Dossier pédagogique Sommaire :

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Dossier pédagogique
Le Tour d'Ecrou , de Benjamin Britten
Opéra National de Bordeaux
Sommaire :
Préambule
I) Protagonistes, composition :
1) Les Protagonistes
a) Le compositeur
b) La Librettiste
c)Le Metteur en Scène
2) Composition de l'orchestre et incarnations :
a) L'orchestre
b) Incarnations
II ) Argument et Analyse
1) L'Argument
2) Analyse du livret : Une œuvre complexe (mise en regard de la nouvelle :
toutes les citations de la nouvelle de James sont en italiques)
III) Pistes pédagogiques :
1) Aborder la littérature fantastiques
2) La musique de Britten et la mise en scène
3)
Un opéra en anglais
4)
Arts plastiques
5)
Cinéma
6)
Bande dessinée
7)
« Mise en corps »
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Préambule :
Quitte à oser l'Opéra, osons la création !
« The Turn of the screw » n’est pas à proprement parler une création puisque cet opéra de
Benjamin Britten, composé en 1954, a été monté plusieurs fois.
Les ressources autour de cette œuvre sont diverses et nombreuses.
Cependant, et dans la mesure où nous sommes dans le champ de l’opéra « contemporain », les
pré-requis quant à l’approche pédagogique rejoignent ceux de l’abord d’une création.
Je ne reviendrais pas dans ce préambule sur les bénéfices pédagogiques et culturels évidents à
aborder l’Opéra, quelle que soit l'œuvre sur laquelle on travaille avec les élèves.
Les diverses contributions sur le site du PREAC Art Lyrique ont très bien développé cette idée
fondatrice.
Par contre, il existe un champ plus « difficile » à même peut-être de refroidir les meilleures
volontés : s'engager dans un travail préparatoire sur une création lyrique en amont de toute
représentation.
Comment présenter aux élèves une œuvre encore en gestation dont les éléments constitutifs (livret,
partition, mise en scène...) ne sont livrés qu'au fur et à mesure de l'avancée du travail de l'équipe des
artistes impliqués ?
Retournons la problématique.
Quelle extraordinaire progression pédagogique ne peut-on mettre en place quand il s'agit de suivre
une démarche créative, de tâtonner ensemble (élèves-enseignants), de tenter des hypothèses
déductives à partir des « indices » glanés pas à pas !
Trois pré-requis évidents se dégagent de ce type d'approche :
 Proposer en amont un travail sur le genre Opéra, les particularités du chant lyrique...
 Proposer en amont un travail sur l'histoire de la musique et la révolution artistique amorcée à
la fin du 19ème siècle afin que les élèves acquièrent une oreille, un tant soit peu avertie des
différences quant aux esthétiques musicales contemporaines.
 Proposer une approche de la notion de mise-en-scène dans le spectacle vivant, ce qui la
compose (mise en scène/scénographie), en quoi elle enveloppe voire « dépasse » un texte.
 Suivant le niveau des élèves, proposer une mise en regard avec la source littéraire si l'opéra
en est une adaptation.
Ce dossier pédagogique vise essentiellement à vous faciliter le travail de recherche concernant les
ressources et propose de nouvelles pistes pédagogiques possibles.
Des liens actifs émailleront ce dossier.
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LE TOUR D'ECROU
[The turn of the screw]
de Benjamin Britten
Livret de Myfanwy Piper
Opéra en 1 prologue et 2 actes (16 scènes)
1954
D'après le roman/nouvelle éponyme de Henry James
(1898)
I ] Protagonistes, composition de l’opéra :
1) Les protagonistes :
a) Le compositeur
Benjamin Britten est un compositeur britannique (1913-1976). Il était aussi chef d’orchestre,
pianiste et altiste.
Il naquit dans un environnement musical. Sa mère était pianiste amateur et son père
encourageait fortement la pratique instrumentale. En outre, la famille recevait volontiers les
musiciens qui se produisaient dans la région. C’est ce qui explique la précocité de Benjamin
Britten qui composa sa première petite pièce musicale à l’âge de 5 ans.
La composition sérielle le passionne à travers les œuvres notamment d’Arnold Schönberg.
Cet élan est quelque peu freiné par le conformisme musical de ses parents qui refusent qu’il
parte à Vienne étudier avec Alban Berg.
Dès 1934, il compose entre autre « Simple Symphony » jouée et appréciée dans le cadre du
Festival de Florence organisé par la Société Internationale pour la Musique contemporaine.
Il ne cessera de composer : des opéras, des œuvres orchestrales, vocales, instrumentales,
chorales et de musique de chambre.
Il sera anobli par le Reine Elisabeth II et recevra durant sa carrière un nombre
impressionnant de récompenses et titres.
A une époque où l’homosexualité était pénalement réprimée, Benjamin Britten prit le risque
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militant de ne pas voiler son orientation sexuelle et vécut à partir de 1947 avec le ténor Peter
Pears dans un village du Suffolk. Objecteur de conscience et pacifiste, c’est la figure d’un
humaniste qui se dessine en Benjamin Britten. Victime d’abus sexuels dans son enfance, il
sera particulièrement attentif à la façon dont les enfants peuvent être maltraités.
C’est d’ailleurs, outre la forme extraordinaire de la nouvelle de Henry James « The Turn Of
the Screw » une des raisons qui poussa Britten à en composer une adaptation lyrique.
L’atmosphère délétère, le non-dit, le fantasme, la perversion, la sexualité refoulée sont
présents dans le roman (que l’on trouve parfois classé en Nouvelle) de Henry James (1898),
auteur que Britten appréciait tout particulièrement. D’ailleurs, en 1971, il créa un opéra
adapté d’un autre texte de Henry James « Owen Wingrave ».
Il fut soutenu dans ses choix par la librettiste et amie, Myfanwy Piper. Le livret est très
fidèle au roman si ce n’est l’intelligente volonté de Piper de donner des voix aux
« fantômes » de Quint et Flora. Le livret est construit de façon très rigoureuse en deux actes
parfaitement équilibrés.
Pour approfondir la biographie de Britten :
Biographie de Benjamain Britten Biographie de Benjamin Britten - France Musique
A propos de Benjamin Britten :
juin 2013 - par Xavier de Gaulle - Article paru dans le N°153 de Classica
Benjamin Britten : la chant solitaire d'un compositeur universel
b) La librettiste :
Myfanwy Piper, critique d’Art anglaise fut la librettiste de trois opéras de Benjamin Britten
Concernant « The Turn of the screw », ce fut elle, en fait, qui fit cette suggestion
d’adaptation à Britten. C’est tout naturellement qu’elle accepta d’écrire le livret de cet opéra
même si elle ne se sentait pas totalement qualifiée pour le faire.
Tous deux se connaissaient depuis les années 40, quand son époux, l’artiste John Piper,
dessinait des décors pour des opéras de Britten dont « The rape of Lucretia » et « Billy
Budd ».
Mrs Piper était avant tout critique d’art. Durant une visite à Paris, elle découvrit les travaux
de Kandinsky et de Mondrian en 1934. Elle fonda la revue Zxis, revue anglaise d’art abstrait
qui assurait la promotion de l’avant-garde française et anglaise. Elle dirigea ce journal de
1934- à 1937.
C’est aussi en 1934 qu’elle rencontra John Piper. Ils se marièrent en 1937 et s’installèrent
dans une ferme qui se transforma rapidement en cercle de peintres, de musiciens,
d’architectes et de poètes…
Elle publia aussi plusieurs ouvrages dont un essai « The Painter’s object »
Sa collaboration avec Britten dans l’écriture du livret de “The turn of the screw avait
fortement impressionné Benjamin Britten qui, lorsqu’il souhaita adapter une autre nouvelle
de James “Owen Wingrave” fit appel immédiatement à Mrs Piper en 1971.
Très rapidement, il lui confia l’écriture de son dernier opéra « Mort à Venise » d’après le
roman de Thomas Mann.
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c) Le metteur en scène : Dominique Pitoiset : « Le théâtre est l’art de l’incarnation du
sens »
Dominique Pitoiset est un comédien, metteur en scène et scénographe bien connu de
l’univers du spectacle vivant de Bordeaux. En effet, il a dirigé le TnBA durant 9 ans de 2004
à 2013.
Outre de nombreuses mises en scène théâtre, Dominique Pitoiset a mis en scène quelques
opéras :
Les Noces de Figaro de Mozart (Opéra de Lausanne) en 1995
Don Giovanni de Mozart (Opéra Bastille) en 1999
Didon et Enée de Purcell (Opéra de Paris) en 2008
Orphée et Eurydice de Gluck (MC93) en 2011 (puis à Bordeaux, TnBA en 2013)
Et bien évidemment, l’œuvre qui nous occupe en 2008 à l’opéra de Bordeaux de nouveau à
l’affiche en 2016.
