Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du

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Le judaïsme a-t-il été inventé
à partir de la philosophie, du
christianisme et de l’islam ?
Editions Tizal Katal
[email protected]
‫בס"ד‬
Le judaïsme a-t-il été inventé à
partir de la philosophie, du
christianisme et de l’islam ?
‫ ִתזַל כַ ַטל ִא ְמ ָּר ִתי‬,‫ַי ֲערֹף כַ מָּ ָּטר לִ ְק ִחי‬
(‫ ב‬,‫)דברים לב‬
[email protected]
Tous droits, de traduction de reproduction ou
d’adaptation, réservés pour tous pays
© Tizal Katal, 2014
Dépôt effectué auprès de Copyright France
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
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Lettre de recommandation de
Rav Chlomo Aviner CheLi"Ta
Directeur de la Yechivah Ateret Yerouchalayim
A Bet-El le 19 Sivan 5774
Il y a lieu de louer fortement cet ouvrage du groupe d’étude Tizal
Katal, exhaustif sur les sources du judaïsme, qui comporte une
réfutation magistrale des avancements fallacieux comme quoi ses
sources sont le Christianisme et l’Islam, alors que chaque savant
honnête sait que c’est exactement le contraire.
Il est écrit sans superlatifs, sans écarts de langage, avec calme
rationnel, et démolit totalement ces thèses mensongères.
Et des ruines fumantes de l’imposture, jaillit la pureté de la foi juive
dans sa profondeur, sa simplicité, son humilité et son caractère
absolu.
Voilà longtemps que nous attendions cet ouvrage précieux, qui
assurément apportera bénédictions et foi aux âmes pures et nobles.
Avec considération,
Chlomo Aviner.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
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Résumé : Devant la contemplation de leur histoire, les juifs sont nécessairement conduits à
abandonner définitivement tout espoir de trouver grâce aux yeux des nations car cette
histoire n’inspire qu’une seule et unique conclusion qui est que le seul moyen de plaire aux
nations, pour les juifs, serait qu’ils acceptent eux-mêmes de faire disparaitre leur identité.
Or, nous observons actuellement l’émergence d’un courant de pensée juive qui milite de
façon très originale en faveur de cette cause d’éradication de l’identité juive. Ce courant se
base apparemment sur l’exégèse des textes classiques de notre tradition, mais ses méthodes
relèvent de la méthode négationniste, ses formulations font explicitement référence aux
formules négationnistes, et ses idées prolongent les idées négationnistes. Le négationnisme
fondateur a nié l’authenticité de la shoah en la présentant comme une invention sioniste qui
a servi à faire pression sur les nations afin d’obtenir un état juif. En s’inspirant de la
méthode, les juifs post sionistes ont alors nié l’authenticité du peuple juif en le présentant
comme une invention au service d’un narratif sioniste de la nécessité d’une nation juive.
Désormais, des universitaires juifs respectés appliquent à leur tour la méthode pour nier
tout simplement l’authenticité de la religion juive. La stratégie négationniste tire son succès
de son caractère très polyvalent. Elle sait se mettre au service des intérêts très divers et
parfois même contradictoires de ceux qui succombent à ses charmes. Les antijuifs, les
antisionistes, les antireligieux se retrouvent tous engagés dans une même alliance sacrée de
révision de l’histoire afin de nier la réalité de tout ce qui est juif. Leur haine psychotique les
conduit toujours plus loin dans leurs thèses délirantes selon lesquelles la nation, le peuple et
la religion des juifs sont des inventions des juifs eux-mêmes. Ceux qui, aujourd’hui,
appliquent la méthode négationniste pour nier l’authenticité de la religion juive, cherchent
probablement à libérer leur identité juive de toute référence à cette religion qui les
embarrasse. Cependant, cet essai ne s’étend pas sur les motivations diverses et variées de
ceux qui appliquent la stratégie négationniste pour nier l’authenticité de la religion juive. Il
s’attache tout d’abord à montrer le mensonge de la méthode, de façon pragmatique. Et
ensuite, Il s’attache à l’explication du principe identitaire fondamental qui permet de
réaffirmer l’authenticité du peuple d’Israël, de la nation d’Israël et enfin, de la religion juive
qui accompagne l’exil du peuple juif en devenir d’Israël. Enfin, il prétend œuvrer dans le
sens de la résurgence de l’unité d’Israël en réaffirmant la nécessité de toutes les
composantes du peuple juif, au-delà de tout corporatisme laïc ou religieux. Dans l’histoire
de ce peuple juif qui redevient la nation d’Israël, les laïcs ont autant de place que les
croyants. Les conflits stériles et destructeurs viennent du fait que les uns tout autant que les
autres pratiquent une religion crispée sur la certitude de leurs réponses respectives aux
questions que posent les autres. Il faudra que les laïcs, tout autant que les croyants, cessent
de pratiquer le culte de la réponse et commencent à pratiquer la Emounah (la Foi)
originelle d’Avraham Ytz’haq et Ya’aqov qui consiste à engager l’homme dans la voie de la
question vitale afin d’inviter Dieu à délivrer la réponse vitale. Dans ce processus de retour
du culte orgueilleux de la réponse vers la pratique humble et vitale de la question, qui est le
fondement d’Israël, la réconciliation des laïcs et des croyants est une nécessité du projet
divin. Les croyants devront apprendre des laïcs à poser les questions fortes de Emounah,
sans laisser l’angoisse de ne pas trouver les réponses asphyxier les questions. Pour leur
part, les laïcs devront apprendre des croyants à cultiver le besoin vital de réponses aux
questions, qu’eux-mêmes posent. Cette étude montre que si les uns apprennent ainsi des
autres, ensemble nous serons aptes à incarner le principe identitaire fondateur du peuple
d’Israël.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
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REMERCIEMENTS
Le cercle d’étude Tizal Katal tient à exprimer sa vive reconnaissance à :
Rav Chelomo Aviner qui a pris le temps de lire cet essai et qui nous a gratifiés de
sa chaleureuse recommandation.
Dr. Stéphanie Courouble Share qui, sous la menace des bombardements massifs
des villes israéliennes par le Hamas de Gaza en Juillet 2014, a consacré un temps
précieux à la relecture de la partie de cet essai sur le négationnisme. Elle nous a
fourni de nombreuses références et a formulé de nombreux commentaires qui nous
ont permis de perfectionner ce travail.
Dr. Gérard Zana qui a porté à notre connaissance l’article de M.R. Hayoun auquel
nous répondons dans cet essai.
Professeur René Hassan qui a porté à notre connaissance la conférence de H.
Atlan à laquelle nous répondons dans cet essai, et dont les relectures ont aussi
permis de perfectionner ce travail.
Professeur Annick Azerhad qui a relue cette étude et qui l’a soumise à une
critique dont la précision et la pertinence nous auront été précieuses.
Avraham Choukroun, David Fitoussi, Jonathan Menaché, Nathan Bedock et
Samuel Ohayon, qui ont relu, commenté et corrigé cet essai.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
SOMMAIRE
Introduction ___________________________________________ 1
Les éléments en présence et les enjeux de la controverse _______ 9
La thèse de la monolâtrie du Professeur Henri Atlan _______________ 9
La thèse du dieu biblique corporel de Maurice Ruben Hayoun ______ 10
Une nouvelle religion est en train de naître _____________________ 12
Les sources de la Emounah dans la tradition juive ________________ 18
Le négationnisme total des thèses d’invention de la religion juive 21
La progression idéologique du négationnisme ___________________ 21
Le négationnisme, l’arme ultime au service de l’éradication du collectif
juif ______________________________________________________ 27
H. Atlan et M.R. Hayoun peuvent prétendre à parachever l’écriture du
protocole des sages de Sion __________________________________ 32
Le critère juif de la vérité : le Chalom ______________________ 35
L’expression talmudique de la complétude comme critère de vérité _ 35
Pas de chalom, pas de emet dans la thèse d’invention de la religion
juive _____________________________________________________ 39
La révélation Avrahamique, la philosophie, le christianisme et
l’islam _______________________________________________ 41
L’antériorité et la continuité de la tradition juive du texte _________ 41
Les analogies entre le judaïsme et les doctrines étrangères datent de la
philosophie présocratique ___________________________________ 44
L’histoire de Socrate est très analogue à l’histoire d’Avraham, la
question est : en quoi ces histoires sont-elles différentes ? ________ 47
La guidance divine sur la voie de la nécessité de la révélation de Dieu
par Dieu __________________________________________________ 53
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Platon connaissait le principe général du tzimtzoum, de la Création
selon la Qabalah mais ne connaissait pas l’unité divine ___________ 54
L’unité de l’esprit et du corps dans la création selon Aristote, mais sans
l’unité de la providence _____________________________________ 55
La naissance de la théologie au carrefour de la philosophie et de la
religion : la première étape de la mutation de la pensée juive en
théologie musulmane et chrétienne ___________________________ 56
Les 2 stratégies d’extinction du désir de divin contre la révolution
Avrahamique: la théologie de la certitude des religieux et le
négationnisme athée _______________________________________ 60
Recadrage historique de la dispersion d’Israël et de l’émergence
des doctrines philosophiques et théologiques _______________ 65
Une lecture providentielle du phénomène négationniste: le poison
comme antidote du poison ______________________________ 67
Le venin négationniste est d’abord en nous même, c’est donc d’abord
en nous même qu’il faut le neutraliser _________________________ 68
Deux formes de médisance, contre la manne et contre Eretz Israël,
deux stratégies négationnistes qui font avorter la naissance d’Israël 71
Conclusion : La vraie Emounah, le chemin du milieu qui réconcilie la
question laïque et le besoin religieux de réponse_____________ 79
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Introduction
Le ressort de toutes les adversités dont souffre le peuple juif est de nature identitaire. Le
peuple juif est porteur d’une identité que les nations du monde veulent voir disparaître. Le
choix ultime qui se présente au peuple juif se formule donc ainsi: doit-on procéder nous
même au retranchement de cette identité qui semble poser tant de problème au monde, et
donc à nous même en retour? Ou bien doit-on au contraire, décider d’exister quitte à
imposer l’existence de cette identité au monde? Certains intellectuels juifs développent une
démarche de négation de l’identité fondamentale du peuple juif. En faisant cela, ils optent
pour la première des deux options qui consiste à œuvrer au retranchement de cette identité
juive qui semble poser tant de problème au monde. Pour notre part, en leur répondant, nous
avons souhaité saisir l’occasion de décrire en détail la seconde option qui consiste à
affirmer l’identité du peuple juif, en contrepoint de la première option.
Le peuple d’Israël n’a commencé à exister parmi les nations du monde qu’à la
sortie d’Egypte. En entrant en Egypte, il n’était que la famille des hébreux qui
comptait 70 âmes. En Egypte, il est devenu le peuple des hébreux en captivité. En
sortant d’Egypte, il est devenu un peuple libre doté d’un projet divin
d’établissement national. Dans cet état, tant que ce projet national ne se manifestait
pas dans des frontières géographiques précises, aucune nation n’avait intérêt à
s’attaquer à ce peuple car il ne menaçait alors aucune souveraineté nationale
d’aucune autre nation.
Pourtant, le peuple d’Amalek a attaqué le peuple d’Israël alors que les nations du
monde étaient édifiées par l’épisode de la traversée de la mer rouge et étaient
saisies de crainte à l’adresse de ce peuple bénéficiant d’une telle providence divine.
L’attaque d’Amalek n’était donc motivée par aucun intérêt rationnel de nature
territoriale. Cette attaque était même désespérée étant donné la providence divine
qui avait terrassé la première puissance mondiale qu’était l’Egypte, en faveur du
peuple d’Israël.
La question se pose donc: pourquoi Amalek a-t-il attaqué le peuple d’Israël de
façon aussi irrationnelle ?
Cette question qui se présente apparemment comme une question d’exégèse
biblique a, en réalité, une portée politique tout à fait tangible.
Elle se pose tout d’abord dans toutes les phases de l’exil du peuple juif qui bien
qu’apportant culture, développement artistique, scientifique et économique à toutes
les nations qui ont hébergé l’exil juif, ces nations ont toujours cédé à ce penchant
irrationnel de destruction et de bannissement des juifs.
Cette question se pose de façon tout aussi critique au sujet de l’opposition féroce
qu’a toujours soulevé le projet de l’établissement et du maintien d’un foyer national
juif, le pays d’Israël pour le peuple d’Israël. En effet, au regard de l’histoire de tous
les conflits qui ont opposé les nations du monde, le conflit territorial judéo-arabe
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est incompréhensible car les enjeux géopolitiques objectifs de ce conflit ont
toujours été démesurément insignifiants comparativement à l’intérêt planétaire
qu’il a toujours suscité et aux ressources gigantesques qui lui sont allouées.
Le caractère irrationnel de l’opposition que suscite toute entreprise, de toute nature,
en toute époque et en tout lieu, dès lors qu’elle est juive, conduit inévitablement à
la conclusion que c’est l’essence même du peuple juif, son identité, qui soulève
l’opposition des nations.
Ainsi, tout projet, quel qu’il soit, est combattu, dès l’ors qu’il est juif, et même si ce
combat dessert les intérêts objectifs de ceux qui le mènent, comme ce fut le cas de
l’attaque d’Amalek au moment de la sortie d’Egypte.
Par conséquent, devant la contemplation de leur histoire, les juifs sont
nécessairement conduits à abandonner définitivement tout espoir de trouver grâce
aux yeux des nations car cette histoire n’inspire qu’une seule et unique conclusion
qui est que le seul moyen de plaire aux nations, pour le juifs, serait qu’ils acceptent
de disparaitre !
Le ressort de toutes les adversités dont souffre le peuple juif est donc de nature
identitaire. Ce peuple juif est porteur d’une identité que les nations du monde
veulent voir disparaître.
Il est donc nécessaire de découvrir quelle est l’essence de cette identité juive
puisque c’est elle qui active tous les ressorts de cette adversité anti-juive. En effet,
aucune solution ne peut émerger tant qu’on ne découvre pas la nature précise du
problème.
Ensuite, quand la nature précise de cette identité juive sera bien établie, le choix
ultime se formulera ainsi: doit-on procéder nous même au retranchement de cette
identité qui semble poser tant de problème au monde, et donc à nous même en
retour? Ou bien doit-on au contraire, décider d’exister quitte à imposer l’existence
de cette identité au monde, et malgré l’adversité qu’un tel projet suscité ? Dans le
second cas, comment s’y prendre ?
Deux intellectuels juifs respectés dans les communautés, le Professeur Henri Atlan
et Maurice Ruben Hayoun, développent une démarche très originale de négation de
l’identité fondamentale du peuple juif. En faisant cela, ils optent pour la première
des deux options qui s’offrent au peuple juif. C’est-à-dire qu’ils optent pour le
retranchement de cette identité juive qui semble poser tant de problème au monde.
Ils nous offrent ainsi l’occasion de décrire en détail la seconde option, qui consiste
à affirmer l’identité du peuple juif.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Dans une conférence de l’institut Elie Wiesel du 12 Mars 2014, intitulée
"L’Invention de la religion juive", le Professeur Henri Atlan présente une thèse
selon laquelle le judaïsme n’est pas la première religion monothéiste mais la
troisième. Elle aurait été inventée par les rabbins du moyen âge, à partir du
christianisme et de l’islam. Cette conférence est disponible sur le lien:
http://www.instituteliewiesel.com/content/linvention-de-la-religion-juive. Elle est
présentée par le site de l’institut Wiesel par le résumé suivant :
Les notions de croyance et de foi n'ont pas eu la même signification dans les temps
bibliques, à l'époque talmudique et dans la période qui a suivi jusqu'à nos jours.
Les professions de foi qui caractérisent la religion juive, plus récentes que celles
du Christianisme et de l'Islam, datent du Moyen Age. L'évolution du statut des
articles de foi de Maïmonide et de leur relation avec une connaissance scientifique
et philosophique montre comment une partie du judaïsme s'est instituée en religion.
De là il faudrait conclure que la notion de « religion » d’Israël n’est pas si antique
que cela. Dans le monde de l’antiquité hébraïque et particulièrement dans
l’écriture biblique, le terme « religion » n’existe pas. Israël est une civilisation
globale et non une secte avec des dogmes théologiques établis par une autorité
unique. A l’époque médiévale, face aux deux autres religions monothéistes,
christianisme et islam, les philosophes juifs tentèrent de définir le corpus de la foi
d’Israël marqué par la singularité du message hébraïque en regard des deux
grandes civilisations conquérantes de l’époque.
L’invention de la religion juive est une formule accrocheuse qui fait sensation.
Bien évidemment, ce qui motive notre réponse n’est pas de savoir si le judaïsme est
le premier, le deuxième ou le troisième. Ce qui est important est de restaurer la
conviction que l’enseignement rabbinique du judaïsme, en toute époque, est bien le
fruit d’une chaîne de transmission ininterrompue depuis les avot (patriarches)
Avraham, Ytz’haq et Ya’aqov, et non pas le résultat d’une pensée médiévale
nourrie de philosophies et de théologies étrangères.
Même les non-croyants pourront aisément suivre ce développement car le problème
n’est pas ici de justifier la Foi juive sur un mode polémique, mais bien de montrer
que ses principes n’ont pas changé depuis l’origine du peuple juif. Il ne s’agit donc
pas d’un traité voué à influer sur les convictions religieuses mais avant tout, de
l’étude objective du sujet de la continuité historique des principes de la foi juive.
Dans le cercle des intellectuels juifs qui exercent une influence communautaire, on
trouve aussi Maurice Ruben Hayoun. Ce dernier œuvre aussi à la propagation de
l’idée que la source d’inspiration de la Emounah (Foi), telle qu’enseignée par les
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‫בס"ד‬
rabbins à partir de la période qui s’étend du 10ème S. (les gueonim) au 12ème S. è.c.
(les richonim), est la philosophie grecque et la théologie musulmane (voir l’article
en ligne de JForum http://jforum.fr/forum/torah/article/l-unite-divine-dans-laphilosophie du 20 Mars 2014). A dire vrai, cet article est incompréhensible pour la
plupart des gens. C’est pourquoi il est d’autant plus délétère, car la plupart des gens
comprennent les trois ou quatre premières phrases qui disent clairement que le
judaïsme, tel qu’on le connaît aujourd’hui, résulte de l’influence de la philosophie
et de l’islam, mais presque personne ne va au-delà. Et bien évidemment, puisque
M.R. Hayoun est un spécialiste du judaïsme, membre influent et respecté de la
communauté, on pense naturellement qu’il dit des choses vraies, même si personne
n’y comprend rien.
La propagation de ces idées témoigne de l’émergence d’un courant de pensée
universitaire fantaisiste et qui de plus, nous semble nuisible. S’il n’était que
fantaisiste, nous n’aurions pas fait l’effort et n’aurions pas pris le temps de le
réfuter. Mais puisqu’il nous semble aussi nuisible, il nous apparaît nécessaire de
montrer qu’il n’est pas fondé sur la recherche de la vérité, ni ne peut servir cette
cause de recherche de vérité.
En plus de la récupération politique que ces thèses offrent au négationnisme, que
nous allons nous attacher à démontrer dans cet essai, elles sapent les fondements
même du judaïsme. Elles peuvent être utilisées à ce chantier de destruction sans
que personne ne les identifie clairement comme des instruments de destruction car
elles cohabitent avec un certain niveau de pratique religieuse, lequel reste
compatible avec la vie communautaire. Ceci provient du fait qu’elles ne rejettent
pas la pratique du judaïsme mais les fondations identitaires du judaïsme qui
reposent sur la Emounah. Elles ne sont donc pas ce que la tradition nome des thèses
d’apikorsout, mais elles témoignent plutôt de la démarche des minim. La différence
entre les deux est que les apikorsim s’opposent de façon claire et identifiable à la
religion en s’appuyant sur un niveau élevé de connaissance, alors que les minim
semblent respecter la religion, mais œuvrent à modifier les principes fondamentaux
de la Emounah.
Il est tout d’abord nécessaire de mettre à jour en toute simplicité les thèses qui sont
développées dans la conférence et dans l’article qui sont cités plus haut. En effet,
elles sont diluées dans une profusion de références historiques, philosophiques et
toraniques. Elles sont exprimées de manière touffue, et avec des termes que peu ont
la détermination d’en découvrir le sens pour comprendre le message précis qu’elles
délivrent. De plus, ces thèses ne sont pas clairement isolées du discours de sorte
qu’il est difficile de comprendre quelles sont les conclusions et quel est
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
l’argumentaire qui mène à ces conclusions. Il en résulte une grande confusion à la
faveur de laquelle des bribes de pensée pénètrent l’esprit en déstabilisant les
auditeurs où les lecteurs, tout en échappant à leur critique. C’est pourquoi nous
avons jugé nécessaire de commencer cet article en résumant ces thèses brièvement
et dans un langage simple. Chacun pourra ainsi élaborer son jugement personnel,
avant même de découvrir notre analyse. C’est l’objet de la première partie, Les
éléments en présence et les enjeux de la controverse (p. 9).
Nous n’avons identifié, à ce jour, qu’H. Atlan et M.R. Hayoun comme précurseurs
de ce courant de pensée. Mais il semble évident que les débouchés idéologiques et
politiques d’un tel courant de pensée sont tellement prometteurs pour les ennemis
d’Israël que très bientôt ces idées vont être instrumentalisées au service de toutes
les causes qui œuvrent à la disparition de la Foi d’Israël, de la nation d’Israël qui la
porte, et du peuple juif qui est en devenir de la nation d’Israël. Bien sûr ces
entreprises sont toujours vouées à l’échec, nous ne craignons pas qu’elles puissent
réussir, mais il n’est pas non plus souhaitable de les laisser se développer car elles
sont, malgré tout, toujours accompagnées de souffrances amères. Pour bien montrer
que les enjeux de ces théories extravagantes dépassent de très loin un simple débat
de religion, la seconde partie, Le négationnisme total des thèses d’invention de la
religion juive (p. 21), montre leur filiation négationniste et leur prolongement
négationniste.
Dans la troisième partie, Le critère juif de la vérité : le Chalom (p. 35), nous
montrons que ces propos d’invention de la religion juive se discréditent, sans même
avoir à considérer leurs contenus, uniquement du point de vue des règles
fondamentales de l’éthique de la pensée.
Puis dans la quatrième partie, La révélation Avrahamique, la philosophie, le
christianisme et l’islam (p. 41), nous montrons que selon la tradition midrachique,
les analogies entre le judaïsme et la philosophie sont bien antérieures au moyen
âge. Elles remontent à la naissance même de la philosophie, à l’époque de la
destruction du premier temple. Par conséquent, c’est une comparaison des textes
fondateurs de la philosophie et du judaïsme qu’il faudrait mener afin de déterminer
les vrais réseaux d’influence, avant même une comparaison des textes de pensée
juive avec les textes de théologie étrangère du moyen âge. En effet, nous montrons
que la naissance de la philosophie, six-cent ans avant le christianisme, peut-être
interprétée comme la toute première fragmentation de la pensée juive de l’unité
divine. Nous discernons dans cette toute première fragmentation, qui se manifeste
par l’émergence de la philosophie, le début de la gestation du christianisme et de
l’islam. Par conséquent, ceux qui souhaitent discréditer la foi en l’unité divine
5
‫בס"ד‬
comme étant le fondement identitaire du judaïsme, ce sont les textes du midrach
qui sont parmi les toutes premières transcriptions de la tradition orale après les
prophètes et les hagiographes (Na"Kh), qu’ils doivent interpréter comme étant
d’inspiration philosophique. Seraient t’ils capables de trouver le matériel
scientifique, archéologique, historique et littéraire pour défendre ainsi sérieusement
leur thèse ? Au niveau de l’exégèse pure, seraient-ils capables de mettre en échec
notre tradition rabbinique plusieurs fois millénaires en montrant des ruptures dans
cette tradition dès le début de la transcription de la tradition orale ? Nous les
invitons énergiquement à produire une argumentation sérieuse et à se mesurer à la
controverse.
En attendant, nous indiquons dans cette étude l’interprétation des analogies entre la
philosophie, le christianisme et l’islam en accord avec la chronologie et la tradition
du texte. Nous montrons en quoi, en accord avec cette tradition, ces systèmes de
pensée du monde sont en effet des composantes du judaïsme car Israël contient ces
trois systèmes de pensée du monde, sous une forme unifiée à l’origine. Par
conséquent, ils peuvent être compris comme des systèmes de compréhension du
monde qui se disjoignent sous l’effet de la dispersion d’Israël en exil. C’est en se
désunissant, à l’intérieur même d’Israël en exil qui est le peuple juif, que ces
fragments de pensée du monde et du divin donnent naissance à la philosophie et
aux sciences, à la religion chrétienne et à la religion musulmane, telles que nous les
connaissons. Il nous est donc nécessaire de respecter ces fragments d’Israël que
sont la philosophie, le christianisme et l’islam car c’est seulement en les respectant
que nous pourrons les réunifier, tout d’abord à l’intérieur d’Israël, pour faire
renaître Israël du peuple juif en exil. Quand Israël sera lui-même réunifié, il pourra
alors œuvrer à la réunification des nations du monde.
Après avoir montré que l’argumentaire de cette thèse d’invention de la religion
juive est inexistant, après avoir rappelé les principes et les fondements de la foi
juive en l’unité divine, et après avoir mené une analyse comparative des diverses
doctrines philosophiques et religieuses, la cinquième partie, Recadrage historique
de la dispersion d’Israël et de l’émergence des doctrines philosophiques et
théologiques (p. 65), présente les correspondances chronologiques entre les
principales phases de la dispersion du peuple juif en exil et l’émergence de la
philosophie, du christianisme et de l’Islam. Ces correspondances chronologiques
convergent avec l’analyse, développée dans les parties précédentes, qui présentent
ces différentes doctrines comme des fragments de la pensée juive de l’unité divine
qui se dispersent sous l’effet de l’exil.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Enfin, en sixième partie, Une lecture providentielle du phénomène négationniste: le
poison comme antidote du poison (p. 67), nous interrogeons la providence divine
qui donne la parole à la pensée négationniste, de l’intérieur du peuple juif comme
de l’extérieur, pour nier la réalité d’Israël dans toutes ses dimensions. Pourquoi
toute cette méchanceté qui s’oppose au projet d’Israël dans le monde ? Il faut poser
la question maintenant, avant que l’amertume de ces paroles négationnistes qui
veulent nier notre âme ne s’expriment en acte et n’essaient, encore une fois, de nier
jusqu’à notre existence physique en entraînant tous les cortèges d’amertume et de
souffrance que nous ne connaissons déjà que trop.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Les éléments en présence et les enjeux de la controverse
La thèse de la monolâtrie du Professeur Henri Atlan
Selon cette thèse, le judaïsme ancestral est une religion civile analogue à la religion
romaine. Par religion civile, il faut comprendre qu’il s’agit d’un ensemble de
pratiques populaires proclamées comme religion d’état et vouée à garantir la
cohésion sociale, au-delà des divergences politiques. Cette religion civile juive
authentique permettrait, tout comme la religion romaine, toutes sortes de croyances
polythéistes. Par rapport à la religion romaine, la singularité du judaïsme
authentique ne serait que d’être une monolâtrie, c’est-à-dire le culte d’un seul dieu
malgré la possibilité de croire à autant de dieux que chacun souhaite, voir aucun.
