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Dossier
thématique
Les anévrismes de l’aorte
abdominale (AAA)
Coordonné par Pierre Julia
(Service de médecine vasculaire
hôpital Georges-Pompidou, Paris)
Scanner d’AAA montrant le thrombus endoanévrysmal.
I
Dossier thématique
Les anévrismes de l’aorte abdominale
(AAA)
Pierre Julia*
Épidémiologie
Il semble exister une augmentation de fréquence des
AAA dans la population des
pays industrialisés et en particulier dans la population
âgée. Les chiffres de décès
liés à un AAA sont en augmentation dans de nombreux
pays, en particulier aux
États-Unis, mais aussi en
Grande-Bretagne, au Danemark et en Australie. Dans
une étude de la Mayo Clinic,
il est fait état d’une augmentation d’un facteur 7 de l’incidence des AAA, passant
L
’anévrisme aortique se définit comme une dilatation
aortique avec perte du parallélisme des bords et augmentation du diamètre aortique de plus de 50 % par rapport
au diamètre de l’aorte saine en amont de cette dilatation. Sa
prévalence dans la population générale a augmenté ces dernières années, au moins partiellement du fait, d’une pratique
plus répandue du dépistage systématique en particulier par
échographie-doppler. La plupart des anévrismes de l’aorte
abdominale (AAA) sont totalement asymptomatiques et leur
histoire naturelle est restée un sujet de controverse en particulier en ce qui concerne leur risque de rupture qui était
estimé de façon globale à environ 6 % par an, mais qui
dépend essentiellement de leur diamètre maximal. La chirurgie conventionnelle est représentée essentiellement par
la mise à plat-greffe effectuée selon des modalités
variables. Le traitement endovasculaire développé depuis
1991 repose sur l’utilisation d’ endoprothèses aortiques qui
ont démontré leur faisabilité, mais dont le bénéfice réel
pour le patient demande encore à être précisé. Enfin le
traitement des anévrismes rompus reste décevant, la
chirurgie conventionnelle fait état de quelques progrès,
mais avec une mortalité encore très élevée, le traitement
endovasculaire en est encore à ses débuts, mais les
premières expériences font penser qu’il pourrait s’agir de
la méthode de choix quand elle est réalisable.
II
de 4,7 pour 100 000 dans les
années 1950, à 32 pour
100 000 à la fin des années
1970. Le sex-ratio est
variable de 3 à 8 hommes
pour une femme, mais la
prédominance masculine est
une constante remarquable
de toutes les études. L’âge
est aussi un facteur influençant notablement l’incidence
des AAA : de 83 pour
100 000 chez l’homme de
50 à 60 ans, celle-ci atteint
500 pour 100 000 chez
l’homme de plus de 80 ans.
Le sex-ratio diminue avec
l’âge, mais la prédominance
masculine reste significative.
Il existe également une prévalence plus importante des
AAA chez les sujets de race
blanche comparés aux sujets
de race noire, cette différence
étant surtout nette chez les
sujets de sexe masculin.
L’augmentation de la fréquence observée des AAA
pourrait être due en partie à
l’amélioration des outils
diagnostiques et en particulier l’échographie-Doppler,
cela étant particulièrement
vrai pour les petits anévrismes asymptomatiques
non compliqués. Il semble
cependant que la prévalence
des anévrismes plus volumineux et compliqués soit, elle
aussi, en augmentation, puisque la mortalité standardisée, liée à un AAA, a augmenté de façon majeure
entre les années 1950 et les
années 1980. Tout cela pouvant faire conclure à une
augmentation vraie de l’incidence des AAA.
Au cours de ces dernières
Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 3, juillet/août/septembre 2002
années, de nombreuses études de dépistage ont été
publiées, qui ont permis de
mieux évaluer l’incidence
épidémiologique des AAA.
Ces études reposent principalement sur l’échographieDoppler. Elles ont surtout
permis de mettre en évidence
des différences notables en
rapport avec le diamètre
anévrismal. En effet, chez les
hommes de 60 à 70 ans, on
retrouve un très petit AAA
(2,5 à 3 cm) chez 5 à 9 % de
la population. Un anévrisme
clinique de 5 cm de diamètre et plus n’est retrouvé que
dans 0,5 à 1,5 % de la population. Les petits anévrismes
(3,5 à 4 cm) sont retrouvés
dans 1,5 à 4 % de cette
population. De plus, une
étude anglaise récente a
montré le bénéfice d’une
mesure unique du diamètre
de l’aorte abdominale à
l’âge de 65 ans. En utilisant
comme valeur seuil 3 cm de
diamètre, cette étude a montré que cette mesure unique
permettait d’évaluer les patients qui seront à risque
dans les dix ans à venir et
qui doivent bénéficier de
contrôles par échographiedoppler régulièrement. Une
étude danoise a montré, sur
plus de 12 000 patients, le
bénéfice du dépistage systématique des AAA dans une
population d’hommes âgés
de 65 à 73 ans. Le dépistage
semble efficace en permettant une réduction de la
* Service de médecine vasculaire, hôpital Georges-Pompidou,
Paris.
Dossier thématique
mortalité hospitalière des
AAA et apparaît comme un
moyen rentable de réduire
les coûts liés à cette mortalité.
