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Échographie mammaire et dépistage
Ultrasound and breast cancer screening
● É. Netter*, J. Stinès**, E. Roussel-Andry*, R. Jacquet*
l n’est plus à démontrer que le dépistage systématique du
cancer du sein par la mammographie permet de diminuer
la mortalité par cancer du sein de façon significative.
La généralisation du dépistage à l’ensemble des départements
français et la mise en place du nouveau cahier des charges
permettent au radiologue d’examiner la patiente mais également
de compléter le bilan initial, s’il est positif, par des clichés complémentaires et éventuellement par une échographie. On parle
alors de bilan diagnostique. Le nombre de ces bilans ne devant
pas selon le cahier des charges dépasser 10 %.
Ce même cahier des charges nous impose une grille de lecture
utilisant la classification en cinq catégories de l’American College of Radiology (ACR), adaptée par l’ANAES. Cette classification est purement mammographique mais fait néanmoins
appel à des notions échographiques. Par exemple, dans le
groupe ACR 2, on évoque les opacités rondes correspondant à
un kyste typique en échographie ; dans le groupe ACR 3, les
opacités rondes ou ovales, discrètement polycycliques non
typiques liquidiennes en échographie ; dans le groupe ACR 4,
les opacités non liquidiennes rondes ou ovales à contour microlobulé ou masqué.
Pour l’instant, l’indication de l’échographie reste l’étude des
anomalies mammographiques mais, au vu de la littérature,
l’échographie est intéressante dans l’exploration des seins denses,
notamment hétérogènes.
I
LES CARCINOMES PUREMENT ÉCHOGRAPHIQUES
En 1995, Gordon (1) détecte chez 12 706 femmes présentant
une anomalie mammaire clinique ou mammographique, bénigne
ou maligne, 1 575 nodules solides fortuits en échographie, non
palpables, et occultes sur la mammographie. L’exploration échographique est d’abord ciblée sur la lésion avec une sonde de
10 MHz puis réalisée sur tout le sein ipsilatéral avec une sonde
de 7,5 MHz. Deux cent soixante-dix-neuf de ces nodules font
l’objet d’une cytoponction car non décrits auparavant ou ayant
augmenté de taille ou présentant des caractères suspects ; 52 sont
opérés ; 44 cancers sont diagnostiqués chez 30 femmes, soit
2,8 % des lésions purement échographiques et 0,3 % de la population totale. Tous les seins sont denses sur la mammographie.
Gordon souligne l’intérêt de l’échographie pour le diagnostic
de multifocalité chez 15 femmes qui contre-indique d’emblée
* SEL radiologie, 125, rue Saint-Dizier, Nancy.
** Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre-lès-Nancy.
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
le traitement conservateur et le diagnostic précoce pour les
15 femmes venues initialement pour une lésion bénigne ou
ayant une mammographie normale.
Zonderland (2, 3) évalue sur une série de 4 811 cas dont 1 103 sont
complétés par une échographie, la sensibilité et la spécificité de
la mammographie à 83 % et 97 %. Après l’adjonction de l’échographie ciblée, la sensibilité est de 91 % et la spécificité est de
98 %. L’augmentation étant plus élevée chez les femmes de
moins de 50 ans. L’utilisation de l’échographie augmente la
fiabilité diagnostique de 7,4 %, 25 cancers sont visualisés par
l’échographie.
Dans une étude de 8 970 femmes, Buchberger (4, 5) décrit
32 cancers de diagnostic purement échographiques chez
8 103 femmes dont les examens clinique et mammographique
sont négatifs et 8 cancers chez 867 femmes symptomatiques ou
avec une anomalie à la mammographie (bénigne ou maligne),
soit une prévalence de 0,41 % de la population totale et une
proportion de cancers purement échographiques de 22 % du
nombre de cancers non palpables. La densité mammaire est de
type 2 chez 979 femmes (0,4 % de cancers) et de type 3 chez
6 916 femmes (0,3 % de cancers) et de type 4 chez 1 075 femmes
(1,1 % de cancers). L’échographie augmente le taux de détection des cancers de 28 %.