Quand le christianisme aurait introduit le monothéisme dans le monde, cela se
serait fait tout autant en opposition au judaïsme qu’à la religion romaine, sur ce
point. Pour ce qui est du monothéisme juif, ce serait seulement au 12ème S. que sous
l’impulsion de Maïmonide (RaMBa"M pour ceux qui respectent ce sage immense
de notre tradition), la religion juive se serait structurée autour du principe
fondamental de la croyance en un Dieu unique. Maïmonide aurait opéré cette
mutation en important la théologie chrétienne et musulmane en pensée juive. Par
conséquent, l’idée que le judaïsme serait une religion révélée apportant au monde la
foi monothéiste serait une idée fausse. Au contraire, le premier système de foi
monothéiste serait le christianisme, suivi de l’islam. Maïmonide serait l’inventeur
de la religion juive, telle qu’on la connaît aujourd’hui en tant que religion fondée
sur la foi monothéiste, dans le sillage du christianisme et de l’islam. Le judaïsme
authentique serait donc fondamentalement différent du principe identitaire sur
lequel chaque juif, même les non religieux qui reconnaissent leur appartenance à
une tradition de pensée, fonde son identité. Ce judaïsme authentique serait une
multitude de pratiques civiles ne reposant sur aucun principe de foi.
Quel est la démonstration de cette thèse présentée comme une révélation savante
avec l’aplomb de la certitude ? Elle n’existe pas ! Son argumentaire est un magma
informe d’analogies et de citations. Aucune question claire n’est posée qui
permettrait de juger de la valeur de la méthode pour parvenir aux réponses
proposées. L’honnêteté intellectuelle de tout apprenti penseur qui consiste à
mentionner toutes les incertitudes qui nécessiteraient d’être vérifiées dans un
parcours honnête de démonstration est inexistante. Nous allons montrer que cette
théorie n’est qu’une croyance irrationnelle qui n’est même pas munie d’une
tradition, comme c’est au moins le cas de la Foi selon la tradition juive que cette
théorie méprise.
9
‫בס"ד‬
La seule méthode qui ressort clairement de l’exposé est le relevé désordonné et
parcellaire de contradictions entre le texte biblique et les textes de la tradition orale
du judaïsme qui présentent l’unité divine comme le socle de la foi juive. Mais ces
contradictions que recèlent les textes de la tradition orale, les sages de notre
tradition ne manquent pas de les relever eux-mêmes, ils n’ont besoin de personne
pour faire cela. D’ailleurs, c’est le fondement même de la méthode talmudique qui
repose sur la formulation systématique et la résolution des contradictions par une
méthode d’analyse rigoureuse basée sur les recoupements des différentes sources
de la tradition orale. Mais quand certaines contradictions sont isolées du contexte
général et exploitée sans appliquer le filtre de la moindre analyse rigoureuse, elles
ne signifient plus rien.
La thèse du dieu biblique corporel de Maurice Ruben Hayoun
La thèse de M.R. Hayoun est parfaitement équivalente à celle de H. Atlan. La
différence se situe uniquement au niveau de la formulation car M.R. Hayoun ne va
pas jusqu’à utiliser des formulations provoquantes qui font référence aux formules
négationnistes. Mais il dit la même chose en substance.
Selon lui, c’est Maïmonide qui introduit en judaïsme l’idée que Dieu Est
incorporel, c’est-à-dire l’idée de l’incorporéité divine : «Il (Maïmonide) combat au
premier chef les anthropomorphismes afin de mieux présenter ce qui lui paraît être
la pierre de touche du judaïsme philosophique, l’incorporéité divine». La
conséquence de l’incorporéité divine serait qu’il n’est possible de parler du divin
que de manière négative, c’est-à-dire qu’on peut toujours dire ce que Dieu n’est pas
mais qu’on ne peut pas dire ce qu’Il Est puisqu’il n’est pas localisé dans les limites
d’un corps. M.R. Hayoun suggère que ceci est une découverte du théologien
chrétien Thomas d’Aquin et que Maïmonide aurait importé cette idée dans le
judaïsme en la formulant par l’incorporéité divine. Dans le langage de M.R.
Hayoun, cela se traduit par : «Maimonide, comme Thomas d’Aquin opte donc pour
une doctrine apophatique et rejette l’approche cataphatique ». En effet, l’idée
centrale qui est développée par M.R. Hayoun est que le judaïsme contemporain est
l’héritage de la philosophie gréco-musulmane. Dans ce contexte, l’expression
« comme Thomas d’Aquin » suggère inévitablement que Maïmonide a été
influencé par Thomas d’Aquin car c’est Thomas d’Aquin qui a intégré la
philosophie grecque à la théologie chrétienne, juste après qu’Averroès l’ai fait pour
la théologie musulmane.
Sur le fond, le débat se situe entre la représentation d’un dieu chaleureux pouvant
être pensé ainsi qu’incarné et entre l’idée d’un dieu incorporel échappant à toute
10
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
représentation, donc froid et distant. Pour M.R. Hayoun, le dieu chaleureux
pouvant être incarné serait le dieu biblique d’Avraham, alors que le dieu distant et
incorporel est le dieu d’Aristote. Par conséquent, Maïmonide aurait opté pour le
dieu d’Aristote en abandonnant le dieu d’Avraham : « Le résultat obtenu est
assurément un concept divin qui n’a plus grand chose à voir avec le sentiment de
proximité immédiate au Dieu biblique. On est vraiment dans l’opposition entre le
Dieu d’Abraham et le Dieu d’Aristote, étant entendu que Maimonide opte
délibérément pour le second». Donc, selon M.R. Hayoun, l’enseignement de
RaMBa"M n’est pas celui de la tradition biblique, mais plutôt le fruit d’une pensée
philosophique héritée d’Aristote, et il suggère que cette démarche aurait été
inspirée de celle de Thomas d’Aquin!
Enfin, selon M.R. Hayoun, toute la tradition de la Qabalah ne serait finalement
qu’une théorie qui se serait construite progressivement, afin de restaurer la
conception juive originelle incarnée de dieu, en réaction à la conception chrétienne
philosophique désincarnée de dieu, que Maïmonide aurait introduit dans le
judaïsme : « Le symbolisme mystique se substituait à l’allégorisme philosophique
qui introduisait dans la tradition juive un héritage provenant d’un univers mental
radicalement étranger, le paganisme ». La Qabalah aurait donc procédé à cette
restauration de l’idée d’un dieu incarnée, compatible avec la bible, en important la
symbolique païenne dans la mystique juive. Et ce phénomène regrettable serait une
réaction à « l’allégorisme philosophique » de Maïmonide.
Tout ce que nous avons dit précédemment au sujet de la légèreté de la thèse de la
monolâtrie s’applique de la même manière à cet article sur la corporéité du dieu
biblique qui aurait été désincarné par RaMBa"M (dit irrespectueusement
Maïmonide dans cet article, comme dans la conférence analysée précédemment).
Toutes les idées qui sont présentées dans cet article de M.R. Hayoun comme
indéniables et consensuels font l’objet d’âpres controverses. Mais il ne fait aucune
allusion à ces controverses, il présente une vision excessivement partisane en lui
donnant l’aspect de la certitude avérée. De plus, il utilise des procédés lui
permettant de suggérer des choses catégoriquement fausses sans avoir à en assumer
la responsabilité. Par exemple, RaMBa"M né en 1138 et décède en 1204. Thomas
d’Aquin né en 1224 et meurt en 1274. Ce dernier rédige ses premiers essais dans
les années 1250, c’est-à-dire une cinquantaine d’années après le décès de
RaMBa"M. Mais cela n’empêche pas l’auteur d’écrire : « Maimonide, comme
Thomas d’Aquin opte donc pour une doctrine etc … » ce qui suggère naturellement
à tout le monde que RaMBa"M se serait inspiré de Thomas d’Aquin. La
chronologie aurait dicté d’écrire plutôt le contraire «Thomas d’Aquin,
11
‫בס"ד‬
comme Maimonide opte donc pour une doctrine etc … ». Il aurait alors fallu
s’interroger sur l’étrange analogie des idées développées par Thomas d’Aquin avec
l’enseignement de RaMBa"M, et pas faire le contraire. Et encore, nous allons voir
plus loin que cette analogie trouve très vite ses limites. Peut-être que l’auteur
ignore la biographie de Thomas d’Aquin. Mais si c’est le cas, comment
comprendre qu’il donne tellement d’importance à toutes les dates qui l’arrangent, y
compris les dates de naissance et de de décès de Maïmonide, mais ne mentionne
pas les dates de Thomas d’Aquin ?
Une telle formulation, en opposition flagrante avec la chronologie, accompagnée
d’une telle omission de dates si ciblée, ne nous conduira pourtant pas y déceler de
la malhonnêteté intellectuelle. Ce principe juif de bonnes manières qui consiste à
juger du bon côté doit nous conduire à conclure qu’il s’agit d’une ignorance de la
biographie de Thomas d’Aquin, ou bien d’un manque de rigueur dans la
formulation. Mais en tous les cas, qu’il s’agisse d’une malhonnêteté, qu’il s’agisse
d’une ignorance, ou bien qu’il s’agisse d’un manque d’expertise dans l’usage de
l’écriture, tout le monde conviendra que dans ces conditions, il est impossible de
prendre au sérieux de tels propos.
Selon cet article, ce qui semble mériter d’être restauré et donc motiver son écriture,
est un judaïsme chaleureux de proximité avec Dieu, quitte pour cela à permettre
l’incarnation du divin. Il ne s’agit que d’une orientation personnelle en rupture avec
la tradition. Cela ne peut justifier une telle entreprise de détournement de la
tradition, uniquement pour la rendre compatible avec cette inclination personnelle.
De plus, cet article n’est pas proche et chaleureux, en accord avec les valeurs
ultimes qu’il semble défendre. Au contraire, son style académique est lointain et
froid, personne n’a envie de le lire jusqu’au bout tellement il est décourageant.
Finalement, il n’y apparaît aucune proximité avec le divin, ni même chaleur, en
échange de l’abandon de l’unité divine (qui est indissociable de l’incorporéité) ! Il
n’y subsiste que le froid de ses propos et la distance qui sépare du divin, avec
l’idolâtrie en plus.
Une nouvelle religion est en train de naître
L’incorporéité divine qui est la base de l’article décrit ci-dessus est synonyme de
l’unité divine, laquelle est remise en cause par la théorie de la monolâtrie juive. En
effet, le concept de corps est défini, au-delà de son expression physique, par
l’existence de limites. Donc dire que Dieu Est incorporel signifie qu’Il Est exempt
de limites, c’est-à-dire Infini, Ein-Sof en hébreu. Or, seul l’infini peut être Un, au
sens de unifié et unique en même temps, dans la mesure où toute chose finie est
12
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
nécessairement multiple car composée de limites. En effet, si une chose est limitée,
il est toujours possible de réduire ses limites et ainsi de faire apparaître des
composants multiples qui en s’agrégeant composent la chose. En termes très
concrets, quand on brise un objet, on fait apparaître de nouvelles limites à
l’intérieur de l’objet, ce sont les lignes de brisure des fragments qui le composent.
Ces nouvelles limites font apparaître la multiplicité des fragments qui compose
l’objet. Donc, tout ce qui est physique contient l’idée de limite, ce qui implique
qu’il peut se décomposer, ce qui est contradictoire avec l’idée de l’unité (voir
RaMBa"M, sefer Mada’, chap. 1, Halakha 7). L’incorporéité divine est donc bien
synonyme de l’unité divine car l’incorporéité implique l’unité et l’unité implique
l’incorporéité.
Par conséquent, l’idée que c’est Maïmonide qui a introduit le concept de
l’incorporéité divine dans le judaïsme, sous l’influence de doctrines étrangères, est
identique à l’idée que Maïmonide a introduit le thème de l’unité divine dans le
judaïsme, sous l’influence du christianisme. Ce sont deux expressions équivalentes
d’une seule et même thèse. Ainsi, dans la suite de cette étude, nous ferons référence
aux thèses de H. Atlan et M.R. Hayoun sous la forme d’une seule et même thèse
que nous appellerons la thèse de l’invention de la religion juive, selon l’expression
de H. Atlan lui-même.
Le tout premier élément de vérification de cette thèse consisterait en des sources
chrétiennes qui montreraient que le christianisme s’est structuré autour de l’idée de
l’unité divine, ou de l’incorporéité divine, en opposition aux conceptions
polythéistes de la monolâtrie juive, tout autant qu’en opposition à l’idolâtrie
romaine. En effet, si c’était bien le cas, ce serait les textes fondateurs du
christianisme qui traiteraient de ce sujet en tout premier. Dans ce cas, il n’aurait
certainement pas été nécessaire d’attendre jusqu’en 2014 pour découvrir cela.
Comment imaginer que ce soit le christianisme qui a introduit l’idée de l’unité
divine en opposition au judaïsme sans que les textes fondateurs du christianisme
n’en parlent? Or, si en effet nous trouvons dans les textes chrétiens une nouvelle
lecture de la bible en rupture avec l’enseignement de la tradition rabbinique, nul
part nous n’y trouvons que le christianisme apporte l’idée de l’unité divine dans le
monde en opposition au judaïsme. Au contraire, le christianisme introduit les
thèmes de la corporéité divine du christ et de la trinité qui nécessite des procédés
théologiques complexes pour les faire cohabiter avec l’idée de l’unité divine. Mais
admettons que nous ne connaissons pas suffisamment les textes de théologie
chrétienne. Toujours est-il que si ces théories d’un judaïsme ancestral exempt de la
Foi en l’unité divine étaient sérieuses, elles devraient exhiber des textes fondateurs
13
‫בס"ד‬
du christianisme qui prétendraient apporter au monde la révélation de l’unité divine
en opposition au judaïsme. De plus, connaissant l’adversité contre le judaïsme qui
animait le courant islamique, dès ses débuts, les textes musulmans fondateurs
devraient aussi dénoncer le polythéisme juif. Il semble donc que les auteurs de cette
thèse de l’invention de la religion juive soient les seuls, après plus de mille-troiscent ans de cohabitation du judaïsme du christianisme et de l’islam, à avoir compris
que le judaïsme monothéiste serait une imposture rabbinique datant du moyen âge !
Les premiers intéressés à la diffusion d’une telle idée, à commencer par les
fondateurs du christianisme et de l’islam, ne se sont jamais rendu compte pour leur
part, du caractère polythéiste du judaïsme authentique! Donc, ceux qui souhaitent
démontrer une telle thèse, doivent commencer par trouver des textes anciens,
chrétiens et musulmans, qui les accréditent.
De plus, si comme ils le prétendent, le judaïsme ancestral était compatible avec
l’idée de la corporéité divine, pour le prouver, il serait nécessaire de retrouver des
traces d’idoles juives, sculptées ou peintes, ne serait-ce que d’un seul dieu en
accord avec la théorie de la monolâtrie. En effet, tous les principes reconnus de
démonstration archéologique et historique reposent sur la convergence des textes et
des données récoltées sur le terrain. Par conséquent, si jamais ils trouvaient des
textes anciens de controverse judéo-chrétienne et judéo-musulmane au sujet de
l’unité divine et qui seraient compatibles avec leur thèse, ils devraient encore
fournir des traces archéologiques d’idoles provenant des sites de culte juifs. Or, les
seules figurations typiquement juives qui sont retrouvées dans les synagogues
antiques sont des représentations de scènes du TaNa"Kh (la Torah ou pentateuque,
les Nevi’im ou prophètes et les Ketouvim ou hagiographes), de scènes de culte dans
le temple ou encore d’objets de culte du temple. Il faut tout de même préciser qu’on
y retrouve aussi des figurations d’origine étrangère, provenant de la mythologie
grecque, comme les signes du zodiaque ou encore le dieu grec Helios. Ces
figurations sont visibles sur les sites archéologiques des synagogues antiques de
Sepphoris (Tsipori) en basse Galilée, Yafia au sud-est de Haifa et Chorazeïn
(Corzin) en haute Galilée. Ces synagogues étaient peut être des lieux de culte de
communautés qui avaient quittés le judaïsme traditionnel sous l’effet de
l’hellénisation. On peut même envisager qu’il s’agissait de communautés fidèles au
judaïsme traditionnel étant donné que de telles représentations, dans certaines
conditions très précises, ne seraient pas des infractions à la halakhah car elles
14
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
n’auraient aucune signification liée au culte mais seulement une portée décorative1.
Ces vestiges témoignent de l’influence indéniable des normes gréco-romaines à
l’époque du second temple, puis chrétiennes à l’époque byzantine, sur
l’architecture et l’artisanat qui avait cours en Israël durant ces époques. Au-delà de
l’architecture et de l’artisanat, ces influences ont indéniablement atteint les
domaines de la pensée et même de la religion. De nombreux textes témoignent de
ces luttes d’influences qui eurent lieu en Israël entre le judaïsme traditionnel et ces
cultures étrangères. Mais jamais aucune trace de figuration divine authentiquement
juive, ne serait-ce que d’un seul dieu, n’a été retrouvée.
Que ceux qui souhaitent démontrer que le judaïsme authentique est compatible
avec la corporéité divine, voir avec le polythéisme, et donc nécessairement avec la
figuration du divin, et que le monothéisme authentique est un apport chrétien, nous
amènent des textes et des données archéologiques en accord avec ces textes. Ce
projet est vaste et couteux, il nécessite la collaboration d’une multitude de
spécialistes de diverses disciplines et de grands chantiers d’investigation. Mais sans
aucun doute, il leur sera très facile de recueillir les fonds et les ressources humaines
nécessaires à une telle entreprise, tant sa réussite intéresserait beaucoup de monde.
S’ils étaient capables de mener à bien ce projet de manière scientifique, on pourra
toujours dire que notre croyance reste plus forte que la science, l’archéologie et
l’histoire mais au moins, ils seraient dignes du respect dû à des intellectuels
rigoureux. Mais pour l’instant, ils ne disposent d’aucun texte ni d’aucune trace
archéologique dont la convergence pourrait fonder leur thèse. En l’absence de telles
données, Leur méthode n’est ni scientifique, ni archéologique ni historique.
Pour supporter leur thèse, Il ne leur reste donc qu’un exercice d’exégèse qui
prétend montrer une rupture dans la tradition orale rabbinique, qui se serait formée
entre Rav Saadia Gaon, au 10ème S., et RaMBa"M au 12ème S. de l’è.c.
Il faut rappeler que les juifs bien ancrés dans la tradition du texte n’ont aucun
scrupule à retirer brutalement leur confiance à un commentateur, serait-il reconnu
comme le plus grand sage de la génération, dès lors qu’il se permet de rompre la
chaîne de transmission en proposant des interprétations dont il ne serait pas capable
d’établir la filiation au sein de la tradition du texte. Le précédent le plus célèbre
d’un tel cas est rapporté dans le talmud au sujet d’Elicha ben Abouya qui bien que
d’une sagesse immense lui ayant permis d’accéder, avec Rabi ‘Akiva, au sommet
de la connaissance a été exclus, car il s’était écarté de la tradition. Pour le penseur
.‫ כללי במדעי היהדות‬M.A ,‫ בתי כנסת עתיקים בארץ ישראל בתקופה הביזאנטית‬.‫ אבי יפרח‬1
.)http://www.ubank.co.il/essay/50435(
15
‫בס"ד‬
laïc, une telle exclusion peut être interprétée comme le témoignage d’une
intolérance sur le plan intellectuel2. Nous n’entrons pas ici dans de telles
considérations, il s’agit uniquement de montrer que toute rupture de la tradition est
impossible dans la transmission du judaïsme au fil des générations. Ce constat
fragilise d’autant la thèse de l’invention de la religion juive. D’ailleurs, il faut aussi
rappeler que la publication du Michne Torah de RaMBa"M a soulevé une vive
opposition parmi les sages de l’époque, justement parce que RaMBa"M n’avait pas
assez révélé ses sources. Mais dans le cas de RaMBa"M, tous les érudits ont fini
par reconnaître la justesse du Michne Torah, et les sources y ont été apportées par
la suite.
Par conséquent, s’il était possible de démontrer une rupture de la tradition juive du
texte dans les écrits de RaMBa"M, nos propres sages auraient déjà identifié cette
rupture depuis longtemps et auraient exclue eux-mêmes Maïmonide de cette
tradition. Ce n’est donc pas seulement Maïmonide que la thèse d’invention de la
religion juive accuse d’avoir modifié les fondements du judaïsme. Une telle
allégation accuse aussi implicitement toute la chaine de transmission rabbinique,
qui arrive jusqu’à nous depuis RaMBa"M, de connivence malhonnête, ou tout au
moins d’incompétence.
Donc, même s’il était possible de trouver des textes anciens, chrétiens et
musulmans, ainsi que des traces archéologiques en accord avec ces textes, il restera
encore à montrer avec rigueur et précision où se trouve la rupture de la chaîne de
transmission du judaïsme dans les écrits de RaMBa"M. Et il faudra expliquer
pourquoi cette rupture aurait échappé à tout le monde jusqu’à aujourd’hui.
En attendant, tout le monde conviendra que le chemin qui reste à parcourir pour
conférer à ces thèses une quelconque valeur de connaissance est encore bien long,
car toutes ces allégations ne reposent ni sur des textes d’autres traditions, ni sur des
données archéologiques ou historiques, ni même sur une démarche rigoureuse
d’exégèse. En effet, les méthodes d’exégèse qui conduisent à de tels propos ne
répondent à aucune règle d’aucune tradition exégétique3. Par conséquent, en
2
En ce qui concerne le sujet de l’intolérance, il faut bien comprendre que les sages de la
tradition n’ont jamais empêché qui que ce soit de s’exprimer librement mais qu’ils veillent à
ce que seuls ceux qui peuvent représenter la tradition juive s’exprime au nom de cette
tradition.
3
Pour ce qui est des règles d’exégèse de la tradition juive, on trouvera une description
détaillée
dans
l’article
en
hébreu
«‫בהן‬
‫נדרשת‬
‫שהתורה‬
‫»מידות‬
sur
http://he.wikipedia.org/wiki/%D7%9E%D7%99%D7%93%D7%95%D7%AA_%D7%A9%D
7%94%D7%AA%D7%95%D7%A8%D7%94_%D7%A0%D7%93%D7%A8%D7%A9%D7
%AA_%D7%91%D7%94%D7%9F. Il existe aussi une version plus approximative en
16
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
l’absence de toute méthode académique reconnue de démonstration ou d’exégèse,
on peut dire que ces thèses de l’invention de la Foi en l’unité et en l’incorporéité
divine par RaMBa"M constituent tout simplement les prémisses d’une nouvelle
croyance.
Quel est le principe fondamental de cette nouvelle croyance qui tente de s’infiltrer
au sein du peuple juif ? C’est la foi en ceux qui diffusent cette croyance! En effet,
ils énoncent des thèses nouvelles avec la force de la certitude, sans les fonder sur
aucune méthode reconnue de science ou de science humaine, ni sur aucune
tradition exégétique. En d’autres termes, ils ne font rien d’autre que d’affirmer des
propos fantaisistes que seule la foi en eux pourrait supporter. Par conséquent, avec
cette nouvelle religion juive, civile polythéiste et monolâtre, ils fournissent les
prophètes qui vont avec, et ce sont eux-mêmes !
Une telle démarche n’est pas nouvelle. Les saducéens (tzedokim), les samaritain
(chomronim), les caraïtes, et d’autres encore après eux, proposent des
interprétations libres du texte de la Torah écrite sans reconnaître l’autorité de la
tradition rabbinique qui fournit les clés d’interprétation de ce texte. Une telle
démarche prétend en fait remplacer l’autorité morale d’une tradition interrompue
de sages par celle de nouveaux interprètes. Là encore, le sujet n’est pas de prendre
position sur la légitimité du monopole de l’autorité rabbinique dans le domaine des
règles de l’exégèse, mais plutôt de montrer que s’il peut exister d’autres règles
d’interprétation, elles ne peuvent prétendre à représenter le judaïsme ancestral.
Le manque de sérieux dans l’exposé de ces nouvelles croyances relatives à
l’invention de la religion juive est clair, il est d’autant plus choquant que ces thèses
ne sont pas anodines mais très conséquentes quand on sait comment elles seront
utilisées par les ennemis d’Israël. Cette entreprise de diffusion de ces croyances
délétères est donc irresponsable.
Cependant, ce genre de discours pseudo-intellectuels, inconsistants, partiaux et
irresponsables ne doit pas seulement être discrédité, il doit aussi fournir l’occasion
de mieux expliquer les bases de la pensée juive de l’unité divine. C’est donc le
moment de comprendre avec précision quelles sont les bases de la pensée juive de
l’incorporéité et de l’unité divine que RaMBa"M n’invente pas mais plutôt qu’il
explicite dans le langage de sa génération. En comprenant cette pensée avec
précision, on verra qu’elle est tout à fait singulière et qu’il est donc très improbable
qu’elle puisse résulter de quelque influence étrangère qui soit.
anglais sur http://en.wikipedia.org/wiki/Talmudical_hermeneutics. Il reste à faire une
traduction précise en français de l’article original en hébreu.
17
‫בס"ד‬
Les sources de la Emounah dans la tradition juive
Notre tradition rabbinique ancestrale, avant même RaMBa"M, fonde notre
attachement à la Foi en l’incorporéité et en l’unité divine sur le verset de la Torah :
« Ecoute Israël, Dieu [le tétragramme] Elokim est un » (Devarim 6, 4), sur le
verset : « Ne te fais pas de statue ou tout autre image … » (Chemot 20, 3) ainsi que
sur les multiples sources dans le Na"Kh (les prophètes et les hagiographes) qui
relatent le combat de la tradition d’Israël contre toute idée matérialisée du divin et
contre le polythéisme qui résulte de telles idées4.
De plus, la pensée juive, telle qu’elle est transmise par RaMBa"M, ne développe
pas plus une approche négative de la description du divin qu’une approche positive.
Pour nous, les juifs, l’Etre divin est tout simplement et catégoriquement hors du
champ d’étude accessible à la compréhension humaine. Nous n’en parlons pas, ni
de façon négative, ni de façon positive. La seule négation qu’on trouve à ce sujet en
pensée juive est la négation de la possibilité de parler de l’Etre divin ainsi que de
Le penser, que ce soit négativement ou bien positivement, que ce soit avant ou
après la mort, que ce soit dans un état rudimentaire ou élaboré du développement
spirituel. Nous devons croire en Son Existence, mais en aucun cas nous n’essayons
en aucune manière de définir cette Existence. Ce serait d’ailleurs tout à fait
paradoxal de parler de ce que n’est pas Dieu en admettant qu’Il Est Infini, étant
donné que pour parler de ce qu’Il n’est pas, il faudrait admettre des limites entre ce
qu’Il serait et ne serait pas. Par conséquent, Nous ne parlons pas de l’Etre divin, un
point c’est tout.
Ce principe de l’impossibilité de parler de l’Etre divin, est inscrit dans la Torah
elle-même sous la forme du nom E-L, formé des lettres Aleph et Lamed. Ce nom
divin E-L se vocalise dans les deux sens Al et Lo qui sont deux expressions de la
négation en hébreu. Selon notre tradition, ce nom divin qui fait référence à l’Etre
divin par la négation signifie que tout ce que nous pouvons dire de l’Etre divin est
que nous ne pouvons pas en parler car nous ne pouvons pas le penser.
Les deux autres noms divins que nous trouvons dans la Torah sont Elokim et Le
tétragramme indicible Youd Kei Vav Kei. Ces deux noms ne font pas référence à
l’Etre divin mais à sa providence. C’est exclusivement sur le support de la
providence divine que Dieu peut nous être accessible, proche, distant, chaleureux,
4
On trouve une démonstration de nature systématique des erreurs d’exégèse d’Henri Atlan
écrite
par
le
Rav
Ye’hiel
Brandt
sur
http://www.bethhamidrachdesarcelles.com/ChioursNew.php.
