ACTUALITÉS ASCO 2008 Immunothérapie J.P. Madiou* A u cours de cet ASCO 2008, plusieurs communications orales et des posters ont traité de l’intérêt de l’immunothérapie. Dans le traitement des mélanomes, les résultats obtenus dans les études de phase II/­III avec l’ipilimumab et le trémélimumab – Ac anti-CTLA-4 visant à stimuler l’immunité des patients – se révèlent globalement décevants, même si une étude associant trémélimumab et IFNα-2b à forte dose se poursuit. Concernant le glioblastome, l’étude de phase II ACT II montre des résultats très prometteurs avec le CDX-110, vaccin ciblant la variante III d’EGFR, administré en association avec le témozolomide : la survie médiane est de 33,1 mois (versus 15,2 mois pour le témozolomide seul ; p = 0,0078) et la SSP de 16,6 mois (versus 6,4 mois pour le bras contrôle). Immunothérapie active : stimuler l’immunité des patients par des anticorps anti-CTLA-4 Principe des vaccins dirigés contre les antigènes tumoraux, reconnaissance et activation du lymphocyte T par une cellule présentatrice d’antigène et déclenchement d’une réponse immunitaire antitumorale “idéale” L’antigène présenté par les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), de classe II ou I, est reconnu par des lymphocytes T, CD4 (auxiliaire) ou CD8 (cytotoxique), respectivement spécifiques de cet antigène. Les lymphocytes ne sont activés que si le signal de reconnaissance spécifique du peptide est accompagné des signaux dits de costimulation. Le second signal est délivré au lymphocyte T lors de l’interaction de récepteurs accessoires avec des ligands situés à la surface des cellules présentatrices d’antigènes (CPA). Les molécules B7 jouent ce rôle par leur liaison aux récepteurs CD28. En l’absence de ce deuxième signal, le lymphocyte devient tolérant à l’antigène. Les cellules dendritiques sont les CPA les plus efficaces pour engendrer des effecteurs cytotoxiques spécifiques des cellules tumorales, alors que c’est dans les aires T d’un ganglion de drainage que se met en place la réponse cellulaire T. Le niveau d’expression des molécules de costimulation est corrélé à l’état de maturation des cellules dendritiques. Les lymphocytes T CD4 ainsi activés sécrètent des cytokines pro-inflammatoires, en particulier l’IL-2 nécessaire à leur prolifération, et favorisent également la maturation des CPA par l’engagement du CD40L. Dans ces conditions, les cellules dendritiques deviennent capables d’activer directement des lymphocytes T CD8 naïfs. Ce sont les seules CPA douées de cette capacité, et cela grâce à leur niveau d’expression des molécules de costimulation et de présentation. Cette activation directe permet d’engendrer une réponse cellulaire cytotoxique protectrice. La lyse de la cellule cible se réalise alors par un mécanisme de cytotoxicité dépendante de la perforine et des granzymes ou par un mécanisme d’induction d’apoptose par la fixation de la lymphotoxine ou du ligand de Fas des lymphocytes T CD8 sur, respectivement, le récepteur du TNF ou Apo1/­Fas. Mécanisme d’action des anti-CTLA-4 La molécule CTLA-4 est un récepteur lymphocytaire dont la fonction à l’état normal est de freiner l’activation des lymphocytes T après présentation d’un antigène par les CPA. Le récepteur CTLA-4 est lié aux molécules B7 avec une plus grande affinité que le récepteur CD28 et envoie un signal négatif aux lymphocytes T. L’inhibition de CTLA-4 par un Ac anti-CTLA-4 permet de prévenir l’interaction avec les molécules B7 et de lever ainsi ce frein de l’activation des lymphocytes T (figure). * Paris. La Lettre du Cancérologue • Supplément 5 au n° 7 - Vol. XVII - septembre 2008 | 17 ACTUALITÉS ASCO 2008 Immunothérapie CMH Antigène TCR Cellule dendritique Lymphocyte T B7 CD28 mélanome de stade II épais (supérieur à 1,5 mm) à haut risque de récidive ont été randomisés en deux bras : vaccination par un ganglioside (GM2KLH21) ou simple surveillance. Avec un suivi moyen de 1,8 an, la deuxième analyse intermédiaire prévue au protocole n’a montré aucune différence sur le critère principal (survie sans récidive [SSR]), ce qui a entraîné l’arrêt de l’étude, alors que la survie sans métastases et la SG ont diminué (respectivement, p = 0,08 et p = 0,03) dans le bras vaccination. CTLA4 Figure. Mécanisme d’action des anti-CTLA-4. L’anticorps anti-CTLA-4 permet de prévenir l’interaction avec les molécules B7 et de lever le frein de l’activation des lymphocytes T. Anti-CTLA-4 (CP675, 206 - trémélimumab) et CDX 110 : principaux résultats cliniques présentés à l’ASCO Traitement du mélanome Principaux résultats de la classe à l’ASCO 2008 Au cours d’une session consacrée aux nouvelles approches thérapeutiques dans le traitement du mélanome, deux communications (1, 2) ont traité de l’immunothérapie visant à stimuler l’immunité des patients par des Ac anti-CTLA-4. Malgré des taux de RO décevants (de l’ordre de 10 %) dans les mélanomes de stade III/­­IV, des études réalisées avec l’ipilimumab (10 mg/­kg toutes les 3 semaines en traitement d’induction sur 4 mois) montrent, pour certains patients, une tendance à l’amélioration de la survie, et ce même chez les patients considérés comme non répondeurs (1), avec 30 % des patients (n = 7, dont 1 RC et 1 RP) toujours en vie au terme des 2 ans de suivi et des réponses qualifiées d’“­originales” (2) [réponse retardée malgré l’apparition de nouvelles lésions chez 53 des 155 patients inclus mais qui diminueront par la suite]. Ces résultats, même s’ils sont à pondérer compte tenu du faible nombre de patients inclus, doivent sans doute faire réfléchir à la pertinence des critères d’évaluation utilisés dans les études, puisque l’apparition de nouvelles lésions ne semble pas obligatoirement signifier l’échec du traitement. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées : l’action est retardée du fait du mode d’action indirect, ou il y a une fausse augmentation du fait d’une activation du système immunitaire, avec recrutement de lymphocytes. Évaluant cette fois-ci l’intérêt d’une vaccination par un ganglioside, l’essai EORTC 18961 (3) est le plus grand essai en adjuvant jamais réalisé dans le mélanome. Au total, 1 314 patients atteints d’un 18 | La Lettre du Cancérologue • Supplément 5 au n° 7 - Vol. XVII - septembre 2008 Plusieurs études ont été présentées dans une session consacrée au traitement du mélanome au stade métastatique. Une étude de phase III (4) comparant le trémélimumab (15 mg/­kg tous les 3 mois) à la dacarbazine (1 000 mg/­m2 tous les 21 jours) ou au témozolomide (200 mg/­m2 pendant 5 jours tous les 28 jours) a été réalisée chez des patients présentant un mélanome non résécable de stade IIIc/­IV. Cette étude, qui a inclus au total 655 patients (n = 328 dans le bras trémélimumab et n = 327 dans les bras dacarbazine et témozolomide), a été arrêtée après les résultats de l’analyse intermédiaire en raison d’une absence d’efficacité sur la survie sans métastases à distance et d’une SG (critère principal de l’étude) comparable (11,8 mois dans le bras trémélimumab, versus 10,7 mois dans les bras dacarbazine et témozolomide). Chez des patients atteints d’un mélanome non résécable de stade III/­IV en échec de traitement, une étude de phase II (5) a évalué l’efficacité du trémélimumab 15 mg/­kg tous les 3 mois pendant 4 cycles, ou jusqu’à progression ou survenue d’une toxicité limitante. Le critère principal d’évaluation de l’étude était le pourcentage de RO ; l’essai était considéré comme positif en cas de bénéfice d’au moins 10 %. Au total, 251 patients (241 évaluables) ont été inclus, et les résultats ne retrouvent que 8,3 % de RO (20 RP) et un bénéfice clinique de 22,8 % (RO + stabilisations). La SG médiane est de 10 mois, et la plupart des effets indésirables liés à l’administration du traitement ont été d’intensité légère à modérée (essentiellement des diarrhées [11,4 %] pour les effets indésirables de ACTUALITÉS ASCO 2008 grade 3/­4). Les auteurs en concluent que le taux de réponse de ce traitement de deuxième ligne ne parvient pas à dépasser le seuil fixé à 10 %, mais que la durée de cette réponse suggère que le trémélimumab a une certaine activité dans ce type de population. Un autre essai de phase I/­II (6) a été réalisé avec le trémélimumab (15 mg/­kg tous les 3 mois) associé à l’IFNα-2b à forte dose (induction à raison de 20 MUI/­m2 5 jours/­sem. en i.v. pendant 4 semaines, puis en entretien sur 8 semaines à la dose de 10 MUI/­m 2 x 3/­s em. en sous-cutané), incluant dans un premier temps (12 semaines) 16 patients (rechutes de mélanome inopérable de stade IV : 4 M1a, 2 M1b, 10 M1c). Ces patients avaient tous été prétraités pour leur maladie métastatique (1 à 5 lignes de traitement) et deux d’entre eux présentaient des métastases cérébrales stabilisées sous traitement. L’essai, étant considéré comme positif (19 % de RP avec une toxicité acceptable correspondant au profil de toxicité attendu de l’IFNα-2b), a été poursuivi et 21 patients supplémentaires ont été inclus (trémélimumab 15 mg/­kg tous les 3 mois et IFNα-2b à la dose de 10 MUI/­m2 x 3/­sem. en souscutané). Une réponse a été observée