G.F. Blum* Situation actuelle Le lien fort qui relie la mère à son bébé durant la grossesse n’est pas seulement un lien de cœur, mais également une attache physique qui fait vivre le fœtus. À la naissance, le lien physique sectionné, le fameux cordon ombilical, tombe dans l’oubli. Il est officiellement reconnu comme un déchet opératoire. Pourtant, ce cordon renferme une richesse reconnue par tous aujourd’hui : il s’agit des cellules souches. On parle de cellules souches de sang de cordon (parfois aussi de cellules souches de sang placentaire). Les cellules souches sont des cellules indifférenciées qui n’ont pas encore de fonction spécialisée. On les trouve aussi dans la moelle osseuse et dans le sang périphérique. Dans le cordon ombilical, après extraction du sérum et du plasma, on retrouve les cellules souches à différents stades de spécialisation : ➤➤ les cellules souches hématopoïétiques, nombreuses, peuvent se différencier en toutes les cellules du sang ; ➤➤ les cellules souches mésenchymateuses, moins nombreuses, peuvent se spécialiser en de nombreuses cellules (adipocyte, cartilage, os, etc.) ; ➤➤ les embryonic strem-like, plus rares, immatures, au profil analogue des cellules souches de l’embryon et pouvant se différencier en tous types de cellules (cellules du sang, neurones, etc.). Sombrer dans une description mensongère et dans une prédiction utopique du potentiel des cellules souches empêchera une discussion honnête, mais aussi et surtout conduira à une mauvaise politique en matière de conservation de ces cellules souches de sang de cordon. Cependant, une négation en bloc de la réalité, par pur dogmatisme, retardera inévitablement la recherche scientifique en France. 8 | La Lettre du Gynécologue • n° 351 - avril 2010 Faut-il conserver le sang de cordon ? Comment ? Pour qui ? Certains pays n’ont pas pris le temps de répondre à ces questions et ont proposé des solutions inadaptées, parce que le souci lucratif a piétiné le souci médical. La transmission au public d’une analyse scientifique et médicale honnête doit prévaloir sur tout, le seul but étant de guérir l’être humain. L’utilisation du sang de cordon s’applique aujourd’hui dans deux domaines complémentaires, celui de la recherche et celui du don de sang à des fins thérapeutiques. On comprend facilement la nécessité de conserver le sang de cordon pour le besoin de la recherche. En effet, le travail de recherche sur les cellules souches a pour vocation de trouver des solutions médicales à de nombreuses maladies (85 connues à l’heure actuelle, dont le diabète juvénile, le rétinoblastome ou la dermatose bulleuse), de traiter certaines brûlures ou fractures et de réparer des cas d’infirmité motrice cérébrale (des essais cliniques probants ont été réalisés en Allemagne et un programme régional de cancérologie est actuellement à l’étude au CHU de Marseille et au CHU de Toulouse) ; bien d’autres essais cliniques sont en cours dans le monde. De plus, les dernières recherches en médecine régénérative offrent déjà la possibilité de reconstituer du foie et de nombreuses équipes sont sur le point de fabriquer du myocarde ou des cellules nerveuses à partir des cellules souches. Cependant, pour le public et même pour les professionnels de santé, la question du stockage à des fins thérapeutiques est bien plus complexe. Certains détracteurs ne voient que le versant hématopoïétique du problème. Certes, les greffes allogéniques * Professeur conventionné à l’université de Haute-Alsace, 10, rue du Rhône, 68100 Mulhouse. CONTRO Conservation de sang de cordon à visée autologue : le pour VERSE CONTROVERSE CONTROVERSE suffisent dans la plupart des cas, mais ce domaine n’est qu’une infime partie des thérapeutiques par les cellules souches ; de nombreuses applications déjà présentes et imminentes nécessitent des greffes autologues ou allogéniques dirigées intrafamiliales. L’utilisation de sang de cordon peut, rappelons-le, se présenter sous différentes formes : ➤➤le don autologue : il s’agit d’un don personnel. À la naissance, le sang de cordon est conservé pour le bébé. Ce sang pourra alors