18
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
rigoureux, etc... Le nom Elokim fait référence à la providence divine qui prend les
formes de la nature et qui s’exprime sous forme de lois rigoureuses car immuables
et collectives. Pour sa part, le tétragramme fait référence à la providence perçue
comme le bienfait divin, parce qu’elle s’exprime en prenant en compte toutes les
particularités de chacun. Et la providence divine, quelles que soient ses formes
d’expression, est accessible à la pensée et à la parole tout autant de manière
positive que négative. Ainsi, la multiplicité des noms divins fait référence à la
multiplicité des modes de relation de l’être humain au divin, par l’intermédiaire de
Sa Providence. En effet, le nom par définition, est un instrument de mise en relation
et non pas l’expression de l’essence propre de ce que le nom désigne. C’est la
même chose pour tous les noms, sans même omettre les noms divins qui décrivent
différentes modalités de relation de l’homme au divin, et non pas l’Etre divin Luimême. Dans ce contexte, le principe de l’incorporéité divine, selon lequel Dieu n’a
pas de corps, ne consiste pas en une négation qui concerne l’Etre divin mais
consiste en la négation d’attributs corporels de la providence divine, ce qui signifie
que c’est la providence divine qui détermine la matière, non pas la matière qui
exerce la providence divine, comme un intermédiaire exercerait l’ordre d’un
commanditaire. L’incorporéité divine signifie donc, en pensée juive, qu’il n’existe
pas de créatures intermédiaires de réalisation de La Volonté divine, mais que toute
chose est l’expression de l’exercice direct de La Volonté divine.
Donc, quant M.R. Hayoun dit que Maïmonide adopte une doctrine « apophatique »,
ce qui consiste à ne parler du divin que par ce qu’il n’est pas, ou bien encore par
abstraction, c’est tout simplement faux. RaMBa"M, pas plus que tous les sages
authentiques de la tradition juive, ne parle jamais de l’Etre divin sauf pour dire que
nous devons croire en Son Existence et pour dire que nous ne pouvons parler, en
aucune manière, de ce qu’Est ou n’est pas cette existence. Thomas d’Aquin peut
donc dire ce qu’il veut, et même au cas où il se serait inspiré de RaMBa"M qui le
précède, il est clair qu’il ne l’a pas compris. En effet, selon Thomas d’Aquin, les
âmes peuvent atteindre la béatitude après la mort par la contemplation de l’essence
divine. Mais dans la sagesse juive, le monde futur ultime n’est pas un monde
métaphysique où les âmes vivent après la mort du corps, c’est le monde physique
tel que nous le connaissons, avec des aptitudes supérieures de mise en relation de la
réalité physique et de la réalité métaphysique de la providence divine. Et même
dans l’état d’accomplissement spirituel le plus élevé, l’être n’a jamais accès à
19
‫בס"ד‬
l’essence divine, en aucune manière, mais uniquement à une compréhension intime
de La Providence divine5.
En résumé, le thème de l’incorporéité divine et donc de l’unité divine, en accord
avec la tradition de la pensée juive peut se décrire très brièvement ainsi : l’Etre
divin est illimité et donc inaccessible à la pensée et à la parole qui procèdent
nécessairement par délimitation pour distinguer des concepts. Nous ne disposons
d’aucun attribut de l’Etre divin qui pourrait nous permettre de conceptualiser et
donc de percevoir son existence. On ne doit pas chercher à penser l’Etre divin ni à
en parler, ni positivement ni négativement, ni concrètement ni par abstraction. On
doit croire en Son Existence, mais on ne tente aucune définition de l’Existence
divine ni aucune identification de quelque attribut de Son Existence. En pensée
juive, l’Unité de l’Etre divin signifie que Son Existence est hors du champ de
l’étude.
Par contre, Dieu veut que nous le connaissions par l’intermédiaire de Sa Providence
qui exprime Sa Volonté que nous pouvons, et même devons, étudier tout autant de
manière négative que positive. Pour nous, la connaissance de l’unité divine qui fait
l’objet de l’étude de la Torah et de la pratique des mitzvot est l’unité de la
providence divine, non pas l’Unité de l’Existence divine. L’unité de la providence
divine signifie que tout ce qui se passe dans le monde est l’œuvre divine est que
tout est au service du but unique de la création qui est l’épanchement du bienfait
divin. C’est pourquoi RaMBa"M discerne la première mitzvah de la Emounah, qui
est la Foi en l’Existence divine qui exerce sa providence, sans tenter de définir cette
Existence, de la seconde mitzvah du Yi’houd qui est la Foi en l’unité de la
providence divine.
Par conséquent, la conception juive de l’incorporéité divine et de l’unité divine est
tout à fait singulière. De plus, elle est ancrée dans le texte biblique et relayée par
une tradition rabbinique ininterrompue6. Donc, la conception juive de l’unité divine
n’est ni celle d’Aristote, ni celle de Thomas d’Aquin, ni celle d’aucun autre courant
de pensée. Elle est singulière, première et caractéristique de la seule tradition de la
Torah, telle qu’elle nous est transmise par nos sages depuis Avraham, Ytz’haq et
Ya’aqov.
5
Cette conclusion résulte d’une synthèse de nombreux textes en hébreu et en araméen dans
le talmud, le midrach et les traités de Qabalah. On ne peut donc pas référencer simplement
ce sujet. Il faudrait écrire un livre entier sur ce thème. Nous le ferons, avec l’aide du ciel.
6
Voir le livre "L’unité divine en questions ‒ La révolution du sixième millénaire", Editions
Tizal Katal.
20
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Le négationnisme total des thèses d’invention de la religion juive
Les fondements sionistes de l’état d’Israël étaient déjà contestés par la négation de l’histoire
du génocide juif opéré par les nazis. Ce n’était pas si grave que ça car ce qui fonde la nation
d’Israël, au-delà de l’état juif, n’est pas la pensée sioniste de Herzl recroquevillée sur
l’argument sécuritaire. Mais déjà plus grave, les fondements même de la renaissance de la
nation d’Israël avaient aussi subi les assauts de la méthode négationnisme par la négation
de la réalité historique du peuple juif. Désormais, un nouveau pas a été franchi et toujours
selon la même méthode et les mêmes formulations négationnistes, c’est la religion juive qui
est maintenant décrite comme une invention tardive des juifs! Aujourd’hui, la stratégie
négationniste opère son pouvoir de séduction sur les juifs eux-mêmes autant que sur les non
juifs, sur l’opinion de droite comme de gauche, et dans le monde entier. Elle conteste aux
juifs le droit d’avoir leur pays tout autant qu’elle leur conteste leur réalité de peuple, et
même la religion juive ne serait plus qu’une invention tardive des juifs.
La progression idéologique du négationnisme
Voyons maintenant en quoi la thèse de l’invention de la religion juive de H. Atlan,
et de M.R. Hayoun, s’inscrit dans la continuité directe du courant négationniste, par
l’utilisation de sa méthode, par l’usage de ses formules et par l’adoption de son
attitude.
Précisons, afin de lever toute ambiguïté, que nous entendons ici par méthode
négationniste la méthode qui consiste à nier l’évidence des faits avérés. Il s’agit
donc d’une considération très globalisante de la méthode négationniste, sans entrer
dans toutes les finesses de la méthodologie négationniste au sens du négationnisme
de la Shoah.
L’intérêt d’une telle considération globalisante de la méthode négationniste est de
faire apparaître un mouvement majeur de l’histoire de la pensée occidentale. C’est
le sujet du paragraphe suivant. Mais dans l’immédiat, il s’agit de discerner la
progression idéologique dans laquelle s’inscrit la propagation de la méthode
négationniste.
Le courant négationniste a pris naissance avec la contestation de la réalité
historique de la shoah. Son but était de disculper le nazisme de ce crime contre
l’humanité en présentant la shoah comme un mythe instrumentalisé au service de la
cause du sionisme. Mais la disculpation du nazisme intéresse de moins en moins le
public.
C’est la dimension antisioniste du négationnisme qui fait son succès aujourd’hui.
En effet, Théodore Herzl, le fondateur du sionisme politique, impose l’idée de la
nécessité d’un état juif du fait que le peuple juif ne pourra jamais être en sécurité
tant qu’il sera en état de diaspora. Selon le sionisme fondateur, l’état juif est une
condition nécessaire de la sécurité du peuple juif. C’est cette vision politique de
21
‫בס"ד‬
nature sécuritaire qui porta le premier mouvement massif d’immigration juive en
Israël, alors Palestine Ottomane, puisque c’est suite aux pogroms qui débutèrent en
Russie dès 1881 que cette première vague d’immigration eu lieu. Depuis, c’est
toujours cette même vision sécuritaire qui porta la majorité des grandes vagues
d’immigration juive en Israël, en réaction à des vagues d’agression antisémites
dans les pays de la diaspora juive7. Mais surtout, le facteur décisif de la création de
l’état d’Israël, par le vote de l’ONU en 1948, fut le génocide juif opéré par les nazis
pendant la seconde guerre mondiale. De fait, cette décision de l’ONU fut une
approbation internationale du sionisme politique qui cherchait un état refuge pour
les juifs. Nous ne prétendons pas que le sionisme politique fut créé en réaction à la
shoah. Il fut créé par Hertzl en réaction à l’affaire Dreyfus. Par contre, c’est bien la
Shoah qui lui a donné toute sa portée politique, après la guerre8.
Par conséquent, le négationnisme de la Shoah se recycle parfaitement en négation
de l’argument sécuritaire sur lequel le sionisme politique fondait la légitimité de
l’état d’Israël. En effet, s’il n’y a pas eu de génocide juif, il n’y avait pas non plus
de quoi accorder un état aux juifs en accord avec la vision sioniste. Avant le
négationnisme, les ennemis d’Israël répondaient à l’argument sécuritaire du
sionisme en disant que ce n’est pas aux palestiniens de supporter les conséquences
de la barbarie nazie. Avec l’instrument négationniste, ils peuvent maintenant dire
que la barbarie nazie n’est qu’un mythe inventé par les juifs pour légitimer l’état
d’Israël.
C’est ainsi que s’est tissée une alliance objective antre les néonazis d’extrême
droite et les antisionistes d’extrême gauche. Et aujourd’hui, c’est surtout la cause
antisioniste qui offre un relais idéologique et médiatique au négationnisme, dont la
cause fondatrice intrinsèquement nazie ne fait plus tant recette.
Mais il restait encore une lacune argumentaire dans l’instrumentation négationniste
antisioniste. Elle résidait dans la réalité même du peuple juif. En effet, selon la
7
Il existe aussi des mouvements d’immigration récurrents d’ordre religieux et
occasionnellement, d’ordre économique, mais la cause majeure des vagues d’immigration
juive en Israël reste sécuritaire, en accord avec le sionisme fondateur de Herzl.
8
Pour sa part, le sionisme religieux qui provient de l’attachement religieux des juifs à la
terre d’Israël a toujours existé depuis le premier exil de Babylone. On peut même dire qu’il
est constitutif du judaïsme et qu’il date de la sortie d’Egypte. Depuis l’exil qui a suivi la
destruction du second temple par Rome, au début de l’ère chrétienne, il reste un idéal
omniprésent dans la liturgie, mais ne s’exprime que de manière très marginale dans les flux
d’immigration juive en Israël.
22
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
juridiction internationale elle-même, si les juifs sont un peuple, ce peuple est en
droit d’avoir un pays au nom du droit à l’autodétermination.
Shlomo Sand, israélien post sioniste, propose de supprimer cet écueil par une
exploitation originale de la méthode négationniste qui consiste à l’appliquer à la
négation de la réalité historique du peuple juif. Dans son livre « Comment le peuple
juif fut inventé » publié en 2008, S. Sand formule ainsi la thèse que le peuple juif
lui-même est tout simplement une invention sioniste. Selon cette thèse, le peuple
juif ne serait qu’un instrument conceptuel de propagande, qui n’a pas de réalité
historique, au service de la cause sioniste. C’est-à-dire qu’il n’aurait jamais existé
un peuple juif pouvant se définir par une origine commune d’ordre ethnique ou
nationale. Il n’y aurait jamais eu que des communautés juives dispersées dont le
seul point commun était la religion juive.
Il n’est donc même plus nécessaire de faire échec à l’argument sécuritaire
fondateur du sionisme en niant la shoah, puisque c’est la négation du peuple juif
lui-même qui vise à retirer à ce dernier sa réalité historique, et donc son droit à
disposer d’un pays où exercer son autodétermination.
Le Professeur Georges-Elia Sarfati a développé une excellente critique
systématique de la thèse de Shlomo Sand, ainsi qu’une justification étayée de
l’inscription de cette démarche au registre négationniste9.
Pour notre part, nous illustrons la filiation négationniste de S. Sand par la méthode
tout d’abord, il s’agit de la négation grossière des faits avérés, comme nous l’avons
déjà indiqué. D’autre part, cette filiation négationniste peut s’établir sur la base de
l’avatar moderne antisioniste du négationnisme.
Pour illustrer l’usage de la méthode négationniste au service de l’idéologie
antisioniste, il faut identifier l’écueil qui fait barrage à cette idéologie et qui doit
donc être éradiqué, quitte à nier les faits avérés. Cet écueil consiste en la difficulté
d’expliquer la réalité de la religion juive partagée par tant de communautés
dispersées dans le monde s’il n’existe aucune origine commune à ces
communautés. Puisque le judaïsme n’a jamais été une religion prosélyte, il n’est
pas possible d’expliquer la dissémination des communautés juives par un courant
de conversion massive et généralisée à travers le monde, comme ce fût le cas pour
la propagation du christianisme et de l’islam.
9
Georges-Elia Sarfati.2009. La confusion des clercs: Shlomo Sand, ou la naissance du
négationnisme israélien.
http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2009/05/03/1520114_la-confusion-des-clercsshlomo-sand-ou-la-naissance-du-negationnisme-israelien-g-e-sarfati.html.
23
‫בס"ד‬
Cependant, il existerait peut être un précédent historique, pendant l’ère chrétienne,
de conversion massive au judaïsme. Il s’agirait peut être du cas de conversion, au
7ème S., du peuple Khazar dont l’empire très étendu se situait au sud de la Russie
actuelle. Or, ce sujet de la conversion massive des Khazars est un élément central
de l’argumentaire de Shlomo Sand pour nier la réalité du peuple juif. C’est
d’ailleurs cet argument qu’il met en avant pour résumer son livre dans un article du
monde diplomatique d’Aout 200810. Cette conversion aurait été décrétée par le roi
des Khazars afin d’unifier son empire grâce à une religion d’état sans avoir à
accepter l’autorité catholique de Rome ni celle de l’islam conquérant de la Mecque.
Il aurait donc opté pour le judaïsme qui lui permettait d’unifier son peuple sans
avoir à accepter une autorité spirituelle et politique étrangère, étant donné que le
judaïsme n’avait alors aucun pouvoir politique. Les négationnistes néonazis
palestiniens ont bien mesuré le potentiel de l’exploitation que fait Shlomo Sand du
thème de la conversion des Khazars, et ils l’ont repris à leur compte11.
Et il faut admettre qu’il existe bien une référence majeure à ce cas de conversion
dans la tradition juive ancienne elle-même, puisque le Rav Yehouda Halevi, vers le
milieu du 12ème S., a utilisé le support de cette histoire pour rédiger "le Livre de
l'argumentation pour la défense de la religion méprisée". Il s’agit de la traduction
du titre de la version originale du livre en arabe, mais ce livre est actuellement plus
connu et étudié dans de nombreux cursus d’études juives sous le titre « Le
Kouzari ». Il est construit sur la base d’un dialogue imaginé par Rav Yehouda
Halevi entre le roi des Khazars et des émissaires juifs, chrétiens et musulmans que
ce dernier aurait convoqué afin de s’entretenir avec eux avant de choisir la religion
à laquelle il convertirai son peuple. Cependant, le Rav Yehouda Halevi ne se
préoccupe pas de la véracité historique de ce récit, il ne s’agit pour lui que d’un
support afin de construire un dialogue entre un tiers objectif et des représentants
des trois religions afin de rétablir l’honneur du judaïsme alors très attaqué par les
philosophes, les chrétiens et les musulmans. Cependant, ce livre fait tout de même
état de l’existence, dès le 12ème S., de la transmission populaire d’une histoire de la
conversion au judaïsme du peuple Khazar.
Toute transmission populaire, en marge de l’historiographie académique n’est pas
nécessairement dénuée de fondement, mais il manque tout de même encore à cette
10
Shlomo Sand. 2008. Comment fut inventé le peuple juif. Dans Le Monde Diplomatique,
Aout 2008. http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205.
11
Steven Plaut. 2007. The Khazar Myth and the New Anti-Semitism. http://spme.org/spmeresearch/letters-from-our-readers/steven-plaut-the-khazar-myth-and-the-new-antisemitism/3070/.
24
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
histoire de la conversion du peuple Khazar une vérification sérieuse. D’ailleurs, ce
sujet reste encore très controversé, et au-delà des motivations d’une telle
conversion, il reste très difficile de se faire une idée précise de la véracité historique
du récit d’une telle conversion massive des Khazars12.
Mais quoi qu’il en soit, même si une telle conversion massive des Khazars avait
réellement eut lieu, elle pourrait tout au plus expliquer l’origine d’une partie des
juifs ashkénazes, mais il est très invraisemblable qu’elle puisse expliquer l’origine
de toutes les communautés juives du monde, ou ne serait-ce que de la majorité
d’entre elles. L’invraisemblance de cette thèse est confirmée par de nombreuses
études de génétique des populations qui ont été menées afin d’investiguer l’histoire
de la filiation du peuple juif. Ces études révèlent bien la présence d’un patrimoine
génétique commun à l’origine, issu du moyen orient, et qui se serait ramifié en
plusieurs lignées qui ont subies différentes évolutions13.
Donc, malgré l’entêtement de nature négationniste de Shlomo Sand à imposer sa
thèse de l’invention du peuple juif, il reste extrêmement difficile d’admettre l’unité
de la religion juive de toutes les communautés juives dispersées dans le monde sans
l’expliquer par une origine unique qu’est le peuple d’Israël sur la terre d’Israël.
En conservant comme axe d’analyse, la méthode globale du négationnisme et son
expression moderne antisioniste, on peut dire que ce problème négationniste induit
par S. Sand admet désormais une solution de contournement, de nature
parfaitement négationniste. Cette solution négationniste est la thèse de l’invention
de la religion juive, par les religieux eux-mêmes, qui aurait fait disparaître la vraie
religion juive, laquelle n’existerait plus.
Selon cette thèse, la négation du peuple juif n’est plus entravée par le constat
incontournable d’une religion juive ancestrale qui ne pourrait exister que sur la
base d’un peuple ancestral, car la religion juive telle que nous la connaissons
aujourd’hui ne serait qu’une invention qui n’aurait été conçue et propagée dans les
communautés juives qu’après la dissémination de ces communautés juives dans le
monde.
Donc, avant la publication de cette thèse d’invention de la religion juive, le
négationnisme antisioniste niait la légitimité politique de la nation d’Israël en
12
Voir, par exemple, cette conférence de 2013 de l’historien israélien Shaul Stampfer de
l’université hébraïque de Jérusalem: "The Myth of the Khazar Conversion" sur
https://www.youtube.com/watch?v=PYbycYgjnSU.
13
Voir une synthèse d’excellente qualité sur le sujet :"Études génétiques sur les Juifs" sur
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_g%C3%A9n%C3%A9tiques_sur_les_Juifs#cite_
ref-Faerman2008_24-0.
25
‫בס"ד‬
développant l’idée qu’elle ne repose que sur l’invention de l’histoire de la shoah.
Ensuite, Il a nié la légitimité d’un peuple juif souverain en Israël en développant
l’idée que le peuple juif lui-même est une invention. Mais il restait encore des juifs,
comme des grains de sable dans les rouages de la machine négationniste, parce que
la réalité antique de la religion juive, pour le moins, ne pouvait être niée.
Désormais, les négationnistes seront heureux d’apprendre que la religion juive
monothéiste, telle que nous la connaissons, est aussi une imposture des juifs qui ne
date finalement que du moyen âge, qui s’est donc structurée en l’absence totale de
toute nation juive et qui s’est propagée dans les communautés juives déjà
dispersées.
Par conséquent, de la même façon que les négationnistes antisionistes ont récupéré
le thème de la conversion des Khazars pour nier le peuple juif, il leur sera
désormais possible de récupérer aussi ce thème de négation de la religion juive, car
toutes ces idées collaborent également à la négation de la justification d’une nation
juive.
En effet, selon cette thèse, même si on admet que les juifs ont bien une origine
phylogénétique commune provenant d’Israël, leur communauté culturelle actuelle
n’a de sens qu’en référence à la religion juive. Donc, grâce à cette solution de
l’invention de la religion juive, il est maintenant possible de dire que si le peuple
palestinien n’est pas le peuple biblique des philistins (les pelichtim en hébreu) qui
occupaient la terre de Canaan avant la conquête des hébreux, la religion juive non
plus n’est pas la religion biblique sur laquelle reposait la nation d’Israël.
Peu importe la nature des intentions profondes de ceux qui élaborent et propagent
cette idée de l’invention de la religion juive. Peu importe qu’ils soient ou ne soient
pas négationnistes au sens du courant négationniste fondateur, c’est-à-dire des
négateurs de la shoah. Peu importe aussi, qu’ils ne soient pas des négationnistes
négateurs du sionisme, au sens de l’avatar moderne du négationnisme. En pratique,
ils exploitent la méthode négationniste et Ils fournissent à l’avatar antisioniste du
négationnisme, un nouvel instrument idéologique de choix.
Selon la progression idéologique que nous venons de mettre à jour, la portée
antisioniste du négationnisme se décrit ainsi ; il n’y a pas eu de génocide pouvant
justifier un état refuge pour les juifs en accord avec la cause sioniste. Il n’y a pas
non plus de peuple juif pour justifier l’exercice d’un droit à l’autodétermination,
d’une nation juive, selon la juridiction internationale. Dès lors, Israël se retrouve
sans fondement, ni en vertu du sionisme politique lui-même, ni en vertu de la
juridiction des nations. Mais ce n’est pas tout, il n’y a pas non plus de religion juive
authentique pouvant justifier un collectif juif, même sans peuple et même sans
26
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
nation. Il y a bien ici une progression qui cible toujours plus en profondeur la
racine du collectif juif puisque le fondement de la nation juive, c’est le peuple juif
et que le témoignage intemporel du peuple juif, même privé de nation, c’est la
religion juive. Or, c’est tout d’abord la nation que le prolongement antisioniste du
négationnisme a ciblé, puis le peuple en tant que fondement de la nation, et enfin,
la religion en tant que témoignage intemporel du peuple.
Le négationnisme, l’arme ultime au service de l’éradication du collectif juif
Nous venons de montrer comment les différentes stratégies négationnistes évoluent
et se ramifient, chacune en poursuivant ses propres objectifs, mais en collaborant
objectivement toutes ensembles à une même progression idéologique de négation
du collectif juif, à l’échelle de la nation, du peuple et enfin de la religion.
Cependant, Le choix de caractériser de négationniste la démarche de H. Atlan et
M.R. Hayoun, dans le prolongement de celle de S. Sand qui lui-même emboîte le
pas au négationnisme fondateur, en récupérant ses formules et sa méthode générale,
peut paraître abusif.
Ceci est dû au fait que le négationnisme se caractérise non seulement par une
méthode générale, mais aussi par l’exploitation de cette méthode, ainsi que par la
thématique à laquelle cette méthode est appliquée. Sur chacun de ces trois axes, les
différentes stratégies que nous affilions au négationnisme sont parfois analogues, et
parfois différentes. Il est donc nécessaire d’analyser avec précision les différentes
dimensions des stratégies négationnistes, afin de comprendre le phénomène
négationniste dans une perspective globale qui pourra permettre de discerner un
courant, en même temps très vaste et très prononcé, de l’histoire de l’évolution de
la pensée universitaire occidentale.
La thématique d’application de la méthode du négationnisme fondateur de Paul
Rassinier et de Maurice Bardèche est la réalité du génocide juif opéré par les nazis.
Cependant, nous affilions communément le négationnisme fondateur à Robert
Faurisson car, bien qu’il n’en soit pas l’inventeur, il est celui qui a le plus contribué
à sa médiatisation et à son essor. Mais quoi qu’il en soit, du point de vue de la
thématique, il est clair que S. Sand, H. Atlan et M.R. Hayoun n’ont effectivement
rien à voir avec le négationnisme fondateur.
Par contre, la méthode négationniste, à un niveau très général, se définit par la
négation des faits historiques en violant explicitement les règles académiques de
l’historiographie, de l’écriture de l’histoire. De ce point de vue, il est bien clair que
cette méthode générale introduite par le négationnisme fondateur est bien celle qui
27
‫בס"ד‬
a été adoptée par S. Sand, H. Atlan et M.R. Hayoun, lesquels ignorent également de
façon systématique et grossière tous les faits historiques susceptibles d’invalider
leurs allégations. D’ailleurs, les formules mêmes de l’invention du peuple juif et de
l’invention de la religion juive font explicitement référence à la formule
négationniste récurrente du mythe pour discréditer l’histoire officielle.
De plus, en ce qui concerne l’exploitation de la méthode, S. Sand partage bien cette
utilisation moderne de la méthode négationniste qui est la négation de la
justification politique du sionisme. En effet, S. Sand nie l’origine juive d’Israël au
même titre que le néonazisme arabe nie la shoah, la cible commune des deux
approches étant bien le sionisme.
Le Dr Stéphanie Courouble Share, historienne de l'Institut d'histoire du temps
présent IHTP-CNRS, spécialiste du phénomène négationniste14, propose
d’introduire le terme de Néga-sionisme (évoqué dans une conférence d’Octobre
2013 à l’université de Tel Aviv15) pour caractériser la démarche de S. Sand. Elle
propose cette terminologie en réponse à l’analyse de G-E Sarfati qui fait de S. Sand
l’instigateur du négationnisme juif (voir note 9, p. 9). Pour elle, la négation du
sionisme, tant qu’elle ne repose pas explicitement sur la thématique de négation de
la shoah, ne doit pas faire l’objet d’un amalgame avec le négationnisme, car une
telle approche complexifie un débat public qui gagnerait, au contraire, à être
clarifié. C’est pourquoi elle propose le terme spécifique de Néga-sionisme pour
démarquer l’approche de S. Sand de celle du négationnisme. Mais selon nous, il
serait dommage de limiter la compréhension du phénomène négationniste à la
thématique de négation de la shoah, car on se priverait alors de la mise à jour d’un
faisceau d’analogies qui peut permettre de forger une clé de lecture importante de
l’évolution contemporaine de la pensée occidentale. C’est pourquoi, avec l’accord
de Stéphanie Courouble Share, nous proposons d’utiliser sa terminologie de Négasionisme pour caractériser la dimension antisioniste du négationnisme. En effet, ce
terme de Néga-sionisme permet bien de qualifier le parti pris idéologique qui
motive la mise en œuvre de la méthode négationniste de S. Sand, tout autant que
14
Stéphanie Courouble Share. 2013. Négationnistes: quand tombent les masque.
http://www.conspiracywatch.info/Negationnistes-quand-tombent-les-masques-12_a1005.html.
15
Stéphanie
Courouble
Share.
2013.
Le
négationnisme
et
Israël.
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/shoah-et-israel-nom-sacre-nom-maudit/de-lantisemitisme-a-l-antisionisme-13-01-2014-56615_4510.php. 4ème partie de la conférence
intitulée “De l'antisémitisme à l'antisionisme".
28
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
celui de l’exploitation moderne antisioniste du négationnisme fondateur qui s’est
imposé dans la sphère néonazie arabe.
En ce qui concerne H. Atlan et M.R. Hayoun, ils n’ont de négationniste que la
méthode générale. L’usage qu’ils font de cette méthode est plutôt de nature
identitaire. Ils militent pour la définition d’une identité juive athée, au-delà d’un
simple choix personnel, en s’efforçant de supprimer la Foi juive de l’appareillage
identitaire du collectif juif. C’est pourquoi nous proposons la dénomination de
Néga-judaïsme16 pour caractériser l’usage qu’ils font de la méthode négationniste.