Citons Dominique Pitoiset lui-même quant à son processus de création :
« Le processus de création.
Je m’interdis d’avoir des images scénographiques au début de la création. À un moment, il y
a des pièces du puzzle qui sont incontournables, déjà ce qui est nécessaire, après ce que je
veux raconter et ensuite comment les choses s’organisent entre elles. J’ai des carnets de
notes, mais ce n’est pas très bon d’avoir trop d’idées avant. Je suis un peu dans les startingblocks, je sais que lorsque l’on prépare bien le match, après il faut s’adapter à la réalité des
autres. Guider une mise en scène, c’est inventer dans l’instant avec les autres, en étant persuadé que lorsqu’ils inventent quelque chose que l’on a rêvé depuis très longtemps, on a atteint le but. C’est le problème du metteur en scène, il ne doit pas seulement imposer ses
idées aux autres mais doit faire en sorte que les autres aient les bonnes idées qu’on a souhaité qu’ils aient. Ce sont les processus de réalisation qui sont compliqués. Finalement, ce sont
les autres qui sont emmerdants. Mais le jour où ils ne seront plus là, que l’on ne fera des
spectacles qu’avec des hologrammes, on sera vite sec. C’est une belle aventure humaine,
compliquée et quelque fois affectivement douloureuse, mais elle est riche de confrontations aux désirs et aux peurs. Ce sont des métiers qui sont traversés par la peur de ne pas être
à la hauteur, de ne pas être connu, de ne pas être estimé. Il y a beaucoup d’angoisses et d’inquiétudes, c’est ce qu’il faut réussir à accompagner. » Carnet d’Art (site : http://www.carnet
dart.com/dominique-pitoiset/)
Pour en savoir davantage, un entretien en vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=M0pJttYTS28
Pour en connaître davantage sur la mise en scène de « Le Tour d’écrou » par Dominique
Pitoiset en 2008 :
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« Mireille Delunsch entend à nouveau
des voix »
Olivier Pansieri
« Les Trois Coups »
Critique par Olivier Pansieri 2008
2) Composition de l’Orchestre et incarnations :
a) L’orchestre :
Flûte (+ piccolo et alto)
Hautbois + cor anglais
Clarinette en Si bémol + clarinette basse
Basson
Cor
2 violons, alto, violoncelle, contrebasse
Piano
Harpe
Percussions: timbales, tambours, tom-tom, gong, cymbales, triangle, woodblock, glokenspiel, cloches.
b) Incarnations :
Personnages
Narrateur du prologue
La Gouvernante
Miles
Flora
Mrs Grose, l’intendante
Peter Quint, ancien valet
Miss Jessel, acienne
gouvernante
Tessitures
Distribution Opéra de
Bordeaux 2016
Ténor
Soprano
Eric Huchet
Mireille Delunsch
Garçon soprano
Soprano
?
Morgane Collomb
Soprano
Ténor
Soprano
Hedwig Fassbender
Eric Huchet
Cécile Perrin
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II) Argument et Analyse
1) L’Argument :
Prologue :
Un narrateur est seul sur scène (ce rôle est souvent confié au chanteur qui incarne plus tard
Peter Quint). Il raconte comment lui a été confié une sorte de journal intime d’une
gouvernante alors âgée. « J’en tiens le récit, écrit d’une encre passée, de la main d’une
femme qui fut la gouvernante de 2 enfants, il y a bien longtemps. »
Cette jeune gouvernante se vit confier la garde de deux enfants, Miles et Flora. Son
employeur est un « jeune homme souriant, aux manières franches et affables, le seul parent
qu’il leur restât », oncle et tuteur des enfants orphelins. Les enfants sont logés dans une
demeure isolée et sont tous deux présents en ce temps de vacances dans une demeure isolée
à la campagne, « Bly ».
Il demande à la jeune gouvernante de prendre totalement en charge ces deux enfants. Il
l’enjoint de ne jamais l’ennuyer à ce propos. Après quelques hésitations, charmée par ce
jeune homme séduisant, elle consent finalement.
« J’accepte ».
Acte I
Scène 1 : Le voyage.
La jeune gouvernante est en voyage vers Bly, demeure des enfants. Elle confie ses craintes
et ses doutes mais, finalement, renforce pour elle-même sa détermination pour cette
mission : « J’ai dit que je le ferai, et pour lui, je le ferai »
Scène 2 : L’accueil.
Arrivée à Bly, elle est chaleureusement accueillie par l’Intendante de la maison, Mrs Grose
et les enfants. Elle les trouve charmants, intelligents et ne prend pas garde aux propos de
Mrs Grose qui laissent déjà entrevoir de plus sombres choses : « Ils sont vifs, trop vifs
(…) Les choses qu’ils vont chercher ! »
Scène 3 : La Lettre.
Arrive une lettre annonçant le renvoi du jeune Miles de son école. Répondant cependant à
l’injonction du tuteur des enfants et rassurée par leur comportement « Voyez comme il joue
gentiment (…) Cet enfant est un ange ! (…) », elle renonce à le tenir au courant de ce fait.
Scène 4 : La Tour.
Alors qu’elle se promène dans le parc de Bly et qu’elle en admire la beauté, elle aperçoit
soudain la silhouette d’un homme en haut d’une tour. Cette vision l’effraie. Elle se demande
qui peut bien être cet homme même si, dans un premier temps fugace, on présume qu’elle y
voit le jeune tuteur « Ah ! C’est lui ! » pour ensuite se questionner « Qui est-ce ? Qui ? Qui
cela peut-il être ? Qui ? »
Scène 5 : La fenêtre.
Tout est calme. Les enfants jouent tranquillement. A travers une fenêtre, la gouvernante
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aperçoit de nouveau la silhouette de l’homme inconnu. Elle questionne Mrs Grose qui, à
travers la description faite, reconnaît en lui Peter Quint, ancien valet du tuteur des enfants.
Elle raconte combien ce personnage était « bien familier avec tout le monde et avec le petit
Master Miles ! », « Grand Dieu, n’y aura-t-il jamais de fin à ses horribles manigances ? ». Il
avait aussi beaucoup d’emprise sur Miss Jessel, l’ancienne gouvernante des enfants qui dut
quitter le domaine car elle était enceinte « Il obtenait toujours ce qu’il voulait ». La jeune
femme mourut.
L’intensité dramatique s’accroît encore lorsque Mrs Grose révèle que Peter Quint est lui
aussi décédé. Ce que la gouvernante a aperçu est de toute évidence un fantôme.
Mrs Grose explique pourquoi elle n’a jamais tenu le tuteur des enfants au courant de cette
situation (pour les mêmes raisons que la gouvernante) « Je n’ai pas osé. Il déteste qu’on
l’ennuie ». La jeune gouvernante comprend que les enfants sont en danger, particulièrement
Miles « Il est venu chercher Miles (…) » « Je dois protéger les enfants ».
Mrs Grose bien que ne semblant plus très bien suivre la gouvernante sur ce point lui
réaffirme son soutien « Seigneur, Miss, je ne comprends pas un mot de ce que vous dites.
Mais je vous soutiendrai. (…) »
Scène 6 : La Leçon.
Miles étudie une leçon de latin avec sa gouvernante. Il semble curieusement absent, étrange.
Il se met à chanter un mystérieux air triste aux paroles incompréhensibles.
Il affirme l’avoir inventé « (…) je l’ai inventée. Elle me plaît. Et à vous ? Malo… Malo…
Malo… » (on notera le jeu trouble entre le verbe latin « malo, malvis, malui, malle » qui
signifie « je préfère, j’aime mieux » et le mot malo qui peut signifier « pomme » renforcé
par l’allusion au pommier dans la chanson mais qui a aussi toute une filiation avec le champ
lexical du mal, de la nature mauvaise)
Scène 7 : Le Lac.
La gouvernante fait une leçon de géographie à la petite Flora près d’un lac. Sur la rive
opposée, elle aperçoit soudain une silhouette qu’elle attribue immédiatement au fantôme de
Miss Jessel.
Flora a forcément vu cette silhouette. Elle feint cependant de ne rien avoir aperçu. La
gouvernante prend conscience que les enfants sont au courant de ces apparitions mais n’en
laissent rien paraître et se désespère « Ils sont perdus ! … perdus ! … »
Scène 8 : La Nuit.
C’est la nuit. Peter Quint appelle Miles qui lui répond « Je suis là…oh ! Je suis là ! ».
Quint cherche de toute évidence à séduire Miles « Je suis tout ce qui est étrange et téméraire.