servir à des fins thérapeutiques pour l’enfant ou l’enfant devenu adulte ; ➤➤ le don allogénique : il s’agit d’un don anonyme. Le sang de cordon du bébé est donné par les parents pour la société, qui peut en disposer comme bon lui semble et utilisé pour la guérison d’un patient en attente de greffe de cellules souches si les tests de compatibilité sont positifs ; ➤➤le don allogénique intrafamilial : il s’agit d’un don dirigé. Le sang de cordon, si l’usage se révèle nécessaire, est conservé à la disposition d’un frère, d’une sœur, d’une mère, d’un père, etc. Parallèlement à ces dons et à la question de leur ressource thérapeutique, se pose le problème de l’établissement de banques privées ou publiques en France. En effet, dans la majorité des pays du monde, des banques privées proposent et incitent à la conservation de sang de cordon ombilical. La loi française interdit pour le moment la mise en place de ce type de banques lucratives. À ces banques privées s’opposent, de par leur fonctionnement, les banques publiques gratuites et anonymes. En réalité, le conflit réel entre ces deux types de banque relève d’un problème éthique, mais aussi et surtout scientifique. La mise en banque systématique de sang de cordon pour l’usage autologue et/ ou allogénique intrafamilial conduirait évidemment sur le long terme à un manque cruel d’unités de sang de cordon pour le don anonyme. En effet, certaines pathologies ne peuvent se traiter par don autologue et la grande disponibilité d’unités de sang dans les banques publiques est nécessaire afin de permettre facilement l’obtention pour une transfusion compatible de cellules souches et de bénéficier d’un don allogénique. D’un autre côté, l’unique stockage dans les banques publiques est handicapant, dans la mesure où la recherche avance et l’utilisation à des fins autologues se révèle efficace et nécessaire dans bon nombre de cas. À terme, l’État français, en interdisant ces pratiques, pourrait se voir engager dans des procédures judiciaires parce qu’un enfant n’aura pas pu bénéficier du stockage des cellules souches de son sang placentaire. La problématique actuelle est donc la suivante : quelle place doit-on donner en France au stockage public et à la mise en banque privée sans compromettre les ressources thérapeutiques du sang de cordon, en satisfaisant les besoins de la recherche tout en étant en accord avec les choix des familles connaissant le réel enjeu médical sans artifices illusoires que certaines banques privées à l’étranger partagent avec un public non avisé ? Afin de répondre, il est indispensable de : ➤➤connaître les besoins en unités de sang de cordon pour le don autologue et allogénique en s’appuyant sur la connaissance actuelle des moyens thérapeutiques et en prenant soin d’évaluer le futur potentiel des cellules souches et, ainsi, ne pas compromettre les avancées scientifiques. C’est l’analyse scientifique ; ➤➤informer clairement et sans mentir sur le réel enjeu scientifique et sans dérive des cellules souches, par des spécialistes de la médecine proches des patients et par de la documentation officielle, afin de leur permettre de faire le choix du don en toute connaissance. C’est la transmission de la juste information et le rôle des sociétés savantes ; ➤➤créer, en fonction des besoins médicaux et personnels, les structures adaptées en suivant la ligne de route du système de santé publique français, c’est-à-dire en développant des réseaux privés à disponibilité publique et solidaires munis de programmes d’aide pour les familles désireuses de faire conserver le sang de cordon de leur enfant. Le retard français dans le domaine du stockage de sang de cordon est assez important : la France se situe au seizième rang pour le nombre de greffons disponibles en banque pour 10 000 habitants (1). Cependant, une étude réfléchie conduite par les scientifiques pourrait mener la France vers une nouvelle politique optimale en matière de stockage de sang de cordon. Comment procéder ? L’analyse scientifique Afin de coordonner la réponse juste et véritable à la question de la modalité du stockage de