D O S S I E R T H É M A T I Q U E Qui est incontinent ? Définitions et ampleur socio-économique du problème ● L. Siproudhis, V. Bichelier* L’ incontinence fécale est définie par l’émission involontaire de gaz et/ou de selles liquides et/ou solides par l’anus. Cette définition regroupe plusieurs types de symptômes et un très large éventail pathogénique. Ainsi, cette perte involontaire peut se traduire par des suintements, qui devraient pourtant être différenciés des accidents d’incontinence vraie, parce que leur mécanisme physiopathologique de survenue et leur contexte sont différents (soiling de la littérature anglosaxonne). L’accident épisodique peut être le reflet d’un épisode de diarrhée, dont il n’est qu’un témoin indirect du débit fécal. Ainsi, cette perte involontaire peut être l’expression, plus sociale que morbide, de troubles des fonctions intellectuelles supérieures ou d’une perte d’autonomie. Il est, de ce fait, difficile de cerner parfaitement le cadre des incontinences. En évaluer l’ampleur socio-économique ne l’est pas moins. L’incontinence fécale est fréquente, puisqu’elle concerne, en France, 11 % de la population interrogée (échantillon représentatif de 1 100 personnes, âgées de 45 ans ou plus) et 16 % des sujets consultant un médecin généraliste pour un autre motif (3 914 patients) (1). Cette incontinence fécale est grave, puisqu’elle se traduit par des pertes involontaires de selles dans la moitié des cas et qu’elle survient à un rythme hebdomadaire au moins une fois sur trois. On peut estimer que 2 % des Français souffrent d’accidents d’incontinence pour les selles au moins une fois par semaine (1). La prévalence s’accroît lorsqu’elle s’attache aux groupes “à risque” : sujets ayant subi un geste chirurgical proctologique, enfants souffrant d’un processus malformatif anorectal, personnes âgées en institution, malades souffrant de pathologies neurologiques centrales et périphériques ou de maladies neuromusculaires, malades se plaignant d’incontinence urinaire. Les facteurs obstétricaux ont une grande place, sinon la plus importante, dans la genèse de l’incontinence fécale féminine. De nombreuses études prospectives ont quantifié l’incidence et la gravité de l’incontinence fécale en post-partum immédiat : elles suggèrent que, chez les primipares, l’incidence de l’incontinence fécale varie entre 9 et 26 % (2-7). Une attention toute particulière doit être accordée au passé obstétrical, surtout en cas * Clinique des maladies de l’appareil digestif, hôpital Pontchaillou, Rennes. d’extraction instrumentale par forceps et/ou de déchirure de 3e ou de 4e degré. Chez les patientes ayant un antécédent de lésion sphinctérienne endosonographique, de déchirure de 3e degré ou d’incontinence régressive après un premier accouchement antérieur, une incontinence fécale durable est rapportée par un tiers d’entre elles après un second accouchement (2,8,9). Il convient également de rechercher des symptômes d’intestin irritable, parce que des impériosités et des accidents d’incontinence du post-partum immédiat concernent près de deux tiers des patientes ayant un syndrome de l’intestin irritable versus 18 % des femmes sans terrain colopathique préexistant (10). Le retentissement socio-économique de l’incontinence fécale apparaît considérable dans les pays qui ont pu en faire une évaluation économique même partielle. L’absentéisme professionnel annuel avoisine deux semaines pour un Américain qui en souffre (11). Chez les malades âgés vivant en institution, l’aide matérielle dédiée à la prise en charge des symptômes d’incontinence était de 9 771 dollars par an et par personne au Canada, il y a dix ans : elle imposait l’aide d’une tierce personne plus de cinquante minutes par jour et par malade (12). Chez les femmes qui souffrent d’une incontinence fécale du post-partum, le coût moyen de prise en charge du symptôme aux États-Unis était de 17 166 dollars en 1999 : les coûts liés au traitement concernaient 90 % de la masse financière globale (13). On ne dispose pas en France de données similaires. Que