ECONOMIE Ce que l’Europe devrait apporter à la Tunisie n Par Samir Marrakchi La Tunisie a été le premier pays du Sud à avoir signé un accord de libre-échange avec l’Europe. Avec cet accord conclu au milieu des années quatre-vingt-dix, la Tunisie était consciente des risques de disparition d’un nombre significatif de PME qui ne pourraient pas s’adapter facilement à cette ouverture du marché et que certaines études ont estimé à trente pour cent du tissu industriel, mais en face il y avait un espoir que cette ouverture s’accompagnerait par :Ú • une mise à niveau de l’entreprise tunisienne aux standards européens et une meilleure résistance à la concurrence européenne et internationale; • et l’arrivée massive d’investissements directs étrangers, principalement des pays européens mais également d’autres pays intéressés par la conquête du grand marché européen qui verrait dans la Tunisie, avec son positionnement géographique, le choix idéal pour une implantation industrielle Comme prévu, la mise en application de l’accord de libre-échange s’est traduite par la liquidation d’un certain nombre de nos PME dont le chiffre exact n’a jamais pu être déterminé. Il faut reconnaître qu’un grand nombre d’entre elles qui auraient dû être liquidées ont été mises sous perfusion malgré l’absence de toute perspective réelle de survie à terme. La mise à niveau du reste des PME a été réalisée avec plus ou moins de réussite, mais le grand absent a été l’arrivée massive attendue des investissements directs étrangers. En effet, malgré les décisions prises dans le sens d’une meilleure ouverture du marché local tunisien et les orientations engagées pour développer les échanges avec le marché européen, l’investissement direct européen en Tunisie est resté timide et n’a pas atteint le niveau escompté. Situation économique et sociale préoccupante, des défis à relever Notre pays s’engage aujourd’hui dans un nouveau round de négociations avec l’Union européenne (UE) pour un nouvel accord de partenariat privilégié devant formuler le soutien de l’Europe à notre jeune démocratie et donner de nouvelles perspectives à notre économie.n n n 71 N°60 • Mai 2016 ECONOMIE Il conviendrait alors de faire le bilan de nos réalisations et d’identifier la nature et l’importance des difficultés qui nous attendent et d’imaginer les voies et moyens nécessaires pour les surmonter. et de formation de l’armée et de la police qui ne faisaient pas partie auparavant des priorités du pays et que la nouvelle donne internationale et régionale nous oblige à lui donner la priorité ; S’il est vrai qu’en matière de démocratie et de libertés, le chemin parcouru depuis la révolution est honorable, il est à constater que sur le plan économique et social, aucune réponse significative n’a été apportée aux attentes des jeunes à la recherche d’un emploi, ni aux aspirations des habitants des régions défavorisées qui espéraient une amélioration de leurs conditions de vie. Bien au contraire, ces cinq années passées ont vu une dégradation de l’ensemble des indicateurs économiques: aggravation du chômage, baisse du taux de croissance qui tend aujourd’hui vers zéro, augmentation du déficit budgétaire et de la balance des paiements et enfin une augmentation sans précédent de l’endettement du pays. • prévoir d’importants moyens financiers pour améliorer l’infrastructure des régions défavorisées et les doter du minimum nécessaire pour une vie décente ; nnn Sans un programme ambitieux de soutien des pays amis de la Tunisie et plus particulièrement l’Europe, il serait quasiment impossible à notre pays de faire face tout seul à une situation économique et sociale devenue préoccupante. Sans omettre les nouvelles difficultés engendrées par les dettes contractées durant ces cinq dernières années avec des pics de service de la dette qui se feront sentir à partir de 2017-2018. Ils ne laisseraient probablement pas ou peu d’espace aux investissements publics tant revendiqués et attendus par les régions défavorisées et par les jeunes à la recherche d’un emploi. La question qui se pose est : comment notre pays doit faire pour : • honorer ses engagements financiers avec un service de la dette qui a doublé ; • dégager les fonds nécessaires pour la lutte contre le terrorisme en termes d’équipements • dégager d’importants moyens pour financer la réalisation de grands projets productifs structurants et d’accompagnement de l’effort privé d’investissement. Proposition pour soutenir et accompagner notre jeune démocratie En plus des sujets habituellement évoqués avec l’Union européenne et qui sont périodiquement revus et corrigés en vue de tendre vers une parfaite convergence en matière de coopération en faisant bénéficier progressivement la Tunisie d’un statut comparable à celui des Etats membres de l’UE, nous proposons une action spécifique conjoncturelle de soutien pour l’unique démocratie du sud de la Méditerranée qui a besoin d’être accompagnée dans sa progression pour constituer un modèle pour d’autres pays arabes et africains. Les défis auxquels doit faire face la Tunisie sont nombreux et variés, mais seront principalement d’ordre financier. Ils nécessitent une imagination pour sortir des formules classiques d’endettement ou garanties d’endettement. Il s’agit, en effet, d’alléger le fardeau de la dette et en orientant le manque à gagner des créanciers en actions concrètes qui favorisent la paix sociale et l’intégration économique des régions défavorisées. L’objectif est de doter notre économie de bases solides pour accéder à un nouveau palier de développement inclusif qui redonnerait de l’espoir à une jeunesse lassée par le chômage et qui aspire à contribuer au développement économique de son pays. Une solution qui pourrait être proposée à nos interlocuteurs européens consiste à transformer nos dettes bilatérales et multilatérales auprès des pays de l’Union européenne en trois fonds identiques dédiés à des actions et des objectifs concrets : • Un premier tiers destiné à alimenter un fonds ayant pour objectif l’amélioration de l’infrastructure éducationnelle, sanitaire, culturelle et l’infrastructure routière et de télécommunications des régions défavorisées. Le but recherché est de faire de ces régions des centres de vie équipés du minimum de moyens qui garantissent à la population les bases d’une vie décente. La rentabilité de ce fonds n’est pas certaine et en tout cas différée dans le temps. Par contre, sa rentabilité économique et sociale est sûre et immédiate. Ce fonds devrait donc être considéré comme un don sans retour financier. • Un deuxième tiers devrait être destiné à accompagner tous les projets de partenariat public-privé (PPP) de grande importance pour pallier en partie la rareté des ressources publiques de l’Etat tunisien. • Un troisième tiers serait consacré au soutien de tous les projets de partenariat qui associent des investisseurs tunisiens et européens. Seuls des approches et des mécanismes nouveaux qui tiennent compte des fragilités et des spécificités de la transition démocratique tunisienne pourraient donner espoir à une jeunesse tunisienne en souffrance et en même temps lancer un signal positif et concret de soutien de l’Union européenne à la marche démocratique de la Tunisie. Cette confiance formulée par les partenaires privilégiés de la Tunisie aura incontestablement un impact positif sur le volume des investissements directs privés.n S.M. 73 N°60 • Mai 2016