La Lettre du Gynécologue - n° 315 - octobre 2006
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Indications de la cryopréservation du tissu ovarien
en cancérologie pelvienne : quoi de neuf en 2006 ?
Cryopreservation of ovarian tissue
Y. Aubard*, P. Piver*, J.-C. Pech** »
* Service de gynécologie obstétrique, CHU, 2, avenue Martin-Luther-King, 87000 Limoges.
** Laboratoire de biologie de la reproduction, CHU, 2, avenue Martin-Luther-King, 87000
Limoges.
Les possibilités de la cryopréservation du tissu ovarien
(CPTO) en matière de cancers gynécologiques ont déjà
été évoquées au congrès de la SFOG à Paris en 2002.
Nous faisons à nouveau le point sur cette question aujourd’hui
car, depuis cette date, des données nouvelles sont apparues.
Deux auteurs ont décrit les premières grossesses dans l’espèce
humaine après des autogreffes orthotopiques de tissu ova-
rien congelé. Tout dabord, en 2004, Donnez (1) est parvenu
à une grossesse spontanée chez une patiente traitée pour une
maladie de Hodgkin. Tout récemment, Meirow (2) a obtenu
également une grossesse après FIV chez une patiente traitée
pour un lymphome non hodgkinien. Ces deux enfants sont
normaux, ce qui confirme les données animales rapportant
des naissances normales dans différentes espèces (souris, rat,
mouton…). Les essais de greffes hétérotopiques dans l’espèce
humaine sont moins avancés. Oktay (3) a observé des em-
bryons avec des greffons placés dans l’avant-bras d’une patiente.
Poirot et Piver (4) ont eu des ovocytes matures à plusieurs re-
prises, mais pas d’embryon, chez une patiente greffée sous la
peau du ventre. Il semble que l’induction d’ovulation soit dif-
ficile sur ces greffons orthotopiques, que les ovocytes obtenus
soient difficiles à féconder et que les embryons s’implantent
mal. Tout ceci reste bien sûr à confirmer à une plus grande
échelle. Par ailleurs, Kim (5) rapporte le cas d’une patiente
opérée d’un cancer du col, chez laquelle il a cryopréservé les
deux ovaires. Il a ensuite greffé successivement le cortex des
deux ovaires pour rétablir les sécrétions hormonales et évi-
ter les inconvénients de la ménopause. La patiente a ainsi une
substitution hormonale depuis deux ans, sans signe de méno-
pause. Enfin, une grossesse après greffe de tissu ovarien non
congelé entre deux sœurs jumelles a été observée cette année.
Ces différentes publications récentes répondent aux questions
que nous nous posions en 2002 : oui, la CPTO peut rétablir la
fertilité chez certaines patientes. La durée de vie des greffons
va au-delà de quelques cycles. Il reste encore de nombreuses
inconnues, notamment sur la manière optimale de stimuler
les greffes hétérotopiques.
Les dernières données du GRECOT qui rassemblent la plupart
des CPTO réalisées en France font état de 288 prélèvements
dans les divers centres français. Entre 2000 et 2003, le nombre
de prélèvements s’était stabilisé à environ 35 par an. En 2004,
suite à la première grossesse humaine, ce chiffre atteint 52 ; il
est déjà de 51 prélèvements au 15 septembre 2005. L’âge moyen
des patientes prélevées est de 18,2 ans. Parmi les 132 patientes
prélevées pour des tumeurs malignes solides, on note 35 patientes
présentant des tumeurs ovariennes (borderline ou infiltrantes),
8 patientes présentant des tumeurs de l’utérus et 2 patientes des
carcinoses péritonéales. Quelles conséquences sur notre pratique
d’oncologues gynécologues ? Il nous semble prématuré, malgré
ces premiers résultats encourageants, d’élargir les indications que
nous avions définies en 2002.
LES TUMEURS DE LOVAIRE
Le cancer épithélial de l’ovaire
Le cancer épithélial de l’ovaire est découvert le plus souvent à
des stades et à des âges où le problème de la fertilité ne se pose
plus. Cependant, dans certaines situations, il est découvert à
un stade précoce chez une jeune femme désireuse de préserver
sa fertilité. Les possibilités que nous avons alors pour répondre
à cette demande dépendent du stade tumoral. La CPTO peut
être utile dans certaines situations et permettre d’améliorer les
chances de grossesses ultérieures chez ces patientes.
Le stade IA
Il est admis, au stade IA, que le traitement conservateur par
annexectomie unilatérale augmente très peu le risque de récur-
rence du cancer. La cryopréservation du cortex de lovaire contro-
latéral na donc certainement pas lieu d’être dans cette situation,
elle pourrait faire perdre des chances de grossesse à ces patientes.
