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Y N É C O L O G I E
E T
S O C I É T É
Tout ce que la médecine ne prend pas en compte
● J. Rousselet-Blanc*
L
e titre de cet article pourrait laisser supposer qu’il s’agit
de faire un procès à la médecine et aux médecins. Ce
n’est pas le cas. Je n’en ai ni l’envie ni les compétences.
Et puis quel proçès… ? les malades français ne sont pas des martyrs. Bien au contraire, ils comptent parmi les mieux soignés du
monde.
Il s’agit simplement de prêter l’oreille à ce que disent les patients
hors de l’hopital et de faire une tentative de constat de ce qui
pourrait être amélioré ou de ce qui est négligé.
La médecine soigne et sauve des vies, c’est son rôle et elle le remplit bien. Rien à dire la dessus. Mais, en ce début de siècle qui
revendique la qualité de vie des patients et où les médecins sont
en première ligne, il semble qu’il y ait de gros efforts à réaliser.
Notre secteur médical est très compétent, très puissant, fortement
équipé et spécialisé. Cet acquis est considérable. D’autre part,
l’industrie pharmaceutique relève en permanence les défis posés
par la maladie. Les nombreuses associations remplissent leur mission d’aide et d’information en créant des espaces sociaux où
chaque question peut être débattue et chaque patient prendre en
charge ses propres intérêts.
Cependant, le regard de plus en plus critique des malades bouleverse le paysage. La formule “sois patient et tais-toi” n’est plus de
mise. Comme dans beaucoup de pays, le comportement du patient
a évolué vers un comportement de consommateur et de droit, ses
demandes (légitimes) en font un partenaire, ce qui pose pour le
médecin la difficile question de savoir jusqu’où discuter la complexité de telle ou telle maladie et d’être compris.
Depuis quelques années le patient a pris conscience de lui-même
et de ses droits d’être informé, la charte étant largement diffusée
dans les hôpitaux et les cliniques, oubliant parfois que c’est le
médecin qui mène l’enquête et que c’est lui qui pose les questions.
Les patients veulent parler et être écoutés. Là est le problème. Il y
a déficit de réflexion et d’action dans la relation médecin-malade.
Qualité de vie et santé sont cependant des notions très parentes,
mais les médecins sont (légitimement) préoccupés par les performances de leurs traitements et s’accordent peu souvent le temps
d’un échange véritable avec leur patient.
Ainsi, les médecins ne prennent pas le temps nécessaire pour
accueillir, éduquer, soutenir et accompagner leurs malades. Leur
refuge est la qualité thérapeutique, jugée par les malades nécessaire
mais pas suffisante. C’est le plus gros reproche qui leur est fait.
Les médecins se rendent-ils compte de l’importance qu’a leur
parole auprès de malades angoissés, déstabilisés mais confiants,
qui repartent déçus d’avoir été insuffisamment écoutés et entendus dans leur quête d’information.
*Journaliste, présidente d’Étincelle, 27 bis, avenue Victor-Cresson, 92130, IssyLes-Moulineaux.
La Lettre du Gynécologue - n° 302 - mai 2005
Les médecins manquent de temps, c’est vrai. Non pas qu’ils ne
consacrent pas la durée necessaire à chaque consultation et c’est
au détriment de leurs horaires personnels. Ils doivent assumer les
contraintes de l’entreprise qu’est un hôpital : réduction du personnel, charge de travail, gestion, etc. et sont mal secondés. Autre
aspect, étant souvent confrontés à des maladies graves, il est sans
doute normal qu’ils souhaitent ne pas trop s’impliquer. Il
n’empêche que la qualité des soins n’égale pas la qualité de vie,
même si elle y contribue largement. Cette dernière, va du simple
bien-être physique jusqu’au champ psychique, affectif, social,
professionnel. Ce champ-là est abandonné à la famille (quand elle
existe), aux psychiatres et aux psychologues dont la présence est
trop rare dans les hôpitaux. Et en ville, un grand nombre de
patients ne franchira jamais la porte d’un “psy” : crainte du coût,
peur de l’inconnu, manque d’information.
En fait, notre médecine hyper-spécialisée, aussi bonne soit-elle,
fait souvent oublier la personne derrière le malade, tant il est vrai
que tout ce qui vient du corps influence le psychisme et tout ce
qui vient du psychisme influence le corps. Il existe indiscutablement une faiblesse de la qualité globale des soins. Quelle que soit
la technicité mise en œuvre, elle ne remplacera jamais ce colloque
singulier entre médecin et malade qui a toujours été la pierre
angulaire de la médecine. Il ne faut pas s’étonner qu’un Français
sur trois, un jour ou l’autre, fasse appel aux médecines de terrain
qui ont fait du dialogue une spécialité.
