La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. II - février 1999 5
L’ ARTICLE À CONNAîTRE
La dyspepsie est définie selon les critères de Rome
comme étant une douleur ou une sensation d’incon-
fort de la partie haute de l’abdomen, chronique ou
récidivante, sans qu’une lésion organique puisse
être incriminée. Il s’agit d’un motif fréquent de
consultation et de prescription d’examens complé-
mentaires et de thérapeutiques diverses. Aucun trai-
tement n’a pour le moment fait la preuve de son
efficacité dans cette situation qui correspond proba-
blement à des phénomènes physiopathologiques
divers, même s’il n’est pas possible de relier un pro-
fil symptomatique à une anomalie physiopatholo-
gique. Il existe, par ailleurs, un chevauchement
important avec les troubles fonctionnels intestinaux
et la symptomatologie des malades évolue souvent
au cours du temps.
La conduite à tenir vis-à-vis de la dyspepsie varie de
façon importante selon les pays. Dans les pays les
plus soucieux de leurs dépenses de santé, un traite-
ment symptomatique est le plus souvent prescrit en
première intention, en l’absence de signes d’alarme,
ce traitement étant souvent fondé sur les symptômes
prédominants : antisécrétoires pour les brûlures et
les crampes, prokinétiques pour les troubles a priori
moteurs (du type lenteur à la digestion), anxioly-
tiques pour les manifestations d’angoisse.
Dans les pays où l’activité endoscopique est élevée
et non régulée, les malades bénéficient fréquem-
ment d’une gastroscopie permettant d’exclure une
lésion organique et de rassurer le malade quant à la
bénignité des troubles.
Depuis la mise en évidence de l’efficacité de l’éradi-
cation d’Helicobacter pylori,qui vise à modifier l’his-
toire naturelle de la maladie ulcéreuse en diminuant
spectaculairement les rechutes, il était tentant d’en étu-
dier l’efficacité chez les malades présentant une gas-
trite à H. pylori sans ulcère ou des symptômes diges-
tifs hauts. La vingtaine d’études ouvertes n’a pas
permis de conclure, les études positives étant aussi
nombreuses que les études négatives. Dans ce domai-
ne de la pathologie fonctionnelle, encore plus
qu’ailleurs, des études randomisées en double aveugle
sont indispensables. Les deux plus grandes études
jamais entreprises viennent d’être publiées dans le
même numéro de Noël du New England Journal of
Medicine. Elles aboutissent à des résultats opposés,
comme le mettent en évidence les titres des articles
“Symptomatic benefit from eradicating Helicobacter
pylori…” pour Mc Coll et coll. et “Lack of effect of
treating Helicobacter pylori…” pour Blum et coll.
On peut se demander si le New England Journal of
Medicine n’a pas cédé à la tentation journalistique
d’opposer deux points de vue dont les conclusions
ne sont pas aussi discordantes qu’il y paraît de
prime abord. Un éditorial, dans la même livraison,
conseille de poursuivre la recherche fondamentale
sur la sensibilité viscérale et les interactions entre
cerveau et intestin plutôt que l’étude du rôle
d’H. pylori dans la dyspepsie !
Les deux études publiées par Mc Coll et Blum com-
portent un nombre important de patients (respective-
ment 318 et 348) et possèdent un schéma général
commun : stratégie initiale d’éradication ou non, en
double aveugle, et suivi sur une période d’une année.
Il existe cependant des différences notables. L’étude
de Mc Coll et coll. est une étude monocentrique
(Glasgow) sponsorisée par le Conseil de la
recherche médicale du Royaume-Uni, qui utilise
comme critère principal de jugement le score de
sévérité de la dyspepsie, dit de Glasgow. Ce score,
qui s’intéresse aux six mois précédant le jour de la
consultation, évalue la fréquence des symptômes, le
retentissement sur l’activité quotidienne, le nombre
de jours d’arrêt de travail en raison de troubles diges-
tifs, la fréquence des consultations médicales, des
visites à domicile et des explorations complémen-
taires ainsi que l’utilisation de médicaments en auto-
médication ou sur prescription. Le score va de 0 à
20, du moins grave au plus grave. Le traitement fut
considéré comme un succès lorsque le score à un an
était de 0 ou 1. Parmi les critères d’exclusion de
l’étude, figuraient les lésions d’œsophagite, toute-
fois le pyrosis sans lésion n’était pas une cause d’ex-
clusion du patient à l’entrée dans l’étude.
Dyspepsie et Helicobacter pylori : un partout !
Symptomatic benefit from eradicating Helicobacter pylori infection in patients with non ulcer dyspepsia
(
Mc Coll K., Murray L.,
El-Omar E. et coll.)
Lack of effect of treating Helicobacter pylori infection in patients with non ulcer dyspesia (Blum A., Talley N.J., O’Morain C. et coll.)
