Lettre ouverte à madame Najat Vallaud Belkacem, Ministre de «l’Edukation... Madame la Ministre,

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Lettre ouverte à madame Najat Vallaud Belkacem, Ministre de «l’Edukation Nazionale».
Madame la Ministre,
François Ier me fit langue officielle du royaume ; Rousseau se servit de moi pour ses
épanchements ; Voltaire m’utilisa pour transmettre son sarcasme philosophique ; Mallarmé me
transforma pour mieux me faire résonner; Proust m’allia aux fonctions sensorielles pour
retrouver les souvenirs qui jalonnèrent sa tendre enfance ; Céline me dérouta par l’oralité de son
discours, et enfin Roland Barthes m’étendit par ses néologismes. Et pourtant, je reste humble,
moi, l’éternelle langue française, nonobstant le fait que je fus de tout temps utilisée et servie par
de véritables génies du verbe et de la narration. Hélas ! ces temps semblent révolus. Suis-je
condamnée à être, à chaque gouvernement, dépréciée de la sorte, jusqu’à cette réforme dont
l’objectif est clairement de me couper de mes racines linguistiques ? Pourquoi vouloir me réduire
ainsi ? Pourquoi s’attaquer à moi, l’un des principaux fondements, sinon le principal, de ce qui fit
la grandeur culturelle de la France ? N’étais-je point la langue de l’élite européenne au XIXe
siècle ? Est-ce pour cela que je suis dorénavant la cible de votre politique de nivellement par le
bas ? Ceci me fait d’autant plus sourire, madame la Ministre, que vous présentez la culture
comme l’un des principaux remparts contre le fanatisme idéologique et religieux. Laissez-moi
donc vous rappeler que l’éducation consiste à élever le peuple à ma hauteur, et non de m’abaisser
à lui.
En outre, n’était-ce point un beau combat que celui livré par de jeunes étudiants pour tenter de
me dompter ? Je possède mes imperfections et mes illogismes, certes. On peut aisément s’en
rendre compte à la lumière d’une étude approfondie du latin ! Ce ne sera bientôt plus le cas,
compte tenu du sort qui lui est réservé… La richesse de mes temps, la grandeur de mon lexique,
n’est-ce point là ce qui fait ma richesse et ma singularité ? Accommodez-vous de moi, madame la
Ministre, je ne m’accommode pas de vous ! Et songez davantage à la refonte du système
d’enseignement primaire. Il est facile de détruire quelque chose que l’on ne maîtrise pas. Aussi
suis-je un élément fixateur, c’est vrai. Socrate déjà m’en faisait le reproche. Mais je permets tout
de même aux grands de ce monde d’exprimer, d’extérioriser leurs pensées, afin d’en faire
bénéficier l’humanité toute entière.
L’Académie Française, dont il faut rappeler que la très grande majorité des plus grands
intellectuels de notre histoire ne s’y trouvèrent jamais, a, semble-t-il, validé cette réforme, dont le
projet remonte aux années 1990. Vous n’êtes donc pas la seule responsable de l’avènement de
cette médiocratie, dans laquelle votre gouvernement ainsi que toute la classe politique se complaît
fort aisément depuis de nombreuses années.
Je me permets à présent de vous demander, madame la Ministre, si mon patrimoine lexical
mentionné ci-avant allait être la prochaine cible de votre politique de désaculturation ? L’usage de
certains mots jugés rarissimes sera-t-il proscrit par différents décrets ? 1984 n’est pas loin de ce
monde qui me semble déjà si orwellien…
Cette réforme me fait d’autant plus horreur qu’elle marque un pas de plus dans le processus qui
fait de l’école actuelle, une école aseptisée de toute pensée. Il est bon de rappeler que le langage
permet à l’individu de se penser, de se connaître. Cette connaissance constitue le premier pas de
la recherche philosophique. L’individu se pense, et pense le monde au travers du langage. C’est
en lui et par lui qu’il se construit et que se façonnent son discernement, son jugement, sa raison.
Je subodore l’instauration d’une école de la consommation… On sent bien là la volonté de faire
de nos enfants de parfaits consommateurs, ne pensant plus, et ainsi vous remettant le pouvoir
tous les cinq ans et pour l’éternité.
Belle réforme aussi, que celle de la surnotation des élèves ! Permettez-moi de vous dire que
l’exigence est au fondement du respect, et que l’instauration de ce genre de réforme montre bien
le mépris et l’absence de considération que vous avez à l’égard des élèves. Par la surnotation, vous
tentez de vous assurer une certaine paix sociale, laquelle s’achète ainsi par un rabaissement
général du niveau de culture et d’exigence ; est-ce cela l’école de la République voulue par ceux
dont vous vous arrogez l’héritage politique ? Beau programme que celui de crétiniser les élèves…
Sapere aude ! devrait-on dire aux élèves.
Enseignez-leur plutôt le mécanisme de la pensée, et vous serez surprise du résultat. Mais
penser, c’est d’abord douter. « Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que
les mensonges. » disait Nietzsche. Il ne peut y avoir de pensée sans doute. Elle permet également
la santé de l’esprit. Rejeter ses certitudes pour en adopter d’autres, que l’on rejette ou non après
l’examen de la raison, voilà ce qui permet au cerveau de conserver une certaine fraîcheur. Puisez
tout cela dans la philosophie alinienne. Fondez donc une école sur le doute et la recherche, sur la
faculté de juger, et non sur la faculté d’apprendre des choses préétablies par le système. Cette
réforme me semble donc être l’acharnement thérapeutique d’un système scolaire en détresse…
C’est pourquoi je vous adjure, madame la Ministre, de faire abandon de ce projet, et ce malgré
l’assentiment de l’Académie.
Avec tout mon respect.
La langue française.
Propos recueillis par Fabien Evezard.
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