Mais de toutes les manières, bien qu’ils n’ont hérité du négationnisme que la
méthode générale, bien qu’ils ne manifestent pas personnellement de visées Négasionistes, leurs idées sont directement exploitables par le Néga-sionisme du
néonazisme arabe et du post sionisme de S. Sand, comme nous l’avons montré dans
le paragraphe précédent sur la progression idéologique du négationnisme.
De plus, leur méthodologie ne s’apparente pas à celle du négationnisme que du
point de vue de la négation des faits, mais aussi du point de vue de l’attitude
générale qui consiste à revendiquer l’appartenance à un courant sans avoir à en
assumer certains attributs considérés comme gênant. En effet, le négationnisme
fondateur a été développé pour permettre à ceux qui le souhaitaient d’adhérer de
manière dévoilée au néonazisme, sans avoir à assumer l’immoralité du génocide.
De manière analogue, dans un registre plutôt identitaire qu’idéologique, H. Atlan et
M.R. Hayoun militent pour fournir à ceux qui le souhaitent, une adhésion complète
à l’identité juive sans avoir à assumer la Foi en l’unité divine qui leur semble
inacceptable. Plutôt que d’admettre que le rejet de la religion est une option
individuelle qui s’accompagne inévitablement d’une perte identitaire, ils amputent
le judaïsme collectif de la religion. Ceci est bien analogue, abstraction faite de toute
considération moraliste, à l’amputation de la dimension eugéniste du nazisme
qu’opère le négationnisme17.
En fin de compte, ce qu’il est important de remarquer est que tous, R. Faurisson, S.
Sand, H. Atlan et M.R. Hayoun, partagent une même méthode générale de négation
des faits historiques que nous appelons la méthode négationniste. Par contre, ils
convergent ou divergent sur les axes de l’idéologie et de la thématique.
16
Ce terme est aussi une proposition de Stéphanie Courouble Share qu’elle a introduit dans
une communication privée.
17
L’eugénisme prône la pratique de la sélection au sein de l’espèce humaine afin de
l’améliorer et de la conduire à l’idéal, selon les critères de l’idéologie qui adopte
l’eugénisme.
29
‫בס"ד‬
Il nous paraît donc très éclairant de situer leurs approches respectives dans une
classification générale de la méthode négationniste qui repose sur les trois
dimensions que sont le courant de pensée tel qu’il est dénommé de manière usuelle,
l’utilisation de la méthode qui est l’idéologie qu’elle sert, et enfin la thématique à
laquelle la méthode est appliquée au service de l’idéologie (voir Tableau 1 cidessous).
Méthode
R. Faurisson
S. Sand
H. Atlan,
M.R. Hayoun
Courant
Négationnisme
Négationniste Post-sionisme
Judaïsme athée
Idéologie
Thématique
Politique :
Néonazi,
Néga-sioniste
Négation du
génocide juif et
de la nation juive
Politique :
Néga-sioniste
Négation du
peuple juif et de
la nation juive
Identitaire :
Néga-judaïque
Négation de
la religion juive
Tableau 1 : Classification des diverses stratégies négationnistes répertoriées à ce jour, sur
trois axes : le courant de pensée selon sa dénomination usuelle, l’idéologie et la thématique.
Outre la méthode, un second point commun est mis en évidence par cette
classification de toutes les stratégies négationnistes répertoriées, c’est la négation
de tout ce qui est juif. Le négationnisme fondateur ne niait que l’histoire du
génocide juif. Mais désormais, les différentes ramifications négationnistes nient la
nation juive, le peuple juif et la religion juive. Par conséquent, les différentes
stratégies négationnistes forment un ensemble homogène de négation de toutes les
dimensions du collectif juif. La mise à jour de cette constante qui se retrouve sur
toutes les ramifications de la méthode négationniste constitue une contre
argumentation à une lecture banalisée du phénomène négationniste, laquelle le
décrit comme une expression particulière d’un courant général de relativisme. Le
relativisme est une option philosophique qui refuse d’interpréter et de juger tout
épisode de l’histoire des peuples et des sociétés en référence à des critères moraux
qui seraient absolus, indépendants de son contexte historique, géographique,
culturel et social. Si le négationnisme était bien l’expression candide de l’option
philosophique du relativisme, on ne trouverait pas sur toutes les ramifications de la
stratégie négationniste cette constante ciblée de la négation de tout ce qui touche au
collectif juif.
On ne considère pas ici le négationnisme d’état comme par exemple le
négationnisme bolchévique du goulag comme instrument d’éradication politique, le
30
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
négationnisme Turc du génocide arménien ou encore plus récemment, le
négationnisme Rwandais du génocide Tutsi. Le négationnisme d’état est motivé par
une cause objective liée à la raison d’état. Il est tout aussi immoral, mais il est
compréhensible selon le rationalisme d’une raison d’état qui se situe au-dessus de
la morale. De ce fait, les cibles du négationnisme d’état sont non spécifiques, elles
sont tout ce qui gêne la raison d’état. Par contre, en dehors de la raison d’état, la
spécificité qui se démarque de l’analyse de toutes les ramifications de la stratégie
négationniste est la négation du collectif juif.
De plus, cette classification révèle que la stratégie négationniste a colonisé et
continue de coloniser des planètes intellectuelles apparemment très éloignées dans
l’espace universitaire. Le courant négationniste fondateur a introduit la méthode en
l’appliquant à la négation de la shoah, et en la mettant au service de la cause
néonazie. Le courant post-sioniste de S. Sand a appliqué la méthode générale à la
négation du peuple juif, au service de la négation du sionisme. Le courant de H.
Atlan et M.R. Hayoun, qu’on pourrait appeler le Néga-judaïsme, applique
maintenant cette méthode à la négation de la religion juive, au service de la cause
identitaire d’un judaïsme athée.
Une telle classification, basée sur une lecture du phénomène négationniste qui
dépasse les limites de la thématique de négation de la shoah, révèle donc
l’existence d’un processus de ramification d’une même pensée méthodologique qui
est la méthode générale du négationnisme, au service d’une même alliance sacrée
qui fédère les forces vives au-delà de toutes les frontières géographiques,
idéologiques, politiques et identitaires, qui est la négation des fondements du
collectif juif.
Cette cartographie des colonies négationnistes de la pensée suggère l’hypothèse
que la méthode négationniste devrait continuer à coloniser toujours plus de
nouvelles sphères de la pensée universitaire. Le moteur de ce phénomène est la
quête de légitimation historique d’un parti pris idéologique. Quant au dénominateur
commun des partis pris idéologiques qui motivent les différentes stratégies
négationnistes, il s’agit de la négation des bases du collectif juif.
Ces ramifications procèdent toutes d’une dégradation de la pensée lorsqu’elle est
asservie à un parti pris idéologique irrationnel préexistant à l’analyse, plutôt que de
soumettre l’analyse au service de la recherche de la vérité. Il est bien clair que
toute analyse nécessite un parti pris qui permet de structurer le travail de recherche.
Dans les conditions où ce parti pris accepte d’être rejeté quand l’analyse ne permet
pas de le maintenir, il s’agit d’une hypothèse de travail et c’est un instrument digne
31
‫בס"ד‬
de la pensée honnête. Mais quand ce parti pris résiste de manière péremptoire à des
faits contradictoires et à une analyse déficiente, il s’agit d’un préjugé tyrannique
qui asservie la pensée à la cause idéologique au lieu d’en faire un instrument de
recherche de la vérité.
De ce point de vue, les différentes stratégies négationnistes répertoriées ci-dessus
sont également ennemies de la Emounah, selon les principes fondamentaux de la
Emounah que nous allons expliquer dans la suite de cette étude. La Emounah étant
le projet de relation au monde que véhicule le peuple juif, fondé par la révélation
sinaïtique, si la pensée méthodologique du négationnisme est bien l’antithèse de la
Emounah, cela pourrait expliquer pourquoi l’ennemi objectif de tous ces négateurs
est justement le collectif juif dans toutes ses dimensions.
On peut resituer un tel processus de colonisation de la pensée négationniste dans
une perspective étendue de l’histoire de la pensée occidentale, grâce au travail de
l’historienne philosophe Denise Bonan. Elle a développé une analyse très puissante
de l’évolution de la pensée occidentale. Cette analyse tend à montrer que la pensée
occidentale s’est construite comme un instrument culturel de fédération des nations,
au service des conquérants, dans le prolongement de leurs conquêtes militaires18.
Dans ce contexte, la cause noble de recherche de la vérité du penseur honnête
semble bien étrangère à l’histoire de la genèse de la pensée occidentale. De ce point
de vue, le négationnisme ne serait qu’une expression moderne et exacerbée de cette
pensée instrumentalisée au service de diverses causes politiques.
Dans cette perspective, la stratégie négationniste pourrait être une phase inexorable
et terminale de l’évolution de la pensée occidentale. Et si, comme cela va apparaître
par la suite grâce à l’explication du caractère essentiel de la Emounah, la force
essentielle opposée à la tendance négationniste est bien la Emounah, nous sommes
en train de voir se former le dernier conflit mondial qui va secouer l’humanité,
avant la révélation messianique, sous sa forme la plus essentielle qui est celle de la
lutte de la Emounah, la foi d’Israël, contre le négationnisme.
H. Atlan et M.R. Hayoun peuvent prétendre à parachever l’écriture du protocole
des sages de Sion
Tous les ennemis du peuple d’Israël peuvent maintenant se réjouir d’apprendre que
les juifs ne complotent pas seulement pour s’emparer de toutes les ressources
naturelles, humaines et financières du monde, mais volent aussi la religion des
18
Denise Bonan. 1999. Genèse de la pensée en occident. Maisonneuve et Larose.
32
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
autres ! Cette thèse d’invention de la religion juive peut sans aucun doute prétendre
apporter un nouvel épisode de choix au protocole des sages de Sion.
Ceux qui propagent cette thèse peuvent clamer qu’ils se démarquent de la thèse de
Shlomo Sand selon laquelle le peuple juif lui-même est une invention, ils pourront
s’indigner d’être considérés comme des héritiers de la tradition négationniste. Il
n’en reste pas moins que ce qu’ils disent dépasse de très loin un simple débat de
religion, et participe à l’épaississement d’un mensonge grossier pour le plus grand
profit des causes néonazies et Néga-sionistes que sert le négationnisme dont ils
contribuent à généraliser la méthode.
Après avoir entendu qu’Il n’y a pas de nation juive, nous avons entendu qu’il n’y a
pas de peuple juif, et désormais nous entendons qu’il n’y a même plus de religion
juive authentique !
Cette théorie de l’invention de la religion juive est la solution finale qui vise à
éliminer l’identité juive de la réalité historique en la rendant orpheline de son passé,
afin de la déraciner du présent et de l’éradiquer du futur de l’humanité.
Ainsi la pensée négationniste de nos ennemis peut plus aisément nous contester le
droit à la terre d’Israël, ainsi que partout dans le monde, le droit à la pratique de
certains fondements de notre religion, tels que la brit milah ou encore le droit à la
she’hitah qui est le mode d’abattage permettant la consommation de viande cacher.
En effet, selon ces thèses négationnistes qui se répandent à grande vitesse, nous les
juifs n’existons pas ! Nous ne sommes que les acteurs virtuels du cauchemar
psychotique des antijuifs, des antisionistes et des antireligieux !
On pourrait arrêter ici cette étude en répondant à tous ces gens que si nous
n’existons pas dans le monde réel, si tout ce qui nous concerne n’est qu’invention
et mythe, nous les invitons à quitter ce monde de cauchemar et à se réveiller dans
un autre monde plus réel, sans juifs. Bien sûr, nous ne sommes pas rancuniers, au
cas où ils ne trouveraient pas de monde réel et idéal sans juifs qui serait apte à les
accueillir, nous leur donneront tout de même asile dans notre monde, mais il leur
faudra alors accepter que nous existons bien dans ce monde car nous, nous voulons
vivre dans ce monde. Nous ne le quitterons pas car nous y avons une mission à
accomplir et comme nous sommes de bons petits soldats, nous accomplirons cette
mission avec notre religion, avec notre peuple et avec notre nation.
Mais nous n’allons pas nous contenter de cette réponse car ce qui nous importe
n’est pas de répondre aux négationnistes. Ce qui nous importe est d’œuvrer à la
compréhension du message divin que recèle l’expression toujours plus généralisée,
toujours plus arrogante, toujours plus méprisante et toujours plus violente de
33
‫בס"ד‬
l’attitude négationniste. Nous allons maintenant établir toutes les données qui nous
permettrons, à la fin de cet essai, de proposer une lecture du phénomène
négationniste qui soit compatible avec la Emounah en la providence divine.
34
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Le critère juif de la vérité : le Chalom
Dans notre tradition, la logique qui garantit la valeur de vérité d’un énoncé n’est pas la
valeur suprême. En effet, nous savons bien qu’une vérité partielle peut toujours être
démontrée selon la logique, pour autant qu’on limite la portée de l’étude à ce qui peut nous
conduire aux conclusions que nous souhaitons obtenir. C’est pourquoi, la logique seule ne
suffit pas à établir la vérité, laquelle repose aussi sur la complétude qui reste inaccessible à
la logique. Ceci a été démontré sous la forme du théorème de l’incomplétude en 1936 par le
logicien Kurt Gödel qui démontre que la complétude est hors de portée de la logique. Le
seul critère accessible de la vérité est un critère apparemment éthique, le Chalom, la paix.
Mais même au-delà de l’éthique, en toute logique, le chalom est le seul critère qui nous
permet de juger objectivement de la complétude d’une théorie. En effet, quand la logique se
met au service du Chalom, elle prend nécessairement en compte le collectif, ce qui nous
empêche d’exclure tout ce qui gêne nos intérêts particuliers afin de parvenir à une vérité
biaisée car partielle. Par contre, lorsqu’on on exclut certaines particularités pour en
favoriser d’autres, on génère des conflits et cela est la marque objective d’une pensée
mensongère asservie à des intérêts particuliers. Au contraire, quand la logique cherche le
Chalom, elle doit se mesurer à la complétude de l’intérêt collectif, et c’est ce qui conduit la
pensée sur le chemin de la vérité qui englobe nécessairement le collectif.
Nous venons de montrer la filiation et le prolongement négationniste de la thèse
d’invention de la religion juive. Précédemment, nous avons montré la légèreté de la
thèse d’invention de la religion juive qui repose sur une interprétation péremptoire
des faisceaux d’analogies entre le judaïsme et des doctrines étrangères. Nous
analyserons aussi à notre tour les analogies entre le judaïsme, la philosophie, le
christianisme et l’islam. Mais avant, nous souhaitons montrer que notre tradition
nous transmet le critère ultime de la vérité qu’est le chalom (la paix), selon lequel
toute stratégie négationniste discrédite nécessairement la cause qu’elle sert.
L’expression talmudique de la complétude comme critère de vérité
Un principe fondamental du derekh eretz (les bonnes manières selon l’usage
populaire) de notre tradition nous enseigne que la vérité n’est une valeur
respectable que si elle au service du chalom (de la paix). C’est ainsi que le traité
Berakhot du talmud bavli se termine : « Rabi El’azar dit au nom de Rabi ‘Hanina,
les talmidei ‘hakhamim augmentent la paix dans le monde …». On traduit
généralement talmid ‘hakham par sage ou bien érudit, selon le contexte. Mais la
traduction la plus juste est de conserver l’expression complète, l’érudit sage. Cette
expression signifie que l’érudition n’a de valeur que si elle conduit à la sagesse et
que la sagesse ne peut s’obtenir sans l’érudition. La connaissance de la vérité, qui
se situe bien au-delà de l’opinion, est la marque de l’érudition. Mais ce n’est pas la
vérité qui est mentionnée comme étant la marque du talmid ‘hakham, sa marque est
plutôt la paix du monde qu’il œuvre à développer. Cela signifie encore plus
généralement que la marque de la vérité est la paix. Ce principe peut être établi par
35
‫בס"ד‬
de très nombreux textes de la tradition juive qui traitent de la dialectique entre la
paix et de la vérité. Mais il résonne à priori comme l’expression de la nécessaire
compromission de la vérité lorsqu’elle menace la paix. Ce ne serait donc finalement
qu’un principe bien connu de diplomatie qui n’aide en rien l’idéal de la cause de la
vérité, au contraire. Pourtant, il ne s’agit pas ici de compromettre la vérité pour
favoriser la paix mais bien de prendre conscience que le cachet d’authenticité de la
vérité est la paix. La vraie dimension de ce principe contre-intuitif n’est donc pas
triviale, elle nécessite d’être expliquée.
Une des base du moussar, de la morale juive, nous enseigne que l’homme est
attaché à ses intérêts personnels à tel point que sa pensée leur est inévitablement
asservie. Par conséquent, il nous est impossible de savoir si on se met réellement au
service de la vérité ou bien si on construit des raisonnements auxquels on ne fait
que donner l’apparence de la vérité car ils servent nos intérêts personnels.
D’ailleurs, l’histoire des sciences montre que même l’expérience scientifique peut
conduire à ce que l’on souhaite conclure à priori, à cause de l’introduction de biais
expérimentaux subtils. Et même quand il n’y a aucun biais expérimentaux,
l’expérience mène à l’indécidabilité. Par exemple, les expériences les plus avancées
en matière de physique atomique montrent que l’expérience elle-même conduit à
des résultats paradoxaux irréductibles (voir l’histoire du paradoxe EPR) qui laissent
le champ libre à toutes sortes d’interprétations. Dans ces conditions, alors que
l’expérience scientifique ne peut même pas prétendre à établir la vérité univoque,
que dire des spéculations philosophiques et historiques qui ne subissent même pas
l’épreuve de l’expérience? Il n’existe donc plus qu’une seule qualité apte à exercer
l’arbitrage requis afin de garantir l’éthique de la pensée qui conduit sur la voie de la
vérité, en commençant par éviter de s’égarer dans les chemins du mensonge, c’est
l’humilité. Cela, notre tradition le sait depuis toujours. L’humilité du penseur juif
authentique se manifeste tout d’abord par le refus de blesser et d’offenser autrui, à
plus forte raison un groupe, à plus forte raison un peuple entier, car rien ne pourra
jamais atteindre le niveau de certitude apte à justifier une telle atteinte à l’honneur
d’autrui. On comprend bien qu’une telle attitude préserve le chalom tout en
favorisant la vérité car elle nous protège des conclusions hâtives et erronées.
Mais la relation entre la vérité et le chalom va bien plus loin encore. En effet, selon
notre tradition, la quête du chalom n’est pas seulement un principe de précaution
qui nous préserve du mensonge. Il faut noter que s’il n’était qu’un principe de
précaution, ce serait déjà bien. Cependant, s’il se limitait à une attitude
précautionneuse, il ne serait pas très efficace lorsque le rapport de force nous est
36
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
favorable et nous permet ainsi de ne pas craindre de rompre le chalom et donc, ne
nous engage pas à prendre des précautions par nécessité.
De toute évidence, le critère talmudique du chalom est plus encore qu’un principe
de précaution, c’est le cachet de certification de la vérité. Il s’agit d’un principe qui
contredit le sens commun car on a toujours l’impression qu’il faut faire des
concessions sur la vérité pour préserver le chalom. En fait, ce sont les petites
vérités corrompues de chacun qui doivent être réprimées pour préserver le chalom.
On comprend donc que lorsque le chalom, c’est-à-dire l’intérêt collectif, est la
valeur suprême, les petites vérités corrompues des particuliers s’effacent
naturellement devant la nécessité jugée impérieuse du chalom et donc, laisse la
place dont la grande vérité attend de disposer pour s’exprimer. Cette loi de la Vérité
du Chalom s’exprime dans la composition même des mots EMeT (vérité) et
ChaLoM en hébreu. Le mot EMeT se compose des lettres Aleph, Mem et Tav qui
sont respectivement la première lettre de l’alphabet hébraïque, la lettre médiane (en
prenant en compte les formes finales des lettres Mem, Noun, Khaf, Pe et Tzadiq) et
la dernière lettre. La composition de ce mot indique que la vérité englobe tout, du
début à la fin en passant par le milieu! Dans ces conditions, la vérité ultime semble
bien être une valeur inaccessible car on ne pourra jamais accéder à ce niveau de
complétude.
En effet, en termes de logique mathématique, pour que la justesse d’un procédé de
recherche de solution (un algorithme) puisse être démontrée, il ne faut pas
seulement que les solutions qu’il découvre ne soient pas fausses, ceci se nomme la
consistance. Il faut encore qu’il soit complet, c’est-à-dire qu’il génère toutes les
solutions possibles, c’est-à-dire tous les aspects de la vérité. Or, en 1931, le
logicien Kurt Gödel a établi que la démonstration de la complétude restera à jamais
inaccessible à la logique, c’est le théorème de l’incomplétude. Il était déjà clair que
dans le domaine des sciences humaines qui développent des théories non
algébriques, on ne sait même pas définir la complétude. Par conséquent, les
conditions de la vérité en sciences humaines sont tout simplement inexprimables et
donc nous n’avons pas de critère de jugement de la valeur de vérité d’une théorie
de sciences humaines. Avec le théorème de l’incomplétude, même les théories
algébriques, c’est-à-dire les théories de sciences exactes qui traitent de problèmes
dont les solutions sont dénombrables, n’offrent plus aucun espoir de s’imposer par
la démonstration logique.
Notre tradition savait déjà cela de mémoire ancestrale puisque le critère ultime de
la vérité n’est pas la complétude logique, qui est soit indéfinissable en sciences
humaines soit indémontrable en sciences exactes, mais l’expression sociale de la
37
‫בס"ד‬
complétude qui est le chalom. C’est pourquoi le mot ChaLoM se vocalise aussi
ChaLeM qui signifie complet, car la paix est le témoignage social de la vérité qui
englobe tout et tout le monde. Par conséquent, dire que le emet doit être au service
du chalom signifie que la complétude qui englobe tout est la marque de la vérité,
ainsi que la composition consonantique du mot EMeT le suggère. On retrouve donc
bien dans la tradition orale, la centralité du critère de complétude dans l’évaluation
de la valeur de vérité d’un énoncé. De plus, la correspondance entre le mot
ChaLoM, la paix, et le mot ChaLeM, le complet, ne nous informe pas uniquement
sur le critère de reconnaissance de la vérité mais nous indique en plus, la voie
d’accès à cette vérité. En effet, c’est seulement grâce à l’humilité consistant à
s’attacher à l’intérêt du collectif, qui est complet, qu’on favorise la paix qui est
menacée par l’orgueil des intérêts des particuliers, lesquels sont partiels et
prétendent à plus d’importance que ceux des autres. La pensée forgée par la
tradition juive du emet et du chalom sait que le certificat de la vérité est le chalom
car en plaçant le chalom au-dessus du jugement personnel, on se met au service de
l’intérêt collectif, au-delà des intérêts personnels qui compromettent la vérité en
ignorant la complétude du collectif. Ainsi, en s’attachant à l’intérêt du collectif qui
est complet, on s’attache aussi au complet qui est le EMeT englobant le tout, de
Aleph à Tav en passant par Mem.
Donc, le critère du chalom est bien le seul critère permettant de juger de la
complétude et donc de la vérité d’un énoncé. Ceci est dû au fait que tant qu’un
particulier, devant être inclus dans cet énoncé, en est exclu, il brise naturellement le
chalom et on sait alors que le critère de la complétude n’est pas vérifié et donc que
l’énoncé n’est pas vrai car incomplet.
On peut maintenant revenir à l’énoncé talmudique du talmid ‘hakham, que nous
avons traduit littéralement par érudit sage, qui augmente la paix dans le monde.
L’érudition est ce qui permet de ne rien énoncer de faux. En termes de logique,
c’est la consistance qui est nécessaire mais non suffisante pour atteindre la vérité.
Pour sa part, la sagesse est la quête du chalom car c’est la marque de la complétude
qui est tout autant nécessaire à la vérité que la consistance. Le principe talmudique
du talmid ‘hakham, de l’érudit sage, qui augmente la paix dans le monde est donc
le principe le plus élaboré de recherche de la vérité qui soit accessible à l’homme.
C’est l’expression talmudique de la nécessité des deux conditions logiques de la
vérité que sont la consistance et la complétude. C’est l’expression de la
connaissance prophétique, transmise par la tradition, des relations intimes entre le
chalom et le emet. Par conséquent, si l’impossibilité de démontrer la vérité absolue
de manière purement logique a inspiré le courant moderne du relativisme, cette
impossibilité ne débouche pas sur le relativisme en pensée juive mais plutôt sur la
38
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
mise en évidence du critère empirique social de la vérité qui est le chalom, comme
une alternative à la complétude logique qui sort du champ d’investigation de la
pensée humaine.
Pas de chalom, pas de emet dans la thèse d’invention de la religion juive
Nous pouvions donc répondre à ces allégations sans même analyser leur contenu en
détail, ni même leur méthode. Selon le critère supérieur de la vérité du chalom de
notre tradition, nous savons déjà qu’elles sont fausses car elles brisent le Chalom
par l’offense à une majorité du peuple juif, en niant son identité. Selon cette
majorité, la religion juive provient de la transmission de la prophétie d’Avraham,
Ytz’haq et Ya’aqov. De plus, toujours selon cette majorité, l’identité du peuple juif
est intimement liée à la religion juive. Tout le monde le sait car tout le monde est
témoins que l’identité juive de ceux qui abandonnent la religion juive s’efface en
trois générations, au plus. En effet, l’expérience montre qu’on ne trouve plus
personne qui revendique une identité juive dès que l’abandon de la religion
remonte à trois générations. Ceci est aussi vrai en Israël puisque les héritiers à la
troisième génération des sionistes laïcs qui avaient débarrassé leur identité juive de
la religion, qu’on dénomme les post-sionistes, militent activement en faveur d’un
état d’Israël qui ne serait plus un état juif. La religion juive est donc
indéfectiblement liée à l’identité juive ce qui signifie que nier la religion juive,
c’est nier l’identité juive collective. Il n’y a donc pas de chalom et pas de emet dans
les propos choquants qui violent le principe identitaire du peuple juif, même si
leurs auteurs clament qu’ils ne veulent pas choquer.
Il leur aurait suffi de dire que l’identité juive d’un individu n’est pas
nécessairement liée à la pratique de la religion. Ce serait des propos justes et
respectables car personne n’a le droit de contester l’identité juive de quelqu’un qui
revendique son judaïsme sans pour autant pratiquer la religion. Même si selon toute
vraisemblance, l’abandon de la religion ne lui permettra pas de transmettre son
identité juive au-delà de trois générations, personne ne peut lui contester son
identité propre. Mais l’affirmation de l’identité juive au niveau individuel, au-delà
de la religion, ne suffit pas à certains intellectuels qui ressentent le besoin de
justifier leur position personnelle par une théorie collective. Ils s’emparent de
l’identité juive collective pour couper ses liens avec la religion, en niant
l’authenticité de cette religion qui les embarrasse personnellement. Pour assurer
leur confort identitaire personnel, Ils sont prêts à nier le principe identitaire d’une
majorité du peuple juif.
Rien, dans une telle démarche, ne laisse apparaître ce qu’ils cherchent à construire,
il n’y apparaît rien d’autre qu’une entreprise de destruction de la Emounah. Il n’y a
39
‫בס"ד‬
pas de chalom, il n’y a donc pas de emet dans ces propos. Nous avions déjà montré
l’inconsistance de la méthode dans les paragraphes précédents, nous montrons
désormais l’incomplétude de ces propos qui se manifeste par la rupture du chalom.
Sans consistance, et maintenant avec la preuve de leur incomplétude, ces propos ne
peuvent même pas prétendre à la moitié de la vérité.