(…) En moi trouvent accueil les secrets et les désirs à demi formés. ». L’aventure, la
transgression, la sexualisation sont autant de promesses faites à l’enfant « Je suis la vie
cachée qui brille. ».
Miss Jessel, invisible elle aussi, appelle Flora qui lui répond de la même façon que Miles à
Quint « Je suis là, oh, je suis là… ». Se précise alors une proposition faite aux enfants de les
suivre pour retrouver « Tous ceux que nous avons pleurés ensemble » , des figures
mythologiques telle Pandora - Flora : « Pandora aussi, avec sa boîte ! ».
Miss Jessel et Miles font miroiter un autre monde aux deux enfants puisque « Leurs rêves
[du monde réel] et les nôtres ne peuvent se rejoindre. (…) Oh ! Viens, viens à moi, viens ! »
Flora promet de ne jamais faillir.
Mrs Grose et la gouvernante interrompent ces échanges et les fantômes disparaissent. Mrs
Grose et la gouvernante s’étonnent que les enfants soient hors de leurs lits « Miles ! Que
faites-vous ici ? ». La réponse de Miles est ambiguë entre affirmation et question : « Vous
voyez, je suis mauvais, je suis mauvais n’est-ce pas ? ».
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Acte II
Scène 1 : Colloque et soliloque.
Peter Quint et Miss Jessel conversent et se questionnent. L’ambiguïté est permanente, nous
maintenant dans l’impossibilité de savoir qui est à l’origine de quoi, qui rêve, qui affabule,
qui fantasme : « Jessel : Cruel ! Pourquoi me réclamez-vous près de vous ? – Quint : Vous
ai-je réclamée ? Non, non, pas moi ! Votre cœur battant de vos propres passions vous
ment. ». Ils se trouvent cependant totalement en accord (duo) sur l’objectif : « Jour après
jour, (…) nous brisons l’amour qui les entoure (…) « La cérémonie de l’innocence est
noyée » [vers de Yeats].
Les fantômes disparaissent laissant place à la gouvernante. Elle chante son désarroi ici
totalement autocentré, aucune référence aux enfants si ce n’est peut-être, à travers le mot
« Innocence » bien qu’il puisse aussi faire référence à sa propre innocence: « Perdue dans
mon labyrinthe, je ne vois plus la vérité, mais seulement les murs brumeux du mal qui se
referment sur moi. Oh ! Innocence, tu m’as corrompue, vers quoi me tournerai-je ? J’ignore
tout du mal et pourtant je le crains, je le sens, pire, je l’imagine. (…) »
Scène 2 : Les cloches.
Au cimetière, les enfants, la gouvernante et Mrs Grose attendent le début de l’office
religieux. Les enfants entonnent un chant religieux ou plutôt une parodie de chant religieux
puisqu’ils y mêlent des expressions que l’on reconnaît être celles de Quint : « Ô vous
dragons et serpents, vers et volatiles emplumés : Réjouissez-vous dans le Seigneur ! ». La
Gouvernante s’ouvre à Mrs Grose du caractère blasphématoire du chant des enfants mais
celle-ci tempère le jugement « Allons, Miss, ne vous inquiétez pas. Cela passera, j’en suis
sûre. (…) ». La Gouvernante quant à elle, continue d’expliquer à Mrs Grose combien les
enfants sont en danger et combien Quint et Jessel ont déjà semble-t-il gagné la partie « (…)
Je vous le dis, ils ne sont pas avec nous mais avec les autres. ». Mrs Grose conseille alors
d’écrire à l’oncle des enfants. La Gouvernante s’y refuse « [pour lui dire] Que sa maison est
empoisonnée, que les enfants sont fous, ou que je le suis ? J’ai le devoir de ne pas
l’ennuyer. ». Comprenant qu’elle est seule devant cette adversité elle décide de quitter Bly
« Il faut que je parte, maintenant, pendant qu’ils sont à l’église, que je parte loin de ces
adorables petits yeux fourbes (…) »
Scène 3 : Miss Jessel.
Dans la salle d’étude, la Gouvernante trouve le fantôme de Miss Jessel assis à son bureau.
S’ensuit un échange. Il ne s’agit pas d’un dialogue mais d’une lamentation de la part de
Miss Jessel et d’une constatation effrayée de la Gouvernante. Elle sait que le fantôme
s’approche de plus en plus « « au cœur même de mon royaume » annonçant une accélération
dans le drame qui se joue.
De son côté, Miss Jessel livre son tourment et son objectif non pas rédempteur « Ici je dois
trouver la paix (…) » mais bel et bien d’entraîner Flora avec elle « Ai-je dit la paix ? Non
pas la paix mais le féroce partage de ma peine. ». La Gouvernante tente de parler avec Miss
Jessel en vain. La Gouvernante renonce à son projet de départ et décide d’écrire une lettre à
l'oncle des enfants, lettre qu’elle commence à écrire immédiatement.
Scène 4 : La chambre.
Miles chante sa chanson Malo avec quelques variantes. La Gouvernante lui reproche de ne
pas être encore couché. Elle tente de questionner Miles sur ce qu’il a vécu, sur l’événement
qui a justifié son renvoi de l’école en vain. Elle avoue à l’enfant avoir écrit à son oncle. On
entend alors la voix de Quint, invisible, appeler Miles. Ce dernier se détourne de la
Gouvernante pour répondre à Quint. Alors que la gouvernante s’évertue à ramener Miles
vers elle, celui-ci souffle la bougie plongeant la scène dans les ténèbres « - Gouvernante :
Oh ! Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? Et la chandelle qui s’est éteinte ! - Miles :
C’est moi qui l’ai soufflée, ma chère ! ».
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On entend la voix de Quint qui forme déjà le projet de faire voler cette lettre : « C’est là sur
le bureau. Facile à prendre. »
Scène 5 : Quint.
Quint incite Miles à dérober la lettre que la gouvernante a écrite à son oncle. « Prends-la !
Prends-la ! ». Miles hésite brièvement puis s’en saisit.
Scène 6 : Le Piano.
Mrs Grose et la Gouvernante s’extasient devant le jeu virtuose de Miles au piano. Mrs Grose
s’approche de Flora qui joue au « Berceau du chat » [cat’s craddle : jeu de construction de
formes à l’aide de ficelles en boucle]. Elles entonnent une comptine. Pendant ce temps, le
jeu de Miles au piano devient plus complexe. Mrs Grose finit par s’endormir encouragée
dans ce sens par Flora. Ce moment d’inattention permet à Flora de quitter la pièce. La
Gouvernante réveille Mrs Grose et toutes deux sortent. « Flora est partie, sortie pour la
rejoindre. Venez, il faut que nous la retrouvions. ». Mrs Grose s’inquiète de laisser Miles
seul dans la maison « - La Gouvernante : Oh ! Peu importe maintenant, il est avec Quint ! ».
Scène 7 : Flora.
Mrs Grose et la Gouvernante retrouvent rapidement Flora. La Gouvernante demande à Flora
de désigner Miss Jessel dont elle aperçoit la silhouette sur l’autre berge du lac. Flora nie la
voir. Mrs Grose, quant à elle, ne voit rien non plus « Vraiment, Miss, il n’y a rien ici. »,
« Elle n’est pas là. Voyons, la pauvre Miss Jessel est morte et enterrée (…) ».
Miss Jessel, dont on entend la voix, incite Flora à lui rester fidèle « Ne me trahis pas ! « .
La Gouvernante insiste auprès de Flora pour qu’elle avoue voir Miss Jessel. Flora finit par
se mettre en colère et agonit la Gouvernante d’injures haineuses « Vous êtes cruelle,
horrible, détestable, mauvaise. Pourquoi êtes-vous venue ici ? ».
Mrs Grose emmène Flora dans la maison tandis que la Gouvernante déplore une fois de plus
sa solitude face à l’adversité, sûre maintenant que Mrs Grose l’a abandonnée.
Scène 8 : Miles.
Le lendemain matin, Mrs Grose part avec Flora sur les conseils de la Gouvernante. Mrs
Grose a entendu Flora parler dans son sommeil et est horrifiée de ce qu’elle a entendu « (…)
Ce que cette enfant a pu dire dans ses rêves… ce sont des choses dont je n’ai jamais eu idée,
et dont je n’ose me souvenir. ». La Gouvernante apprend aussi de la bouche de Mrs Grose
que la lettre à l’oncle des enfants n’est jamais partie puisqu’elle n’était pas à la place
indiquée. La Gouvernante en déduit que Miles est le fautif.
Mrs Grose et Flora partent. La Gouvernante reste seule avec Miles « Oh ! Miles, je ne
supporterai pas de vous perdre. Vous serez à moi, et je vous sauverai. ».
