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PHYSIQUE
HYSIQUE
ET
ET
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MÉTAPHYSIQUE
ÉTAPHYSIQUE
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PIERRE
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DUHEM
UHEM
Lars Sempiter
Introduction
Pierre Duhem
Pierre Duhem est un savant français le 10 juin 1861 à Paris et mort le
14 septembre 1916 dans sa résidence à Cabrespine. Nous sommes heureux,
par conséquent, de rédiger notre mémoire à l’occasion du centenaire de sa
mort. Physicien de profession, il enseigna d’abord à Lille de 1887 à 1893,
puis un an à Reims et finalement à Bordeaux, à partir de 1894, il y finit
sa carrière. Pourtant, si la physique théorique fut son domaine de prédilec-
tion, Duhem avait un intérêt mathématique prononcé et il contribua égale-
ment à la chimie. Le plus grand succès qu’il faudrait lui attribuer, de son
point de vue assurément, est d’avoir fondé et assuré l’essor de l’éner-
tique ‒ théorie générale visant à unifier la physique ‒, bien que la physique
contemporaine n’en ait retenu qu’un mince héritage.
Il profite dans le peu d’heures de loisir qu’il s’accorde pour exercer son
talent de dessinateur, et le concilie habilement, en amateur de pérégrina-
tions dans la nature, avec ses promenades sauvages dont il tire quelques
beaux dessins. En outre, Duhem est un fervent catholique, né au sein d’une
famille traditionnelle, il n’a jamais caché ses convictions monarchistes, et
sa fille le dira proche du milieu de l’Action française. Un tel caractère
n’arrangea pas sa confrontation scientifique avec Marcellin Berthelot, la-
quelle débuta à l’occasion de sa première thèse de 1886 portant sur le po-
tentiel thermodynamique ; celle-ci réfutait indirectement le principe du tra-
vail maximum de ce dernier, ce pourquoi elle fut refusée. En effet, Berthe-
lot, scientiste et républicain ardent, qui fut un temps ministre de l’Instruc-
tion publique (1886-1887), fit barrage à la carrière de Duhem, malgré ses
qualités scientifiques et sa renommée internationale, en s’opposant notam-
ment à ce qu’il obtienne une chaire à Paris.
Mais Duhem est aussi, et surtout en ce qui nous concerne, un philosophe
et historien des sciences s’inscrivant dans la période du début du XXᵉ
siècle ; et tel est le profil qui a le plus attiré les commentateurs. L’ouvrage
qu’il publia en 1906 La Théorie physique : Son objet et sa structure est
considéré désormais comme un classique de la philosophie de la physique,
qui influença notablement l’épistémologie française.
La richesse de notre auteur a néanmoins été la cause d’interprétations di-
verses et même contradictoires à l’endroit de sa personnalité et de sa pen-
sée1. Il nous faudra donc aborder l’œuvre de Duhem en prenant garde à sa
complexité, et ne pas suivre un chemin qui éluderait trompeusement les
contrastes variés et inévitables qui s’y repéreraient.
Remarques liminaires
Au cours de ce mémoire, nous ferons abondamment usage de deux
termes : ceux de réalisme et de phénoménalisme. Il nous paraît nécessaire
de les définir brièvement. Pour ce faire, nous nous appuyons particulière-
ment sur le livre de Jean-François Stoffel, Le phénoménalisme probléma-
1. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, Bruxelles, Académie
royale de Belgique, 2002, p. 17-18.
tique de Pierre Duhem2 qui est le principal ouvrage dans la littérature se-
condaire que nous avons consulté. Cela nous servira dans le même temps à
justifier l’emploi de ces mots.
Au sens général, nous dirons que le réalisme est la doctrine selon la-
quelle il est possible d’atteindre un certain degré de connaissance de la réa-
lité. Si Pierre Duhem n’emploie qu’assez peu le terme, en revanche, il l’as-
simile régulièrement à la prétention d’expliquer la réalité3. Toutefois, sans
prétendre parvenir à une explication, l’attitude qui vise à une meilleure
compréhension de la réalité, à en dégager une connaissance toujours plus
approchée, peut, elle aussi, être qualifiée de réaliste. Car dans ce cas, il y a
une analogie, quoique imparfaite, entre cette connaissance et ladite réalité ;
et ce qu’il y a d’analogue dans la première est véritable, parce qu’intime-
ment lié à la seconde, au réel. Établissons néanmoins une restriction : le
réalisme qui concerne notre auteur a trait à la portée de la science, précisé-
ment de la théorie physique. En ce sens, nous distinguerons au cours de
notre mémoire deux réalismes : l’un que nous qualifierons de scientifique
et méthodique, car le physicien en ce cas cherche délibérément à dévoiler
la réalité en construisant la théorie c’est le type de réalisme auquel s’op-
pose Duhem et qui nous intéressera particulièrement dans le premier cha-
pitre ‒, l’autre, que nous rattacherons à la métaphysique, qui est le réa-
lisme en général, mais dont la forme n’est pas évidente lorsqu’il s’applique
au champ de la physique théorique, ce qui fait l’ambiguïté de la position de
Duhem.
2. J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 23-27.
3. P. DUHEM, La Théorie physique : Son objet et sa structure (abrégé en TP), Paris, Chevalier &
Rivière éditeurs, 1906, chapitre I, section I, p. 5-8.
Le terme de phénoménalisme, dans le sens usuel que nous emploierons,
se comprend comme l’opposé du réalisme scientifique. En tant que -
thode, on pourrait le définir de telle manière :
Le fait de poser des hypothèses telles que les phénomènes obser-
vés en résulteraient, mais sans s’occuper de savoir si ces hypo-
thèses sont vraies ou fausses, ou même en les déclarant expressé-
ment fausses et en ne les prenant que comme un moyen com-
mode d’expression, de prévision ou de calcul4.
Bien sûr, pour que cette définition soit valable, nous l’appliquerons exclu-
sivement au domaine de la physique. Cela ne veut donc pas dire que le
phénoménalisme restreint l’esprit humain aux seuls phénomènes, ni qu’il
frappe de dédain la réalité ou la chose en soi ; mais il enseigne au physi-
cien qu’il est de son ressort d’appréhender les premiers, tandis que les se-
conds ne doivent pas gêner ses préoccupations théoriques.
Par la suite, nous essaierons de montrer qu’en un sens plus large, le
terme de phénoménalisme peut signifier la philosophie de la physique de
Pierre Duhem, c’est-à-dire que d’une telle conception peut se dérouler na-
turellement la doctrine générale de notre auteur.
Sujet détude
Notre objectif consiste dans l’analyse minutieuse des relations qu’entre-
tiennent la physique et la métaphysique dans l’œuvre de Duhem. Nous ten-
terons de répondre aux questions suivantes : Est-ce qu’il existe une articu-
lation, c’est-à-dire un réseau conceptuel pensé et étayé par l’auteur, reliant
4. A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, p. 947. D’après J.-F. STOF-
FEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem, p. 26.
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