Dans cette étude, seules les lésions visibles uniquement en échographie sont prises en compte puisqu’une seconde lecture des
clichés permet d’éliminer les lésions vues rétrospectivement.
Il n’y a pas de différence significative entre la taille des cancers
invasifs purement échographiques et des cancers non palpables
visibles sur la mammographie, ce qui laisserait supposer un pronostic équivalent. De même, il n’y a pas de différence significative entre les femmes à haut risque et celles à risque normal.
L’auteur souligne également que seul 14,9 % des lésions solides
sont malignes et qu’une analyse sémiologique fine associée à
des ponctions échoguidées peuvent éviter des biopsies chirurgicales inutiles.
Rizzatto (6) souligne que le rôle des ultrasons doit être revu du
fait de l’évolution de la technologie. Il existe une augmentation
de la sensibilité notoire dans le dépistage des seins denses ou
complexes et des femmes à risque. Les US permettent le diagnostic de petites tumeurs curables. D’autres progrès sont à
venir avec l’échographie 3D, les produits de contraste et l’échographie ganglionnaire.
Kaplan (7) réalise une échographie mammaire systématique
non ciblée et bilatérale (sonde de 7-12MHz) chez 1 862 femmes
25
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dont les examens clinique et mammographique sont normaux et
dont la densité mammaire est de type 3 ou 4 de la classification
BI-RADS. Cinquante-sept microbiopsies sont réalisées et 6 cancers
diagnostiqués, soit 0,3 % de la population initiale. La VPP de
11,8 % est plus faible que celle de la mammographie (28,3 %),
mais elle devrait rejoindre celle de la mammographie si on
applique bien la sémiologie échographique décrite par Stavros
(8) avec un suivi échographique plus fréquent à 6 mois.
Lévy (9) revoit rétrospectivement 110 cas de cancers du sein.
Vingt-quatre (21,8 %) sont détectés uniquement par échographie, soit une augmentation de 28,2 % dans la détection de
lésions invasives non palpables. Les critères d’étude par échographie sont des seins modérément denses, des mammographies
classées BI-RADS 0, 4 et 5 ou des examens cliniques anormaux.
Il s’agit donc d’une population de dépistage et de diagnostic.
L’étude de Kolb (10, 11) avec une série de 27 825 mammographies
de dépistage avec des échographies non ciblées et bilatérales,
rapporte 971 biopsies et 246 cancers diagnostiqués. Dans cette
série, 16,7 % des femmes ont un antécédent personnel de cancer
du sein, 23,9 % ont une histoire familiale, et 16,2 % de premier
degré. Ainsi, 30 % de toutes les femmes examinées et 26,5 %
avec des seins denses sont des femmes à risque. L’auteur étudie
les cancers diagnostiqués sur la base d’une seule modalité :
– par l’examen clinique seulement : 221 anomalies ; 16 biopsies
effectuées (17 %) et 6 cancers retrouvés, soit 2,4 % de tous les
cancers ;
– par la mammographie seule : 971 anomalies ; 263 biopsies
(27 %) et 7 cancers détectés, soit 20 % de tous les cancers dont
30 dans des seins denses, soit 30 % des cancers. Pour les seins
clairs, la mammographie permet le diagnostic de 48 % des
cancers de la série ;
– par l’échographie seule, 779 masses solides sont détectées
dans 13 547 seins denses, 441 font l’objet d’une surveillance et
358 biopsies (2,6 % du taux de biopsies) permettent le diagnostic
de 37 cas de cancers, soit 10,3 % des taux de biopsies positives
et 15 % de tous les cancers.
Dans les seins denses, les ultrasons seuls permettent le diagnostic
de 25,5 % de tous les cancers et 37 % des cancers non palpables,
dont 70 % sont infracentimétriques et 90 % N0. La répartition
selon la classification de BI-RADS s’effectue selon le tableau I.
