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Actualités analyse
En 2013, le gouvernement lance les États généraux du
travail social, dont l’ambition est d’entreprendre une
refondation visant à « donner aux politiques sociales
les professionnels dont elles ont besoin ». Le rapport que
vient de rendre le groupe de travail « métiers et complé-
mentarités », l’un des cinq groupes de réflexion constitués
pour l’occasion, propose justement un réel bouleversement
de la formation au travail social. Le groupe mandaté pour
mener cette réflexion était constitué : il s’agit d’un
groupe de travail de la Commission professionnelle consul-
tative du travail social et de l’intervention sociale (CPC)
qui était chargé d’évaluer les effets de la réingénierie des
diplômes de travail social, menée entre 2004 et 2009. Les
experts rassemblés se sont donc vu attribuer un second
mandat, dans le cadre des États généraux.
Leur rapport (1), présenté à la CPC en décembre dernier et
voté à très large majorité, vient d’être rendu public. Le texte
sugre de remplacer les 14 dipmes existants par un
diplôme unique à chacun des cinq niveaux de qualification.
La formation des étudiants de chaque niveau reposerait
sur un socle commun.
Le rapport articule ses propositions autour de quatre axes.
Outre la ré-architecture des diplômes (un seul diplôme par
niveau de qualification), chaque niveau de formation serait
organisé selon un socle commun de compétences, que les
étudiants viendraient compléter, d’une part, par une spé-
cialité et, d’autre part, par un parcours optionnel. Le texte
parle d’un socle commun d’au moins 50 % de l’ensemble
du cursus, pour permettre une meilleure connaissance des
fondamentaux communs et faire acquérir aux étudiants
des compétences transversales faire preuve d’autonomie
dans le travail »), techniques utiliser les techniques de
médiation ») ou relevant de l‘éthique et du positionnement
professionnel (« intégrer l’analyse des pratiques»). La moitié
Le récent rapport pour les États
généraux du travail social défend une
logique de diplôme unique et de socle
commun de compétences par niveau
de qualification. Les professionnels
craignent de voir leurs professions
déqualifiées. Une concertation sur ce
sujet épineux vient de débuter.
Faut-il réduire
le nombre de diplômes?
Lidée de proposer un vaste tronc commun rencontre un fort
scepticisme de la part des formateurs des éducateurs de
jeunes enfants.
Travail social
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(1) www.tsa-quotidien.fr, 15 et 18 déc. 2014, 20 févr. 2015.
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restante se répartirait ainsi: pour 40 %, au choix entre deux
spécialisations: «aide et développement social » ou « accom-
pagnement socio-éducatif »; pour 10 % à des parcours
optionnels visant davantage les publics ou les types de
structures (développement de projets territorialisés, dia-
tion, petite enfance et parentalité, addictions, etc.) Dernière
proposition du rapport : les dipmes post-baccalauat
(niveaux I et II) seraient respectivement articulés aux grades
de licence et de master.
Pour les auteurs du rapport, ces propositions visent d’abord
à simplifier l’offre des 14 diplômes français existants, jugés
trop nombreux, pour offrir une meilleure lisibilité et visibili
à la filière. « D’autant plus que dans certaines formations,
beaucoup d’éléments se recoupent, analyse Manuel lissié,
vice-président de la CPC au titre de l’Unifed, administrateur
du Syndicat des employeurs associatifs (Syneas) et directeur
général de l’IRTS de Paris Ile-de-France. Par exemple, au
niveau IV, on peut superposer les férentiels TISF et
moniteur éducateur de façon assez forte. » Pour le groupe
de travail, le socle commun « facilitera la construction des
identités professionnelles fondées sur des références solides
et étayées, valorisera et favorisera l’intelligibilité des
compétences ».
Incohérences dans le système
LUnion nationale des associations de formation et de
recherche en intervention sociale (Unaforis), qui a voté pour
le rapport présenté à la CPC, défend aussi cette idée de
socle commun. « La réingénierie, parce qu’elle a malheu-
reusement été menée diplôme par diplôme, a conduit à des
incohérences, explique Claude Noël, administrateur à
l’Unaforis et DG de l’Irtess de Dijon. Des compétences s’ar-
ticulent mal entre les niveaux III et IV, des champs se mélan-
gent, les dispositifs d’organisation de stages et les systèmes
de certification sont différents. Cela freine un travail en
transversalité. » Pour lui, le socle commun ne doit pas porter
sur des compétences périphériques, mais bien sur le cœur
du métier, le travail relationnel et l’éthique, par exemple.
