De l’incommunicabilité
des êtres
Des travaux déjà anciens
ont démontré que des
auditeurs sont plus aptes
à comprendre les impli-
cations et à saisir les
références énoncées par
l’orateur lorsque, au tra-
vers d’un échange inter-
actif avec ce dernier, ils
peuvent reformuler cer-
tains éléments du dis-
cours avec des tournures
de phrases et des termes
différents pour s’assurer
de leur compréhension.
M. Schober et ses colla-
borateurs ont démontré
expérimentalement que
des auditeurs à qui on permettait de
contrôler leur compréhension du sujet
par des questions utilisaient en fait rare-
ment cette possibilité parce qu’ils ne se
rendaient généralement pas compte que
leur interprétation pouvait différer du
sens donné par l’orateur. Les chercheurs
l’ont vérifié par des expériences au
cours desquelles les expérimentateurs
posaient des questions très ordinaires
mais ambiguës du type : “Last week, did
you do any work for pay.L’ambiguïté
de la phrase anglaise réside dans le fait
que le sens peut aussi bien être : “La
semaine dernière, avez-vous réalisé un
travail quelconque pour un salaire ?”
que : “La semaine dernière, avez-vous
réalisé un travail quelconque pour
payer ?” Les auditeurs devaient ensuite
répondre à des questions concernant des
scénarios fictifs incluant les informa-
tions fournies par l’orateur. Il s’est avéré
que, même lorsqu’ils en avaient la pos-
sibilité, ils n’ont pas interrogé l’orateur
pour clarifier le sens de certaines par-
ties du discours comme “work for pay”
(travail pour un salaire ou travail pour
payer). Il s’ensuivait que leurs réponses
aux questions de contrôle étaient incor-
rectes par rapport au sens donné par
l’orateur. La compréhension était amé-
liorée lorsque les expérimentateurs four-
nissaient des éclaircissements en
considérant que les sujets pouvaient
avoir mal compris. Ainsi, la discussion
améliore la compréhension, mais seule-
ment dans la mesure où tant celui qui
parle que celui qui écoute en reconnaît
la nécessité.
Des sens, des capacités
verbales
et de l’hédonisme
Des chercheurs des uni-
versités de Dijon et de
Dallas (!) ont comparé la
capacité de novices et d’ex-
perts à discriminer, classer,
décrire et reconnaître
28 vins rouges provenant
de 7 régions vinicoles
françaises (Valentin et al.).
Leurs résultats montrent
que, alors que les deux
groupes de sujets étaient
capables de distinguer les
vins, seuls les experts
étaient capables d’en géné-
rer des descriptions per-
mettant aux novices de les
reconnaître. La supériorité des experts pour-
rait provenir, d’une part, du maniement d’un
vocabulaire plus analytique pour décrire les
vins et, d’autre part, de leur représentation
perceptive plus aiguisée des propriétés
olfactives des vins français. Suite à des tests
de classement, les auteurs ont également
constaté que les experts, contrairement aux
novices, classaient les vins par régions. Ces
résultats contredisent des travaux antérieurs
et suggèrent que les différences entre
experts et novices ne sont pas limitées aux
capacités verbales.
Une autre étude s’intéressant à la façon dont
sont perçues les fragrances naturelles et arti-
ficielles révèle que nos capacités à discri-
miner les deux sortes d’odeurs sont en fait
faibles. En revanche, une odeur supposée
naturelle sera perçue de manière plus posi-
tive qu’une odeur supposée synthétique. Les
croyances sur la composition d’une odeur
semblent être le facteur essentiel dans l’é-
valuation hédonique d’un parfum (R. Herz).
congrès congrès
Écho des congrès
Compte rendu de la 41eRencontre
de la Psychonomic Society
E. Bacon*
La Psychonomic Society a été créée en 1959 à Chicago
avec pour objectif de promouvoir la communication des
résultats récents de la recherche scientifique en psychologie
et dans les domaines apparentés. Pour ce faire, elle orga-
nise un congrès annuel fin novembre et édite six revues de
réputation internationale spécialisées dans le domaine de
la psychologie expérimentale. Cette année, c’est la
Nouvelle-Orléans qui, quelques semaines après avoir
accueilli le congrès de la Société internationale des neuro-
sciences, a hébergé la 41eRencontre de la Psychonomic
Society. Examinons la manière dont la psychologie expéri-
mentale explore certains comportements ou observations
qui ont leur importance en psychiatrie ou dans la vie
quotidienne.