La sensibilité de la mammographie associée à l’échographie est
supérieure à celle de la mammographie associée à la palpation.
Tableau I. Nombre de cancers purement échographiques selon la
densité mammaire.
Nombre
Cancers échographie seule
Cancers échographie seule (%)
Prévalence
Femmes à risque
26
Type 2
Type 3
Type 4
Total
2 732
3
9,6
0,11
0,15
4 815
13
42
0,27
0,44
6 000
15
48
0,25
0,55
13 547
31
0,23
0,42
Pour l’auteur, l’échographie permet de dépister des cancers
d’intervalle à une taille plus petite et un stade moins avancé
qu’ils ne l’auraient été au moment de leur diagnostic clinique ou
mammographique.
Une étude plus récente de Leconte (12) sur 4 236 femmes ayant
eu un bilan mammographique et échographique bilatéral complet
(avec une sonde de 7,5 MHz en mode tissu harmonique) a permis
la détection de 161 cancers, dont 50 non palpables : 28 non palpables sont vus en mammographie et échographie, 6 sur la mammographie seule et 16 (32 %) en échographie seule (tableau II).
La sensibilité de la mammographie et de l’échographie pour la
détection de lésions non palpables sont de 69 et 88 %. Pour les
seins de densité de types 3 et 4, elles sont de 56 et 88 %. Pour les
seins de densité de types 1 et 2, les sensibilités sont de 80 et
88 %. Globalement, le risque relatif de détection par l’échographie de cancers non palpables est significativement plus important que pour la mammographie (1,29) surtout dans les seins
denses de types 3 et 4 (1,57) mais peu pour les types 1 et 2.
Tableau II. Cancers selon la densité mammographique.
Cancers
Mammographie et échographie
Mammographie seule
Échographie seule
Total
Types 1-2
17
3
5
25
Types 3-4
11
3
11
25
Crystal (13) confirme l’intérêt de l’échographie avec, dans une
série de 1 517 femmes asymptomatiques avec des seins denses,
dont l’examen clinique et mammographique sont normaux, un
taux de détection échographique de cancers de 0,46 %. Ce taux
de détection est augmenté de 1,3 % dans le groupe des femmes
à haut risque, c’est-à-dire celles ayant un antécédent personnel
ou un antécédent familial de premier degré.
LES FAUX POSITIFS
L’analyse sémiologique précise décrite par Stavros (8) et Rahbar
(14) permet de minimiser le nombre de biopsies inutiles et de
surveiller un nombre non négligeable d’images purement échographiques. Sur 124 lésions détectées parmi 750 masses présumées bénignes en échographie, seules 2 sont malignes. Les
99,5 % de VPN ne diffèrent pas des 98 % de VPN de la mammographie qui est le “standard accepté”.
Dans la série de Buchberger (4), 9,9 % de l’ensemble des lésions
échographiques et 14,9 % des lésions solides sont malignes. Sur
le plan médical et économique, le ratio bénin/malin reste élevé
mais l’auteur souligne qu’une analyse sémiologique fine associée
à des ponctions échoguidées peut éviter des biopsies chirurgicales inutiles. Quatre critères échographiques doivent évoquer un
haut risque de malignité supérieure à 50 % : lésion plus haute que
large, contours anguleux, spiculations, extension ductale. Leur
absence signe une VPN supérieure à 90 %. La chance de bénignité
pour une lésion sans signe malin caractéristique est de 98,9 %.
La Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
Dans l’étude de Kaplan (7), sur 1 862 femmes, 195 lésions échographiques font l’objet d’une surveillance et 45 biopsies sont
négatives. La VPP de 11,8 % reste faible par rapport à la VPP de
28-30 % de la mammographie. Cela est lié à la plus faible expérience de ces diagnostics échographiques comparée à la mammographie. De plus, les critères sémiologiques se sont affinés au
cours de l’étude permettant de limiter le nombre de biopsies.
