Dossier Démarche clinique devant une fièvre récidivante de l`enfant

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Dossier
Démarche clinique devant
une fièvre récidivante
de l’enfant
Véronique Hentgen
Service de pédiatrie, Centre hospitalier de Versailles, Centre de référence des maladies
auto-inflammatoires de l’enfant, 177 rue de Versailles, 78150 Le Chesnay
<[email protected]>
La fièvre est un motif de consultation banal et fréquent en pédiatrie. Néanmoins,
la fièvre qui se répète peut être le premier signe d’une pathologie plus grave et
nécessite des explorations spécifiques. Nous proposons ici une démarche
diagnostique pratique pour les fièvres récurrentes de l’enfant en se basant sur la
clinique et des examens biologiques simples.
Mots clés : diagnostic, fièvre récidivante, fièvre récurrente
doi: 10.1684/mtp.2008.0166
L
mtp
Tirés à part : V. Hentgen
a fièvre est un symptôme majeur
d’un grand nombre de pathologies
de l’enfant : il s’agit d’un signe objectif
et facilement mesurable. Au cours de
sa vie, l’enfant va contracter de nombreuses pathologies qui génèrent de la
fièvre ce qui rend la notion de fièvre
« à répétition » difficile à appréhender
en pédiatrie.
Le signe d’alerte d’une fièvre récidivante est habituellement donné en
premier lieu par les parents : ceux-ci
trouvent que la fièvre revient « trop
souvent » pour être normale. Mais
cette notion est dépendante de l’anxiété et de l’état d’esprit de la famille.
Effectivement la fièvre de l’enfant génère trop souvent une angoisse excessive et peut entraîner une demande
d’explorations invasives et inutiles,
alors que le plus fréquemment elle
s’intègre dans le parcours normal de
l’enfant qui se familiarise avec son
environnement antigénique.
Toute la difficulté de notre rôle de
médecin de l’enfant sera donc de rassurer les familles lorsque la fièvre signe les infections banales de la petite
enfance, mais aussi de dépister les
mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008
rares cas où la fièvre qui revient est
effectivement un avertissement d’une
pathologie plus grave qui nécessite
une attention, si ce n’est un traitement
particulier.
Cet article s’efforce de donner une
démarche clinique devant un enfant
qui souffre d’une fièvre qui revient
« trop souvent » sans pour autant évoquer le diagnostic d’une fièvre récurrente héréditaire chez chacun de nos
patients qui ont eu plus de 3 épisodes
de fièvre inexpliqués dans leur vie.
Définitions
Fièvre récurrente
La fièvre récurrente est caractérisée par des épisodes de fièvre de durée spontanément limitée dans le
temps, séparés par des intervalles
d’apyrexie, se reproduisant pendant
des mois voire des années. Afin de
pouvoir retenir le diagnostic de fièvre
récurrente, il faut en plus que ces
épisodes fébriles soient d’étiologie
unique.
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Démarche clinique devant une fièvre récidivante de l’enfant
Fièvre récidivante (ou fièvre à répétition)
Toutes les fièvres ne répondant pas à tous les critères de
la définition de fièvre récurrente sont à considérer comme
des fièvres récidivantes (ou fièvres à répétition).
Première étape :
affirmer le caractère
récurrent ou non de la fièvre
« qui revient »
devraient l’être plutôt en dehors de la fièvre (tableau 1).
Ces examens ne sont pas exhaustifs et doivent être complétés par des examens plus spécifiques (échographie
abdominale ou rénale par exemple) au moindre signe
d’appel et d’orientation après cette 1re étape diagnostique.
Éliminer toutes les pathologies qui ne sont
pas des fièvres récurrentes
Interrogatoire et anamnèse
L’interrogatoire d’un enfant qui présente des fièvres à
répétition est une étape essentielle dans la démarche
diagnostique. Pour un certain nombre d’entre eux – et
avec un peu d’habitude – un diagnostic peut être posé dès
cette phase de la consultation. L’interrogatoire s’efforce
donc de retrouver un certain nombre d’éléments indispensables à l’orientation diagnostique.
Faire préciser aux parents les caractéristiques des épisodes fébriles en insistant sur :
– Leur date d’apparition (avant ou après 1 an de vie ;
reliée aux vaccinations ou non, entrée en crèche, etc.).
