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allaitement a souvent été présenté comme un facteur
protecteur vis-à-vis du cancer du sein. Cette hypo-
thèse semblait en outre aller de pair avec les varia-
tions géographiques de l’incidence du cancer du sein, les inci-
dences les plus basses correspondant aux pays où l’allaitement
est le plus courant et le plus prolongé. Le rôle protecteur de
l’allaitement n’avait cependant pas été démontré de façon
absolue et notable (1). De nouvelles études épidémiologiques
ont néanmoins relancé l’intérêt de la communauté scientifique
pour l’allaitement, en particulier lorsqu’il est pratiqué sur une
longue période et, surtout, en tenant mieux compte des facteurs
de confusion potentiels (nombre de grossesses menées à terme,
âge au premier enfant, etc.).
À ce jour, on peut seulement dire que l’ensemble des données
épidémiologiques collectées est compatible avec un effet pro-
tecteur de l’allaitement prolongé vis-à-vis du risque de cancer
du sein, en particulier chez les femmes de moins de 50 ans. Si
l’effet est réel, il est relativement faible et ne concerne qu’une
minorité des femmes à risque de cancer du sein (2).
La plupart des données épidémiologiques étudiant le rapport
entre l’allaitement et le cancer du sein proviennent d’études
cas-témoins principalement réalisées en Amérique du Nord et
en Europe. En 2000, Lipworth présente la revue complète et
critique (2) des principales études cas-témoins publiées entre
1966 et 1998 ayant plus de 200 cas de cancers du sein ainsi
que la seule étude de cohorte spécifique d’origine norvégienne
(50274 femmes entre 1961 et 1980, 11136 cas de cancers du
sein) (3) et celle concernant la cohorte des infirmières américaines
(89 887 femmes entre 1986 et 1992, 1 459 cas) (4, 5). Depuis, on
notera surtout la publication en 2001 de la cohorte islandaise (80
219 femmes entre 1979 et 1995, 993 cas) (6) et les résultats préli-
minaires de la cohorte de Shanghai (Chine) (2078 315 personnes-
années de suivi, 1176 cas incidents de cancers du sein) (7). On
attend les données non encore publiées de la méta-analyse du
CGHFBC (Collaborative Group on Hormonal Factors in
Breast Cancer).
Dans toutes ces études, la façon dont est rapportée l’histoire de
l’allaitement peut différer. Les résultats expriment le risque de
cancer du sein des femmes ayant allaité par rapport à celles
n’ayant jamais allaité mais ils peuvent aussi donner des
mesures de ce risque en fonction de durées cumulées d’allaite-
ment au cours des différentes grossesses (classées en catégo-
ries) ou en fonction de la durée moyenne d’allaitement par
enfant ou, encore, en fonction du nombre d’enfants allaités.
Par ailleurs, et même dans les études ayant plus de 200 cas, de
nombreuses analyses de sous-groupes sont fondées sur de
petits effectifs. Nombre d’études comportent relativement peu
de femmes qui ont allaité longtemps, ce qui rend difficiles les
interprétations étiologiques.
Pour la mesure la plus utilisée – “avoir allaité” versus
“jamais” –, la démonstration d’une association inverse entre
l’allaitement et le cancer du sein n’est pas faite, avec des résultats
suggérant soit aucun effet, soit un effet protecteur modeste. On
notera néanmoins que Bernier (8), qui a réalisé récemment une
méta-analyse des données publiées (études cas-témoins),
retrouve un effet protecteur, certes peu important, mais signifi-
catif. Parmi les études qui ont rapporté un bénéfice, le risque
relatif est compris entre 0,33 et juste en dessous de 1,0. Des quatre
études de cohorte, seule la cohorte islandaise (6) retrouve un effet
protecteur significatif (OR = 0,33 [0,19-0,56]). Néanmoins, la
mesure paraît grossière et il serait plus pertinent de démontrer
une relation de type “dose-réponse” avec la durée croissante de
l’allaitement si l’on cherche à évoquer des hypothèses étiolo-
giques.
Une association inverse entre l’augmentation de la durée de
l’allaitement et le risque de cancer du sein chez les femmes
ayant eu des enfants a été rapportée dans un certain nombre
d’études mais non dans toutes. Il semble que cet effet protec-
teur, s’il est réel, soit limité aux femmes préménopausées ou
tout au moins qu’il soit plus significatif chez elles. Parmi les
études qui ont rapporté ce bénéfice, chez les femmes préméno-
pausées qui ont allaité au moins un an, le risque relatif est
compris entre 0,21 et juste en dessous de 1,0.
C’est dans les pays où la durée de l’allaitement est très longue
que l’effet protecteur a été démontré. Ces résultats sur les
populations non occidentales sont difficiles à généraliser étant
donné le nombre de facteurs de confusion (comme le poids, la
taille, le niveau socio-économique, l’état nutritionnel, etc.) qui
rendent difficiles les comparaisons entre populations. Rosero-
Lallaitement protège-t-il du cancer du sein ?
C. Noguès*
Does beastfeeding provide protection against breast cancer ?
* Centre René-Huguenin, 35, rue Dailly, 92210 Saint-Cloud.