Des résultats comparables
ont été publiés récemment
au Royaume-Uni sur une
population plus réduite
(6 058 patients). Un point
important souligné dans
cette dernière étude était le
fait que le bénéfice du
dépistage était largement
dépendant de la compliance
des patients aux examens
avec près de 80 % des décès
du groupe contrôle attribuables au refus des patients
de passer la première échographie ou à leur inobservance du suivi du protocole.
D’autres études ont souligné
l’intérêt de dépister les
patients de sexe masculin,
jumeaux d’un patient porteur
d’un AAA. En revanche, le
dépistage systématique des
AAA dans la population
féminine ne semble rentable
ni cliniquement ni économiquement.
Les facteurs de risque des
AAA ont longtemps été
source de controverses multiples. L’étude ADAM (Aneurysm Detection and Management) a permis de mieux
les préciser : parmi eux, le
tabagisme est le plus fortement corrélé à un AAA de
plus de 40 mm de diamètre.
L’association entre AAA et
tabagisme croît avec le
nombre d’années d’intoxication. À l’opposé, le sexe
féminin, la race noire et la
présence d’un diabète sont
corrélés négativement avec
la présence d’un AAA. Les
facteurs familiaux sont for-
tement influents mais étaient
présents chez seulement 5 %
des participants ; ils ont donc
une influence individuelle
forte, mais une influence
réduite à l’échelle d’une
population. D’autres facteurs, tels l’âge, la présence
d’une atteinte coronarienne,
d’une atteinte athéromateuse
de n’importe quel territoire,
d’une hypercholestérolémie
et d’une hypertension ont
été corrélés positivement
avec la présence d’un AAA,
mais de façon moins importante.
Quoi qu’il en soit, tous les
anévrismes dépistés ne doivent pas systématiquement
être traités rapidement. En
effet, en dehors des complications évolutives, telles un
syndrome de compression
de voisinage ou des accidents emboliques, la principale complication est la rupture, et celle-ci survient
dans un délai très variable
en fonction de la taille anévrismale. Le risque de rupture a été évalué en fonction
de la taille depuis plusieurs
années : faible pour les AAA
inférieurs à 5 cm, atteignant
9 et 12,5 % par an respectivement sur des modélisations pour des diamètres respectifs de 6,5 et 7,5 cm. Les
études récentes sur les petits
anévrismes effectuées au
Royaume-Uni et dans les
Veterans Hospitals aux ÉtatsUnis ont permis d’affiner
singulièrement ces modèles.
En effet, dans ces études, le
risque annuel de rupture des
AAA inférieurs à 5,5 cm de
diamètre était de l’ordre de
1 %. À l’inverse, le suivi de
patients inopérables ou ayant
refusé l’intervention, récemment rapporté par l’équipe
des “Veterans”, conclut de
façon formelle à un risque
de rupture évoluant exponentiellement avec le diamètre : 9,4 % par an pour
des diamètres compris entre
5,5 et 5,9 cm, 19 % par an
pour des diamètres compris
entre 6,5 et 6,9 cm et 32 %
par an si le diamètre est
supérieur ou égal à 7 cm.
L’étude anglaise sur les
petits anévrismes publiée en
1998 dans le Lancet a porté
sur plus de 1 000 patients
randomisés entre 1991 et
1995. Avec un suivi de plus
de 4 ans et une mortalité
opératoire de 5,8 %, cette
étude n’a pas mis en évidence
de différence de mortalité
entre le groupe des opérés et
le groupe suivi par échographie à tous les intervalles de
temps considérés. La conclusion de cette étude fut l’absence de bénéfice apporté
par une chirurgie précoce
pour le groupe des anévrismes compris entre 4 et
5,5 cm de diamètre. À noter
que parallèlement les auteurs
ont suivi des patients porteurs d’anévrismes plus larges
et n’ayant pas été opérés : leur
conclusion est clairement en
faveur d’une augmentation
considérable du risque de rupture lorsque le diamètre anévrismal dépasse 6 cm.
Au mois de mai 2002 sont
parus dans le même numéro
du New England Journal of
Medicine deux articles complémentaires sur le même
thème. Le premier rapporte
les résultats de l’étude ADAM
III
Dossier thématique
sur la survie relative de deux groupes
de patients opérés
précocement ou
surveillés tous les
six mois par échoArtériographie de l’aorte abdomi- graphie-Doppler. Malgré une
nale anévrysmale.
mortalité opératoire faible de
2,7 %, aucun bénéfice en
termes de survie ne fut mis en
évidence dans le groupe
opéré par rapport au groupe
surveillé. Ces résultats étant
remarquablement parallèles à
ceux de l’étude anglaise de
1998. Le deuxième article
rapporte les résultats à long
terme de cette même étude
anglaise avec un suivi de huit
ans. La stabilité des résultats
obtenus est remarquable avec
encore une fois une survie
moyenne comparable dans les
deux groupes. Il faut noter
cependant que la mortalité
globale à huit ans fut inférieure dans le groupe des opérés,
et qu’une des raisons possibles pour expliquer cette
différence était un meilleur
contrôle des facteurs de
risque et en particulier l’arrêt
de l’intoxication tabagique
dans le groupe des patients
opérés précocement.
