T R I B U N E Évaluation du risque de développer un cancer du sein ● M. Namer* L’ évaluation du risque de développer un cancer du sein est utile dans différentes circonstances : prescription d’une hormonothérapie de substitution de la ménopause, choix de l’âge du début et du rythme des mammographies de dépistage, indications de la chirurgie prophylactique et enfin, pour certaines régions du monde, prescription de tamoxifène à titre de prévention. Calculé sur la vie entière d’une femme, le risque moyen de présenter un cancer du sein aux États-Unis est de 12 %. En d’autres termes, un enfant de sexe féminin sur huit pourra développer durant sa vie un cancer du sein. Cette incidence est en fait inégalement répartie dans la vie d’une femme et dans la population féminine. VARIABILITÉ DU RISQUE DURANT LA VIE D’UNE FEMME Pour une même personne, l’incidence augmente avec l’âge, comme le montre le tableau I. Tableau I. Probabilité de développer un cancer du sein suivant l’âge. Intervalles d’âge < de 40 ans 40-49 ans 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans 70 ans-décès Naissance-décès Probabilité de développer un cancer du sein 1/218 femmes 1/62 femmes 1/40 femmes 1/26 femmes 1/23 femmes 1/14 femmes 1/8 femmes FACTEURS DE RISQUE ÉPIDÉMIOLOGIQUES DANS UNE POPULATION Ils sont bien connus. Ils sont regroupés en facteurs familiaux, gynécologiques et obstétricaux ; en facteurs relatifs à la structure histologique des seins et à la thérapeutique de confort administrée. Tableau II. Facteurs de risque classiques. Facteurs de risque Histoire familiale : – famille 1er degré – famille 2d degré Âge à la puberté (< 12 ans versus ≥ 14 ans) Âge à la ménopause (≥ 55 ans versus < 55 ans) Âge du premier enfant (> 30 ans versus < 20 ans) Mastopathie bénigne : – biopsie du sein – hyperplasie et atypies Traitement hormonal de la ménopause Risque relatif 1,4-13,6* 1,5-1,8 1,2-1,5 1,5-2,0 1,3-2,2 1,5-1,8 4,0 à 4,4 1,0-1,5 * Le RR varie selon l’apparition du cancer du sein avant ou après la ménopause et sa bilatéralité éventuelle. Ces évaluations sont monofactorielles et sous-estiment la réalité. En fait, on trouve souvent plusieurs facteurs de risque associés qui vont se conjuguer pour augmenter le risque. Afin d’être plus proche d’une juste évaluation, des modèles prédictifs ont été construits. * Centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue Valombrose, 06000 Nice. 18 MODÈLES PRÉDICTIFS D’ÉVALUATION INDIVIDUELLE DU RISQUE DE DÉVELOPPER UN CANCER DU SEIN Le modèle de Gail C’est le plus communément utilisé. Il a été construit par le Breast Cancer Detection Demonstration Project, un grand programme de dépistage par mammographie réalisé aux ÉtatsUnis en 1970. Ce modèle a calculé le risque relatif généré par l’âge de la puberté, le nombre de biopsies et le nombre d’antécédents familiaux (AF) de 1er degré en intégrant des variables fondées sur l’âge de la personne impliquée. Tableau III. Risque relatif calculé suivant le modèle de Gail. Catégories Catégorie A Facteurs Puberté Catégorie B Nombre de biopsies suivant âge femme 0 1 ≥2 Catégorie C Nombre d’antécédents familiaux du 1er degré et âge à la naissance du 1er enfant 0 1 ≥2 Âge ≥ 14 12-13 < 12 Tout âge < 50 ≥ 50 < 50 ≥ 50 < 20 20-24 25-29 ≥ 30 < 20 20-24 25-29 ≥ 30 < 20 20-24 25-29 ≥ 30 Risque relatif 1,00 1,10 1,21 1,00 1,70 1,27 2,88 1,62 1,00 1,24 1,55 1,93 2,61 2,68 2,76 2,83 6,80 5,78 4,91 4,17 Tableau IV. Exemples cliniques de prédiction du risque d’avoir un cancer du sein selon le modèle de Gail. Âge Race 40 40 40 40 40 40 40 50 60 60 Noire Blanche Blanche Blanche Blanche Blanche Blanche Blanche Noire Blanche Nombre d’AF Nombre Âge puberté Âge 1er Risque 1er degré biopsies enfant 5 ans % 0 0 14 19 0,3 0 0 14 19 0,4 1 0 14 19 0,9 1 1 14 19 1,5 1 1 12 19 1,6 1 1 12 30 1,8 2 2 12 30 3,4 1 1 12 30 2,3 1 1 12 30 2,0 1 1 12 30 3,4 Les risques relatifs ont été ensuite multipliés par un coefficient d’ajustement afin de calculer le risque global individuel. Ajouté à des informations sur la présence éventuelle d’hyperplasie avec atypie, il a servi à établir un score qui évalue le risque cumulé de développer un cancer du sein, d’abord global jusqu’à l’âge de 90 ans, puis pour les 5 années suivant l’évaluation. La Lettre du Sénologue - n° 17 - juillet/août/septembre 2002 Le logiciel qui servait au calcul a d’abord été diffusé sur le site du National Cancer Institute : http://cancernet.nci.nih.gov/h_detect.html. Il a ensuite été généralisé sous forme d’une calculette classique qui a été distribuée par le Laboratoire AstraZeneca. Pour l’utiliser, il faut répondre à une série de questions