L
DOSSIER
© La Lettre du Sénologue, n°15, janvier/février/mars 2002
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DOSSIER
Bixby au Costa-Rica (9) rapporte une diminution du risque
pour la durée de l’allaitement : chaque année supplémentaire
réduit en moyenne le risque de 8%. Une réduction de 69% a
été rapportée chez les femmes mexicaines ayant allaité plus de
60 mois (10). En Chine, où environ la moitié des femmes allai-
tent pendant au moins trois ans, Tao (11) a retrouvé une réduction
de risque de 64 % pour les femmes ayant allaité 10 ans par rap-
port aux femmes n’ayant jamais allaité. Chez les femmes de la
cohorte de Shanghai (7) ayant allaité de 37 à 48 mois, on
observe une réduction de risque de 30% (RR = 0,70 [IC 95 % :
0,49-0,98]) et, au-delà de 49 mois, de 36 % (RR = 0,64 [IC 95% :
0,45-0,92]).
Un effet protecteur lié à la durée a aussi été rapporté dans un
nombre non négligeable d’études réalisées dans les pays occi-
dentaux. Par exemple, la Cancer and Steroid Hormone Study a
examiné la relation entre cancer du sein et allaitement chez
4500 femmes atteintes et a trouvé que les femmes qui avaient
allaité pour une durée totale de 25 mois et plus avaient une
réduction du risque de cancer du sein de 33 % par rapport à
celles qui n’avaient jamais allaité, après ajustement sur la
parité et l’âge à la première grossesse menée à terme (12). À
Los Angeles, Enger (13) obtient un RR de 0,66 pour les
femmes qui ont allaité au moins 16 mois par rapport à celles
qui n’ont pas allaité. Cet effet protecteur d’un allaitement anté-
rieur sur le risque de cancer du sein serait plus fort chez les
femmes plus jeunes (1, 2). Dans la cohorte islandaise, dans
l’analyse restreinte aux cas de cancer du sein diagnostiqués
avant 40 ans, un effet protecteur lié à la durée est démontré,
avec une diminution du risque de 23% pour chaque période de
6 mois d’allaitement supplémentaire. Cette diminution est seu-
lement de 5% sur l’ensemble de l’étude. Il faut noter que, dans
la cohorte norvégienne (3) comme dans la cohorte des infir-
mières américaines (5), on ne retrouve pas d’effet bénéfique
lié à la durée de l’allaitement. Dans l’étude américaine, il n’y
avait que 18 % d’allaitements dépassant les 12 mois, ce qui
reflète assez la réalité des pays occidentaux. On peut se
demander si la difficulté à détecter un tel effet dans les popula-
tions occidentales n’est pas seulement due à la faible
prévalence des allaitements prolongés.
Après les résultats concernant la contraception orale et le trai-
tement substitutif de la ménopause, on attend la publication
des résultats complémentaires de la méta-analyse du CGHFBC
portant sur 51 enquêtes épidémiologiques (15 cohortes, 36 études
cas-témoins) réalisées dans 21 pays (Amérique du Nord,
Europe) et concernant plus de 50000 femmes avec cancer du
sein et plus de 100000 femmes indemnes. Elle confirme que
l’absence d’allaitement versus une durée longue fait partie des
facteurs de risque de cancer du sein multipliant le risque par
moins de 2 au même titre que la corpulence postménopausique,
les premières règles avant 12 ans, la ménopause après 55 ans,
l’alcool, la taille et la parité (0 ou 1 enfant versus 6 enfants et
plus). Le risque de cancer du sein diminue significativement
avec la durée de l’allaitement. Globalement, à parité donnée, le
risque décroît de 4 % ± 1 % par année d’allaitement supplé-
mentaire (communication CGHFBC, avril 2000).
Par quels mécanismes biologiques peut-on expliquer l’effet
protecteur de la lactation ?
Tout d’abord, l’effet protecteur apparent pourrait correspondre
à un risque accru chez les femmes n’allaitant pas. On a évoqué
l’augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes
qui interrompent rapidement un allaitement ou prennent des
médicaments pour le stopper, ce qui reste cependant à interpré-
ter avec prudence. L’étude de Freudenheim (14), entre autres,
ne trouve pas de liaison entre une production de lait insuffi-
sante et l’augmentation du risque ; de plus, cette étude montre
une protection (OR = 0,71 [0,41-0,96]) par la prise de médica-
ment réduisant la production de lait.
Les mécanismes biologiques expliquant l’effet propre de
l’allaitement et le fait que cet effet soit marqué en préméno-
pause ne sont pas connus. Au niveau hormonal, on note une
élévation de la prolactine et une diminution de la production
d’estrogènes, ce qui diminue la durée d’exposition globale aux
estrogènes et, ainsi, leur effet promoteur au niveau des méca-
nismes de la carcinogenèse mammaire. Il faut noter également
que l’allaitement diffère la reprise de l’ovulation et réduit donc
le nombre de cycles ovulatoires, ce qui pourrait expliquer un
rôle protecteur. Enfin, la lactation nécessite une différenciation
complète de la glande mammaire, qui la mettrait à l’abri des
carcinogènes.
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