Dossier D ossier Indications de la cryopréservation du tissu ovarien en cancérologie pelvienne : quoi de neuf en 2006 ? Cryopreservation of ovarian tissue » Y. Aubard*, P. Piver*, J.-C. Pech** L es possibilités de la cryopréservation du tissu ovarien (CPTO) en matière de cancers gynécologiques ont déjà été évoquées au congrès de la SFOG à Paris en 2002. Nous faisons à nouveau le point sur cette question aujourd’hui car, depuis cette date, des données nouvelles sont apparues. Deux auteurs ont décrit les premières grossesses dans l’espèce humaine après des autogreffes orthotopiques de tissu ovarien congelé. Tout d’abord, en 2004, Donnez (1) est parvenu à une grossesse spontanée chez une patiente traitée pour une maladie de Hodgkin. Tout récemment, Meirow (2) a obtenu également une grossesse après FIV chez une patiente traitée pour un lymphome non hodgkinien. Ces deux enfants sont normaux, ce qui confirme les données animales rapportant des naissances normales dans différentes espèces (souris, rat, mouton…). Les essais de greffes hétérotopiques dans l’espèce humaine sont moins avancés. Oktay (3) a observé des embryons avec des greffons placés dans l’avant-bras d’une patiente. Poirot et Piver (4) ont eu des ovocytes matures à plusieurs reprises, mais pas d’embryon, chez une patiente greffée sous la peau du ventre. Il semble que l’induction d’ovulation soit difficile sur ces greffons orthotopiques, que les ovocytes obtenus soient difficiles à féconder et que les embryons s’implantent mal. Tout ceci reste bien sûr à confirmer à une plus grande échelle. Par ailleurs, Kim (5) rapporte le cas d’une patiente opérée d’un cancer du col, chez laquelle il a cryopréservé les deux ovaires. Il a ensuite greffé successivement le cortex des deux ovaires pour rétablir les sécrétions hormonales et éviter les inconvénients de la ménopause. La patiente a ainsi une substitution hormonale depuis deux ans, sans signe de ménopause. Enfin, une grossesse après greffe de tissu ovarien non congelé entre deux sœurs jumelles a été observée cette année. Ces différentes publications récentes répondent aux questions que nous nous posions en 2002 : oui, la CPTO peut rétablir la fertilité chez certaines patientes. La durée de vie des greffons va au-delà de quelques cycles. Il reste encore de nombreuses inconnues, notamment sur la manière optimale de stimuler les greffes hétérotopiques. Les dernières données du GRECOT qui rassemblent la plupart des CPTO réalisées en France font état de 288 prélèvements dans les divers centres français. Entre 2000 et 2003, le nombre de prélèvements s’était stabilisé à environ 35 par an. En 2004, * Service de gynécologie obstétrique, CHU, 2, avenue Martin-Luther-King, 87000 Limoges. ** Laboratoire de biologie de la reproduction, CHU, 2, avenue Martin-Luther-King, 87000 Limoges. La Lettre du Gynécologue - n° 315 - octobre 2006 suite à la première grossesse humaine, ce chiffre atteint 52 ; il est déjà de 51 prélèvements au 15 septembre 2005. L’âge moyen des patientes prélevées est de 18,2 ans. Parmi les 132 patientes prélevées pour des tumeurs malignes solides, on note 35 patientes présentant des tumeurs ovariennes (borderline ou infiltrantes), 8 patientes présentant des tumeurs de l’utérus et 2 patientes des carcinoses péritonéales. Quelles conséquences sur notre pratique d’oncologues gynécologues ? Il nous semble prématuré, malgré ces premiers résultats encourageants, d’élargir les indications que nous avions définies en 2002. LES TUMEURS DE L’OVAIRE Le cancer épithélial de l’ovaire Le cancer épithélial de l’ovaire est découvert le plus souvent à des stades et à des âges où le problème de la fertilité ne se pose plus. Cependant, dans certaines situations, il est découvert à un stade précoce chez une jeune femme désireuse de préserver sa fertilité. Les possibilités que nous avons alors pour répondre à cette demande dépendent du stade tumoral. La CPTO peut être utile dans certaines situations et permettre d’améliorer les chances de grossesses ultérieures chez ces patientes. Le stade IA Il est admis, au stade IA, que le traitement conservateur par annexectomie unilatérale augmente très peu le risque de récurrence du cancer. La cryopréservation du cortex de l’ovaire controlatéral n’a donc certainement pas lieu d’être dans cette situation, elle pourrait faire perdre des chances de grossesse à ces patientes. En revanche, la cryopréservation du cortex ovarien adjacent à la tumeur, sur l’ovaire atteint, peut être réalisée. Cela pourrait constituer une solution de substitution dans le cas où il serait impossible d’obtenir une grossesse avec l’ovaire controlatéral. Le stade IB L’ovariectomie bilatérale est la règle. Des grossesses par don d’ovocytes ont été rapportées chez des patientes ayant eu une conservation utérine dans cette situation. La CPTO pourrait permettre à ces patientes d’obtenir des grossesses avec leurs propres gamètes. Le stade IC La CPTO dans les mêmes conditions que pour les stades Ia (pour les Ic unilatéraux) et IB (pour les Ic bilatéraux) nous paraît envisageable. 19 Dossier D ossier Le stade II La conservation de l’utérus n’est plus licite au stade II pour la grande majorité des auteurs. C’est dire que la fertilité à partir des gamètes de la patiente n’est envisageable qu’au prix d’un prêt d’utérus. Il nous semble cependant possible de congeler le cortex ovarien accessible et d’apparence saine chez les patientes jeunes désireuses de préserver leur fertilité. À partir du stade III du cancer épithélial de l’ovaire, les préoccupations ne se situent plus au niveau de la fertilité. La CPTO ne nous semble donc pas licite dans ce contexte. Les tumeurs borderline de l’ovaire Pour les mêmes raisons que dans les tumeurs épithéliales non borderline, le cortex ovarien d’apparence saine sur l’ovaire enlevé peut être congelé, toujours par précaution au cas où un problème surviendrait sur l’autre ovaire. Dans les stades Ib et Ic et en cas de désir de préservation de la fertilité, trois attitudes ont été proposées : – annexectomie bilatérale en préservant l’utérus pour permettre le don d’ovocytes ; – annexectomie unilatérale du côté où la tumeur est la plus volumineuse et kystectomie controlatérale ; – kystectomie bilatérale. Dans ces situations, la CPTO pourrait nous aider à orienter notre attitude. La kystectomie seule dans le but de préserver la fertilité est bien souvent un échec. En effet, elle doit être large dans le cas d’une tumeur borderline, aboutissant à une réduction importante du stock folliculaire et à des phénomènes d’adhérences compromettant la fertilité spontanée. On sait par ailleurs que ces ovaires opérés sont souvent peu ou pas répondeurs lors des stimulations pour fécondation in vitro (FIV). Il nous semble donc préférable de congeler le cortex périlésionnel de ces patientes, plutôt que de laisser en place un fragment ovarien dont la surveillance devra être minutieuse et la rentabilité en termes de grossesses faible, voire inexistante. Dans les stades II et III, la conservation utérine n’est pas recommandée. Cependant, la survie reste très bonne. L’infertilité a donc de grandes chances d’être un problème majeur pour ces femmes après leur maladie. La CPTO d’apparence saine permettrait à ces patientes de garder la possibilité de recourir à une mère porteuse. Les tumeurs germinales et stromales de l’ovaire Contrairement aux tumeurs épithéliales, les tumeurs germinales et stromales de l’ovaire surviennent le plus souvent chez la femme jeune et l’enfant, c’est dire que la préservation de la fertilité est bien souvent au centre des débats. Pour les stades Ia, la place de la CPTO est la même que pour le cancer épithélial, elle ne doit concerner que le cortex d’apparence saine de l’ovaire atteint. En cas de tumeurs bilatérales (Ib), notamment en cas de dysembryome, il est classique de proposer une annexectomie bilatérale. Cependant, certaines tentatives de traitement conservateur ont été faites en se contentant d’une tumo20 rectomie sur au moins l’un des deux ovaires. Cette attitude est risquée et la cryopréservation du cortex ovarien d’apparence saine sur les deux ovaires est une alternative qui paraît moins risquée, comme nous l’avons évoqué pour les tumeurs borderlines. Certaines tentatives de traitement conservateur à des stades ultérieurs ont été rapportées, notamment pour des stades III rétropéritonéaux, voire péritonéaux sans atteinte utérine, ni de l’autre ovaire. Dans ces situations à risque, la CPTO présenterait naturellement moins de danger. Il nous semble licite d’en informer la patiente pour qu’elle puisse réaliser un choix en connaissance de cause. LE CANCER DU COL DE L’UTÉRUS Le cancer du col aux stades précoces (IA, IB et IIA) Dans le cas de figure qui nous intéresse, le cancer de la femme jeune désireuse de préserver sa fertilité, l’option chirurgie seule est la moins agressive pour la fonction ovarienne. Ce d’autant plus qu’il est bien établi que la conservation des ovaires ne grève pas la survie dans les cancers du col aux stades précoces. La chirurgie permet de préserver au mieux les ovaires tandis que la chimiothérapie et surtout la radiothérapie sont beaucoup plus agressives inutilement d’un point de vue carcinologique sur la fonction ovarienne. Tant que la chirurgie seule est proposée comme traitement, il n’y a pas lieu de cryopréserver du tissu ovarien. Cependant, sur la pièce de trachélectomie ou d’hystérectomie ou sur le curage, un envahissement paramétrial ou ganglionnaire