Au total, ces études montrent
que la surveillance des anévrismes inférieurs à 5,5 cm de
diamètre est une attitude fournissant des résultats équivalents de ceux de la chirurgie
précoce à condition d’assurer
un suivi parfait des patients
par échographie-Doppler biannuelle. La cure chirurgicale
peut cependant être proposée
en particulier chez les femmes ou chez les patients désirant fortement se faire opérer
et sous couvert d’une excellente espérance de vie. Les
IV
équipes chirurgicales doivent
avoir des résultats plus que
corrects avec, en particulier,
une mortalité nettement inférieure à 5 %. Une remar-que
cependant est la forte proportion des patients qui, avec le
temps, rejoignent le groupe
chirurgical (80 % si le diamètre initial de l’anévrisme
était compris entre 5 et
5,5 cm). Ce fait traduit simplement l’évolution naturelle
des AAA. Les indications
opératoires de la majorité des
équipes chirurgicales ne vont
pas être radicalement modifiées par ces résultats : en effet,
aujourd’hui, nous opérons les
patients pour des anévrismes
de diamètre égal à 5 cm ou
plus. La grande majorité de
ces anévrismes atteindront la
valeur fatidique de 5,5 cm au
cours de l’année suivante ; il
semble donc licite de proposer à ces patients un traitement chirurgical relativement
rapide.
Circonstances
de découverte
des anévrismes
Il peut s’agir de complications
plus ou moins bruyantes :
embolie artérielle, compression urétérale, syndrome
douloureux abdominal, dysphagie. Rarement, c’est la
palpation d’une masse battante abdominale par le
patient lui-même ou un praticien. Le plus souvent
actuellement, les AAA sont
découverts fortuitement lors
d’examens pratiqués pour
d’autres causes. Il peut s’agir
de causes cardiovasculaires :
Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 3, juillet/août/septembre 2002
échographie-Doppler aortique demandée pour le
bilan d’une autre atteinte
athéromateuse coronarienne
ou carotidienne. Il s’agit
également souvent d’une
échographie abdominale ou
prostatique pour des pathologies abdominales ou urologiques ; ou d’un scanner
du rachis lombaire lors d’un
bilan pour lombalgies. En
fonction de la taille du diamètre maximal mesuré lors
de ce premier examen morphologique, l’une des deux
attitudes suivantes est adoptée : surveillance échographique régulière ou bilan
préopératoire rapide.
Bilan préopératoire
d’un anévrisme
de l’aorte abdominale
Lorsque la décision d’intervenir a été prise, un double
bilan est nécessaire : général
du patient et morphologique
de l’anévrisme.
Le bilan général doit comporter l’étude des autres territoires artériels touchés potentiellement par l’athérome :
essentiellement les coronaires
et les troncs supra-aortiques.
En ce qui concerne les coronaires, il n’y a pas de consensus général sur les examens
nécessaires en préopératoire.
Chez les patients symptomatiques cliniquement ou avec
des signes électrocardiographiques d’atteinte coronaire,
la coronarographie sera systématique. Chez les patients
asymptomatiques, certaines
équipes, comme la nôtre,
sont favorables à la corona-
Dossier thématique
rographie systématique, doublée dans les cas difficiles
d’une épreuve d’ischémie
myocardique type scintigraphie ou plutôt actuellement
échographie-dobutamine.
Pour d’autres, ce sont les
épreuves d’ischémie myocardique qui sont faites en
première intention et la
coronarographie n’est pratiquée qu’après les résultats
positifs de la première
épreuve. Le but de ce dépistage de lésions coronariennes n’est pas tant une
réduction du risque périopératoire d’événements
myocardiques qu’une amélioration de la survie à
moyen et long termes de ces
patients. En effet, l’étude de
la survie des patients opérés
d’AAA montre que les événements cardiaques sont
responsables de plus du tiers
des décès lors du suivi. En
ce qui concerne les troncs
supra-aortiques, la pratique
d’une échographie-Doppler
est systématique en préopératoire afin de dépister une
sténose carotidienne interne
serrée (supérieure à 70 %),
dont la cure chirurgicale
pourra être nécessaire soit
avant, soit pendant le geste
sur l’anévrisme.
Parmi les autres examens
complémentaires nécessaires,
les épreuves fonctionnelles
respiratoires sont essentielles
et devront conduire à faire
pratiquer des séances de
kinésithérapie respiratoire
préopératoires. L’utilité de
celles-ci a été démontrée
avec pour conséquence principale une réduction du
temps d’intubation postopé-
ratoire des patients insuffisants respiratoires.
Un bilan biologique standard
aura surtout pour but de
dépister une insuffisance
rénale préopératoire pouvant
limiter les examens complémentaires iodés, et dont on
sait qu’elle est un facteur
aggravant du pronostic.
Le bilan morphologique de
l’anévrisme repose sur l’échographie initialement, mais la
référence actuelle est la tomodensitométrie. Les scanners
multibarettes actuels permettent l’acquisition de très
nombreuses images en des
temps très courts et d’effectuer des reconstructions
très précises. Ils nécessitent
cependant une irradiation et
l’injection de produit de
contraste iodé. L’angio-IRM
est en cours d’évaluation
pour les bilans d’anévrismes ;
elle ne nécessite pas de produits iodés et n’entraîne pas
d’irradiation, mais elle est
très peu performante sur les
calcifications et n’est pas
aussi disponible que les
scanners. L’artériographie
est aujourd’hui de moins en
moins utilisée ; elle permet
cependant de visualiser parfaitement les artères rénales,
les artères digestives, les
lombaires et les iliaques. De
plus, actuellement, elle est
l’examen le plus fiable pour
effectuer les mesures précises
de longueur des collets et des
segments artériels nécessaires quand on évoque la
possibilité de traitement
endovasculaire par mise en
place d’une endoprothèse
aortique.
C’est dans ces cas que le
bilan morphologique doit
être le plus précis, et parmi
les critères nécessaires, on
retiendra surtout l’existence
d’un collet sous-rénal d’au
moins 15 mm de long, faisant un angle de moins de
40 ° avec l’axe aortique, peu
calcifié, et ne contenant pas
de thrombus. Le deuxième
critère incontournable, avec
les endoprothèses commercialisées actuellement, est
l’existence d’artères iliaques
larges avec tortuosités et
calcifications réduites. Le
bilan morphologique avant
chirurgie conventionnelle
peut être plus limité et réduit
à un scanner ou à une IRM
seule. Les points importants
à connaître en préopératoire
sont le nombre et la topographie des vaisseaux rénaux,
l’existence éventuelle d’anomalies veineuses rénales ou
caves et l’état des artères
iliaques pour prévoir à
l’avance le geste probable qui
sera réalisé.
Le traitement des anévrismes de l’aorte abdominal est
aujourd’hui partagé entre la mise à plat-greffe chirurgicale et
le traitement endovasculaire par mise en place d’endoprothèses réalisant l’exclusion du sac anévrismal.
La mise à plat-greffe
C’est le traitement classique
réalisé initialement par voie
xypho-pubienne et actuellement de plus en plus par
voie mini-invasive, voire
totalement laparoscopique.
Après contrôle et clampage
de l’aorte sous-rénale et des
artères iliaques, l’anévrisme
est ouvert longitudinalement
et les caillots sont évacués.
Les reflux sanguins prove-
V
Dossier thématique
nant des artères lombaires et
de l’artère mésentérique
inférieure sont aveuglés par
des sutures. Une prothèse
tubulaire ou bifurquée est
ensuite anastomosée en
mode termino-terminal sur
l’aorte sous-rénale en haut
et sur la bifurcation aortique
en bas ou bien sur les artères
iliaques ou fémorale selon
l’état des artères iliaques
primitives et externes. Une
fois l’étanchéité des sutures
confirmée, les clamps sont
enlevés et la poche anévrismale refermée sur la prothèse
vasculaire. Les résultats de
cette chirurgie sont excellents dans les publications
des centres spécialisés avec
des mortalités entre 1 et
4 %. Les études de population plus larges font état de
résultats moins brillants,
avec des mortalités comprises entre 5 et 10 %. Les
principaux facteurs de risque
de mortalité périopératoire
sont actuellement : une insuffisance respiratoire cardiaque
ou rénale préopératoire et la
survenue d’une hémorragie
ou d’une ischémie colique
postopératoire. L’expérience
du chirurgien et le volume
opératoire du centre sont
aussi des facteurs reconnus,
ce qui explique la disparité
des chiffres cité ci-dessus.
La morbidité de cette chirurgie n’est pas nulle avec, en
particulier, la possibilité de
survenue d’une décompensation respiratoire postopératoire nécessitant une ventilation prolongée et la survenue d’une insuffisance
VI
rénale nécessitant des séances
de dialyse transitoire, voire
définitive. Les résultats à
moyen et long termes de
cette chirurgie sont cependant très bons avec des survies de 75 % à 5 ans et de
50 % à 10 ans, les principales
causes de décès à distance
étant d’origine cardiaque ou
néoplasique. Les complications tardives liées à la prothèse vasculaire sont très
rares sont dominées par les
faux anévrismes anastomotiques et les fistules prothétodigestives. Le suivi morphologique d’un malade opéré
d’un AAA se résume principalement à un examen échoDoppler annuel pour vérifier le maintien de la qualité
du résultat obtenu et l’état
du lit artériel d’aval. Actuellement, de nombreuses équipes réalisent cette intervention par voie mini-invasive
en limitant la longueur des
incisions et en s’aidant des
technologies de vidéochirurgie. Les résultats sont en
faveur d’une réduction de la
douleur postopératoire et de
la durée d’hospitalisation,
mais aucune étude randomisée n’a été publiée à ce jour.
La technique totalement
laparoscopique est difficile
et nécessite un apprentissage long et, encore actuellement, une augmentation
substantielle des temps de
clampage pour réaliser les
anastomoses. Elle reste
aujourd’hui en expérimentation dans certains centres
spécialisés.
Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 3, juillet/août/septembre 2002
Le traitement endovasculaire par mise
en place d’endoprothèses
Depuis les premières expériences de Parodi en 1991,
les endoprothèses aortiques
se sont développées très vite
et ont évolué pour répondre
aux besoins très particuliers
de cette technique. Le principe général est l’exclusion
du sac anévrismal de la circulation sanguine au moyen
d’une endoprothèse constituée d’un treillis métallique
recouvert d’une mince enveloppe de tissu : dacron ou
PTFE. L’étanchéité est obtenue au niveau du collet
sous-rénal et le plus souvent
au niveau des iliaques primitives par application de la
prothèse sur la paroi artérielle saine. Les différentes
endoprothèses utilisées nécessitent un abord chirurgical
d’une ou des deux artères
fémorales communes aux
Scarpa. Les prothèses le
plus souvent utilisées sont
de type modulaire, c’est-àdire composées de deux parties : une pièce principale
comportant le corps prothétique et un jambage, d’une
part, un jambage controlatéral, d’autre part. La mise en
place s’effectue en deux
étapes : montée de la pièce
principale sous les artères
rénales et largage de celleci, le moignon du jambage
controlatéral s’ouvre librement dans le sac anévrismal.
