ARTICLE ORIGINAL Prévalence et génotypes des papillomavirus humains dans les tumeurs des voies aérodigestives supérieures Prevalence and genotypes of human papillomaviruses in head and neck tumors in south-western France L. Roncin1, E. de Monès2, S. Burrel1, A. Touzalin1, C. Deminière3, F. Siberchicot4, J.C. Fricain5, H. Fleury1 C 1 Laboratoire de virologie ; 2 service d’ORL ; 3 service d’anatomopathologie ; 4 service de chirurgie maxillofaciale ; 5 service d’odontologie, CHU de Bordeaux. haque année, environ 650 000 nouveaux cas de cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS) sont diagnostiqués à travers le monde et près de 350 000 personnes en meurent. Le cancer des VADS est le sixième cancer le plus fréquent sur le plan mondial. La très grande majorité de ces cancers (90 %) sont des carcinomes épidermoïdes (1). Les 2 principaux facteurs de risque sont le tabac et l’alcool, à l’origine d’environ 75 % des cancers des VADS. Leur association a un effet synergique. Les 25 % restants seraient dus à des papillomavirus humains (HPV) dont le rôle a été décrit pour la première fois en 1983 (2). De nombreuses études épidémiologiques ont été effectuées au cours des 2 dernières décennies, et il est maintenant largement admis que le HPV est responsable d’une partie non négligeable des cancers des VADS (3-5). En fonction des études, la prévalence du HPV peut varier de 10 à 100 % (6). Ces différences s’expliquent par la taille variable des échantillons, les localisations anatomiques des tumeurs et la sensibilité des techniques de détection utilisées. Une méta-analyse compilant les données de 60 études (5 046 patients atteints d’un cancer des VADS) fondées sur des techniques de détection par PCR a montré une prévalence globale du HPV de 25,9 % (tableau). Cette prévalence atteignait 35,6 % lorsque l'on prenait en compte uniquement les tumeurs de l’oropharynx (7), et jusqu’à 50,0 % en ne ciblant que les amygdales (8). Selon certains auteurs, Tableau. Comparaison des différentes études citées par rapport à la méta-analyse de référence. Premier auteur Publication Kreimer AR et al. (7) (méta-analyse) Cancer Epidemiol Biomarkers Prev (2005) Jung AC et al. (16) Int J Cancer (2009) n Prévalence HPV (%) Génotype 5 046 25,9 16 Biopsies fraîches PCR Carcinomes épidermoïdes (sphère ORL) 231 13,0 16, 33 Biopsies fraîches PCR + hybridation sur bandelette Carcinomes épidermoïdes (sphère ORL) Cellules/cytobrosse PCR nichée + puce ADN Hyperplasies épithéliales Biopsies (paraffine) PCR nichée Hyperplasies épithéliales Luo CW et al. (14) Int J Oral Maxillofac Surg (2007) 46 30,0 Bas/haut risque Varnai AD et al. (15) J Oral Pathol Med (2009) 28 78,6 35, 6, 16 146 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - no 4 - juillet-août 2011 Matériel biologique Techniques Type de tumeurs Résumé L’alcool et le tabac sont les 2 principales causes de carcinomes épidermoïdes des voies aérodigestives supérieures (VADS). Néanmoins, environ 25 % de ces cancers sont attribués aux papillomavirus humains (HPV), avec une grande prédominance du génotype HPV-16. L’oropharynx et, plus particulièrement, les cryptes amygdaliennes semblent être les sites de prédilection à l’implantation du HPV. De janvier 2008 à décembre 2009, 94 biopsies des VADS ont été analysées (51 tumeurs bénignes et 43 carcinomes). La prévalence globale du HPV dans les tumeurs des VADS était de 24,7 % (22 échantillons positifs sur 89). La prévalence du HPV était de 34,8 % dans le groupe des tumeurs bénignes (16/46) et les génotypes HPV-6 et 11 dits “à faible risque oncogénique” étaient les plus fréquents. La prévalence dans le groupe des carcinomes épidermoïdes était de 14,0 % et de 18,5 % en ciblant uniquement l’oropharynx ; le