Dans l’étude de Kolb (11), l’adjonction de l’échographie à la
mammographie et à la palpation chez les femmes ayant des
seins denses augmente le taux de biopsies négatives de 65,5 %
à 74,5 %.
LE “STAGING” ÉCHOGRAPHIQUE
L’échographie permet de détecter des lésions multifocales non
suspectées par la mammographie qui contre-indiquent le traitement conservateur. Le bénéfice théorique de les détecter et de
les traiter serait de diminuer la mortalité et le taux de récidives.
Berg (15) préconise une échographie complémentaire de tout le
sein en préopératoire quand un traitement conservateur est envisagé. Dans une série de 40 patientes présentant une lésion ACR 5
à la mammographie ou clinique dont 20 lésions à priori unifocales, on trouve 64 lésions cancéreuses dont 9 purement échographiques. Sur la base de l’échographie, le schéma thérapeutique
initialement prévu a été modifié dans 15 % des cas. Dans cette
étude, le sein controlatéral n’a pas été évalué.
Sur 150 mammographies avec des seins denses et une image de
cancer, Kolb (11) trouve 16 lésions malignes supplémentaires
par échographie, 13 dans le même sein et 3 dans le sein controlatéral.
Moon (16) étudie l’efficacité de l’échographie bilatérale systématique à l’aide de sondes à haute fréquence (10-13 MHz) dans
l’évaluation préopératoire de 201 patientes porteuses d’un cancer
du sein. Les US ont permis la détection de lésions multifocales
ou multicentriques chez 28 patientes (14 %) et de cancers controlatéraux chez 8 patientes (4 %). Ces lésions ont été détectées
dans 3 cas dans des seins de type 2 de la classification BI-RADS,
13 cas (36 %) de type 3, et 20 cas (56 %) de type 4. Les faux
positifs de l’échographie ont été de 20 cas chez 16 patientes (8 %).
La sensibilité, la spécificité, la VPP et la VPN pour les nodules
solides en échographie sont de 100 %, 51 %, 64 % et 100 %.
L’attitude thérapeutique a été modifiée chez 32 (16 %) des
201 patientes. L’échographie dépiste plus de tumeurs occultes
cliniquement et à la mammographie chez des femmes qui ont
une tumeur de plus de 2 cm ou une tumeur palpable et chez des
femmes qui ont des seins denses. L’évaluation sur la survie et
le taux de récidives reste à étudier.
CONCLUSION
L’échographie mammaire n’est pas une modalité systématique
de dépistage. Au vu de la littérature et de l’obligation de moyens
des campagnes de dépistage, elle doit être utilisée pour la détecLa Lettre du Sénologue - n° 21 - juillet/août/septembre 2003
tion de cancers occultes à la mammographie chez des femmes
ayant des seins denses de type 3 ou 4 de la classification de
BI-RADS et des femmes à haut risque. En effet, pour certains
auteurs, le taux de détection rejoint les taux de dépistage mammographique. Les cancers ainsi détectés correspondraient aux
cancers d’intervalle et l’échographie permettrait une avance au
diagnostic. Il n’y a pas actuellement d’étude de l’impact de ce
diagnostic plus précoce sur la survie dans cette population.
L’échographie reste également un complément d’investigation
pour la recherche de lésions multifocales ou multicentriques
non palpables et purement échographiques, permettant d’adapter
l’acte thérapeutique et évitant d’éventuelles sources de récidives ;
cela à moindre coût par rapport à l’IRM.
Les taux de faux positifs peuvent être diminués par une analyse
fine de la sémiologie associée à une surveillance rapprochée.
L’évaluation de la nouvelle formule de la campagne de dépistage
permettra peut-être d’évaluer l’impact diagnostique et pronostique de l’échographie à condition que les radiologues signalent
bien le nombre d’échographies réalisé dans les seins denses. ■
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