En revanche, la cryopréservation du cortex ovarien adjacent à
la tumeur, sur l’ovaire atteint, peut être réalisée. Cela pourrait
constituer une solution de substitution dans le cas où il serait
impossible d’obtenir une grossesse avec l’ovaire controlatéral.
Le stade IB
Lovariectomie bilatérale est la règle. Des grossesses par don d’ovocy-
tes ont été rapportées chez des patientes ayant eu une conservation
utérine dans cette situation. La CPTO pourrait permettre à ces
patientes d’obtenir des grossesses avec leurs propres gamètes.
Le stade IC
La CPTO dans les mêmes conditions que pour les stades Ia
(pour les Ic unilatéraux) et IB (pour les Ic bilatéraux) nous paraît
envisageable.
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Le stade II
La conservation de l’utérus nest plus licite au stade II pour la grande
majorité des auteurs. Cest dire que la fertilité à partir des
gamètes de la patiente nest envisageable qu’au prix d’un prêt
d’utérus. Il nous semble cependant possible de congeler le
cortex ovarien accessible et d’apparence saine chez les patien-
tes jeunes désireuses de préserver leur fertilité. À partir du
stade III du cancer épithélial de l’ovaire, les préoccupations
ne se situent plus au niveau de la fertilité. La CPTO ne nous
semble donc pas licite dans ce contexte.
Les tumeurs borderline de l’ovaire
Pour les mêmes raisons que dans les tumeurs épithéliales non
borderline, le cortex ovarien d’apparence saine sur l’ovaire
enlevé peut être congelé, toujours par précaution au cas où
un problème surviendrait sur l’autre ovaire.
Dans les stades Ib et Ic et en cas de désir de préservation de
la fertilité, trois attitudes ont été proposées :
– annexectomie bilatérale en préservant l’utérus pour per-
mettre le don d’ovocytes ;
– annexectomie unilatérale du côté où la tumeur est la plus
volumineuse et kystectomie controlatérale ;
– kystectomie bilatérale.
Dans ces situations, la CPTO pourrait nous aider à orienter
notre attitude. La kystectomie seule dans le but de préserver
la fertilité est bien souvent un échec. En effet, elle doit être
large dans le cas d’une tumeur borderline, aboutissant à une
réduction importante du stock folliculaire et à des phéno-
mènes d’adhérences compromettant la fertilité spontanée.
On sait par ailleurs que ces ovaires opérés sont souvent peu
ou pas répondeurs lors des stimulations pour fécondation
in vitro (FIV). Il nous semble donc préférable de congeler le
cortex périlésionnel de ces patientes, plutôt que de laisser
en place un fragment ovarien dont la surveillance devra être
minutieuse et la rentabilité en termes de grossesses faible,
voire inexistante.
Dans les stades II et III, la conservation utérine nest pas
recommandée. Cependant, la survie reste très bonne. Linfer-
tilité a donc de grandes chances d’être un problème majeur
pour ces femmes après leur maladie. La CPTO d’apparence
saine permettrait à ces patientes de garder la possibilité de
recourir à une mère porteuse.
Les tumeurs germinales et stromales de l’ovaire
Contrairement aux tumeurs épithéliales, les tumeurs ger-
minales et stromales de l’ovaire surviennent le plus souvent
chez la femme jeune et l’enfant, cest dire que la préservation
de la fertilité est bien souvent au centre des débats.
Pour les stades Ia, la place de la CPTO est la même que
pour le cancer épithélial, elle ne doit concerner que le cortex
d’apparence saine de l’ovaire atteint.
En cas de tumeurs bilatérales (Ib), notamment en cas de
dysembryome, il est classique de proposer une annexectomie
bilatérale. Cependant, certaines tentatives de traitement
conservateur ont été faites en se contentant dune tumo-
rectomie sur au moins l’un des deux ovaires. Cette attitude
est risquée et la cryopréservation du cortex ovarien d’ap-
parence saine sur les deux ovaires est une alternative qui
paraît moins risquée, comme nous l’avons évoqué pour les
tumeurs borderlines.
Certaines tentatives de traitement conservateur à des stades
ultérieurs ont été rapportées, notamment pour des stades
III rétropéritonéaux, voire péritonéaux sans atteinte utérine,
ni de l’autre ovaire. Dans ces situations à risque, la CPTO
présenterait naturellement moins de danger. Il nous semble
licite d’en informer la patiente pour qu’elle puisse réaliser un
choix en connaissance de cause.
