J. Lansac*, C. Faucher**, N. Milpied***, F. Teurnier**** L es professionnels de la naissance – gynécologues, obstétriciens et sages-femmes – se sont associés avec la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire et l’Agence de la biomédecine pour s’opposer au développement des banques privées proposant la conservation de sang de cordon à visée autologue, c’est-à-dire pour un éventuel traitement de l’enfant qui vient de naître. Pourquoi ? Les cellules souches hématopoïétiques (CSH) sont des cellules indifférenciées qui n’ont pas encore de fonction spécialisée. On en trouve dans le sang périphérique, mais aussi dans le sang de cordon. Les CSH peuvent être conservées par congélation. Les CSH du sang de cordon peuvent être utilisées à la place des cellules de la moelle osseuse pour traiter des maladies sanguines malignes (leucémie, lymphome…). Jusqu’à présent, la conservation se faisait dans le cadre d’un don bénévole, volontaire et anonyme, par des mamans qui accouchaient dans des maternités publiques ou privées qui organisaient la collecte. La conservation est assurée par des établissements publics (ESF, CHU) à Paris, Bordeaux, Besançon, et désormais Lyon, Grenoble, Marseille, Montpellier et Poitiers. Le sang de cordon, recueilli quelques minutes après l’accouchement, doit être transporté dans l’établissement de conservation dans les 24 heures, en respectant des conditions techniques précises. Une étude réalisée au laboratoire permet de quantifier le nombre de cellules souches identifiées par le marqueur CD34 (> 2106) de façon à ne conserver que les cordons qui en contiennent suffisamment. 6 | La Lettre du Gynécologue • n° 351 - avril 2010 En pratique, seul 1 prélèvement sur 3 est conservé. Les banques publiques françaises stockent ainsi actuellement environ 9 000 cordons. Grâce à ces cordons et à ceux conservés dans les banques internationales, qui sont toutes reliées par un réseau mondial pour fournir aux équipes médicales le greffon le plus adéquat en fonction des caractéristiques HLA des patients, 250 patients français ont bénéficié d’une greffe de sang de cordon en 2009, sans considération sociale ni financière. Les prélèvements de sang de cordon conservés dans le secteur public répondent à des critères exigeants de qualité, ce qui place la France au deuxième rang mondial des pays exportateurs (1) ; ces exportations financent ainsi une partie des frais de fonctionnement des banques publiques. Certes, la France importe aussi des prélèvements, mais, quel que soit le nombre de greffons conservés dans notre pays, elle aura toujours à le faire pour des raisons de diversité génétique du système HLA. La proposition de projet de loi déposée par un certain nombre de parlementaires français propose l’implantation de banques privées à but lucratif. Cette initiative, qui va l’encontre des principes de solidarité et d’égalité d’accès aux soins actuellement défendus par les lois de bioéthique, ne permettra pas d’améliorer la prise en charge des patients. * Ancien président du Collège national des gynécologues obstétriciens français, 91, bd Sébastopol,75002 Paris. ** Agence de la biomédecine, 1, avenue du Stade-de-France, 93212 Saint-Denis-La-Plaine Cedex. *** Président de la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire, service des maladies du sang, CHU de Bordeaux, 146, rue Léo-Saignat, 33600 Pessac Cedex. **** Présidente du Collège national des sages-femmes, 1, impasse du Moulin-des-Rosettes, 94120 Fontenay-sous-Bois. CONTRO Conservation de sang de cordon à visée autologue : le contre VERSE CONTROVERSE CONTROVERSE Traitement des leucémies D’un strict point de vue médical et scientifique, l’utilisation autologue, c'est-à-dire pour le donneur lui-même, est totalement inutile, et rien ne laisse penser que cela pourrait changer dans le futur, proche ou lointain. En effet, pour les patients atteints de leucémie, cela n’a aucune utilité, car on sait que les cellules conservées à la naissance sont susceptibles de présenter la maladie que l’on veut traiter ; on réinoculerait alors au patient ces cellules leucémiques en pensant le guérir ! De plus, qu’elles contiennent ou non la maladie, les CSH du patient n’ont pas non plus les éléments immunitaires capables de vaincre la leucémie. C’est seulement lorsque les cellules greffées viennent d’un donneur différent que cela peut se produire. Médecine régénérative À partir des cellules du sang placentaire, on fait miroiter aux parents qu’il serait possible de régénérer des tissus pour remplacer ou réparer tel ou tel organe et que cela sera plus facile à partir des cellules du sang de cordon autologue. Cela ne repose pas sur des bases scientifiques solides. Les cellules souches mésenchymateuses (CSM) qui auraient un intérêt pour la médecine régénérative ne sont que peu ou pas présentes dans le sang du cordon et leur capacité de résistance à la cryopréservation à très long terme n’est pas garantie. Les CSM issues du cordon ou du placenta sont en revanche efficaces et non toxiques ; ainsi, n’importe quelle unité de CSM de cordon pourrait être greffée à n’importe quel patient sans que le greffon ne soit rejeté ou qu’il induise une réaction contre l’hôte. Si les travaux publiés se confirment, ces cellules seraient donc utilisables de façon allogénique pour leur propriétés potentiellement intéressantes en médecine régénérative (2). Notons enfin que : ➤➤ aucune étude ne démontre l’utilité des greffes de cellules du sang de cordon dans autre chose que l’allogreffe pour hémopathie maligne ; en particulier, il n’y aucune preuve de l'efficacité dans la correction d'un défaut somatique ; ➤➤ les chercheurs ont abandonné les études sur les possibilités de transformation des cellules souches du sang placentaire. Aucune publication scientifique sérieuse n’a été recensée depuis 2004 ; ➤➤ aucune maladie cancéreuse n’a été guérie par injection de sang placentaire autologue, ni bien entendu aucune maladie génétique ; ➤➤ aucune unité de sang placentaire stockée dans une banque à usage autologue n'a été utilisée pour un usage allogénique, ce qui leur élimine tout objectif de solidarité. Pour un service public étendu et efficace Les hématologues, les spécialistes de la thérapie cellulaire et les professionnels de la naissance pensent qu’il est indispensable de promouvoir le don de ces cellules souches de cordon à visée altruiste pour permettre la réalisation des greffes allogéniques, dont le nombre et l’efficacité augmentent. Ces greffes de cellules utilisées pour guérir une autre personne que le donneur ont largement démontré qu’elles permettaient de sauver des vies depuis des années. Les collèges français ne sont pas seuls à défendre l’utilisation allogénique des cellules souches de sang de cordon ; c’est aussi l’avis du Royal College en Angleterre, des collèges américain et canadien de gynécologie obstétrique ou de pédiatrie. Alors qu’il convient de développer un réseau public de banque de sang de cordon en leur attribuant les moyens financiers pour poursuivre leurs recherches et les traitements actuellement validées, il nous paraît illogique de promouvoir des initiatives privées à but lucratif. Cet accroissement du réseau français de sang placentaire, piloté par l’Agence de la biomédecine, est en cours en France avec l’ouverture de nouvelles banques, associées à de nouvelles maternités partenaires, et soutenues par un financement public très important. En confiant cette mission de service public à des sociétés privées, on s’exposerait à un risque de dérives mercantiles nuisibles pour la recherche et pour l’égalité d’accès aux soins. ■ Références bibliographiques 1. Le don de sang placentaire. Paris : Agence de la biomédecine, 2009. 2. Caen J, Jouannet P. Les cellules souches du cordon ou du placenta : de la recherche aux applications thérapeutiques. Paris : Académie nationale de médecine, 2010. 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