sang de cordon en France, il est indispensable d’évaluer et de prévoir les besoins. Une publication récente (2) lance un pavé dans la mare. En effet, le centre pour la recherche internationale sur la transplantation de sang et de moelle osseuse (Center for International Blood La Lettre du Gynécologue • n° 351 - avril 2010 | 9 La juste information Afin de faire face aux dérives actuelles, une structure commune de la transmission de la juste et véritable information aux parents ainsi qu’à tout public désireux de connaître l’enjeu des cellules souches et le rôle des banques de cellules souches de sang de cordon doit impérativement s’organiser en France. Le contact purement médical est donc privilégié. En organisant l’information par des sociétés savantes pour les spécialistes proches des patients, on parviendra à éviter toute sorte d’affabulation scientifique et on restera dans la ligne de conduite purement médicale qui doit prévaloir. Le partenariat public/privé signé le 17 novembre 2008 avec les 20 maternités de la Générale de santé et l’Établissement français du sang est une réponse inadaptée au problème. En effet, en privatisant la transmission 10 | La Lettre du Gynécologue • n° 351 - avril 2010 de l’information, on s’orientera vers une sélection du patient. De plus, la structure de stockage que prévoit la Générale de santé ne correspond pas aux besoins scientifiques et médicaux pour les années à venir. Enfin, ce choix bafoue la liberté personnelle de décision quant à l’avenir du sang de cordon pour l’enfant à naître. C’est donc par choix personnel ou orienté de manière juste et contrôlée par le médecin ou la sage-femme que la famille décidera ou non du futur destin du sang de cordon. Il appartiendra alors à l’État français de présenter la structure idéale du point de vue médical s’intégrant au système solidaire de santé publique pour satisfaire la décision parentale. La réponse Il existe différentes modalités de structure de banque de sang de cordon. Cependant, les logiques médicale et éthique doivent imposer leurs règles. La figure (page suivante) analyse les différentes possibilités de stockage de sang de cordon, avec, pour chacune, les avantages et les inconvénients. Afin de répondre aux mieux à la problématique que pose le stockage de sang de cordon en France et en suivant la ligne de conduite éthique et celle du système de santé publique tout en répondant aux besoins présents et futurs de la médecine, nous proposons de créer en France une “banque privée à disponibilité publique”. Ce mode de stockage ferait que l’unité de sang de cordon prélevée serait la propriété de la famille, qui paierait pour 20 années de stockage (2 000 €, soit 25 centimes/jour, soit le prix d’une cigarette), mais qui, si besoin était, pourrait donner ce sang à des fins publiques pour offrir une greffe allogénique, en étant alors remboursée de son investissement de départ. Ce mode de stockage a l’avantage d’inciter les familles à faire stocker le sang de cordon pour la société, ce qui n’est pas négligeable compte tenu des besoins et, surtout, des coûts pour la France. Aujourd’hui, l’importation d’une unité de sang de cordon coûte à l’assurance maladie entre 20 000 et 30 000 euros. Enfin, cette structure devra être validée par l’Afssaps sur tout son procédé, c’est-à-dire depuis le prélèvement chez le bébé lors de l’accouchement jusqu’au stockage, en passant par les traitements du sang afin de n’obtenir que les cellules souches. La procédure de collecte du sang de cordon devra être instruite par les sociétés savantes comme le Collège national des gynécologues et obstétriciens français ou le Collège CONTRO and Marrow Transplant Research) estime que, selon les indications actuelles et sans même évaluer les futurs potentiels des ressources thérapeutiques que peuvent apporter les cellules souches, la probabilité de subir au cours de la vie une greffe autologue ou allogénique de cellules souches hématopoïétiques varie entre 0,23 % et 0,98 % selon différents scénarios étudiés aux États-Unis. Par voie de conséquence et ayant en France un pool génétique similaire, cela