DOSSIER THÉMATIQUE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. V - janvier-février 2002 9
incontinence fécale est définie par l’émission invo-
lontaire de gaz et/ou de selles liquides et/ou solides
par l’anus. Cette définition regroupe plusieurs types
de symptômes et un très large éventail pathogénique. Ainsi, cette
perte involontaire peut se traduire par des suintements, qui
devraient pourtant être différenciés des accidents d’incontinence
vraie, parce que leur mécanisme physiopathologique de survenue
et leur contexte sont différents (soiling de la littérature anglo-
saxonne). L’accident épisodique peut être le reflet d’un épisode
de diarrhée, dont il n’est qu’un témoin indirect du débit fécal.
Ainsi, cette perte involontaire peut être l’expression, plus sociale
que morbide, de troubles des fonctions intellectuelles supérieures
ou d’une perte d’autonomie. Il est, de ce fait, difficile de cerner
parfaitement le cadre des incontinences. En évaluer l’ampleur
socio-économique ne l’est pas moins. L’incontinence fécale est
fréquente, puisqu’elle concerne, en France, 11 % de la population
interrogée (échantillon représentatif de 1 100 personnes, âgées de
45 ans ou plus) et 16 % des sujets consultant un médecin généra-
liste pour un autre motif (3 914 patients) (1). Cette incontinence
fécale est grave, puisqu’elle se traduit par des pertes involontaires
de selles dans la moitié des cas et qu’elle survient à un rythme
hebdomadaire au moins une fois sur trois. On peut estimer que
2% des Français souffrent d’accidents d’incontinence pour les
selles au moins une fois par semaine (1). La prévalence s’accroît
lorsqu’elle s’attache aux groupes “à risque” : sujets ayant subi un
geste chirurgical proctologique, enfants souffrant d’un processus
malformatif anorectal, personnes âgées en institution, malades
souffrant de pathologies neurologiques centrales et périphériques
ou de maladies neuromusculaires, malades se plaignant d’incon-
tinence urinaire. Les facteurs obstétricaux ont une grande place,
sinon la plus importante, dans la genèse de l’incontinence fécale
féminine. De nombreuses études prospectives ont quantifié l’in-
cidence et la gravité de l’incontinence fécale en post-partum immé-
diat : elles suggèrent que, chez les primipares, l’incidence de l’in-
continence fécale varie entre 9 et 26 % (2-7). Une attention toute
particulière doit être accordée au passé obstétrical, surtout en cas
d’extraction instrumentale par forceps et/ou de déchirure de 3eou
de 4edegré. Chez les patientes ayant un antécédent de lésion
sphinctérienne endosonographique, de déchirure de 3edegré ou
d’incontinence régressive après un premier accouchement anté-
rieur, une incontinence fécale durable est rapportée par un tiers
d’entre elles après un second accouchement (2,8,9). Il convient
également de rechercher des symptômes d’intestin irritable, parce
que des impériosités et des accidents d’incontinence du post-par-
tum immédiat concernent près de deux tiers des patientes ayant
un syndrome de l’intestin irritable versus 18 % des femmes sans
terrain colopathique préexistant (10).
Le retentissement socio-économique de l’incontinence fécale
apparaît considérable dans les pays qui ont pu en faire une éva-
luation économique même partielle. L’absentéisme profession-
nel annuel avoisine deux semaines pour un Américain qui en
souffre (11). Chez les malades âgés vivant en institution, l’aide
matérielle dédiée à la prise en charge des symptômes d’inconti-
nence était de 9 771 dollars par an et par personne au Canada, il
y a dix ans : elle imposait l’aide d’une tierce personne plus de
cinquante minutes par jour et par malade (12). Chez les femmes
qui souffrent d’une incontinence fécale du post-partum, le coût
moyen de prise en charge du symptôme aux États-Unis était de
17 166 dollars en 1999 : les coûts liés au traitement concernaient
90 % de la masse financière globale (13). On ne dispose pas en
France de données similaires. Que représentent l’absentéisme
professionnel, le coût direct et indirect de prise en charge d’une
rééducation instrumentale de type biofeedback(si l’on doit consi-
dérer cette approche comme le meilleur compromis de première
ligne thérapeutique), le coût et surtout le bénéfice (en termes
“d’incontinences épargnées”) d’une politique de rééducation péri-
néale systématique du post-partum ? Les maigres éléments que
nous offrent les déclarations du PMSI pour l’année 1999 font état
de 1 029 gestes chirurgicaux de traitement de l’incontinence
fécale d’origine sphinctérienne (38 % de sphinctérorraphies) : ils
ne représentent quantitativement que 1,4 % des gestes proctolo-
giques effectués. Durant la même période, il est posé autant de
sphincters urinaires artificiels et il est réalisé dix fois plus de
gestes chirurgicaux d’incontinence urinaire chez la femme par
procédés autoplastiques (bandelettes). Cela doit-il nous consoler
(moindre coût) ou nous affoler (moindre prise en charge) ? ■
* Clinique des maladies de l’appareil digestif, hôpital Pontchaillou, Rennes.
Qui est incontinent ?
Définitions et ampleur socio-économique du problème
●L. Siproudhis, V. Bichelier*
L’