Cependant, en vertu du principe de vérité du chalom, il convient d’affirmer que
même ces allégations méritent d’être entendues, puisqu’elles ont été exprimées. Pas
comme l’expression de la vérité bien sûr, puisque nous avons montré leur
inconsistance et leur incomplétude. Mais il faut nécessairement reconnaître qu’ils
sont porteurs de fragments de pensée qui méritent d’être considérés. Il est donc
nécessaire de réintégrer correctement ces fragments dans la vision globale de
l’histoire du peuple juif en exil qui redevient Israël. C’est ce que nous ferons à la
fin de cet article. Mais avant, il nous fallait tout d’abord révéler, puis dénoncer avec
force, la filiation et la dérive négationniste de la théorie de l’invention de la religion
juive, privée de tout fondement sérieux.
40
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
La révélation Avrahamique, la philosophie, le christianisme et
l’islam
Avraham avinou, Socrate, Platon, Aristote, Averroès et Thomas d’Aquin écrivent
respectivement l’histoire de la prophétie de l’unité, de la philosophie de l’unité, et enfin de
la théologie de l’unité. Nous allons maintenant analyser les faisceaux d’analogies qui
existent entre le judaïsme, la philosophie, le christianisme et l’islam, en accord avec la
chronologie. Une fois ces analogies bien identifiées et leur émergence resituée dans leur
chronologie naturelle, nous identifierons la singularité de la Emounah selon la tradition
d’Israël qui est analogue à tous les systèmes de foi et de connaissance réunis, mais qui
n’équivaut à aucun de tous ces systèmes pris en particulier.
L’antériorité et la continuité de la tradition juive du texte
Avant même le christianisme et à fortiori l’islam, les penseurs grecs qui ont
développé les fondations de la philosophie et des sciences modernes ont euxmêmes nécessairement été interpellés par la pensée juive. La philosophie et les
sciences modernes prennent leur source à l’école présocratique de Milet fondée par
Thales à la fin du 7ème début du 6ème S. avant l’ère chrétienne (a.è.c.). C’est donc
précisément à la fin de la période du premier temple de Jérusalem, construit par le
roi Salomon au 10ème S. a.è.c. et détruit par le roi babylonien Nabuchodonosor II au
début du 6ème S. a.è.c., que la philosophie et les sciences grecques commencent à se
structurer dans la cité grecque de Milet, sur la côte ionienne de l’Anatolie. Par
conséquent, c’est déjà après 400 ans de rayonnement de la civilisation d’Israël,
matérialisé par le temple de Jérusalem, dans toute la sphère géographique du bassin
méditerranéen, du proche et du moyen orient que naissent la philosophie et les
sciences à moins de 2 000 Kms au Nord-Ouest de Jérusalem (Le site archéologique
de Milet se trouve dans la région de Didim en Turquie actuelle). De plus, selon les
recoupements chronologiques, Thales et le prophète Yirmya (Jérémie) étaient en
Egypte à la même période, juste après la destruction du premier temple en 587
a.è.c. Il est difficile d’imaginer que le jeune Thalès, assoiffé de connaissance, qui
étudiait en Egypte n’ai pas rencontré le prophète Yirmya qui était alors renommé et
respecté, même par le roi babylonien Nabuchodonosor II qui détruisit le premier
temple. La souveraineté babylonienne a ensuite cédée la place à la souveraineté
Perse. Puis quand Israël est passé de la souveraineté perse à la souveraineté
grecque, suite aux conquêtes d’Alexandre le Grand qui était disciple d’Aristote, de
nombreux échanges eurent lieu entre les sages juifs de l’époque du second temple,
les tanaïm, et les savants grecs. Donc, dès sa naissance et tout au long de son
développement, la philosophie grecque a nécessairement été en contact avec la
pensée juive.
41
‫בס"ד‬
Or, nous allons montrer dans le paragraphe suivant qu’il existe des analogies très
précises entre les textes de la philosophie grecque et la pensée juive telle qu’elle
nous est transmise par le midrach. Nous allons voir, à la lumière du récit
midrachique, que le rationalisme philosophique de RaMBa"M s’inscrit dans la pure
tradition de la quête Avrahamique. Donc, ceux qui voudraient nier l’antériorité de
la tradition juive de l’unité divine, en s’appuyant sur des analogies avec des
doctrines étrangères, ne peuvent se contenter de remettre en cause l’enseignement
rabbinique du moyen âge. Ils doivent aussi pour cela, commencer par nier
l’antériorité des enseignements midrachiques et talmudiques qui présentent des
analogies avec les fondements de la philosophie présocratique. Or, si les textes juifs
relatent les échanges entre les sages juifs et les philosophes grecs, ce n’est pas le
cas dans le sens inverse.
Bien sûr, les seuls textes qui étaient transmis par écrit pendant cette période, au
cours de laquelle se forgent les analogies que nous allons étudier à partir du
midrach, étaient ceux du TaNa"Kh. La plupart de ces textes sont reconnus autant
par le christianisme et l’islam que par le judaïsme. C’est leur compréhension, telle
qu’elle est transcrite dans la michnah, le midrach et la guemarah, qui est
spécifiquement juive. Mais la michnah n’a été retranscrite par écrit que juste après
la destruction du second temple, c’est-à-dire au tout début de l’ère chrétienne. Le
midrach et la guemarah, pour leur part, n’ont été retranscrits par écrit que plus
tardivement à la fin du 4ème S., début du 5ème S. è.c., c’est-à-dire au cours du
premier siècle de l’empire byzantin pendant lequel le catholicisme romain devient
un instrument de pouvoir politique supranational. C’est pourquoi ceux qui rejettent
la tradition orale peuvent toujours argumenter que rien ne prouve que
l’enseignement midrachique et talmudique a plus d’antériorité que ses premières
retranscriptions écrites. Donc, selon eux, les analogies que nous allons relever
pourraient résulter d’une influence de la philosophie et de la théologie chrétienne
naissante, sur la pensée juive. Cependant, tout enseignement du midrach est
accompagné, comme la michnah qui est à la base de la guemarah, des versets du
TaNa"Kh sur lesquels il repose, et qui sont bien antérieurs à la naissance de la
philosophie et donc des autres religions monothéistes. Admettons cependant que ce
n’est qu’un argument et pas une preuve d’antériorité de l’enseignement oral du
talmud et du midrach, mais rien ne prouve non plus le contraire. Pour leur part, les
juifs qui honorent la tradition du texte font confiance à l’honnêteté des sages de la
chaîne de transmission orale car ils sont témoins de cette honnêteté par leur étude
quotidienne de la manière dont sont conduites les controverses talmudiques, telles
qu’elles sont retranscrites. En effet, l’extrême rigueur intellectuelle de la méthode
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
talmudique qui procède par analyse exhaustive de toutes les contradictions qui
peuvent apparaître entre les différentes sources de commentaire de la michnah,
fourni le modèle de référence de la méthode de transmission. Les sages de toutes
les époques ont donc pris un soin particulier à établir, et à vérifier par la
confrontation des sources, toute la chaîne de transmission des enseignements qu’ils
formulent. Dans ces conditions, La Emounat ‘hakhamim (la foi en les sages de la
tradition) n’exonère en rien les sages de démontrer la filiation de leurs
enseignements, depuis les textes du TaNa"Kh jusqu’aux enseignements de la
génération de sages qui les précèdent. la Emounat ‘hakhamim, qui est une
composante majeure de la Foi d’Israël, n’est donc pas une confiance aveugle. Elle
consiste à s’efforcer de comprendre les justifications des propos des sages, avant de
les objecter avec légèreté par ignorance et incompréhension.
Par conséquent, pour nier l’antériorité d’un enseignement de la tradition juive du
texte, Il faut démontrer une rupture dans une chaîne de transmission très éprouvée
par cette tradition elle-même, et dont le premier maillon sous forme écrite qui date
du tout début de l’ère chrétienne est celui qui relie le TaNa"Kh à la michnah. Nous
les juifs de la tradition, nous connaissons les textes et nous ne craignons pas la
rhétorique. Tous ceux qui sont candidats à la production de telles démonstrations
avec honnêteté, sérieux et rigueur sont invités à soumettre leurs prétentions. Elles
seront toujours respectées et considérées à leur juste mesure.
En attendant, l’antériorité de la pensée juive pouvant être établie en tout point par la
chronologie et par la continuité de la tradition du texte, toute convergence de fond
entre la pensée juive authentique et la philosophie grecque ne peut être considérée
comme l’expression de l’influence de la seconde sur la première. Donc,
l’élimination de cette possibilité ne laisse place qu’à deux autres possibilités qui
sont soit l’influence de la pensée juive sur la philosophie, ou bien la concomitance
entre la vérité de la tradition prophétique d’Israël et la vérité philosophique, cette
dernière provenant uniquement de l’analyse. Mais même dans le second cas, il reste
difficile d’admettre que des esprits si assoiffés de connaissance que ceux des
fondateurs de la philosophie grecque puissent omettre d’acquérir et d’analyser
toutes les connaissances humaines qui étaient à leur disposition à l’époque, au point
qu’ils ne mentionnent jamais la sagesse de la Torah.
Par conséquent, l’absence de références à l’enseignement des sages de la Torah
dans les textes fondateurs de la philosophie est une question qui reste ouverte.
43
‫בס"ד‬
Les analogies entre le judaïsme et les doctrines étrangères datent de la philosophie
présocratique
Il serait envisageable de répondre à la question précédente en admettant que l’objet
de la philosophie et l’objet de la Torah sont disjoints et que par conséquent, les
pères fondateurs de la philosophie, bien qu’ils connaissent la Torah, ne s’y réfèrent
pas.
Mais une telle réponse n’est pas possible. En effet, la problématique centrale de
l’école milésienne, fondatrice de la philosophie grecque, est l’élaboration d’une
interprétation naturelle de l’univers, une cosmologie, qui ne repose pas sur des
causes qui procèdent de l’ordre de l’affabulation mythologique, mais qui procèdent
de l’observation et de la logique dont la valeur de vérité peut être investiguée, tout
au moins dans une certaine mesure. Ce n’est donc pas l’interprétation divine du
monde apte à expliquer l’ordre observable de la nature, ce qui fait l’objet de la
Torah, que la pensée milésienne place hors du champ d’étude. C’est plutôt
l’interprétation mythologique qui pour sa part, n’est en rien inféodée à la logique
des lois observables de la nature, que la philosophie discrédite.
Voyons maintenant en quoi la problématique fondatrice de la philosophie et des
sciences est précisément la même que celle qui a conduit à la révélation de la
Torah. Le support de la logique étant le discours, c’est le terme logos (discours en
grec) qui désigne la logique qui préside à la formation des connaissances
philosophiques et scientifiques. Or, dans le traité Rhétorique d’Aristote la
définition du logos est ainsi rapportée au nom d’Héraclite qui fait partie des
fondateurs de l’école de Milet: « le logos – ce qui est – toujours ». Sans se perdre
dans les différentes manières d’interpréter cette tournure poétique dans la pensée
originelle d’Héraclite, c’est selon l’interprétation la plus simple et la plus plausible
que le logos s’est imposée en philosophie, c’est-à-dire comme l’instrument
d’établissement de la vérité qui se caractérise par la propriété fondamentale de la
permanence, étant donné que ce qui est vrai est forcément vrai tout le temps car
sinon ce serait faux dans l’absolu. Naturellement, seule quelque chose qui ne
dépend de rien peut être éternel et permanent car l’existence de tout ce qui dépend
d’autre chose est conditionnée à l’existence et à l’état de ce dont il dépend. Par
conséquent, le logos, l’idéal qui fait l’objet de la quête philosophique et scientifique
qui est née à l’école de Milet est donc le principe fondamental de toute chose qui
doit être anhypothétique, c’est-à-dire qui ne dépend d’aucune hypothèse mais qui
au contraire génère toutes les connaissances, ce qui se manifeste par la propriété de
la permanence. Tous les courants philosophiques et toutes les sciences n’existent
que dans le prolongement, ou bien en réaction, à cette quête formulée par les pères
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
fondateurs de la philosophie, qui est la recherche de la vérité absolue, englobante et
permanente.
Or, selon le midrach le concept de vérité qui se caractérise par l’éternité, dont le
support d’expression est la parole, et qui permet à ce titre de comprendre la
logique, le logos, de l’ordre de la nature ne fait pas son apparition dans la pensée
humaine il y a près de deux-mille-six-cent ans sur les côtes de l’Anatolie
occidentale à Milet, la ville de Thales et d’Héraclite. Elle apparaît bien avant, dans
la cité mésopotamienne d’Our Cassedim. C’est là que cette quête fait son apparition
dans l’histoire de la pensée humaine, sous la forme de l’histoire de la révélation
Avrahamique de l’unité divine. Et c’est précisément cette révélation prophétique
réitérée de manière collective au mont Sinaï sous la forme de la Torah qui est la
parole divine de La Vérité éternelle qui se traduit en grec philosophique par logos.
En effet, la description que fait le midrach de la quête de vérité d’Avraham, qui le
conduit à la révélation de l’unité divine, fait d’Avraham le réel inventeur du logos
au sens du raisonnement rationnel basé sur la formulation nourrie par l’observation.
C’est ce rationalisme d’Avraham qui l’écarte des affabulations d’ordre
mythologique de l’idolâtrie qui dominaient la civilisation mésopotamienne de
l’époque, et qui le conduit à la révélation de l’unité divine. Et c’est justement la
quête de permanence, la même qui est retrouvée ensuite dans les textes fondateurs
de la philosophie, qui conduit les observations et les analyses d’Avraham. Cette
quête de l’attribut fondamental de la vérité, qu’est la permanence, mène Avraham à
la décision rationnelle que le principe de la création et de la conduite du monde ne
peut être assimilé à quelque forme mouvante, changeante, de la nature. Il en déduit
que le principe de la création et de la conduite du monde qui est la vérité ultime,
pour être éternel et permanent, est nécessairement infini car il doit englober toute
chose qui prise séparément est délimitée et donc sujette au changement. Par
conséquent, le principe de la création et de la conduite du monde ne doit pas être
limité par quelque existence corporelle qui soit. La conséquence logique de
l’infinitude nécessaire du principe créateur est l’unité, car l’infini dépourvu de
limites distinctives n’est pas dénombrable, il est donc Un.
Selon les récits midrachiques du parcours initiatique d’Avraham, c’est cette analyse
qu’il a élaboré sur la base de sa contemplation de la nature. La quête du logos, en
tant que La Source de l’ordre intelligible de la nature, menée par Avraham aboutit
un peu plus de 400 ans plus tard, au niveau collectif, à la révélation sinaïtique de la
Torah qui décrit la création du monde par le discours divin qui se compose des dix
paroles fondatrices. Toute la Torah est vouée à la compréhension de ces dix paroles
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‫בס"ד‬
divines fondatrices comme étant la description intelligible de l’ordre de la nature à
toute échelle de temps et d’espace.
Par conséquent, l’objet fondamental de la philosophie qui est la quête de
compréhension et de formulation de l’ordre divin de la nature, c’est-à-dire de
l’expression éternelle et permanente de la vérité, qu’elle nomme le logos est
précisément le même objet que celui qui fonde la tradition Avrahamique.
Donc, la question de savoir pourquoi les fondateurs de la philosophie grecque ne
font aucune référence à la Torah doit être abordée en considérant que :
•
La connaissance de la Torah est nécessairement antérieure à la philosophie
et nous disposons d’une tradition du texte très puissante pour soutenir la
conviction qu’elle se transmet sans discontinuité.
•
L’objet de la quête philosophique originelle est le même que celui de la
quête fondatrice d’Avraham qui conduit à la révélation de la Torah.
•
Et enfin, les fondateurs de la philosophie connaissent nécessairement
l’existence de la Torah.
On pourrait encore objecter que seul l’objet fondamental de la philosophie est
partagé avec la Torah mais que les méthodes et les résultats de la philosophie
n’ayant rien à voir avec ceux de la transmission de la Torah, il est naturel que les
textes de la philosophie ne fassent aucune référence à la Torah. Pourtant, c’est
précisément la même démarche analytique que celle d’Avraham que suit
Anaximandre qui fait partie des fondateurs de l’école de Milet. Ce dernier est
impliqué dans le débat de l’identité du principe fondateur de l’univers qu’il fallait
alors choisir parmi les quatre éléments que sont le feu, l’eau, l’air et la terre.
Anaximandre décide que le principe originel dont tout le reste dépend est
nécessairement imperceptible et donc impensable car il dépasse les limites de toute
définition puisque c’est justement lui qui génère toutes les autres définitions. Le
principe créateur de l’univers ne peut donc être aucun des quatre éléments.
Anaximandre nomme ce principe qui transcende nécessairement les quatre
éléments, l’apeiron (ἀπείρων), littéralement l’illimité. Or, comme nous venons de
le voir, c’est l’absence de limites qui implique l’unité dans la pensée d’Avraham.
Anaximandre a tout simplement reformulé, dans le contexte du discours
philosophique naissant, la découverte d’Avraham. Mais curieusement
Anaximandre, non seulement ne se converti pas au judaïsme, alors que les résultats
de ses recherches convergent vers le principe fondateur du judaïsme, mais
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
l’héritage philosophique qu’il lègue est l’école du sophisme. Le sophisme consiste
à accepter que le discours ne pouvant permettre d’accéder à la vérité puisque elle
est imperceptible et insaisissable, le discours ne peut et ne doit être qu’au service de
la rhétorique politique en tant qu’instrument de séduction et de pouvoir.
Le prédicat de la pensée sophiste est donc le même que celui du judaïsme, c’est la
nécessaire infinitude imperceptible et insaisissable du divin qui crée et conduit le
monde, Ein Sof en hébreu, apeyron en grec philosophique.
La différence entre le prolongement sophiste de l’énoncé d’Anaximandre de Milet
et la Foi d’Israël dans le prolongement de la révélation Avrahamique est que dans
le premier cas, la vérité de l’apeyron jugée inutile puisqu’elle est inaccessible, doit
être abandonnée en tant que but du discours. Alors que pour les enfants de la
tradition d’Israël qui est l’héritage d’Avraham, d’Ytz’haq et de Ya’aqov, La Vérité
de Ein Sof est si grandiose qu’il faut se mettre à Son service, même en admettant
qu’Elle reste insaisissable, et sans même savoir à priori quel intérêt ce service
pourrait revêtir. Et ce choix n’est bien évidemment pas un exercice de style car
Avraham va jusqu’au sacrifice de sa vie quand Nimrod, le premier roi de la
Babylonie unifiée dans la descendance de No’ah, le condamne à mort pour refuser
de renoncer à ses convictions et à leur enseignement. En acceptant de mourir par le
feu au service de cette cause, Avraham sort miraculeusement vivant du feu et reçoit
la révélation prophétique de la vérité à laquelle il était arrivé préalablement par
l’analyse.
L’histoire de Socrate est très analogue à l’histoire d’Avraham, la question est : en
quoi ces histoires sont-elles différentes ?
Puisqu’il est désormais bien clair que la pensée qui fonde la philosophie grecque
est précisément la même que la pensée fondatrice du judaïsme, la question qui se
pose maintenant est de savoir pourquoi cette pensée qui mène Avraham à la
prophétie ne produit pas les mêmes effets sur les penseurs grecs.
Bien sûr, il serait absurde de répondre que la raison en est l’antériorité. L’accès à la
révélation du divin n’a strictement rien à voir avec une course dont seul le premier
arrivé emporte la médaille. Les récits de la vie des avot et la transmission de leur
enseignement par la chaîne de la tradition de la sagesse de la Torah doivent
finalement permettre à toute l’humanité de retrouver le chemin d’accès au divin. De
plus, nous devons décider de ne pas conclure, à partir de l’absence de références
philosophiques à la Torah, que les fondateurs de la philosophie étaient
malhonnêtes. Nous devons préférer considérer qu’ils ne connaissaient pas la
sagesse de la Torah malgré que ce soit très improbable. Ainsi, la question de savoir
47
‫בס"ד‬
pourquoi les penseurs grecs du début de la philosophie ne parviennent pas à la
prophétie, bien qu’ils aient fait le même parcours analytique que les pères
fondateurs du judaïsme, reste une question ouverte que nous devons nous interdire
de résoudre trop simplement en les accusant, sans pouvoir le prouver formellement,
d’avoir piller la Torah sans citer leurs sources.
Pour appuyer cette question, il faut reconnaître que la pensée philosophique
originelle n’est pas départie du courage extrême qui va jusqu’au sacrifice au service
de la vérité, comme l’illustre la vie de Socrate. Il apporte la dimension de l’éthique
à la philosophie qui permettra à la pensée philosophique de prétendre à l’exercice
de l’influence politique sans accepter l’argument sophiste, c’est-à-dire sans départir
la philosophie de sa prétention à la vérité. De plus, la vie de Socrate présente des
convergences troublantes avec celle d’Avraham. En effet, Socrate, comme
Avraham, voue sa vie à la recherche de la vérité qui doit être synonyme du Bien.
Comme Avraham, il est condamné à mort par le pouvoir politique parce qu’il réfute
brillamment la religion idolâtre d’état. Comme Avraham, il aurait pu éviter cette
condamnation en acceptant de cesser d’exercer son influence par la réfutation.
Comme Avraham, il refuse de compromettre la vertu de son attachement à ses
convictions anti-idolâtres pour sauver sa vie, et choisi la mort plutôt que la
soumission au pouvoir idolâtre. En toute rigueur, la différence entre Avraham et
Socrate n’est pas évidente à identifier. Dans ces conditions, pourquoi Socrate qui a
sacrifié sa vie pour réfuter la religion idolâtre d’état, par attachement à la vérité et
au Bien, n’aurait-il pas, comme Avraham, bénéficié d’un miracle et accédé à la
révélation prophétique du divin ? D’autant que Le midrach (Berechit Raba 39, 1)
nous apprend qu’Avraham n’a accédé à la révélation prophétique que suite au
supplice de la fournaise auquel il survit miraculeusement, quand Dieu lui dit « Vat’en de ton pays, de là où tu es né, de la maison de ton père … », (Berechit 12, 1).
Par conséquent, au moment où ils acceptent de sacrifier leurs vies par attachement
à leurs convictions, Socrate et Avraham sont tous deux dans la même situation. Ils
sont habités par une même conviction forgée par l’analyse que le divin, c’est-à-dire
le principe de création et de conduite du monde, ne peut correspondre à des
conceptions idolâtres de nature mythologique. Au moment de leurs condamnations
à mort, Avraham et Socrate sont donc dans un même état de réfutation de l’idolâtrie
sans être encore parvenus à la révélation prophétique de l’unité divine.
Peut-être faut-il chercher la différence au niveau de leurs convictions, non pas de ce
que ne peut pas être le divin, mais plutôt de ce qu’il est ? En ce qui concerne
Socrate, sa réelle position religieuse peut être déduite des chefs d’accusation
auxquels il doit répondre devant les juges de la cité d’Athènes. Ils sont
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
contradictoires puisqu’il est accusé en même temps d’impiété et de croyance en
d’autres divinités que les divinités officielles de la cité d’Athènes. Dans ces
conditions il aurait fallu l’accuser de vouer sa piété à des dieux étrangers, et non
pas d’être impie tout en étant croyant, serait-ce en des dieux étrangers. La seule
manière de comprendre une telle contradiction est de disjoindre les convictions qui
concernent la création du monde et celles qui concernent la conduite du monde
après sa création. En effet aucun des écrits sur Socrate, à part le récit des
accusations qui lui sont reprochées, ne permettent de penser qu’il était impie au
sens de athée. Il devait donc admettre l’idée d’une conscience créatrice. Par contre,
les principes de conduite du monde étaient pour lui les principes observables des
lois de la nature. La position religieuse de Socrate était donc très probablement
l’idée que le dieu unique a créé les lois de la nature et suite à la création, ce sont ces
lois observables et analysables qui conduisent le monde. Une telle position
permettrait donc de comprendre les chefs d’accusation contradictoires de croyance
en d’autres divinités que les dieux athéniens d’une part, ce sont les lois de la nature,
et d’impiété d’autre part, car son dieu créateur du monde mais non conducteur du
monde exonère les créatures de le servir. Or, la piété se définie par le service du
divin, la simple croyance ne suffit pas à la piété. Dans ces conditions, l’idée d’un
dieu créateur des lois de la nature qui laisse la conduite du monde à ces lois de la
nature peut être décrite comme une croyance idolâtre qui remplace les dieux
officiels d’Athènes par les lois de la nature. En effet, les lois de la nature livrées à
elles-mêmes ne sont finalement que des dieux qui n’agissent pas selon une
psychologie mais selon une mécanique. C’est une croyance idolâtre car ces lois ont
des portées limitées et sont donc multiples de par les limites distinctives qui
permettent de les dénombrer. Et cette croyance n’implique pas la piété, c’est-à-dire
le service, car le dieu créateur ne s’implique pas dans la conduite du monde qu’il a
créé. Ainsi il devient aisé de comprendre la logique de ces deux accusations,
apparemment contradictoires, d’impiété et de croyances en d’autres divinités que
les divinités officielles de la cité d’Athènes.
Si telle était la position de Socrate au sujet du divin, il semblerait bien qu’elle
constitue la différence que nous recherchons avec les convictions d’Avraham. Mais
cette voie de recherche n’aboutit pas non plus. Le midrach (Ibid.) nous apprend
qu’Avraham lui-même était partagé au sujet de la conduite du monde. Il reconnaît
la présence d’un ordre cosmique global qui ne peut être expliqué par le fruit du
hasard ou bien par l’action de plusieurs dieux dont chacun aurait œuvré à cet ordre,
de manière autonome, et dans les limites de son domaine respectif. C’est ce qui se
nommera plus tard en langage philosophique, l’argument physico-théologique de
49
‫בס"ד‬
l’existence de Dieu. Cet argument repose sur la nécessité d’une conscience
organisatrice unique pour expliquer l’ordre cosmique unique. D’ailleurs, les
descriptions scientifiques modernes des structures et des phénomènes naturels,
lesquels nécessitent des moyens élaborés d’investigation car ils échappent à la
perception des sens, continuent de nourrir l’argument physico-théologique. En
effet, la nature ne cesse de nous impressionner par son ordre global qui va des
structures et des phénomènes microscopiques les plus infimes aux manifestations
macroscopiques observables en astronomie. Mais même avec le soutien des
observations scientifiques, l’argument physico-théologique reste réfutable. Il ne
peut s’agir d’une preuve, c’est seulement une présomption qui provient de la
contemplation de la nature. Il n’est pas nécessaire de traiter ici des réfutations
d’ordre philosophique et scientifique de cet argument car même en tant que simple
présomption, elle est déjà mise en cause par l’analyse d’Avraham. En effet,
Avraham ne sait pas résoudre la difficulté du désordre moral de l’humanité qui fait
bien apparaître l’idée du mal dans le monde, lequel semble échapper au pouvoir
divin. L’observation de la dualité du bien et du mal fait donc déjà obstacle à la
présomption de l’unité divine qui vient de l’argument physico-théologique. Il s’agit
d’un paradoxe qu’Avraham ne sait pas résoudre. Le midrach exprime ce paradoxe
par une question que se pose encore Avraham avant d’accéder à la révélation
prophétique, bien que le miracle de sa survie à la fournaise ai déjà eu lieu : « Le
souverain est-il présent à la tête de son empire ?»19. Cette question révèle
qu’Avraham prend en compte l’argument physico-théologique car il reconnaît que
l’univers est un empire unifié qui témoigne de la présence d’un ordre global et
unique, mais il ne sait pas effacer le doute que le souverain règne encore, c’est-àdire que Dieu intervient dans la conduite du monde après avoir établi les lois de la
nature. Ce midrach révèle donc qu’Avraham, au moment de son supplice, est en
situation de doute à cause d’un paradoxe insurmontable auquel le mènent ses
observations, ses analyses et même son expérience personnelle. Par conséquent, il
apparaît de manière certaine qu’Avraham n’est pas prêt à sacrifier sa vie par
conviction que Le Dieu Un accompli Sa providence dans le monde puisqu’il en
doute encore après le miracle de la fournaise. Avraham, juste avant la révélation
‫ּוראִׁ י‬
ְ ‫" שִׁ מְ עִׁ י בַ ת‬:)‫ יא‬,‫ ר' יצחק פתח (תהלים מה‬,"'‫ "וַי ֹּאמֶ ר ה' אֶ ל ַאבְ ָרם לֶ ְך לְ ָך מֵ ַא ְרצְ ָך וְגֹו‬:‫ בראשית רבה לט א‬19
‫ אמר רבי יצחק משל לאחד שהיה עובר ממקום למקום וראה בירה אחת דולקת‬," ‫וְהַ טִׁ י ָאזְנְֵך וְשִׁ כְ חִׁ י עַ מֵ ְך ּובֵ ית אביך‬
‫אמר תאמר שהבירה זו בלא מנהיג הציץ עליו בעל הבירה אמר לו אני הוא בעל הבירה כך לפי שהיה אבינו אברהם‬
‫ " ְויִׁתְ ָאו הַ מֶ לֶ ְך יָפְ יְֵך כִׁ י‬:)‫ יב‬,‫אומר תאמר שהעולם הזה בלא מנהיג הציץ עליו הקב"ה ואמר לו אני הוא בעל העולם (שם‬
."‫ְ ֹּ הוי "וַי ֹּאמֶ ר ה' אֶ ל ַאבְ ָרם‬
" ‫ "וְהִׁ שְ תַ חֲ וִׁי לו‬,‫ " ְויִׁתְ ָאו הַ מֶ לֶ ְך יָפְ יך ְְ" ליפותיך בעולם‬,"‫הּוא אֲ דֹונַיְך‬
."‫ אז חשב שאדונה ובעלה עזב אותה‬,‫ "ראה שהבירה נשרפת באש‬:‫ופ' עץ יוסף‬
50
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
prophétique, tout comme Socrate qui le suivra dans cette voie, ne sait donc pas
démontrer que le Dieu Un Créateur du monde préside à la conduite du monde.