N
E
N
G
L
J
M
E
D
Maq HGE1 vol II 21/08/03 16:16 Page 5
L’ ARTICLE À CONNAîTRE
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. II - février 19996
L’étude de Blum et coll. est une étude internationale
multicentrique (nombreux centres situés en Autriche,
Allemagne, Islande, Irlande, Afrique du Sud, Suède et
au Canada) sponsorisée par les Laboratoires Astra. Le
traitement était considéré comme un succès si les
symptômes dyspeptiques étaient absents ou minimes
pendant la période de sept jours précédant la visite à un
an. Les patients n’étaient pas inclus s’ils présentaient
des antécédents de reflux gastro-œsophagien. Dans les
deux études, la qualité de vie était étudiée (SF-36 pour
Mc Coll, GSRS et PGWB pour Blum). L’étude de
Mc Coll comportait la vérification de l’éradication par
test respiratoire un mois puis un an après le traitement
initial (oméprazole 2 x 20 mg + amoxicilline 3 x
500 mg + métronidazole 3 x 400 mg pendant quatorze
jours pour le groupe éradication versus oméprazole seul
pour le groupe contrôle). L’étude de Blum et coll. com-
portait une endoscopie de contrôle à un an, avec biop-
sies permettant de vérifier l’évolution de la gastrite ini-
tialement gradée selon le système de Sydney.
L’éradication était également contrôlée par test respira-
toire trois et douze mois après le traitement (omépra-
zole 2 x 20 mg + amoxicilline 2 x 1 000 mg + clari-
thromycine 2 x 500 mg pendant sept jours versus omé-
prazole seul pour le groupe contrôle). L’éradication a été
obtenue respectivement pour les groupes éradication et
contrôle dans 85 % et 12 % des cas dans l’étude de Mc
Coll et dans 79 % et 2 % des cas dans celle de Blum.
En ce qui concerne l’évolution de la symptomatologie,
les résultats discordants pour les deux études sont résu-
més dans le tableau suivant.
On remarque le taux inhabituellement bas de succès enre-
gistré dans le groupe témoin de Mc Coll et coll. En effet,
dans de nombreuses études, le taux de réponse au place-
bo est de l’ordre de 20 % à 30 %, mais peut atteindre des
taux supérieurs dans les études à court terme. Il est pos-
sible que ce taux s’explique de par l’utilisation du score
de Glasgow, qui est complexe. Celui-ci étant composite,
on ne sait pas quels sont les éléments qui ont le plus varié
entre les deux groupes. En effet, dans l’étude de Mc Coll,
les autres critères étudiés ne présentent pas de différence
significative à l’issue de l’année de surveillance : pas de
différence entre les valeurs moyennes du score dans les
deux groupes, pas de différence de consommation médi-
camenteuse dans les six derniers mois. C’est ainsi qu’un
patient sur deux a pris des médicaments pour la dyspep-
sie dans les six derniers mois de l’étude (25 % et 28 % ont
pris des anti-H2,16% et 22 % ont pris des IPP dans les
groupes éradication et témoin). Un traitement a été néces-
saire durant plus de trois mois sur six pour respectivement
20 % et 30 % de chacun des deux groupes. Enfin, il n’y
avait pas de différence en termes de qualité de vie dans les
deux groupes, résultat comparable à celui de l’étude de
Blum et coll.
En conclusion, les résultats issus de ces deux publica-
tions vont dans le sens d’un rôle mineur sinon nul de
l’éradication d’H. pylori chez les patients souffrant de
dyspepsie non ulcéreuse. En France, la prévalence
d’H. pylori dans la population adulte est de 30 % et
diminue chez l’adulte jeune. Parmi ces patients, un sur
cinq environ est susceptible de bénéficier d’un traite-
ment d’éradication, ce qui représente environ 6 % du
total des patients consultant pour dyspepsie. En outre,
aucun élément clinique ou biologique particulier ne per-
met d’isoler un groupe davantage susceptible de
répondre au traitement. En effet, si dans l’étude de
Mc Coll les patients ayant des symptômes depuis moins
de cinq ans répondaient mieux, il n’y avait pas de diffé-
rence entre ceux infectés par la souche Cag A, plus viru-
lente, et les autres. Il faut noter que, dans la série de
Mc Coll, un pourcentage non négligeable de patients
traités uniquement par oméprazole a développé ulté-
rieurement une maladie ulcéreuse, éventualité rare dans
la série de Blum (3 %). Dans cette dernière, il n’y avait
pas de différence de succès en termes de symptômes
entre les patients chez lesquels la gastrite avait guéri
grâce à l’éradication et ceux qui présentaient une gastrite
avec persistance de l’infection. Il ne fait aucun doute
que les recherches sur la physiopathologie de la dys-
pepsie doivent se poursuivre. Les études sur la sensibi-
lité viscérale permettront peut-être la mise au point de
molécules dans ce domaine.
M.A. Bigard, service d’hépato-gastroentérologie,
CHU de Nancy-Brabois
N
E
N
G
L
J
M
E
D
Groupe éradication Groupe contrôle
Mc Coll 21 % p < 0,001 7 %
Blum 27,4 % n.s. 20,7 %
Taux de succès selon les critères de jugement suivants :
Mc Coll : score de Glasgow (six mois précédant l’évaluation) 0 - 1
Blum : symptômes de dyspepsie (sept jours précédant l’évaluation)
absents ou minimes
Maq HGE1 vol II 21/08/03 16:16 Page 6
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !