D O S S I E R IRM mammaire de dépistage chez les femmes porteuses (ou à haut risque de l’être) d’une mutation génétique de cancer du sein MRI of the breast in women with a genetic predisposition of breast cancer ● A. Tardivon, C. El Khoury, F. Thibault, B. Barreau* ‘ D après la méta-analyse d’Antoniou, le risque annuel de cancer du sein chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 est de l’ordre de 3 et 1 % respectivement entre 40 et 49 ans. Pour une mutation BRCA1, un risque relatif est supérieur à 10 par rapport à celui des femmes de la population âgées de 50 à 59 ans (1). La mammographie, examen de référence dans le dépistage du cancer du sein perd de sa sensibilité en cas de seins denses (de l’ordre de 40 %) ; situation plus fréquemment rencontrée chez les femmes jeunes. De plus, les femmes mutées auraient en moyenne une densité mammaire plus élevée, surtout en cas de mutation du gène BRCA1 (2). L’échographie, utile dans les situations où la mammographie peut être prise en défaut, souffre de son caractère opérateur-dépendant et de son manque de sensibilité. Dans la littérature, un taux de cancers de l’intervalle de 50 % est classiquement rapporté chez les femmes porteuses d’une mutation et bénéficiant d’un dépistage bisannuel par examen clinique et annuel par mammographie plus ou moins échographie (3). L’IRM est la technique d’imagerie la plus sensible pour détecter des cancers du sein infiltrants (4, 5). Son indication première reconnue a été sa forte sensibilité et spécificité (> 90 %) dans le diagnostic de récidive locale après traitement conservateur d’un cancer du sein (6, 7). L’IRM permet de détecter un cancer du sein chez environ deux tiers des femmes présentant des adénopathies axillaires métastatiques, et ayant un bilan d’imagerie standard normal (mammographie et échographie) (8, 9). Chez des patientes avec un cancer du sein, l’IRM modifie la prise en charge thérapeutique initialement prévue en détectant des lésions malignes surnuméraires dans 8 à 20 % des cas (mastectomie au lieu d’un traitement conservateur) du côté atteint et en mettant en évidence 3 à 5% de lésions controlatérales méconnues. Elle est significativement plus performante que l’imagerie standard en cas de densité mammaire élevée, ainsi que dans le bilan d’extension des carcinomes lobulaires infiltrants (modification de la prise en charge chirurgicale dans environ 50 % des cas) (10-15). Sa forte valeur prédictive négative (cancers infiltrants) peut être utile en cas de dossiers radiologiques difficiles (anomalie radiologique détectée sur une seule incidence mammographique, discordances radio* Institut Curie, Paris. 14 histologiques lors de prélèvements percutanés, sein post-thérapeutique) (16). Dans le contexte de haut risque survenant chez une population jeune, l’IRM a donc été évaluée prospectivement en situation de dépistage annuel et comparée à l’examen clinique, la mammographie plus ou moins échographie. Dans la série prospective de Kuhl (462 femmes mutées ou avec un risque absolu [RA] cumulé > 80 %), l’IRM a détecté 49 cancers contre 21 en échographie et 17 en mammographie (17, 18). Dans la série prospective de Warner (236 femmes porteuses d’une mutation génétique, 22 cancers détectés), la sensibilité de l’IRM était de 77 versus 36 % en mammographie et 33 % en échographie avec une spécificité de 95,4 versus 99,8 % et 96 % respectivement (19). La série prospective hollandaise est intéressante puisqu’elle a inclus 1 909 femmes à partir d’un risque absolu cumulé de plus de 15 % (dont 358 femmes avec mutation génétique) (20). Cinquante et un cancers (44 invasifs, 6 in situ et un lymphome) et une néoplasie lobulaire in situ ont été détectés sur un suivi médian de 2,9 ans. Sur les 45 cancers évalués dans la comparaison des méthodes de dépistage, 19 ont été détectés chez des patientes avec un RA cumulé compris entre 50 et 85 %, 15 dans le groupe avec un RA cumulé compris entre 30 et 49 %, et 11 dans le groupe avec un RA cumulé entre 15 et 29 %. La sensibilité de l’examen clinique, la mammographie et l’IRM étaient de 17,9, 33,3 et 79,5 % respectivement, avec une spécificité de 98,1, 95 et 89,8 % ; l’IRM était significativement plus performante que la mammographie (p < 0,05). La comparaison avec deux groupes contrôles appariés (en âge et avec un RA cumulé de plus de 15 %) a permis de montrer que le nombre de cancers invasifs de moins de 10 mm était significativement plus important dans le groupe dépisté (43,2 versus 14 % et 12,5 %), ainsi que l’incidence de ganglions axillaires envahis ou micrométastatiques (21,4 dans le groupe dépisté versus 52,4 % et 56,4 % dans les groupes contrôles, p ≤ à 0,001). Très récemment, les résultats de l’essai MARIBS (Magnetic Resonance Imaging Breast Screening) ont été publiés dans le Lancet (21). Cet essai multicentrique (22 centres avec contrôle de qualité des unités IRM) a inclus sur 7 ans, 649 femmes asymptomatiques et indemnes (158 avec mutations génétiques La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 D O S S I E R bie (4,8 %). Le tableau résume les résultats des trois dernières études décrites plus haut. L’essai Remagus en cours (participation des trois centres de lutte contre le cancer d’Île-de-France : Essai le Centre René-Huguenin, l’Institut Gustavea Roussy et l’Institut Curie, 200 femmes mutées Nbre de femmes incluses indemnes ou non de cancer du sein ou de Nbre d’IRM l’ovaire) a retrouvé, après un an de suivi (132 Nbre de mutées femmes incluses dont 69 indemnes de cancer du Âge moyen sein) huit cancers (dont trois récidives, prévaNbre de cancers lence de 6 %) (figures 1 et 2). Sur ces huit canDéfinition d’un examen positif cers, seuls trois étaient détectés par l’IRM ; Sensibilité IRM deux autres cancers détectés par l’imagerie (IC 95 %) standard n’ont été caractérisés que par l’IRM Sensibilité 40 % (25,7-55,7) 36,4 % (17,2-59,3) 40 % (24-58) (critères cinétiques de malignité). L’IRM a mammographie généré 13 % de résultats faux positifs (22). Sensibilité 88,9 % (75,9-96,3) 86,4 % (65,1-97,1) 94 % (81-99) combinée Il est intéressant de souligner que dans tous ces Spécificité IRM 89,8 % (88,9-90,7) 95,4 % (93-97,2) 81 % (80-83) essais prospectifs évaluant l’IRM de dépistage, Spécificité 95 % (94,3-95,6) 99,8 % (98,7-100) 93 % (92-95) et alors que cet examen était couplé à l’imagemammographie rie standard (réalisation le même jour ou avec un délai très court et à un rythme annuel), le nombre de cancers de l’intervalle (cancers détectés entre des procédures de avérées, 109 avec une mutation génétique avérée dans la famille) dans la tranche d’âge 35-49 ans (1881 dépistages). Trente A cinq cancers du sein ont été diagnostiqués (29 invasifs dont 19 de grade histopronostique III, 11 de moins de 10 mm, et 6 cancers in situ) : 19 ont été détectés par l’IRM seule, 6 par mammographie seule, 8 par les deux techniques d’imagerie (sensibilité de l’IRM significativement supérieure à celle de la mammographie, p = 0,01). La différence de sensibilité entre mammographie et IRM était particulièrement marquée pour les femmes porteuses d’une mutation BRCA1 (p = 0,004). Il y a eu, dans cette étude multicentrique, 10,7 % de rappel des femmes suite à l’IRM de dépistage ; 31 femmes ont quitté le dépistage IRM pour stress ou claustropho- Tableau. Résultats de trois essais prospectifs évaluant l’IRM en dépistage. Essai hollandais (Kreige et al., 2004) Non randomisé, prospectif, multicentrique 1 909 4 169 354 40 (19-72) 45 Catégorie 3 ou plus (Bi-Rads de l’ACR) 71,1 % (55,7-83,6) Essai canadien (Warner et al., 2004) Non randomisé, prospectif, monocentrique 236 457 236 46,6 (26-65) 22 Catégorie 4 ou plus (Bi-Rads de l’ACR) 77,3 % (54,6-92,2) Essai MARIBS (Maribs study group, 2005) Non randomisé, prospectif, multicentrique 649 1 881 158 40 (31-55) 35 Catégorie 3 ou plus (Bi-Rads de l’ACR) 77 % (60-90) B C Figure 1. Patiente de 49 ans, porteuse d’une mutation BRCA1, indemne de cancer du sein ou de l’ovaire. Examen clinique, mammographie et échographie normales. A) Image IRM, plan axial, 3 minutes après injection de produit de contraste : mise en évidence d’une prise de contraste focale, homogène de 5 mm, siégeant dans les quadrants internes du sein droit de cinétique indéterminée (courbe en plateau). B) Échographie de “second look” : nodule hypoéchogène. C) Microbiopsie échoguidée : cancer canalaire infiltrant associé à des lésions de carcinome canalaire in situ. La Lettre du Sénologue - n° 30 - octobre/novembre/décembre 2005 15 D O S S I E R A Figure 2. Patiente de 48 ans, porteuse d’une mutation BRCA1, indemne de cancer du sein ou de l’ovaire. Examen clinique, mammographie et échographie normales. A) Image IRM, plan axial, 3 minutes après injection de produit de contraste : mise en évidence d’une prise de contraste focale, homogène de 7 mm, siégeant dans les quadrants externes du sein gauche de cinétique indéterminée (courbe en plateau). L’échographie de “second look” retrouve un nodule hypoéchogène de contours flous, la cytoponction est bénigne. B et C) Tumorectomie après repérage sous TDM : lésion bénigne d’adénose sclérosante (faux positifs de l’IRM). C) Lésion de carcinome canalaire in situ de haut grade sans microcalcification (faux négatif de l’IRM). dépistage, examen clinique et imagerie) était très faible (entre 0 et 5 dans l’essai hollandais). Ainsi, les données publiées s’accumulent pour démontrer l’intérêt de l’IRM de dépistage du cancer du sein chez les femmes à très haut risque. Les études doivent se poursuivre afin de définir si cette technique d’imagerie, en évolution constante, apporterait un plus dans des populations à risque élevé mais moindre qu’en cas de contexte de mutations génétiques. À côté de ces études cliniques, reste à évaluer le coût d’un tel dépistage (une étude multicentrique d’évaluation médico-économique débutera en France l’année prochaine) et à entrer dans une démarche d’assurance qualité pour les centres d’imagerie participant à un tel programme (formation médicale, double lecture, possibilité de réaliser l’ensemble des procédures diagnostiques dont celles interventionnelles guidées par imagerie de contraste). ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Antoniou A, Pharoah PD et al. Average risks of breast and ovarian cancer associated with BRCA1 or BRCA2 mutations detected in case Series unselected for family history: a combined analysis of 22 studies.Am J Hum Genet 2003;72(5):1117-30. 2. Huo Z, Giger ML, Olopade OI et al. Computerized analysis of digitized mammograms of BRCA1 and BRCA2 gene mutation carriers. Radiology 2002;225: 519-26. 3. Komenaka IK, Ditkoff BA, Joseph KA et al. 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