HPV-16 dit “à haut risque oncogénique” était prédominant. le HPV coloniserait les cryptes amygdaliennes qui deviendraient alors un réservoir de virus (8, 9). Le génotype HPV-16, classé à haut risque oncogénique, est le plus fréquemment retrouvé, avec une prévalence de 87 % dans les cancers de l’oropharynx (7). Quelques éléments épidémiologiques montreraient une possible “épidémie” de cancers des VADS associés au HPV. Depuis le milieu des années 1980, on observe une diminution des cas de cancers de la cavité buccale et du larynx, qui s’explique en partie par une diminution concomittante de la consommation de tabac (10). À l’opposé, les cas de cancers de l’oropharynx tendent à augmenter. Aux États-Unis, d’après les données épidémiologiques du programme SEER (Surveillance, Epidemiology and End Results) du National Cancer Institute, l’incidence annuelle des cancers des amygdales et celle des cancers de la base de la langue parmi des hommes et des femmes âgés de 20 à 44 ans ont respectivement été multipliées par 3,9 et 2,1 entre 1973 et 2001 (11). De même, l’incidence des cancers des amygdales a été multipliée par 2,8 dans la région de Stockholm entre 1970 et 2002 (9). La présence du HPV au niveau de la sphère buccale serait en partie due à certaines pratiques sexuelles comme les rapports oro-génitaux et à la multiplicité des partenaires sexuels (12). L’hyperexpression des oncoprotéines E6 et E7 du HPV résultant de l’intégration du génome viral dans celui de la cellule hôte et de l’invalidation du gène E2 est à l’origine du processus carcinogénique. En effet, l’hyperexpression de E6 et E7 s’accompagne d’une destruction accrue des protéines suppresseurs de tumeurs que sont p53 et pRb. L’objectif de cette étude était d’évaluer la prévalence actuelle du HPV dans des tumeurs bénignes et malignes des VADS dans le sud-ouest de la France et de déterminer les génotypes pouvant être à l’origine de la cancérogenèse. de virologie de Bordeaux. Seize échantillons étaient inclus en paraffine et 78 étaient des biopsies fraîches immédiatement congelées à − 80 °C. Matériel et méthodes Échantillonnage Échantillonnage Cinq prélèvements sur les 94 testés n’ont pas pu être amplifiés. Les 89 autres ont été répartis en 2 groupes. Le premier groupe comprenait 43 carcinomes épidermoïdes des VADS. Le second était De janvier 2008 à décembre 2009, 94 biopsies de tumeurs des VADS ont été analysées au laboratoire Digestion des biopsies Le déparaffinage a été effectué grâce à l’utilisation de xylène et d’éthanol absolu. Chaque biopsie (fraîche ou déparaffinée) a été placée dans un tube Eppendorff et digérée dans un bain-marie à 56 °C pendant 3 heures après ajout de 540 µl de tampon de lyse (tris HCL 10 mM, SDS 1 %, EDTA 1 mM) et 60 µl de protéinase K (10 mg/ml). Extraction des acides nucléiques Les acides nucléiques totaux ont été extraits à l’aide de l’automate d’extraction MagNA Pure Compact® et de la trousse MagNA Pure Compact Nucleic Acid® kit I ; 200 µl de prélèvement ont été élués dans 100 µl de tampon d’élution. Génotypage HPV La détection et le génotypage du HPV dans les 94 biopsies ont été réalisés à l’aide du kit Linear Array HPV Genotyping Test®. L’ADN contenu dans 50 µl de chaque éluat a été amplifié par PCR puis hybridé sur des bandelettes de nitrocellulose contenant des séquences complémentaires aux produits de PCR. Au total, 37 génotypes d’HPV distincts pouvaient être détectés, dont 13 “à haut risque” (HPV-16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59 et 68) et 24 “à faible risque”, dont les HPV-6 et 11. La qualité de la digestion, extraction, amplification et hybridation a été appréciée par la présence des bandes de bêtaglobine. Mots-clés Papillomavirus Prévalence Génotypes