à la fois dans les formes M1a (n = 1) et M1c (n = 2). Enfin, une étude (7) a évalué l’efficacité du trémélimumab sur 10 patients prétraités qui l’ont reçu en monothérapie (une fois tous les 3 mois à raison de 10 mg/­kg). Les résultats de l’étude des différentes populations lymphocytaires (avant le début de l’admi­ nistration du traitement, puis un mois et deux mois après) montrent une résistance des lymphocytes des patients à l’effet immunosuppresseur des lymphocytes T régulateurs. Cette réponse biologique semble corrélée aux critères d’efficacité habituels (SSR, SG). habituels par Ac monoclonaux visant EGFR sont inefficaces sur cette variante. Associé au traitement standard (radio-chimiothérapie avec témozolomide et témozolomide en adjuvant), CDX-110 a permis de multiplier par 2 les survies médianes. Les données actualisées de l’étude de phase II ACTIVATE (n = 21) et de son étude de suivi ACT II (n = 23) ont été présentées à l’ASCO (8). Dans l’étude ACTIVATE, après résection, radiothérapie et administration de témozolomide 75 mg/­m2/­j jusqu’à progression, le CDX-110 a été coadministré avec du G-CSF (142 mcg) par voie intradermique (pour les 3 premières vaccinations : à 2 semaines d’intervalle pour 16 patients – placebo pour 5 patients puis tous les mois pour l’ensemble des patients jusqu’à progression). Le protocole d’ACT II était comparable, excepté pour le témozolomide en maintenance pour lequel deux schémas ont été étudiés : 200 mg/­m2 pendant 5 jours tous les 28 jours (n = 13) ou 100 mg/­m 2 en continu (21 jours sur ­2 8 ; n = 10) pour un maximum de 12 cycles. Les résultats (tableau) sont extrêmement encourageants, témoignant d’un allongement très significatif de la SG et de la SSP. Aucun effet indésirable jugé sérieux n’a été observé dans l’étude ACTIVATE, et seules des réactions au niveau du site d’injection ont été observées dans l’étude ACT II. D’ores et déjà, les inclusions de l’étude AVANT ont commencé, cette étude de phase IIb faisant partie intégrante de l’étude de phase IIb/­III ACT III, qui a prévu d’inclure 90 patients dans 20 centres nordaméricains. Tableau. Principaux résultats des études ACTIVATE et ACT II. Bras CDX-110 Contrôle historique p Traitement du glioblastome ACTIVATE (n = 21) Survie médiane (mois) Délai jusqu’à progression (mois) 26 14,2 15,2 7,13 0,0001 0,0001 CDX-110 – vaccin récent dont tout le monde parle – vise la variante III d’EGFR présente dans 40 % des glioblastomes, alors que les traitements ACT II (n = 23) Survie médiane (mois) Délai jusqu’à progression (mois) 33,1 16,6 15,2 6,4 0,0078 – Références bibliographiques 1. Urba WJ, Weber JS, O’Day SJ et al. Long-term survival of patients with advanced melanoma who received ipilimumab administered at 10 mg/­kg every 3 weeks for 4 doses (induction dosing). J Clin Oncol 2008;26(Suppl. 15):abstract 3018. 2. Wolchok JD. Antitumor response and new lesions in advanced melanoma patients on ipilimumab treatment. J Clin Oncol 2008;26(Suppl. 15):abstract 3020. 3. Eggermont AM, Suciu S, Ruka W et al. EORTC 18961: post-operative adjuvant ganglioside GM2-KLH21 vaccination treatment vs observation in stage II (T3, T4N0M0) melanoma: 2nd interim analysis led to an early disclosure of the results. J Clin Oncol 2008;26(Suppl. 15):abstract 9004. 4. Ribas A, Hauschild A, Kefford R et al. Phase III, openlabel, randomized, comparative study of tremilimumab (CP-675, 206) and chemotherapy (temozolomide or dacarbazine) in patients with advanced melanoma. J Clin Oncol 2008;26(Suppl. 15):abstract LBA9011. 5. Kirkwood JM, Lorigan P, Herseyet P al. A phase II trial of trémélimumab (CP-675-206) in patients with advanced refractory or relapsed melanoma. J Clin Oncol 2008;26(Suppl. 15):abstract 9023. 6. Tarhini AA, Moschos SS, Schlesselman JJ et al. Phase II trial of combination biotherapy of high-dose interferon alfa-2b and trémélimumab for recurrent inoperable stage III or stage IV melanoma. J Clin Oncol 2008; 26(Suppl. 15):abstract 9009. 7. Ghiringhelli F, Menard C, Mateus C et al. Effect of CTLA-4 blockade on lymphocyte resistance to regulatory T cells in advanced melanoma and use as a surrogate marker of efficacy of trémélimumab. J Clin Oncol 2008; 26(Suppl. 15):abstract 3021. 8. Sampson JH, Archer GE, Bigner DD et al. Effect of EGFRvIII-targeted vaccine (CDX-110) on immune response and TTP when given with simultaneous standard and continuous temozolomide in patients with GBM. J Clin Oncol 2008;26(Suppl. 15):abstract 2011. La Lettre du Cancérologue • Supplément 5 au n° 7 - Vol. XVII - septembre 2008 | 19