
Le mur virtuel de Trump, Kenneth Rogoff, Professor of Economics and Public Policy at
Harvard University and… Project Syndicate
Kenneth Rogoff, Professor of Economics and Public Policy at Harvard University and recipient
of the 2011 Deutsche Bank Prize in Financial Economics, was the chief economist of the
International Monetary Fund from 2001 to 2003. The co-author of This Time is Different: Eight
Centuries of Financial Fol… read more. MAR 8, 2017. Traduit de l’anglais par Martin Morel
CAMBRIDGE – À de nombreux égards, le projet du Parti républicain visant à appliquer une « taxe
d’ajustement frontalier » aux États-Unis apparaît comme le complément virtuel du mur bien réel
que le président Donald Trump entend construire à la frontière mexicaine. Bien que la question
d’une taxe d’ajustement aux frontières ne soit pas ancrée dans la conscience du public aussi
profondément que la question du mur physique envisagé par Trump, cette taxe pourrait bien
impacter l’Américain moyen dans une mesure beaucoup plus importante – et pas nécessairement
favorable.
En surface, l’idée de base consiste à imposer une taxe d’environ 20 % sur les importations, ainsi
qu’à accorder, dans une mesure équivalente, un certain nombre d’allégements d’impôts du côté des
exportations. Réaction instinctive, la plupart des partisans populistes y voient une très bonne
nouvelle pour les emplois américains, puisqu’il s’agit d’encourager les exportations et de dissuader
les importations. Seulement voilà, comme le soulignent de nombreux observateurs, cette logique
néglige un important écueil : les États-Unis appliquent un système de taux de change flottants.
Un dollar plus fort – conséquence probable d’une taxe d’ajustement aux frontières – permet aux
Américains de payer moins cher leur importations (puisqu’un dollar équivaut à davantage en
devise étrangère) et rend réciproquement les exportations américaines plus coûteuses pour les pays
étrangers. L’hypothèse scolaire mise en avant consiste à affirmer que l’effet de change
contrebalancera intégralement la taxe, et que la balance commerciale demeurera inchangée. Si
vous pensez que la proposition des Républicains est une supercherie, vous avez sans doute raison,
mais nous y reviendrons.
Plusieurs économistes universitaires largement reconnus se disent favorables à l’idée d’un
ajustement frontalier, mais pour des raisons tout à fait différentes. Ils considèrent comme acquis
que le taux de change augmentera effectivement jusqu’à neutraliser les effets commerciaux d’une
taxe d’ajustement aux frontières, et cela ne leur pose pas de problème.
Pour commencer, les États-Unis importent bien davantage qu’ils n’exportent, et enregistrent par
conséquent un important déficit commercial, avec un déficit de « balance courante » (plus large
mesure) aux alentours de 2,5 % du PIB. Bien que ce chiffre se soit considérablement amélioré par
rapport aux déficits de 6 % du PIB observés aux États-Unis il y a dix ans, le pays importe encore
beaucoup plus qu’il n’exporte, ce qui signifie que le gouvernement peut espérer tirer bien
davantage de recettes de sa taxe de 20 % sur les importations que ce qu’il lui faudrait concéder aux
exportateurs en termes d’allégements fiscaux. En effet, le programme de taxe/subventions
pourrait, du moins sur le papier, lui rapporter chaque année près de 90 milliards $.
Et la magie ne s’arrête pas là. Bien que cela puisse surprendre ceux qui ont pour habitude de
considérer les importations et exportations comme un strict phénomène du « nous contre eux »,
près de la moitié de l’ensemble des échanges commerciaux sont en réalité des échanges intra-
entreprise – c’est-à-dire des transactions entre divisions étrangère et américaines d’une seule et
même société. Et dans la mesure où l’impôt sur les sociétés américaines compte parmi les plus
élevés au monde, les entreprises s’efforcent d’attribuer à leurs filiales situées à l’étranger autant de
valeur que possible, et un minimum de valeur à celles qui sont basées aux États-Unis.