Voies aérodigestives supérieures Summary Tobacco and alcohol are the two main causative agents of Head and Neck Squamous Cell Carcinomas (HNSCC). Nevertheless, 25 % are attributable to Human PapillomaViruses (HPV). HPV-16 genotype is the most prevalent. Oropharynx and especially the tonsils seem to be the predilection anatomic sites for HPV infection. From January 2008 to December 2009, 94 head and neck biopsies (51 benign tumors and 43 SCC) were collected. Detection and genotyping of HPV were performed using the Linear Array HPV Genotyping Test. The betaglobin gene could not be amplified in 5 samples, which were excluded from the study. The overall prevalence of HPV in HN tumors was 24.7 % (22 HPV positive samples out of 89). HPV prevalence was 34.8 % in the benign HN tumors group (16 of 46) and low-risk HPV-6 and 11 were predominant. HPV prevalence was 14.0 % in the HNSCC group (6 of 43) and 18.5 % when focusing on the oropharynx; high-risk HPV-16 is the most prevalent genotype. HPV prevalence in HNSCC in France seems to be lower than previously described in the worldwide literature. Keywords Papillomavirus Prevalence Genotypes Head and neck Résultats La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - no 4 - juillet-août 2011 | 147 ArTIcLE orIgInAL Prévalence et génotypes des papillomavirus humains dans les tumeurs des voies aérodigestives supérieures composé de 46 tumeurs bénignes dont les conclusions anatomopathologiques étaient les suivantes : – 24 lésions papillomateuses dont 7 papillomatoses laryngées ; – 15 hyperplasies malpighiennes avec dysplasie légère à modérée ; – 5 lésions inflammatoires ; – 1 diapneusie ; – 1 granulome. L’âge médian des patients dans le groupe des tumeurs bénignes et malignes était de 53,5 et 56,0 ans respectivement. Figure 1. Génotypes HPV : biopsies 1 à 46. Figure 2. Génotypes HPV : biopsies 47 à 94. 148 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVI - no 4 - juillet-août 2011 Prévalence du HPV dans les tumeurs des VADS La prévalence globale du HPV dans les tumeurs des VADS est de 24,7 %. Le HPV a été retrouvé dans 22 échantillons sur 89 testés (figures 1 et 2). Distribution des génotypes HPV dans le groupe des tumeurs bénignes Le HPV a été détecté dans 16 des 46 tumeurs bénignes (34,8 %). La majorité des HPV génotypés ARTICLE ORIGINAL étaient HPV-6 (10/46 ; 21,7 %) et HPV-11 (4/46 ; 8,7 %) ; ces 2 génotypes étaient le plus souvent retrouvés dans des lésions papillomateuses. Deux génotypes HPV-16 à haut risque oncogénique ont été détectés au niveau d’hyperplasies malpighiennes de l’oropharynx et du plancher buccal. Distribution des génotypes HPV dans les carcinomes épidermoïdes La prévalence du HPV dans les carcinomes épidermoïdes était de 14,0 % (6/43). Cinq échantillons contenaient du HPV-16 (11,6 % ; 5/43) et 1 du HPV-6 (2,3 % ; 1/43). En ne considérant que les carcinomes de l’oropharynx (27 échantillons incluant la base de la langue et les amygdales), la prévalence atteignait 18,5 % (5/27). Discussion Dans cette étude, le HPV a été détecté dans 24,7 % des biopsies. Il était présent dans 34,7 % des tumeurs bénignes et dans 14,0 % des carcinomes épidermoïdes de la sphère ORL. À titre de comparaison, une méta-analyse récente fait état d’une prévalence orale du HPV de 4,5 % chez des patients ne présentant aucune lésion (13). Jusqu’à présent, peu d’études ont évalué la prévalence du HPV dans les tumeurs bénignes des VADS, et les résultats varient suivant les protocoles utilisés. Une prévalence de 30 % a été observée sur 46 lésions orales précancéreuses et dont l’ADN avait été recueilli par grattage superficiel des lésions (14). Ce mode opératoire présente l’inconvénient de n’étudier que les cellules superficielles de la