Pourtant Avraham, contrairement à ce que fera plus tard Socrate, refuse d’admettre
le contraire. En d’autres termes, Avraham admet que le doute s’impose selon
l’observation et l’analyse mais il décide que si jamais Dieu ne conduit pas le
monde, lui Avraham ne veut pas vivre dans ce monde qui perd son intérêt à ses
yeux.
C’est la différence entre Socrate et Avraham que nous cherchions, elle est subtile
mais conséquente.
Socrate est prêt à mourir pour affirmer la vertu de son attachement à ce qu’il pense
être la vérité et le bien car il a été au bout de ses grandes capacités d’analyse pour
établir cette vérité de la création du monde par le Dieu Un. Mais il admet les lois de
la nature comme principes de conduite du monde car il reconnaît qu’il ne peut pas
démontrer la conduite du monde par le Dieu Un Créateur. Pour sa part, Avraham à
l’humilité de reconnaître qu’il ne peut établir la vérité par la seule force de
l’observation et de l’analyse. C’est-à-dire qu’il admet que l’impossibilité de
démontrer quelque chose ne signifie pas nécessairement que c’est faux. Et c’est
précisément à ce point de l’aventure de la pensée humaine qu’Avraham avinou
ouvre la voie de la Emounah. Il admet que l’unité de la conduite divine du monde
échappe au pouvoir démonstratif de la pensée humaine, et donc que le doute
subsiste, mais il refuse d’effacer ce doute en se soumettant à la certitude alternative
de la conduite du monde par les lois de la nature. En d’autres termes, il est prêt à
mourir car ce doute qu’il reconnaît comme étant irréductible lui est insupportable.
La conclusion est donc que Socrate sacrifie sa vie sur l’autel de son orgueil et de la
confiance qu’il voue à la puissance de sa pensée. Alors que pour sa part, Avraham
est prêt à sacrifier sa vie car il admet humblement son incapacité à sortir du doute,
sans pour autant abandonner la nécessité de la certitude qu’il recherche et qui est
pour lui la seule raison de vivre. Socrate meurt de l’orgueil philosophique qui ne
perçoit rien de plus certain que la pensée de l’homme honnête guidée par le
jugement de la logique du logos. Avraham vit de l’humilité qui admet que la pensée
humaine, aussi honnête soit-elle, ne peut aboutir à la certitude, tout en restant
attaché de façon vitale à la quête de cette certitude. Dieu dit à Socrate, en
l’abandonnant aux juges d’Athènes : « Puisque tu te suffis de ta pensée, Je te laisse
avec elle et avec la pensée des autres hommes» et Il dit à Avraham : « Puisque tu
admets que ta seule pensée est incapable de parvenir à la vérité mais que tu
n’abandonnes pas pour autant la nécessité de cette vérité, je t’offre la révélation
prophétique qui te manque pour accéder à cette vérité dont tu manifestes le besoin
51
‫בס"ד‬
vital». Finalement, la pensée de Socrate est aussi juste que celle d’Avraham mais
elle est orgueilleuse. Alors que la pensée d’Avraham n’est pas que juste du point de
vue du logos, elle se pare en plus de la justesse de l’humilité qui est la place que
l’homme fait à la nécessité de la révélation du divin par le divin Lui-même. C’est
pourquoi Avraham accède tout d’abord au miracle et ensuite, à la prophétie. Tout
simplement car lui Avraham, contrairement à Socrate, n’a que faire de la confiance
en ses capacités d’analyse, il n’a que faire de la vertu de son attachement au niveau
ultime de vérité que sa pensée peut produire, Il sait qu’il ne peut pas démontrer la
vérité de la conduite divine du monde. Mais s’il devait admettre qu’une telle vérité
n’existe pas ou bien qu’elle ne fût pas accessible au point qu’il n’est pas possible de
la servir, il préfère mourir car alors sa vie est jugée inutile par lui-même.
Avraham est la voie du milieu entre celle de Socrate qui ne renonce pas à la vérité,
et celle des sophistes qui renoncent à pouvoir la saisir et qui l’abandonnent pour
cette raison. Avraham avait exploré ces deux voies avant eux. Cette voie du milieu
est celle dans laquelle seuls les enfants d’Israël s’engageront parmi ses
descendants. Comme Socrate, Avraham refuse l’abandon de la vérité mais comme
les sophistes il admet qu’elle est inaccessible par le logos, et donc inutilisable.
Cette voie du milieu qui est la synthèse des deux voies n’est accessible qu’à celui
qui contrairement à Socrate et aux sophistes réunis, refuse de considérer le monde
comme un instrument au service de ses propres désirs, qu’ils soient d’ordre
philosophiques ou matérialistes, car il ne peut vivre que s’il est lui-même au service
d’une cause qui le dépasse et non pas au service de sa propre conception du bien.
C’est pourquoi le fait que La Vérité absolue soit inutilisable, car insaisissable, ne
décourage pas Avraham de continuer à la chercher, sans la réduire à une pensée
humaine comme le fait Socrate et sans se contenter d’en utiliser les sous-produits
de la séduction et du pouvoir comme le font les sophistes. Cette très haute stature
morale d’Avraham vient d’une position de l’homme qui refuse de voir le monde de
façon utilitaire mais qui, au contraire, se demande en quoi il peut servir le monde
aux côtés de Dieu.
L’enseignement Avrahamique de la voie du milieu n’est pas le compromis
médiocre qui n’est ni l’un, ni l’autre, des deux extrêmes. La voie du milieu
d’Avraham est, au contraire du compromis, l’alliance des deux extrêmes. C’est
cette alliance, qui mène Avraham à la prophétie car seule cette alliance confère à la
révélation prophétique de l’unité divine sa valeur de nécessité vitale étant donné
que cette alliance est impossible à réliser sans la prophétie. Mais cette alliance des
contraires est porteuse d’épreuves difficiles car elle met l’homme sous la tension
des opposés dont chacun tire vers lui. Cependant, c’est précisément cette tension
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
qui engendre la nécessité de la révélation que Dieu souhaite inspirer à l’homme
avant de se révéler à lui, car cette révélation ne peut que répondre à une nécessité
vitale, elle ne se suffit pas d’un simple désir parmi d’autres désirs.
La guidance divine sur la voie de la nécessité de la révélation de Dieu par Dieu
On trouve ce sujet de la guidance divine sur la voie de la nécessité de la révélation
de Dieu par Dieu, dans la prophétie de Ycha’yahou, que nous traduisons ici en
accord avec les commentaires de Metzoudat Tsion et Metzoudat David20: « Ainsi a
dit Dieu ton sauveur, Saint d’Israël, Je suis Dieu ton Seigneur qui t’enseigne ton
besoin [ton but nécessaire] et la voie [le moyen de satisfaction du besoin] que tu
suivras» (Isaïe 48, 17). Selon cet enseignement, Dieu nous guide en nous inspirant
nos besoins. Puisque les créatures sont naturellement animées par la quête de
satisfaction de leurs besoins, une fois le besoin formé, la créature s’engage
naturellement dans la voie de satisfaction de ce besoin. C’est pourquoi le besoin
vital de certitude de l’existence et de la conduite divine, chez Avraham, ne s’éteint
pas malgré le paradoxe insolvable de la problématique de l’unité divine.
Cependant, l’homme peut refuser la guidance divine en vertu du libre arbitre.
L’homme qui ne se laisse pas guider par Dieu dispose de deux manières d’éteindre
ce besoin. La première est l’illusion de la certitude, là où elle le plus disponible,
nourrie par l’orgueil philosophique de Socrate. La seconde est l’abandon de ce
besoin, par les sophistes, devant l’évidence qu’il n’est pas possible à l’homme de
satisfaire ce besoin par lui-même.
Chez qui ce besoin reste-t-il impossible à éteindre, ni par l’illusion de la certitude,
ni par la conscience de l’impossibilité de sa satisfaction par l’homme ? Le verset
indique à qui il s’adresse par l’expression : « Saint d’Israël ». En effet, qadoch,
qu’on traduit communément par saint, signifie littéralement séparé. Le Saint
d’Israël, c’est-à-dire le principe divin d’Israël, est donc ce qui caractérise Israël de
manière singulière, séparée des autres nations. Or, c’est ce mode de relation au
divin qui est marqué par la nécessité de la certitude malgré l’impossibilité de
satisfaction de cette nécessité, qui définit la singularité d’Israël. C’est donc ce mode
de relation au divin tout à fait singulier qui donne à la Foi d’Israël son caractère
tout à fait singulier. En tant que singularité, cette Foi ne peut provenir d’aucune
‫ וכך פ' מצודת‬."‫ָאמַ ר ה' גַֹּא לְ ָך קְדֹוש יִׁשְ ָראֵ ל אֲ נִׁי ה' אֱ ֹלהֶ יָך מְ לַ מֶ דְ ָך לְ הֹועִׁ יל מַ דְ ִׁריכְ ָך בְ דֶ רֶ ְך תֵ לֵ ְך‬-‫"כֹּה‬:‫ יז‬,‫ ישעיהו מח‬20
‫ אני הוא‬-‫"מלמדך להועיל‬:‫ ופ' מצודת דוד‬."]‫ מלשון דרך [אמצעי‬-‫ מדרכיך‬.]‫ מלשון תועלת [מטרה‬-‫"להועיל‬:‫ציון‬
."‫המלמד אותך להיות לך לתועלת‬
53
‫בס"ד‬
doctrine étrangère mais seulement de la tradition juive du texte. Comme nous
venons de le montrer, c’est Avraham le premier prophète qui fonde cette tradition
de la Foi en l’unité divine, et c’est seulement la transmission de cette tradition par
Ytz’hak et Ya’akov qui en conserve son caractère originel. C’est pourquoi c’est la
tradition d’Israël de la Foi en l’unité divine.
Nous allons maintenant poursuivre notre brève étude comparative de la philosophie
et des religions afin de montrer que toutes les doctrines étrangères à la Foi d’Israël
contiennent des fragments désunis de cette Foi primordiale. Puis nous montrerons
que cette compréhension des autres doctrines philosophiques et théologiques,
comme résultant de la dispersion d’Israël, est supportée par la correspondance
chronologique des grandes étapes de l’exil et de l’émergence de la philosophie et
des religions monothéistes.
Platon connaissait le principe général du tzimtzoum, de la Création selon la
Qabalah mais ne connaissait pas l’unité divine
Pour sa part, Platon par qui nous connaissons la pensée de Socrate qui lui, n’a pas
laissé d’écrits, fut si impressionné par le courage de Socrate que l’attachement au
principe ultime de l’unité de la vérité et du bien fut à la base de la pensée
platonicienne. La base de la pensée platonicienne est la réfutation du sophisme, ce
qui permet à la philosophie d’être garante de la morale politique.
Dans le Ménon, Platon écrit un dialogue entre Socrate et un sophiste qui se nomme
Ménon ayant pour sujet la définition de la vertu et la possibilité de l’acquérir.
Platon attribut ainsi à Socrate la formulation générale du paradoxe de Ménon selon
lequel on ne peut chercher que ce qu’on connaît car sinon rien ne permet de
commencer la recherche, et que d’autre part, une fois que quelque chose est connu,
on ne le cherche plus. Donc selon le paradoxe de Ménon la quête de vérité est vaine
car si on n’en a aucune connaissance, on ne peut la chercher et si on la connaît à
priori, il ne s’agit pas de la vérité qui est digne d’être cherchée. Par exemple, rien
n’engagerait à chercher à se procurer un met si on n’en connaît même pas le goût,
mais si on a ce goût dans la bouche, on ne cherche pas à se procurer le met. En
d’autres termes, il faut ressentir le manque de quelque chose pour le rechercher
mais si on est comblé à priori par cette chose, elle n’a plus de valeur et ne peut
donc plus motiver la recherche. L’observation qu’on cherche pourtant bien des
choses dont on n’a aucune perception à priori, comme la connaissance, le Bien, la
vertu, conduit Platon à une adaptation de la théorie de la réminiscence de Pythagore
qu’il fait formuler au personnage Socrate dans le Ménon. Selon cette théorie, les
âmes sont immortelles et ont déjà tout connu dans leurs existences immatérielles.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Une fois les âmes incarnées, les perceptions et les désirs du corps obscurcissent la
connaissance des âmes. Mais les âmes incarnées conservent des réminiscences qui
guident la recherche de vérité des êtres porteurs de ces âmes. Par conséquent,
l’apprentissage qu’il soit guidé par des enseignants ou bien qu’il résulte de la
recherche personnelle, n’est que souvenir et non découverte selon la théorie de la
réminiscence. Pour Platon, la voie d’accès à la vérité est donc le désir spirituel qui
naît de la conjugaison de la réminiscence de l’âme et du manque que crée le corps.
Par conséquent, les désirs du corps sont des obstacles à la recherche de la vérité car
la force vitale de l’être, si elle est occupée à la satisfaction des désirs du corps, ne
peut être investie dans la recherche de la vérité. Cette idée est particulièrement
explicitée dans Phédon. C’est pourquoi, la conception platonicienne de la beauté est
ce qui forme le désir nécessaire à la recherche de la vérité, car le beau est le vrai,
mais les désirs ne doivent pas être assouvis par le corps afin que cette force de désir
puisse mettre l’être en mouvement dans sa quête ascendante de vérité. C’est
pourquoi selon Platon, un philosophe ne craint pas la mort étant donné qu’il s’agit
pour lui d’une délivrance de l’âme qui peut ainsi accéder librement à l’éternité de la
vérité et du bien, quand l’âme est libérée du corps. Cet énoncé de Platon au sujet de
la mort libératrice de l’âme s’inspire certainement de l’exemple de Socrate.
On ne manquera pas de reconnaître ici les fondements du culte chrétien de l’ascèse,
qui atteint son expression paroxystique avec le catharisme, ainsi que les
fondements du culte islamique de la mort qui repose sur la croyance que l’ange
Gabriel détruira le monde entier à la fin des temps pour ouvrir l’éternité du paradis
aux âmes méritantes.
Pourtant, la théorie platonicienne de la réminiscence correspond très précisément à
la description générale de la création du monde selon le processus du Tzimtzoum,
d’après la tradition de la Qabalah. Bien sûr, la pensée platonicienne de la
réminiscence n’est pas conforme à la pensée juive authentique car Platon admet la
dualité du corps et de l’esprit qui matérialise la dualité du bien et du mal. Or, cette
dualité qui va ensuite se retrouver au centre de la morale chrétienne et musulmane
est parfaitement inacceptable pour le judaïsme qui repose au contraire sur l’unité
divine sans compromis, laquelle impose la négation du mal dans la création.
L’unité de l’esprit et du corps dans la création selon Aristote, mais sans l’unité de
la providence
Pour sa part, Aristote qui fait partie des disciples de l’académie de Platon a
développé, en opposition à la pensée de son maître, la théorie de l’unité de la forme
et de la matière qui permet d’unifier le corps et l’esprit. Il se rapproche donc de la
pensée juive par cette pensée de l’unité du corps et de l’esprit, en accord avec
55
‫בס"ד‬
l’unité de la Volonté divine, mais s’en éloigne d’autant au sujet de la providence
divine qui selon lui, confère leur essence aux êtres par espèce et non pas par
individu. Cette négation de la providence divine à l’échelle de l’individu ne peut
absolument pas convenir à la pensée juive. La raison en est la définition même de
l’unité au sens stricte, car la Toute-Puissance divine qui étend sa conduite à tous les
détails de la création, sans intermédiaire, fait partie intégrante de la définition juive
de l’unité divine. Or, dire que Dieu aurait créé des espèces, lesquelles confèrent
leur essence aux individus de chacune d’elle implique un intermédiaire qui est
l’espèce et qui permet de faire abstraction de la providence divine à l’échelle de
l’individu. Et toute idée d’intermédiaire de la volonté divine revient à admettre que
Dieu, après avoir créé le monde, l’aurait confié à la conduite totale ou partielle
d’intermédiaires, ce qui est une conception idolâtre par nature.
La naissance de la théologie au carrefour de la philosophie et de la religion : la
première étape de la mutation de la pensée juive en théologie musulmane et
chrétienne
Finalement, peu importe que les fondateurs de la philosophie connaissaient ou pas
la Torah. Qu’ils soient arrivés au point de départ de l’aventure humaine de la quête
du logos, de la parole divine qui se caractérise par la vérité permanente et éternelle,
par l’analyse au même titre qu’Avraham, ou bien qu’ils aient basé leurs analyses
sur l’héritage de la tradition Avrahamique sans citer leur source. Quoi qu’il en soit,
on peut penser en toute rigueur la naissance de la philosophie comme étant, sixcent ans avant le christianisme, la toute première fragmentation de la pensée juive
de l’unité divine.
Il est vraisemblable d’interpréter cette première fracture philosophique comme la
ligne de faille principale qui va ensuite se ramifier pour engendrer le christianisme
et l’islam. En effet, la théologie repose sur la méthode philosophique, par contre
l’objet de l’étude théologique diffère de celui de la philosophie. Pour la
philosophie, l’objet de l’étude est la création, alors que pour la théologie c’est le
créateur. De ce point de vue, il n’existe certainement pas de théologie juive au sens
stricte car Le Créateur, en pensée juive, ne fait l’objet d’aucune étude. C’est
seulement la manière de le servir qui fait l’objet de l’étude, ce qui implique bien sûr
l’étude de Sa Volonté. C’est pourquoi la relation de la créature au Créateur, c’est-àdire la Emounah, fait l’objet de l’étude car il est nécessaire de comprendre ce sujet
afin d’accomplir un service parfait. Mais faire de Dieu Lui-Même un objet d’étude
est une aberration parfaite en pensée juive. Ce sujet a déjà été évoqué
précédemment dans Les sources de la Emounah dans la tradition juive, p. 18. La
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
théologie est donc une anomalie de la pensée pour nous les juifs héritiers de la
tradition d’Avraham, d’Ytz’haq et Ya’aqov.
Par contre les chrétiens et les musulmans font de la théologie. La première
théologie qui a intégré de manière systématique la philosophie à la doctrine
religieuse est celle de Ibn Ras de Cordoue connu en occident sous le nom latinisé
d’Averroès (1126, 1198). La majeure partie de ses écrits sont publiés entre 1174 et
1180. Sa méthode consiste à supprimer autant que possible la foi au profit de la
raison afin d’objectiver le Coran. Sa source majeure d’inspiration est Aristote et
Platon dont il utilise la méthode démonstrative. Il reconnaît cependant que la raison
a ses limites et que là où la démonstration ne peut plus opérer, c’est la foi qui prend
le relais. Averroès ne rationalise pas la foi musulmane, il trace les limites entre la
foi et la raison dans le Coran. La doctrine d’Averroès permet donc d’interpréter la
foi comme un pis allé ayant pour vocation de colmater les brèches que la
philosophie et la science laissent ouvertes. La possibilité d’une telle interprétation
de la foi comme étant une pensée de second ordre par rapport au rationalisme de la
philosophie et des sciences, à partir des écrits d’Averroès, a valu à celui-ci
l’hostilité du califat de l’époque. De plus, Averroès pousse la logique de l’unité
divine jusqu’à la pensée humaine qui, selon lui, ne sort pas du domaine du divin.
En d’autres termes, même la pensée humaine est divine. Elle n’est donc pas le siège
du libre arbitre. Une telle idée sape complètement les fondements de la morale
religieuse dans la mesure où la source de l’action étant la pensée, si la pensée n’est
pas libre, alors l’acte n’est pas responsable, et donc la punition de la transgression
n’est plus justifiée, que cette punition soit opérée par un tribunal humain ou céleste.
Les conséquences amorales de sa théologie ont valu à Averroès d’être destitué de
ses fonctions de cadi (juge coranique) et d’être exilé en 1197, peu avant sa mort, à
Lucena qui était une ville andalouse essentiellement peuplée de Juifs. Finalement,
ce n’est pas sous leurs versions originales en arabe que les écrits d’Averroès se sont
le plus diffusés car ils ont été censurés, mais sous la forme de leurs traductions en
hébreux et en latin faites par les juifs d’Andalousie à l’adresse des non musulmans.
RaMBa"M qui est né à Cordoue à cette même époque aurait-il été influencé par
Averroès? Ceci est peu probable car il est exilé à l’âge de 13 ans de Cordoue en
1151 alors qu’Averroès n’avait pas encore publié. RaMBa"M compile le Michne
Torah entre 1170 et 1180, et publie le guide des égarés en arabe en 1190. C’est
dans le guide des égarés que RaMBa"M compare la pensée Aristotélicienne de la
providence divine avec la pensée juive. Or, c’est seulement à partir de 1197
qu’Averroès en exil entre en contact étroit avec la communauté juive d’Andalousie,
57
‫בס"ד‬
ce qui donne le départ à un mouvement de traduction et de de commentaire juif de
ses écrits.
Donc le fait que c’est à la même période que RaMBa"M et Averroès font entrer la
philosophie d’Aristote dans la pensée religieuse est une certitude. Mais la question
de savoir dans quel sens s’est opérée l’influence, ou même de savoir s’il y a eu
influence, est une question qui est loin de pouvoir recevoir une réponse
catégorique.
Mais quoi qu’il en soit, l’usage que fait RaMBa"M de la pensée aristotélicienne
n’est pas du tout l’usage qu’en fait Averroès. En effet, RaMBa"M ne tente
nullement de prouver autant que possible l’enseignement de la Torah par la
démarche démonstrative de la philosophie, comme le fait Averroès pour le Coran.
Au contraire d’utiliser la philosophie et les sciences pour reléguer la foi à sa portion
congrue, là où la connaissance n’a plus cours, il affirme les principes de Foi comme
étant ce qui supporte toutes les connaissances de la tradition juive. Donc il n’utilise
que le langage de la philosophie, et non pas le contenu de la connaissance
philosophique, et il ne le fait que pour formuler les connaissances de la Torah qui
restent fondées sur la Foi. Il utilise cette démarche pour exprimer le message de la
Torah en accord avec les formes d’expression de la pensée de l’époque qui était
dominée par la philosophie grecque. Mais en aucun cas, il n’utilise la pensée
philosophique pour justifier la Torah. Ce serait d’ailleurs une transgression de la
Torah qui consisterait à mettre Dieu à l’épreuve. En effet, la théorie aristotélicienne
de la connaissance considère la connaissance sensible comme étant la base de toute
connaissance. En d’autres termes, c’est l’observation et l’expérience qui fonde la
connaissance. En cela, bien qu’il ait fallu attendre jusqu’à Newton au 18ème S. pour
engager définitivement la science sur la voie de l’empirisme, Aristote reste le
précurseur de la science empirique. Or, tenter de vérifier les principes de la Foi par
l’expérience est une transgression de la Torah, selon la tradition juive du
texte: « Ne mettez pas Dieu à l’épreuve comme vous l’avez mis à l’épreuve en
chemin» (Devarim 6, 16). Ce verset fait référence à la demande de preuves
tangibles de la providence divine que le peuple a formulée quand il manquait d’eau
dans le désert après à la sortie d’Egypte. RaMBa"M ne peut donc absolument pas,
comme le fait Averroès, adhérer à la théorie de la connaissance aristotélicienne
pour fonder la Torah. Ceci est d’ailleurs parfaitement cohérent avec le principe
essentiel de la Foi, tel que nous en avons révélé la définition plus haut. En effet,
seule la révélation divine peut apporter la certitude en réponse à la nécessité
humaine de certitude du divin. L’admission de quelque démonstration humaine,
serait-elle partielle, ne pourrait qu’éteindre la nécessité de la révélation divine.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Pour sa part, le grand codificateur de la théologie chrétienne, Thomas d’Aquin, a
accompli une synthèse des systèmes de pensée Platonicien et Aristotélicien et l’a
appliquée aux principes de la foi chrétienne. Thomas d’Aquin est très clairement
postérieur à Averroès et à RaMBa"M dont il connaît nécessairement les écrits. Par
conséquent, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, s’il fallait expliquer les
analogies de méthode ou de contenu entre Averroès, RamBa"M et Thomas d’Aquin
par une influence, ce ne pourrait être que par l’influence des premiers sur le
dernier, absolument pas le contraire.
On retrouve très clairement les effets de l’application de la philosophie
platonicienne et aristotélicienne à la théologie chrétienne dans la thématique des
rapports entre la foi et la raison chez Thomas d’Aquin. Ce sont d’une part, le thème
de la connaissance sensible et de la connaissance intellectuelle, dont l’unification
produit la béatitude et d’autre part, le thème de la forme et la matière abordé sous
l’angle de l’unité de l’esprit.
Mais pas plus que la morale islamique du califat, la morale chrétienne de Thomas
d’Aquin ne pouvait accepter de prolonger cette théologie de l’unité jusqu’à la
négation du libre arbitre de la pensée, ce qu’Averroès n’a pas renoncé à faire. En
1270, Thomas d’Aquin publie une réfutation de cette idée dans le traité "Contre
Averroès".
Pour ce qui est de la pensée juive, les textes convergent vers l’idée que c’est
justement la pensée qui est le siège du libre arbitre mais qu’au niveau des actes,
l’homme est complètement déterminé par la guidance divine qui utilise ces actes
comme des instruments de formation de la pensée humaine. C’est donc une idée
parfaitement singulière, à contrecourant de tous les systèmes théologiques, selon
laquelle ce n’est pas la pensée qui détermine les actes mais les actes qui sont des
instruments divins utilisés pour guider la pensée qui elle, est libre. Ici encore, il
s’agit de la voie du milieu entre les deux extrêmes du déterminisme absolu et de la
liberté absolue de l’homme.