disposées dans l’ordre suivant : race, âge, âge de la puberté, âge à la naissance du premier enfant vivant, nombre de personnes de la famille du premier degré ayant eu un cancer du sein, nombre de biopsies du sein réalisées et, dans ce cas, présence ou non d’atypie. Quand le pourcentage de risque d’avoir un cancer du sein dans les 5 ans (colonne de droite) dépassait 1,6 pour une personne donnée, celle-ci était jugée apte à être incluse dans l’essai thérapeutique américain de prévention P1 qui a évalué l’influence de la prise de tamoxifène sur l’incidence des cancers du sein infiltrants et non infiltrants. Le modèle de Claus Ce modèle a été calculé sur les données de l’étude cas-contrôle de la Cancer and Steroid Hormone Study. Il semble mieux adapté aux personnes susceptibles d’avoir des mutations de gènes de susceptibilité des cancers du sein. Il est très précis pour les antécédents familiaux mais ne tient pas compte des autres facteurs de risque. Il s’adapte à l’âge de la femme au moment du calcul. Le risque est cumulatif sur le restant de la vie. Tableau V. Calcul du risque cumulatif chez une personne qui a un AF. Âge antécédent familial 1 AF du 1er degré 20-29 ans 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans 1 AF du 2e degré 20-29 ans 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans 39 ans % de risque cumulatif suivant âge 49 ans 59 ans 69 ans 79 ans 2,5 1,7 1,2 0,8 0,6 0,5 6,2 4,4 3,2 2,3 1,8 1,5 11,6 8,6 6,4 4,9 4,0 3,5 17,1 13,0 10,1 8,2 7,0 6,2 21,1 16,5 13,2 11,0 9,6 8,8 1,4 1,0 0,7 0,6 0,5 0,4 3,5 2,7 2,1 1,7 1,7 1,3 7,0 5,6 4,5 3,8 3,8 3,2 11,0 9,0 7,6 6,7 6,7 5,8 14,2 12,0 10,4 9,4 9,4 8,3 Le tableau V évalue le risque pour une personne qui a un antécédent familial soit du 1er degré, soit du 2e degré. Le risque varie beaucoup avec l’âge de la personne intéressée. Dans une même situation, il peut varier avec un coefficient de 1 à 15 suivant que la personne a environ 40 ans ou 80 ans. L’âge et le niveau de l’antécédent familial font aussi varier le risque mais d’une manière moins importante. Le tableau VI montre la variabilité du risque suivant les âges respectifs des deux antécédents familiaux de premier degré et l’âge de la personne pour laquelle on calcule le risque. Il est évident que, quand le risque dépasse 30 %, la chirurgie prophylactique pourrait être discutée. TESTS GÉNÉTIQUES DÉMONTRANT LA PRÉSENCE D’UNE MUTATION DU GÈNE GRCA1 OU BRCA2 Les personnes chez qui l’on a identifié la présence d’un gène BRCA1 ou BRCA2 muté ont un risque de 60 à 85 % de présenter La Lettre du Sénologue - n° 17 - juillet/août/septembre 2002 Tableau VI. Âge antécédent familial AF le + jeune 20-29 ans AF le + vieux 20-29 ans 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans AF le + jeune 30-39 ans AF le + vieux 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans AF le + jeune 40-49 ans AF le + vieux 40-49 ans 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans AF le + jeune 50-59 ans AF le + vieux 50-59 ans 60-69 ans 70-79 ans % de risque cumulatif suivant âge 39 ans 49 ans 59 ans 69 ans 79 ans 6,9 6,6 6,1 5,5 4,8 4,1 16,6 15,7 14,6 13,3 11,7 9,9 29,5 27,9 26,1 23,8 21,0 17,9 41,2 39,1 36,6 33,5 29,7 25,6 48,4 46,0 43,4 39,7 35,4 30,8 6,2 5,6 4,8 4,0 3,2 14,8 13,4 11,6 9,6 7,7 26,5 23,9 20,9 17,5 14,3 37,1 33,7 29,6 25,1 20,7 43,7 39,9 35,3 30,2 25,2 4,8 3,9 3,0 2,3 11,7 9,6 7,5 5,8 21,0 17,4 13,9 10,8 29,8 24,9 20,2 16,1 35,4 30,0 24,6 20,0 3,0 2,2 1,6 7,5 5,6 4,2 13,8 10,5 8,1 20,0 15,7 12,4 24,5 19,5 15,8 un cancer du sein et de 15 à 40 % de développer le reste de leur vie. Les paramètres cliniques qui font penser à la présence de ce genre de mutations sont : la présence de cette mutation chez un membre de la famille, la survenue d’un cancer du sein et des ovaires, la survenue d’un cancer du sein chez au moins 2 membres de la famille ayant moins de 50 ans, un cancer du sein chez un homme, l’appartenance au groupe ethnique ashkénase. CONCLUSION Il est certain que le risque de présenter un cancer du sein est une notion qui est variable suivant la présence d’antécédents familiaux et de certains paramètres gynécologiques et obstétricaux. L’âge de la personne et la structure histologique du sein prélevé par biopsie complètent la maîtrise du risque relatif. L’évaluation de ce risque va aider le thérapeute à prendre une décision sur l’opportunité de prescrire une hormonothérapie de substitution de la ménopause ou d’engager une réflexion sur la chirurgie prophylactique. ■ E N S A V O I R P L U S . . . P O U R ❒ Armstrong K, Eissen A, Weber B. 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