– Leur nombre depuis la naissance de l’enfant.
– La stéréotypie ou non des épisodes observés.
– La recherche de signes d’accompagnement au cours
de la fièvre (rhinite, toux, symptômes ORL, aphtes, douleurs, adénopathies, etc.).
– Leur caractère spontanément limité dans le temps ou
non.
L’interrogatoire s’efforce ensuite de rechercher des
symptômes en dehors des épisodes fébriles qui pourraient
aider à orienter vers une pathologie particulière. De
même, l’établissement d’une courbe de croissance est
indispensable à ce stade de la démarche diagnostique.
Examen clinique et examens
complémentaires
L’examen clinique de l’enfant doit idéalement être fait
pendant et en dehors d’un épisode de fièvre. De la même
manière, certains examens complémentaires devraient
être effectués pendant l’épisode fébrile, alors que d’autres
Cette première étape permettra de poser dans la majorité des cas un diagnostic et d’éliminer un certain nombre
de pathologies responsables de fièvre à répétition, telles
que :
– Infections ORL à répétition.
– Viroses banales récurrentes (crèche).
– Malformation urinaire passée inaperçue.
– Abcès profond.
– Endocardite ou autre maladie infectieuse.
– Infections récidivantes sur terrain particulier (déficit
immunitaire ou neutropénie cyclique par exemple).
– Maladie tumorale.
Affirmer le caractère récurrent de la fièvre
À ce stade du raisonnement et après élimination des
pathologies citées ci-dessus, il est licite de se poser la
question de savoir si l’enfant n’est pas atteint d’une fièvre
récurrente : afin de pouvoir retenir cette dernière, une
condition supplémentaire doit être remplie : l’épisode fébrile doit être spontanément limité dans le temps. L’observation de cette condition nécessite de laisser évoluer un
épisode fébrile sans intervention thérapeutique extérieure
en dehors d’un traitement symptomatique de la fièvre.
Pour certains parents, cette phase d’observation est trop
anxiogène pour être faite à domicile. Une hospitalisation
peut donc être proposée en définissant clairement le but et
la conduite à tenir aux parents et à l’équipe soignante.
L’avantage d’une telle hospitalisation est aussi d’observer
la réalité des symptômes décrits et de dépister des signes
cliniques qui seraient passés inaperçus jusqu’alors.
Tableau 1. Bilan minimal à effectuer en dehors et pendant une poussée fébrile
Bilan minimal à effectuer
pendant une poussée fébrile
NFS, plaquettes
CRP (± procalcitonine)
Hémoculture
ECBU
Radiographie de thorax
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Bilan minimal à effectuer en dehors d’une poussée fébrile
NFS, plaquettes
CRP
VS (à jeun)
Iono sang, urée, créat
Bilan hépatique complet
IgG, A, M
± bilan immunitaire de débrouillage (sérologies vaccinales, complément, phénotypage lymphocytaire,
étude du PNN)
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Deuxième étape :
affirmer le caractère
auto-inflammatoire de la fièvre
récurrente
Par ailleurs, pour affirmer le diagnostic de fièvre récurrente auto-inflammatoire, l’inflammation doit spontanément régresser en dehors des épisodes fébriles.
La notion de maladie auto-inflammatoire est apparue
dans la littérature après la découverte des gènes impliqués
dans les fièvres récurrentes héréditaires. Il s’agit d’un
groupe de maladies pour lesquels il existe un dérèglement
du système immunitaire « archaïque », c’est-à-dire de la
première réponse immunitaire non spécifique. Cette anomalie se situe principalement au niveau des monocytes et
polynucléaires neutrophiles et se traduit par une stimulation excessive de ces derniers. Par définition, un malade
atteint d’une maladie auto-inflammatoire ne produit ni des
auto-anticorps spécifiques, ni des lymphocytes activés par
un antigène spécifique. En pratique, il n’existe pas de test
spécifique pour retenir le diagnostic de maladie autoinflammatoire dont le domaine est très vaste (figure 1).
Néanmoins, la présence d’un syndrome inflammatoire
non spécifique (élévation de la CRP et polynucléose neutrophile) en l’absence de marqueurs d’auto-immunité ou
auto-réactivité T permet de s’orienter vers le caractère
auto-inflammatoire de la symptomatologie.