Miles et la Gouvernante dialoguent, Miles insistant sur le fait qu’ils sont seuls.
La voix de Quint, toujours invisible, intervient pour empêcher Miles de se confier à la
Gouvernante et devient menaçante. La Gouvernante veut que Miles avoue son forfait : le vol
de la lettre.
Miles semble fléchir mais Quint le rappelle à l’ordre « Ne trahis pas nos secrets. Prends
garde ! Prends garde à elle ! ». Miles se jette dans les bras de la Gouvernante « Peter Quint,
démon que vous êtes ! ». Quint fait ses adieux et disparaît. La Gouvernante pense un instant
avoir sauvé l’enfant avant que de s’apercevoir qu'il est mort dans ses bras. L’opéra se
termine tandis que la Gouvernante chante l’énigmatique chanson de Miles « Ah ! Miles !
Malo, Malo ! (…) Malo, Malo… »
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2) Analyse du livret : une œuvre complexe (mise en regard de la nouvelle : toutes
les citations de la nouvelle de James sont en italiques)
C’est l’œuvre elle-même qui résiste à l’analyse ou, plus justement, qui la rend multiforme,
qui multiplie les pistes, qui fait que, désespérément, nous ne serons jamais sûrs que l’axe
choisi soit le bon.
« Il n'y a en ce domaine aucun absolu légitime du Mal ; le Mal reste relatif à une
cinquantaine d'autres éléments, c'est une affaire d'appréciation, de spéculation,
d'imagination (…) éclairés par l'expérience du spectateur, du critique, du lecteur.(...) Faislui concevoir le Mal, fais-le lui concevoir selon ses propres critères, et tu seras dispensé de
vaines spécifications. » Henry James, Préface de « Le Tour d'écrou ».
Ainsi, logiquement, à partir des mots mêmes d'Henry James, nous en retrouvons, dans le
livret de Myfanwy Piper, toute l’ambiguïté.
Il ne se passe pas grand-chose, ma foi dans cette histoire. Du moins, d’un point de vue
factuel. Par contre, la toile qui se tisse et se resserre autour des personnages se fait de plus en
plus épaisse sans que l’on sache jamais si nous sommes dans les délires d’une jeune femme
dont la sexualité refoulée laisse toute la place aux fantasmes, si nous sommes dans une
histoire fantastique dans laquelle des fantômes prennent corps pour entrainer dans leur
sillage maléfique des âmes innocentes, si nous sommes dans une allégorie de l’abus sexuel
des enfants et de l’aliénation culpabilisante qu’il met en œuvre chez ses victimes, si nous
sommes dans une condamnation du désintérêt, de l’abandon parental (ou des adultes en
général) vis-à-vis des enfants à travers le personnage de l’oncle…
Sans doute, et nous y reviendrons, est-ce tout cela à la fois.
Ce que l’on sait avec certitude, c’est que l’atmosphère terriblement angoissante, étouffante,
délétère qui règne tout au long de l’œuvre nous plonge dans un bain malsain et
inconfortable. Tout l’art de l’écrivain Henry James est repris avec intelligence par la
librettiste Myfanwy Piper. Le titre du roman comme celui de l’opéra rend bien compte de ce
resserrement, du piège qui se referme. Le tour d’écrou ou plutôt les tours d’écrou successifs
mènent à l’inéluctable tragédie définitivement « vissée » (nous pourrions voir là un jeu de
mot avec le substantif vice mais ce serait une erreur car il n’y a aucune homonymie entre ces
deux termes en anglais). La musique de Britten rend compte précisément de ces serrages de
vis par un thème récurrent, le thème de l’écrou. On l’entend notamment lors des interludes
entre les différentes scènes dans des variations instrumentales.
Essayons de démêler l’écheveau de l’intrigue à travers ses différentes pistes.
a) La Gouvernante
Dès le départ, le personnage de la gouvernante, jamais nommée, est un personnage que
l’on sent fragile, naïf et très à l’écoute de désirs prompts à se manifester.
Sa rencontre avec l’oncle-tuteur des enfants telle que racontée par le narrateur du
prologue ne laisse aucun doute quant à sa motivation profonde. Ce qui emporte sa
décision d’accepter cette mission n’est pas tant les enfants que « exaltée aussi à l’idée
que, lui, si aimable et si charmant, si pris par ses occupations mondaines, eût besoin de
son aide ».
Dans la nouvelle de James, la Gouvernante est prise dans un réseau de séductions dès
les premières pages :
Séduction de la maison : « Je me rappelle comme la plus agréables des impressions, la
large et limpide façade, ses fenêtres ouvertes (…) »
Séduction de Flora : « La petite fille (…) m'a immédiatement paru être une créature si
charmante (…) c'était l'enfant la plus ravissante que j'aie jamais vue »
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Séduction de Miles/ Le Tuteur : « Ma foi, il me semble que c'est pour cela que je suis
venue... pour être conquise. Mais je crains d'être facilement conquise (…). J'ai été
conquise à Londres ! »
Lors du voyage vers Bly (Acte I, scène 1), elle s’interroge sans cesse et c’est un
personnage angoissé, manquant terriblement d’assurance qui se dévoile. Ce qui, encore
une fois, emporte son adhésion est une projection amoureuse dont l’objet n’est autre que
ce jeune oncle qu’elle n’a vu qu’une fois et que, sans doute, vu l’injonction de ne pas le
déranger, elle ne verra plus. Malgré cela elle chante « J’ai dit que je le ferai, et pour lui,
je le ferai ».
D’ailleurs lors de la première apparition du fantôme de Peter Quint, elle pense dans un
premier temps qu’il s’agit de son employeur. Du moins, c’est ce que l’on peut deviner
dans cette simple exclamation : « Ah ! C’est lui ! » (Acte I, scène 4).
Aucun autre indice pour comprendre cette méprise mais quelle autre silhouette
masculine aperçue dans la tour pourrait générer cette tirade ?
Aucun personnage masculin, si ce n’est Miles encore enfant et Peter Quint, l’ombre de
l’ancien valet qu’elle n’a cependant pas encore identifié. La gouvernante est donc bel et
bien dans l’espoir que le jeune oncle vienne, qu’elle puisse le revoir…
La charge fantasmatique amoureuse est très forte en ce personnage. Toute à ses
fantasmes, ne dira-t-elle pas à peine arrivée : « Je vais me sentir une vraie princesse ici. »
(Acte I, scène 2).
On peut donc imaginer que tout ce qui va se passer dans cette histoire est le fruit de
l’imagination de cette jeune femme, totalement engluée dans des pulsions sexuelles qui
peinent à trouver leur objet.
Le peu d’assurance et d’ancrage ds le réel du personnage surgit à plusieurs moments.
Ainsi, lorsque Miles chante cette énigmatique chanson « Malo… » (Acte I, scène 6), elle
l’interroge : « Tiens, Miles, quelle drôle de chanson ! Est-ce moi qui vous l’ai apprise ? »
Quelle étrange question… Aurait-elle parfois des égarements ?
On ne peut non plus affirmer avec certitude que les apparitions ne sont pas des délires
qui lui sont propres. Elle seule affirme voir les fantômes, elle seule affirme que les
enfants les voient. Les scènes avec les enfants sont toujours très ambigües sur le sujet.
Lorsque Flora rejette la gouvernante, on peut considérer qu’il s’agit de la colère d’une
enfant poussée dans ses retranchements par le questionnement incessant de la jeune
femme. « Je ne vois personne, je ne vois rien, personne, rien. Je ne sais pas ce qu’elle
veut dire. Cruelle, horrible, détestable, mauvaise. Nous ne voulons pas de vous ! (…) »
(Acte II, scène 7). Les voix de Miss Jessel et de Peter Quint que nous, spectateurs,
entendons aussi, peuvent être le fait d’un point de vue omniscient du lecteur/spectateur,
nous donnant à entendre ce que la gouvernante entend, sans pour autant permettre avec
certitude de penser que ces phénomènes sont « réels », y compris dans la scène 8 de
l’Acte I. Un dialogue se met en place entre les fantômes et les enfants. Là encore rien ne
garantit que nous ne sommes pas dans la projection fantasmatique de la Gouvernante qui
apparait sur le porche.
La relation qu’elle entretient avec les enfants est elle-aussi empreinte d’une ambigüité
sombre. On ne sait plus si la gouvernante veut sauver les enfants pour les libérer d’une
néfaste emprise ou s’il s’agit de se les approprier totalement « Oh ! Miles, je ne
supporterai pas de vous perdre, vous serez à moi et je vous sauverai. » (Acte II, scène 8)
Cette phrase ressemble à s’y méprendre à une déclaration amoureuse comme ici encore :
« Je reste comme votre amie, Miles, il n’y a rien que je ne ferais pour vous (…) » (Acte
II, scène 8).