En conclusion de ce très bref et condensé rappel de l’histoire de la formation des
concepts fondamentaux de la philosophie et de la théologie, il convient de noter
que c’est tout d’abord la philosophie qui se forme sur la base de la dialectique de
l’unité divine dans le monde, laquelle fut introduite préalablement par la quête
Avrahamique. La philosophie se fonde sur la découverte analytique d’Avraham qui
est que la parole divine ne peut être comprise que comme la vérité de l’ordre de la
nature, et qui peut aussi être formulée de façon intelligible par la parole humaine.
Elle nomme ceci le logos. C’est ce que la pensée juive nomme la Torah. Puis c’est
Averroès qui importe en premier la philosophie en religion, il crée ainsi une
59
‫בס"ד‬
théologie musulmane qui dépasse les limites d’une morale naïve. Par la suite,
Thomas d’Aquin fait de même pour le christianisme.
Les 2 stratégies d’extinction du désir de divin contre la révolution Avrahamique: la
théologie de la certitude des religieux et le négationnisme athée
Dans le bref rappel des thèmes fondamentaux de la philosophie et de la théologie,
deux domaines majeurs apparaissent. Il s’agit de la théorie de la connaissance
d’une part, qui traite de ce qui est connaissable ou non connaissable du divin et
d’autre part, la morale qui traite de la dualité du bien et du mal ainsi que de la
responsabilité humaine.
Du point de vue de la morale, la philosophie, tout comme le christianisme et tout
comme l’islam, rejettent l’unité divine au sens stricte de la tradition authentique
d’Avraham car cette tradition de l’unité qu’il leur faut nécessairement prendre en
compte est porteuse de paradoxes que personne ne semble savoir résoudre. Le
paradoxe fondamental provient de la nécessaire cohabitation de l’unité divine, qui
implique la toute puissance et la bonté absolue, avec la dualité du bien et du mal
ainsi que la responsabilité humaine. La philosophie, comme le christianisme et
l’islam, se fonde sur la révélation Avrahamique mais rompt avec la pensée
originelle de l’unité divine sous la pression des paradoxes qui accompagnent cette
pensée de l’unité. Les uns acceptent les forces du mal qui rompent l’unité de la
toute-puissance divine afin de préserver la responsabilité humaine alors que les
autres gomment la liberté humaine pour préserver l’idée de la toute-puissance
divine.
Du point de vue de la théorie de la connaissance, la philosophie, tout comme le
christianisme et tout comme l’islam, s’accordent sur le fait que la Foi n’est pas une
connaissance intellectuelle au sens d’un ensemble d’énoncés démontrables, mais
une certitude non démontrable qui siège au niveau de la sensibilité.
La philosophie, tout comme la science, ne traite pas de la Foi mais uniquement de
la connaissance. C’est pourquoi en philosophie et en science, on ne parle pas de foi
mais d’intuitions ou d’hypothèses qui doivent soit être démontrées conjointement
par la logique et l’expérience, soit être rejetées.
La théologie chrétienne et la théologie musulmane s’efforcent de gommer les
conflits entre la foi et la connaissance en leur attribuant des domaines distincts et
complémentaires. Ces systèmes de pensée reconnaissent le rôle d’arbitrage de la
connaissance. C’est-à-dire que les principes de la foi, pour être valables, ne doivent
pas entrer en conflit avec la connaissance. C’est pourquoi les théologiens chrétiens
et musulmans s’efforcent d’intégrer la philosophie et les sciences à la doctrine
60
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
religieuse pour montrer qu’elles ne contredisent pas la Foi. Pour eux, la frontière
irréductible entre les certitudes de la connaissance et la certitude de la Foi est la
frontière de l’indémontrable. Au-delà de cette frontière, dans le domaine de la foi,
ils décrivent des méthodes non rationnelles d’élaboration de la certitude par la
religion.
Si on admet, par commodité, la traduction communément admise de « Emounah »
par « Foi », le judaïsme ne partage pas la définition de la Foi telle qu’elle est
présentée ci-dessus. En pensée juive la Foi, telle qu’elle nous est enseignée en tout
premier lieu par le récit midrachique de la quête d’Avraham, n’est pas une certitude
irrationnelle mais une quête vitale de certitude paradoxalement jugée impossible à
établir par la pensée, où même par la sensibilité, humaine. Cela fait toute la
différence avec tous les systèmes philosophiques et théologiques. Cette différence
se fonde sur l’évidence que pour rechercher quelque chose, il faut tout d’abord
admettre que nous ne l’avons pas. C’est pourquoi la Foi juive authentique
s’accompagne de la conscience rationnelle de ne disposer d’aucune certitude au
sujet du divin. Ensuite, pour rechercher quelque chose il faut encore en avoir
besoin. En pensée juive, nous savons aussi que ce besoin de certitude du divin n’est
pas un besoin naturel avec lequel nous naissons, mais qu’il faut acquérir et
développer ce besoin. En d’autres termes, en accord avec la définition de la Foi
juive, il faut acquérir et développer la Foi qui est ce besoin vital de certitude,
accompagné de l’humilité qui consiste à savoir que nous ne pouvons pas satisfaire
ce besoin par nous-mêmes. Mais si nous n’avons pas de certitudes au sujet du divin
et si nous n’avons pas ce besoin naturel de certitudes du divin, qu’est-ce qui peut
donc nous pousser à chercher à acquérir de telles certitudes ?
C’est la portion congrue que le judaïsme laisse à l’irrationnel et qui n’est en rien
une certitude, qui s’appelle dans les textes de ‘hassidout le point de sainteté
(neqouda diquedouchah). Ce point de sainteté est le désir d’acquérir le besoin de
certitude de la providence divine. C’est irrationnel car nous ne savons pas expliquer
ce désir. Mais d’autre part, comme il ne s’agit aucunement d’une certitude au sujet
d’une réalité objective extérieure à l’homme, mais d’un désir ressenti, sa réalité est
indéniable. Par conséquent, toute certitude au sujet de l’existence et de la
providence divine ne peut provenir que de deux sources. La première source est
l’illusion pure et simple, ceux qui se trouvent dans cet état d’illusion prennent tout
simplement leur désir pour une réalité. Dans leur confusion, ils confondent leur
désir de besoin de certitude du divin avec la certitude du divin. Cette illusion peut
provenir du découragement de s’engager dans ce chemin riche d’épreuves qui mène
du désir primordial de besoin de certitude à la certitude réelle. Elle peut aussi
61
‫בס"ד‬
provenir, au contraire, d’un orgueil démesuré qui nous conduit à oublier de
construire notre Foi parce que nous somme trop occupés à admirer la puissance de
notre pensée théologique. La seconde source possible de certitude n’est pas
l’illusion de la certitude avec ses deux modalités décrites ci-dessus, elle est la vraie
certitude. C’est celle de l’être éclairé par la révélation prophétique. Mais il est
impossible de parvenir à cet état sans avoir, au préalable, subie l’épreuve du doute
dans toute son amertume et toute son intensité qui forme le besoin vital de
révélation. C’est pourquoi, la Foi juive est une attitude qui consiste à éveiller
méthodiquement la conscience du doute qui nous habite ainsi que de tout ce qui
nourrit ce doute et conjointement, le besoin vital de certitude, qui sont tous deux
omniprésents dans toutes les voies d’étude et de pratique de la Torah, bien qu’ils
restent indéfectiblement paradoxaux.
Un seul exemple suffit à illustrer ce principe et il sera ensuite facile d’en percevoir
son illustration dans toutes les mitzvot, c’est le principe de la juxtaposition de la
rédemption et de la prière : « somekh gueoulah latephilah ». Selon ce principe,
dans l’ordre de la prière du matin, il faut faire suivre immédiatement, sans
interruption, la bénédiction Gaal Israel (Il a sauvé Israël) de la prière de la ‘amidah
(les 18 bénédictions qui se disent debout). On commence donc par proclamer que
Dieu a sauvé Israël, et ensuite on prie pour la subsistance, pour la guérison et pour
la fin de l’exil. En d’autres termes, après avoir proclamé que Dieu nous a sauvé en
utilisant le temps passé, on reconnait que nous souffrons encore d’une multitude de
maux qui montrent que nous n’avons pas encore été sauvés, puisqu’il faut encore
prier pour que ce sauvetage s’accomplisse. L’usage du temps passé dans une
formule est l’expression la plus forte de la certitude car tout ce qui est déjà arrivé
ne fait plus l’objet d’aucun doute. Mais immédiatement après avoir formulé la
certitude que Dieu nous a sauvé par la berakha « Gaal Israel », sans la moindre
interruption, nous commençons la tephilah de la ‘amidah qui nous rappelle que la
certitude que nous venons de formuler nous échappe encore. Par conséquent, cette
halakha de somekh gueoulah latephilah nous expose au paradoxe d’Avraham
avinou. En effet, après avoir énoncé la certitude de la providence divine tout en
reconnaissant que cette certitude nous échappe encore, ce n’est pas l’illusion de la
certitude qui reste mais plutôt le besoin de certitude qui est d’autant plus vital que
l’engagement, avec lequel on bénit « Gaal Israël » et avec lequel on prie la
‘amidah, est fort. Cette transition entre la bénédiction «Gaal Israël» et la ‘amidah
est le sommet de Emounah de la prière du matin qui va donner leur signification à
tous les actes religieux de la journée, et qui consiste à s’engager comme si on était
certain, tout en admettant que la certitude n’est pas encore réalisée mais reste à
venir. C’est le principe fondateur de la Emounah d’Israël qui se nomme « Na’assé
62
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
venichma’ », nous accomplissons [les commandements divins] et [ensuite] nous
entendons [la révélation divine]. Ce principe est celui de l’élaboration des
conditions nécessaires à la révélation par la création préliminaire du besoin vital de
révélation. C’est le point irréductible de sainteté de l’âme juive qui engage l’être à
se mettre en situation de besoin vital qu’il ne peut satisfaire par lui-même alors que
la raison nous invite plutôt à s’installer dans le confort bourgeois qui consiste à ne
vivre que pour satisfaire les besoins qui sont à notre portée directe.
Par conséquent, La Foi qui fait l’objet du libre arbitre de l’être est la décision
rationnelle et responsable d’œuvrer pour satisfaire le désir inné du point de sainteté,
en se mesurant aux paradoxes qu’il engendre, ou bien de l’ignorer afin de se
réfugier dans la certitude religieuse ou encore la certitude laïque. Ces deux
certitudes, que sont la certitude religieuse et la certitude laïque, sont somme toute
équivalentes car elles éteignent, l’une autant que l’autre, le besoin vital de
révélation afin de s’installer dans le confort bourgeois de la certitude. A
contrecourant du confort bourgeois de l’installation dans la certitude, Avraham
devient un hébreu, un ‘ivri. Ce mot est construit sur la racine ‘oVeR qui signifie
passer. Il s’agit de ne pas s’installer dans la certitude illusoire mais de passer sur
toutes les illusions de certitude, tout en continuant la quête de certitude qui mène
vers le but du voyage qui est la révélation tangible de Dieu, par Dieu Lui-même, et
non pas de manière partielle par quelque pensée théologique ou bien encore
quelque vagues sensations confuses du divin. C’est la signification de tous les
commandements du judaïsme, que nous n’accomplissons pas parce que nous
croyons en Dieu mais plutôt parce que nous souhaitons acquérir la Foi, dans un tout
premier temps, c’est-à-dire le besoin de certitude du divin, afin ensuite de laisser
Dieu combler ce besoin quand ce besoin de révélation atteint le niveau vital requis.
Là où la philosophie et la science limitent la quête de certitude à ce qui reste
humainement accessible à la connaissance, là où les théologies étrangères imposent
la certitude irrationnelle en s’inventant d’autres instruments humains de certitude
que la connaissance, le judaïsme accepte l’impossibilité de parvenir à la certitude
mais engage l’homme dans une quête vitale de certitude. C’est le sens de tous les
commandements de la religion juive qui font précéder l’acte à la connaissance,
Na’assé venichma’, pour engendrer le besoin vital de certitude de celui qui s’investi
en acte comme s’il était certain mais sans être certain, et tout en étant conscient que
l’être ne pourra jamais auto-satisfaire ce besoin de certitude.
C’est pourquoi le sommet de l’impureté de l’homme est l’émission de liquide
séminal (le zav) qui est une émission stérile principalement induite par la pensée, et
pas par l’acte en mesure d’induire l’émission féconde. L’état mental qui
63
‫בס"ד‬
s’accompagne de telles émissions est l’archétype même de la pensée qui s’auto
satisfait, ce qui assèche le besoin primordial du point de sainteté qui, au contraire,
doit se développer par la conscience du manque et de la dépendance conduisant à la
relation féconde. Or, le traitement du désir par l’extinction, comme c’est le cas du
zav, plutôt que par l’élaboration des conditions de la relation féconde est analogue à
une autre situation qui, elle aussi, est un sommet d’impureté, la mort. En effet, la
définition la plus irréductible de la mort est l’extinction du désir qui met l’être en
mouvement. La mort se caractérise par l’immobilisme dont la cause essentielle est
l’extinction du désir. La pensée juive cultive le désir de divin qui commence par
cultiver la conscience du manque de divin. C’est la condition préliminaire de
l’établissement de la relation féconde de l’être au divin. C’est la définition
parfaitement singulière de la Emounah, de la Foi juive, qui ne cultive pas la
certitude du divin mais la conscience du doute qui nous habite, conjointement au
besoin vital de résoudre ce doute par la révélation, et par rien d’autre.
Par contre, toutes les philosophies et toutes les sciences qui restreignent le
périmètre de leur engagement au domaine du démontrable, c’est-à-dire au domaine
de la connaissance, ainsi que toutes les théologies qui reposent sur une
compréhension de la foi comme un instrument de certitude alternatif à la
connaissance, éteignent le désir de divin de l’homme et donc ne permettent pas
l’émergence des conditions de la révélation.
Pour sa part, la thèse d’invention de la religion juive, comme nous l’avons montré,
n’est ni philosophique, ni scientifique, ni théologique. La philosophie, la science et
la théologie de la certitude, bien qu’éteignant le désir du divin, sont créatrices de
connaissances, ou tout au moins de connaissances des frontières entre la
connaissance et la foi, et il est toujours possible de réintégrer ces connaissances
dans la sainteté du désir de divin. Mais les thèses négationnistes, telles que celle de
l’invention de la religion juive, ne produisent aucune connaissance ni ne tracent
aucune frontière entre la connaissance et la Foi, elles ne font que répandre la
confusion stérile et destructrice. Elles conduisent l’homme à la mort, et non pas à la
vie, car elles sont l’expression d’une pratique intellectuelle de l’onanisme qui vise à
l’éradication absolue du désir de divin par l’autosatisfaction stérile d’une pensée
qui renie le besoin de relation de l’homme au divin, c’est-à-dire qui renie le
principe fondamental de la Emounah.
64
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Recadrage historique de la dispersion d’Israël et de l’émergence
des doctrines philosophiques et théologiques
Nous avons dressé l’inventaire des analogies et des différences entre les
fondements de la philosophie, de la théologie chrétienne et de la théologie
musulmane. Désormais, les différentes doctrines sont bien resituées les unes par
rapport aux autres, tant du point de vue de leurs contenus que du point de vue de la
chronologie de leurs histoires respectives. Puis nous avons expliqué la singularité
de la Emounah, de la foi authentique selon la tradition d’Israël, qui ressemble à
toutes ces doctrines réunies, mais qui n’est aucune d’elles en particulier.
Nous proposons maintenant de réunir dans un tableau de correspondance
chronologique les principales étapes de la dispersion d’Israël et de l’émergence de
la philosophie et des religions monothéistes. Cette mise en correspondance permet
d’observer que chaque évènement majeur de l’exil du peuple juif, qui contribue à
chaque fois à l’accroissement de la dispersion d’Israël, s’accompagne de
l’émergence d’un nouveau système de pensée du monde et du divin (voir Tableau 2
ci-dessous).
Suite à l’étude présentée dans cet article, un tel tableau de correspondance ne
propose encore aucune réponse, il ne fait que justifier l’ouverture d’un nouveau
champ d’investigations archéologique, historique et exégétique que l’on pourrait
formuler ainsi :
Si les conditions de l’émergence de la philosophie et de chacune des religions
monothéistes étaient liées à un accroissement de la dispersion physique du peuple
juif, et donc de la fragmentation de la pensée juive que cette dispersion physique
induit, les correspondances chronologiques observées pourraient-elles en être la
manifestation ?
L’ouverture de telles investigations sur la direction dans laquelle s’opèrent les
influences entre le judaïsme et la genèse de la pensée des nations est une alternative
à la fermeture des affirmations péremptoires de la thèse négationniste d’invention
de la religion juive.
65
‫בס"ד‬
Apparition des doctrines
philosophiques et
religieuses
Fin du 7ème S. ‒
Naissance
de
la
Destruction du 1er temple de
Début du 6ème
philosophie dans la ville
Jérusalem
a.è.c.
de Millet
Début de l’ère Destruction du 2ème temple de Naissance
du
chrétienne
Jérusalem
christianisme
Suite au morcellement de l’empire romain par les invasions germaniques et
barbares, entre le 4ème S. et la fin du 5ème S. a.è.c., les communications entre les
communautés juives en exil deviennent progressivement de moins en moins
régulières.
L’adoption du christianisme comme religion d’état de Rome par l’empereur
Constantin (en 325 au concile de Nicée) a conduit l’Eglise à développer la théorie
du peuple juif déicide afin de décharger Rome, ce nouvel allié du christianisme,
de la responsabilité de la mort de Jésus.
Cette théorie finit par s’inscrire au 7ème S. dans la liturgie catholique par la
formule «Oremus et pro perfidis Judaeis » (Prions aussi pour les Juifs perfides).
Entre le concile de Nicée et l’inscription du pro perfidis à la liturgie officielle, qui
correspond à la période byzantine, les libertés des communautés juives dispersées
d’orient et d’occident n’ont cessées d’être réduites. Ensuite, c’est la conversion
forcée et le bannissement qui vont se généraliser.
En 629, à la fin de l’empire
byzantin, c’est le roi Dagobert
1er qui inaugure la pratique du
bannissement
des juifs qui
refusent de se convertir. C’est Naissance de l’islam au
une nouvelle phase de l’exil début du 7ème S. dont le
ème
Début du 7 S. qu’ouvre
la
pratique
du fait majeur, pour sa
è.c.
bannissement, qui va ensuite propagation,
est
la
être couramment pratiquée dans conquête de la Mecque en
le monde entier. Elle renforcera 630.
considérablement la dispersion
des communautés juives et leur
affaiblissement moral dans le
monde.
Période
Phases de l’exil des juifs
Tableau 2 : Tableau de correspondance chronologique des principales phases de l’exil du
peuple juif et de l’apparition des doctrines étrangères.
66
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Une lecture providentielle du phénomène négationniste: le poison
comme antidote du poison
Après avoir analysé d’une part, les ressorts intimes de la pensée négationniste et d’autre
part, le caractère essentiel de la Emounah héritée de la tradition Avrahamique, la Emounah
se présente comme la force essentielle qui se dresse contre tous les négationnismes. En effet,
la pensée négationniste est l’expression de la force humaine de rejet catégorique de la
révélation du divin dans le monde. C’est pourquoi elle s’emploie à nier tout ce qui peut
contribuer à établir les conditions de cette révélation. En cela, elle est l’âme du peuple
biblique de Amalek. La Emounah, pour sa part, est l’aspiration humaine à la révélation du
divin dans le monde. En cela, elle est l’âme du peuple d’Israel. La torah nous a averti, il n’y
pas de place dans notre monde pour Amalek et Israël. Tous les contraires, toutes les
oppositions, tous les antagonismes, c’est-à-dire toutes les dualités, seront réunifiées par la
révélation de l’unité divine. Mais il existe une opposition fondamentale qui ne sera résolue
que par la disparition d’un des protagonistes, c’est celle qui oppose ces deux forces
contraires que sont l’aspiration d’Israel à la révélation du divin et la négation d’Amalek de
cette aspiration. La révélation messianique du divin ne pourra venir que quand l’aspiration
d’Israël à cette révélation sera définitivement libérée de l’oppression du pouvoir négateur
de Amalek.
Comme nous l’avons annoncé dès le début de cette étude, l’objet de cet article était
surtout d’œuvrer à la compréhension du message divin que recèle l’expression,
toujours plus généralisée, toujours plus arrogante et toujours plus méprisante de ce
courant de pensée négationniste.
Après nous être efforcé de neutraliser la dérive négationniste de la thèse
d’invention de la religion juive, et après nous être efforcé d’expliquer le principe
identitaire irréductible de la Foi juive qui justifie la religion juive dans la droite
ligne de la tradition Avrahamique, il faut maintenant s’interroger sur la
signification de cette épreuve qui nous est infligé de devoir entendre de tels propos
négationnistes.
En effet, la Torah nous enseigne que la solution de toute épreuve se trouve dans la
considération de cette épreuve comme un bienfait divin. Nous voyons ceci dans
l’épisode de la plainte que le peuple a adressé à Dieu et à Moché Rabénou dans le
désert au sujet de la manne : « Et le peuple s’adressa à Dieu et à Moché: pourquoi
nous avez-vous fait monter d'Egypte, pour nous faire mourir dans ce désert? Car il
n'y a pas de pain et pas d'eau, et notre âme est excédée de ce pain nuisible»,
(Bamidbar 21, 5). Cette médisance au sujet de la manne fut suivie d’une attaque de
serpents venimeux qui répandirent une grande mortalité dans le camp d’Israël. Puis,
« L'Éternel dit à Moïse: Fais toi un serpent et place-le en haut d'une perche:
quiconque aura été mordu, qu'il le regarde et il vivra!», (Bamidbar 21, 8).
L’antidote au venin des serpents était donc de contempler un serpent de cuivre
67
‫בס"ד‬
placé en hauteur au sommet d’une perche, c’est-à-dire avec le ciel en fond.
Contempler une figure de serpent sur le fond du ciel, alors que les serpents étaient
en train de décimer le peuple consistait à prendre conscience de la nécessité de
considérer cette épreuve comme venant du ciel et que de ce fait, il fallait
nécessairement rechercher le bienfait de cette épreuve. C’est donc ce point de vue
qui permet à l’esprit de sécréter l’antidote au poison que toute épreuve injecte en
nous, ou plutôt au poison que la considération de toute épreuve sans Emounah
injecte en nous.
C’est pourquoi nous souhaitons terminer cette étude en contemplant le phénomène
négationniste comme une épreuve qui nous est imposée par le ciel et dont il faut
déterminer le bienfait, à l’instar de la contemplation du serpent, sur le fond du ciel,
que Moché rabénou tenait hissé au sommet d’une perche.
Le venin négationniste est d’abord en nous même, c’est donc d’abord en nous
même qu’il faut le neutraliser
Dans la perspective de la recherche de ce message divin qu’il faut bien recevoir,
nous sommes obligés d’admettre que si les propos négationnistes sont absolument
inacceptables, ils nous sont nécessaires afin de nous encourager à redécouvrir les
fondements de la Emounah. En effet, les religieux aussi, et peut être même surtout
eux, doivent sortir des illusions de certitude qui bloquent le processus de révélation
messianique en nous empêchant de nous mesurer à ce besoin vital de révélation par
lequel Dieu attend d’être invité à se révéler. Or, le négationnisme est l’expression
d’une tendance fondamentale de l’homme qui le conduit à déployer les plus grands
efforts pour tordre la réalité afin de la mettre au service de la certification de ses
options idéologiques, plutôt que de laisser la pensée se faire guider librement par la
réalité. En effet, le négationnisme fondateur, tout comme ses sous-produits qui
nous viennent de S. Sand, de H. Atlan et de M.R. Hayoun, sont tous voués à
l’élaboration de constructions mentales qui nient l’évidence de la réalité de tout ce
qui est juif. Indépendamment des domaines d’application antisioniste et
antireligieux, la tendance négationniste est une tendance fondamentale de négation
de la réalité. En cela, elle fait écran à la révélation du divin dans le monde, tant au
niveau individuel qu’au niveau collectif car au lieu de laisser les aspirations se
former au contact de la réalité, cette tendance maquille la réalité aux couleurs de
ces aspirations, ce qui les maintient dans l’illusion au lieu de conduire à leur
réalisation. D’ailleurs, si on observe le principal bénéficiaire et certainement
commanditaire de l’expression moderne antisioniste du négationnisme, la cause
palestinienne, on voit bien que cette cause n’a jamais rien réalisé de concret, elle ne
68
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
génère que des destructions. Il faut bien reconnaître que cette tendance
négationniste, sous sa forme fondamentale de négation de la réalité, nous l’utilisons
tous à différents degrés. Elle est injustifiable, quels que soient les partis-pris
idéologiques que nous servons.
Donc, selon les fondements de la Emounah que nous avons rappelé dans cette
étude, et selon l’analyse du phénomène négationniste qui y a été développée, il
apparaît clairement que le négationnisme procède d’une tendance humaine qui est
majeure, naturelle et rivale de la Emounah. Par conséquent, si les stratégies
négationnistes de tous ordres sont principalement dirigées contre le peuple d’Israël
et sa tradition, c’est peut-être que c’est celui-ci qui doit se purifier de cette tendance
naturelle avant tout le monde. Et au sein du peuple d’Israël, ceux qui sont en
mesure de faire ce travail en premier, car cela est une nécessité objective pour eux,
sont très certainement ceux qui sont attachés à la tradition de la Torah. Mais pour
faire ce travail, il leur faudra éviter de laisser le combat contre les ennemis de
l’extérieur monopoliser toutes les forces qui devraient aussi permettre de combattre
les ennemis de l’intérieur, que ceux de l’extérieur ne font que révéler. Quand Israël
sera purifié de la tendance négationniste, ou tout au moins œuvrera activement à
résoudre cette tendance naturelle à l’intérieur d’elle-même, les négationnistes de
l’extérieur seront faciles à vaincre car leur raison d’être n’est que de révéler ce dont
Israël doit se purifier.
Notre histoire contemporaine illustre bien cette vision. En effet, il faut bien
reconnaître que si le négationnisme nous prend ainsi pour cible, c’est bienfait pour
nous. C’est le juste retour de flamme de l’argument sioniste qui consistait à dire
que le peuple palestinien est une invention. C’est le sionisme qui a inauguré la
méthode de la négation historique d’un peuple au service d’une cause politique.
Cette thèse de l’inexistence du peuple palestinien est fondée sur deux justifications
d’ordre historique.
En premier lieu, c’est l’empereur romain Hadrien qui, suite à la révolte de Bar
Kokhba en 135 è.c., a débaptisé la Judée en Syria Palæstina pour tenter de briser
définitivement la résistance juive. Ce nom se réfère à un peuple du sud de la terre
de Canaan, les pelichtim. Mais ce peuple d’avant l’unification du royaume d’Israël
avait déjà disparu depuis plus de 700 ans au moment de la conquête romaine
d’Israël par le général Pompée. Donc, nommer Israël la Palestine consistait à nier
l’histoire du peuple d’Israël sur sa terre, et ainsi briser l’attachement biblique du
peuple à sa terre qui faisait obstacle à la souveraineté romaine. Il est donc bien
évident que l’instrumentalisation politique du terme de Palestine contre le
69
‫בס"ד‬
nationalisme juif en Israël est une stratégie romaine antique, elle est encore en
œuvre de nos jours.
En second lieu, les analyses démographiques de la population arabe en Palestine
sous souveraineté ottomane puis sous mandat britannique, au cours des 150
dernières années, montrent que la majorité des palestiniens d’aujourd’hui
descendent de populations provenant de mouvements migratoires issus de divers
pays arabes. Ces flux d’immigration qui ont commencé dans la seconde moitié du
19ème ont accompagné le regain d’activité économique induit par l’immigration
juive dès la période de la première ‘alyah de 1880.