80
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 3, mars 2001
* Inserm, Strasbourg.
Des préjugés sociaux, partis pris
et prises de décision
Banaji et Geenwald ont démontré l’exis-
tence d’un biais lié au sexe lorsque des sujets
ont à exprimer un jugement de célébrité sur
des personnages donnés. Ils ont constaté
que, pour des personnages ayant déjà été
présentés une fois aux sujets, les noms mas-
culins étaient considérés comme plus
célèbres que les noms féminins. Il existerait
donc une différence dans les critères d’éva-
luation, les hommes bénéficiant de critères
plus larges que les femmes pour l’estima-
tion de leur célébrité, observation confirmée
par la suite par A. Buchner et ses collabo-
rateurs.
Dans un autre ordre d’idées, D. Poole et
S. Lindsay rapportent les résultats d’une série
d’expériences au cours desquelles de jeunes
enfants participaient à des interactions en tête
à tête avec un homme dénommé
“Mr Science”. Après quoi, les enfants rece-
vaient de la part de leurs parents des infor-
mations erronées concernant les expériences
de Mr Science. Interrogés par la suite, les
enfants donnaient souvent des réponses
erronées. Lors d’entretiens libres, les enfants
de 3 à 8 ans rapportaient souvent comme véri-
diques des événements qui leur avaient été
suggérés, incluant des souvenirs d’attouche-
ments corporels ambigus. Un questionne-
ment plus dirigé amenait encore une aug-
mentation de tels faux souvenirs, en
particulier chez les enfants les plus jeunes.
Des instructions contrôlant la source de l’in-
formation permettaient de réduire les faux
souvenirs chez les enfants les plus âgés, mais
pas chez les plus jeunes. L’instauration d’une
procédure d’entraînement à contrôler la
source des informations, lorsqu’elle est mise
en place au début de l’entretien, permet de
réduire les témoignages erronés des enfants
les plus âgés, en réponse à un entretien libre
ou à des questions directes. Les enfants plus
jeunes, quant à eux, ne retirent pas de béné-
fice de cet entraînement. Ce type d’influence
doit donc être pris en compte pour distinguer
la remémoration réelle d’agressions physiques
dans l’enfance de possibles faux souvenirs.
De l’interprétation des expressions
La reconnaissance de l’expression du
dégoût semble médiée par deux substrats
neuroanatomiques distincts : en effet, cer-
tains travaux démontrent que la maladie
de Huntington peut entraîner une pertur-
bation disproportionnée de la capacité à
reconnaître l’expression faciale du dégoût.
Par ailleurs, des études de résonance
magnétique nucléaire montrent que les
expressions faciales du dégoût mettent en
œuvre des zones cérébrales (l’insula et le
putamen) différentes de celles activées par
les expressions faciales d’autres émotions.
Toutefois, l’interprétation de ces études ne
sera pas la même selon que l’on considé-
rera qu’elles ont permis d’identifier un
système spécialisé de mise en œuvre des
signaux faciaux du dégoût, ou plutôt un
système supramodal qui serait impliqué
dans l’analyse des signaux de cette émo-
tion à partir de toutes les modalités sen-
sorielles. Des éléments de réponse sont
fournis par A. Calder et ses collaborateurs,
qui se sont intéressés au cas de NK, un
jeune homme de 25 ans souffrant d’une
atteinte de l’insula gauche et du ganglion
de la base gauche. NK montrait une per-
turbation des capacités à reconnaître tant
les signaux faciaux que vocaux du dégoût
et paraissait avoir une estimation person-
nelle réduite du dégoût. Les déficits de NK
suggèrent l’implication d’un système
supramodal permettant la reconnaissance
de l’expression du dégoût à partir de
modalités multiples.