représentent l’absentéisme professionnel, le coût direct et indirect de prise en charge d’une rééducation instrumentale de type biofeedback (si l’on doit considérer cette approche comme le meilleur compromis de première ligne thérapeutique), le coût et surtout le bénéfice (en termes “d’incontinences épargnées”) d’une politique de rééducation périnéale systématique du post-partum ? Les maigres éléments que nous offrent les déclarations du PMSI pour l’année 1999 font état de 1 029 gestes chirurgicaux de traitement de l’incontinence fécale d’origine sphinctérienne (38 % de sphinctérorraphies) : ils ne représentent quantitativement que 1,4 % des gestes proctologiques effectués. Durant la même période, il est posé autant de sphincters urinaires artificiels et il est réalisé dix fois plus de gestes chirurgicaux d’incontinence urinaire chez la femme par procédés autoplastiques (bandelettes). Cela doit-il nous consoler (moindre coût) ou nous affoler (moindre prise en charge) ? ■ La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. V - janvier-février 2002 9 D R O S É F É R E N C E S S I E R T B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Denis P, Bercoff E, Bizien MF et al. Étude de la prévalence de l’incontinence fécale chez l’adulte. Gastroenterol Clin Biol 1992 ; 16 : 344-50. 2. Fynes M, Donnelly V, Behan M et al. Effect of second vaginal delivery on anorectal physiology and faecal continence : a prospective study. Lancet 1999 ; 18 ; 354 : 983-6. 3. Sultan AH, Kamm MA, Hudson CN et al. Anal-sphincter disruption during vaginal delivery N Engl J Med 1993 ; 329 : 1905-11. 4. Donnelly V, Fynes M, Campbell D et al. Obstetric events leading to anal sphincter damage. Obstet Gynecol 1998 ; 92 : 955-61. 5. Zetterstrom JP, Lopez A, Anzen B et al. An anal incontinence after vaginal delivery : a prospective study in primiparous women. Br J Obstet Gynaecol 1999 ; 106 : 324-30. 6. Abramowitz L, Sobhani I, Ganansia R et al. Are sphincter defects the cause of anal incontinence after vaginal delivery ? - Results of a prospective study. Dis Colon Rectum 2000 ; 43 : 590-8. H É M A T I Q U E 7. Damon H, Henry L, Bretones S et al. Postdelivery anal function in primiparous females : ultrasound and manometric study. Dis Colon Rectum 2000 ; 43 : 472-7. 8. Bek KM, Laurberg S. Risks of anal incontinence from subsequent vaginal delivery after a complete obstetric anal sphincter tear. Br J Obstet Gynaecol 1992 ; 99 : 724-6. 9. Faltin DL, Sangalli MR, Roche B et al. Does a second delivery increase the risk of anal incontinence ? Br J Obstet Gynaecol 2001 ; 108 : 684-8. 10. Donnelly VS, O’Herlihy C, Campbell DM, O’Connell PR. Postpartum fecal incontinence is more common in women with irritable bowel syndrome. Dis Colon Rectum 1998 ; 41 : 586-9. 11. Drossman DA, Li Z, Andruzzi E et al. US householder survey of functional gastrointestinal disorders. Prevalence, sociodemography, and health impact. Dig Dis Sci 1993 ; 38 : 1569-80. 12. Borrie MJ, Davidson HA. Incontinence in institutions : costs and contributing factors. CMAJ. 1992 1 ; 147 : 322-8. 13. Mellgren A, Jensen LL, Zetterstrom JP et al. Long-term cost of fecal incontinence secondary to obstetric injuries. Dis Colon Rectum 1999 ; 42 : 857-65. ✂ À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE À La Lettre de l’hépato-gastroentérologue Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ............................................................................. ABONNEMENT : 1 an ÉTRANGER (AUTRE F RANCE /DOM-TOM/E UROPE ❐ ❐ ❐ à l’attention de .......................................................................... 90 € collectivités 72 € particuliers 45 € étudiants* *joindre la photocopie de la carte ❏ Particulier ou étudiant Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale *joindre la photocopie de la carte + M., Mme, Mlle ............................................................................ Prénom ...................................................................................... 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