La deuxième étape comprend le cathétérisme de ce
moignon par voie contro-
Dossier thématique
latérale, puis la montée et le
largage du jambage controlatéral. Le temps moyen de
procédure est très variable
selon les difficultés techniques rencontrées : il peut
varier de 70 minutes à plusieurs heures. Cette procédure peut s’effectuer sous
anesthésie générale, mais
aussi sous anesthésie locorégionale, voire locale. La
faisabilité de cette technique
n’est plus à démontrer, et
le nombre d’endoprothèses
posées ces dernières années
n’a fait qu’augmenter. Le
succès technique primaire,
défini comme la mise en
bonne place de l’endoprothèse
est actuellement atteint dans
plus de 90 % des cas en respectant les conditions et les
contre-indications anatomiques et en pratiquant un
“sizing” parfait de l’anévrisme et de l’endoprothèse
en préprocédure. Le plus
souvent les suites immédiates sont très simples et
les patients peuvent regagner leur domicile dans les
jours suivant la mise en
place de la prothèse. La
morbidité immédiate n’est
cependant pas nulle, les
complications les plus fréquentes sont : locales aux
Scarpa, une insuffisance
rénale surtout si celle-ci est
préexistante, ischémiques
aux membres inférieurs, des
manifestations d’insuffisance
coronarienne, une ischémie
colique en particulier si une
ou les deux artères hypogastriques ont été sacrifiées.
Les complications artérielles
graves sont devenues rares :
mauvaise position de l’endoprothèse, couverture d’une
artère rénale, lésions artérielles iliaques, voire rupture
aortique. Elles étaient dues
essentiellement à une mauvaise appréciation des mesures artérielles en préprocédure.
Le suivi repose sur l’examen
clinique : les battements doivent disparaître au niveau de
l’anévrisme lui-même, mais
surtout sur les examens
morphologiques qui devront
être répétés régulièrement et
indéfiniment.
• Les clichés d’abdomen sans
préparation : ils permettent
de surveiller le squelette
métallique de l’endoprothèse,
le maintien de son intégrité
au cours du temps et l’absence de déformation à son
niveau. C’est aujourd’hui le
meilleur examen pour détecter les ruptures de stent dues
aux forces de contrainte qui
s’appliquent sur l’endoprothèse.
• L’échographie-Doppler :
examen non invasif et non
irradiant, il permet de surveiller le diamètre anévrismal et ses modifications au
cours du temps. Grâce à la
couleur, la détection de
fuites endoanévrismales ou
endofuites est possible. Il
reste cependant moins performant que le scanner.
• Le scanner abdominal sans
et avec injection de produit de
contraste est aujourd’hui le
meilleur examen de contrôle
des endoprothèses aortiques.
Malgré l’irradiation et la
néphrotoxicité des produits de
contraste, il doit être pratiqué
tous les six mois initialement,
puis une fois par an au minimum en cas d’évolution favorable, plus souvent devant la
survenue de complications. Il
permet la mesure
précise des différents
diamètres
anévrismaux, en
particulier antéropostérieur et transversal, et leur évolution dans le temps. Il visualise parfaitement l’endoprothèse au sein du sac anévrismal et le positionnement des
jambages. Aux temps tardifs,
il est actuellement le meilleur
moyen de détecter des endofuites.
Endoprothèse aortique
abdominale.
Celles-ci ont été classées en
quatre types :
Type I : ces fuites, survenant
au niveau des collets aortique
ou iliaques, sont donc proximales ou distales ; elles n’ont
aucune tendance à la disparition spontanée et nécessitent
un geste de correction le plus
souvent endovasculaire :
angioplastie pour mieux
appliquer l’endoprothèse sur
la paroi artérielle ou le plus
souvent mise en place d’une
endoprothèse supplémentaire
en pont pour assurer l’étanchéité.
Type II : ces fuites par réinjection sont liées à la perméabilité persistante d’artères
lombaires et/ou de l’artère
mésentérique inférieure. Très
fréquentes en postprocédure
immédiate (jusqu’à 30 % des
cas), elles n’auraient pas pour
certains le même effet délétère que les autres types. Elles
sont traitées par voie endovasculaire en réalisant des embolisations hyper-sélectives des
artères concernées.
Type III : ces fuites sont
liées à l’endoprothèse ellemême. Elles sont dues à une
dégradation de l’enveloppe
VII
Dossier thématique
de dacron ou de PTFE, ou à
une disjonction entre deux
composants : corps principal
et jambage, par exemple.
Leur traitement peut souvent
être réalisé par voie endovasculaire au prix de la mise en
place d’endoprothèses supplémentaires, mais parfois
une conversion chirurgicale
est nécessaire.
Type IV : ce type de fuite très
particulier est lié à la minceur des matériaux employés pour la constitution
des endoprothèses et à leur
porosité. Importantes initialement pour certains types de
dacron, et considérées
comme nulles pour le PTFE,
elles évolueraient spontanément vers la disparition dans
l’immense majorité des cas.
Le but du traitement des anévrismes est de faire disparaître le risque de rupture.
