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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
D'où vient l'eau des océans?
14/01/10
Une origine cométaire pour l'eau des océans? L'hypothèse était séduisante... Les astronomes y croyaient...
Mais voilà, les dernières mesures de rapports isotopiques de l'eau sur Terre et dans les comètes le confirment :
nos océans n'ont pas été apportés sur la terre primitive majoritairement lors d'un bombardement intensif de
comètes.
L'origine de l'eau sur Terre demeure une grande
énigme à l'heure actuelle. Les hypothèses sont variées, même si une direction se dessine : les températures
importantes qui devaient régner sur la terre primordiale favorisent les hypothèses qui lui donnent une origine
extraterrestre et postérieure à la période de formation de la terre. La quantité impressionnante de cratères
sur la surface lunaire témoigne que les collisions ont effectivement été nombreuses dans le système solaire
primordial. Les comètes étant essentiellement des blocs de glace, c'est naturellement vers elles que les
astronomes se sont initialement tournés pour comprendre l'origine de l'eau terrestre : toute l'eau contenue dans
les océans, ou une partie, aurait pu être apportée sur la terre durant une période de temps relativement courte,
au cours d'un bombardement intensif de comètes. La comparaison de rapports isotopiques mesurés dans
les eaux terrestre et cométaire fournit un moyen de tester cette hypothèse. La valeur d'un rapport isotopique
est donnée par les abondances relatives de deux isotopes d'un même élément chimique. Par exemple, le
rapport isotopique du carbone, noté 14C/12C, dans un milieu compare l'abondance chimique de l'isotope rare
du carbone (14C) à celle de son isotope courant (12C) dans ce milieu.
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« Si une comète tombe sur la surface de
la terre, elle y dépose tous ses constituants, dont son eau qui va se diluer dans une éventuelle eau terrestre
primitive, explique l'astronome Damien Hutsemékers (1), maître de recherches F.R.S.-FNRS au département
d'Astrophysique, de Géophysique et d'Océanologie (AGO) de l'ULg. Tout rapport isotopique primitif de
l'eau terrestre est alors modifié et remplacé par un rapport moyen dont la valeur est comprise entre la valeur
terrestre avant le bombardement et la valeur cométaire. Dès lors, si les comètes ont réellement été la principale
source pour les océans de la terre primitive, on s'attend à trouver des rapports isotopiques de l'eau semblables
sur la terre actuelle et dans les comètes... moyennant certaines hypothèses sur leur non-variabilité au cours
du temps. »
La mesure de rapports isotopiques cométaires demande une spectroscopie de très haute résolution : il s'agit
de détecter les raies relatives à l'isotope rare qui ont une intensité plusieurs centaines de fois plus faible que
celle des raies de l'isotope courant. Jusqu'aux années 2000, cette opération demeurait assez aléatoire : les
astronomes étaient réduits à attendre patiemment qu'une comète extrêmement brillante daigne s'approcher
suffisamment près du soleil pour rendre possible une mesure, comme avec Halley en 1986 ou Hale-Bopp
en 1996 et 1997. Une autre possibilité était l'envoi d'une sonde spatiale vers ou sur une comète particulière,
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comme ce fut le cas avec l'impacteur embarqué sur la sonde Deep Impact qui a percuté la comète Tempel 1
en 2005. Autant dire que toutes ces occasions brillent par leur rareté...
Difficile à déterminer, le rapport deutérium sur hydrogène, noté D/H, renseigne directement sur l'eau dans
laquelle a été faite la mesure. Il a été estimé dans trois comètes du nuage d'Oort ainsi que dans la comète
de Halley par la sonde Giotto. Ces quatre comètes présentent une même valeur du rapport D/H qui est deux
fois plus élevée que celle observée sur terre. Combiné avec d'autres mesures indépendantes (comme le
nombre de cratères lunaires), ce résultat indique une contribution cométaire de maximum 10% à l'eau terrestre.
Néanmoins, comme la mesure du rapport D/H n'a été faite que sur une famille particulière de comètes, il restait
l'éventualité que la seconde famille, celle de la ceinture de Kuiper, puisse avoir contribué plus largement à nos
océans. Dans l'avenir, le satellite Herschel, lancé en mai 2009, devrait mesurer pour la première fois le rapport
D/H dans des comètes de la ceinture de Kuiper, plus difficilement observables que celles du nuage d'Oort.
Mais les astronomes n'attendent pas les bras croisés les observations de Herschel : l'avènement des grands
télescopes et de spectrographes à très haute résolution au début des années 2000 permet désormais
d'envisager les mesures de rapports isotopiques dans les comètes d'une manière plus courante. En particulier,
l'arrivée du Very Large Telescope (VLT) au Chili a rendu accessibles les comètes plus faibles qui sont aussi
beaucoup plus nombreuses. Un programme de routine a même pu être lancé à l'aide du spectrographe dans
l'ultraviolet UVES du VLT, par Damien Hutsemékers entouré d'une petite équipe liégeoise (Emmanuel Jehin,
Jean Manfroid et Claude Arpigny).