Troisième étape :
orienter le diagnostic vers une fièvre
récurrente héréditaire (FRH)
L’interrogatoire s’efforce de trouver des facteurs de
risque ou des signes cliniques permettant d’orienter le
diagnostic vers une des quatre fièvres récurrentes héréditaires actuellement connues : fièvre méditerranéenne familiale, CAPS (pathologies liées à la cryopyrine), HIDS
(syndrome d’hyper IgD) et TRAPS (pathologies liées au
récepteur du TNF) ; ainsi que des critères cliniques qui
permettraient d’orienter le diagnostic vers une pathologie
exclusivement pédiatrique, sporadique, non héréditaire :
le syndrome de Marshall ou PFAPA.
L’interrogatoire de la première étape a déjà permis
d’établir un certain nombre de critères tels que les caractéristiques détaillées de la fièvre, néanmoins à ce stade de
la démarche diagnostique d’autres données sont indispensables.
Susceptibilité aux infections
Fièvres récurrentes
(récepteurs Toll)
Gène(s) inconnus
Behçet
AJI - Still
PFAPA
CRMO (LPIN2)
PAPA (PSTPIP1)
FMF (MEFV) - MKD (MVK)
TRAPS (TNFRSF1A)
CAPS (CIAS1/NALP3/PYPAF1/CLR1.1)
Crohn Blau
Sarcoïdose à début précoce
Rejets de greffe*
Tuberculose, Lèpre
Méningite à Neisseria
Choc septique
Morts-nés*,
Môles hydatiformes
récurrentes
Angiœdème
héréditaire
(C1NH)
Maladies pyogéniques
Maladies granulomateuses
(CARD15/NOD2/CLR16.1)
Echecs de la reproduction
(NALP7/PYPAF3/CLR19.4)
* : Certaines formes de
AJI : Arthrite juvénile idiopathique – PFAPA : Fièvre périodique avec aphtose, pharyngite et adénite
FMF : Fièvre méditerranéenne familiale – MKD : Déficit en mévalonate kinase
TRAPS : Syndrome périodique associé au TNF récepteur – CAPS : Syndrome périodique associé à la cryopyrine
CRMO : Ostéomyélite multifocale chronique récurrente – PAPA : Arthrite pyogénique avec pyoderma gangrenosum et acné
Figure 1. Le spectre élargi des maladies auto-inflammatoires.
mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008
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Démarche clinique devant une fièvre récidivante de l’enfant
L’arbre généalogique détaillé doit être tracé à cette
phase de la consultation en s’efforçant de relever les
origines du patient (sans omettre la question cruciale sur
les ascendants, nécessaire parfois jusqu’à la 3e génération). En dehors de la présence de fièvres inexpliquées
chez d’autres membres de la famille, il faut rechercher des
cas d’insuffisance rénale, des maladies inflammatoires du
tube digestif (Crohn et rectocolite hémorragique), des
surdités ou autres atteintes neurosensorielles, un retard
mental, des maladies articulaires ou autres pathologies
pouvant évoquer une maladie auto-inflammatoire – toutes ces pathologies pouvant être liées à une des FRH
actuellement connues.
À partir de ce stade, la démarche diagnostique diffère
en fonction de l’origine du malade. En cas d’origine méditerranéenne de l’enfant et en présence d’une « vraie »
fièvre récurrente auto-inflammatoire et d’au moins 4 à
6 épisodes de fièvres inexpliquées, il est licite de demander une génétique à la recherche d’une mutation dans le
gène MEFV, gène impliqué dans la fièvre méditerranéenne
familiale. En fonction du résultat de cette génétique ainsi
que du remplissage ou non des critères cliniques simplifiés
de Livneh (tableau 2) qui ne sont applicables que pour une
population originaire méditerranéenne avec prévalence
élevée de la maladie, le diagnostic de fièvre méditerranéenne familiale est retenu ou rejeté. Pour l’interprétation
détaillée des résultats de la génétique combinés aux critères cliniques de Livneh, le lecteur peut se reporter à la
figure 2.