D’autres travaux démontrent que les
hommes attribuent de façon erronée un
contenu sexuel à la manifestation d’un
simple comportement amical de la part des
femmes. On suppose que cette fausse
interprétation des expressions fait partie
de la constellation de facteurs qui pour-
raient entraîner un certain nombre de pro-
blèmes, le plus grave étant le viol.
R. Mehiel et ses collaborateurs ont quant
à eux cherché à mettre en évidence une
éventuelle différence liée au sexe dans les
attributions d’intentions à autrui concer-
nant d’autres types de motivation. Ils ont
ainsi pu constater que les sujets masculins
avaient plus tendance que les femmes à
considérer les autres comme affamés,
cependant qu’aucune différence liée au
sexe n’était observée dans l’attribution de
l’expression de la crainte.
Mémoires des événements agréables
et traumatiques
Pour savoir si les expériences traumatiques
sont rappelées de manière plus ou moins
vive ou cohérente par rapport à d’autres
événements, les Drs Hyman et Byrne ont
comparé l’évaluation par les individus de
leurs souvenirs concernant des expé-
riences traumatisantes ou des expériences
agréables. Ils se sont ainsi intéressés aux
souvenirs de lycéens ayant vécu une expé-
rience traumatisante et à des enfants sui-
vant une psychothérapie pour des pro-
blèmes reliés à un traumatisme. Dans tous
les cas, les expériences traumatiques sont
rappelées de manière moins vivaces que
les expériences agréables.
Déficits de l’initiation de l’action,
de la mémoire et de la métamémoire
dans la schizophrénie
La difficulté à initier la pensée et le com-
portement est une caractéristique fonda-
mentale de la schizophrénie. Ces symptômes
sont habituellement difficiles à traiter et
contribuent à la mauvaise insertion sociale
et professionnelle des patients. S. Caissie et
ses collaborateurs ont cherché à mettre en
évidence le rôle des instructions explicites
dans l’initiation d’une tâche simple. Les
sujets avaient à presser sur l’un ou l’autre de
deux boutons pour signaler la présence ou
l’absence d’une lettre donnée. L’hypothèse
était que les individus schizophrènes seraient
perturbés dans la situation pour laquelle les
liens entre le stimulus et la réponse n’ont pas
été clairement définis. C’est effectivement
ce qui s’est vérifié : les patients semblaient
avoir des difficultés particulières pour initier
un comportement donné en l’absence d’ins-
tructions explicites.
81
congrès congrès
Écho des congrès
Des travaux récents suggèrent par
ailleurs que la schizophrénie est une
pathologie affectant les états de
conscience. Nous nous sommes inté-
ressés à la mémoire et aux capacités
introspectives des patients schizophrènes
par rapport à leur propre mémoire, en
d’autres termes à leur métamémoire.
Nous avons observé ainsi que la
mémoire sémantique (la mémoire de
notre culture générale, nos règles, nos
concepts) des patients schizophrènes
était altérée. En ce qui concerne la capa-
cité des patients à évaluer leur propre
savoir, nous avons pu constater que les
patients schizophrènes jugeaient plus sou-
vent que les sujets sains ne pas connaître
une information, alors qu’en fait un test
de reconnaissance ultérieur, au cours
duquel on leur proposait la bonne réponse
parmi un choix de cinq réponses possibles,
permettait de voir qu’ils connaissaient la
réponse à la question. Ce type de com-
portement cognitif peut jouer un rôle non
négligeable dans la vie quotidienne des
patients qui, du fait de ce sentiment de ne
pas savoir, passeront moins de temps à
rechercher une information en mémoire,
avec pour résultat une performance de
mémoire moindre (Bacon et Danion).
Depuis leur début, les congrès de la Psy-
chonomic Society sont plutôt spartiates,
l’accent étant mis principalement sur la
communication scientifique, avec simpli-
cité et efficacité, sans aucune exposition
commerciale, peu de babillage et d’agita-
tion, ce qui n’empêche pas la convivialité
et la jubilation intellectuelle. Il est sans
doute remarquable que la sobriété, la sim-
plicité et l’élégance de fonctionnement de
la Psychonomic Society aient été pré-
servées aussi longtemps.
congrès congrès
Écho des congrès
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