La bataille livrée contre la maladie fait désormais trop souvent
passer au second plan les interrogations et la souffrance morale du
patient. Il faudrait toutefois peu de choses. Un peu de temps probablement (que vous n’avez pas) qu’il faudrait savoir donner et,
pour certains, un peu plus de sensibilité, d’intérêt et d’humanité
pour le malade. Nous vivons dans une société “débordée”. Si bien
que nous voyons arriver dans nos associations des personnes au
moral délabré, n’ayant pas trouvé d’interlocuteur pour parler de
soucis qui ne sont pas liés à la thérapeutique, mais à ce qu’elles
vivent. L’art d’être médecin ne se réduit pas à des connaissances
techniques. Les patients attendent aussi autre chose. Ainsi, à leur
tour, les élèves des chefs de service qui, procédant, avec le patron,
à la visite quotidenne pourraient ainsi acquérir un certain art du
comportement.
Tout se passe aujourd’hui comme si la priorité n’était pas d’optimiser la relation médecin-malade, mais de trouver la réponse
idoine à des statistiques et à des examens radiologiqes. Ces écrans
sont autant de barrages qui viennent parfois réduire une consultation à un simple échange de données. Or, les patients de ce nouveau siècle attendent, non seulement des prescriptions adaptées à
leur état, mais aussi les mots qui apaisent. On peut se féliciter des
avancées scientifiques, pour autant, il faut que la médecine reste
une science humaine.
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Ce n’est pas être malveillant que de souligner les conditions
d’accueil dans certains hôpitaux ou les services d’urgence, quand
les malades attendent de longues heures sur un chariot. C’est une
autre histoire qui donne lieu à bien des remous pour le moment…
on ne peut pas dire, cependant, que cette situation contribue au
bon moral des patients.
CE QUI N’EST PAS MESURABLE…
De nos jours, tout ce qui n’est pas mesurable est mal pris en
compte. C’est le cas de la fatigue qui peut plomber une vie aussi
bien que la douleur. Mais il y a des centres anti-douleur dans toute
la France. Devant la fatigue, le médecin est désarmé. Non pas que
le marché soit dépourvu de remèdes, il est au contraire florissant :
vitamines, acides aminés, phytothérapie, homéopathie, procaïne,
formules diverses avec autorisation de mises sur le marché, médicaments anti-fatigue mentale et nerveuse, plus sophrologie et
relaxation. On n’a que l’embarras du choix. Mais quel choix?
Il est le plus souvent laissé au pharmacien ou à l’auto-médication.
Mais quand dix personnes parlent de la fatigue, il n’y en a pas
deux qui parlent de la même chose et toutes la subissent à des
degrés divers.
Le généraliste n’est pas toujours compétent et mieux vaut avoir
recours à un service de médecine interne. Toutefois, les internistes
sont encore mal connus du grand public. Il existe cependant, dans
quelques hôpitaux, des services spécialisés qui disposent
d’échelles d’évaluation de la fatigue, pratiquent des bilans, et sont
susceptibles de reconnaître les causes et de pratiquer l’écoute
indispensable.
La médecine, bien qu’elle soit de plus en plus compétente, soigne
de plus en plus “de loin” en raison du fractionnement des prises en
charge. C’est dans cette distance-là que se créent les problèmes.
Autrefois, nos grands-mères priaient le Seigneur pour avoir un
enfant ou guérir d’une maladie grave. Aujourd’hui, et c’est heureux, les femmes ont la fécondation in vitro et le dépistage. Reste
que le gynécologue est aux premières loges pour annoncer les
mauvaises nouvelles : infertilité, endométriose, cancer, grossesse
extra-utérine, etc. En ce qui concerne le sujet délicat de l’infertilité, d’une part les fécondations in vitro demeurent un parcours du
combattant et, d’autre part leur taux de succès reste faible. Quant
aux cancers du sein, toujours en augmentation, ils sont pour les
femmes un traumatisme psychogique, une désorganisation qui
demande un soutien massif de l’équipe hospitalière. En oncologie,
la femme est emportée dans un tourbillon de soins, d’examens,
elle passe d’un d’interlocuteur à un autre, chacun avec sa spécialité et ses mots qui sont parfois aussi redoutables que le scalpel. À
cette étape, le gynécologue doit se montrer disponible, car c’est
souvent lui qui doit calmer les doutes et les angoisses.