LE CANCER DU COL DE L’UTÉRUS
Le cancer du col aux stades précoces
(IA, IB et IIA)
Dans le cas de figure qui nous intéresse, le cancer de la femme
jeune désireuse de préserver sa fertilité, l’option chirurgie
seule est la moins agressive pour la fonction ovarienne. Ce
d’autant plus qu’il est bien établi que la conservation des
ovaires ne grève pas la survie dans les cancers du col aux
stades précoces. La chirurgie permet de préserver au mieux
les ovaires tandis que la chimiothérapie et surtout la radio-
thérapie sont beaucoup plus agressives inutilement d’un point
de vue carcinologique sur la fonction ovarienne.
Tant que la chirurgie seule est proposée comme traitement,
il n’y a pas lieu de cryopréserver du tissu ovarien.
Cependant, sur la pièce de trachélectomie ou d’hystérectomie
ou sur le curage, un envahissement paramétrial ou ganglion-
naire peut être découvert. Dans cette situation, il est classique
d’adjoindre une radiothérapie. La transposition ovarienne
dans la gouttière pariéto-colique est alors recommandée
pour préserver la fonction ovarienne. Nous connaissons les
limites de la transposition ovarienne. La cryopréservation
d’un ovaire et la transposition de l’autre constituent une
alternative permettant de préserver la fonction ovarienne
à court terme et la fertilité ultérieure.
Le cancer du col aux stades avancés
(à partir du stade IIB)
À partir du stade IIB, la plupart des auteurs abandonnent le
traitement chirurgical au profit de l’association radiothéra-
pie-chimiothérapie. Chez la femme jeune, des tentatives de
préservation de la fonction ovarienne par transposition ont
été réalisées jusqu’au stade III. Là encore, il nous paraît alors
licite de faire une CPTO de lun des deux ovaires.
Le cancer du corps de l’utérus
Le cancer du corps de l’utérus est devenu le cancer pelvien
le plus fréquent de la femme dans les pays industrialisés.
On distingue deux types principaux de cancer du corps
utérin, les adénocarcinomes de l’endomètre et les sarcomes
utérins.
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Le cancer de l’endomètre
Dans le cas de figure fort rare où un cancer de l’endomètre
surviendrait avant l’âge de 35 ans chez une patiente dési-
reuse de préserver une chance de fertilité par prêt d’utérus,
la CPTO est réalisable. Les précautions quant au choix du
tissu à congeler et à son éventuelle réutilisation par autogreffe
sont les mêmes que pour les tumeurs du col utérin.
Les sarcomes utérins
La base du traitement des sarcomes repose sur l’hystérectomie
totale avec annexectomie. Dans cette situation également, la
CPTO est licite, toujours dans le but d’obtenir une grossesse
après prêt d’utérus, l’autogreffe restant à risque.
Le choriocarcinome utérin
Les tumeurs non métastatiques ou métastatiques de bon
pronostic sont habituellement traitées par monochimiothé
-
rapie, essentiellement par méthotrexate (et acide folique) ou
actinomycine D. La plupart des auteurs retrouvent un bon
taux de fertilité après ce type de chimiothérapie. Il n’y a donc
pas lieu de prélever du tissu ovarien dans cette situation.
Les tumeurs métastatiques de mauvais pronostic relèvent
d’une polychimiothérapie d’emblée. Cette polychimiothérapie
compromet habituellement la fertilité, bien que des grossesses
aient été rapportées. Si des agents alkylants sont utilisés, il
est préférable, chez la femme jeune désireuse de préserver
sa fertilité, de prélever du tissu ovarien.
CONCLUSION
Les cancers génitaux ne sont pas les principales indications
de la CPTO. Cependant, dans les situations où de toute façon
la fonction ovarienne serait perdue, autant congeler le tissu
ovarien. Pour certaines patientes, ce tissu ne sera pas utilisé,
soit en raison du décès lié au cancer, soit par renoncement
à avoir un enfant, soit peut-être parce que nous ne saurons
pas l’utiliser sans danger pour la patiente. Quoi qu’il en soit,
le fait de faire un geste pour préserver la fertilité est souvent
d’un grand réconfort moral pour les patientes et les aide à
surmonter le séisme que représente l’atteinte par une maladie
cancéreuse.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que l’utilisation du
tissu ovarien prélevé ne se fera que plusieurs années après
le prélèvement (après guérison avec recul du cancer), voire
plusieurs décennies pour les enfants. Les lois et les possibi-
lités d’utilisation du tissu ovarien auront alors probablement
considérablement évolué, nous regretterons peut-être de
ne pas avoir prélevé certaines patientes. Ce phénomène
s’est déjà produit pour les hommes oligospermiques, chez
lesquels nous récusions la cryopréservation de sperme il y
a quelques années et qui pourraient maintenant être pères
grâce à l’ICSI. N
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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2004;82:930-2.
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