« Des métiers tels qu’ils ont été conçus il y a 30 ans répon-
dent-ils encore aux besoins? ajoute Jean-Baptiste Plarier,
président de la CPC et vice-président CFE-CGC Santé-
social. Si l’on veut mettre en place des notions de parcours
et d’interventions collectives dans le travail social, il faut
commencer par décloisonner les métiers. Ce serait une
formidable opportunité pour que le travail social soit
vraiment reconnu comme un champ disciplinaire. »
Plusieurs cordes à son arc
Pour l’Unaforis, les propositions du rapport correspondent
aussi à une évolution dans les recrutements. «Les employeurs
se sont éloigs de la logique du seul profil professionnel
pour recruter selon une logique de compétences, observe
Claude Noël. Même les conseils départementaux ont une
politique d’ouverture dans le recrutement des travailleurs
sociaux en employant désormais des éducateurs spécialisés
ou des conseillers en économie sociale et familiale (CESF). »
Manuel Pélissié estime lui aussi que cette nouvelle archi-
tecture des diplômes «simplifierait les choses pour les recru-
teurs publics et privés. On répondrait mieux aux besoins
des employeurs avec des candidats ayant plusieurs cordes
à leur arc, selon les responsabilités à exercer. » Il s’agit, selon
Claude Noël, d’un changement de contexte qui ne concerne
pas seulement les employeurs, mais aussi les schémas de
prise en charge des personnes : « Tout se croise désormais,
y compris l’articulation du sanitaire et du social. Ce qui
signifie aussi, avant même de parler de complémentarité
des métiers, que les ARS, conseils généraux et associations
devront repenser leurs modes d’intervention pour une plus
grande complémentarité des institutions. »
Le décloisonnement induit par la réforme des diplômes
permettrait de fluidifier les parcours professionnels et la
mobilité intersectorielle en privilégiant un lien plus ouvert
entre un diplôme et une famille d’emplois, prévoit le rap-
port. « Il est fini le temps les professionnels passaient
toute leur carrière dans une même institution, note Manuel
Pélissié. Il faut leur permettre d’avoir un parcours à géo-
métrie variable pour éviter les impasses. » Sylvère Cala,
éducateur spécialisé membre du collectif Avenir éducs, qui
s’oppose au projet de refonte, est bien d’accord sur le fait
que tout professionnel doit pouvoir changer de secteur.
Mais il ne voit pas comment les propositions du rapport le
permettront: « Notre formation sur trois ans, avec plusieurs
stages sur site, nous permet de nous familiariser avec dif-
férents terrains. Si on ne se spécialise plus qu’en fin de cur-
sus, on risque d’avoir moins d’opportunités d’emplois. »
Le président de la CPC ne « pense pas qu’il faille se spé-
cialiser par rapport à un public ». Il imagine plutôt des
possibilités d’allers-retours dans le circuit de formation au
cours de la vie, pour repasser par une option et changer de
public, afin de combiner formation initiale et formation
continue. Le texte explique aussi que, devant les réticences
Dans le cadre des États généraux, un rapport propose un
socle commun représentant 50 % du cursus.
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Il est fini le temps où les professionnels
passaient toute leur carrière
dans une même institution.”
Manuel Pélissié
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grandissantes des organismes à accueillir des stagiaires, le
stage n’est pas le modèle unique de professionnalisation.
Il cite, par exemple, la possibilité que les étudiants réalisent
plutôt des diagnostics de territoire ou des enquêtes.
Le vrai frein à la mobilité professionnelle est le manque de
passerelles entre le public et le privé pense, pour sa part,
l’Association nationale des assistants de service social
(Anas), qui estime que les propositions du rapport ne régle-
ront rien. « Le texte dit que les parcours optionnels seront
un moyen d’employabilité, remarque, dubitative, Annie
Pasquereau, de la commission formation de l’Anas. Si
l’option sert à trouver du travail, à quoi sert la refonte ?
Finalement, auprès de qui s’agit-il d’être plus lisible et dans
quel but? Il faut des métiers différents adaptés à différents
publics. En quoi cette volonté de simplification répondrait-
elle mieux aux besoins des publics
Risques d’uniformisation
La CFDT San-sociaux s’est récemment positionnée en
faveur d’une notion de tronc commun, mais « contre la dis-
parition des 14 diplômes d’État du travail social ». Avenir
éducs et l’Anas notent eux aussi que beaucoup de centres
de formation ont jà mis en place des enseignements
communs aux différents cursus. « Mais ce socle ne devrait
pas aller au-delà des 30 % que réclame la circulaire sur la
mise en crédits européens, pense Annie Pasquereau. Sinon,
l’uniformisation des diplômes provoquera de la confusion
et une interchangeabilité des travailleurs sociaux, alors même
que nous tenons à travailler dans la complémentarité. »
De nombreux professionnels et étudiants, qui s’expriment
via des manifestations gulières d’opposition au projet, crai-
gnent que les spécificités propres à chaque profession se
voient confondues sous un titre creux de «travailleur social ».