In fine, la gouvernante lorsque Miles meurt dans ses bras reprend l’étrange chanson
« Malo… ». Elle se l’approprie donc en y intégrant un vers « Qu’avons-nous fait de
nous ? » (Acte II, scène 8). La question est mystérieuse. Elle eut pu être « Qu’ont-ils fait
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de vous ? » (Référence aux fantômes) ou à la rigueur « Qu’ont-ils fait de nous ? »… le
« Qu’avons-nous fait de nous ? » déplace la responsabilité de la tragédie entre la
Gouvernante et Miles, comme si les ombres maléfiques n’y avaient jamais eu de prise
réelle.
Le seul indice de l’effectivité des apparitions serait dans les dernières paroles de Miles
« Peter Quint, démon que vous êtes ! » (Acte II, scène 8). Pour la première fois, Miles
cite Quint. Mais là encore, du moins en anglais, règne un doute : « Peter Quint, You
evil ! » s’écrit Miles en se jetant dans les bras de la gouvernante. Reconnaît-il par là que
le fantôme de Peter Quint est bien réel et dénonce-t-il ses objectifs démoniaques ou
lâche-t-il ce nom parce qu’il le sait attendu tout en accusant la gouvernante d’être un
démon, de le pousser ainsi dans ses retranchements, de l’avoir entrainé dans ses propres
délires voire dans des relations sexuelles (ou du moins désirantes) ?
b) Les enfants anges-démons abandonnés et victimes d’abus sexuels
Dans le titre même de la nouvelle figure un jeu explicite lié à ces deux enfants :
«- Si l'implication d'un enfant donne un tour d'écrou supplémentaire, que diriez-vous de celles de
deux enfants... ?
- Nous dirions, bien entendu, répondit quelqu'un, qu'elle donne deux tours d'écrou ! »
Durant tout l’opéra, la question des abus sexuels reste en suspens. Bien des fils mènent
cependant à cette pelote.
Les enfants sont orphelins, abandonnés par leur tuteur qui, s’il consent à payer pour
qu’ils soient bien entretenus, se désintéresse totalement de leur sort.
Ils sont donc laissés dans un lieu isolé de tout à la merci d’adultes dont il ne se
préoccupe guère des références. La façon dont la jeune gouvernante est engagée le
démontre.
Pourtant, les incidents morbides qui ont mené à la mort de Peter Quint et de Miss Jessel
(qui partit enceinte avant de décéder) aurait dû le rendre plus vigilant. Il n’en est rien. Il
se débarrasse de nouveau de sa nièce et de son neveu en précisant bien, comme il l’avait
fait auparavant « Il était terriblement pris(…), il n’avait pas un instant pour ces pauvres
chérubins. Elle devait s’occuper de tout (…) et surtout ne pas l’importuner en rien, ne
pas écrire mais faire de son mieux, en silence » (Prologue). L’injonction est forte. Il veut
bien payer à condition que l’existence de ces enfants soit effacée de la sienne. Aucune
affection, aucun intérêt pour ces « pauvres chérubins ».
Il a donc une responsabilité forte dans les drames qui se sont joués avant le début de
l’opéra et dont il ne tient aucun compte.
Mrs Grose, l’intendante, avoue à la Gouvernante avoir pensé lui écrire quand elle avait
pris conscience du caractère pervers de Peter Quint. Elle y renonça « Je n’ai pas osé. Il
déteste qu’on l’ennuie. (…) » (Acte I, scène 5).
Miles et Flora sont donc complètement abandonnés à leur sort entre les mains de
personnes « douteuses ». Il y a fort à parier que le jeune oncle connaissait bien son valet,
Peter Quint. Et pourtant, « il lui avait confié le domaine » (Acte I, scène 5)…
« Un monsieur bien ? A-t-elle fait d'une voix haletante, confuse, stupéfaite. Un Monsieur
bien, lui ? » Le Tour d'écrou, partie 5
Miles et Flora sont dans une situation d’abandon à même de générer chez eux une
frustration destructrice, une colère intérieure. C’est ce qui peut expliquer leur
comportement qui oscille entre enfants sages (un peu trop) et des moments de
provocation comme lorsqu’ils détournent et parodient un chant religieux (Acte II, scène
2). La raison pour laquelle le jeune Miles a été renvoyé de l’école n’est jamais donnée.
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On peut imaginer qu’un enfant laissé pour compte cherche à se faire remarquer, à
devenir enfin visible en commettant des actes répréhensibles. On ne connaît cependant
pas la hauteur de ce mauvais comportement.
Ces mêmes clivages de comportements sont sans doute liés au fait que les enfants furent
les objets sexuels de Peter Quint et de Miss Jessel (elle-même fut le jouet de Quint).
C’est du moins ce que bien des indices laissent supposer. La Gouvernante elle-même
n’est pas exempte de ce soupçon vis-à-vis de Miles.
Cela étant, la plus grande prudence est requise car James lui-même précise dans
l'incipit de la nouvelle : « L'histoire ne le dira pas, déclara Douglas ; pas d'une façon
littérale et vulgaire »
Les enfants sont tout d’abord présentés comme de véritables anges, parfaits dans leur
beauté, leur intelligence et leur amabilité. Tout en eux force l’attachement « Comme ils
sont charmants, et comme ils sont beaux. » (Acte I, scène 2). Mrs Grose, l’intendante est
la première à briser ce sentiment de perfection « Ce sont de bons enfants (…) mais ils
sont vifs, trop vifs (…). Ils m’éreintent, ça, on peut le dire » (Acte I, scène 2). Plus
l’opéra avance, plus la perversité des enfants semble se dévoiler. Pourtant, à y bien
regarder, ce double-jeu est minime : une parodie de chant religieux, une lettre volée pour
que l’oncle-tuteur ne prenne pas connaissance de leurs bêtises, une colère contre la
Gouvernante…
Reste l'étrange chanson de Miles « Malo », qui sera reprise à plusieurs reprises dans
l'opéra jusqu'à le conclure.On notera dans cette chanson le jeu trouble entre le verbe latin
« malo, malvis, malui, malle » qui signifie « je préfère, j’aime mieux » et le mot malo
qui peut signifier « pomme » renforcé par l’allusion au pommier dans la chanson mais
qui a aussi toute une filiation avec le champ lexical du Mal, de la nature mauvaise.
Le seul acte fort est le renvoi définitif de Miles de son école. Le motif en restera inconnu
d’ailleurs si ce n’est une petite phrase de la Gouvernante « un danger pour ses
camarades » (Acte I, scène 3), premier indice de comportements dévoyés possibles.
Cependant, la gouvernante autant que l’intendante s’accordent à minimiser les faits voire
à les nier « Cela n’a pas de sens, il n’y a pas un mot de vrai. Tout cela n’est que
mensonge. »
Nous, spectateurs sommes rapidement avertis que sous une réalité supposée parfaite, se
cachent sans doute de sombres choses. Le vocabulaire restera effectivement très vague
dans le livret comme dans la nouvelle.
Peu à peu vont se révéler des éléments qui, sans que jamais ne soit directement donné de
faits, laissent entendre fortement que les enfants et particulièrement Miles, ont été
victimes de la pédophilie de Peter Quint (si ce n’est de Miss Jessel). La narration des
événements passés que Mrs Grose fait à la Gouvernante dans la scène 5 de l’Acte I est
éloquente : « (…) J’ai vu certaines choses qui ne me plaisaient pas. Car Quint était bien
familier [traduction du mot anglais « free », ce dernier étant bcp plus ambigu que le
choix de la traduction] avec tout le monde, et avec le petit Master Miles ! », « Ces
heures qu’ils passaient ensemble ! », « Mais il avait la manière pour les [Miss Jessel et
les enfants] embobiner. (…) et il obtenait toujours ce qu’il voulait ».
La gouvernante elle-même semble comprendre et parle de « choses indicibles »
Dans la scène 8 de l’Acte I, nuit durant laquelle des échanges verbaux vont se mettre en
place entre les fantômes et les enfants, les litanies chantées par Quint sont assez
parlantes « Je suis (…) la subtile caresse de l’imposture. En moi trouvent accueil les
secrets et les désirs à demi formés ». Outre les mots caresse et désirs qui renvoient au
champ lexical de l’amour charnel, il est question de « désirs à demi formés » faisant
référence à l’âge de Miles, à l’éveil à la sexualité dans « les secrets ». Car le secret est
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puissant rendant toute révélation impossible et enfermant les enfants dans un piège
destructeur et culpabilisant.