Mais malgré les réelles justifications historiques de la thèse sioniste de
l’inexistence du peuple palestinien, il faut bien constater que cette stratégie de
négation d’un peuple à des fins politiques se retourne aujourd’hui contre nous sous
la forme de la thèse de l’invention du peuple juif, dans la droite ligne
méthodologique de la négation de la shoah. On peut toujours aborder la controverse
en se crispant sur la falsification des faits historiques sur laquelle repose les thèses
de S. Sand tout comme celles des négationnistes néo-nazis, mais cette démarche a
déjà prouvé son inefficacité. Il est évident que la méthode historiographique qui
soutient la thèse de l’invention du peuple juif est malhonnête, tout comme celle de
la thèse de l’invention des chambres à gaz, et pourtant le négationnisme a obtenu
un succès planétaire. Ceci est dû au fait que la propagation des idées répond aux
mêmes lois que celles des flux économiques. Quand il existe un marché, le produit
qui répond à la demande de ce marché se fabrique et se vend inévitablement. Par
conséquent, toute idée qui peut soutenir efficacement la cause antisioniste est
appelée à être fabriquée et à se vendre à la mesure de la demande du marché
antisioniste.
Il ne nous reste donc plus qu’à reconnaître objectivement qu’en cherchant à nier le
peuple palestinien, nous n’avons rien fait de positif. Au contraire, nous avons nousmêmes inspiré la méthode négationniste à nos ennemis.
Selon les règles de pensée qui reposent sur la Emounah en la conduite divine de
l’histoire, il aurait tout simplement fallu prendre acte de cette réalité sociale et
politique d’un peuple palestinien. Si ce peuple n’est pas lui-même le peuple
biblique des pelichtim, les philistins, il est porteur de leur nom qui est mentionné
dans la Torah et ce nom désigne un projet. Il aurait alors fallu se demander quelle
est le message divin de cette résurgence moderne de l’esprit des pelichtim qui fait
obstacle à la renaissance d’Israël. Il s’agissait, et il s’agit encore de l’incarnation
d’une aspiration d’avortement de la renaissance d’Israël. Peu importe qu’une telle
aspiration s’incarne sous la forme d’un peuple qui ne répond pas à la définition
70
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
académique d’un peuple. Si c’est la Volonté divine, il faut respecter cette Volonté
en commençant par accepter Sa réalité, et non s’efforcer de La nier. Au lieu
d’œuvrer à recevoir ce questionnement comme une réalité à laquelle il fallait se
mesurer et trouver sa réponse, nous avons cherché à nier cette question en
argumentant que le peuple palestinien n’existe pas. Le traitement politique de ce
problème par le sionisme historique est l’expression de cette négation. Dieu ne
nous laisse pas éviter la question et nous a envoyé le négationnisme néo-nazi, puis
son instrumentalisation antisioniste, comme pour nous dire : «Puisque vous niez la
réalité du peuple palestinien qui est une réalité que Moi J’ai voulu, souffrez de la
négation des fondements sionistes politiques de votre nation ainsi que de la
négation de la réalité du peuple juif ».
Et apparemment, nous n’avons pas encore entendu le message car il s’amplifie
encore par la négation de la religion juive sous la forme de la formule de
l’invention de la religion juive que diffusent H. Atlan et M.R. Hayoun, afin que
nous finissions par l’entendre.
La contemplation des serpents négationnistes sur le fond du ciel nous conduit à voir
que l’histoire contemporaine d’Israël illustre donc bien le fait que le venin
négationniste est présent en nous-mêmes. Pour trouver l’antidote à ce venin, il faut
donc tenter de recevoir le message divin qui nous est adressé. Revenons donc à ce
passage de la Torah qui nous a inspiré cette analyse.
Deux formes de médisance, contre la manne et contre Eretz Israël, deux stratégies
négationnistes qui font avorter la naissance d’Israël
Au sujet de la plainte contre la manne que le peuple a formulé en termes de « pain
nuisible » (Bamidbar 21, 5), RaCh"Y explique que la manne étant intégralement
assimilée par l’organisme, sans que sa digestion ne produise le moindre déchet, la
génération du désert qui ne consommait que de la manne n’avait aucun besoin de se
soulager. La médisance consistait à dire que la manne finira bien par nous nuire en
nous faisant gonfler car on n’a jamais vu un homme manger et ne pas avoir à se
soulager des déchets de son alimentation21, excepté au cours de sa vie fœtale quand
son alimentation est complètement prédigérée par sa mère22.
‫ ע' ב) לפי שהמן נבלע באיברים קראוהו קלוקל אמרו עתיד‬,‫ (במס' ע"ז ה‬:"‫ "בלחם הקלוקל‬:‫ ה‬,‫ רש"י על במדבר כא‬21
"
.‫המן הזה שיתפח במעינו כלום יש ילוד אשה שמכניס ואינו מוציא‬
‫ נ״ב דקדקו לומר ילוד אשה ולא אמרו‬,‫ כלום יש ילוד אשה שמכניס ואינו מוציא‬:'‫ גליני הש"ס על מס' יומא ע"ה ב‬22
‫בקצרה כלום יש מי שמכניס ואינו מוציא או כלום יש אדם שמכניס כו׳ וזה משוס דעובר במעי אמו מכניס ואינו מוציא‬
‫כמבואר בנדה ל׳ ב׳ ואוכל ממה שאמו אוכלת ישותה ממה שאמו שותה ואינו מוציא רעי כו׳ ועיכ דקדקו לומר ילוד כו׳‬
... ‫לומר דרק באדם נולד אין דבר זה שיהי׳ מכניס ואינו מוציא אבל בעודו בעיבור ערס נולד הא ישנג שפיר וכנ״ל‬
71
‫בס"ד‬
Le fait que la consommation de la manne ne produise aucun déchet est la
matérialisation d’un niveau très élevé de dévoilement de l’unité divine, c’est-à-dire
d’une providence complètement exempte de la dualité du mal et du bien qui serait
laissé au sens du discernement de l’homme. De fait, la fonction digestive de
l’intestin qui sépare les déchets non utilisables par l’organisme de la part
assimilable des aliments est physiquement analogue à la conscience. En effet, c’est
la conscience qui discerne le bien du mal ce qui est analogue en pensée à la
fonction physiologique de trie qu’opère l’intestin. Mais au niveau de dévoilement
du divin qui avait lieu dans le désert, il n’y avait aucun mal à discerner dans la
providence divine. C’est pourquoi cet état spirituel, dans lequel il n’y a pas de mal
à discerner du bien, se manifeste aussi par l’état physiologique de l’homme du
désert qui ne génère aucun déchet, en accord avec le niveau de dévoilement auquel
il était exposé.
L’homme du désert qui se nourrissait de la manne ne rejetait rien, tout comme un
embryon qui reçoit sa nourriture sous forme complètement digérée par sa mère n’a
pas à utiliser ses propres fonctions digestives, et ne rejette donc rien. La médisance
consistait à dire que le peuple finira bien par sortir du désert pour entrer en Israël,
que la manne cessera alors de tomber et qu’à ce moment, comme un bébé qui naît,
les fonctions digestives s’activeront. Mais contrairement à un embryon qui se
développe et qui recycle toute son alimentation dans le développement de son
corps, un homme déjà formé s’il absorbe et ne rejette rien doit forcément gonfler.
Donc la crainte était qu’en entrant en Israël, quand le niveau de dévoilement de la
providence divine diminuera et que l’homme discernera à nouveau du mal dans le
monde, ce qui se matérialisera par l’activation des fonctions digestives, toute cette
manne ingérée et non rejetée deviendra soudainement nuisible. L’erreur consistait à
ne considérer l’homme que dans sa dimension physique car dans sa dimension
spirituelle, l’homme israélite était bien en cours de formation et de développement
comme un embryon se forme et se développe dans le ventre de sa mère. Dans ces
conditions, la manne était une nourriture complètement spirituelle qui permettait le
développement de l’âme d’Israël et qui ne nécessitait pas la production du moindre
déchet, même après la sortie du désert et l’entrée en Israël, car elle aura été
complètement assimilée au développement de l’âme d’Israël. Il n’y avait donc rien
à craindre de l’absence totale de rejet dans cette nourriture absorbée au cours de la
phase embryonnaire de l’âme d’Israël.
Cette confusion entre l’âme d’Israël en cours de formation embryonnaire dans le
désert, et le corps d’Israël qui était bien achevé pour sa part, se retrouve dans les
termes de la plainte formulée par le peuple, dont la transcription en alphabet latin
est: « nafchenou quatzah » et que nous avons traduit par « notre âme est excédée ».
72
Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Mais le Nefech est le niveau d’âme qui maintient le corps en vie. Pour sa part, la vie
spirituelle au-delà de la vie du corps, est désignée par des niveaux d’âme supérieurs
qui ont d’autres dénominations que Nefech. Par ailleurs, qatzah signifie
littéralement achevée. Donc la traduction littérale de la plainte formulée par le
peuple est plutôt « notre corps est achevé ». C’est cette traduction littérale qui
explique le mieux la confusion qui a conduit à cette médisance sur la manne. En
effet, le corps d’Israël était arrivé à maturité, c’est même pendant l’exil égyptien
que ce corps a été formé. Mais la manne ne nourrissait pas le corps d’Israël, elle
nourrissait l’âme supérieure d’Israël qui était encore un embryon en formation dans
le désert. Elle devait continuer à s’alimenter de la manne car cet aliment
entièrement assimilable, sans déchet, convenait à l’état embryonnaire de l’âme
d’Israël.
Par conséquent, nous pouvons désormais comprendre la plainte du peuple contre la
manne selon un niveau de compréhension plus profond. Cette plainte consistait
essentiellement à se plaindre de ne pas encore naître en entrant en Israël, alors que
le peuple considérait être déjà arrivé à maturité. En d’autres termes, il se plaignait
de ne pas être considéré comme un adulte responsable qui peut se confronter au
mal, dans un état de dévoilement inférieur, et ainsi exercer son sens du
discernement. Dans cet état de dévoilement inférieur qui était souhaité par le
peuple pour affirmer sa maturité, il faut alors travailler pour obtenir sa subsistance
et ensuite la digérer, et il faut lutter contre toutes sortes d’ennemis pour conquérir
sa place dans le monde. Ce sont précisément ces activités qui sont porteuses de
l’épreuve de la confrontation du bien et du mal dont la dualité masque l’unité
divine.
C’est pourquoi cette plainte a engendré l’attaque des serpents, car c’est le serpent
qui figure le sens de discernement du bien et du mal. C’est sur son conseil que
l’homme a consommé le fruit de la connaissance du bien et du mal, ce qui l’a fait
naître à l’humanité que nous connaissons, c’est-à-dire qui l’a fait sortir du gan
‘eden. C’est bien l’essence de la faute de Adam et ‘Hava qui se sont jugé aptes à
subir l’épreuve du discernement du bien et du mal alors que leur âme n’avait pas
achevé sa gestation dans la matrice du gan ‘eden. D’ailleurs, on retrouve bien dans
le récit de la sortie du gan ‘eden, cette association entre d’une part, la physiologie
du rejet provenant de la fonction digestive et d’autre part, le discernement du bien
et du mal. En effet, une des expressions de la sortie du gan ‘eden à cause de la
consommation du fruit de la connaissance du bien et du mal est la sueur qui
accompagne la consommation du pain : « C'est à la sueur de ton visage que tu
mangeras du pain » (Berechit 3, 19). On comprend selon le sens commun qu’il
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‫בס"ד‬
s’agit de la sueur engendrée par l’effort qu’il va alors falloir fournir pour gagner
son pain. C’est vrai, mais il s’agit aussi de la sueur que la digestion du pain
fabrique, la sueur étant une des modalités d’excrétion des déchets de la digestion.
Or, tout comme la génération du désert qui se nourrissait de la manne ne transpirait
pas, Adam et ‘Hava ne transpiraient pas non plus dans le gan ‘eden, avant de savoir
discerner entre le bien et le mal. Par conséquent, la digestion qui est l’expression
physiologique du discernement du bien et du mal, lequel s’opère au niveau de la
conscience, ainsi que l’excrétion des déchets de la digestion qui évoque le rejet du
mal et enfin, le serpent qui figure le penchant de l’homme à vouloir discerner le
bien du mal, sont autant d’éléments en commun qui permettent de comprendre la
médisance contre la manne comme une résurgence de la faute de la consommation
du fruit de la connaissance du bien et du mal.
Donc, de la même manière que l’homme est sorti du gan ‘eden en acquérant le sens
du discernement du bien et du mal afin d’accéder à un niveau supérieur d’existence
qui s’accompagnait d’un voilement de la providence divine, la génération du désert
souhaitait cesser de se nourrir de la manne et accéder à son indépendance morale
sans être protégée par une providence entièrement protectrice de toute perception
du mal. Mais l’âme d’Israël n’était pas encore prête à cette épreuve car son
incubation dans le désert n’était pas achevée. A ce moment, l’attaque du serpent
figure donc la cause primordiale de cette erreur de jugement qui fut la même erreur
que le serpent avait suggéré à Adam et ‘Hava.
L’antidote fut la contemplation d’une figure de serpent, au sommet de la perche
tenue par Moché Rabénou, sur le fond du ciel. Ce spectacle du serpent, qui
décimait alors le peuple, sur le fond du ciel avait pour fonction de réveiller la
conscience choquée du peuple en lui rappelant que le serpent qui était alors perçu
comme la cause de la mortalité était aussi une manifestation de la providence
divine bienfaisante. Mais cela paraissait inacceptable aux yeux du peuple car son
âme n’avait pas encore acquis l’aptitude à la contemplation de l’unité divine, pardelà la dualité du bien et du mal. A ce moment précis, le peuple compris alors qu’il
n’avait pas encore la maturité spirituelle pour se mesurer à l’épreuve du
discernement du mal sans perdre son attachement à la Emounah dans le Yi’houd,
l’unité divine, qui évite de se perdre dans une perception de la dualité du bien et du
mal qui fait écran à la révélation du divin. C’est pourquoi cette prise de conscience
devant le spectacle du serpent sur fond de ciel était l’antidote au venin. En effet, à
ce moment, celui qui contemplait ce spectacle comprenait que le venin était en lui
et qu’il lui suffisait de reconnaître qu’il n’avait pas la force de le combattre pour
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
guérir car alors, il renonçait à sa requête de se priver trop tôt de ce niveau de
dévoilement de la providence divine qui présidait dans le désert.
La faute de la médisance contre la manne est donc la faute diamétralement opposée
à la faute de la médisance contre Eretz Israel des meraglim, les explorateurs, qui
est relatée dans la parachah Chela’h (Bamidbar, 13). En effet, les explorateurs
souhaitaient rester dans le désert pour continuer à jouir d’un niveau de dévoilement
de la providence divine qui les exonérait du travail, de la guerre et de toutes les
activités qui nous exposent à l’épreuve de la dualité du bien et du mal.
Par conséquent, les explorateurs ne souhaitaient pas passer à la phase de la ‘avodah
en Eretz Israel, exactement à l’opposé de ceux qui se plaignent de la manne car
justement, ces derniers se considèrent prêts à commencer la ‘avodah en Eretz
Israël.
Mais alors nous sommes exposés à un paradoxe difficile car d’une part, c’est une
faute de vouloir entrer en eretz Israel, et ainsi de se priver du niveau de
dévoilement du divin qui siège dans le désert, et c’est aussi une faute de ne pas
vouloir entrer en eretz Israel afin de rester immergé dans un monde de révélation !
On percevra ce paradoxe avec d’autant plus d’acuité qu’on remarquera que son
expression contemporaine s’est matérialisée d’un point de vue sociologique par le
choc entre le courant mizra’hi et le courant ‘haredi. Alors que les mizra’him
veulent s’emparer de la terre d’Israël, quitte à se confronter à toutes les difficultés
inhérentes à cette entreprise et au risque d’oublier la dimension providentielle de
ces difficultés, les ‘haredim veulent rester plongés dans la Torah pour rester en
contact avec la parole divine claire, sans la distorsion de la réalité, au risque de ne
pas collaborer à la réalisation de la Torah dans toute sa dimension, ce qui est
pourtant la vocation du peuple d’Israël. Bien sûr nous parlons de l’expression
populaire de ces deux courants. Nous ne nous permettons pas de juger le message
que les dirigeants de ces courants souhaitent délivrer, nous adoptons l’apriori de
confiance qui consiste à dire que les rabanim qui ont fondé et dirigé ces courants
ont délivré un enseignement complet et parfait. Mais inévitablement, ces
enseignements ont subis des distorsions populaires. C’est donc de l’enseignement
de ces courants, avec les distorsions populaires qu’ils ont subis, que nous parlons.
Chacun exprime les qualités de ses défauts, c’est de la réunion des deux que
viendra la solution. Les mizra’him doivent apprendre des ‘haredim la valeur de
cette aspiration exacerbée à la révélation du divin, à tel point que cette aspiration
paralyse l’action de l’homme. Mais les ‘haredim doivent apprendre des mizra’him
que tant que l’homme ne va pas au bout de ces propres forces de réalisation en se
heurtant ainsi à ses limites avec force et courage dans la réalité tangible,
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‫בס"ד‬
l’aspiration à la révélation du divin ne peut pas atteindre l’intensité avec laquelle
Dieu attend d’être invité à se révéler.
De même que chacun exprime les qualités de ses défauts, chacun exprime aussi les
défauts de ses qualités, c’est de l’entraide à la résolution des deux que viendra la
solution. Les mizra’him devront accepter de se faire aider des ‘haredim à se
prémunir contre la faute de la médisance contre la manne que leurs aspirations
portent en elles. Les ‘haredim devront accepter de se faire aider des mizra’him à se
prémunir de la faute de la médisance contre Eretz Israel que leurs aspirations
portent en elles.
Mais nous sommes tous trop orgueilleux pour avoir une chance de réussir dans
cette voie du milieu qui nécessite d’accepter de se fondre en l’autre. C’est pourquoi
Dieu suscite l’adversité des négationnistes de tous types qui nous forcent à nous
unir car ils nous menacent tous comme une seule entité. Ils menacent notre terre,
notre peuple et notre religion qui sont tout ce qui nous définit tous ensemble !
L’analyse de leurs méthodes nous révèle que tout comme eux, c’est précisément la
négation de la réalité que nous utilisons nous aussi pour tordre cette réalité afin de
certifier nos préjugés au lieu d’aborder cette réalité, telle qu’elle se présente, avec
l’arme de la Emounah authentique.
Ceux qui médisent contre la manne veulent entrer en Israël, c’est pourquoi ils ne
s’attachent qu’à la partie de la réalité qui peut justifier la réalisation de leur souhait.
Ceux qui médisent contre Eretz Israel veulent rester dans le désert, c’est pourquoi
ils ne s’attachent qu’à la partie de la réalité qui peut justifier la réalisation de leur
souhait. Entre l’amputation de la réalité qui consiste en une considération partielle
de cette réalité, afin de justifier un préjugé, et le travestissement de la réalité qui
consiste en une considération partiale de cette réalité, afin de justifier un préjugé, il
n’y pas une grande différence. Comme nous l’avons illustré au début de cette étude,
la vérité nécessite la complétude du chalom. Donc, toute atteinte à la complétude
procède du mensonge. Par conséquent, nous sommes tous des négationnistes qui
s’ignorent et qui devons puiser du dégoût que nous inspirent les négationnistes
effrontés, la force d’extraire jusqu’à la dernière goutte de ce poison de nous-même.
C’est en regardant les serpents négationnistes sur le fond du ciel que leur venin sera
neutralisé car ils nous aident à déterminer ce qui doit être extrait de nous-même.
Ces deux formes de médisance, celle contre la manne et celle contre Eretz Israel,
sont deux stratégies négationnistes qu’il faut extraire de nous-même pour que le
peuple d’Israël hérite définitivement de la terre d’Israël afin d’accomplir la Torah
d’Israël.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Mais la réunification des différents courants religieux ne suffira pas encore à
engager la révélation messianique à se produire, il faudra encore procéder à la
réunification des laïcs et des religieux. C’est ainsi que nous souhaitons conclure
cette étude.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Conclusion : La vraie Emounah, le chemin du milieu qui réconcilie
la question laïque et le besoin religieux de réponse
Finalement, il est bien nécessaire d’affirmer clairement que la Foi authentiquement
juive n’est en aucun cas une certitude. Dans les treize principes de Foi de
RaMBa"M, il n’est jamais question de certitude, de bita’hon, mais de Emounah
chelemah, que nous pouvons traduire par Foi entière à condition de définir la Foi,
non pas comme la certitude elle-même, mais comme l’élaboration des conditions
permettant de demander et de recevoir la certitude du divin par la révélation du
divin. Le bita’hon, la certitude, est ce qui suit la révélation, ce n’est plus de la
Emounah. Seuls les justes ont accès à la mutation de la Emounah en bita’hon par la
révélation, mais tout le peuple d’Israël progresse dans cette voie et entraîne avec lui
le monde entier vers cette révélation.
Cette compréhension de la Emounah ainsi que du processus de transformation de la
Emounah en bita’hon, peut être établie de manière non équivoque dans les textes
de la tradition.
Cependant, cela ne pouvait pas être révélé de manière trop explicite jusqu’à nos
jours car un tel niveau de dévoilement aurait pu décourager le plus grand nombre
de s’investir dans une telle ‘avodah, un tel travail. En effet, les juifs, comme tous
les hommes, aiment se fournir en certitudes, là où elles sont disponibles, quitte à les
fabriquer artificiellement là où elles ne sont pas disponibles. C’est pourquoi, tous
les textes de la tradition, même s’ils nous conduisent à ce constat quand on les
étudie avec rigueur et respect de la tradition, ne dévoilent pas explicitement le
principe fondamental de la Emounah. Mais il est temps de l’expliciter. Comment
savons-nous que ce temps est venu ? C’est simple, le temps est venu car si nous ne
rétablissons pas maintenant la connaissance de la Foi, elle risque d’être détruite par
ceux qui ont foi en la connaissance. C’est pourquoi nous interprétons la confusion
destructrice que sème l’expression d’idées telle que l’invention de la religion juive,
et qui a motivé la rédaction de cet article, comme une invitation divine à établir
avec clarté la connaissance de la Emounah sur laquelle se fonde le principe
identitaire indéfectible du peuple juif en devenir d’Israël.
Ainsi, il devient évident que dans l’histoire de ce peuple juif qui redevient la nation
d’Israël, les laïcs ont autant de place que les croyants. Les conflits stériles et
destructeurs viennent du fait que les uns tout autant que les autres pratiquent une
religion crispée sur la certitude de leurs réponses respectives aux questions que
posent les autres. Il faudra que les laïcs, tout autant que les croyants, cessent de
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‫בס"ד‬
pratiquer le culte de la réponse et commencent à pratiquer la Emounah originelle
d’Avraham Ytz’haq et Ya’aqov qui consiste à engager l’homme dans la voie de la
question vitale afin d’inviter Dieu à délivrer la réponse vitale. Dans ce processus de
retour du culte orgueilleux de la réponse vers la pratique humble et vitale de la
question, qui est le fondement d’Israël, la réconciliation des laïcs et des croyants est
une nécessité du projet divin. Les croyants devront apprendre des laïcs à poser les
questions fortes de Emounah, sans laisser l’angoisse de ne pas trouver les réponses
asphyxier les questions. Les laïcs devront apprendre des croyants le besoin vital de
réponses à ces questions de Emounah.
Après que les uns auront appris des autres, ensemble nous saisirons la corde
tressées de trois brins (‘hout hamechoulach) par Avraham Ytz’haq et Ya’aqov, qui
nous mènera sur la voie royale à la rencontre du Roi des rois. Ensemble, nous
adresserons à Dieu l’invitation qu’Il attend de la part de la nation d’Israël à délivrer
les réponses à toutes les nations du monde.
Nous avons publié un livre entier sur le sujet de la Emounah authentique qui est en
mesure d’établir les conditions de la révélation messianique, il se développe au fil
de l’histoire de l’exil du peuple juif, de l’histoire de la philosophie, des sciences et
des religions ainsi que des textes de notre tradition. Ce livre s’intitule « L’Unité
Divine en Questions, La Révolution du Sixième Millénaire » (Ed. Tizal Katal). En
voici la préface :
Une question est toujours l’expression d’un manque. Or, le manque est la
cause essentielle de la souffrance. On traite la soufrance qu’évéille la question,
soit en s’efforçant de réduire la question au silence, soit en s’efforçant de
trouver sa réponse.
L’humanité qui n’a de cesse de vouloir supprimer Israël, c’est l’être humain
qui tente d’échapper au manque que révèle le questionnement en le
supprimant.
S’efforcer de supprimer le questionnement, c’est l’essence de la violence.
S’efforcer de convertir le manque qu’exprime le questionnement en désir de
réponse, c’est l’essence de la douceur.
Seule la violence peut assujettir l’homme à l’empire du mensonge par la
contrainte, c’est pourquoi la violence est la griffe du mensonge. Par contre, la
Foi d’Israël n’a d’objet que l’éveil du désir de vérité par lequel Dieu attend
d’être invité par l’homme à révéler Son Règne, c’est pourquoi la douceur est le
sceau de la Foi d’Israël.
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Le judaïsme a-t-il été inventé à partir de la philosophie, du christianisme et de l’islam ?
Israël est éternel car Dieu a décidé que le questionnement ne disparaîtra
jamais afin qu’il soit éternellement apaisé quand viendra le temps de la
réponse.
Tout ce livre n’a de raison d’être que pour expliquer ceci, le démontrer par les
textes de la tradition prophétique de la sagesse d’Israël, l’illustrer dans l’histoire de
l’éxil du peuple juif, et enfin d’en déduire les enjeux essentiels de cette fin de
sixième millénaire.
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La contemplation de son histoire conduit nécessairement le peuple juif à
abandonner définitivement tout espoir de trouver grâce aux yeux des nations,
car cette histoire n’inspire qu’une seule et unique conclusion qui est que le
seul moyen de plaire aux nations, pour lui, serait qu’il accepte de disparaitre!
La disparition de l’identité juive, c’est justement ce à quoi œuvrent certains
intellectuels juifs qui propagent la thèse selon laquelle la religion juive n’est
qu’une invention s’inspirant de la philosophie, du christianisme et de
l’Islam.
Ce livre montre non seulement la filiation, mais aussi le prolongement
négationniste de cette thèse. En parallèle, il explique le caractère essentiel de
la Emounah, la Foi juive en l’unité divine.
Il révèle ensuite le négationnisme comme étant une phase inexorable et
terminale de l’évolution de la pensée occidentale. Or, comme cela apparaît
dans cette étude, c’est la Emounah qui est la force essentielle opposée à la
tendance négationniste.
Par conséquent, cette controverse analysée à la lumière de la Torah
préfigure le dernier conflit mondial qui devrait secouer l’humanité, avant la
révélation messianique.
Ce conflit, sous sa forme la plus essentielle, est la lutte finale de la
Emounah d’Israël contre le négationnisme de Amalek.
Tizal Katal est un cercle d’étude franco-Israélien qui œuvre à la recherche
des conditions permettant d’établir et de maintenir le dialogue avec Dieu,
sans avoir besoin d’être prophète, uniquement en écoutant le monde renvoyer
l’écho de la parole divine.
Le prophète reçoit la parole divine, cela nous est inaccessible. Mais nous
tous, pouvons observer le monde avec le regard de la Torah et l’écouter avec
l’entendement de la Torah. C’est cela la condition primordiale de
l’établissement du dialogue non prophétique avec Dieu. C’est la vocation de
tout Israël.
Cette première publication de Tizal Katal illustre cette démarche en
interrogeant la parole divine qui se cache derrière le phénomène
négationniste, lequel tente de nier la nation, le peuple et la religion d’Israël.
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