peut être découvert. Dans cette situation, il est classique d’adjoindre une radiothérapie. La transposition ovarienne dans la gouttière pariéto-colique est alors recommandée pour préserver la fonction ovarienne. Nous connaissons les limites de la transposition ovarienne. La cryopréservation d’un ovaire et la transposition de l’autre constituent une alternative permettant de préserver la fonction ovarienne à court terme et la fertilité ultérieure. Le cancer du col aux stades avancés (à partir du stade IIB) À partir du stade IIB, la plupart des auteurs abandonnent le traitement chirurgical au profit de l’association radiothérapie-chimiothérapie. Chez la femme jeune, des tentatives de préservation de la fonction ovarienne par transposition ont été réalisées jusqu’au stade III. Là encore, il nous paraît alors licite de faire une CPTO de l’un des deux ovaires. Le cancer du corps de l’utérus Le cancer du corps de l’utérus est devenu le cancer pelvien le plus fréquent de la femme dans les pays industrialisés. On distingue deux types principaux de cancer du corps utérin, les adénocarcinomes de l’endomètre et les sarcomes utérins. La Lettre du Gynécologue - n° 315 - octobre 2006 Le cancer de l’endomètre Dans le cas de figure fort rare où un cancer de l’endomètre surviendrait avant l’âge de 35 ans chez une patiente désireuse de préserver une chance de fertilité par prêt d’utérus, la CPTO est réalisable. Les précautions quant au choix du tissu à congeler et à son éventuelle réutilisation par autogreffe sont les mêmes que pour les tumeurs du col utérin. Les sarcomes utérins La base du traitement des sarcomes repose sur l’hystérectomie totale avec annexectomie. Dans cette situation également, la CPTO est licite, toujours dans le but d’obtenir une grossesse après prêt d’utérus, l’autogreffe restant à risque. Le choriocarcinome utérin Les tumeurs non métastatiques ou métastatiques de bon pronostic sont habituellement traitées par monochimiothérapie, essentiellement par méthotrexate (et acide folique) ou actinomycine D. La plupart des auteurs retrouvent un bon taux de fertilité après ce type de chimiothérapie. Il n’y a donc pas lieu de prélever du tissu ovarien dans cette situation. Les tumeurs métastatiques de mauvais pronostic relèvent d’une polychimiothérapie d’emblée. Cette polychimiothérapie compromet habituellement la fertilité, bien que des grossesses aient été rapportées. Si des agents alkylants sont utilisés, il est préférable, chez la femme jeune désireuse de préserver sa fertilité, de prélever du tissu ovarien. CONCLUSION Les cancers génitaux ne sont pas les principales indications de la CPTO. Cependant, dans les situations où de toute façon la fonction ovarienne serait perdue, autant congeler le tissu ovarien. Pour certaines patientes, ce tissu ne sera pas utilisé, Abonnez-vous soit en raison du décès lié au cancer, soit par renoncement à avoir un enfant, soit peut-être parce que nous ne saurons pas l’utiliser sans danger pour la patiente. Quoi qu’il en soit, le fait de faire un geste pour préserver la fertilité est souvent d’un grand réconfort moral pour les patientes et les aide à surmonter le séisme que représente l’atteinte par une maladie cancéreuse. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’utilisation du tissu ovarien prélevé ne se fera que plusieurs années après le prélèvement (après guérison avec recul du cancer), voire plusieurs décennies pour les enfants. Les lois et les possibilités d’utilisation du tissu ovarien auront alors probablement considérablement évolué, nous regretterons peut-être de ne pas avoir prélevé certaines patientes. Ce phénomène s’est déjà produit pour les hommes oligospermiques, chez lesquels nous récusions la cryopréservation de sperme il y a quelques années et qui pourraient maintenant être pères grâce à l’ICSI. N Dossier D ossier RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Donnez J, Martinez-Madrid B, Jadoul P et al. Livebirth after orthotopic transplantation of cryopreserved ovarian tissue. Lancet 2004;364(9443):1405-10. 2. Meirow D, Levron J, Eldar-Geva T et al. Pregnancy after transplantation of cryopreserved ovarian tissue in a patient with ovarian failure after chemotherapy. N Engl J Med 2005;353(3):318-21. 3. Oktay K. Fertility preservation: an emerging discipline in the care of young patients with cancer. Lancet Oncol 2005;6(4):192-3. 4. Aubard Y, Poirot C, Piver P. Cryopreservation of ovarian tissue. Gynecol Obstet Fertil 2002;30(5):358-66. 5. Kim SS, Hwang IT, Lee HC. Heterotopic autotransplantation of cryobanked human ovarian tissue as a strategy to restore ovarian function. Fertil Steril 2004;82:930-2. Abonnez-vous Abonnez-vous p. 15 La Lettre du Gynécologue - n° 315 - octobre 2006 21