Miss Jessel, elle-même victime des désirs de Quint semblait être néanmoins consentante
« Quint, Quint, avez-vous oublié ? » (Acte II, scène 1), consentante et
abandonnée. « Vous ai-je réclamée ? Non, non pas moi ! Votre cœur battant de vos
propres passions vous ment » répond Quint à la demande de Miss Jessel.
Quint semble être sans amour, sans scrupule, sans regret. Il cherche à faire de Miles cet
ami qui « nourrira mon pouvoir croissant »
Dans le duo que chantent Miss Jessel et Peter Quint dans cette même scène, leur désir de
s’emparer des enfants est clairement édicté. L’un pour asseoir davantage sa domination
perverse, l’autre pour partager sa douleur et « l’enchaîner à son esprit désolé ».
Chaque duo se termine par la citation d’un vers de Yeats (1919) où il est question de
domination (politique dans le poème de Yeats) et qui prend ici un tout autre sens « La
cérémonie de l’innocence est noyée ». D’ailleurs, les vers suivants du texte de Yeats
pourraient continuer à faire écho au contexte : « Les meilleurs restent irrésolus, alors que
les pires débordent d’intenses passions ».
Enfin, revenons sur la scène 8 de l’Acte I. Quint s’expose ainsi à Miles : « Je suis la vie
cachée qui brille - Quand la chandelle est éteinte ; - Les pas à peine entendus qui
montent et qui descendent. - Le geste inconnu, le doux mot qui obsède, - Le long vol
soupirant de l’oiseau de nuit.». L’analyse de ce court poème ne laisse aucun doute. Quint
est à ce qui se fait dans le noir, dans les ténèbres, dans le secret. Il est ces pas « à peine
entendus » de celui qui dans la nuit va pénétrer dans la chambre, il est celui qui prodigue
« ces gestes inconnus » à l’enfant qui ne les connaît pas… « Le long vol soupirant de
l’oiseau de nuit »… Difficile d’ailleurs de ne pas penser à la chanson de Barbara
« l’Aigle noir » qui, à travers ce texte poétique, rendait compte des abus sexuels dont
elle avait été victime, enfant.
L’allusion aux ténèbres et à la « chandelle éteinte » est encore plus intéressante si on la
met en regard avec la fin de la scène 4 de l’Acte II. La Gouvernante est dans la chambre
de Miles et le somme de révéler les raisons de son renvoi de l’école, de ce qui a pu se
passer dans la maison avant son arrivée. La voix de Quint, démon intégré par l’enfant ou
fantasme de la gouvernante, est là pour empêcher Miles de parler. La scène se termine
ainsi : « - La Gouvernante : Oh ! Qu’est-ce que c’est ? (…) Pourquoi la chandelle s’est
éteinte ! – Miles : C’est moi qui l’ai soufflée, ma chère ! ».
On le voit bien, les relations entre Miles et la Gouvernante ne sont pas très claires non
plus. Est-ce l’enfant démon qui entraîne la Gouvernante dans les jeux que Quint lui a
appris puisque c’est la seule réponse qu’il connaisse face à des adultes pressants ou estce la Gouvernante qui, utilisant la fragilité de Miles cherche à assouvir ses désirs ? Et
que s’est-il passé après que la chandelle a été soufflée ?
[Pour avoir d’autres éléments d’analyse sur les relations ambiguës entre Miles et la
Gouvernante, vous pouvez lire le 1) La Gouvernante de la partie II : Analyse page 11-12]
Lire aussi l’entretien avec Mireille Delusnch en 2008 lors de la création de « Le Tour
d’écrou » mis en scène de Pitoiset à Bordeaux :
Mireille Delusnch : "il est évidemment question de pédophilie dans « Le Tour
d’Ecrou"
Entretien avec Mireille Delusnch 2008
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c) Les ombres
« Les bons fantômes, pour un livre font de mauvais sujets, et il était clair dès le début que mes
créatures errantes, rôdeuses, malfaisantes, mon couple d'agents surnaturels, auraient à se départir
complètement des règles. Ce seraient effectivement des agents ; ils seraient chargés de la sinistre
mission d'empester la situation avec les relents du Mal. » Henry James - Préface
Tout d’abord apparaît Quint (Acte I, scène 4) puis Miss Jessel (Acte I, scène 7).
Qu’ils soient le fruit de l’imagination de la Gouvernante ou pas, ce sont eux, ces ombres,
ces fantômes qui maintiennent le drame en suspens. Ils sont maléfiques, c’est une
évidence. Contrairement à bien des histoires fantastiques, ils ne sont pas là pour être
sauvés, pour sauver leurs âmes errantes. Ils sont là pour entraîner dans leur sillage
morbide des âmes innocentes qu’ils ont perverties de leur vivant. « Il faut que
l’innocence soit noyée », celle des enfants et celle supposée de la Gouvernante [« Oh !
Innocence tu m’as corrompue, (…). » (Acte II, scène 1), annonce on ne peut plus
ambiguë, vous l’avouerez ! ].
Ces fantômes sont les révélateurs de toutes les perversités, de tous les non-dits. « Vrais »
fantômes ou démons intérieurs, ils sont là, on ne peut leur échapper. Ils sont la trace
indélébile des actions passées, de blessures antérieures. Cela génère des peurs
incontrôlées parce que jamais dites, jamais analysées, émotionnellement toujours en
l’état de leur construction.
C’est là toute la force de ce drame. Jamais les choses ne sont vraiment dites, les éléments
peuvent se contredire, il ne se passe pas grand-chose. Mais sans même en avoir
conscience, tout un chacun comprend cette histoire de fantômes qui nous hantent.
Ces personnages ont une place cruciale. Tout se joue dans l’idée de pouvoir se libérer
(ou pas) de ces/ses démons, de se soulager de leur sombre emprise qui laisse peu de
place à la lumière. Fine allégorie que l’on retrouve dans bons nombres d’œuvres
plastiques, cinématographiques et littéraires (cf. Pistes pédagogiques).
Les fantômes ne sont pas toujours là pour qu’on les aide à sauver leur âme ou pour nous
mener à une forme de rédemption (comme dans le conte de Noël « les 3 fantômes de
Scrooge » de Charles Dickens). Ce sont là des « vrais » fantômes, des esprits d’un autre
monde qui interagissent avec les vivants à moment donné.
Rien à voir avec les fantômes qui tels Quint et Miss Jessel sont les miroirs/souvenirs
muets de nos propres hantises.
Cette désincarnation du Mal permet une distanciation pour le lecteur/spectateur.Ils
transgressent les non-dits autant que faire se peut.
Pour aller plus loin dans l’analyse non pas du livret mais du roman de Henry James :
Analyse du Tour d'écrou Henry James
Le tour d’écrou, scandale et énigme du sexuel par Laurie Laufer
II] Pistes pédagogiques :
Comme l'indique le titre de cette partie, il ne s'agit que de pistes que vous choisirez d'exploiter ou
pas, en totalité ou en partie suivant le niveau des élèves et suivant l'équipe interdisciplinaire
impliquée.
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Vous en trouverez sans doute d'autres , ce ne sont que des propositions.
1) Littérature, le genre fantastique :
C'est bien évidemment une piste pédagogique incontournable. La littérature fantastique
est une littérature d'interprétation. Contrairement au merveilleux où le lecteur accepte de
naviguer das un univers « magique » que personne n'étonne, le fantastique maintient le
lecteur dans le doute. C'est en effet à ce dernier qu'est laissé le choix de croire ou non à
l'irruption de l'irréel dans le réel.
« Le texte fantastique est par nature ambigu et demande à être interprété correctement. Les
auteurs ont donc souvent recours à des techniques narratives qui conditionnent le lecteur.
Les textes courts (contes et nouvelles) qui permettent de maintenir la tension dramatique
sont privilégiés. Il est souvent fait appel à un narrateur, parfois redoublé d'un second
narrateur qui introduit le récit et le met à distance. Le lecteur du texte fantastique se retrouve
face à un choix paradoxal : soit il fait confiance au narrateur et accepte la version
« surnaturelle », et alors le texte devient évidemment une fiction ; soit il préfère une
explication « rationnelle » qui ramène le texte dans le champ du réalisme, mais alors il doit
mettre en doute la crédibilité du narrateur.
On peut aussi envisager le fantastique comme l'interprétation littérale de figures
métaphoriques. Ainsi le cafard de la Métamorphose de Kafka est à la fois une métaphore de
l'individu insignifiant et un véritable insecte. Le fantastique amène donc à s'interroger sur ce
qu'est un texte littéraire et sur son rapport à la réalité. Dans At Swim-Two-Birds par exemple,
Flann O'Brien imagine ainsi un auteur aux prises avec ses personnages qui refusent de lui
obéir, un thème que développera dans son propre monde également Marcel Aymé. (...)»