Pour les enfants qui n’ont pas d’ascendance méditerranéenne, la fièvre méditerranéenne familiale est exceptionnelle, ce qui fait que le test génétique de la FMF ne doit
pas être effectué en première intention dans cette population. Par ailleurs, les critères cliniques de Livneh ne sont
pas validés dans une population à faible prévalence de
FMF, ce qui les rend obsolètes dans une population non
méditerranéenne. La démarche diagnostique dans cette
population se fonde donc sur d’autres critères qui sont
Génétique MEFV
2 mutations 1 mutation 0 mutation
FMF
Colchicine
FMF
Oui
Non
négatif
Autre fièvre récurrente ?
Figure 2. Démarche diagnostique devant un enfant d’origine méditerranéenne.
détaillés dans la figure 3. Cet arbre de conduite à tenir est
aussi applicable à un enfant d’origine méditerranéenne
pour lequel on a rejeté le diagnostic de FMF et évoqué le
diagnostic de fièvre récurrente ayant une autre origine. Par
ailleurs, à ce stade du raisonnement doit intervenir la
possibilité d’être en présence d’un enfant atteint d’un
PFAPA. Les critères cliniques de ce dernier sont détaillés
dans le tableau 3.
Conclusion
La démarche diagnostique devant une fièvre récurrente est complexe. Notre rôle en tant que médecin de
l’enfant est de dépister les rares cas de fièvres récurrentes
héréditaires, sans pour autant oublier qu’un enfant normal
qui entre en collectivité a de multiples raisons pour souffrir
d’une fièvre à répétition. Le médecin confronté à ces
fièvres a la lourde tâche de trouver le juste milieu entre
Tableau 3. Critères cliniques d’un syndrome de Marshall
(ou PFAPA). Diagnostic positif de PFAPA
si les 6 critères majeurs sont remplis
I
II
III
IV
V
VI
Fièvre récurrente périodique avec un âge de début précoce
(entre 12 mois et 5 ans)
Présence d’au moins un des trois signes suivants, en l’absence de
toute atteinte des voies respiratoires supérieures :
a) Stomatite aphteuse
b) Adénopathies cervicales
c) Pharyngite
Présence de marqueurs d’inflammation pendant les accès
Exclusion d’une neutropénie cyclique, ainsi que des autres syndromes
récurrents
Enfant totalement asymptomatique en dehors des accès
Développement psychomoteur et croissance normale
*
Présence d’au moins 1 critère majeur, ou au moins 2 critères mineurs au cours de chaque
épisode fébrile.
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Test à la
colchicine
positif
Tableau 2. Critères de Livneh pour le diagnostic
de la maladie périodique
Critères majeurs
Péritonite (généralisée)
Pleurite (unilatérale) ou péricardite
Monoarthrite (hanche, genou, cheville)
Fièvre isolée
Critères mineurs
Attaques incomplètes sur un ou plusieurs sites :
Abdomen
Poumon
Articulation
Douleur des jambes induite par effort
Réponse à la colchicine
Diagnostic positif de fièvre méditerranéenne familiale*
Critères cliniques de Livneh
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Critères cliniques de PFAPA ?
Non
Oui
Poussées provoquées par les vaccinations ?
Vomissements ? Autres caractères du HIDS ?
Mévalonaturie pendant les accès
Non
Élevée
Oui
Normale
Dosage MVK
Génétique MVK
Sd de Marshall
Éruption cutanée ? Rythme circadien ?
Autres caractères du CAPS ?
Positive
Oui
Non
HIDS
Génétique CIAS1
Génétique TNFRSF1A
Positive
Négative
Positive
CAPS
Fièvre récurrente inexpliquée
TRAPS
Négative
Fièvre récurrente inexpliquée
Figure 3. Démarche diagnostique devant un enfant d’origine non méditerranéenne.
banaliser le symptôme observé et faire des explorations
invasives – et chères – afin de poser coûte que coûte un
diagnostic de FRH. Le problème devient encore plus complexe si on considère qu’un certain nombre d’enfants sont
atteints d’une réelle fièvre récurrente auto-inflammatoire
pour laquelle la génétique est non contributive. Seul un
suivi prolongé et attentif permettra éventuellement à ces
enfants d’accéder à un diagnostic, mais le problème du
traitement pour ces enfants n’est pas prêt d’être résolu
dans un avenir proche.
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