Or pour eux, la pluralité des approches et des méthodes de
travail des différentes professions, ainsi que les équipes
multidisciplinaires, sont une réelle plus-value du secteur.
Ils redoutent l’avènement d’un travail social distributif de
dispositifs, laissant de côté l’accompagnement et l’aide à la
personne. « On ne agit pas par corporatisme, clare
Sylvère Cala, d’Avenir éducs, mais on défend une vision du
travail social dans le cadre d’une société solidaire. Si on
appauvrit les métiers, on sera moins efficaces auprès des
bénéficiaires. » L’Anas s’inquiète aussi du bouleversement
que provoqueraient ces réformes, qui nécessiteraient de
revoir comptement le code de l’action sociale et de la famille.
« Qu’adviendrait-il du statut de profession réglementée de
l’ASS et du secret professionnel, régulièrement perçu comme
un principe encombrant pour les politiques publiques
demande Annie Pasquereau. D’autres questions se posent,
comme celles des conséquences pour l’organisation de la for-
mation des travailleurs sociaux. Verra-t-on demain les centres
de formation se rapprocher en grands ensembles? Que
deviendront les centres de formation d’EJE, par exemple?
Des formations sur deux ans ?
L’Unaforis souligne que certaines compétences spécifiques
aux différents métiers « ne pourront pas seulement être
abordées sous forme d’options ». « Il est difficile de conce-
voir quun EJE nentende parler de petite enfance que
pendant 15 % de sa formation, reconnt Claude Noël.
Il va falloir tracer des parcours de formation qui amènent
les professionnels vers des compétences approfondies. »
Reste à savoir selon quels critères seront finis les difrents
champs d’intervention qui constitueraient ces parcours
spécifiques, puisque le rapport ne souhaite les réfléchir ni
par secteur, ni par public. « Le débat s’éclaircira quand on
entrera dans le cœur de la définition du socle commun et
du reste », présume-t-il.
Pour le moment, un certain flou alimente les craintes des
professionnels, y compris celles de voir prévaloir des
logiques de rationalisation financière, d’économies sur la
formation ou de marchandisation, via la création d’un
professionnel transrable d’un poste à l’autre. Dans le
texte initial de la CPC, les employeurs avaient ussi à
introduire la possibilité d’avoir un cursus de deux ans
– éventuellement complé par une troisième année.
« Est-ce l’installation durable de personnels moins qualifiés
au contact des publics?, s’interroge le repsentant de l’Anas.
Des techniciens appliquant des dispositifs de politique sociale
tandis que les plus diplômés joueraient un rôle de coordi-
nation, loin du terrain… » Finalement, le schéma a été retiré
du rapport final, mais le débat reste ouvert. n
Iris Briand
On va « concerter »
Histoire de détendre l’atmospre, le minisre des affaires
sociales a chargé la députée Brigitte Bourguignon (PS,
Pas-de-Calais) de conduire une concertation sur la ré-archi-
tecture des diplômes, pour établir un plan d’action au plus
tard fin octobre. « La concertation sera menée selon trois
axes, précise la parlementaire. Récapituler, d’abord, les
besoins et les contenus du travail social, du point de vue
des travailleurs sociaux, des usagers et des employeurs.
Nous allons porter une attention particulière aux éducateurs
de jeunes enfants, qui présentent des spécificités qu’on ne
peut ignorer. Réfléchir, ensuite, à l’architecture des dipmes.
Il y a sûrement un curseur à trouver entre 5 et 14 diplômes,
en s’inspirant de pays comme la Belgique. Nous nous pen-
cherons sur la fonction des experts, en rendant plus attractif
le niveau I. Enfin, nous ferons des préconisations sur la
refonte du travail social, en nous intéressant à l’apprentis-
sage du travail collectif, via par exemple les cellules ou les
missions de groupe. » Brigitte Bourguignon compte appuyer
la réflexion sur la base du rapport et « rencontrer très lar-
gement, y compris ceux qui se sont sentis insuffisamment
associés »: les syndicats, la CPC, les professionnels et les
jeunes en formation.
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