Mais c’est à la fin du traitement que se manifeste le plus clairement la détresse du malade quand il se sent “abandonné”. On sait
bien, les études l’ont démontré, que c’est en cette période que se
déclarent le plus souvent les dépressions. Et aucune structure n’est
prévue pour accueillir ces patients auxquels le généraliste prescrit
des antidépresseurs à des doses parfois inadaptées.
Enfin, des questions délicates se posent régulièrement aux
malades : où aller se faire soigner ? comment trouver les bons
spécialistes ? Que faire sinon suivre les indications du médecin
traitant qui envoie chez son correspondant dont il ne vous dit rien.
Si bien que, à l’occasion d’un article publié dans la grande presse,
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ÉTINCELLE
Étincelle est un espace d’accueil situé en dehors de l’hôpital qui
se consacre à la qualité de vie des femmes atteintes d’un cancer
du sein. Objectif : aider les femmes en désarroi, en perte de
confiance et d’image. Pour cela, Étincelle met à disposition : une
psychologue, une diététicienne, une réflexothérapeute, des
soins de beauté, des groupes de parole, un atelier d’information
et de travaux pratique sur les chevelures d’appoint. Tout cela
gratuitement grâce à des fonds privés.
À Étincelle on peut parler. Et être entendue. C’est un état d’esprit.
Un lieu à part, convivial, entièrement voué au bien-être et au service
des femmes.
Étincelle : 27 bis, avenue Victor-Cresson (à proximité immédiate du
métro), 92130 Issy-Les-Moulineaux.
Renseignements et rendez-vous au 01 4 4 30 03 03.
Internet : www.etincelle.asso.fr
les journalistes sont parfois envahis par les appels demandant les
coordonnées de médecins interrogés. Il arrive que ce ne soit pas
toujours les plus compétents, sauf dans les journaux et magazines
sérieux. Il en existe… Il faut se méfier néanmoins des médecins
trop médiatisés qui sont plus souvent à la télévision et dans les
laboratoires qu’à leur cabinet.
Une des missions médicales est la prévention. Or, on peut constater, d’année en année, que le nombre des IVG reste stable et, à ce
jour, il n’y aucune véritable explication à cette situation. Les
médecins ne peuvent être accusés d’en être responsables. Les
oublis et les retards de prise de pilule sont à mettre en cause.
Néanmoins, l’information a son rôle à jouer. Elle mérite des dialogues approfondis orientés vers les risques et conséquences des
oublis. Mais ces dialogues sont-ils suffisants ?
Malgré les efforts de communication de certains laboratoires face
à la presse, il faut toutefois admettre que la science médicale ne
peut tout résoudre, en particulier ce qui n’est pas de son ressort, et
le comportement des patients en fait partie.
Ce comportement intervient aussi face au dépistage du cancer du
sein. Dans ce domaine, on ne peut invoquer l’absence d’information qui a été massive. Cependant, 43% seulement des femmes se
rendent aux invitations du dépistage systématique : peur, blocage
ou négligence ? Comment y remédier si le médecin traitant
n’attire pas fermement l’attention de sa patiente sur la nécessité de
cet examen. Quitte à provoquer une anxiété chez des personnes
qui ne sont pas malades et qui ne pensent pas à une maladie
future. Il y a aussi les tabous, les non-dit qu’il faut savoir vaincre,
comme l’incontinence ou encore les MST.
En réalité, ce que ne fait pas la médecine aujourd’hui ne relève ni
des soins ni de la technique ni de la connaissance, mais presque
uniquement de l’insuffisance du dialogue. Les professionnels que
sont les médecins, et dont personne ne discute les compétences,
sont-ils persuadés que leur fonction les implique au-delà du geste
strictement professionnel ? Ou sont-ils démotivés par les
contraintes et les entraves ? Il faut – honnêtement – y réfléchir.
Édouard Zarifian, le célèbre psychiatre affirme : “Aucune guérison n’est complète si ne s’instaure entre le malade, ses proches et
son médecin une relation humaine particulière, véritable alchimie
fondée sur le pouvoir de la parole. La médecine moderne l’oublie
trop souvent.”
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La Lettre du Gynécologue - n° 302 - mai 2005
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