lésion et fait courir un risque de contamination par la possible présence d’ADN de HPV dans les tissus sains adjacents. Une autre étude a mis en évidence une prévalence du HPV de 78,6 % dans des hyperplasies épithéliales de la sphère ORL (15). Le HPV avait été recherché sur 28 biopsies incluses en paraffine à l’aide d’une PCR nichée ayant l’inconvénient d’une trop grande sensibilité et pouvant être à l’origine d’une surestimation par contamination. L’utilisation de fragments de biopsie frais semble être le meilleur procédé pour l’étude de la prévalence du HPV. Dans cette étude, HPV-6 et 11 sont les 2 génotypes le plus fréquemment rencontrés dans les tumeurs bénignes. HPV-16 n’a été retrouvé que dans 2 hyperplasies malpighiennes de l’oropharynx et du plancher buccal. Ces patients doivent être suivis attentivement car ils présentent un risque accru de développer des lésions malignes dans les prochains mois. La prévalence du HPV dans les carcinomes épidermoïdes des VADS est de 14 % et de 18 % en ciblant l’oropharynx. Une récente étude française a montré une prévalence similaire de 13 % (sur 231 cas de carcinomes) [16]. Ces valeurs sont légèrement inférieures à celles décrites par A.R. Kreimer et al. (25,9 %, 5 046 carcinomes) [7]. L’augmentation de la prévalence au niveau de l’oropharynx pourrait s’expliquer par la présence simultanée de cellules pavimenteuses et de tissu lymphatique, structure similaire à celle observée au niveau de la jonction endocol-exocol du col de l’utérus. La présence de cryptes amygdaliennes faciliterait également l’accès du HPV aux cellules basales. Dans le groupe des carcinomes épidermoïdes, le HPV-16 est majoritaire et détecté dans 5 des 6 prélèvements positifs. La méta-analyse de A.R. Kreimer et al. fait état d’une prévalence du HPV-16 de 86,7 % dans les carcinomes de l’oropharynx. Le HPV-6 a été retrouvé dans l’analyse d’un carcinome, mais son implication est très peu probable. Conclusion Dans le sud-ouest de la France, la prévalence du HPV dans les carcinomes épidermoïdes de l’oropharynx est inférieure à celle décrite dans la méta-analyse de référence de A.R. Kreimer et al. D’autres études sont néanmoins nécessaires afin d’augmenter le nombre de biopsies recrutées et de confirmer ces résultats. Sans surprise, les génotypes HPV-6 et 11 sont les plus fréquemment retrouvés dans les tumeurs bénignes papillomateuses (papillomatoses laryngées majoritairement), et HPV-16, dans les carcinomes de l’oropharynx. ■ P.S. : H. Fleury informe que la société Roche Diagnostics a fourni gracieusement les réactifs de génotypage HPV. Références bibliographiques 1. Parkin DM, Bray F, Ferlay J, Pisani P. Global cancer statistics, 2002. CA Cancer J Clin 2005;55:74-108. 2. Syrjänen K, Syrjänen S, L a m b e rg M , P y r h ö n e n S , Nuutinen. Morphological and immunohistochemical evidence suggesting human papillomavirus (HPV) involvement in oral squamous cell carcinogenesis. Int J Oral Surg 1983;12:418-24. 3. Gillison ML, Koch WM, Capone RB et al. Evidence for a causal association between human papillomavirus and a subset of head and neck cancers. J Natl Cancer Inst 2000;92:709-20. 4. Hobbs CG, Sterne JA, Bailey M, Heyderman RS, Birchall MA, Thomas SJ. Human papillomavirus and head and neck cancer: a systematic review and meta-analysis. Clin Otolaryngol 2006;31:259-66. 5. Syrjänen S. Human papillomaviruses in head and neck carcinomas. N Engl J Med 2007;356:1993-5. 6. Weinberger PM, Yu Z, Haffty BG et al. Molecular classification identifies a subset of human papillomavirus–associated oropharyngeal cancers with favorable prognosis. J Clin Oncol 2006;24:736-47. 7. Kreimer AR, Clifford GM, Boyle P, Franceschi S. 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