signifie que les besoins en unités de sang de cordon s’évalueraient entre 138 000 et 588 000 unités, soit entre 13,8 et 58,8 unités pour 10 000 habitants. Or, un récent rapport du Sénat (3) préconise un objectif moyen de 50 000 unités. Pour information, le nombre d’unités de sang de cordon stockées en France avoisine aujourd’hui les 7 000 unités, avec une volonté politique d’en stocker 10 000 d’ici 2011. Malheureusement, le manque de moyens financiers de l’État français ne nous permettra pas d’en stocker davantage. L’analyse médicale de cette étude dirigée par Mary M. Horowitz prend en considération les indications médicales actuelles pour la greffe de sang de cordon, que ce soit pour le bénéfice d’un don autologue ou d’un don allogénique. Peu importe donc les futurs développements dans le domaine de la greffe de cellules souches, les résultats présentés dans cette étude donnent des chiffres bien supérieurs aux précédentes prévisions publiées, qui étaient évaluées entre 1/2 700 et 1/200 000 (4-6). Ces résultats sont à prendre en compte afin de planifier les structures de banques de sang de cordon en France. VERSE CONTROVERSE CONTROVERSE national des sages-femmes pour l’ensemble du réseau des gynécologues et obstétriciens ainsi que les sagesfemmes, et se munira des méthodes scientifiques adaptées depuis la collecte jusqu’au stockage définitif, avec la même rigueur et les mêmes obligations que pour les banques publiques. Dans un souci de santé publique, la structure devra proposer un programme d’aide pour les familles désireuses de voir conserver le sang de cordon de leur progéniture et dans l’impossibilité de faire face à la dépense d’un tel stockage par le biais de fondations ou de compagnies d’assurances déjà disposées à s’investir dans cette cause. Conclusion Il est urgent que la France s’engage rapidement dans un dispositif solidaire et éthique du stockage de sang de cordon, où la liberté individuelle sera néanmoins respectée, avec la création de banques privées à disponibilité publique qui pourraient conserver du sang de cordon pour le don autologue et le don allogénique intrafamilial ou dirigé, et pour le don allogénique à disposition de toute la population et de la recherche médicale, évitant toute dérive mercantile et dans un but solidaire. L’information éclairée et objective des familles devra rester l’apanage de la communauté scientifique par le biais des sociétés savantes, organes de référence de la profession, et la régulation des méthodes et de la qualité du prélèvement et du stockage devra être orchestrée par l’Afssaps. Un centre de recherche devra être obligatoirement adossé à la structure de stockage. Alors, ne privons pas les Français des avancées des thérapies cellulaires, eu égard à des dogmes non fondés qui sont d’un autre temps et qui risqueraient par là-même de nous exclure de traitements novateurs et de la recherche. Ne nous laissons pas dépasser par nos voisins européens qui, eux, ont d’ores et déjà su développer des traitements qui seront complétés dans un avenir proche par d’autres traitements prometteurs. ■ Références bibliographiques 1. Netcord. 2. Nietfeld JJ, Pasquini MC, Logan BR, Verter F, Horowitz MM. Lifetime probabilities of hematopoietic stem cell transplantation in the US. Biol Blood Marrow Transplant 2008;14:316-22. 3. Hermange MT. Rapport d’information fait au nom de la Commission des Affaires sociales sur le potentiel thérapeutique des cellules souches extraites du sang de cordon ombilical, 4 novembre 2008. 4. Johnson FL. Placental blood transplantation and autologous banking: caveat emptor. J Pediatr Hematol Onc 1997;19:183-6. 5. Annas GJ. Waste and longing: the legal status of placental-blood banking. N Engl J Med 1999;340:1521-4. 6. Kline RM. Whose blood is it, anyway? Sci Am 2001;284:42-9. Sang de cordon Privé Public Banque gratuite Banque privée Banque solidaire Banque gérante Banque publique Banque privéepublique Banque privéeà disponibilité publique Banque lucrative Banque non lucrative Figure. Différentes possibilités de stockage. La Lettre du Gynécologue • n° 351 - avril 2010 | 11