Celui-ci est lié au diamètre
anévrismal et à son augmentation progressive au cours
du temps. Dans plus d’un
tiers des cas après mise en
place d’endoprothèse, on
note une réduction progressive des diamètres anévrismaux avec parfois une
quasi-disparition de l’anévrisme, la paroi aortique
venant se collaber contre les
parois de l’endoprothèse.
Dans ces cas extrêmement
favorables, l’efficacité du
traitement est certaine, et une
simple surveillance annuelle
par scanner est suffisante.
Dans plus de la moitié des
cas, les diamètres anévrismaux ne changent quasiment
pas et on peut considérer que
la croissance anévrismale a
été stoppée par la mise en
place de l’endoprothèse. Une
surveillance régulière est
cependant nécessaire car une
dilatation progressive au
niveau des collets peut survenir, en particulier au niveau
proximal, pouvant conduire à
l’apparition de fuites secondaires. Enfin, dans 10 % des
cas environ, malgré l’absence de toute fuite visible,
l’anévrisme continue à augmenter de volume. Ce phénomène est dû au maintien
d’une pression trop importante à l’intérieur du sac anévrismal et a reçu le nom
d’endotension. Sa cause
principale serait la persistance de communications entre
le sac anévrismal et les vaisseaux afférents (lombaires et
mésentérique inférieure) par
l’intermédiaire de thrombus.
Ces caillots empêcheraient la
survenue d’une fuite visible
mais pourraient transmettre
la pression systémique au
thrombus endoanévrismal et
ainsi à la paroi de l’anévrisme. Le risque de rupture
n’est bien sûr pas prévisible
chez ces patients, et une
conversion chirurgicale est
nécessaire.
Au total, aujourd’hui, on
peut considérer que le traitement endovasculaire des
anévrismes de l’aorte abdominale est réalisable dans de
bonnes conditions anatomiques chez environ 60 %
des patients présentant cette
pathologie. Les avantages de
cette méthode sont bien
définis : meilleur confort
pour le patient et réduction
de la morbimortalité immédiate par rapport à la chirurgie conventionnelle. Les
VIIILe Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 3, juillet/août/septembre 2002
inconvénients sont cependant non négligeables :
nécessité d’une surveillance
lourde poursuivie indéfiniment, absence de critères
permettant d’affirmer une
prévention définitive du
risque de rupture car, dans
les grandes séries type
EUROSTAR, le risque de
rupture annuelle est d’environ
1 %, ce qui est à peu près le
risque spontané pour la taille
des anévrismes traités. Les
indications sont donc difficiles à poser, et les recommandations de l’AFSSAPS sont
les suivantes : âge supérieur
à 65 ans et existence d’au
moins un critère de comorbidité important de la chirurgie conventionnelle. En
pratique, une insuffisance
respiratoire majeure, une
insuffisance cardiaque grave
ou un abdomen hostile représentent actuellement les meilleures indications en respectant bien sûr les contraintes
anatomiques de la méthode et
en particulier la qualité du
collet sous-rénal.
Les ruptures
d’anévrisme de
l’aorte abdominale
Les principaux facteurs de
risque de rupture d’un AAA
sont en premier lieu la taille,
les autres facteurs moins
importants sont le sexe
féminin, le tabagisme, une
hypertension artérielle et
une altération de la fonction
respiratoire. Ces facteurs
sont retrouvés dans la plupart des grandes séries
Dossier thématique
d’AAA rompu. Concernant
la physiopathologie de la
rupture, de nombreuses inconnues persistent, avec en particulier le rôle exact du
thrombus intra-anévrismal.
On a longtemps pensé qu’il
avait un effet protecteur
purement mécanique en diminuant la tension pariétale au
niveau des parois anévrismales. Mais son rôle délétère
semble actuellement prédominant, en particulier au
niveau des collets, de par
l’activation enzymatique qui
a lieu à son niveau et la présence de métalloprotéinases
MMP 9 et MMP 2 corrélées
respectivement à l’évolution
vers la rupture et à l’expansion.
Clinique
L’aspect le plus typique est
celui d’un syndrome douloureux abdominal brutal
accompagné au moins d’une
lipothymie ou au maximum
d’un choc hémorragique. La
douleur est quasiment constante, mais sa localisation est
variable : périombilicale évoquant une urgence chirurgicale digestive ou lombaire
avec d’éventuelles irradiations lombo-sacrées ou vers
les organes génitaux pouvant faire évoquer une
pathologie rhumatologique
ou urologique. L’hémodynamique est fonction du caractère contenu ou non de la
rupture : effondrée dans les
ruptures en péritoine libre,
elle peut être stable dans les
formes contenues dans le
rétropéritoine. En pratique,
ces deux formes extrêmes
résument bien les situations
cliniques rencontrées : grande
urgence hémorragique où le
patient est transféré directement en salle d’opération
pour une laparotomie immédiate ; ou syndrome douloureux abdominal à hémodynamique stable permettant la
réalisation d’examens complémentaires et l’installation
d’une réanimation parentérale
dans les meilleures conditions : c’est dans ces formes
que les résultats opératoires
sont les meilleurs.
Examens complémentaires
L’échographie abdominale
est souvent l’examen le plus
rapidement accessible. Elle
permet le diagnostic de rupture d’AAA dans 90 % des
cas en mettant en évidence
l’anévrisme lui-même et un
hématome rétropéritonéal.