Wikipedia, article « Fantastique » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fantastique
Autre article :
histoires-de-fantomes-de-henry-james-recit-fantastique-singulier de Amélie Merlin
2) La musique de Britten et la mise en scène:
Cet opéra est facile d'accès sur le net à la fois pour une écoute musicale et travailler sur la notion de
mise en scène.
On peut donc en montrer des extraits aux élèves et leur permettre d'entendre notamment le thème
musical du « tour d'écrou » objet de variations.
- La version du Festival de Glyndebourne 2011 :
Article : Filmé à Glyndebourne en août 2011 l’opéra de Britten « Le tour d’écrou » dirigé par Jakub
Hrusa est aussi efficace qu’un thriller
Vidéo : Festival de Glyndebourne - extraits et entretiens
(à travailler en Anglais)
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- La version de STONY BROOK OPERA AND STONY BROOK SYMPHONY ORCHESTRA
Vidéo :
Stony Brook Opera 2014 -Prologue et Acte 1
Stony Brook Opera 2014 - Acte 2
- La version mise en scène par Luc Bondy 2001 Aix en Provence
Article : Luc Bondy 2001
Extrait vidéo : Festival Aix 2001 Mise en scène Luc Bondy
3) Un opéra en anglais :
Une fois n’est pas coutume, nous voici devant un opéra ni en italien, ni en allemand…
J’exagère, bien d’autres langues sont présentes dans l’art lyrique mais il n’est pas si fréquent
de pouvoir travailler avec les élèves directement la langue de l’écriture du livret.
Un livret en anglais permet donc cet exercice d’autant plus que la langue utilisée n’est pas
extrêmement complexe. Un travail de vocabulaire est nécessaire bien évidemment et tout
dépend du niveau de élèves. On peut cependant envisager :
-
Une lecture (théâtralisée ou pas) d’une ou plusieurs scènes
-
Un exercice de traduction littéraire
4) A travers les arts plastiques:
Les ombres sont présentes à toutes les formes d’art et ce depuis toujours.
Pour ne citer qu’un artiste, je me permets de reproduire ici, avec l’aimable autorisation de la
collègue d’Arts Plastiques, Marion Jarossay, un travail sur « Le Théâtre d’Ombre » de
Christian Boltanski dans le cadre de l'Histoire des Arts menée en 3ème SIA au collège AlainFournier, Bordeaux : « Et si on jouait à se faire peur ? »
Il est vrai qu’une bonne partie du travail de ce plasticien réside dans des installations de
l’ordre de la collection, de la thésaurisation d’objets qui tous ainsi réunis sont autant de
traces émouvantes, bouleversantes (et parfois drôles) de vies, de morts.
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3ème - HISTOIRE DES ARTS
ANALYSE D’ŒUVRE
BOLTANSKI, Théâtre d’ombre, 1984, métal, spots lumineux.
THÉMATIQUE : Arts, ruptures, continuités
DOMAINE ÉTUDIÉ : Arts du visuel
TYPE DE DOCUMENT ETUDIE : photographie
TYPE D’ŒUVRE ETUDIEE : installation
PRESENTATION DE L’ARTISTE : CHRISTIAN BOLTANSKI (1944- )
Boltanski est un artiste plasticien français contemporain. Son œuvre s’articule autour des notions de
mémoire, d’enfance, d’imagination et de mort. Il se sent très concerné par les événements de la Seconde
Guerre Mondiale relatifs à la Shoah et à la déportation des Juifs dans les camps de concentration. Cela
transparaît très souvent dans son travail.
Boltanski articule sa pratique autour de plusieurs domaines : la photographie, la vidéo, la sculpture et il se dit
peintre même s’il a abandonné cette pratique depuis longtemps.
Ses œuvres sont principalement des installations in situ. En 2010, il a exposé pour la Monumenta du Grand
Palais son installation Personne.
PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE :
CONTEXTE ARTISTIQUE :
Les années 1980 correspondent à la période contemporaine de l’art. On considère que l’art contemporain
débute après la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Dès ces années-là puis dans les années 1960 puis
1970 et 1980 jusqu’à aujourd’hui, les artistes touchent à tous les domaines : photographie, sculpture, vidéo,
performance, peinture, … Et n’hésitent pas à les croiser dans leurs œuvres par le biais d’installations.
QUE VOIT-ON ?
Le Théâtre d’ombres de Boltanski est une installation dans une pièce plongée dans la pénombre. Il y a
plusieurs éléments qui la constituent : le théâtre de pantins suspendus sur un portique et des spots lumineux
au sol, au centre de la pièce, les ombres projetées des figurines sur les murs blancs. Il y a une passerelle
longeant le mur qui surplombe l’installation.
COMMENT L’ŒUVRE EST-ELLE REALISEE ?
Les pantins sont en métal, sous la forme de plaques, de tiges, de fils. Les figurines suspendues sont des
sortes d’êtres anthropomorphes, on distingue des formes de crânes, des corps disloqués, des visages très
expressifs et d’autres formes plus abstraites.
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Les spots lumineux créent l’ambiance du lieu, Christian Boltanski a certainement procédé à de nombreux
essais de lumière sur différentes silhouettes de métal pour obtenir l'effet voulu. L'œuvre est exposée dans
une pièce blanche au sol très foncé. Le spectateur pénètre dans la pièce et s'y promène projetant sa propre
ombre sur les murs, il peut se placer comme il le souhaite pour découvrir l’œuvre sous différents points de
vue. Son corps est complètement inclue dans l’œuvre car il entre littéralement dans l’espace de l’œuvre.
Les ombres semblent flotter dans l’air et cassent les angles de la pièce et la rendent circulaire.
Les éléments architecturaux de l’espace brisent les projections, les déformes encore plus. Les murs et la
lumière des spots étant blancs, tout l’espace est en nuances de gris et semble alors immatériel.
COMMENT INTERPRETE – ON L’ŒUVRE ?
Le regard du spectateur est d’abord attiré par l’ambiance lumineuse onirique, d’apparence
chaleureuse, de l’installation. Ensuite, son regard se pose sur le théâtre puis sur les pantins de métal qu’il
identifie. Il comprend le lien entre l’ambiance lumineuse, les personnages et leurs ombres projetées.
Enfin, il reconnaît les formes agrandies au mur et se rend compte qu’elles n’ont rien d’oniriques, qu’elles
sont au contraire effrayantes, cauchemardesques. Il a aussi des ombres plus abstraites qui renvoient chacun
des visiteurs à leur propre imagination. Les ombres projetées de ces petites sculptures exacerbent leur
aspect cauchemardesque.
Par la découverte progressive du fonctionnement de l’œuvre, le spectateur bascule d’un sentiment
enchanteur, joyeux vers un sentiment de gêne puis de peur voire d’épouvante. L’artiste capte notre regard
tout d’abord en nous plongeant dans la pénombre. Il joue à la fois sur les perceptions visuelles et sur les
perceptions de l’espace qui sont complètement perturbées lorsqu’on est dans l’obscurité.
Toute l’installation et les sentiments qu’elle éveille chez le spectateur découlent du travail sur la
lumière. En sculptant la lumière, Boltanski joue avec l’immatériel et le matériel, il remet en question nos
perception de l’espace et pose la question ce qu’est l’œuvre. Le sol semble complètement dématérialisé par
l’intensité de la lumière, comme si le théâtre était à la fois présent et absent. Les ombres projetées sur les
murs trompent le spectateur quant à l’espace réel.
Sans la lumière, l’œuvre n’existe plus car ne procure plus rien au spectateur. La lumière est finalement le
matériau principal de l’installation.
L’usage du métal donne un caractère agressif à l’installation par le contact froid visuellement et
tactilement du matériau. La lumière crée des reflets quasiment blancs à la surface du matériau.
Avec ses pantins de métal, l’artiste emploie un registre de représentation qui fait écho aux « monstres dans
le placard » de notre enfance. Il nous fait peur en s’appuyant sur nos peurs anciennes qu’il réveille par le
biais de jeux d’ombre et de lumière. Boltanski fait également référence à l’imagerie vaudou, à une danse des
morts sud-américaine ou encore au mythe du Golem dans la tradition juive. Toutes ces traditions sont à la
fois effrayantes et joyeuses, on fête quelque chose que l’on redoute… On oscille bien entre le sentiment
enchanteur, joyeux et le sentiment d’épouvante et d’inquiétante étrangeté. Le spectateur se retrouve au
centre d’une pièce mais également au cœur d’une danse macabre.