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« La moisson de ce programme
a déjà fourni une accumulation de rapports isotopiques de l'azote (15N/14N) mesurés à partir de la molécule
CN dans une vingtaine de comètes provenant de la ceinture de Kuiper aussi bien que du nuage d'Oort, précise
l'astronome liégeois. Ces rapports présentent une même valeur dans toutes les comètes, quelle que soit
leur distance héliocentrique, mais cette valeur est deux fois plus élevée que celle observée sur Terre. Ce
résultat est en accord avec les quelques déterminations de rapports isotopiques de l'azote à partir de mesures
millimétriques dans la molécule HCN. »
Mais quel rapport entre l'azote et l'eau? Le rapport isotopique de l'azote contraint directement la contribution
cométaire non pas à l'eau des océans mais bien à l'atmosphère terrestre : les mesures du VLT permettent
d'affirmer que la contribution de l'azote cométaire à l'azote de l'atmosphère terrestre n'a pu dépasser les 40%.
Ce résultat contraint de manière indirecte la contribution cométaire à l'eau des océans. En effet, les comètes
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sont constituées d'eau et d'azote, dans des proportions estimées. Ainsi, si les observations démontrent qu'elles
n'ont pas pu contribuer largement à l'azote terrestre, il en va de même pour les océans primitifs : à une
contribution cométaire de 40% à l'azote atmosphérique sur terre correspond une contribution cométaire de
tout au plus de quelques pour cent à l'eau des océans.
Ce résultat confirme les précédentes estimations basées sur les mesures de deutérium dans quatre comètes
du nuage d'Oort. Les mesures de rapports isotopiques de l'azote permettent cependant de préciser et d'étendre
cette première conclusion aux deux types de comètes, celle du nuage d'Oort mais aussi celle de la ceinture
de Kuiper, et donc d'exclure de manière raisonnable toutes les comètes comme principales sources d'eau sur
la terre primitive. Mais si l'eau des océans ne provient pas des comètes, comment est-elle arrivée sur notre
planète ? Les météorites sont une alternative intéressante aux comètes. Elles ont cependant l'inconvénient
de présenter des rapports isotopiques identiques à ceux observés sur terre, ce qui n'apporte pas de grande
contrainte sur la proportion d'eau qu'elles ont apportée sur Terre : l'entièreté des océans pourrait provenir des
météorites, autant qu'une infime fraction seulement.
Avant de tirer des conclusions définitives, Damien Hutsemékers reste prudent car toute conclusion reste
tributaire des conditions initiales imposées au modèle qui la fonde : « Vu le nombre d'hypothèses sous-jacentes
à tout essai d'explication de l'origine des océans, il est important de recouper les tentatives de réponse : aucun
argument pris isolément n'a force de loi en soi. C'est pourquoi, dans l'avenir, nous souhaitons mesurer de
manière routinière le rapport isotopique D/H dans un plus grand nombre de comètes, à l'aide du spectrographe
UVES installé au VLT. »
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En vue de recouper des résultats indépendants, il faudrait idéalement traiter simultanément le cas de la
terre et celui de mars car si la terre primitive a été bombardée, il a dû en être de même pour Mars. Le
problème est qu'on ne dispose pas de mesures de rapports isotopiques de référence sur Mars comme
c'est le cas sur Terre. « Là aussi la prudence s'impose, reprend l'astronome. Même en possession de ces
mesures isotopiques martiennes, les choses seraient loin d'être simples car on ne peut pas simplement
comparer la Terre et la planète Mars : de taille beaucoup plus petite que la Terre, Mars a dû laisser
échapper plus facilement les isotopes légers que les lourds, modifiant au cours du temps les rapports
isotopiques. Sur Terre, ce phénomène joue beaucoup moins car la masse de la planète est plus grande.
Aussi, il est difficile de transposer des arguments valables sur Terre au cas de Mars. À nouveau, quel que
soit l'angle d'attaque du problème, il faudra toujours mettre ensemble des résultats indépendants pour oser
une conclusion car le nombre d'inconnues est grand. »
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L'étude des rapports isotopiques dans les
comètes et les planètes dépasse la question des origines des océans et même de l'atmosphère terrestre :
ceux-ci peuvent être utilisés comme des traceurs de l'histoire du système solaire puisque les comètes sont les
objets les plus primitifs du système solaire. Par exemple, on s'attend à ce que le rapport D/H dans le système
solaire en formation soit fonction de la région où l'on regarde. Ainsi la mesure d'un rapport D/H dans une
comète peut être une indication de son lieu de formation dans le système solaire. L'accumulation de telles
mesures est une mine d'informations sur l'origine du système solaire. Un autre exemple : le fait que le rapport
isotopique de l'azote mesuré dans les comètes diffère de celui du système solaire nécessite d'invoquer des
mécanismes de fractionnement entre isotopes avant la formation du système solaire, donc avant que ces
isotopes ne soient incorporés dans les comètes, ouvrant une porte sur la chimie du milieu interstellaire avant
ou à l'époque de la formation du système solaire. Enfin, la comparaison des rapports isotopiques dans les
comètes et sur une planète dévoile une partie de l'histoire évolutive de la planète. On comprend dès lors
l'intérêt grandissant pour les mesures de rapports isotopiques dans le système solaire.
(1) Hutsemékers D., Manfroid J., Jehin E., Arpigny C. New constraints on the delivery of cometary water
and nitrogen to Earth from the 15N/14N isotopic ratio, Icarus 204 (2009), 346
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