actualité agriculture Accablée cet été par une sécheresse record, la Creuse sait, grâce à une étude pionnière, que ce phénomène se répétera de plus en plus souvent. Le département, agriculteurs en tête, se mobilise et trouve déjà des solutions. Reportage. Sécheresse : la Creuse relève le défi climatique PAR PIERRE WOLF-MANDROUX PHOTOS DUPUY / ANDIA D ERRIÈRE SES LUNETTES de soleil et sous une chaleur de plomb, Sylvie Skrzypczak contemple, l’air un peu résigné, son verger de pommiers. Ce 12 août est un énième jour de sécheresse (lire encadré) pour cette arboricultrice de la Creuse. La pluie fine annoncée pour le lendemain ne suffira pas à sauver la majeure partie de la récolte. Certaines pommes, brûlées par le soleil, sont bonnes à jeter. Et les autres seront de petite taille. « Nous avons de plus en plus de mal à obtenir de gros calibres », relève Sylvie. Au point qu’elle et son mari éleveur, Claude, sont en pleine réflexion sur le devenir de leurs arbres. Pour les trente prochaines années, les dés sont jetés Il fut un temps où les agriculteurs creusois associaient les aléas météorologiques à la fatalité. Mais la majorité d’entre eux, à l’instar de Sylvie, ont aujourd’hui conscience qu’ils sont surtout liés au réchauffement climatique. Vincent Cailliez porte une grande part de responsabilité dans cette évolution. Seul climatologue employé par 20 → N°6925 → 20 août 2015 une chambre d’agriculture française, il a mené pendant trois ans une étude pionnière et détaillée sur les conséquences du changement climatique dans la Creuse. « Plutôt que de subir le réchauffement, nous avons embauché Vincent Cailliez pour préparer l’avenir, avec notamment l’aide financière du conseil régional du Limousin », explique Olivier Tourand, élu de la chambre d’agriculture. Le climatologue a rendu ses conclusions en juin dernier. Et elles sont sans appel : la Creuse connaîtra une transition méditerranéenne rapide de son climat. Les températures devraient monter de 2 degrés en cinquante ans. Les précipitations seront, elles, de plus en plus fortes l’automne et l’hiver, et de moins en moins fréquentes le printemps et l’été. « Il est nécessaire de s’adapter, souligne Vincent Cailliez. Pour les trente prochaines années, les dés sont déjà jetés. Même si des mesures drastiques étaient prises dès cette année, le ralentissement dans la vitesse de l’évolution climatique ne serait perceptible que dans cinquante ans. » Dans une terre d’élevage, l’adaptation au réchauffement est cruciale. La sécheresse de cet été a en partie grillé le fourrage qui nourrit le bétail. Pour la première fois, Gilbert Mazaud, éleveur depuis trente-cinq ans, a été contraint de nourrir ses vaches limousines avec ses stocks hivernaux. Il devra racheter du fourrage pour compenser cette perte, estimée entre 8 000 et 11 000 € par mois de sécheresse. Les solutions ne manquent pas pour prévenir une telle situation. Certaines d’entre elles, formulées dans l’étude, ont déjà été mises en place. Claude Skrzypczak a par exemple commencé à remplacer une partie de son ray-grass, une plante fourragère très nourrissante pour les bêtes mais sensible à la chaleur, par de la luzerne et de la dactyle, plus résistantes à la sécheresse. Une autre piste réside dans la diversité des cultures. Faire pousser plusieurs types de plantes permet de limiter la casse en cas d’aléas météorologiques. L’étude recommande aussi aux agriculteurs de mener leurs troupeaux sur les prairies de plus en plus tôt au printemps et de les faire tourner de l’une à l’autre plus rapidement. Il est en effet avéré qu’à cette saison, le cycle de pâturage devra être anticipé et durera moins longtemps. La question du savoir-faire des agriculteurs sera incontournable pour venir à bout du problème. « Nous avons préservé une partie de notre fourrage cette année grâce au décompactage – aération – des sols. C’est la technique et l’expertise qui sauveront nos récoltes, pas la Pac (Politique agricole commune) ! » assure Sylvie Skrzypczak. Faire des réserves d’eau, ou réduire les cheptels Certains agriculteurs devront, eux, réfléchir à des plantations alternatives. L’étude montre que certains territoires de la Creuse seront plus touchés que d’autres par la sécheresse, tels que le nord-est, zone la plus chaude du département. Il deviendra de plus en plus difficile d’y cultiver du maïs fourrage. Olivier Tourand, qui en fait pousser dans cette zone, peut en témoigner : « Cette année est symptomatique de ce qu’il va se passer. Les plants de maïs ont grillé. C’est la première fois que nous aurons une production aussi catastrophique. » Des éleveurs, tels que Gilbert Mazaud, défendent l’idée de capter les surplus de précipitations automnales et hivernales pour irriguer les champs en cas de sécheresse. L’idée est toutefois controversée. Construire des barrages ou des retenues collinaires – des microbarrages – n’est pas vu d’un bon œil par les écologistes, qui craignent une 1 diminution des réserves d’eau, l’impact sur l’écosystème ou la défiguration du paysage. Gilbert Mazaud réplique que les réserves d’eau du département excèdent largement les besoins des agriculteurs. « Si on ne fait rien, la moitié des fermes du plateau disparaîtront », s’alarme-t-il. Une autre piste, plus drastique, se rapproche de l’idée de décroissance : réduire le nombre de bêtes par éleveur. Gilbert Mazaud ne voit pas comment il pourrait en aller autrement : « Avec ma femme, nous augmentons chaque année le nombre d’animaux depuis notre installation pour maintenir notre pouvoir d’achat. Mais on arrive au bout du système. On ne peut pas travailler autant que nous le faisons maintenant sans sacrifier la qualité des animaux. » Sur les trois cents animaux de son exploitation, la famille Mazaud se prépare à réduire de quinze têtes son cheptel. L’étude de Vincent Cailliez aura eu une dernière conséquence : celle de la prise de conscience par des territoires de l’importance d’une anticipation du réchauffement. Le climatologue entreprendra prochainement le même type de recherche en Aquitaine, PoitouCharentes, dans les Pays de la Loire et en Normandie. ● Repères L’un des départements les plus secs cet été La sécheresse aura sévi un peu partout en France cet été. Le mois précédent est ainsi devenu le 3e mois de juillet le plus chaud depuis 1900. Mais elle aura particulièrement touché la Creuse. Le mois de juillet fut le plus sec relevé dans le département depuis 1979. La moyenne des précipitations s’y élevait à 17 millimètres pour ce même mois, alors que la norme est de 74 millimètres. Le 27 juillet, la Creuse était le seul département français classé intégralement par l’État en situation de crise hydraulique. 1| Sylvie Skrzypczak, pommicultrice, dans son verger de la ferme de Fontloup, dont les pommes sont victimes de la sécheresse. 2| Gilbert Mazaud, éleveur de vaches, est contraint de les nourrir avec ses stocks d’hiver. 2 N°6925 → 20 août 2015 → 21