La Lettre du Cardiologue - n° 394 - avril 2006
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puis, entre autres, chez Rousseau (Du contrat social, 1762) et
chez Kant (Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785).
Pour le premier, le sujet pensant s’assure de son existence per-
sonnelle ; il en découvre la certitude au terme du doute métho-
dique ; et dans l’action, le sujet cartésien exerce son libre arbitre,
cette liberté de la volonté. Pour le second, l’homme se libère des
lois divines ou des lois de la nature, en se soumettant à la
contrainte de sa raison législatrice universalisante, dans le cadre
d’un contrat social. Chez Kant, l’autonomie forge la personna-
lité du sujet moral, assure sa dignité, le rendant capable de se
constituer législateur de sa propre loi. Ces fondements vont ame-
ner peu à peu la médecine à considérer le patient (qu’il soit psy-
chiquement apte, ou non) comme un partenaire et un acteur du
soin. Avant le
XX
esiècle, la question n’est pas posée en termes de
consentement, mais d’appel à l’intelligence du sujet et à son acti-
vité d’être raisonnable (au sens d’être capable de raison et de
choix). C’est pourquoi la question de la relation est au cœur du
rapport entre soignant et soigné, relation faite d’explications
nécessaires, mais adaptées à chaque situation clinique. Bien que
non généralisée à l’ensemble de la médecine, des praticiens, dès
la première moitié du
XX
esiècle, développent une réflexion sur
la nature des rapports avec les patients et sur le degré d’implica-
tion de ces derniers dans les choix médicaux. Il faudra cependant
attendre la seconde moitié du siècle dernier et l’avancée fulgu-
rante de la recherche médicale pour que ces interrogations débou-
chent, effectivement, sur de nouvelles pratiques.
La seconde moitié du
XX
esiècle sera décisive : le progrès médi-
cal et les pratiques de soins avancent à grands pas. On découvre
les antibiotiques, les psychotropes ; la pharmacopée recense un
nombre croissant de médicaments efficaces ; les techniques
d’imagerie et de chirurgie progressent. De nouveaux domaines
sont explorés : la biologie moléculaire, la cancérologie, la géné-
tique, l’immunologie, etc. La médecine devient de plus en plus
efficace. Les médecins soignent et guérissent un nombre crois-
sant de maladies. Le médecin lui-même apparaît comme un fai-
seur de miracle, symbole d’une société en pleine évolution socio-
économique. Mais parallèlement, et très rapidement, de nouvelles
questions sont soulevées. La collectivité et les patients prennent
conscience des nouveaux enjeux de la médecine qui les concer-
nent directement : la nécessité de comprendre les avantages et
les inconvénients des choix thérapeutiques, le droit à accéder aux
progrès en termes de prévention, de dépistage et de soins, la pos-
sibilité de participer à la recherche clinique, moteur essentiel du
progrès mais aussi source de risques et de nouvelles incertitudes.
Par ailleurs, la médecine pose de nouveaux problèmes qui dépas-
sent largement le cadre scientifique et touchent directement à la
nature et au devenir de l’Homme : la procréation médicalement
assistée, les greffes, les tests génétiques, la prolongation de la
vie, etc. La société veut participer à des débats qui ont leur pro-
longement au sein de la relation médecin-patient. Quelle est la
place du malade dans la décision ? Comment le médecin doit-il
informer ses patients ? C’est-à-dire, in fine, quel est le véritable
rôle du médecin, acteur essentiel de la santé, dans la société de
demain, dans les processus d’information des patients ?
Cette évolution explique pourquoi désormais chacun souhaite
légitimement pour lui ou un proche, non seulement l’accès aux
meilleurs soins, mais également à la meilleure connaissance des
choix qui sont offerts, à travers leurs avantages et leurs risques,
à travers une information individuelle de qualité. Dans le cadre
particulier du débat sur le risque en médecine, soulignons que
les études montrent que les personnes ne refusent pas la notion
de risque (dont elles comprennent l’existence incontournable liée
à certaines pratiques médicales), mais refusent la notion de risque
caché et de non-dit. Elles souhaitent une explication des risques
afn de pouvoir faire un choix éclairé.
Ainsi, la médecine est très liée aux évolutions de la société, et la
maîtrise que le médecin a acquise en termes de savoir et de tech-
nologie accroît le poids de ses responsabilités. Ainsi, lorsqu’un
médecin prend une décision, il doit en évaluer les avantages, les
risques et les dérives éventuelles. Il doit partager ce questionne-
ment au sein de la relation médecin-patient. Les choix se situent
entre les risques présentés par la maladie et ceux que peuvent
comporter un traitement, une recherche ou une démarche de pré-
vention. Il doit partager cela avec le patient, mais en restant celui
qui guide et qui rassure, sans laisser le patient choisir seul sur-
tout face à des états de fragilité et de vulnérabilité. Le médecin
est en effet, à côté des patients, un des premiers à ressentir et à
connaître les angoisses de ces derniers, leurs doutes et leurs
attentes. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, le médecin sera
le garant d’une vigilance accrue et qu’il pourra parfois revendi-
quer de se substituer au libre choix du patient, après discussion
avec les proches, lorsqu’il estimera que le consentement du
patient n’est pas possible du fait de vulnérabilités physiques ou
psychiques trop importantes.
ÉVOLUTION MÉDICO-LÉGALE
DE L’INFORMATION ET DU CONSENTEMENT
DANS LES PRATIQUES DE SOINS
Jusqu’en 1936, la relation médecin-malade était considérée
comme une simple rencontre entre deux particuliers et l’on en
référait à deux articles du code civil qui précisaient que :
– “tout fait quelconque de l’homme qui a causé à autrui un dom-
mage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer” ;
– “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement
par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence”.
La notion de contrat en médecine n’apparaît en tant que telle d’un
point de vue juridique qu’en 1936. À ce moment, la chambre
civile de la Cour de cassation (arrêt du 20 mai 1936, dit arrêt Mer-
cier) expose clairement que : “Il se forme entre le médecin et son
client un véritable contrat comportant, pour le praticien, l’en-
gagement, sinon bien évidemment de guérir le malade du moins
de lui donner des soins non pas quelconques, mais consciencieux,
attentifs et, réserve faite des circonstances exceptionnelles,
conformes aux données acquises de la science. La violation même
involontaire de cette obligation contractuelle est sanctionnée par
une responsabilité de même nature, également contractuelle.”
Du fait de la définition désormais contractuelle de la relation
médecin-patient, la responsabilité du médecin peut dès lors être
engagée en cas de violation du contrat liant le médecin à son
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