NOTIONS IMPORTANTES :




Espace
Perception
Point de vue
Ombre / Lumière
D’autres œuvres de Boltanski se prêtent à un travail autour de l’idée des
« ombres » :
Prendre la parole (2005)
20
5) Le Cinéma
-
« Les Innocents » de Jack Clayton (1961)
Ce film est l'adaptation de a nouvelle de Henry James qui nous occupe.
Non seulement ce film possède des qualités esthétiques indéniables, mais encore rend-il à
merveille l'atmosphère délétère de l'oeuvre. Une interprétation de choix.
(il existe aussi une version téléfilm de la nouvelle de James. Je ne la conseille pas d'autant
plus que la fin a été transformée.)
5 raisons de revoir les innocents de Clayton - Blow up Arte
Bande annonce en anglais (vo)
Trailer The Innocents Clayton 1961 (VO)
Extrait :
Les innocents Clayton extrait en anglais
Les innocents Clayton extrait en anglais
-
« Les Autres » de Alejandro Amenabar (2001) [excellente suggestion de Pierre
Chalies]
Cette mise en regard semble attendue dans la mesure où les ressemblances sont frappantes :
* Une vaste maison en partie vide, un cadre clos presque coupé du monde (les fenêtres doivent
toujours être occultées par de lourds rideaux, les portes systématiquement refermées à clef...)
* Le trio des personnages (une mère et 2 jeunes enfants fille-garçon)
* Présence de domestiques mystérieux
* Cohabitation dans la même demeure entre les vivants et les morts : « En fait, durant ces
moments-là, j'ai eu la sensation extraordinaire et glaçante que c'était moi qui étais l'intruse. Et c'est
comme en guise de violente protestation que je me suis finalement adressée à elle : « Misérable
créature, femme épouvantable ! » me suis-je entendue lancer en un cri qui a résonné dans le grand
couloir et dans le maison vide. » Le Tour d'écrou, partie 15
* Le titre même du film pourrait être un écho de la nouvelle : « C'était alors que, les
autres, les intrus étaient là (…) » Le tour d'écrou, partie 13
Bande-annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=yA4nUOkO1bg
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6) Bande dessinée :
Il existe une adaptation de la nouvelle de Henry James en bande dessinée éditée chez Delcourt.
7) Mise en corps :
Il est possible de proposer aux élèves une expérience de « mise en corps » ,
Pour comprendre l'expérience sensible, corporelle liée aux Arts vivants, quelques ateliers
d'exercices théâtraux peuvent s'avérer extrêmement porteurs.
Ce moment de pratique peut permettre par exemple aux élèves de comprendre la rigueur et le travail
corporel que demandent les déplacements en groupe pour arriver à dessiner une figure homogène.
Et aussi l'esthétique dynamisante que cela crée pour le spectateur.
Ce sont des exercices d'échauffements théâtraux.
Voici une fiche d'exercices reproduite en partie ci-dessous :
« Atelier de PRATIQUE THEATRALE « Capture d’instants suspendus » construite par Isabelle
Depaire, Conseillère pédagogique départementale en arts visuels et théâtre - Inspection Académique
de Bordeaux-Gironde.
Des effets de déambulation, d'éclatement/resserrement de chœur etc...
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Journée de formation enseignants RRS Bordeaux-Goya
« L’école, de temps en temps… »
Atelier de PRATIQUE THEATRALE
« Capture d’instants suspendus »
proposé par Isabelle DEPAIRE,
Conseillère pédagogique départementale en arts visuels et théâtre - Inspection Académique de Bordeaux-Gironde
le mercredi 29 avril 2009, au lycée des Menuts – Bordeaux
avec la complicité d’Alexandre Cardin, comédien de la compagnie « La petite fabrique »
Introduction :
Le théâtre a l’art de jouer avec le temps de la vie ; il prend ainsi ses libertés avec la durée et
peut à loisir étirer le temps, le triturer, accélérer, ralentir mais aussi vaincre le temps en le gommant
(ellipses), le suspendant, en faisant des sauts dans le temps.
Plus fort que le temps, le théâtre ? Peut-être ! En tout cas, il est toujours là et témoigne d’une
grande longévité dans l’histoire des arts, depuis le 5ième siècle avant JC, dans la Grèce antique, où
on a coutume de situer son origine (mais comment ne pas penser que les récits des chasseurs de la préhistoire
n’étaient quelque peu théâtralisés pour mieux captiver leur auditoire) jusqu’à aujourd’hui, y compris dans les
mises en scène les plus avant-gardistes, le théâtre est finalement toujours le même, cet « art du
corps et de la parole adressés (à un public) » et il nous propose toujours dans un temps limité (celui
de la représentation), dans un endroit où acteurs et spectateurs se sont donnés rendez-vous à une
heure précise, un concentré de vie artificielle (avec artifices !).
Au théâtre, mettre ou enlever ses chaussures, dire au revoir ou merci, dire « je t’aime »,
fermer une porte… peuvent prendre plus de temps que dans la vie. Je vous propose dans cet atelier
d’explorer différentes durées pour ces tranches de vie, d’habitude assez brèves et avec l’aide
d’auteurs célèbres du répertoire théâtral (Tchékhov, Beckett) de « capturer des instants suspendus »
(voir 2ième partie).
Première partie :
LES MARCHES / LES SALUTS
(Groupe entier)
>Échauffement, mise en mouvement, conscience de l’espace et des autres, rythmicité, réactivité…
Marche simple, rythme tranquille, balade
Occupation de tout l’espace
Engagement croissant du corps, balancement des bras, grandeur des pas.
Différentes sensations qui modifient le mouvement : de la légèreté à la lourdeur…
Différents rythmes : accélération, ralentissement jusqu’à l’immobilité.
1-Se saluer : (jouer avec sa voix) On se déplace dans la salle et, quand on rencontre quelqu’un, on le salue de la
voix
Choisir un mot ou une phrase de salut, jouer avec (diverses intonations, divers timbres)
Avec le dé en mousse : on se lance le dé ; si l’on reçoit le dé, on change de formule de salut
Idem mais on essaie une autre intonation pour son salut (on change sa façon de le dire)
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Idem mais on change sa posture corporelle pour le dire
2-Expérimenter la lenteur : faire durer le geste corporel du salut au moment de la rencontre, étirer le temps
comme un chewing-gum, faire fonctionner le « frein moteur » corporel (« l’inhibition motrice ») ; reprendre la marche
tonique et recommencer avec un autre partenaire ce « salut suspendu ».
LE CORYPHEE ET LE CHŒUR
(Demi-groupe)
> Écoute, empathie, mouvement, simultanéité…
Désignation du coryphée (en tête) et des choreutes (derrière le coryphée).
Traversée du plateau (du fond de scène à l’avant-scène).
Le chœur suit le coryphée qui induit le rythme et le mouvement, d’abord dans la lenteur.
Le rythme peut ensuite s’accentuer lorsque le groupe parvient à l’écoute collective.
Le point de regard est en face ; il définit le cap à tenir et constitue le moteur d’avancée du groupe.
LES TABLEAUX VIVANTS
(Demi-groupe)
Atelier d’autant plus pertinent dans le cadre de cette œuvre que dès l’incipit de la nouvelle, le lendemain de son arrivée,
la gouvernante observe le spectacle de la fenêtre de sa chambre, le mot « tableau » (image en américain) apparaît alors ;
les fenêtres jouent en effet un rôle important : ce qui est vu, ce qui est fait pour être vu …
> Observation, imagination, mise en relation, création d’une situation, interprétation…
Improvisation collective d’un tableau, avec ou sans thème.
Un premier volontaire propose une posture, une image.
Lorsqu’il est immobilisé, il choisit d’appeler un autre par le regard.
L’autre appelé rejoint le premier en le regardant le temps du trajet puis décide de sa propre posture, s’immobilise à son
tour et appelle par le regard le suivant.
Demander au demi-groupe spectateur d’interpréter, d’intituler le tableau ainsi constitué.
…….……………………………
Bien d'autres pistes restent possibles. En fonction du niveau des élèves, des moyens et des
équipements dont vous disposez et de l'équipe pédagogique engagée.
Suite à la représentation, en aval donc, bien des pistes sont possibles d'un rendu vidéo (ou
autre) à une simple (mais toujours riche) discussion en classe.
Belle aventure lyrique à tous.tes !
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Bien d'autres pistes restent possibles. En fonction du niveau des élèves, des
moyens et des équipements dont vous disposez et de l'équipe pédagogique
engagée.
Suite à la représentation, en aval donc, bien des pistes sont possibles d'un rendu
vidéo (ou autre) à une simple (mais toujours riche) discussion en classe.
Belle aventure lyrique à tous.tes !
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