Elle peut être gênée par
l’obésité, le météorisme et
l’intensité du syndrome douloureux abdominal. Dans les
formes à hémodynamique
instable, c’est souvent le
seul examen dont on disposera en préopératoire.
La tomodensitométrie est
aujourd’hui le meilleur examen préopératoire quand
l’état hémodynamique du
patient le permet. Les appareils multibarettes permettent la réalisation de l’examen
en des temps très courts, dès
l’arrivée du patient aux
urgences du centre hospitalier. Elle montre l’hématome
rétropéritonéal et souvent
donne une bonne indication
sur le point de rupture. Par
ailleurs, elle définit parfaitement les limites de l’anévrisme, sa localisation par
rapport aux artères rénales,
l’implication ou non des
artères iliaques primitives et
l’existence d’anomalies veineuses particulièrement redoutables dans ce contexte de
chirurgie d’urgence. Récemment, des signes de prérupture
chez des patients présentant
un syndrome douloureux
abdominal sans hématome
rétropéritonéal ont été mis
en évidence par des équipes
radiologiques. Il s’agit de la
disparition du thrombus en
regard d’une zone de la
paroi aortique, et du “signe
du croissant” : opacification
en demi-lune d’une portion
du thrombus signifiant une
fragilisation de celui-ci et
devant conduire à une intervention en semi-urgence.
L’artériographie n’est quasiment plus utilisée aujourd’hui dans le contexte des
ruptures d’anévrisme de
l’aorte abdominale.
Formes cliniques
particulières
Du fait des adhérences possibles entre l’anévrisme et
les structures de voisinage,
la rupture peut se faire de
façon rare dans le tube
digestif ou dans la veine
cave inférieure donnant lieu
à des tableaux cliniques particuliers.
Les fistules aorto-digestives
primaires sont très rares et
s’expriment par des hémorragies digestives de formes
très variables. Il peut s’agir
d’hémorragies massives de
sang rouge, extériorisées par
voie haute ou basse ou au
contraire d’hémorragies de
faible abondance le plus sou-
IX
Dossier thématique
vent sous forme de maelena.
Le collapsus hémodynamique
peut être au premier plan,
associé aux hémorragies
abondantes, le pronostic est
ici particulièrement sombre.
Plus souvent, il est minime,
sous forme d’une lipothymie
initiale, l’attention étant attirée secondairement par les
hémorragies digestives basses
ultérieures. Le diagnostic
repose sur les examens complémentaires : échographie en
urgence dans les formes cataclysmiques mettant en évidence l’AAA en préopératoire immédiat. Quand aucun
examen n’a pu être réalisé, le
diagnostic peut être fait en
peropératoire. Dans les formes plus chroniques, le diagnostic de fistule aorto-digestive peut être très difficile et
repose sur la mise en évidence d’une fuite de produit
de contraste dans le tube
digestif à partir d’une zone
d’adhérence entre celui-ci et
l’anévrisme. La tomodensitométrie et l’artériographie sont
actuellement les deux examens le plus utilisés.
Les fistules artérioveineuses
Elles sont dominées par les
ruptures dans la veine cave
inférieure mais peuvent concerner les veines iliaques ou la
veine rénale gauche. Leur
fréquence est d’environ 3 %.
La tolérance hémodynamique est souvent bonne, et les
signes cliniques sont représentés par une douleur abdominale, une masse battante
et un souffle continu à renforcement systolique.
Les signes d’hyperpression
veineuse sont parfois impor-
X
tants avec dilatations veineuses majeures des deux
membres inférieurs et du
petit bassin, et même hématurie avec insuffisance rénale.
Une surcharge cardiaque
droite avec insuffisance cardiaque aiguë peut se voir
dans les fistules à gros débit.
Les examens complémentaires sont ici dominés par
l’échographie-Doppler qui
permet le diagnostic, le plus
souvent en mettant directement en évidence la fistule.
L’angioscanner, dans les cas
difficiles, montrera une opacification quasi simultanée
de la veine cave inférieure et
de l’aorte aux temps précoces affirmant ainsi le diagnostic. Dans les formes
hémodynamiquement graves,
le diagnostic pourra n’être
fait qu’en peropératoire.
Indications thérapeutiques
Tout anévrisme de l’aorte
abdominale rompu justifie a
priori d’un traitement urgent
qui repose aujourd’hui, le
plus souvent, sur la chirurgie conventionnelle, mais où
la place du traitement endovasculaire pourrait se développer dans un avenir proche.
La prise en charge adaptée
de ces patients est essentielle
dès la phase initiale. En
effet, ils se présentent le
plus souvent avec une hypotension qu’il faut savoir respecter, une pression systolique comprise entre 50 et
70 mmHg étant tout à fait
compatible avec une survie
sans séquelles. La réanimation doit donc être adaptée
et doit éviter l’usage trop
abondant de perfusion de
solutés crystalloïdes abou-
Le Courrier de Médecine Vasculaire (2), n° 3, juillet/août/septembre 2002
tissant à la dilution des facteurs de coagulation et, par
ailleurs, au maintien de l’hémorragie par une élévation
artificielle de la pression
artérielle. Le transfert rapide
en centre chirurgical spécialisé doit être effectué dès
que possible et le malade
conduit en salle d’opération
immédiatement si le diagnostic est fait, comme nous
l’avons vu précédemment.
