctus viscéral, tout particulièrement lors d’une intervention
abdominale. De même, une chirurgie reconstructrice mésenté-
rique apparaît justifiée chez des patients asymptomatiques,
lorsque le bilan a mis en évidence une atteinte de deux ou trois
vaisseaux digestifs incluant l’AMS.
CIRCONSTANCES DU DIAGNOSTIC
L’ischémie chronique mésentérique reste une affection rare. Elle
survient chez les patients de 50 à 70 ans, avec une nette prépondé-
rance féminine. La douleur abdominale constitue le symptôme le
plus fréquent. Il s’agit d’une douleur postprandiale à type de crampe
ou de colique, de siège épigastrique, survenant précocément après
le repas (dans les 15 à 30 minutes), douleur qui se prolonge durant
deux à trois heures et qui disparaît progressivement. Assez rapide-
ment, les patients réduisent la quantité de nourriture ingérée, et une
véritable crainte vis-à-vis de l’alimentation s’installe (sitiophobie).
La réduction alimentaire entraîne un amaigrissement souvent impor-
tant qui peut, dans certains cas, atteindre ou même dépasser dix
kilos, en l’espace de quelques mois. Une stéatorrhée a pu être notée ;
ce symptôme reste cependant exceptionnel.
L’examen physique constate l’amaigrissement ainsi que de fré-
quents signes d’athérosclérose généralisée. Ceux-ci se manifes-
tent par des signes d’artériopathie des membres inférieurs. Il peut
s’y ajouter d’autres localisations de la maladie dégénérative :
coronarienne, cérébro-encéphalique. L’auscultation d’un souffle
systolique épigastrique, quoique non spécifique, peut suggérer
une sténose artérielle viscérale. L’association symptomatique peut
constituer la triade classique : douleurs postprandiales précoces,
amaigrissement, souffle systolique épigastrique. Lorsque cette
triade est présente, le diagnostic d’ischémie chronique mésenté-
rique doit être évoqué. Par ordre de fréquence cependant, une
néoplasie digestive ou une autre pathologie gastrointestinale est
le plus souvent suspectée. En règle générale, cette triade symp-
tomatique est incomplète ou même absente. La reconnaissance
de l’ischémie chronique mésentérique repose alors sur une forte
suspicion clinique. Cette ischémie doit être envisagée chez tout
patient qui présente un quelconque symptôme abdominal lorsque
les autres causes classiques n’ont pu être authentifiées. Tous les
examens doivent être mis en œuvre pour aboutir au diagnostic.
L’écho-doppler est un excellent examen de dépistage pour déter-
miner la présence ou l’absence de sténose proximale du tronc
cœliaque et de l’AMS. Chez le sujet à jeun, le signal vélocimé-
trique normal typique de l’AMS est triphasique. Un pic de vélo-
cimétrie systolique supérieur à 225 cm/seconde dans l’AMS est
fortement pathologique et traduit une sténose significative. La
qualité du recueil et les résultats obtenus restent cependant très
influencés par les conditions anatomiques (sujet corpulent, gaz
intestinaux, état de jeûne ou non, qualité et quantité du repas...).
Dans les meilleurs cas, les résultats à ce jour ne sont fiables qu’à
80 %. Dans la mesure où il n’existe que peu de faux négatifs, le
doppler a un rôle certain pour éliminer une ischémie chronique
mésentérique chez un patient suspect de cette affection. Cepen-
dant, une artériographie ne doit jamais être éliminée lorsque la
suspicion clinique est suffisante, alors même que l’écho-doppler
s’est avéré normal.
En présence d’une sténose ostiale serrée, l’échographie bidi-
mensionnelle est positive dans plus de 50 % des cas. L’apport de
l’échographie tridimensionnelle pourrait être déterminante dans
les années à venir.
L’angiographie sélective biplan reste à l’heure présente l’examen
de référence. La découverte de sténose ou d’occlusion est une
condition nécessaire mais non suffisante pour affirmer l’isché-
mie chronique : les images radiologiques doivent être mises en
relation avec les symptômes avant toute décision chirurgicale.
L’artériographie biplan (4) comporte une injection globale et des
clichés sélectifs du TC, de l’AMS et de l’AMI. Elle permet de
déterminer l’extension des lésions artérielles, le développement
de la circulation collatérale. Généralement, il existe des sténoses
significatives ou des oblitérations sur au moins deux des troncs
artériels digestifs (figure 1). Pourtant, dans un certain nombre de
cas, le diagnostic d’ischémie chronique mésentérique n’est réel-
lement fait que rétrospectivement lorsque les symptômes dispa-
raissent après chirurgie restauratrice.