La voie d’abord est une
laparotomie médiane xyphopubienne et l’aorte doit être
clampée au niveau supracœliaque. L’anévrisme peut
alors être ouvert, et une prothèse rapidement implantée,
le plus souvent au niveau
sous-rénal. On déclampe
alors l’aorte cœliaque et la
perfusion rénale et digestive
est reprise après une interruption d’environ 30 minutes.
La suture distale est faite
soit si possible sur la terminaison aortique, soit si
nécessaire sur les artères
iliaques, voire les artères
fémorales. La première possibilité semblant la meilleure
du fait d’un temps plus court
de réalisation. Dès le déclampage effectué et l’hémostase assurée, des unités
plaquettaires et des facteurs
de coagulation sont transfusés au patient de même que
les unités de globules rouges
nécessaires.
Malgré les progrès de la
prise en charge médicalisée,
des structures d’accueil
d’urgences et de centres
spécialisés effectuant un
grand nombre de ces interventions, il est important de noter
que les conséquences sur les
chiffres de mortalité sont limi-
Dossier thématique
tées. En effet, tout d’abord,
environ la moitié des patients
avec une rupture d’AAA n’atteignent pas vivants une structure hospitalière.
Parmi les patients opérés jusqu’à une période récente, il
était admis que la mortalité
variait entre 30 et 70 % selon
les séries, avec une moyenne
autour de 50 %. Une métaanalyse récente a montré qu’il
existe une réduction modérée
mais constante avec le temps
d’environ 3,5 % tous les
dix ans de la mortalité. Pour
l’année 2001, la mortalité de
l’ensemble des cas publiés est
de 41 %.
Dans ces conditions, il est
logique de s’interroger sur les
facteurs de risque de mortalité
afin de déterminer quels sont
les patients les plus graves et
d’en tirer les conséquences
nécessaires pour une prise en
charge optimale. Parmi les
nombreuses publications présentant des données sur ce
sujet, on peut retenir celle de
Hardman et al., qui fait état,
dans une série de 154 patients,
d’une mortalité de 39 %. Les
auteurs retrouvent cinq facteurs indépendants principaux
associés à une surmortalité :
l’âge (> 76 ans), créatinine
> 190 mmole/l, une perte de
connaissance après l’arrivée à
l’hôpital, une hémoglobine
< 9 g, et des signes ischémiques à l’ECG. Quand un
seul facteur était présent, la
mortalité fut de 37 % ; elle a
atteint 72 % avec deux facteurs, et 100 % avec trois facteurs ou plus. Chez les quelques patients sans aucun de
ces facteurs, la mortalité fut de
16 %. L’intérêt de ce papier est
double : d’abord, les facteurs
sont simples à déterminer en
préopératoire et donnent
d’emblée une idée du pronostic général du patient. Plus
important encore, ces facteurs
ont été confirmés par une
autre étude ultérieure qui les a
appliqués rétrospectivement à
une série de 79 patients avec
des résultats tout à fait similaires.
Il ne semble pas éthique de
refuser une intervention à des
patients se présentant avec une
rupture d’anévrisme sur la
base de tels critères, mais ils
sont une bonne aide à l’évaluation du pronostic et à une prise
de décision postopératoire en
particulier sur l’arrêt de la
réanimation dans les formes
particulièrement graves.
Actuellement les endoprothèses aortiques sont largement
utilisées pour le traitement des
anévrismes présentant des critères anatomiques favorables.
Compte tenu des résultats de
la chirurgie conventionnelle, il
était logique de s’interroger
sur la faisabilité de cette
méthode pour le traitement
des AAA rompus. Après des
travaux initiaux, l’équipe de
Veith, à New York, a publié en
2000 une série de 25 patients
avec une rupture d’AAA dont
20 ont pu être traités par une
endoprothèse, la mortalité a
été de 8 %. Plus récemment
Lachat et l’équipe de Zurich
ont publié une série de 21
patients traités sous anesthésie
locale après un bref passage
au scanner afin de préciser la
taille de l’endoprothèse nécessaire. Leurs résultats sont
remarquables, avec une mortalité à 30 jours de 9,5 %. Il est
possible que, dans les années à
venir et pour les patients dont
l’anatomie est favorable, le
traitement endovasculaire devienne la règle.
Conclusion
Les anévrismes de l’aorte
abdominale sont une pathologie dont l’incidence augmente avec le vieillissement
de la population ; ils sont
devenus un problème de santé
publique majeur. Leur dépistage de masse semble réalisable par échographie et un
examen unique chez tous les
hommes âgés de 65 ans permet une détection des aortes
anormales et la mise en place
d’un suivi échographique. Les
études récentes sur les petits
anévrismes (< 5,5 cm) ont
montré qu’une surveillance
échographique régulière, avec
une excellente compliance des
patients, permettait d’obtenir
une survie globale équivalente
de la chirurgie précoce. Les
indications se partagent entre
la chirurgie conventionnelle et
les endoprothèses, ces dernières devant encore faire la
preuve de leur efficacité à
long terme pour la prévention
du risque de rupture qui est le
but ultime du traitement. En
ce qui concerne la complication majeure de cette pathologie qui est la rupture, les
progrès de la chirurgie et de la
réanimation ne se traduisent
que par une amélioration
modérée des chiffres de mortalité. Il est possible que le
traitement endovasculaire
prenne le pas sur la chirurgie conventionnelle.
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XI
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